Notes
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[1]
Malgré les démentis réguliers, cette fable de la « fin de l'histoire » est régulièrement réactivée, notamment pour distinguer la bonne et la mauvaise gauche du continent. Pour la critique d'un récent plaidoyer en faveur du Consensus de Washington, on pourra lire Tony Wood, « Latin America Tamed ? », NLR II-58, juillet-août 2009.
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[2]
Les trois livraisons thématiques précédentes étaient consacrées à la crise financière de 2007-2008 (« Crise financière globale ou triomphe du capitalisme ? », Agone, 2012, n° 49), à la Chine (« La Chine et l'ordre du monde », Agone, 2013, n° 52) et à l'impérialisme états-unien (« Hégémonie ou déclin de l'empire », Agone, 2014, n° 55).
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[3]
À propos de cette constante exigence de lucidité, on peut relire le programme tracé par Perry Anderson dans « Renouvellements », Agone, 2012, n° 49.
1 Au milieu des années 1970, le Chili de Pinochet était le premier pays qui confiait les rênes de son économie aux « Chicago Boys » de l'école néolibérale inspirée par Milton Friedman. À peine vingt ans plus tard, dans le contexte de la fin de la guerre froide et de l'effondrement du bloc soviétique, c'est encore en Amérique latine que semblait le mieux se vérifier le célèbre adage de Margaret Thatcher : « There is no alternative. » C'était l'époque du célèbre « Consensus de Washington », un accord général (au moins dans les milieux dirigeants) pour appliquer les solutions libérales portées par le FMI et la Banque mondiale au continent frappé par la crise de la dette. Bien au-delà d'un simple ensemble de recettes économiques et financières, le supposé « consensus » des années 1990 était brandi comme l'entrée dans une ère nouvelle, renvoyant aussi bien les programmes révolutionnaires incarnés par Castro ou Guevara que les politiques d'État keynésiennes nées de la Grande Dépression dans un passé définitivement révolu [1]. Débarrassée de ses vieilles lunes, l'Amérique latine allait connaître l'avenir radieux des pays « émergents » dans le cadre de la « mondialisation heureuse ». L'ensemble des textes de cette quatrième livraison de traductions de la New Left Review dans la revue Agone [2] s'inscrit en faux contre cette idée d'une rupture radicale.
2 Les textes choisis dans ce recueil mettent avant tout l'accent sur les lignes de continuité qui marquent l'Amérique latine d'aujourd'hui. Qu'il s'agisse de rappeler la période coloniale et de relativiser – déjà ! – la rupture des indépendances (Echeverría), ou qu'il soit question d'une innovation littéraire décisive dans le Brésil du xix e siècle (Schwarz), l'héritage renvoie directement à l'importance des conflits sociaux. C'est la continuité des images et de ceux qui les filment de part et d'autre des années de la dictature qui donne toute son acuité au regard que porte le cinéma documentaire brésilien sur les années Lula (Xavier). Quand Chico de Oliveira propose de décrire l'économie brésilienne d'aujourd'hui sous les traits improbables et chimériques de l'ornithorynque, c'est la critique des théories du développement amorcée dans les années 1970 qu'il reprend et prolonge. Même à Medellín, qui se présente sous le visage refait de la ville d'un miracle économique entièrement tourné vers le futur, c'est l'argent de la drogue qui a simplement pris la place qu'avait cent ans plus tôt celui du café (Hylton).
3 Ancrée dans un passé de luttes dont l'héritage est vivant, riche aussi de toutes ses particularités, l'Amérique latine nous montre peut-être une part de notre futur. Depuis des années, qu'il s'agisse des « réformes » néolibérales ou des victoires des forces progressistes, ce continent semble montrer plus vite et plus fort le sens du vent. Sans prendre ses désirs pour des réalités [3], la New Left Review a ainsi récemment publié deux études au long cours sur des sujets qui résonnent fortement bien au-delà du continent. Le panorama que dresse Lena Lavinas des nouveaux programmes sociaux – qui rompent avec l'État providence et la protection universelle financée par l'impôt pour privilégier des programmes individualisés et « responsabilisants » – montre à quel degré de généralité les recommandations des économistes néolibéraux ont été appliquées dans toute l'Amérique latine. Ainsi, les résultats de cette nouvelle « protection sociale » du xxi e siècle, qui installe une sorte de capitalisme à visage humain, méritent d'être regardés de près pour mieux comprendre la question si actuelle des services publics et des « communs ». De manière inattendue, enfin, c'est peut-être à Cuba – dont l'évolution économique depuis vingt-cinq ans est ici analysée par Emily Morris – qu'on trouve les perspectives les plus intéressantes. À l'heure où la Grèce – et bientôt d'autres pays d'Europe – fait l'expérience de l'impasse, Cuba nous montre autant les difficultés que la possibilité durable d'une réelle alternative.
Notes
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[1]
Malgré les démentis réguliers, cette fable de la « fin de l'histoire » est régulièrement réactivée, notamment pour distinguer la bonne et la mauvaise gauche du continent. Pour la critique d'un récent plaidoyer en faveur du Consensus de Washington, on pourra lire Tony Wood, « Latin America Tamed ? », NLR II-58, juillet-août 2009.
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[2]
Les trois livraisons thématiques précédentes étaient consacrées à la crise financière de 2007-2008 (« Crise financière globale ou triomphe du capitalisme ? », Agone, 2012, n° 49), à la Chine (« La Chine et l'ordre du monde », Agone, 2013, n° 52) et à l'impérialisme états-unien (« Hégémonie ou déclin de l'empire », Agone, 2014, n° 55).
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[3]
À propos de cette constante exigence de lucidité, on peut relire le programme tracé par Perry Anderson dans « Renouvellements », Agone, 2012, n° 49.