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Article de revue

Les temps de l'inconscient chez l'enfant

Pages 63 à 76

Notes

  • [1]
    J. Lacan, Encore, Paris, Le Seuil, 1999, p. 33.
  • [2]
    S. Freud (1932), Nouvelles conférences d’introduction à la psychanalyse, Paris, Gallimard, 1984.
  • [3]
    S. Freud, Pulsions et destins des pulsions, Paris, Payot, 2012.
  • [4]
    Trieb provient du verbe treiben qui exprime une idée de « mise en mouvement ». Il s’agit d’un mot ancien qui fait partie du vocabulaire quotidien. Au XIXe siècle, dans la sphère germanophone, les biologistes ont forgé un autre terme, Instinkt, bâti sur une racine latine pour tenter d’expliciter les conduites animales. Ce signifiant est traduit en français par instinct, il désigne les conduites qui apparaissent comme déterminées pour une espèce donnée. Les germanophones ont donc à leur disposition deux termes au moins pour exprimer les conduites : Trieb qui valorise la dimension automatique et innée d’une poussée intérieure au sens où, par exemple, une plante « pousse ». Instinkt qui met l’accent sur le déterminisme à l’œuvre dans ce processus de conduite. Dans ses premiers textes, Freud utilise sans discrimination les deux termes Trieb et Instinkt comme synonymes. Mais en 1895, dans l’Esquisse d’une psychologie scientifique, il emploie résolument Trieb de préférence à Instinkt. Il n’est pas inutile de remarquer qu’il le fait précisément au moment où il tente d’éclaircir les points d’articulation entre le somatique et le psychique. Il faudra l’obstination de Jacques Lacan et la parution en 1967 du Vocabulaire de la psychanalyse de Laplanche et Pontalis pour que le terme « pulsion » s’impose. Pulsion était par ailleurs et lui-même, alors, un vieux mot français dont l’usage se vit relancé par cette traduction.
  • [5]
    D. Winnicott, Processus de maturation chez l’enfant, Paris, Payot, 1989 p. 10.
  • [6]
    Ibid.
  • [7]
    Ibid., p. 11.
  • [8]
    Ibid.
  • [9]
    Ibid.
  • [10]
    Ibid.
  • [11]
    D. Winnicott, Jeu et réalité, Paris, Gallimard, 1975 p. 125.
  • [12]
    Ibid., p. 56, 58-59, 70-71.

1 Nous avons été habitués à considérer que l’enfant, les enfants, détenaient une parole et qu’il fallait les écouter.

2 Nous sommes bien entendu d’accord avec cette définition pourtant cela ne rend pas compte de quelle parole il s’agit dans les différentes étapes de ce que l’on appelle enfant.

3 Évidemment on ne peut pas s’empêcher de se demander quand commence l’inconscient chez un enfant, même si cette question du commencement en masque une autre qui concerne la question de la structure de l’espace psychique infantile qui, assurément ne comporte pas exactement les mêmes coordonnées aux différents âges.

4 Pourtant il est d’usage, chez les psychanalystes et en particulier ceux du courant lacani en, de critiquer la notion d’évolution psychique au profit de celle de logique, de logique de l’inconscient. Aussi s’il y a une logique de l’inconscient, elle n’est assurément pas la même chez un bébé qui vient de naître, chez un enfant de 12 mois, de 2 ans, 4, 6, 10 et au-delà dans l’adolescence. D’ailleurs, Lacan lui-même, en nous faisant remarquer qu’« il n’y a aucune réalité pré-discursive, (que) chaque réalité se fonde et se définit d’un discours [1] », nous incite à entendre qu’en matière de formation de l’inconscient, la formation du discours prévaut, si l’on veut bien considérer que l’inconscient est structuré comme un langage et non par le langage.

5 Les étapes que nous avons l’habitude de retenir sont celles qui ont été établies ou définies par Freud, tout d’abord avec la notion de stades : anale, orale, phallique puis génitale. Peut-être que le seul intérêt de ce repérage viendrait de l’origine du lien de ces stades avec la notion de pulsion. En effet, les pulsions partielles ou prégénitales sont celles qui sont à l’œuvre dans la sexualité infantile. On parle alors de pulsions orales, de pulsions anales, et de pulsions phalliques. Elles seront rassemblées comme préliminaire de la pulsion génitale adulte. La pulsion est définie par Freud comme une poussée constante et motrice qui vise à une satisfaction, elle est le moyen initial de cette satisfaction. « La théorie des pulsions, c’est notre mythologie [2]. » « Processus dynamique », elle est dotée de quatre caractéristiques :

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  • sa poussée (sa tendance à s’imposer, ou « le facteur moteur de la pulsion ») ;
  • sa source (« le processus somatique qui est localisé dans un organe ou une partie du corps » : la source pulsionnelle) ;
  • son « objet » (« … ce en quoi ou par quoi, la pulsion peut atteindre son but » et « ce qu’il y a de plus variable dans la pulsion, il ne lui est pas originairement lié ») ;
  • son but (qui est, in fine, « toujours la satisfaction d’un désir qui ne peut être obtenue qu’en supprimant l’état d’excitation à la source de la pulsion [3] »).

7 Les difficultés de compréhension ont été compliquées par la traduction française du mot allemand Trieb par « instinct » ce qui ne rend pas compte de la spécificité freudienne. Cette spécificité réside dans l’articulation des relations entre le corps et le psychisme par l’entremise de la représentation [4].

Première topique

8 Dès ses premiers écrits, puis de manière approfondie dans Trois essais sur la théorie de la sexualité, Freud insiste sur la sexualité infantile s’opposant aux pulsions du moi. La sexualité est d’abord génétiquement « non génitale », avec les pulsions partielles qui s’étayent sur des fonctions organiques (la faim notamment). Il distingue trois processus :

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  • un temps actif : si l’on prend l’exemple de la tétée, le nourrisson veut se nourrir parce qu’il ressent une sensation interne (qu’il ne peut se représenter et qui est désagréable), il cherche le sein (ou le biberon) ou il crie ; il s’agit là d’un temps qui s’articule au besoin et à la fonction physiologique ;
  • un temps passif, selon Freud, où l’enfant se fait « objet » de l’autre (de la personne qui l’a nourri) ;
  • un temps réflexif qui survient après que l’enfant se soit nourri : il n’a plus faim mais pourtant il continue, nous dit Freud, à « suçoter ».

10 Les pulsions sexuelles (génitales et prégénitales) sont régies par le principe de plaisir qui recherche une décharge immédiate qui annule la tension, alors que les pulsions du Moi ou pulsions d’autoconservation sont, elles, soumises au principe de réalité. Cette dernière tend à ajourner la satisfaction au nom du « principe de constance ». La pulsion d’autoconservation vise la survie et la pulsion sexuelle, la reproduction. Le modèle darwinien et malthusien sert là de références.

Seconde topique

11 Vient ensuite une seconde théorisation en 1927 : l’observation du jeu de la bobine pratiqué par un jeune enfant, amène Freud à rectifier son premier modèle. Certaines pulsions viseraient, non pas la liquidation de l’énergie pulsionnelle jusqu’à un certain seuil, mais bien l’éradication pure et simple de toute excitation. Ce sont les pulsions de mort. Alors que le premier paradigme oppose deux catégories de fonctions biologiques ou proches du biologique, la pulsion de mort s’affranchit, elle, nettement de ce modèle. Il s’agit à présent d’opposer la pulsion de vie (les pulsions d’auto-conservation et libido), soit l’Éros, la force vitale, aux pulsions de mort, que certains ont personnifié comme Thanatos.

12 La seconde topique est aussi celle où Freud met en place la division entre ça, surmoi et Moi. Dans cette perspective, le ça est vu comme le réservoir des pulsions.

13 Les pulsions de mort ne peuvent être entendues que comme obéissant à d’autres lois : elles sont soumises au principe de nirvana. C’est l’un des aspects de ce second paradigme qui provoque de nombreuses controverses au sein même de la communauté psychanalytique. Le premier paradigme décrit la différence radicale entre survie, reproduction et sexualité psychique : il révèle des « pulsions de vie » très différentes, la pulsion se différenciant franchement de la génitalité, autrement dit, le « sexuel », n’est pas réductible au génital. Le second paradigme décrit une tension inhérente à la vie psychique et conduit certains à qualifier cette théorie de « pessimisme freudien ». Cependant notre vie sociale nous donne de fréquentes occasions de voir se confronter ces tendances pulsionnelles. Ajoutons à cela que les pulsions sexuelles (au sens large et donc pas obligatoirement génitales) sont amorales et ne visent qu’à leur accomplissement : elles se heurtent donc fréquemment aux règles qui s’imposent dans toute vie sociale, provoquant frustration, conflit, culpabilité, ce qui expliquerait pourquoi, dans la théorie freudienne, les pulsions ont une part primordiale.

14 Pourtant toute cette brillante articulation ne rend pas véritablement compte du fait que l’enfant ne dispose pas d’emblée de tous ces éléments, ou en tout cas, les emploie différemment selon son âge.

15 Winnicott nous donne quelques indications des questions qu’il se pose et qui vont dans le même sens que les nôtres, même s’il ne les pose pas en termes de savoir quand commence l’inconscient. Il les formule à sa façon en se demandant pour sa part « s’il y a un Moi dès le début, en spécifiant que le début, c’est le moment où le moi commence, tout en précisant que le début est à entendre plutôt comme la somme des débuts [5] ».

16 Vient ensuite, très vite, une deuxième question qui concerne la force ou la faiblesse de ce moi, à laquelle il répondra, que cela « dépend de chaque mère et de son aptitude à satisfaire, au début, la dépendance absolue du nourrisson, durant ce stade qui précède celui où il sépare la mère du self [6] ».

17 L’intéressant, c’est que, pour Winnicott, comme pour nous, il n’y a, à ce stade, pas lieu de décrire un bébé autrement que par rapport à la fonction de la mère et qu’en matière de capacité d’adaptation de la mère : « Il faut bien comprendre que cela n’a que peu de rapport avec son aptitude à satisfaire les pulsions orales du nourrisson, en lui donnant par exemple une bonne tétée [7]. »

18 Mais ce dont Winnicott a l’intuition et qu’il soutient, me semble-t-il, de façon géniale à ce stade du nourrisson, c’est l’idée qu’« une satisfaction orale peut constituer une séduction et un traumatisme si elle est offerte à un petit enfant sans la couverture du fonctionnement du moi [8] ».

19 Et qu’est-ce que nous indique ici Winnicott si ce n’est deux choses.

20 – La première c’est que l’enfant à ce stade est bombardé par le réel, ce que Winnicott traduit par l’idée qu’« au stade que nous étudions, il est nécessaire de penser au bébé non comme à une personne qui a faim et dont les besoins instinctuels peuvent être satisfaits ou bien frustrés, mais de penser à lui comme à un être immature qui est tout le temps au bord d’une angoisse dont nous ne pouvons avoir l’idée [9]. »

21 Cette angoisse inimaginable dont nous ne pouvons avoir l’idée n’est-elle pas la définition même d’un réel qui n’est ni pensable ni imaginable et par conséquent ne peut être que traumatique s’il n’est pas filtré par le fantasme ? Or le nourrisson ne dispose pas encore du fantasme pour pouvoir faire face à ces attaques.

22 Ce qui nous amène au deuxième point que traite Winnicott à travers sa question de la couverture nécessaire du fonctionnement du moi, à savoir que c’est la mère qui fait fonction de filtre avec son propre fantasme, afin que son bébé ne soit pas complètement traumatisé en permanence par ces bombardements du réel. Et comment s’y prend-elle si ce n’est par sa « capacité de se mettre à la place de l’enfant et de savoir ce dont il a besoin quant à son corps en général et donc quant à sa personne [10]. »

23 Entendons que c’est précisément ce que Bergès avait appelé la capacité de transitivisme de la mère.

24 On peut donc déjà aboutir à un premier repérage : il n’y a pas d’inconscient infantile avant que le fantasme de l’enfant lui permette d’assurer un filtrage propre contre le réel…

25 Mais s’agit-il à ce stade de l’inconscient au sens Freudien du terme, sachant que pour qu’il y ait inconscient il faut qu’il y ait refoulement, or peut-on parler de refoulement à cette époque ? Ajoutons à cette remarque, celle qui concerne la réalité pré-discursive de l’enfant, à cet âge : ne disposant pas encore du fantasme, c’est-à-dire d’une modalité discursive, il est dans une réalité parfaitement métonymique sans que les opérations métaphoriques aient encore pu lui permettre de relativiser ce qui lui arrive comme réel.

26 – Le deuxième temps de la discursivité chez l’enfant est celui de la constitution du fantasme

27 Pour examiner ces questions il nous faut nous reporter à la constitution du premier jeu, c’est-à-dire au « fort da », que l’on doit bien considérer comme une première forme des prémices de la métaphore. Pourtant j’introduirai la distinction suivante : la bobine tient lieu de métonymie, c’est-à-dire de partie de la mère pour son tout et le jeu en lui-même, de matrice d’une métaphore (remplacer quelque chose par autre chose) qui ne se constitue véritablement, qu’à devoir phonétiser cette absence, en la remplaçant par une opposition entre deux mots : « partie ; la voilà » ou, plus prosaïquement, par une opposition phonématique « O ! A ! ». Il faut tout de même préciser que c’est dans l’opposition du phonème au geste que se constituent les prémices de cette métaphorisation. En effet c’est parce que l’enfant peut dire « partie » alors que la bobine est proche ou « la voilà » alors que la bobine est loin, qu’il va pouvoir maîtriser cette absence autrement que ce qu’il était en mesure de faire jusqu’alors ; c’est dire que l’on passe du processus hallucinatoire à l’opération métaphorique qui introduit simultanément la fonction de la parole et du langage, puisque dès lors le mot peut également servir à désigner quelque chose d’absent et, surtout, servir à n’avoir plus besoin de la chose pour un temps.

28 Mais à ce stade on ne peut pas encore parler de fantasme car l’enfant remplace terme à terme l’absence du personnage qui manque, par un jeu avec un objet auquel il associe deux phonèmes qu’il oppose et qu’il répète, on peut dire deux phonèmes qu’il conflictualise. Donc il ne s’agit pas d’un scénario, mais de la répétition du remplacement de quelque chose par autre chose, associé à une phonèmatisation à l’identique sans donner lieu à une quelconque interprétation. Le scénario du fantasme, quant à lui, débute avec le passage d’une transposition à une autre mais surtout avec le passage de la position de spectateur qui constate que l’enfant est battu par le père, à celle d’une première interprétation qui donnera lieu à la première transposition qui sera le résultat de cette toute première interprétation : « Mon père me bat : il m’aime ! »

29 À partir de cette interprétation l’enfant pourra construire d’autres scénarios dans lesquels l’auteur du fantasme disparaît au profit des différentes substitutions auxquelles ce même fantasme donne lieu. Ce n’est donc pas pour rien que Freud introduit le fantasme à partir de l’agressivité ou encore de la violence sur l’objet dans la question de l’amour, puisque le rapport de l’enfant à ses objets comporte d’entrée de jeu, si je puis dire, cette dimension amour haine avec laquelle il ne peut pas encore jouer, donc avec laquelle il ne peut pas encore fantasmer.

30 C’est dans ce même fil que Winnicott se livre à la mise en scène d’un petit duo entre le sujet et l’objet [11], le sujet dit à l’objet « hé ! l’objet, je t’ai détruit ». Et l’objet est là, qui reçoit cette communication. À partir de là, le sujet dit : « Hé ! l’objet, je t’ai détruit. Je t’aime. » « Tu comptes pour moi parce que tu survis à ma destruction de toi. » « Puisque je t’aime, je te détruis tout le temps dans mon fantasme inconscient. » Pour Winnicott, ici s’inaugure donc le fantasme chez l’individu. Le sujet peut maintenant utiliser l’objet qui a survécu. On entend bien qu’il ne s’agit pas encore du fantasme Freudien : « On bat un enfant » car il n’y a pour l’instant que deux protagonistes, le sujet et l’objet sans spectateur ; mais il n’y a surtout pas encore le niveau d’interprétation qui fera, par la suite, tout le mobile du scénario du fantasme, mobile au sens où l’on parle de mobile du crime.

31 C’est toute la différence qui existe entre désirer l’objet et désirer le désir de l’objet. Il n’y a pas encore l’intervention d’un tiers entre le sujet et l’objet dont l’enfant pourrait tirer la conclusion comme dans « On bat un enfant », que c’est parce que le tiers bat le frère qu’il l’aime, et surtout par conséquent, que pour être aimé, il faut construire un scénario dans lequel Je, prends la place de l’enfant battu. Mais si cette étape n’est pas en fonction pendant un certain temps, c’est pour des raisons qui concernent le manque de métaphorisation, processus normal jusqu’à une certaine époque.

32 À cet égard la distinction que fait Winnicott est très éclairante ; en effet dans le jeu il distingue le playing du game [12], « Et l’on peut tenir les jeux (games), avec ce qu’ils comportent d’organisé, comme une tentative de mettre à distance l’aspect effrayant du jeu (playing) ».

33 Je dirai donc que l’enfant, pendant assez longtemps ne dispose que du playing, c’est-à-dire de la dimension répétitive du jeu qui le satisfait momentanément, à la manière du rétablissement d’une certaine homéostasie en rendant, par exemple, sa mère présente par la maîtrise de l’objet (bobine) ; pourtant avec le playing, il sort déjà du processus hallucinatoire, en transposant l’image mentale sur un objet dont il répète la présence, sans pour autant, pouvoir introduire de variation, c’est ce que l’on constate jusque très tardivement dans certaines psychoses infantiles. Mais l’enfant ne dispose pas encore du game, c’est-à-dire de ce qui fait que la mise en place d’un scénario requiert un certain nombre de « règles du jeu » pour pouvoir s’établir, règles du jeu qui nécessitent de pouvoir recourir au déplacement et à la condensation sur le modèle du rêve ou du mot d’esprit. Mais cela suppose ce que j’appellerai une certaine forme de maturation ou plus exactement d’acquisition de la métaphore qui rende possible le game.

34 Quelques conséquences de cela, ou quelques observations qui concernent la pratique de l’analyse avec les enfants :

35 En effet le dessin et le travail avec les dessins ou le jeu dans la séance sont d’une nature toute différente s’il s’agit du playing ou du game, je veux dire par là que, si la fonction du fantasme est acquise ou pas, la nature même du dessin et du jeu prendra une valeur différente. De la même façon on peut distinguer une masturbation susceptible de produire une baisse de tensions, d’une masturbation qui a recours au fantasme pour se dérouler ; disons que c’est ce type de différence que l’on constate également dans les psychoses infantiles. Ceci suppose par conséquent qu’il y ait, jusqu’à une certaine époque, un imaginaire sans fantasme ou le dessin est la reproduction, à l’identique, du rapport entre un signifiant et une signification, sans que le game puisse encore s’instaurer, ce qui permettrait alors à ce dessin de multiples significations.

36 Il s’agit, bien évidemment, toujours du problème de la constitution du sujet qui pose la question de savoir comment on passe de l’imaginaire au symbolique, ce qui est à nouveau une manière d’interroger de quelle façon on passe du playing au game ; mais je préférerai dire plus simplement comment le Réel, le Symbolique et l’imaginaire deviennent strictement équivalents tels que Lacan nous l’indique dans RSI.

37 Dans les premiers jeux, ceux que l’on peut appeler playing, l’enfant semble essayer de se sevrer de l’objet sans pouvoir y parvenir, puisqu’il ne dispose pas encore du fantasme, comme on vient de le voir. Il se situe à cet instant dans une simple ébauche du fantasme que l’on peut écrire S barré sans poinçon a.

38 On s’aperçoit grâce à Freud que les apparitions et disparitions de l’objet tentent de symboliser ces éclipses intermittentes de la mère, dont l’enfant se rend maître et se venge en les transposant sur un autre plan que celui où il les vit ; mais ça n’est pas pour autant que l’on puisse déjà parler de scénario, de game donc. Dans ce cas, l’enfant essaie plus prosaïquement d’avoir prise sur une réalité qui lui échappe.

39 Avec le stade du miroir c’est l’essence même du sevrage qui apparaît dans sa dimension originaire et constitutive, en de-çà de tout événement. Le sujet n’a pas d’antériorité à ce monde de formes qui, par elles, le constitue et ce, de façon originairement divisé. Dès ce moment l’idée de la simultanéité de la constitution et de la perte est posée et le sujet s’en constitue lui-même comme éclipsé d’un signifiant à l’autre.

40 Donc pas de sujet déjà constitué d’avance et pas de sujet autre que troué.

Troisième temps de cette discursivité

41 Winnicott nous donne à nouveau l’occasion de confronter —> d’interroger ? notre propre recherche clinique, puisque la différence qu’il fait, entre les capacités au playing ou au gaming, ne sont autres que celles qui consistent à pouvoir faire usage d’un mode de pensée métonymique dans le premier cas et métaphoro-métonymique dans le second cas. C’est l’indice également d’un monde de réalité, de penser la réalité complètement différent si on pense avec un registre ou bien avec les deux. Mais c’est aussi dire que cela constitue le résultat de l’acquisition du langage ou plus exactement de la lalangue de l’enfant, ce qui prend un temps assez long après sa première entrée dans le langage.

42 On ne pourrait pas terminer ces propos sans évoquer l’idée des symptômes de l’enfant, ou du constat de l’immaturité du symbolique chez l’enfant, sans conclure sur le fait qu’il n’y a pas de nouveau symptôme. Les parents ont une importance symboligène parce que l’enfant, jusqu’à 5 ou 6 ans, présente un mode de pensée plutôt métonymique et que cette construction est l’effet produit par le manque de refoulement, mais, s’il est normal à cet âge, il entraîne également un manque de maturation des processus métaphoriques.

43 Aussi plus l’enfant s’avance vers la réalisation de son refoulement, plus il contribue également à mettre en œuvre la maturation de ses processus de métaphorisation. Tant et si bien que l’on peut faire le constat que la construction des symptômes à cet âge est le résultat d’un manque de refoulement ; inversement un symptôme qui disparaît est le résultat d’une production de refoulement et, par conséquent, permet à la métaphore de se développer.

44 Enfin, tout autre est le mode de construction du symptôme plus tard, après 6 ans, puisque l’enfant étant désormais en mesure de maintenir et d’utiliser un mode de pensée métaphoro-métonymique, cela aura pour conséquence que la construction du symptôme après cet âge, soit l’effet produit par le retour du refoulé et donc il ne s’agira plus de produire du refoulement ; mais au contraire de pouvoir lever ce refoulement.


Date de mise en ligne : 17/10/2014.

https://doi.org/10.3917/afp.021.0063

Notes

  • [1]
    J. Lacan, Encore, Paris, Le Seuil, 1999, p. 33.
  • [2]
    S. Freud (1932), Nouvelles conférences d’introduction à la psychanalyse, Paris, Gallimard, 1984.
  • [3]
    S. Freud, Pulsions et destins des pulsions, Paris, Payot, 2012.
  • [4]
    Trieb provient du verbe treiben qui exprime une idée de « mise en mouvement ». Il s’agit d’un mot ancien qui fait partie du vocabulaire quotidien. Au XIXe siècle, dans la sphère germanophone, les biologistes ont forgé un autre terme, Instinkt, bâti sur une racine latine pour tenter d’expliciter les conduites animales. Ce signifiant est traduit en français par instinct, il désigne les conduites qui apparaissent comme déterminées pour une espèce donnée. Les germanophones ont donc à leur disposition deux termes au moins pour exprimer les conduites : Trieb qui valorise la dimension automatique et innée d’une poussée intérieure au sens où, par exemple, une plante « pousse ». Instinkt qui met l’accent sur le déterminisme à l’œuvre dans ce processus de conduite. Dans ses premiers textes, Freud utilise sans discrimination les deux termes Trieb et Instinkt comme synonymes. Mais en 1895, dans l’Esquisse d’une psychologie scientifique, il emploie résolument Trieb de préférence à Instinkt. Il n’est pas inutile de remarquer qu’il le fait précisément au moment où il tente d’éclaircir les points d’articulation entre le somatique et le psychique. Il faudra l’obstination de Jacques Lacan et la parution en 1967 du Vocabulaire de la psychanalyse de Laplanche et Pontalis pour que le terme « pulsion » s’impose. Pulsion était par ailleurs et lui-même, alors, un vieux mot français dont l’usage se vit relancé par cette traduction.
  • [5]
    D. Winnicott, Processus de maturation chez l’enfant, Paris, Payot, 1989 p. 10.
  • [6]
    Ibid.
  • [7]
    Ibid., p. 11.
  • [8]
    Ibid.
  • [9]
    Ibid.
  • [10]
    Ibid.
  • [11]
    D. Winnicott, Jeu et réalité, Paris, Gallimard, 1975 p. 125.
  • [12]
    Ibid., p. 56, 58-59, 70-71.
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