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Article de revue

Ce que l'analyste devient dans le transfert de l'analysant et sa place dans la direction de la cure

Pages 41 à 47

Notes

  • [1]
    S. Freud, « La dynamique du transfert », dans La technique psychanalytique, Paris, puf, 1953, p. 51.
  • [2]
    S. Freud, L’interprétation des rêves, Paris, puf, 1976, p. 478-479.
  • [3]
    Ibid., p. 464.
  • [4]
    H. Sachs, Freud, mon maître et mon ami, Paris, Denoël, 1977.
  • [5]
    J. Lacan, « L’acte psychanalytique », dans Autres écrits, Paris, Le Seuil, 2001, p. 379.
  • [6]
    J. Lacan, « L’étourdit » (1973), dans Autres écrits, Paris, Le Seuil, 2001, p. 487.
  • [7]
    J. Lacan, « Proposition du 9 octobre 1967 sur le psychanalyste de l’école », dans Autres écrits, op. cit., p. 255.
  • [8]
    J. Lacan, « Note italienne » (1974), dans Autres écrits, op. cit., p. 309.
  • [9]
    J. Lacan, « L’étourdit », op. cit., p. 487.
  • [10]
    J. Lacan (1974-1975), Séminaire rsi, Ed. ali, p. 76-77.
  • [11]
    C. Hoffmann, « Qu’est-ce qu’un effet dans le réel ? », dans Figures de la psychanalyse, n° 15, Toulouse, érès, 2007.
  • [12]
    M. Safouan, La parole ou la mort. Essai sur la division du sujet, Paris, Le Seuil, 2010, p. 11.
  • [13]
    J. Lacan (1968), « D’une réforme dans son trou », dans Figures de la psychanalyse, n° 17, Toulouse, érès, 2009.
  • [14]
    J. Lacan, « Télévision », dans Autres écrits, op. cit., p. 526.
  • [15]
    J. L. Borges, Neuf essais sur Dante, Paris, Gallimard, 2006, p. 103.

1Qu’est-ce que le transfert ? Je vais d’abord commenter la définition que Freud en donne dans son texte sur La dynamique du transfert, dont je propose cette traduction :

2

« Il est tout à fait normal et compréhensible de voir l’investissement libidinal tenu en attente par l’insatisfaction se porter sur la personne du médecin. Ainsi que nous le prévoyons, cet investissement va s’attacher à des modèles, conformément à l’un des clichés du sujet en question, ou, comme nous pouvons le dire aussi, le patient insère le médecin dans l’une des “séries”, ou des “suites” psychiques que le patient avait créées jusque-là [1]. »

3Une remarque sur le terme d’insertion s’impose. Le terme allemand employé par Freud est Einfügen, ce terme est traduit dans une version contemporaine de Freud du dictionnaire allemand-français, le Sachs-Villatte par « faire entrer dans une entaille et l’y fixer ». En somme, l’analysant insère l’analyste dans son inconscient comme on insère un billet dans une lettre ou dans une encoche.

4Dans la suite du texte, Freud s’oppose à la remarque de Jung qui propose l’imago paternelle comme la norme du transfert, en précisant que le transfert n’est pas lié à ce modèle (Vorbild) et qu’il peut se réaliser dans les registres maternel, fraternel, etc.

5Nous pouvons d’ores et déjà remarquer dans ce court extrait, les deux dimensions du transfert qui se différencient, selon que l’investissement de la libido se fait sur le modèle ou sur l’entaille psychique.

6L’entaille psychique n’est pas sans nous rappeler l’encoche du trait unaire et la lecture que Lacan en a faite, en l’identifiant à l’instance de la lettre dans l’inconscient.

7Par conséquent, nous pouvons admettre que l’analyste fait partie de l’inconscient de l’analysant comme le disait Lacan, mais à quel titre ?

8Au titre de ce qu’il devient dans le transfert de l’analysant.

9Dans L’interprétation des rêves, nous trouvons déjà cette remarquable définition du transfert : « … il faut bien comprendre l’importance du désir inconscient, et recourir à la psychologie des névroses. Elle nous apprend que la représentation inconsciente ne peut, en tant que telle, pénétrer dans le préconscient et qu’elle ne peut agir dans ce domaine que si elle s’allie à quelque représentation sans importance qui s’y trouvait déjà, à laquelle elle transfère son intensité et qui lui sert de couverture. C’est là le phénomène du transfert, qui explique tant de faits frappants de la vie psychique des névropathes [2]. »

10Freud peut alors affirmer que le rêve et toute autre formation de l’inconscient est « un substitut d’une scène infantile modifié par le transfert dans un domaine récent [3] ».

11Il me faut maintenant répondre à ma question de départ, si l’analyste est ce qu’il devient dans le transfert, de quelle place répond-il dans ce transfert ?

12Un analysant peut produire un rêve où l’analyste vient à la place d’une imago familiale et continuer le rêve en allant raconter ce que l’analyste est devenu dans son rêve à son analyste. Tout cela dans un seul et même rêve de début de cure.

13Nous voyons de la sorte ce que Lacan a repéré comme la position de subjectivité seconde de l’analyste, comme celle de l’analyste de contrôle, en lieu et place de l’Autre investi par la fiction du sujet supposé savoir, nous saisissons bien que c’est de cette place Autre que l’analyse du transfert est possible. On peut alors comprendre que c’est du repérage de cette place de l’Autre dans sa propre cure que l’analyste apprend la direction de la cure.

14Notons à ce sujet que H. Sachs, le premier didacticien nommé par Freud, rappelle que Freud disait « mieux pouvoir juger de la compétence et de la pénétration psychologique d’un analyste en voyant comment il interprétait un rêve [4] ».

15L’interprétation dans la cure est un bel exemple de la traduction en acte analytique de cette subjectivité seconde où l’analyste se tient. L’analyste interprète par exemple, non seulement les pensées latentes d’un rêve, mais il peut être également amené à signifier que son interprétation est la signification inconsciente des pensées du rêve, ce qui peut permettre à l’analysant de reconnaître qu’il s’agit là de ce que Freud appelait « son meilleur savoir ». Il me semble que si cet acte-là se produit dans une fin d’analyse, cet acte peut avoir justement un effet d’analyse du transfert et provoquer une chute de ce qu’on appelle le sujet supposé savoir. L’assomption par l’analysant de « son meilleur savoir » qui concerne la vérité de son propre désir inconscient, refoulé, produit certes la chute de la fiction de l’analyste en place de sujet supposé savoir mieux que ce qu’il en est de son désir.

16Mais qu’en est-il de l’analyste comme objet petit a dans le transfert ?

17La citation exacte de Lacan se trouve dans son résumé sur L’acte psychanalytique : « Si le psychanalysant fait le psychanalyste, encore n’y a-t-il rien d’ajouté que la facture. Pour qu’elle soit redevable, il faut qu’on nous assure qu’il y a du psychanalyste. Et c’est à quoi répond l’objet a. Le psychanalyste se fait de l’objet a. Se fait, à entendre : se fait produire ; de l’objet a : avec de l’objet a[5]. »

18Je vais essayer d’attraper ça par la pratique des tranches d’analyses.

19Lacan évoque dans son séminaire rsi la nécessité d’une nouvelle tranche d’analyse, appelée par lui une « contre-expérience », pour remettre le réel à sa juste place par rapport à l’effet de sens de l’interprétation obtenu dans une première expérience analytique.

20Ainsi, au-delà de la chute de la fiction de l’analyste comme sujet supposé savoir, l’analysant peut avoir le désir d’interroger l’affect de transfert, et découvrir l’objet qu’est devenu l’analyste dans le transfert par le biais de la mise en acte dans le transfert du fantasme et de son corrélat névrotique, la pulsion. La crainte de l’abandon et par conséquent de la perte est un bel exemple où l’objet a, ici anal, se produit comme objet cause du transfert, tout en signifiant déjà la castration de fin d’analyse sur son mode exclamatif cher à Freud et à Lacan d’un : « Merde, ce n’est pas ça ! » Comme cet objet est un plus-de-jouir, l’analysant peut en faire l’objet d’une demande de s’en débarrasser. Il y faut parfois plusieurs tranches d’analyses pour lever le coin de tapis du fantasme et secouer l’objet qu’est devenu l’analyste dans le transfert.

21Concernant un repérage de la fin de l’analyse, nous trouvons dans L’étourdit la forme la plus achevée du propos de Lacan : « L’analysant ne termine qu’à faire de l’objet a le représentant de la représentation de son analyste. C’est donc autant que son deuil dure de l’objet a auquel il l’a enfin réduit, que le psychanalyste persiste à causer son désir : plutôt maniaco-dépressivement [6]. »

22Remarque : « Faire de l’objet a le représentant de la représentation de son analyste », c’est ce que j’ai appelé « l’entaille psychique », le trait unaire.

23La « position dépressive » est déjà évoquée par Lacan dans sa Proposition du 9 octobre 1967 sur le psychanalyste de l’École[7] et reprise dans La note italienne[8] en 1974. C’est dire qu’il y tenait. Cette « position dépressive » authentifierait le deuil de ce que l’analyste est devenu comme objet a dans le transfert.

24Mais le deuil n’est pas une fin en soi. Il suppose un travail, une durée et un achèvement. Il y a par conséquent un temps dans l’analyse qui sépare le deuil de sa fin. L’analyse peut trouver un terme dans l’achèvement du deuil. Ce que dit Lacan dans L’étourdit en concluant son propos par : « Puis le deuil s’achève. » Reste à savoir comment ?

25Nous constatons ainsi un temps de décalage entre « la position dépressive » qui signifie un travail de deuil, et son issue qui termine la cure. Par conséquent « la position dépressive » ne se superpose pas à la fin de la cure, elle n’en est que l’indice.

26Avant d’évoquer cette question de la dépression dans L’étourdit, Lacan donne une indication sur « la fin de l’analyse du tore névrotique » : « L’objet a à choir du trou de la bande s’en projette après coup dans ce que nous appellerons, d’abus imaginaire, le trou central du tore, soit autour de quoi le transfini impair de la demande se résout du double tour de l’interprétation [9]. »

27Il ne suffit pas que l’objet a chute pour entraîner la fin de la cure. Lacan nous met en garde contre l’entraînement possible de l’être du sujet dans cette chute, ce qui signerait la persistance de l’identification du sujet à l’objet a. Sans aller jusqu’à cet extrême, nous savons comme le disait déjà Dostoïevski que le sujet préfère un grand malheur à un petit bonheur. Autrement dit, il préfère la jouissance de la perte à la perte. D’où la répétition.

28En somme, pour que la chute de l’objet a produise quelques conséquences analytiques, encore faut-il qu’il choit à travers le bon trou, comme s’exprimera Lacan dans rsi. Il introduit alors la distinction entre l’effet imaginaire, symbolique et réel : seul ce dernier est exigible du discours analytique [10]. Reste à savoir comment se produit ce passage dans le bon trou.

29Dans sa leçon du 15 avril 1975, il indique qu’il faudrait pour ce faire, pouvoir penser l’articulation entre le trou du symbolique et l’interdit de l’inceste [11]. Je partage l’idée développée par M. Safouan sur l’efficacité dans la cure de la contribution de l’interdit de l’inceste à la construction d’un sujet désirant [12], en tant que cet interdit fonde le désir dans la perte de la part jouissive de l’amour maternel et qu’il cause, par cette limite, tout autant le sujet que la culture.

30C’est ainsi que Lacan présente le travail analytique en Mai 68 : « C’est le travail qu’il faut pour faire l’identification de l’homme, puis à propos de la jouissance de la femme dont il est né, la défaire : c’est-à-dire retrouver le trou, mais vide enfin, de la castration d’où la femme surgit véridique [13]. »

31C’est là que l’emploi par Lacan du « gay savoir [14] » (provençal ou nietzschéen) trouve tout son poids en tant qu’il vise un au-delà de la dépression, tout en reconnaissant la décomplétude de l’Autre, à travers la mort de Dieu, la répétition et la faute originelle. La référence de Lacan au gay savoir de l’amour courtois, le rapproche du vide de la Chose. Celle qui apparaît lorsqu’à la fin de La Comédie Divine, le regard de Béatrice disparaît dans la rose éternelle de la jouissance de l’Autre. Ce qui nous vaut d’après Borges les plus beaux vers de la poésie : « Et elle, si lointaine/qu’elle paraissait, sourit et me regarda ; puis elle se tourna vers l’éternelle fontaine [15]. »

Notes

  • [1]
    S. Freud, « La dynamique du transfert », dans La technique psychanalytique, Paris, puf, 1953, p. 51.
  • [2]
    S. Freud, L’interprétation des rêves, Paris, puf, 1976, p. 478-479.
  • [3]
    Ibid., p. 464.
  • [4]
    H. Sachs, Freud, mon maître et mon ami, Paris, Denoël, 1977.
  • [5]
    J. Lacan, « L’acte psychanalytique », dans Autres écrits, Paris, Le Seuil, 2001, p. 379.
  • [6]
    J. Lacan, « L’étourdit » (1973), dans Autres écrits, Paris, Le Seuil, 2001, p. 487.
  • [7]
    J. Lacan, « Proposition du 9 octobre 1967 sur le psychanalyste de l’école », dans Autres écrits, op. cit., p. 255.
  • [8]
    J. Lacan, « Note italienne » (1974), dans Autres écrits, op. cit., p. 309.
  • [9]
    J. Lacan, « L’étourdit », op. cit., p. 487.
  • [10]
    J. Lacan (1974-1975), Séminaire rsi, Ed. ali, p. 76-77.
  • [11]
    C. Hoffmann, « Qu’est-ce qu’un effet dans le réel ? », dans Figures de la psychanalyse, n° 15, Toulouse, érès, 2007.
  • [12]
    M. Safouan, La parole ou la mort. Essai sur la division du sujet, Paris, Le Seuil, 2010, p. 11.
  • [13]
    J. Lacan (1968), « D’une réforme dans son trou », dans Figures de la psychanalyse, n° 17, Toulouse, érès, 2009.
  • [14]
    J. Lacan, « Télévision », dans Autres écrits, op. cit., p. 526.
  • [15]
    J. L. Borges, Neuf essais sur Dante, Paris, Gallimard, 2006, p. 103.
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