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Article de revue

Une nouvelle liberté ? Art et politique urbaine à Douala (Cameroun)

Pages 111 à 134

Notes

  • [*]
    Dominique Malaquais (Ph.D., Columbia University) est chargée de recherche au CNRS, rattachée au CEMAf.
  • [1]
    Sans M. Douala-Bell et D. Schaub, le monument qui est le sujet principal de ce texte n’aurait pu exister. S’il a vu le jour, c’est grâce à leur vision, leur courage et leur refus de baisser les bras. C’est grâce à eux, aussi, que j’ai pu le découvrir et développer nombre des idées présentées ci-après. Y. Monga m’a la première parlé de l’œuvre et des débats qu’elle suscitait ; je lui en suis profondément reconnaissante. V. Kouankam Loko m’a, comme c’est si souvent le cas, assistée dans ma recherche à Douala et Yaoundé. S. Nuttall m’a proposé de nombreuses pistes de réflexion ; je l’en remercie. Un deuxième texte sur « La nouvelle liberté », en anglais, paraîtra dans l’ouvrage édité par S. Nuttall, Beautiful/Ugly : African and Diaspora Aesthetics. Le Cap, Kwela Books, 2006. J.-F. Sumegne, K. Komegne, J. Mpah Dooh, Malam, les membres de Cercle Kapsiki, Goddy Leye et Louisépée m’ont ouvert les portes de leurs ateliers. Ils ont bien voulu parler avec moi, longuement et de multiples sujets, m’ont soutenue et encouragée. Je leur dédie ces pages.
  • [2]
    I. Diabaté (1999 : 28).
  • [3]
    Sur l’histoire de Douala, voir entre autres : R. Austen (1999) ; A. Eckert (1999) ; R. Gouellain (1973, 1975) ; G. Mainet (1979a, 1979b, 1985) ; G. Séraphin (1999) ; L. Schler (2005).
  • [4]
    Pour un aperçu des vues exprimées par le presse au sujet de « La nouvelle liberté », dont il sera question à plusieurs reprises dans cet essai, voir Cameroun tribune 2447 (08/08/1996) ; Challenge nouveau 18/09/1996 ; Dikalo 02-09/08/1996 ; L’effort camerounais 52 (03-06/09/1996) ; Elimbi 11 (19/08/1996), 19 (27/11/1996), 23 (09/01/1997), 24 (16/01/1997), 25 (23/01/1997), 26 (30/01/1997), 27 (06/02/1997), 28 (13/02/1997), 29 (20/02/1997), 36 (23/04/1997) ; L’expression 22/04/1997 ; Mutations 23 (10-16/12/1996) ; La nouvelle expression 330 (01/08/1996), 338 (30/08/1996) ; Planète jeunes 23 (1996) ; Ponda 110 (07/08/1996), 112 (20/08/1996).
  • [5]
    En janvier et en février 1999, en juillet et en août 2000 et en août 2001, j’ai eu l’occasion, à plusieurs reprises, de parler de « La nouvelle liberté » avec des membres de l’oligarchie doualaise – leaders politiques, patrons d’industrie, banquiers. Ils étaient, j’y reviendrai, unanimes dans leur dédain.
  • [6]
    Sauf exception notée, les vues de Sumegne sur l’art exprimées ci-après sont issues d’interviews qu’il m’a accordées en août 2000 et en août 2001 dans son atelier, à Yaoundé.
  • [7]
    Planète jeunes, 23 (1996).
  • [8]
    Ibid.
  • [9]
    « Sawa » signifie « côte » dans la langue duala.
  • [10]
    R. Austen, par exemple, en fait un usage limité et ne lui réserve aucune place dans l’index pourtant très complet de son ouvrage sur le peuple Duala (1999). Mark Delancey et H. Mbella Mokeba ne le définissent pas dans leur excellent dictionnaire du Cameroun (1990). Éric de Rosny, dont les travaux sur la sorcellerie à Douala ont fait date, préfère l’appellation Duala (1981, 1996). Il en va de même de Célestin Tiki a Koulle A Penda (1987), dont le travail sur l’épopée de Djeki La Njambe exploite des textes recueillis dans de nombreuses communautés de la côte.
  • [11]
    Le lecteur trouvera une étude approfondie de ces questions dans D. Malaquais (2002, en particulier chapitre 5, p. 297-342). Cet ouvrage repose sur quelque dix années de recherche et de travail de terrain au Cameroun (1992-2002), en pays bamiléké et à Douala. Il s’inspire par ailleurs de nombreux travaux de chercheurs qui se sont penchés sur la place des Bamiléké dans le Cameroun du xxe siècle. Ces questions sont par ailleurs explorées dans D. Malaquais (1997, 2001, 2003, 2006). Pour une vue d’ensemble de « la question bamiléké », expression couramment employée au Cameroun pour désigner les tensions et la violence politique nées de sentiments anti- (et pro-) Bamiléké, on consultera, inter alia : Collectif Changer le Cameroun (1992) ; Conseil Supérieur des Intérêts Bamiléké (1992) ; J. L. Dongmo (1981, vol. II) ; A. Eyinga (1991) ; E. Fopoussi Fotso ; E. Fopoussi (1991) ; J.-F. Held (1961) ; R. Joseph (1977) ; W. Johnson (1970) ; V. Kamga (1999) ; Lamberton (1960a, 1960b) ; M.O. Laurent (1981) ; S. Prévitali (1986) ; A. Rétif (1956) ; L. Sindjoun (1999) ; P. Sindjoun (1987) ; R. Um Nyobe (1985) ; Union des Populations du Cameroun (1957, 1958, 1959a, 1959b, 1971) ; J.-P. Warnier (1993) ; Zognong (2002).
  • [12]
    D. Zognong (2002).
  • [13]
    R. Austen (1999 : 176-191).
  • [14]
    E. Hobsbawm et T. Ranger (1983).
  • [15]
    R. Austen (1992).
  • [16]
    Elimbi : tambour, instrument de communication dont on faisait usage chez les Duala au xixe siècle (Ntone Edjabe, communication personnelle, 13/07/2002).
  • [17]
    D. Malaquais (2002 : 317).
  • [18]
    Ibid, p. 272-273.
  • [19]
    En 2004, des autobus ont été mis en service pour rendre possible la traversée du pont du Wouri, interdite de jour aux taxis, autos et motos pendant sa réfection qui durera sans doute plusieurs années. Mais ces bus sont peu nombreux et en fort mauvais état ; traverser le pont, aujourd’hui, si l’on a pas de voiture, peut prendre des heures.
  • [20]
    M. Douala-Bell, communications personnelles, août 2000, août 2001 ; V. Kouankam Loko, série d’interviews menées auprès de vendeurs au rond-point Deïdo au sujet de la « nouvelle liberté », août 2000.
  • [21]
    A. Roberts (1996 : 86).
  • [22]
    Les œuvres plus récentes de Tayou restent d’une très grande force mais sont davantage axées sur le rural que l’urbain, comme en témoignait une installation au Centre Pompidou au printemps 2005, lors de l’exposition « Africa Remix ». Pour un survol de la carrière et des œuvres de Tayou, voir M. Herford (2004).
  • [23]
    D. Malaquais (2003).
  • [24]
    L’étymologie du terme jalaa permet de mieux cerner cette approche. Laa, dans la langue d’origine de Sumegne, le Fe’e Fe’e, signifie « concession », « village », « communauté ». Par extension, le mot fait allusion à l’harmonie et à l’unité – au travail que l’on fait et aux idéaux que l’on a en commun. Ainsi, le nom « Ghomalaa », qui désigne une langue apparentée au Fe’e Fe’e, signifie « la parole [ghom] de tout le peuple [laa] ». Le préfixe ja renvoie aux notions de savoir et de création. On peut y voir aussi une référence au mouvement, au fait d’aller de l’avant. Préfixe et suffixe ensemble suggèrent une vision particulière du travail de l’artiste. C’est un processus au moyen duquel on amène le changement, une alchimie en quelque sorte, qui permet de transformer, pour les améliorer, les espaces de la vie commune.
  • [25]
    Interview de Koko Komegne, en compagnie de Joel Mpah Dooh et du peintre doualais Louisépée, Doual’Art, août 2001.
  • [26]
    Voir F. Jameson (1998 : 129 et 137).
  • [27]
    A.M. Simone (1998).
  • [28]
    A.M. Simone (2000 : 2).
  • [29]
    Parmi ces projets initiés par Doual’Art on notera, parmi de nombreux autres, un programme d’interventions sur plusieurs années au quartier Bessengue Akwa, dont expositions et représentations théâtrales, débats, tables rondes, ateliers, cours, travaux en commun avec les enfants du quartier et construction en partenariat avec la mairie de Bessengue d’éléments d’infrastructure (passerelles, bornes fontaines) essentiels au bien-être des habitants, mais que la ville ne s’était jamais souciée de leur fournir.
  • [30]
    http:// www. CamerounInfo. Net (mot clé « Cercle Kapsiki »).
  • [31]
    F. Linyekula, présentation lors d’un colloque de l’Africa Centre, Cape Town, Afrique du Sud, 30/09 – 02/10/2004.
  • [32]
    http:// www. artbakery. org, 2004, page d’accueil.

D’emblée [1]

1«La ville, écrit l’architecte ivoirien Issa Diabaté, émerge de son assujettissement à la production des matières. Comme toute vie, elle s’élève de la pourriture. Elle est un organe-machine qui comme les vivants produit des odeurs, des excréments, des déchets. Et par extension des idées, des sensibilités, donc un langage [2]. » C’est à un aspect en particulier de ce langage que je m’intéresse ici, à un certain vocabulaire de la dissidence. J’explore dans ces pages une manière de dire le refus – refus du statu quo, de l’urbain tel qu’il est imposé à ses habitants – dans une ville où la liberté de dire, de s’exprimer réellement, n’a d’existence que le mot, vidé de son sens par un pouvoir en mal de mainmise.

2Qui connaît Douala la connaît : « La nouvelle liberté », imposante statue faite entièrement de déchets, monument aux ratés du pouvoir camerounais en matière de politique urbaine (Fig. 1). Œuvre de l’artiste Joseph Francis Sumegne (1951-), « La nouvelle liberté » représente un homme qui danse. L’homme, en équilibre, s’appuie sur une jambe, lève un bras. D’une main, au-dessus de sa tête, il brandit un globe terrestre. La sculpture mesure plus de dix mètres, pèse quelque sept tonnes. À sa base, un piédestal de deux mètres en béton armé que prolonge, sous terre, un socle de la même facture. Le tout est conçu pour résister à des vents de plus de 160 km/h. « La nouvelle liberté » doit son existence à une association nommée Doual’Art. Fondée en 1991, cette ONG se donne pour but de transformer l’espace urbain au moyen d’interventions artistiques qui offrent aux citadins la possibilité de voir, de penser et de vivre leur ville autrement.

Figure 1
Figure 1
« La nouvelle liberté », Joseph Francis Sumegne
Rond-point Deïdo, Douala 1996. Photo : D. Malaquais

3Jamais, dans l’histoire de Douala, aucun objet n’avait causé pareille controverse [3]. Inaugurée en juillet 1996, « La nouvelle liberté » s’est aussitôt trouvée au cœur d’un débat acerbe, violent. Très vite, des camps se forment. Mots, invectives, menaces fusent. Ceux-ci vont bien au-delà de l’objet lui-même. C’est de l’identité – individuelle, ethnique, citoyenne – qu’il s’agit. L’espace urbain tout entier est en cause.

4Dès sa naissance, « La nouvelle liberté » captive. On se presse pour la voir. Des milliers de Doualais se déplacent, chose pour le moins inhabituelle dans une ville qui, jusque-là, n’avait connu d’autre sculpture monumentale qu’une couple de statues érigées par l’administration française. Sous peu, des articles commencent à paraître dans la presse locale. Les premières critiques sont positives. Journaux pour et contre le gouvernement s’entendent là-dessus : on ne sait trop si on aime esthétiquement, mais, pour la plupart, les journalistes sont d’accord pour dire que la chose est intéressante et ils sont agréablement surpris d’apprendre qu’elle est un don, Doual’Art ayant offert l’œuvre de Sumegne à la ville. On compare la « nouvelle liberté » à la statue de la Liberté, dont on rappelle qu’elle aussi fut un don [4]. Mais cela ne dure pas. Très vite, les choses tournent au vinaigre.

5Le lecteur trouvera ici une chronique des réactions suscitées par la sculpture de Sumegne dans les mois qui suivirent son inauguration et un aperçu de ce qu’il est advenu de l’œuvre depuis lors. Ces pages ne prétendent pas à l’exhaustivité. Seules certaines des répliques auxquelles a donné lieu la sculpture sont traitées, qui mettent en exergue la complexité des interactions entre art et ville, pensée critique et espace urbain dans une métropole africaine. Mon intention n’est pas de faire l’historique de « La nouvelle liberté », mais d’étudier certaines facettes de sa réception et l’impact de celles-ci sur la manière dont la sculpture est perçue par divers publics. Je m’attache également à analyser l’influence du débat suscité par « La nouvelle liberté » sur la production de l’art public à Douala, sur les conceptions de l’art comme moyen d’exprimer la dissidence en milieu urbain et sur l’espoir que nourrit une nouvelle génération de plasticiens de transformer durablement la ville.

De l’art de dire la ville : L’artiste et l’ONG

6Commençons par présenter l’artiste (on notera au passage que le fait de désigner Sumegne comme « artiste » est en soi une prise de position qui, dans les milieux conservateurs de Douala, serait fort mal reçue [5]. Il s’agit d’un parti pris. Je défends ici une vision de l’art comme forme de dissidence).

7L’artiste, donc, Sumegne aime à composer son image. Demandez à le photographier et il vous prie de patienter. Il quitte la pièce, puis, sous peu, réapparaît. Sa coiffure était ordinaire, une coupe simple, anodine ; à son retour, elle est remplacée par une crinière de locks ornée de multiples objets multicolores – morceaux de caoutchouc et de métal, éclats de verre, pierres et rubans aux couleurs chatoyantes. Il s’agit d’une perruque faite d’objets trouvés, qu’accompagnée d’un gilet assorti, il enfile pour devenir Sumegne le personnage public – l’artiste, initiateur d’une philosophie de l’art auquel il a donné le nom de jalaa.

8Comme la crinière de l’artiste, le jalaa de Sumegne rappelle certaines préoccupations rastafari : notions de l’universel, de la communion entre homme et dieu, de la quête de liberté. Il s’agit, explique-t-il, d’une approche holistique de l’art, qui puise à plusieurs sources [6]. Peinture, sculpture, tissage et architecture, entre autres, y ont leur place. Le jalaa les unit, au moyen de principes qui sont à l’origine même de l’univers. Manier le jalaa, dit-il, c’est manipuler les couleurs comme un peintre, agencer les volumes à la manière d’un sculpteur et les espaces comme un architecte, lier les formes entre elles avec l’adresse d’un tisserand. C’est aussi rendre hommage au Créateur. À cette approche de la création Sumegne allie l’idée de la liberté et celle de la responsabilité. La liberté, à ses yeux, est un don du divin. Il est du devoir de tout être de la défendre et d’en assurer la pérennité :

9

« [L]a liberté, dit-il, n’est pas quelque chose que l’on improvise et qui brûle pour l’éternité, mais une situation précaire, en équilibre instable, fruit d’un effort incessant, quelquefois résultat d’un assemblage hétéroclite, mais qui soutient cependant le monde [7]. »

10« La nouvelle liberté » serait donc une mise en pratique du jalaa, la philosophie de l’artiste faite œuvre. Comme la liberté que Sumegne célèbre à travers son art, l’homme au globe terrestre, juché sur un pied, est en équilibre instable ; comme elle, il est le résultat d’un assemblage hétéroclite. Comme elle, pourtant, il soutient le monde [8].

11Les matériaux dont est faite « La nouvelle liberté » font partie intégrante de la lecture qu’en propose Sumegne. Pour créer l’homme au globe, l’artiste a soudé, lié, collé à un squelette d’acier des milliers d’objets, certains trouvés lors de promenades, d’autres collectés dans les caniveaux, les décharges et les terrains vagues de la ville. Pneus et pots d’échappement endommagés, enjoliveurs tordus, pendules arrêtées, bougies d’allumage et ampoules grillées, chenilles de caterpillar rouillées, jouets et bijoux de fantaisie cassés, c’est de tout cela, et de bien d’autres objets encore, qu’est faite « La nouvelle liberté ». Au moyen de cet assemblage, l’artiste a voulu montrer qu’à partir de rien – de simples déchets – on peut faire un monde. Il souhaite qu’on y voie un exemple. Vivre en communauté, dit-il, c’est participer à la construction de l’univers dans lequel on vit. Pour ce faire, rien n’est inutile ; tout doit être pris en compte. Il incombe à chacun de le reconnaître, de mettre à profit chaque objet, aussi insignifiant soit-il, et, comme il l’a fait lui, de le réutiliser, d’en faire un usage qui participe à bâtir une collectivité meilleure.

12L’approche de Sumegne s’apparente à celle de Doual’Art. Pour les fondateurs de l’ONG, Marilyn Douala-Bell et Didier Schaub, les arts – sculpture, peinture, théâtre, cinéma et vidéo, musique, danse, poésie – sont essentiels à l’élaboration de villes nouvelles, plus équitables et plus libres. Pour Sumegne et Doual’Art, il s’agissait, avec « La nouvelle liberté », de célébrer la ville, mais sans l’idéaliser. Le but était d’en parler comme elle est, cafouilleuse, brinquebalante, difficile. L’homme au globe, disent-ils, montre Douala telle qu’elle est dans ses quartiers les plus durs. Il représente la ville douleur – ses habitants la surnomment « Doul » –, qui croule sous les déchets mais parvient néanmoins à vibrer intensément. Artiste et ONG s’insurgent contre les conditions de vie imposées aux Doualais, mais refusent de se morfondre. Ces conditions, ils insistent, il faut les combattre. Ensemble, les citadins peuvent transformer la ville. Individus et organisations, citoyens et structures publiques, s’ils sont prêts à faire cause commune, sont en mesure d’apporter des solutions originales et durables aux problèmes qui, aujourd’hui, rendent Douala invivable pour la très grande majorité de ses habitants.

13« La nouvelle liberté » se veut une incarnation de cet ethos. Pour Doual’Art, il y allait d’une mise en pratique, de l’élaboration d’un exemple tangible. En érigeant la sculpture monumentale de Sumegne, on allait démontrer qu’individus, associations et pouvoirs publics peuvent œuvrer de concert, qu’ensemble ils sont à même de faire ce que seuls ils seraient incapables d’accomplir. Deux aspects de l’opération, en particulier, devaient servir à étayer cette démonstration : le financement et le choix du site. Pour financer la création et l’installation de « La nouvelle liberté », Doual’Art ne sollicita que des fonds privés, dons de fondations et d’individus. Il s’agissait par-là de montrer que le bien-être de la communauté n’incombe pas à la seule municipalité – qu’il faut donner pour recevoir. En même temps, l’ONG souhaitait rappeler aux instances publiques qu’elles aussi ont des devoirs, que sans leur apport la ville ne peut tout simplement pas fonctionner. Pour ce faire, Douala-Bell et Schaub élirent un site qui, au départ, surprit. Il s’agissait d’un carrefour dont la chaussée était alors si cabossée qu’il était devenu quasi-infranchissable. Le but était de faire honte à la municipalité. Si la statue était érigée et que rien n’était fait pour combler les innombrables nids de poule à son alentour, la ville perdrait la face. C’était un moyen d’amener la communauté urbaine à faire quelque chose – n’importe quoi – pour améliorer l’état des routes. Le stratagème porta ses fruits. Quelques mois après l’inauguration, la municipalité décidait de la réfection du carrefour.

14Il y avait, bien sûr, d’autres raisons pour le choix de ce site, qui, très vite, se sont avérées sujet à controverse. « La nouvelle liberté » a pour domicile le rond-point Deïdo, à l’ouest de la ville. Ce vaste carrefour est la porte principale de Douala. Incontournable, on y passe pour accéder à la province de l’Ouest, grenier du Cameroun ; au Nord, fief d’Ahmadou Ahidjo, premier leader du Cameroun indépendant et prédécesseur de l’inamovible Paul Biya, au pouvoir depuis 1982 ; au Nord-Ouest, enfin, lieu d’origine de Ni John Fru Ndi, l’opposant numéro 1 au régime Biya. Portail aux multiples destinations, le rond-point est un lieu d’activité intense. De tout le Cameroun et de toute la sous-région, on y vient pour faire du commerce. Cela aussi intéressait Doual’Art. Un des buts de l’ONG était d’ériger un monument qui puisse parler à tous les Camerounais. L’idée était originale et, au départ, avait été bien reçue. Un journaliste était allé jusqu’à dire que « La nouvelle liberté » incarnait l’unité nationale…

Art et invective : Des enjeux politiques de la liberté

15Cela n’augurait rien de bon. Que, dans la presse, on se mette à parler de « La nouvelle liberté » en termes d’unité de la nation faisait ressortir toute une gamme de problèmes, endémiques à la vie politique de Douala. Ces problèmes, sans doute aurait-on pu s’attendre à ce qu’ils aient un impact sur la sculpture de Sumegne, à ce qu’ils en colorent la réception. Nul, cependant, n’aurait pu prédire qu’ils occuperaient le devant de la scène avec une rapidité et une violence inouïes. Deux mois à peine après l’inauguration du monument, on était en plein maelstrom. Les premiers signes de ce basculement, c’est chez Sumegne lui-même qu’on les trouve. Mi-août 1996, l’artiste se met soudain à parler de son œuvre comme d’un « cadeau au peuple Sawa ». Chez Doual’Art, pour qui « La nouvelle liberté » est un don au peuple camerounais tout entier, on est consterné.

16Qu’entendait Sumegne ? Deïdo est un des quartiers les plus anciens de la ville. C’était à l’origine un fief des Duala, peuple côtier implanté sur le littoral camerounais depuis le xviie siècle. Le terme « Sawa » désigne toute une palette d’ethnies côtières, plus ou moins liées entre elles, dont les Duala eux-mêmes [9]. L’appellation pose certains problèmes. Les chercheurs – historiens, politologues – s’en servent, mais avec parcimonie ; le plus souvent, ils lui préfèrent les noms, plus précis, d’ethnies données (Duala, Bakoko, etc [10].). À Douala, le mot est employé principalement au sein de la communauté Duala elle-même. Intellectuels et membres de la classe politique, en particulier, en font usage. L’appellation se veut neutre, mais est en fait politique. Au Cameroun, comme ailleurs en Afrique, l’administration coloniale fit un usage efficace et pernicieux de l’identité ethnique, qu’elle s’était employée à renforcer, sinon à créer de toute pièce. D’abord sous les Allemands, puis sous les Français et les Anglais et par la suite sous Ahmadou Ahidjo, on s’en servit en haut lieu afin de diviser pour mieux régner. Depuis le début des années 90, qui manquèrent de mettre fin à l’ère Biya, le RDPC, parti au pouvoir, manie avec acharnement l’arme ethnique. Il s’applique, en particulier, à jeter le discrédit sur un peuple, les Bamiléké. Originaires de la Province de l’Ouest, ceux-ci constituent quelque 25 % de la population camerounaise et plus de 75 % des 3,5 millions d’habitants que compte Douala. Ils sont à la fois le moteur économique de la ville et, parce qu’ils sont si nombreux, parmi les plus pauvres de ses habitants. Sous la colonie allemande, les Duala bénéficiaient d’une position enviable ; ils étaient les interlocuteurs privilégiés de l’occupant. Aujourd’hui, ils n’ont guère de pouvoir. Le fait que Douala soit à présent davantage bamiléké que duala et qu’à moins d’appartenir à une infime minorité on y vive fort mal (les effets de la crise économique qui a ravagé le Cameroun de 1985 à 2000 se faisant encore sentir), doublé des campagnes de divide and rule du gouvernement, a favorisé la montée d’une vague de sentiment anti-Bamiléké qui, dans certain milieux, fait des dégâts considérables. Cette animosité à l’égard des gens de l’Ouest a trouvé chez certains, membres de groupuscules et de partis politiques qui se veulent les défenseurs de l’identité et des intérêts « sawa », d’opiniâtres porte-flambeau [11]. Depuis le début des années 1990 – en particulier depuis l’épisode des « Villes mortes », mouvement politique né à Douala qui a failli faire tomber le gouvernement Biya – le thème de l’« autochtonie » joue un rôle fondamental dans la vie politique camerounaise. Comme le fait notamment remarquer D. Zognong [12], le gouvernement Biya s’en sert très efficacement pour diviser l’opposition. L’usage du terme « Sawa » au sein de la classe intellectuelle et politique duala s’inscrit dans ce cadre. Un contexte en particulier dans lequel le terme est déployé, à des fins politiques et de renouveau culturel, est celui des fêtes du Ngondo (assemblée populaire qui réunit les principaux chefs de segments locaux), qui ont lieu chaque année en décembre à Douala et sont centrées sur le fleuve Wouri. Ces fêtes, dites « de l’eau » (elles ont pour but de célébrer les esprits du fleuve), et le Ngondo de manière plus générale, sont présentées par leurs organisateurs comme des rites et une organisation ancestraux, dont les origines remontent à l’installation du peuple Duala sur la côte, voici plusieurs siècles. R. Austen [13] a montré qu’il s’agit là, pour emprunter l’expression de Hobsbawm et Ranger [14], d’une « invention de la tradition » : la documentation historique traitant des activités et du pouvoir que le Ngondo est censé avoir exercés, écrit-il [15], ne permet pas d’affirmer qu’une telle institution centralisée ait existé avant la colonisation, ou même qu’il en ait été simplement question avant la Seconde Guerre mondiale. En fait, ce n’est qu’à la fin des années 1940 que l’on peut repérer avec précision l’émergence de cette institution et la mettre en rapport avec les conflits intra- et inter-ethniques de l’immédiat après-guerre. Par ailleurs, la tradition du Ngondo, qui comporte une fête annuelle commémorative, ne doit pas être vue uniquement comme un instrument politique, mais également comme le lieu d’expression privilégié d’un discours particulièrement riche, quoique non dénué d’ambiguïté, sur l’histoire, la culture et l’identité douala.

17Parler de « La nouvelle liberté » comme d’un « cadeau au peuple Sawa » revenait donc à s’inscrire dans un registre délibérément identitaire. C’est que les choses avaient changé : les articles chaleureux des premières semaines avaient fait place à une série de critiques qui, de jour en jour, se faisaient plus acerbes. Leurs auteurs disaient défendre l’honneur sawa, bafoué, estimaient-ils, par l’artiste. Ces porte-parole de la mouvance sawa avaient élu pour plateforme un journal du nom d’Elimbi[16]. Sumegne est originaire de la Province de l’Ouest. Elimbi en avait conclu que « La nouvelle liberté » était un monument à la gloire des Bamiléké, qu’à l’insu des Doualais, menés en bateau par l’artiste et l’ONG, elle célébrait l’emprise des peuples de l’Ouest sur la capitale économique. Fort de cette conviction, le journal lança une campagne dont le but était de discréditer l’œuvre, son auteur et ses parrains.

18« La nouvelle liberté » faisait la « une » de chacune des éditions d’Elimbi. Les articles qui lui étaient consacrés étaient truffés de termes empruntés pour l’occasion à un vocabulaire xénophobe, dont l’origine était à imputer non point aux Sawa eux-mêmes, mais à un certain nombre d’organisations – ethniques, politiques, partisanes – dont plus d’une avait à un moment ou un autre bénéficié du soutien du pouvoir en place. Dans les pamphlets pro-RDPC de l’époque, notamment en période électorale, il était courant de voir les Bamiléké taxés des pires méfaits, comparés à des sorciers ou accusés d’être la source de maladies infectieuses. Ce genre d’accusation puise dans un registre bien précis : ce qu’il est convenu d’appeler « la question bamiléké » développée par l’administration française dans les années 50 pour faire pièce à une opposition indépendantiste farouche dont le noyau était l’Ouest bamiléké. Dans les articles de journalistes français et pro-français de l’époque, cette opposition, amalgamée (souvent à tort) à l’UPC (Union des populations du Cameroun, parti fondé 1948), est présentée comme « une plaie », « un abcès », une source de « décomposition », de « pourriture [17] ». Elimbi avait donc repris à son compte ce vocabulaire de la maladie, de l’infection. Fin août, commençaient à paraître dans ses colonnes des attaques contre le peuple bamiléké, que l’on comparait à un cancer en pleine métastase, et contre « La nouvelle liberté », dont le journal brossait un portrait très particulier. Pour Elimbi, la statue représentait une sorcière, adepte de la magie noire, ou encore d’une cellule porteuse d’un virus qu’elle s’apprêtait à répandre sur la ville (Fig. 2).

Figure 2
Figure 2
Dessin de « La nouvelle liberté ». Elimbi 28 (13/2/1997)

19« La nouvelle liberté », annonça Elimbi fin août 1996, projetait de se multiplier. Sous peu, une marée de petites libertés, mini monuments à son image, se propagerait à travers la ville. Non contents d’avoir imposé l’homme au globe, Doual’Art et Sumegne entendaient l’entourer de dix petites statues qui achèveraient de coloniser le rond-point Deïdo. La chose n’avait rien d’un scoop. L’ajout des dix sculptures, ou « balises », placées en cercle autour du monument, était planifié de longue date. Avant même que l’artiste ne commence à travailler sur son œuvre, les responsables de l’association s’étaient entretenus avec la préfecture, la municipalité et les ministères concernés, ainsi qu’avec les représentants de la chefferie deïdo, qui tous avaient donné leur aval.

20En octobre, puis en novembre 1996, les choses prirent une tournure encore plus laide. Les propos xénophobes d’Elimbi se doublaient de références sexuelles douteuses. Bien que « La nouvelle liberté » représentât un homme, on commençait à en parler dans les colonnes du même journal comme d’une femme enceinte. Les dix balises en étaient les rejetons, qui, comme les Bamiléké, allaient envahir la ville. Là encore il s’agissait d’images empruntées au monde du divide and rule ethnique. Dans les pamphlets anti-Bamiléké les plus virulents, les femmes qui quittent l’Ouest pour gagner Douala sont taxées de prostitution, accusées d’être des vecteurs de maladie (sida, MST) et de noyer la ville sous un flot d’enfants que nul ne souhaite recevoir. Ailleurs, notamment dans une série de pamphlets publiés à Yaoundé en 1991, les enfants bamiléké étaient ouvertement menacés : on proposait tout bonnement de les exterminer [18]. Cette fois, Elimbi préconisait l’exil forcé. On n’avait qu’à renvoyer les « Bami » dans leur campagne, les plus démunis d’abord, et que « La nouvelle liberté » suive !

21Les diatribes du journal avaient pour cible particulière les vendeurs à la sauvette, présentés comme majoritairement bamiléké. Cela n’avait rien d’innocent. Le rond-point Deïdo est un site privilégié des vendeurs de rue, appelés ici « sauveteurs ». Pour les voitures et les cars, les taxis et les camions qui quittent la ville, c’est une halte obligée. Les passagers en profitent pour acheter des vivres pour la route et pour la famille et les amis à l’arrivée. Au retour, on s’y arrête aussi ; c’est là que commence le périple à travers la ville de marchandises – fruits et légumes, petit bétail, objets variés – achetés dans l’arrière-pays, où ils sont moins chers. Pour les citadins qui vivent ou travaillent loin du centre, le rond-point est également un site clé. Au début des années quatre-vingt-dix, la compagnie d’autobus chargée d’assurer les transports en commun pour la ville de Douala, la SOCAR, a fait faillite ; on ne l’a pas remplacée [19]. Restent deux moyens de se déplacer si l’on n’a pas de voiture, ce qui est le cas pour la plupart des Doualais : les taxis mobylette, dits bend-skin (du nom d’une danse originaire de l’Ouest, qui secoue le corps de la tête aux pieds), et les taxis à proprement parler – berlines Toyota et Nissan prévues pour quatre passagers mais dans lesquelles s’entassent jusqu’à huit personnes. L’essence (dans ce pays pourtant producteur de pétrole) étant hors de prix et les routes de plus en plus mauvaises à mesure que l’on s’éloigne du centre, les chauffeurs rechignent à s’aventurer dans les quartiers les plus reculés, où vit pourtant un nombre important de Doualais. Le trajet de Bonanjo, centre administratif et ancien noyau colonial, ou de New Bell, où se tient le plus grand marché de la ville, aux quartiers excentrés de Nylon et de PK57, requiert souvent plusieurs heures et demande que l’on emprunte successivement deux ou trois taxis. Le premier changement se fait en général au rond-point Deïdo. Autour des foules qui font la queue, les vendeurs se pressent. Les affaires vont bon train – vente et revente de vivres et de condiments, d’habits et de petit électroménager de seconde main, de CDs et d’en-cas pour la route.

22À Douala comme ailleurs en Afrique subsaharienne, c’est de ce genre de commerce que vit la ville. La capitale économique est certes un lieu de la haute finance (nombreuses banques, une bourse des valeurs inaugurée en 2002). Pour la plupart de ses habitants, cependant, elle reste une métropole en proie au chômage et à l’inflation, où nourrir sa famille tient de la gageure. Du coup, le « sauvetage » est incontournable. Rares sont les Doualais qui, à un moment ou à un autre, ne se tournent pas vers ce type d’activités pour parvenir à joindre les deux bouts. Pour le plus grand nombre, c’est le seul moyen de survie. Car plus encore qu’à Yaoundé, Dakar ou Lomé, l’écart entre riches et pauvres est profond à Douala et explique l’ubiquité de la vente à la sauvette. Une pratique qui, au cours des dix dernières années, a donné lieu à des accrochages entre l’administration et les citadins, qui ont pour principal enjeu l’usage de l’espace public, et en particulier des carrefours, trottoirs et bords de route. Chaque mois, on compte des dizaines de descentes de police. Des colonies entières de petits vendeurs sont sommées de quitter leurs lieux de travail, leurs étals détruits et leurs marchandises jetées à la rue. La colère que suscitent ces expulsions est exacerbée par la structure des institutions mises en place pour régir Douala. La communauté urbaine est divisée en cinq zones, qui chacune a son propre maire. Un seul appartient au RDPC ; les quatre autres sont membres du SDF, parti d’opposition fondé par Ni John Fru Ndi. Afin de contrer l’influence des élus d’opposition, le gouvernement imposa à Douala, dans les années quatre-vingt-dix, un nouveau personnage politique, le Délégué du gouvernement. Nommé par Yaoundé, celui-ci coiffe les cinq maires. Il a la haute main sur la ville, contrôlant en particulier les forces de police. Cette situation avive les rancœurs de la population. Pour les petits commerçants privés de tout soutien, « La nouvelle liberté » revêt l’allure d’un symbole. Beaucoup voient en elle une incarnation des conditions auxquelles ils sont assujettis et un geste qui salue leur contribution à la vie économique et sociale de la métropole. Tout comme ils le font quotidiennement, Sumegne a collecté, réutilisé et recyclé chacun des éléments qui constituent sa sculpture. Il a fait une œuvre à l’image des « sauveteurs [20] ». De façon symétrique, l’œuvre fait aujourd’hui partie intégrante de la vie et de l’économie du quartier. La sculpture a encouragé le développement de toute une gamme de mini-commerces. La photographie, notamment, est en pleine expansion ; les sauveteurs vendent aux touristes des images de « La nouvelle liberté », des photographes ambulants tirent le portrait de familles en promenade du dimanche, d’amoureux et de vacanciers avec, en toile de fond, l’homme au globe. « La nouvelle liberté » est elle-même devenue un objet que l’on s’approprie pour le recycler et le revendre, une œuvre qui interagit avec son environnement.

Au-delà de « La nouvelle liberté » : dire la ville et le chaos

23«Pour » ou « contre », tous se pressent autour de « La nouvelle liberté », chacun tentant de s’en approprier la signification.

24Ces approches multiples de « La nouvelle liberté » font de la statue de Sumegne une œuvre complexe, à multiples dimensions. En même temps, elle reste en suspens : la sculpture est inachevée, ses dix balises n’ayant jamais pu être installées. Cela ne gêne pas l’artiste. Cinq ans après l’inauguration de son monument, il se disait satisfait. C’est le propre d’une œuvre d’art d’être en flux, expliquait-il en juillet 2001 ; elle ne cesse de changer, de devenir autre. C’est là, disait-il, un des principes de base du jalaa. Pour cette raison, l’auteur ne signe jamais ses œuvres : cela équivaudrait à les déclarer finies.

25L’approche de Sumegne, la vision qu’il propose d’un art en flux, toujours en devenir, on la retrouve chez de nombreux plasticiens doualais. La scène des arts contemporains dans la capitale économique camerounaise, une des plus actives et des plus engagées de l’Afrique urbaine, est elle-même en mouvement constant. Objets, idées, pratiques se parent journellement de nouvelles significations, politiques souvent, et qui, comme « La nouvelle liberté », mettent en lumière des questions d’identité, de droit à la parole et d’autodétermination. Il est un groupe de jeunes plasticiens, cependant, des hommes pour la plupart, nés vingt et trente ans après Sumegne, dont la démarche diffère sensiblement de la sienne. La dissidence joue un rôle nettement plus affirmé chez eux que chez lui. Mais « La nouvelle liberté » est pour beaucoup d’entre eux une référence ; ils y voient une percée, un tournant décisif. Cependant ce n’était, disent-ils, qu’un début. L’art, à leurs yeux, doit se confronter plus directement à la ville, la prendre à partie. Il doit trouver un langage plus acéré pour en parler, pour en dire et en dénoncer la saleté, la douleur, la colère, la violence.

26La démarche de cette jeune génération s’exprime au travers des matériaux qu’elle emploie. Comme Sumegne, la plupart de ses membres travaillent avec des objets de récupération. Chez eux, cependant, le détournement si fondamental à la pratique de la « récup » dans les villes africaines [21] prend une tournure particulière. À travers le choix des objets et la manière de les agencer, ces artistes cherchent explicitement à se distancier d’une démarche esthétique qui caractérisait encore leurs prédécesseurs.

27Le travail d’Hervé Youmbi (1971-) en est un exemple frappant. Ce jeune plasticien est surtout connu pour ses portraits. Une série est particulièrement intéressante, qui pour identifier le sujet fait usage de deux signifiants. Point de visages, mais des objets trouvés qui font office de traits, et des chiffres, allusion aux cartes nationales d’identité que les Doualais doivent présenter plusieurs fois par jour aux innombrables barrages policiers qui quadrillent la ville. Les objets sont pour la plupart des habits, usés, sales – chemises et chaussures comme on en trouve chez les fripiers des quartiers les plus pauvres – maculés de la boue épaisse qui envahit rues et marchés pendant la saison des pluies. Les portraits de Youmbi ont certes un côté humoristique parfois, mais les conditions de vie qu’ils mettent en lumière sont cruelles. Rien de beau ici, nul détail plaisant qui permette d’oublier où l’on est ou de quel monde il s’agit. Les numéros d’identité, partie de l’œuvre et qui en sont le titre, évoquent l’aliénation. Dans un portrait récent, ce sentiment est particulièrement fort. Ici, exceptionnellement, des traits : ceux de cinq masques, objets pour touristes. Chaque masque a été enveloppé de bandes de coton, tel un grand brûlé. Les yeux eux aussi sont bandés, comme pour les empêcher de voir ou comme crevés. Dans d’autres portraits plus classiques, on trouve des visages peints. Ici, on voit les yeux, mais ils sont comme de verre, sans expression. Ils regardent devant eux, fixement. Leur regard ne révèle rien, sinon le vide (Fig. 3).

Figure 3
Figure 3
Détail d’un portrait intitulé « 162349 »
Hervé Youmbi, 1999
Collection privée
Photo : D. Malaquais

28Chez Joel Mpah Dooh, plasticien plus âgé que Youmbi mais très lié à la nouvelle génération, on retrouve ces yeux qui expriment l’aliénation, la capacité de la ville à rayer l’identité. Les yeux de Mpah Dooh sont le plus souvent recouverts, rendus inscrutables par de lourdes lunettes noires. Parfois, c’est comme s’ils s’atrophiaient ; ils deviennent alors de simples traits, qui font penser à des cicatrices. Contrairement à Sumegne, à Youmbi et à d’autres, Mpah Dooh travaille rarement avec les objets trouvés. Seuls ses collages en contiennent – morceaux de journaux, de magazines, papiers d’emballage, étiquettes. Pourtant, les juxtapositions inattendues qui caractérisent ses œuvres – les objets qui y sont représentés, le choix des couleurs, les mots, souvent illisibles et raturés, qu’il y introduit – rappellent les déchets, la récup, les rues jonchées de débris. La ville évoquée est à la fois exubérante et particulièrement violente.

29Les sculptures et les installations créés par Pascale Marthine Tayou à la fin des années 1990 et en 2000-2001 ne sont que violence urbaine. Ici, l’idée même de plaisir esthétique est évacuée. Tayou s’entoure du laid, de choses et de textures qui affolent – un préservatif écartelé, tiré dans tous les sens pour recouvrir l’extrémité d’un piquet de bois hérissé d’échardes ; une tête de poupée, sale, les cheveux en broussaille, la bouche de guingois ; surfaces couvertes de fourrure mitée, collante ; plastique maculé de substances méconnaissables. Le résultat est extraordinaire. On est hanté par la force des œuvres, par leur capacité à exprimer la cruauté, la poésie, la beauté démente d’espaces urbains qui sombrent [22].

30Pour un artiste de la même génération que Tayou, Malam (de son vrai nom Isaac Essoua Essoua, 1964-), vivre à Douala à l’aube du xxi e siècle oblige à prendre une position radicale. Le refus n’est pas un luxe ; il doit faire partie intégrante de l’action. Ses œuvres allient aux objets trouvés – taies d’oreiller et radiographies, notamment – des médias plus conventionnels, tels le plâtre et le bois. Comme les autres artistes déjà évoqués, Malam traite des difficultés de la ville. Le thème de la violence est toutefois plus directement abordé chez lui. Plusieurs œuvres datant de 2001, issues d’une série intitulée « Confidences sur l’oreiller », se focalisent sur le viol, que l’artiste présente comme une arme maniée par ceux qui détiennent le pouvoir (policiers, soldats, riches expatriés). Une installation faite de corps en plâtre grandeur nature est un véritable catalogue de tortures employées par le Commandement opérationnel, force paramilitaire qui en 2001 a laissé derrière elle à Douala plus d’un millier de cadavres, victimes d’exécutions extrajudiciaires [23] (Fig. 4).

Figure 4
Figure 4
Détail d’une installation, Malam, 2001
Collection de l’artiste
Photo : D. Malaquais

Quelle beauté, pour quelle ville ? Goûts, politique et violence urbaine

31« La nouvelle liberté » est-elle belle ou laide ? La question peut paraître désuète. Dès le premier jour, elle est pourtant posée et prend très vite une tournure politique. Les mots « beau » et « laid » sont ici lourds de signification. Qui les utilise et comment, est affaire de lieu, de temps, de classe sociale, de filiation politique et a tout à voir avec le contexte dans lequel s’élève « La nouvelle liberté » – l’espace compliqué qu’est la ville postcoloniale.

32Contrairement à Dakar et à Johannesbourg, on ne trouve pas à Douala de bourgeoisie connaisseuse des arts. Les membres de ce qui passe ici pour une classe supérieure sont profondément conservateurs, en matière de goût comme de politique. Ce conservatisme à ses raisons historiques. Bien qu’une nouvelle bourgeoisie ait fait son apparition sur la scène dans la deuxième moitié des années quatre-vingt-dix, les rênes du pouvoir (économique et politique) restent fermement entre les mains d’une nomenklatura née sous la colonie. Dès lors, les vues qu’a de l’art, de l’architecture et plus largement de la culture cette bourgeoisie-là sont calquées sur celles de la petite bourgeoisie française dont les représentants faisaient alors la loi au Cameroun. C’est le cas également dans d’autres pays d’Afrique ; les ressemblances entre bourgeoisie coloniale et postcoloniale que l’on voit à Douala sont cependant particulièrement frappantes. Cela aussi a ses raisons historiques. Non seulement le gouvernement en place descend en ligne directe de celui mis en place par les Français à leur départ en 1960 mais le Cameroun est aussi le seul pays d’Afrique qui ait accédé à l’indépendance avec, à sa tête, un leader qui avait été violemment opposé à l’indépendance.

33Pour la bourgeoisie doualaise, « La nouvelle liberté » n’est qu’un amoncellement de déchets – la laideur incarnée. Il y a là davantage, cependant, qu’une simple question de conservatisme en matière de goût. Ce qui déplaît surtout, c’est ce que le monument dit de l’espace urbain. Pour le Délégué du gouvernement et les bureaucrates, pour les financiers et les hôtesses dont il représente les intérêts, la laideur est affaire de désordre ; c’est ce que l’on ne contrôle pas. Le beau, c’est l’ordre, un monde où l’on sait distinguer le formel de l’informel, l’utile de l’inutile, l’art de la pacotille.

34Pour Sumegne aussi ordre et beauté sont liés. L’ordre, cependant, n’est pas pour lui affaire de distinctions. Comme la beauté, il naît de la synthèse. L’artiste souhaite unifier la ville, cherche à créer l’union dans un espace urbain où tout est éclaté, contradictoire. La beauté, ici – l’équilibre, la symétrie, l’harmonie des couleurs, des textures et des volumes – devient un catalyseur. Elle restaure l’unité là où régnait la désunion, reconstruit la communauté, la restaurant à elle-même [24].

35Cette approche n’est pas isolée. Elle est partagée par d’autres plasticiens de la même génération. C’est le cas notamment du peintre Koko Komegne. Komegne fut un des premiers artistes abstraits à être reconnu au Cameroun, dans les années 1970-80. Tôt, il part pour l’Europe. C’est l’époque phare du modernisme, que caractérisent trois notions clé : la primauté de l’objet, le génie individuel et l’idéal de la beauté comme valeur universelle. Ces idées ont sur Komegne comme sur beaucoup d’artistes de l’époque, en Afrique et ailleurs, une influence considérable. Il est marqué aussi par le genre de commissions qu’il reçoit. À Douala, on fait appel à lui pour embellir des espaces publics (un hôtel, un restaurant, une place à Bonanjo). L’esthétique, le raffinement – la beauté – sont fondamentaux pour Komegne. En témoigne la critique qu’il fait de « La nouvelle liberté ». À ses yeux, l’œuvre de Sumegne n’est pas une réussite. Non parce qu’elle est faite de choses laides, mais parce que les objets qui la constituent n’ont pas été agencés avec l’attention au détail que l’on trouve habituellement chez Sumegne [25]. On pourrait ajouter que non seulement l’attention au détail, mais aussi la sensation d’ordre, de chaos contenu, qui se dégage des œuvres à plus petite échelle de Sumegne, est sacrifiée dans « La nouvelle liberté ».

36Chez la jeune génération, c’est le postmodernisme qui l’emporte. Mais point de dogmatisme : si Youmbi et ses confrères sont au fait des objets et des textes clé de l’ère postmoderne, ils savent en prendre et en laisser. Le jargon et les postures postmodernes n’ont pas leur place chez eux. Ce qu’on trouve dans leur travail ce n’est pas tant le « look » du mouvement postmoderne que la méfiance qu’il affiche à l’égard des idées directrices du modernisme – importance accordée à l’individu et en particulier au créateur ; besoin de créer des catégories étanches entre disciplines, genres, langages analytiques et vocabulaires expressifs ; attachement aux absolus, dont, en particulier, l’idéal de la beauté [26]. La beauté, pour les plasticiens de l’ère postmoderne, est affaire de contingence (c’est ce que l’on découvre chez les artistes phares du mouvement – l’Anglaise Jane Simpson, l’Américaine Coco Fusco ou encore le Taiwanais Chen Hui-Chiao), a tout à voir avec le contexte, avec le lieu et le moment, l’œil et les raisons de regarder.

37L’environnement qui a vu naître Youmbi, Mpah Dooh, Tayou et Malam – la ville postcoloniale au sud du Sahara – a un impact sensible sur leur approche de la beauté. Il y a, pour commencer, le fait qu’ils sont, et sont éminemment conscients d’être, des artistes africains. Tayou a beau vivre en Europe, où il expose bien plus souvent qu’en Afrique, pour son public blanc il reste un Africain. Chez ces artistes, on trouve une critique implicite du sort que réserve à l’Afrique le monde des musées et des galeries en Europe et aux États-Unis. D’innombrables livres et catalogues ont été publiés et un nombre incalculable d’expositions montées qui célèbrent les arts « traditionnels » d’Afrique. Pour le grand public comme pour la plupart des musées, des galeries et des historiens d’art, l’art africain c’est cet art-là, ces objets dits rituels, utilitaires transformés en choses exotiques, faits « autres », « différents », « primitifs » ou « premiers ». Bien qu’ils s’en défendent, la très grande majorité des musées, des galeries et des départements d’histoire de l’art n’ont que faire de l’art contemporain africain. Ce qu’ont à dire les Youmbi, les Mpah Dooh et les autres en matière de plastique ou de théorie, dans les rares cas où la chose est prise en compte, est plus souvent dénigré qu’apprécié, car, dit-on, dérivé de sources européennes ou américaines. Ce genre d’approche de ce qui est africain, de ce qu’est l’art, de ce qui est « bon » ou « important », joue un rôle capital chez Youmbi et ses confrères. Les masques aux yeux bandés de Youmbi (objets manufacturés produits à la chaîne et vendus comme de l’art « traditionnel » à des touristes en mal d’authenticité, puis appropriés par l’artiste et transformés en portraits où les notions conventionnelles d’identité et d’esthétique font place à un collage aussi hétérogène que dérangeant) ; les installations de Tayou, où l’espace privilégié du musée est envahi par la cacophonie de la rue, les pièces blanches des galeries par les odeurs et les amoncellements d’une décharge publique ; les mots raturés, les juxtapositions bizarres et les traits cicatrices de Mpah Dooh, qui soulignent au lieu de les masquer les doutes de l’artiste face à son œuvre ; les corps écartelés de Malam… Autant de répliques aux violences faites à l’idée même de l’Afrique par les musées et les galeries, les critiques et les historiens d’art d’Europe et d’Amérique du Nord.

38Fondamentale aussi, au regard que portent ces artistes sur les notions d’art et de beauté est l’influence de la ville elle-même. Le sociologue AbdouMaliq Simone dit des villes africaines qu’elles sont des espaces multiples, en flux perpétuel, qui se muent et se transmuent au jour le jour, au gré des corps, des modes de pensée et de l’émergence journalière de croyances nouvelles, des moyens de communication que la ville invente, des itinéraires, récits et rêves de ses habitants. Qu’on soit à Adjamé, au cœur d’Abidjan, ou à Hillbrow, quartier de Johannesbourg où vivent des dizaines de milliers de Nigérians, de Congolais et de Camerounais, il est futile de chercher à comprendre l’espace urbain au moyen de plans, écrit Simone. Clarifier la ville, la quantifier, là n’est pas la question : elle ne se prête pas à ce genre d’exercice, refuse de se plier au désir de rationalisation du chercheur [27]. Le portrait que fait Simone d’une ville telle Douala est à la fois profondément pessimiste et habité d’un réel espoir :

39

« Social reproduction [is] foreclosed for increasing numbers of youth. As such, the actions, identities and social composition through which individuals attempt to eke out daily survival are incessantly provisional, positioning them in a proliferation of seemingly diffuse and discordant times. Without structured… certainties, the places they inhabit and the movements they undertake become instances of disjointed geographies, subsuming places into mystical, subterranean, or sorceral orders, prophetic or eschatological universes, highly localized myths that “capture” the allegiances of large social bodies, or daily reinvented routines that have little link to anything [28]. »

40Ce que décrit Simone trouve un écho certain chez Youmbi et ses confrères et aide à comprendre leur approche tant de la ville que de l’esthétique qui en naît. En 2000, les membres du collectif appelé le Cercle Kapsiki – Youmbi, Hervé Yamguen, Blaise Bang, Jules Wokam et Salifou Lindou – s’envolaient pour la France, invités à passer une année à l’École des arts décoratifs de Strasbourg. Certains craignaient qu’ils ne reviennent pas. Ils se trompaient. À leur retour, lors d’une conférence de presse, Yamguen expliqua la chose comme suit. Une année passée à l’extérieur, dans une ville fascinante parce que si différente de la leur, les avait amenés à la conclusion que Douala offrait d’immenses possibilités. À bien des égards, c’était un espace catastrophe, inadapté à la création, inhospitalier pour qui veut vivre de son art. Dans cette ville cependant, les artistes voyaient une source d’inspiration ; leur objectif, laissait entendre Yamguen, ne serait pas, pace Sumegne, d’embellir la ville, de l’améliorer en rendant esthétique ce qui ne l’était pas. Ils ne tenteraient pas de transformer ce que d’autres avaient rejeté, de faire le beau avec le laid. Ils entendaient s’approprier la laideur de l’espace urbain. Le refus de la ville à se laisser apprivoiser, à se laisser dire, ce serait la matière et le thème de leur travail. De ce processus naîtrait une certaine beauté : une beauté de et pour « Doul ».

Naissance d’un milieu artistique

41Reste qu’il faut se donner les moyens de dire la ville. Cela n’est pas affaire seule de moyens financiers, bien que ceux-ci fassent souvent cruellement défaut. Il s’agit aussi d’œuvrer à l’émergence d’une communauté. Sans la présence d’interlocuteurs dont les vues et les approches diffèrent des siennes, on finit par ne se parler qu’à soi-même. Les voyages à l’extérieur prennent une importance démesurée et, parce que bourses et résidences aidant, ils se font plus souvent vers l’Europe ou l’Amérique du Nord qu’ailleurs, participent à renforcer le mythe selon lequel l’art contemporain en Afrique est un phénomène dérivé. Il faut, donc, des structures sur place.

42En 1991, avec la naissance de Doual’Art, se met en place une première structure, qui vient combler un vide – l’absence de toute institution publique, où que ce soit au Cameroun, qui s’attache à exposer ou à diffuser l’art contemporain. Avant Doual’Art, seuls le Goethe Institut de Yaoundé et le Centre culturel français s’intéressaient à la chose. L’université de Yaoundé, où les arts étaient déjà bien mal en point, allait sous peu être bouclée des mois durant par l’armée, lors de manifestations estudiantines en faveur du multipartisme. Les choses ont passablement évolué depuis la création de Doual’Art. Grâce à l’ONG et à quelques espaces d’exposition privés fondés dans son sillage, notamment la très sérieuse Galerie MAM, il est possible aujourd’hui d’engager une conversation sur les arts contemporains à Douala. Qu’en 1999-2000 une banque de la place choisisse de présenter dans son hall des œuvres de peintres contemporains doualais, ou qu’en 2001 le gouvernement s’intéresse (bien qu’en fin de compte il n’en fit rien) à monter une exposition des œuvres de Mpah Dooh, permettait un certain espoir. La « DUTA », première biennale des arts contemporains à Douala, organisée par le promoteur Samuel Nja Kwa en janvier 2005, est encourageant.

43Tous les artistes dont il est traité dans cet article ont été, à un moment ou un autre, soutenus et exposés par Doual’Art et la plupart continuent d’y montrer leurs travaux. Mais ce que l’ONG et son espace à Bonanjo ont surtout permis, c’est aux plasticiens de la ville d’avoir un lieu de rencontre et d’échange, un lieu aussi où faire la connaissance de créateurs étrangers, s’entretenir et travailler avec eux et, le cas échéant, s’initier à de nouvelles techniques. Au contact de Doual’Art ils ont également été amenés à entreprendre des projets « au quartier », expositions, rencontres, ateliers axés non seulement sur le thème, mais aussi sur les réalités au jour le jour de la ville et de ses habitants [29]. Et, à leur tour, ils ont influencé Doual’Art, apporté idées, initiatives et énergie à l’ONG. Tout cela a joué un rôle clé dans l’émergence du monde des arts contemporains à Douala.

44Une structure, cependant, même épaulée, ne peut pallier tous les besoins. Il lui faut, à elle aussi, des interlocuteurs. Et il est essentiel que les artistes eux-mêmes se donnent les moyens d’un engagement réel avec leur ville. C’est la conscience de cette nécessité qui a amené Youmbi et ses partenaires à créer le Cercle Kapsiki. Celui-ci vient s’ajouter à deux autres collectifs, Dreamers, fondé dans les années quatre-vingt-dix par le plasticien Goddy Leye, et NewArt, plus récent, ainsi qu’à une structure éphémère nommée Squat’Art, élaborée par Koko Komegne et qui, ponctuellement, organise des expositions dans un espace désaffecté du centre ville. Les Kapsiki n’ont pas d’espace d’exposition propre : c’est la ville tout entière qui leur sert de canevas. Ainsi, en 2002 ils ont orchestré à New Bell une série d’interventions, les « scénographies urbaines », qui avaient pour but d’encourager une relecture de l’espace urbain par ses habitants. En partenariat avec le collectif Skurk, dirigé par le metteur en scène Jean-Christophe Lanquetin, ils ont invité une trentaine d’artistes venus de nombreux pays à effectuer une résidence de trois semaines à New Bell pour y créer, avec la participation d’habitants du quartier, objets, spectacles et happenings, y animer des ateliers, en transformer toute une gamme d’espaces (bars, allées, terrains vagues) et y réaliser un film qui serait projeté à même les murs de la ville. L’événement « avait pour objectif de permettre à chaque habitant de redécouvrir la ville et de lui rendre une identité beaucoup plus humaine, par le rite et la création de réseaux parallèles [30] ».

45La construction de réseaux parallèles évoquée par les Kapsiki est fondamentale, non seulement à l’espace doualais, mais aussi à celui des arts urbains d’Afrique. Il s’agit, comme le fait remarquer le chorégraphe congolais Faustin Linyekula, de favoriser, avant tout, les guerilla networks. Mis en place par les artistes eux-mêmes, souvent avec un minimum de ressources, ce sont des réseaux flexibles, capables de se réarticuler selon les besoins et les situations. Ils évoluent non point grâce à, mais en partenariat (ou pas) avec les institutions boursières et sont en mesure de communiquer entre eux au moyen de structures qui ne sont pas tributaires pour leur survie de dons ou d’infrastructures externes [31]. C’est là précisément la démarche de Goddy Leye, sans doute le plasticien le plus engagé de l’art world camerounais. À la suite de plusieurs années passées en Europe, où il a acquis une renommée mondiale, Leye est rentré à Douala pour y fonder, en 2003, l’Art Bakery. Il s’agit d’une entité – espace physique et virtuel – où les créateurs qui cherchent à se faire une place dans le monde des arts contemporains et les jeunes qui souhaitent s’initier aux nouveaux médias sont accueillis pour ateliers, cours, résidences, master classes et travaux en commun. Le but de ces activités n’est pas seulement de former les artistes ou de les aider à se perfectionner, mais aussi de leur offrir les moyens de s’insérer dans les réseaux qui existent déjà et, le cas échéant, d’en créer d’autres qui répondent mieux à leurs intérêts et à leurs besoins propres.

46Il s’agit, écrit Leye, de favoriser pour les jeunes plasticiens de villes telles que Douala « une insertion en douceur dans le monde de l’art [32] ». Tout, cependant, n’est pas douceur pour Leye, et on est loin à l’Art Bakery de l’espoir d’embellir la ville que nourrit Sumegne. La vision qu’a Leye des espaces de vie de ceux qu’il souhaite épauler n’est pas rose. En témoigne une installation qui date de 1999, intitulée « WOL / World On Line ». Au cœur de l’installation, une vidéo. L’écran est noir. Soudain, une lumière aveuglante. On s’imagine dans un commissariat, soumis à un interrogatoire. Des visages apparaissent pour se dissoudre aussitôt, comme dans de l’acide. Un rythme saccadé émane des haut-parleurs – une mitraillette doublée d’une perceuse qui s’attaque à de l’asphalte. Puis ce sont des mots qui apparaissent, des insultes qui, de seconde en seconde, se font plus dures. L’œil est assailli. « WOL » parle, comme peu d’œuvres ont su le faire, de la violence de ceux qui détiennent le pouvoir – où qu’ils soient – et de la haine de son prochain qu’ils savent entretenir chez leurs victimes. La xénophobie d’Elimbi et l’aliénation que traduisent les masques bandés de Youmbi sont là, tangibles. Les mots, les sons, la lumière crue qui prennent à la gorge expriment et expliquent à la fois la colère qui habite les visages de Mpah Dooh, l’horreur et l’humour fou des compositions de Tayou. On voit, on entend et sent les invectives criées par ceux qui, des camps du Commandement opérationnel à Douala aux cellules de Guantanamo, torturent. Pour faire taire ceux qui, comme Malam, refusent de vivre comme cela. Pour leur arracher la ville.

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Date de mise en ligne : 01/07/2006

https://doi.org/10.3917/afhi.005.0111

Notes

  • [*]
    Dominique Malaquais (Ph.D., Columbia University) est chargée de recherche au CNRS, rattachée au CEMAf.
  • [1]
    Sans M. Douala-Bell et D. Schaub, le monument qui est le sujet principal de ce texte n’aurait pu exister. S’il a vu le jour, c’est grâce à leur vision, leur courage et leur refus de baisser les bras. C’est grâce à eux, aussi, que j’ai pu le découvrir et développer nombre des idées présentées ci-après. Y. Monga m’a la première parlé de l’œuvre et des débats qu’elle suscitait ; je lui en suis profondément reconnaissante. V. Kouankam Loko m’a, comme c’est si souvent le cas, assistée dans ma recherche à Douala et Yaoundé. S. Nuttall m’a proposé de nombreuses pistes de réflexion ; je l’en remercie. Un deuxième texte sur « La nouvelle liberté », en anglais, paraîtra dans l’ouvrage édité par S. Nuttall, Beautiful/Ugly : African and Diaspora Aesthetics. Le Cap, Kwela Books, 2006. J.-F. Sumegne, K. Komegne, J. Mpah Dooh, Malam, les membres de Cercle Kapsiki, Goddy Leye et Louisépée m’ont ouvert les portes de leurs ateliers. Ils ont bien voulu parler avec moi, longuement et de multiples sujets, m’ont soutenue et encouragée. Je leur dédie ces pages.
  • [2]
    I. Diabaté (1999 : 28).
  • [3]
    Sur l’histoire de Douala, voir entre autres : R. Austen (1999) ; A. Eckert (1999) ; R. Gouellain (1973, 1975) ; G. Mainet (1979a, 1979b, 1985) ; G. Séraphin (1999) ; L. Schler (2005).
  • [4]
    Pour un aperçu des vues exprimées par le presse au sujet de « La nouvelle liberté », dont il sera question à plusieurs reprises dans cet essai, voir Cameroun tribune 2447 (08/08/1996) ; Challenge nouveau 18/09/1996 ; Dikalo 02-09/08/1996 ; L’effort camerounais 52 (03-06/09/1996) ; Elimbi 11 (19/08/1996), 19 (27/11/1996), 23 (09/01/1997), 24 (16/01/1997), 25 (23/01/1997), 26 (30/01/1997), 27 (06/02/1997), 28 (13/02/1997), 29 (20/02/1997), 36 (23/04/1997) ; L’expression 22/04/1997 ; Mutations 23 (10-16/12/1996) ; La nouvelle expression 330 (01/08/1996), 338 (30/08/1996) ; Planète jeunes 23 (1996) ; Ponda 110 (07/08/1996), 112 (20/08/1996).
  • [5]
    En janvier et en février 1999, en juillet et en août 2000 et en août 2001, j’ai eu l’occasion, à plusieurs reprises, de parler de « La nouvelle liberté » avec des membres de l’oligarchie doualaise – leaders politiques, patrons d’industrie, banquiers. Ils étaient, j’y reviendrai, unanimes dans leur dédain.
  • [6]
    Sauf exception notée, les vues de Sumegne sur l’art exprimées ci-après sont issues d’interviews qu’il m’a accordées en août 2000 et en août 2001 dans son atelier, à Yaoundé.
  • [7]
    Planète jeunes, 23 (1996).
  • [8]
    Ibid.
  • [9]
    « Sawa » signifie « côte » dans la langue duala.
  • [10]
    R. Austen, par exemple, en fait un usage limité et ne lui réserve aucune place dans l’index pourtant très complet de son ouvrage sur le peuple Duala (1999). Mark Delancey et H. Mbella Mokeba ne le définissent pas dans leur excellent dictionnaire du Cameroun (1990). Éric de Rosny, dont les travaux sur la sorcellerie à Douala ont fait date, préfère l’appellation Duala (1981, 1996). Il en va de même de Célestin Tiki a Koulle A Penda (1987), dont le travail sur l’épopée de Djeki La Njambe exploite des textes recueillis dans de nombreuses communautés de la côte.
  • [11]
    Le lecteur trouvera une étude approfondie de ces questions dans D. Malaquais (2002, en particulier chapitre 5, p. 297-342). Cet ouvrage repose sur quelque dix années de recherche et de travail de terrain au Cameroun (1992-2002), en pays bamiléké et à Douala. Il s’inspire par ailleurs de nombreux travaux de chercheurs qui se sont penchés sur la place des Bamiléké dans le Cameroun du xxe siècle. Ces questions sont par ailleurs explorées dans D. Malaquais (1997, 2001, 2003, 2006). Pour une vue d’ensemble de « la question bamiléké », expression couramment employée au Cameroun pour désigner les tensions et la violence politique nées de sentiments anti- (et pro-) Bamiléké, on consultera, inter alia : Collectif Changer le Cameroun (1992) ; Conseil Supérieur des Intérêts Bamiléké (1992) ; J. L. Dongmo (1981, vol. II) ; A. Eyinga (1991) ; E. Fopoussi Fotso ; E. Fopoussi (1991) ; J.-F. Held (1961) ; R. Joseph (1977) ; W. Johnson (1970) ; V. Kamga (1999) ; Lamberton (1960a, 1960b) ; M.O. Laurent (1981) ; S. Prévitali (1986) ; A. Rétif (1956) ; L. Sindjoun (1999) ; P. Sindjoun (1987) ; R. Um Nyobe (1985) ; Union des Populations du Cameroun (1957, 1958, 1959a, 1959b, 1971) ; J.-P. Warnier (1993) ; Zognong (2002).
  • [12]
    D. Zognong (2002).
  • [13]
    R. Austen (1999 : 176-191).
  • [14]
    E. Hobsbawm et T. Ranger (1983).
  • [15]
    R. Austen (1992).
  • [16]
    Elimbi : tambour, instrument de communication dont on faisait usage chez les Duala au xixe siècle (Ntone Edjabe, communication personnelle, 13/07/2002).
  • [17]
    D. Malaquais (2002 : 317).
  • [18]
    Ibid, p. 272-273.
  • [19]
    En 2004, des autobus ont été mis en service pour rendre possible la traversée du pont du Wouri, interdite de jour aux taxis, autos et motos pendant sa réfection qui durera sans doute plusieurs années. Mais ces bus sont peu nombreux et en fort mauvais état ; traverser le pont, aujourd’hui, si l’on a pas de voiture, peut prendre des heures.
  • [20]
    M. Douala-Bell, communications personnelles, août 2000, août 2001 ; V. Kouankam Loko, série d’interviews menées auprès de vendeurs au rond-point Deïdo au sujet de la « nouvelle liberté », août 2000.
  • [21]
    A. Roberts (1996 : 86).
  • [22]
    Les œuvres plus récentes de Tayou restent d’une très grande force mais sont davantage axées sur le rural que l’urbain, comme en témoignait une installation au Centre Pompidou au printemps 2005, lors de l’exposition « Africa Remix ». Pour un survol de la carrière et des œuvres de Tayou, voir M. Herford (2004).
  • [23]
    D. Malaquais (2003).
  • [24]
    L’étymologie du terme jalaa permet de mieux cerner cette approche. Laa, dans la langue d’origine de Sumegne, le Fe’e Fe’e, signifie « concession », « village », « communauté ». Par extension, le mot fait allusion à l’harmonie et à l’unité – au travail que l’on fait et aux idéaux que l’on a en commun. Ainsi, le nom « Ghomalaa », qui désigne une langue apparentée au Fe’e Fe’e, signifie « la parole [ghom] de tout le peuple [laa] ». Le préfixe ja renvoie aux notions de savoir et de création. On peut y voir aussi une référence au mouvement, au fait d’aller de l’avant. Préfixe et suffixe ensemble suggèrent une vision particulière du travail de l’artiste. C’est un processus au moyen duquel on amène le changement, une alchimie en quelque sorte, qui permet de transformer, pour les améliorer, les espaces de la vie commune.
  • [25]
    Interview de Koko Komegne, en compagnie de Joel Mpah Dooh et du peintre doualais Louisépée, Doual’Art, août 2001.
  • [26]
    Voir F. Jameson (1998 : 129 et 137).
  • [27]
    A.M. Simone (1998).
  • [28]
    A.M. Simone (2000 : 2).
  • [29]
    Parmi ces projets initiés par Doual’Art on notera, parmi de nombreux autres, un programme d’interventions sur plusieurs années au quartier Bessengue Akwa, dont expositions et représentations théâtrales, débats, tables rondes, ateliers, cours, travaux en commun avec les enfants du quartier et construction en partenariat avec la mairie de Bessengue d’éléments d’infrastructure (passerelles, bornes fontaines) essentiels au bien-être des habitants, mais que la ville ne s’était jamais souciée de leur fournir.
  • [30]
    http:// www. CamerounInfo. Net (mot clé « Cercle Kapsiki »).
  • [31]
    F. Linyekula, présentation lors d’un colloque de l’Africa Centre, Cape Town, Afrique du Sud, 30/09 – 02/10/2004.
  • [32]
    http:// www. artbakery. org, 2004, page d’accueil.

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