Notes
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[*]
Jean-Louis Triaud est professeur d’histoire de l’Afrique à l’université de Provence (Institut d’Études Africaines, Aix-en-Provence).
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[1]
Oxford University Press for the British Academy, 2004, 614 pages, 69 pages de reproductions, 14 cartes, 297 mm x 210 mm., Fontes Historiae Africanae, New Series, Sources of African History, 4.
-
[2]
D. Robert, S. Robert et J. Devisse (éd.), Tegdaoust I, Paris, Arts et Métiers Graphiques, 1970.
-
[3]
S. K. McIntosh (ed.), Excavations at Jenne-Jeno, Hambarketolo, and Kanioma (Inland Niger delta, Mali), the 1981 Season, Berkeley, University of California Press, 1995. Voir aussi les autres publications de Susan K. McIntosh, et Roderick J. McIntosh.
-
[4]
Bulletin de l’IFAN, B, 36, 3, p. 511-524.
-
[5]
Nous avons choisi d’écrire Es-Souk selon l’usage francophone le plus courant, et non selon la translittération de l’arabe (al-sûq, as-sûq) ni, selon l’orthographe phonétique adoptée par PFMF ($ssuk).
-
[6]
Comme nous l’expliquerons plus loin, l’ouvrage comporte des paginations multiples. D’autre part, l’introduction historique est numérotée en paragraphes. Pour un accès rapide au volume, nous avons choisi de renvoyer constamment aux passages de l’ouvrage concernés, et notamment aux paragraphes numérotés (§) de cette introduction, véritable synthèse des résultats obtenus et de la recherche menée. Dans certains cas, nous avons traduit de l’anglais des passages de l’auteur (ainsi que des citations utiles empruntées à d’autres auteurs). Nous portons seul la responsabilité de ces traductions.
-
[7]
« (…) the new did not abolish the old. Rather, Tifinagh and Arabic script became parallel resources, each assigned to its own realm and according to conventions of its own. Their relation was kept deliberately tense, but neither impeded the existence of the other, and each catered for different but real needs » (§ 322).
-
[8]
Nehemia Levtzion et J.F.P. Hopkins (ed.), Corpus of Early Arabic Sources for West African History, Cambridge University Press, 1981, p. 50-51.
-
[9]
Esclave dont il eut pour fils le fameux Abû Yazîd, l’« homme à l’âne », le leader d’un soulèvement khârijite en Tunisie en 332 ah (943 ad). Voir N. Levtzion et J.F.P. Hopkins (ed.), Corpus of Early Arabic Sources for West African History, Cambridge University Press, 1981, p. 154 et 158. Des sources ibâdites de la fin du ve siècle ah (xie siècle ad) parlent aussi de commerce à Tâdmakka à partir de la seconde moitié du ive siècle ah (xe siècle ad) (§ 341).
-
[10]
N. Levtzion et J.F.P. Hopkins (ed.), Corpus of Early Arabic Sources for West African History, p. 21. Dans l’ouvrage de PFMF, Al-Ya’qûbî est absent de l’index, mais non de la bibliographie – On remarquera que, selon le même Ibn Hammâd, déjà cité, le commerçant ibâdite, nommé Kîdâd, serait allé jusqu’à Gao et aurait montré son fils (né vers 270 ah/883 ad) à un devin local qui lui aurait annoncé que ce fils « deviendrait un roi » (loc. cit., p. 154 et 396).
-
[11]
Entre 976 et 996 ad, l’Égyptien al-Muhallabî écrit que « leur roi prétend (yuzâhir), devant ses sujets, être un musulman » et ajoute que ses sujets font de même (Voir N. Levtzion et J.F.P. Hopkins (ed.), Corpus of Early Arabic Sources for West African History, p. 174 et 399). Yuzâhir peut signifier : « fait semblant », qui est encore plus fort. Une islamisation « mimétique » précéderait-elle en ce cas une islamisation plus orthodoxe ? On ne sait si ce roi anonyme fait partie des malik-s de l’épigraphie ou, plus probablement, se trouve encore en amont de ceux-ci.
C’est ce même al-Muhallabî, connu seulement par Yâqût (1220 ad), qui écrit que le roi de Kawkaw « a une ville sur le Nil, sur la rive orientale, qui est appelée Sarnâh, où il y a des marchés et des maisons de commerce et en direction de laquelle il y a un commerce continuel de toutes les directions » (Voir N. Levtzion et J.F.P. Hopkins, op. cit., p. 174). Le ta marbûta (t) final n’est pas prononcé, et il est translittéré pour cette raison, par Levtzion, par un h : on lira donc Sarnâh plutôt que Sarnât. Les historiens ont volontiers identifié cette Sarnâh/Sarnâ avec Saney, située effectivement à l’est de la rive orientale, comme, d’ailleurs, la Gao moderne. -
[12]
Voir John O. Hunwick, Timbuktu and the Songhay Empire. Al-Sa’dî’s Ta’rîkh al-Sûdân down to 1613 and other Contemporary Documents, Leiden, Brill, 1999, p. 3-4.
-
[13]
Chaque notice, localisée et numérotée, comporte la reproduction du texte arabe, la traduction en anglais et un commentaire précisant les lieux de découverte et les particularités du texte.
-
[14]
Paulo Fernando de Moraes Farias, « A letter from Ki-Toro Mahamman Gaani, King of Busa (Borgu, Northern Nigeria) about the “Kisra” stories of origin (c. 1910) », Sudanic Africa, vol. III, 1992, p. 109-132. Les informations qui suivent proviennent de cet article.
-
[15]
La technique de l’estampage a été massivement utilisée au xixe siècle pour reproduire et conserver les inscriptions anciennes. Comme elle est aujourd’hui inconnue et absente des dictionnaires, il est intéressant de reproduire ici la présentation qui en est faite dans le tout premier numéro de la Revue Africaine (Alger, 1856), avec un appel à reproduire toutes les inscriptions en latin, grec ou arabe :« Procédé pour l’estampage en papier des inscriptions et même des sculptures dont la saillie ne serait pas trop considérable :
- Nettoyer, en la brossant avec soin, l’inscription ou la sculpture dont on veut prendre l’empreinte ;
- Appliquer dessus une feuille de papier fort non collé dont on se sert dans les imprimeries. Ce n’est qu’à son défaut qu’il faudrait prendre du papier collé qui vaut moins pour cet usage ;
- Mouiller légèrement ce papier avec une éponge humectée, jusqu’à ce qu’il soit devenu parfaitement souple et qu’il se colle sur la pierre qu’on veut estamper ;
- Appuyer sur ce papier une brosse à poils longs et doux, comme celles dont on se sert pour nettoyer les tables ou pour brosser les chapeaux – ces dernières sont peut-être un peu molles. Presser et frapper à petits coups, de façon que le papier entre dans les creux des lettres ou de la sculpture, et qu’il prenne les contours en relief ;
- Laisser sécher aux trois quarts le papier, l’enlever avec précaution de dessus la pierre ; attendre qu’il soit entièrement sec. Alors on peut l’envoyer où l’on veut sans avoir à craindre que l’empreinte s’efface. Il vaut mieux ne pas laisser sécher entièrement le papier sur la pierre, parce que le retrait provenant de la dessiccation le ferait crever.
- Si, pendant qu’on mouille avec l’éponge ou qu’on frappe avec la brosse, le papier se crève, on peut mettre une pièce sur la partie ouverte ; on mouille la pièce, jusqu’à ce qu’elle fasse pâte avec la feuille entière et s’y soude. Elle adhère en séchant, et fait un tout avec la pièce, lorsqu’on la retire ».
-
[16]
Octave Houdas, arabisant, beau-père de Maurice Delafosse, avait publié le texte et la traduction du Ta’rîkh al-Sûdân (1898-1900), ainsi que celle d’une chronique de Tombouctou couvrant la période arma (après 1591), le Tadhkirat al-Nisyân (1899-1901). Celle du Ta’rîkh al-Fattash viendra plus tard, en 1913-1914.
-
[17]
Voir Jean-Louis Triaud, « Le nom de Ghana. Mémoire en exil, mémoire importée, mémoire appropriée », in Jean-Pierre Chrétien et Jean-Louis Triaud (éd.), Histoire d’Afrique. Les enjeux de mémoire, Paris, Karthala, 1999, p. 248-249.
-
[18]
On notera que la majeure partie de ces matériaux consultés par Houdas ont été perdus et n’existent plus, y compris les stèles transférées à Tombouctou. Seuls subsistent dans cette série les estampages de De Gironcourt. (PFMF, § 64).
-
[19]
Jean-Louis Triaud, « Haut-Sénégal-Niger, un modèle “positiviste” ? De la coutume à l’histoire : Maurice Delafosse et l’invention de l’histoire africaine », in Jean-Loup Amselle et Emmanuelle Sibeud (dir.), Maurice Delafosse. Entre orientalisme et ethnographie : l’itinéraire d’un africaniste (1870-1926), Paris, Maisonneuve et Larose, 1998, p. 210-232.
-
[20]
Toutes ces indications accompagnent la présentation des inscriptions (3e partie, chap. 5, p. 3-22).
-
[21]
Les sites de Gao et de Saney sont les seuls à avoir fait l’objet de fouilles archéologiques systématiques, sur une longue durée, par Raymond Mauny (années 1950), Colin Flight (années 1970), et T. Insoll (années 1990) (§ 14). Voir, dans la bibliographie de PFMF, les publications de T. Insoll (17 titres entre 1993 et 2000).
-
[22]
C’est le titre du chapitre 2 : « Reclaiming Space for Epigraphy from the Timbuktu Chronicles ».
-
[23]
Ce terme désigne le pouvoir marocain local, en cours d’enracinement et d’intégration dans la vie de la région.
-
[24]
PFMF, pour sa part, pour des raisons que nous discuterons plus loin, fait terminer la série de ces earlier muluk autour de 1084 ad : « up to c. 476 ah/1083-1084 ad ?) » (p. CLIX). « Tentatively, we assign the end of this series of rulers to c. 476 ah/1083-1084 ad » (§ 409). Nous avons préféré nous en tenir ici à la chronologie figurant sur les stèles.
-
[25]
PFMF, pour les mêmes raisons, fait commencer la série des later muluk autour de 1084 ad (p. 161). Nous reprenons, ici aussi, les dates des inscriptions.
-
[26]
PFMF note plusieurs explications possibles du terme qandâ en songhay : ganda, qui signifie « sol », « pays » (ap. J. Hunwick) – ganda (« attendre, retarder ») pour un enfant qui s’est fait attendre – ou nom de personne encore courant dans le dialecte de Gao (§ 543). La version fandâ peut aussi détenir une signification : fonda, en songhay, signifie « route » et désigne l’enfant né « en route » (avec un équivalent arabe, le nom Târiq, de même racine que tarîq, « route ») (§ 545). Cette diversité d’interprétations possibles montre que, en l’état, aucune d’entre elles n’est sûre.
-
[27]
John Hunwick, « Gao and the Almoravids : a Hypothesis », in B.K. Swartz et R.E. Dumett (ed.), West African Cultures Dynamics, 1980. Le texte d’al-Zuhrî indique que « les habitants de ces deux villes (l’une appelée NSLA et l’autre Tâdimakka) devinrent musulmans sept ans après Ghâna ». Al-Zuhrî est le seul à dater, dans le même texte, la conversion à l’islam des habitants de Ghâna en 469 ah (1076-1077) – selon les manuscrits les plus fiables (Voir N. Levtzion et J.F.P. Hopkins (ed.), Corpus of Early Arabic Sources for West African History, 1981, p. 98-99 et 389). Le même texte montre que Ghâna aurait fait appel aux Almoravides contre les raids des gens de Tâdmakka.
-
[28]
Al-Zuhrî mentionne, par ailleurs, l’existence de Gao (Kawkaw), mais sans autre précision et sans relier cette ville à l’expédition almoravide.
-
[29]
Voir N. Levtzion et J.F.P. Hopkins (ed.), Corpus of Early Arabic Sources for West African History, p. 8.
-
[30]
PFMF note aussi une occurrence pour ’Alî b. Yûsuf b. Tâshfîn, le fils du fondateur du mouvement almoravide.
-
[31]
Kayna signifie ici, en langue songhay, « frère cadet » (PFMF, § 428). On retrouve ce qualificatif dans certains noms des listes de Tombouctou.
-
[32]
Quelques références permettent de préciser la chronologie de départ de la dynastie Sonni. PFMF rappelle qu’Ibn Battûta, visitant Gao en 754 ah (1353 ad), a trouvé la ville sous la domination effective du Mali. Ibn Khaldûn parle aussi d’une armée envoyée par le Mali pour soumettre une région au-delà de Gao entre 775 ah/1373 ad et 789 ah/1387 ad (§ 240). C’est nécessairement après cette date, donc vers la fin du xive siècle ad, que la dynastie Sonni, dont le fondateur est crédité d’avoir libéré le pays de la domination du Mali, aurait émergé et commencé à régner sur Gao et le Songhay, remplaçant ses prédécesseurs Zuwâ.
-
[33]
Liste des Zuwâ du Ta’rîkh al-Sûdân : n° 20 : Zuwâ Nintâ Sanay, ou, selon les manuscrits, Tintâ Sinay, ou N-tâ S-n-y ; n° 23 bis : Zuwâ Tinbâ Sinay, d’après une partie des manuscrits. Voir John O. Hunwick, Timbuktu and the Songhay Empire. Al-Sa’dî’s Ta’rîkh al-Sûdân down to 1613 and other Contemporary Documents, Leiden, Brill, 1999, p. 4, et PFMF, § 429. C. Ralfs est le premier à mentionner ces noms (« Beiträge zur Geschichte und Geographie des Sudan. Eingesandt von Dr Barth », Zeitschrift der Deutschen Morgenländischen Gesellschaft, 1855, 9, p. 518-594). C’est probablement par erreur que l’édition de Hunwick, 1999, ci-dessus, parle de « Rohlfs ».
-
[34]
Ta’rîkh al-Sûdân, chapitre 1, in John O. Hunwick, Timbuktu and the Songhay Empire. Al-Sa’dî’s Ta’rîkh al-Sûdân…, 1999, p. 6. Hunwick transcrit Kukiya, PFMF Kukyia. Par souci de cohérence, nous avons gardé la transcription de PFMF.
-
[35]
Voir John O. Hunwick, Timbuktu and the Songhay Empire. Al-Sa’dî’s Ta’rîkh al-Sûdân…, 1999, p. 33, et PFMF, § 441.
-
[36]
PFMF renvoie aux fouilles de T. Insoll et T. Shaw. (Voir, de ces deux auteurs, « Gao and Igbo-Ukwu Beads, Inter-Regional Trade and Beyond », African Archaeological Review, 1997, 14, 1, p. 9-23).
-
[37]
Le nom Aryû renvoie à une racine songhay, et zammo désigne, en songhay, un nom de louange de lignage (comme le jamu malinké). Ici, Kawkaw servirait en quelque sorte de nisba, nom d’origine, comme si ce personnage ou sa famille était originaire de Gao, ou y avait vécu.
-
[38]
On retrouve là l’entrecroisement de modèles qui dépassent d’ailleurs l’espace régional et déborde donc l’histoire d’Aligurran. C’est Moïse, qui échappe à l’extermination des nouveau-nés masculins, et est élevé à la cour du pharaon qui persécute son peuple. C’est Jésus, qui échappe au Massacre des Innocents (tous les enfants de moins de deux ans), ordonné par Hérode. Il y a là, de quelque manière qu’on les appelle, des archétypes présents dans de nombreuses cultures.
-
[39]
P. F. de Moraes Farias, « Silent Trade : Myth and historical Evidence », History in Africa, 1974, 1, p. 9-24.
-
[40]
Ce mot a différentes variantes dialectales, dont les formes askiw et eskiw. Par commodité, nous employons ici une translittération simplifiée. PFMF utilise, pour sa part, les signes de l’alphabet phonétique international.
-
[41]
M. Delafosse, Haut-Sénégal-Niger (1912) 1972, II, p. 84 sq. n.1 ; Auguste Dupuis, Essai de méthode pratique pour l’étude de la langue songoï ou songaï, langue commerciale et politique de Tombouctou et du Moyen-Niger, suivie d’une légende en songoï avec traduction et d’un dictionnaire songoï-français, Paris, E. Leroux, 1917, p. 97 sq, n. 1. En dépit de l’homonymie, ce conte de Dinga est sans rapport avec celui de la légende soninké du Wagadu.
-
[42]
PFMF consacre une part importante de son exposé à ces développements sur les motifs et les récits issus de l’oralité. La section 2 du chapitre 2, qui leur est consacrée (§§ 150 à 241), représente près du quart de l’introduction historique. C’est dire à quel point cet ouvrage est beaucoup plus qu’une édition d’inscriptions.
-
[43]
Dans la même zone que celle de l’inscription n° 106 (falaises sud-est), le groupe d’inscriptions n° 111 comporte trois graffiti (G3, G4, G5) qui contiennent le texte de la shahâda ainsi que les noms (arabes) des professants, et l’inscription n° 112 comporte de même le texte de la shahâda, répétée à deux reprises, avec le nom (arabe) du professant – Shahâda : « attestation » fondamentale de l’islam : Lâ ilaha illa ’llah wa Muhammad rasûl Allah (« il n’y a de dieu que Dieu et Muhammad est Son envoyé »).
-
[44]
En vue de travaux futurs, les historiens tiennent là – pour la période médiévale – plusieurs âges au décès, des durées de vie de personnes « ordinaires ». Sans vouloir nous engager dans cet examen, notons au passage que Muhammad b. Abû Hamid al-Ghazâli, dont il est question ci-après, est mort à l’âge de 63 ans (Junhan, inscription n° 182) et que le faqîh Muhammad est décédé à 34 ans (Junhan, n° 183). Rappelons qu’il s’agit là d’années lunaires, plus courtes de 11 jours.
-
[45]
Après avoir étudié l’ensemble des sciences islamiques et être devenu un enseignant réputé à Baghdâd, Al-Ghazâlî traversa une crise spirituelle et rechercha dans l’expérience intime et personnelle la validation de sa foi. Pendant près de onze ans, il pratiqua les exercices sûfî dans diverses retraites. Son œuvre principale appelée à une grande diffusion, Ihyâ’ ’ulûm al-dîn (« Revivification des sciences religieuses »), écrite à la fin de sa vie, est un traité de vie religieuse conciliant les exigences de la sharî’a et celles du soufisme. On ignore comment et à partir de quelle date les œuvres d’al-Ghazâlî ont été connues au sud du Sahara. H.T. Norris note l’activité d’un groupe sûfî à Tadmakka, en liaison étroite avec al-Suyûtî, le savant du Caire, connu pour ses multiples liens avec les musulmans subsahariens. Cette influence d’al-Suyûtî peut être datée de la seconde moitié du xve siècle.
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[46]
Bi-ism Allâh al-Rahmân al-Rahîm : « Au nom de Dieu, Celui qui fait miséricorde, le Miséricordieux », formule introductive du Coran (sourate I), souvent prononcée au début d’une action. Cette formule figure aussi au début de toutes les sourates, sauf la sourate IX. La basmala figure en tête de nombre de ces épitaphes. C’est aussi un signe commun d’identité islamique.
-
[47]
H.T. Norris, The Tuaregs. Their Islamic Legacy and its Diffusion in the Sahel, Warminster, 1975, et Sûfî Mystics of the Niger Desert. Sîdî Mahmûd and the Hermits of Aïr, Oxford, Clarendon Press, 1990.
-
[48]
« Muhammad Abû al-Hasan al-Bakrî, réel fondateur de la Bakriyya qui sera à la tête des ordres initiatiques égyptiens pendant plusieurs siècles, est célèbre de son vivant dans l’ensemble du Moyen-Orient, autant pour la science extérieure qu’il détient que pour son haut degré spirituel » (Éric Geoffroy, Le soufisme en Égypte et en Syrie, Institut français de Damas, 1995, p. 164). « …la Bakriya de ’Abd al-Rahmân Jalâl al-dîn al-Bakri, et surtout son fils Muhammad Abû al-Hasan (m. 952/1545) » (op. cit., p. 209).
-
[49]
PFMF note la présence, dans les traditions orales songhay relatives à l’Askyia Muhammad, d’une version islamisée du nom du père de l’askyia sous la forme « Muhammad al-Ghazalî », comme si « cette nisba était devenue une icône d’islam aux yeux des gens vivant dans la vallée du Niger à une étape de la création de ces histoires » (§ 370).
-
[50]
« The Qadiriyya brotherhood had first been introduced into the Sahara probably at the end of the fifteenth century. But the Qadiriyya had been loosely organized and rather ineffective until its resurgence, in the second half of the eighteenth century, under the leadership of Sidi al-Mukhtar al-Kunti » (N. Levtzion, « Islam in the Bilad al-Sudan to 1800 », in N. Levtzion et R.L. Pouwels, The History of Islam in Africa, Athens, Ohio University Press et Oxford, James Currey, 2000, p. 86).
-
[51]
E. M. Sartain, « Jalâl al-Dîn al-Suyûtî’s relations with the people of Takrûr », Journal of Semitic Studies, XVI, 2, 1971, p. 193-198.
-
[52]
Voir Louis Brenner, « Sufism in Africa in the seventeenth and the eighteenth centuries », Islam et Sociétés au sud du Sahara, n° 2, 1988, p. 80-93.
-
[53]
Voir Jean-Louis Triaud, « Hommes de religion et confréries islamiques dans une société en crise. L’Aïr aux xixe et xxe siècles : la Khalwatiyya », Cahiers d’Études africaines, 1983, 91, XXIII, 3, p. 239-280.
-
[54]
PFMF souligne que les cimetières de Gao ont beaucoup souffert de la croissance de la ville moderne. Nombre d’inscriptions et de stèles ont pu disparaître à cette occasion (§ 620).
-
[55]
Cette tombe qui est celle d’une personne de sexe féminin : (« nom illisible bint (fille de) nom partiellement lisible »), comporte la mention complète de la date : jour, mois, année.
-
[56]
Les sources ibâdites disponibles, qui remontent pour la plupart au xiie siècle ad, mentionnent plusieurs contacts à Tadmakka (cf. N. Levtzion et J.F.P. Hopkins (éd.), Corpus…, p. 88-91). N. Levtzion, ap. T. Lewicki, rappelle que le principal lien de l’imamat ibadite de Tahert (vaincu par les Fatimides en 909 ad) « semble avoir été avec Gao par l’intermédiaire de Wargla et Tadmakka » (Ancient Ghana and Mali, 1973, p. 136). PFMF constate l’absence de tout texte de facture ibâdite dans le corpus (sans parler des inscriptions funéraires personnelles qui, elles, étaient formellement condamnées par les khârijites). Il voit aussi dans le « démarrage tardif » de l’épigraphie du corpus la confirmation d’une influence ibâdite antérieure anti-épigraphiste (§ 357-361).
-
[57]
Coran, XXII, 7.
-
[58]
Jean-Louis Triaud, « Le prosélytisme islamique en Afrique noire », dans Problèmes d’Histoire du christianisme : propagande et contre-propagande religieuses, Bruxelles, Éditions de l’Université Libre de Bruxelles, vol. 17, 1987, p. 205-220. Cet imaginaire islamique monothéiste sur l’après-vie et le Jugement représente une innovation fondamentale par rapport aux croyances antérieures.
-
[59]
Faqîh : spécialiste de fiqh (droit jurisprudentiel islamique).
-
[60]
Les pèlerinages royaux suivants sont mentionnés par les sources écrites. Pour le Mali, Mansa Ulî (Oulé), après 658 ah/1260 ad, Sâkûrâ autour de 700 ah/1300 ad et Mansa Mûsâ en 724 ah/1324 ad. Pour le Songhay, Askyia Muhammad, entre 901 ah/1496 ad et 904 ah/1498 ad.
-
[61]
N. Levtzion et J.F.P. Hopkins, Corpus of Early Arabic Sources, 1981, p. 85. PFMF rappelle qu’il s’agit d’un lieu commun dans le monde musulman et non d’un cas unique : « Le motif de la ressemblance avec La Mecque est récurrent dans les sources islamiques en référence à différentes villes situées dans les régions périphériques du monde islamique » (§ 346, et référence à d’autres travaux de l’auteur, dont « Tadmakkat and the Image of Makka : Epigraphic Records and the Work of the Imagination in 11th-century West Africa » in T. Insoll (ed.), Case Studies in Archaeology and World Religion, 1999, p. 105-115).
-
[62]
Ce texte comporte, en effet, plusieurs difficultés de lecture : tout d’abord, le féminin lahâ : « à elle, pour elle », alors qu’aucun nom féminin ne figure auparavant dans le texte. À l’issue d’une discussion serrée, qui renvoie à d’autres exemples, PFMF conclut que lahâ ne peut désigner que « la terre », c’est-à-dire, aussi bien, le lieu, le site, le village, la communauté (autres noms féminins possibles), etc. (§ 487-488). Le débat entre les lectures shawq et sûq est, lui, difficile à trancher (§ 489).
-
[63]
« Par là [le lien affiché avec La Mecque], le texte d’al-Bakrî et l’inscription se lisent comme des paraphrases l’un de l’autre » (§ 489).
-
[64]
PFMF renvoie au dictionnaire manding-français de Maurice Delafosse (1955), qui dérive ces différentes formes de l’arabe futyâ, synonyme de fatwâ (interprétation juridique par une personne qualifiée). Le terme est passé dans d’autres langues africaines, notamment le fulfulde (peul), sous les formes Fodye, Fodyo.
-
[65]
L’inscription 196 n’est connue que par un estampage de De Gironcourt, l’inscription 200 par un estampage et une copie manuscrite faite à sa demande.
-
[66]
On remarquera au passage la mention de la double filiation masculine et féminine.
-
[67]
Avec une lecture arabisante, Marie-Madeleine Viré avait cru pouvoir lire zuwayja (diminutif d’épouse). (PFMF, § 542).
-
[68]
Ce nom était précédemment lu R.w.â.
-
[69]
Par commodité et souci de simplification, nous n’avons pas retenu les jours et mois dans l’énoncé des dates, mais on gardera à l’esprit que ceux-ci sont, la plupart du temps, dûment notés sur les stèles (voir §§ 572-590).
-
[70]
PFMF note la diffusion, à partir des environs de 905 ah/1500 ad, du Mukhtasar de Khalîl, manuel de fiqh hostile aux épitaphes, parmi les lettrés de Tombouctou.
-
[71]
Aujourd’hui, les tombes musulmanes contemporaines de Gao, à une exception près, sont dépourvues d’inscriptions (§ 620).
1 À l’origine de cet article, il y eut, à peine le livre de Paulo Fernando de Moraes Farias [1] fut-il arrivé sur mon bureau, le désir immédiat d’en faire un compte rendu. Alors que j’avais résolu antérieurement de ne plus en rédiger, ce nouvel ouvrage réveilla en moi un désir enfoui. Puis, la passion de la lecture aidant, le compte rendu a pris la forme de ce qu’on appellerait en anglais un review article. On l’aura compris, cet article n’est donc pas une simple recension mais beaucoup plus que cela : un guide de lecture, une visite accompagnée, une présentation approfondie. Réflexe probable d’enseignant, nous avons eu le souci de toucher, non seulement nos collègues chercheurs, mais aussi un public plus large, notamment francophone, qui n’aura pas nécessairement l’occasion ni la possibilité de consulter rapidement cet ouvrage de poids et de prix. La lecture qui a été menée ici, selon un fils conducteur qui nous est propre, suit une autre logique que celle du plan rigoureux choisi par l’auteur. Du moins avons-nous essayé, à notre manière, d’être fidèle à ses intentions, sans abandonner les questionnements et les commentaires dus à une œuvre de cette ampleur. Cet ouvrage est l’occasion d’une grande remise à jour de l’histoire de la Boucle du Niger et de ses accès sahariens. Il ne sera plus possible désormais de travailler sur cette histoire ni de l’enseigner sans faire référence à cette somme qui offre un corpus à la disposition de tous, en même temps qu’elle ouvre à une révision profonde des rapports entre sources écrites et orales, et entre les différents registres de l’écrit eux-mêmes.
2 Pour un historien, le surgissement de nouvelles sources est toujours un moment d’intense émotion. Tel est le choc que procure la lecture de ce livre événement. Les historiens du Soudan occidental médiéval (Mali) avaient pris l’habitude de travailler sur le même corpus de sources depuis plusieurs décennies. Travail souvent répétitif, mais enrichi périodiquement, et de façon significative, par de nouvelles éditions critiques et des commentaires neufs des sources connues. Du moins pouvait-on espérer, sans trop y croire, la découverte de nouveaux textes, et notamment de manuscrits. Le champ restait quand même limité. Le corpus était clos. Seule l’archéologie, telles l’exploration du site de Tegdaoust [2] ou celle de Jenné-Jeno [3], avait renouvelé nos connaissances sur les débuts de cette histoire soudanaise. Or, grâce à cet ouvrage, le corpus de sources disponibles s’élargit brusquement de près de 300 inscriptions épigraphiées. Là est l’événement.
3 Cet ouvrage est le résultat d’un travail de plus de trente ans. Ce qui aurait pu exiger la collaboration d’une équipe internationale pendant de nombreuses années a été mené ici par un seul homme. Le résultat est du calibre de notre ancienne thèse d’État, le chef-d’œuvre d’une vie de chercheur, ou encore, selon l’expression consacrée, un véritable travail de bénédictin !
4 L’aventure commence avec un premier article de l’auteur : « Du nouveau sur les stèles de Gao : les épitaphes du prince Yâmâ Kûrî et du roi F.n.dâ (xiiie siècle) », publié dans le Bulletin de l’IFAN en 1974 [4] et se poursuit par une accumulation patiente et incessante de données, ce que l’auteur – que nous désignerons ci-après par les initiales PFMF – appelle en quelques mots discrets « a time-consuming process of decipherment, recording and comparison » (p. 28).
5 Parlons d’abord de cette aventure personnelle. Au cours de ces trente années, PFMF a fait de nombreux voyages entre les différents sites épigraphiques au Mali, effectuant aussi des recherches comparatives au Maroc, en Algérie et en Espagne, poussant jusqu’à Nouakchott et Niamey, en passant par Dakar et Bamako, où certaines pièces importantes figurent. Mais l’un des points de ralliement majeur fut la Bibliothèque de l’Institut de France, à Paris, là où sont déposées les copies d’inscriptions effectuées sur la seule initiative d’un pionnier amateur, l’explorateur Georges Reynard de Gironcourt, en 1908-1909 et 1912. Disons tout de suite que près du quart du corpus étudié provient exclusivement des copies rassemblées par De Gironcourt, les originaux ayant disparu entre-temps. Dans d’autres cas, les copies établies par De Gironcourt livrent un état des inscriptions au début du xxe siècle et permettent une comparaison avec les vestiges actuels. D’une certaine manière, PFMF est l’« exécuteur testamentaire » de De Gironcourt, lequel pensait avec regret, à la fin de sa vie, que son travail de collecte, négligé, avait été inutile (§ 72). Moraes Farias prend le relais de ce travail fondateur, après un long silence qui constitue précisément l’un des enjeux de ce dossier.
6 De quoi s’agit-il ? Au total, 400 inscriptions ou fragments d’inscriptions ont été examinées par l’auteur. Celles qui comportaient de simples formules, sans nom ni date, ou qui étaient trop endommagées ont été généralement, sauf cas particulier, éliminées de l’étude (§ 1). Il reste 250 inscriptions ou groupes d’inscriptions numérotés, parfois doubles (sur les deux faces d’une même stèle), qui sont publiées dans cet ouvrage et dont seulement un petit nombre l’avait été auparavant. Toutes ces inscriptions proviennent de l’est de la République du Mali actuel, le long de l’arc oriental de la boucle du fleuve Niger et, en remontant vers le nord, en zone saharienne, dans la région de l’Adrar (Adagh) des Ifoghas. Ce corpus se compose d’inscriptions en arabe figurant sur des tombes royales, d’autres épitaphes et stèles de personnes plus ordinaires et aussi de graffiti rupestres, en arabe ou en tifinagh (caractères utilisés pour transcrire la tamashaq, la langue touareg), ces derniers tous recueillis dans la vallée saharienne d’Es-Souk [5], vieille cité médiévale de l’Adagh, connue au Moyen Âge sous le nom de Tâdmakka. La période couverte va du début du ve siècle de l’année hégirienne (xie siècle ad) à la fin du ixe siècle ah (xve siècle ad). L’inscription la plus ancienne du corpus (n° 106), dans les falaises proches d’Es-Souk, est datée de 404 ah (1013-1014 ad). C’est, ajoute PFMF, le plus ancien document daté de toute la zone sahélienne et de l’Afrique de l’Ouest (§ 460). La plus récente (n° 233), à Bentyia, au sud-est de la boucle du Niger, est datée de 894 ah (1489 ad). Ce corpus est unique dans la mesure où, comme le souligne l’auteur, l’épigraphie funéraire, qui occupe une place majeure dans ce travail, est absente d’autres régions de l’Afrique de l’Ouest pourtant, elles aussi, au contact de l’Afrique du Nord musulmane (§§ 248 et 279-305) [6]. Les inscriptions funéraires sont absentes, pour des raisons doctrinales, chez les Ibâdites, mais, même en milieu sunnite, on n’en trouve trace ni dans les grands sites de Mauritanie (Tegdaoust/Awdaghost et Kumbi Saleh/Ghana) (§ 288), ni à Tombouctou, ni, entre Adagh et Aïr, sur les sites de Marandet et Azelik (§§ 285 et 290). Il y a donc là une exception remarquable, difficile à expliquer au premier abord, mais qui correspond assurément à une zone d’intense communication, au débouché de la piste centrale transsaharienne et au contact des sociétés berbères touareg et négro-africaines songhay. Le paradoxe est d’autant plus grand que, en dehors des commerçants arabes de passage, bien peu étaient ceux qui, parmi les habitants des lieux, au cours de ces siècles comme plus tard, pouvaient déchiffrer ces inscriptions en arabe (celles en tifinagh, très minoritaires, mises à part). Quant à l’époque actuelle, les gens de la région ont perdu la signification littérale autant que symbolique de semblables vestiges et PFMF observe la déconnexion des mémoires locales par rapport à ces stèles, qui n’évoquent plus, pour les habitants des lieux, que des « ancêtres » fort lointains et inconnus (§ 35-38).
7 Pour expliquer cette exception épigraphique, limitée dans le temps et dans l’espace, PFMF évoque une hypothèse qui ne manque pas d’intérêt en mettant en évidence la relation entre une tradition d’écriture en caractères tifinagh et l’expansion de l’épigraphie arabe dans la même région : « Ce n’est certainement pas une coïncidence si l’épigraphie en écriture arabe s’est d’abord développée, en Afrique de l’Ouest, précisément dans les zones où les influx islamiques venus à travers le Sahara ont rencontré une tradition d’écriture en signes tifinagh » (§306). PFMF parle, à ce propos, de « creative tensions between Arabic writing and Berber (Tifinagh) writing ». L’argument est de poids et nous vaut un dossier détaillé sur la question de l’écriture tifinagh et de sa cohabitation avec l’écriture arabe, avec les redistributions de rôles qui s’ensuivent [7] (§§ 306-326).
8 Les sites concernés sont présentés dans un ordre choisi par l’auteur, qui place Saney et Gao en tête de liste et Bentyia en dernière position. Les raisons de cet ordre ne sont pas absolument explicitées : du moins est-il clair que le complexe de Saney et Gao est le plus important en nombre et qu’il pose des questions historiques majeures, et que celui de Bentyia marque, aux yeux de l’auteur, un changement dans le style épigraphique et représenterait donc un tournant dans l’évolution du genre. C’est aussi à Bentyia que se trouve l’inscription datée la plus tardive. Une récapitulation par site permet de donner une représentation chiffrée et datée de l’ensemble :
9 61 inscriptions en arabe à Saney (Sané), une colline à quelques kilomètres à l’est de Gao, échelonnées chronologiquement de 434 ah (1042 ad) à 678 ah (1280 ad), ou 698 ah (1299 ad).
10 42 inscriptions en arabe sur le site de Gao ancien (Old Gao), échelonnées de 521 ah (1127-1128 ad), ou 524 ah (1130 ad), à 766 ah (1364 ad), provenant, sauf quelques-unes regroupées à Bamako, de huit cimetières identifiés.
11 soit 103 inscriptions pour le complexe de sites de Gao.
12 9 inscriptions ou groupes d’inscriptions rupestres en arabe ou en caractères tifinagh dans les falaises au sud-est d’Es-Souk. Le groupe d’inscriptions n° 111 comporte 10 graffiti en arabe et 4 (dont un, venu d’une autre falaise, rapproché par l’auteur pour comparaison) en caractères tifinagh. Ces 4 graffiti en tifinagh, les seuls du corpus, sont difficiles à dater et à déchiffrer. Ce sont des textes brefs construits sur le même modèle : « C’est moi Untel » (suivi de la mention d’un nom).
13 C’est dans cet ensemble qu’on trouve la plus ancienne date du corpus : 404 ah (1013-1014 ad), ainsi que les dates 432 ah (1041 ad), 468 ah (1076 ad), 547 ah (1152 ad).
14 17 inscriptions en arabe dans la nécropole au sud-ouest d’Es-Souk, échelonnées de 407 ah ou 409 ah (1017 ou 1019 ad) à 525 ah (1130-1131 ad).
15 21 inscriptions en arabe (dont certaines sont doubles : sur chaque face de la stèle) dans la nécropole au nord-ouest d’Es-Souk, échelonnées de 609 ah (1212 ad) à 740 ah (1340 ad).
16 23 inscriptions en arabe dans la nécropole au nord-est d’Es-Souk, échelonnées de 424 ah (1033 ad) à 645 ah (1248 ad).
17 5 inscriptions en arabe dans la nécropole au sud-est d’Es-Souk, échelonnées de 466 ah (1074 ad) à 674 ah (1276 ad) ou 694 ah (1294-1295 ad).
18 3 inscriptions en arabe, originaires de sites d’Es-Souk sans autre précision, dont une double avec le même texte sur les deux faces de la stèle, comportant la date 504 ah (1111 ad).
19 soit 78 inscriptions pour la zone d’Es-Souk.
20 7 inscriptions en arabe à Junhan, dans l’Adagh, au sud-ouest d’Es-Souk. Faute d’avoir pu mener un travail de terrain sur place, PMPF a utilisé celles des copies encore lisibles (7 sur 13) laissées par de De Gironcourt. Une seule date figure, pouvant être lue 478 ah (1085-1086 ad), ou 498 ah (1104-1105 ad).
21 soit, au total, 85 inscriptions pour l’Adagh (Es-Souk et Junhan).
22 63 inscriptions en arabe sur le site de Bentyia, ville située sur le Niger à 150 km environ au sud-est de Gao. Ces inscriptions, qui proviennent de plusieurs nécropoles, dont au moins trois cimetières identifiés, s’échelonnent de 578 ah (1182 ad) à 894 ah (1489 ad).
23 soit 63 inscriptions pour le complexe de sites de Bentyia.
24 Ainsi s’organise la répartition entre les principaux points de concentration épigraphiques situés le long d’une ligne méridienne nord-sud, sur une distance d’environ 400 km, entre Es-Souk, la plus au nord, et Bentyia, la plus au sud. De tous ces sites, ceux de l’Adagh apparaissent plus anciens : première date en 404 ah (1013-1014 ad) à Es-Souk, contre 434 ah (1042 ad) à Saney (Gao ancien et Bentyia offrant des dates nettement postérieures). Il y a donc là une antériorité significative qui est sans doute liée à un contact plus proche et plus ancien avec le monde arabe et le grand commerce saharien. Vers 378 ah/988 ad, Ibn Hawqal, qui utilise des informations réunies vers 338 ah (950 ad), est le premier à signaler Tâdmakka [8]. Ibn Hammad, écrivant en 617 ah (1220 ad), fait remonter la chronologie plus haut encore (§ 341), en mentionnant un commerçant ibâdite venu faire affaire à Tâdmakka dans la seconde moitié du iiie siècle ah (ixe siècle ad) et y acheter une esclave [9]. L’épigraphie découverte sur place ne commence qu’en 404 ah (1013 ad), ce qui « est beaucoup plus tardif que ce que l’on aurait attendu », à la lumière des sources disponibles (§ 356). Il y a donc un décalage entre le témoignage des sources narratives et la mise en place, dans la cité, d’un appareil épigraphié.
25 Plus globalement, nous sommes là à un point de convergence majeur, celui du commerce transsaharien central avec les sociétés négro-africaines de la Boucle du Niger, au débouché de la vallée du Tilemsi, là où surgit Gao (« le royaume de Kawkaw (Gao), qui est le plus grand des royaumes du Soudan, le plus important et le plus puissant », écrivait, le premier, al-Ya’qûbî dès 259 ah/872-873 ad) [10], et d’où va sortir l’empire songhay fondé par Sonni Ali (869 ah/1464 ad-898 ah/1492 ad). Ici la chronologie des inscriptions se situe dans une position médiane par rapport à ces deux repères. Les inscriptions commencent à Gao-Saney autour de 434 ah (1042 ad), un demi-siècle après qu’al-Muhallabî (qui écrivait avant 380 ah/990 ad), ait signalé que le roi de Gao était musulman [11], mais près de deux siècles après la première mention d’al-Ya’qûbî, et elles se terminent, au plus tard, à Gao, en 766 ah (1364 ad), un siècle avant l’avènement de Sonni Ali, et plus de deux siècles avant la chute de l’empire songhay sous les coups des Marocains (1591). Il y a donc là une nouvelle discordance entre la longue durée connue de l’existence de Gao et la séquence nettement plus courte d’activité épigraphique. À Bentyia, les inscriptions poussent jusqu’à 894 ah (1489 ad), sans d’ailleurs que, pour autant, aucune allusion au règne de Sonni Ali apparaisse. Ces sources témoignent donc, pour l’essentiel, d’un état de la région « avant l’empire » (songhay), une proto-histoire mal documentée que les chroniqueurs de Tombouctou, écrivant beaucoup plus tard, au xviie siècle, ont doté, comme pour meubler ce moment perdu, d’une liste dynastique en partie légendaire, celle des Zâ ou Zuwâ, dont Moraes Farias souligne, de façon convaincante, à quel point elle est le produit d’une construction historico-idéologique d’auteurs engagés (§ 103, 164-166).
26 Les lettrés du patriciat urbain de Tombouctou, alliés aux représentants de la troisième dynastie songhay, celle des askyias, placés alors sous le protectorat marocain, innovent en effet, en se plaçant sur le terrain culturel et historique et en produisant deux chroniques, le Ta’rîkh al-Fattash et le Ta’rîkh al-Sûdân, pour sauvegarder et promouvoir leurs identités et leurs héritages (§ 111-112). Sans remettre en cause la domination marocaine avec laquelle ils collaborent (§126-139), ils veulent ainsi affirmer l’existence d’un État songhay inscrit dans la longue durée, incarné sans interruption par trois dynasties successives (§ 103), et dont les derniers souverains, même passés sous tutelle chérifienne, sont les héritiers légitimes : une royauté continue, projetée dans le passé, avec 14 rois avant l’islam, et un premier converti royal en 400 ah (1009-1010 ad) [12] – date antérieure de plus de trente ans, comme on le voit, à la première mention épigraphiée à Gao-Saney. Ainsi disposons-nous, d’un côté, d’un mélange de compilations et de spéculations tardives (mais pas, pour autant, négligeables) des clercs de l’ouest de la Boucle, de l’autre, des vestiges modestes, mais très concrets, et contemporains des hautes périodes, de sociétés installées sur les axes orientaux : tel se présente, sous forme de dilemme, le choix proposé dès lors à l’historien entre deux corpus de sources, qui vont apparaître souvent difficilement conciliables, et contradictoires. De l’un à l’autre, deux histoires peuvent se lire et se dire et, entre l’histoire que racontent les clercs du xviie siècle et celle que racontent les tombes des xie-xve siècles sur l’arc oriental, il y a plus qu’un simple décalage. C’est à la mise en questions de ce décalage que se consacre précisément Paulo Fernando de Moraes Farias, et dont il fait sa problématique principale. Mais y a-t-il une histoire possible à partir des inscriptions funéraires et autres traces ainsi rassemblées ? C’est vers cette démonstration que converge enfin tout le travail de l’auteur.
27 L’architecture de l’ouvrage est complexe, avec des paginations successives qui en font un instrument complet combinant l’édition minutieuse et érudite des sources et le commentaire historique, tout aussi attentif, qui les concerne.
28 Ainsi trouvons-nous un premier dossier paginé en chiffres romain (p. i-ccxlvi) qui comprend la préface et les remerciements, une première partie d’introduction historique et une deuxième consacrée aux caractéristiques textuelles du corpus épigraphique. La préface mérite d’être lue avec attention, car, en même temps qu’elle présente la structure de l’ouvrage, elle en explique la genèse. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une œuvre collective, c’est aussi l’occasion pour l’auteur de remercier les chercheurs qui, tout au long de cette recherche, ont contribué, de près ou de loin, à la réussite du projet, notamment en fournissant des copies ou photographies d’inscriptions et des informations utiles. L’introduction historique, composée de 3 chapitres (p. xxxiii-clxxvi), pose les problèmes du rapport entre épigraphie et construction de l’histoire, et notamment de la confrontation entre les chroniques de Tombouctou et les sources épigraphiées. C’est « un premier livre dans le livre » et l’on pourrait s’arrêter là après avoir compris l’essentiel. C’est notamment dans cette introduction que PFMF propose une synthèse de toute la réflexion menée autour des sources épigraphiées et met en évidence leurs apports. La deuxième partie, plus arabisante, s’interroge sur les caractéristiques textuelles du corpus, et, plus particulièrement, sur l’usage significatif qui est fait du calendrier islamique. Avec la troisième partie consacrée à la reproduction et à la traduction des inscriptions [13], on passe à une pagination en chiffres arabes (p. 1-218), que termine une conclusion.
29 Cette différence de pagination (était-elle nécessaire ?) manifeste clairement l’existence d’au moins deux grandes publications emboîtées : le chantier de l’histoire de la Boucle du Niger, d’une part, et l’édition critique du corpus, de l’autre. Si l’on ajoute, avec leur pagination propre, les 14 pages de cartes et plans et les 69 pages de planches, qui contiennent les photographies des inscriptions et des stèles, doublées dans un certain nombre de cas par une version redessinée des textes, on aura une idée complète de la répartition des 610 pages de cette superbe édition sur papier glacé. L’index est là aussi (12 pages), qui renvoie selon les cas, dernière subtilité dans la présentation, aux numéros de pages en chiffres romains pour la préface, mais aux numéros (en chiffres arabes) des paragraphes pour les pages suivantes (parties I et II) et, pour la partie III, consacrée à l’édition des sources, aux numéros de pages en chiffres arabes. Voilà une architecture par paliers successifs qui permet assurément au lecteur de privilégier les entrées de son choix. Encore convient-il, au préalable, d’en avoir débrouillé la logique interne. Notons enfin que des renvois internes multiples au sein de l’ouvrage permettent de « naviguer » aisément entre les passages qui concernent un même thème.
30 Ces nouvelles sources ont une histoire qui n’est pas sans importance pour le traitement de l’ensemble des questions posées. C’est au début du xixe siècle que les inscriptions médiévales de cette partie de l’Afrique de l’Ouest ont été découvertes. Les graffiti des collines d’Es-Souk furent signalés, dès 1904, par le lieutenant Théveniaut à l’occasion de la première jonction entre troupes françaises venues d’Algérie et du Soudan (§ 58). Émile-Félix Gautier, le géographe bien connu, auteur des Siècles obscurs du Maghreb, vint sur place en juillet 1905, mais fit un commentaire très négatif, y voyant de simples gribouillages sans intérêt (ibid.). En 1907, le lieutenant Desplagnes (Le Plateau central nigérien) signala à son tour des inscriptions en arabe à Bentyia (§ 57). Mais ce sont les initiatives décisives prises par de Gironcourt, entre 1908 et 1912, qui donnent à ces textes une visibilité nouvelle. Dans un article publié en 1992, PFMF a rappelé la biographie de ce pionnier [14].
31 Georges Reynard de Gironcourt était ingénieur agronome et spécialiste d’agriculture coloniale. Il partit à Madagascar pour étudier la culture du palmier à huile, puis au Maroc, s’intéressant aux sols et à la flore. Sa première expédition en Afrique de l’Ouest, qui avait reçu le soutien du ministère des Colonies et de la Société de Géographie, eut lieu ensuite, pendant 13 mois, d’août 1908 à septembre 1909. Cette expédition avait pour but d’étudier la géographie et les populations de la Boucle du Niger, et de faire des enquêtes sur les possibilités de développement de l’agriculture dans les colonies françaises, britanniques et allemandes. De Gironcourt partit de Tombouctou traversant des zones encore mal pacifiées. Au début, il progressa avec un détachement de 50 tirailleurs commandés par un capitaine, puis il se sépara de cet accompagnement et voyagea dès lors en plus petit équipage, descendant le Niger, pendant trois mois, dans un canot métallique et faisant des arrêts au fil de sa descente du fleuve pour des reconnaissances à cheval. C’est au cours de l’une de ces reconnaissances qu’il aperçut les inscriptions en arabe dans l’un des cimetières de Bentyia, déjà signalées par le lieutenant Desplagnes. La découverte de ces inscriptions allait motiver une seconde expédition trois ans plus tard. De Gironcourt rentra en France avec une carte au 1/500 000e de la Boucle du Niger, environ 300 séries de mesures anthropométriques, plusieurs herbiers et plus de 700 photographies. Conscient de l’intérêt potentiel des inscriptions aperçues, il rapporta à Paris les copies dessinées de certaines d’entre elles. La Société de Géographie fit du voyageur son lauréat. Grâce à cette notoriété, De Gironcourt put mener campagne dans les cercles savants au sujet des stèles de Bentyia. C’est ainsi qu’il obtint les soutiens nécessaires pour une seconde expédition dans la même zone. Il avait obtenu, cette fois, le patronage de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, du ministère de l’Instruction Publique et du ministère des Colonies et sa mission explicite était, pour lui qui n’était pas arabisant, d’enquêter sur l’épigraphie arabe, non seulement à Bentyia mais dans la vallée du Niger et les régions voisines.
32 Il arriva en octobre 1911 à Tombouctou, commença par voyager dans l’ouest de la Boucle, puis il se dirigea, en janvier et février 1912, vers Gao, et, de là, remonta par la vallée du Tilemsi pour gagner l’Adagh avec quatre soldats, en mars 1912. C’est là, dans l’Adagh, à Gao et, plus tard, à Bentyia, ainsi que dans des localités en aval de Gao, qu’il réalisa cette série unique de plus de 800 estampages [15] d’inscriptions en arabe et en tifinagh, conservés à la Bibliothèque de l’Institut de France, à Paris. Il visita aussi des campements de Kel Es-Souk et rassembla des manuscrits arabes copiés par eux à sa demande.
33 PFMF rend hommage au travail mené, dans des conditions difficiles, par De Gironcourt. Les années 1909 à 1914 furent, en effet, des années de sécheresse et de famine. En raison des fortes températures, il était difficile de garder assez humide le papier appliqué sur les pierres pour que les estampages prennent. L’eau devait être rationnée pour la consommation quotidienne, afin de garder suffisamment de liquide pour la collecte des inscriptions. Des vents incessants frappaient le papier humide avec une poussière argileuse qui adhérait aux feuilles. Dans certains cas, il fallait coucher les stèles ou les déplacer pour réaliser les estampages.
34 On l’a vu, ce travail ingrat fut fondamental pour la préservation d’un tel corpus. Cependant, l’accueil fait à cette collecte remarquable ne fut pas à la mesure de l’effort engagé. Après un bref succès d’estime, l’intérêt ne dura pas.
35 Au retour de la première expédition, la Société de Géographie avait demandé à Octave Houdas, le traducteur des chroniques de Tombouctou [16], d’examiner les copies dessinées des inscriptions de Bentyia rapportées par De Gironcourt. Houdas eut également accès à des transcriptions de stèles transportées de Bentyia à Tombouctou par ordre de l’administration (Clozel, lieutenant-gouverneur de ce qui s’appelait alors le Haut-Sénégal-Niger, voulait faire un musée). Plus tard, Houdas put encore examiner les estampages et des copies manuscrites effectuées par le lieutenant Marc sur d’autres stèles de Bentyia, ainsi que des photographies prises sur place par le capitaine Figaret (§ 64). Tout ceci montre que De Gironcourt n’était pas seul dans cette recherche d’inscriptions. Donner une épaisseur historique à la nouvelle colonie faisait aussi partie des objectifs officiels [17], notamment de la part de Clozel, le « protecteur » de celui qui allait devenir l’historien officiel du Haut-Sénégal-Niger, Maurice Delafosse, le gendre d’Octave Houdas. Il entrait donc dans les attributions des fonctionnaires et officiers de collecter des reproductions ou des copies de ces vestiges [18]. Houdas fit un rapport favorable, qui contribua certainement à l’envoi de la seconde expédition. Alors qu’il avait eu accès à des inscriptions datées pour la plupart de la fin du xive siècle (seule l’une d’entre elles pouvait éventuellement remonter au début du xiiie), il annonçait comme probable la découverte d’inscriptions plus anciennes et plus nombreuses sur le site de Bentyia. Il notait l’intérêt chronologique de ces documents et y voyait un complément utile aux chroniques de Tombouctou (§ 65).
36 Au retour de la seconde expédition, un examen préliminaire fut effectué par Van Berchem, membre correspondant de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres et autorité du moment dans le domaine de l’épigraphie islamique. Van Berchem décrivait l’ensemble de la collection d’estampages comme une « source précieuse et entièrement nouvelle pour l’histoire de l’Islam dans la région du Niger » et soulignait l’intérêt de ces matériaux en matière onomastique, notant au passage différentes particularités grammaticales dans la présentation des dates (§ 66). Ce rapport figure dans les Comptes rendus de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres de 1913. Mais, entre-temps, Maurice Delafosse avait publié Haut-Sénégal-Niger (1912), qui allait devenir la « vulgate » historique sur la région. Delafosse, imprégné du positivisme historique de son temps [19], ne voyait pas d’intérêt majeur dans ces sources auxiliaires, jugées par lui trop fragmentaires et laconiques, et aussi trop tardives. Tout au plus confirmaient-elles, disait-il, que des musulmans avaient vécu dans la région de Gao avant le xive siècle, ce que l’on savait déjà. En d’autres termes, ces matériaux n’avaient, pour lui, qu’un intérêt « très secondaire » et n’étaient pas de « nature historique ». PFMF, qui rappelle ces circonstances, voit dans l’ouvrage de Delafosse la cause majeure de l’occultation de ces découvertes (§§ 68-73).
37 Ce rejet catégorique de l’épigraphie par Delafosse, pourtant mieux inspiré et plus ouvert en matière de sources orales, prend place dans une perspective historiographique plus longue. D’une certaine manière – nous y reviendrons –, l’histoire du Soudan occidental est, à ce moment, déjà close et tout apport nouveau doit, au mieux, confirmer les résultats déjà acquis. Pendant une longue période, l’intérêt pour les inscriptions cessa complètement. Il y eut un nouveau rebond de la recherche épigraphique autour de la Seconde Guerre mondiale, mais cette nouvelle reconnaissance devait rester, elle aussi, dans les limites fixées par l’historiographie dominante.
38 C’est, tout d’abord, Henri Lhote, en 1938, qui apporta sept stèles de Bentyia à Dakar et les déposa au tout nouvel Institut Français d’Afrique Noire (IFAN) (§ 72). Ce dépôt ne suscita pas de réaction particulière. Par contre, une nouvelle découverte faite peu après dans la région de Gao eut progressivement un plus grand retentissement. Entre 1939 et 1941, en effet, six stèles épigraphiées (soit neuf inscriptions, compte tenu des trois stèles qui comportent deux inscriptions), contenant la mention de personnages royaux (malik et malika), furent trouvées à Saney (Sané). Ces stèles, soigneusement gravées sur marbre en écriture coufique de style andalou, furent découvertes au hasard de chasses en brousse par Jean Chambon, administrateur du cercle de Gao, et son épouse (rencontrée en 1975 par PFMF, § 78, n. 17). En août 1939, J. Chambon repéra un monticule et le fit explorer. Le successeur de Chambon prit le relais, en 1941, pour les deux dernières stèles. C’est grâce à Oubbou ben Sidi, un jeune arabisant né en Mauritanie et élevé à Tombouctou, devenu interprète du cercle de Gao (rencontré à Niamey en 1977 par PFMF, § 78, n. 17) que les attributions royales des stèles concernées, et donc, dans l’esprit du temps, leur caractère « historique », furent immédiatement identifiés (§ 78). En dépit des conditions de la guerre, Théodore Monod, premier directeur de l’IFAN, une fois démobilisé, n’eut aucune peine, lui qui avait déjà souligné l’importance des estampages de De Gironcourt, à comprendre l’intérêt de la découverte. Dans une note de 1941, il mettait en évidence trois points essentiels : les inscriptions de Saney remontaient plus haut dans le temps que les plus anciennes inscriptions du corpus De Gironcourt ; elles mentionnaient des personnages importants, portant notamment des titres royaux ; enfin, noms et titres mentionnés étaient différents de ceux figurant dans le Ta’rîkh al-Sûdân (§§ 77-80). C’est après la guerre que l’examen des inscriptions échut à l’arabisant Jean Sauvaget, savant attentif qui, à distance, à partir de photographies et de reproductions, publia ses résultats en 1948 (« Notes préliminaires sur les épitaphes de Gao », Revue des Études islamiques) et 1949 (« Les épitaphes royales de Gao », al-Andalus) – ce dernier article reproduit, en 1950, dans le Bulletin de l’IFAN. Plus tard, une élève de l’orientaliste Gaston Wiet, Marie-Madeleine Viré, travaillant également à distance, et s’entourant des avis d’al-Mukhtâr wuld Hamidûn, le grand savant mauritanien, et d’un lettré sénégalais, Mûsâ Sy, publia, à son tour, des « Notes sur les épitaphes royales de Gao » (Bulletin de l’IFAN, 1958), puis un autre article sur « Les stèles funéraires arabo-musulmanes soudano-sahariennes » (Bulletin de l’IFAN, 1959). Pendant ce temps, Théodore Monod et Raymond Mauny, ce dernier devenu chef de la section d’archéologie-préhistoire de l’IFAN, tentaient en vain de mobiliser l’intérêt scientifique sur le corpus De Gironcourt (§ 81-83).
39 Ce sont donc des arabisants, dont le domaine habituel de recherche était extérieur à la zone concernée, qui prirent alors en charge l’interprétation des inscriptions de Saney. Quel que soit le sérieux de leur enquête, les dimensions culturelles locales leur échappaient. D’autre part, dans une vision très positiviste et événementielle, ce sont les stèles royales qui mobilisaient toute l’attention des chercheurs, au détriment des inscriptions sur des personnages « secondaires » (§ 27). À cet égard, les traducteurs se heurtent, dès ce moment, à une difficulté insoluble : les noms qui figurent sur les stèles royales ne concordent pas avec les noms connus par les listes royales des chroniques de Tombouctou. Ils commencent à formuler quelques hypothèses afin de concilier les deux types de sources mais ne peuvent arriver à une synthèse satisfaisante. Ces diverses contraintes vont à l’encontre d’une mise en valeur complète des nouvelles découvertes épigraphiques, qui restent donc cantonnées dans un statut de sources auxiliaires mal intégrées à la « grande histoire ».
40 La destinée matérielle de ces stèles de Gao-Saney ne manque pas, non plus, d’intérêt pratique et symbolique. Nous prendrons ici comme exemples les inscriptions n° 1 à 19 du site de Saney, celles qui contiennent plusieurs mentions de personnages royaux et qui sont distinguées par PFMF en deux classements successifs : les stèles de marbre montrant des inscriptions coufiques en relief du style en usage à Almeria et les stèles comportant des inscriptions ornementales coufiques réalisées sur place. La stèle/inscription n° 1 fut cimentée dans un mur derrière les bureaux du cercle de Gao (aujourd’hui gouvernorat, où elle se trouve toujours). La stèle/inscription n° 2 eut d’abord le même sort que la précédente, puis elle fut transférée à Bamako et se trouve aujourd’hui au Musée National. Sous les numéros 3a et 3b se trouvent deux stèles « jumelles » au texte identique mais réduites en fragments. Au début de 1941, le vestige 3a a été cimenté, sur ordre de l’administrateur du cercle de Gao, dans un mur extérieur de la tour du mirhab de la mosquée du quartier jula de la ville, où elle se trouve toujours (seuls subsistent le fragment supérieur et le fragment inférieur superposés directement avec environ neuf lignes manquantes entre les deux). Le vestige 3b, fait d’un fragment d’un coin supérieur et d’un fragment inférieur brisé en deux parties, est entièrement perdu : le fragment supérieur a disparu avant 1950, date de la décision de transfert à Dakar prise par Raymond Mauny. Les deux morceaux du fragment inférieur ont disparu de l’IFAN à Dakar, entre 1972 et 1978. Seules des photographies prises à l’époque permettent de les connaître aujourd’hui. La stèle/inscription n° 4 a été cimentée dans le mur de la mosquée du quartier jula de Gao où elle se trouve encore. La stèle/inscription n° 5 a complètement disparu et n’est connue que par quelques descriptions. L’inscription était au nom d’un qâdî nommé Yûsuf et datait du vie siècle ah/xiie siècle ad. En 1941, l’administrateur du cercle de Gao, le même qui avait fait cimenter dans le mur de la mosquée les inscriptions 3a et 4, avait décidé de la sceller dans un mur de la résidence et siège officiel du qâdî de Gao. Mais la maison fut démolie en 1954 ou 1955 et remplacée par le commissariat de police. La stèle/inscription n° 6, dont le lieu d’origine est inconnu, a été déposée à la Mission catholique de Gao au début des années 1970. La stèle/inscription n° 7 a été transférée à l’IFAN, Dakar, où elle se trouve toujours. Il en est de même de la stèle/inscription n° 8. La stèle/inscription n° 9 est restée sur place à Saney. Il en est de même de la stèle/inscription n° 10. Les deux stèles/inscriptions jumelles 11a et 11b (qui font référence à la même personne, fille d’un malik) ont été transférées à Dakar où elles se trouvent. Les photographies prises à l’époque permettent de restituer un texte aujourd’hui très érodé. De la stèle/inscription n° 12, il ne restait qu’une partie inférieure, qui a été brisée en deux fragments dont un seul subsiste à l’IFAN, Dakar. Les photos de l’époque sont les seuls témoins de l’état du vestige au moment de la découverte. Les deux stèles/inscriptions jumelles 13a et 13b (qui font référence au même malik) sont connues par des photos et des fragments conservés à l’IFAN, Dakar. La stèle/inscription n° 14 a été photographiée in situ à Saney par John Hunwick en 1973, mais elle a été perdue depuis. La stèle/inscription n° 15, d’abord conservée dans un dépôt de la Résidence à Gao, fut ensuite transférée à l’IFAN, Dakar, où elle se trouve. La stèle/inscription n° 16 fut déterrée et photographiée par Colin Flight (1981), puis ré-enterrée sur place. La stèle/inscription n° 17 se trouve à l’IFAN, Dakar. La stèle/inscription n° 18 a été découverte sur place par PFMF. Il en est de même de la stèle/inscription n° 19. PFMF mentionne à cette occasion deux autres inscriptions fragmentaires découvertes par Colin Flight en 1974 et ré-enterrées sur place [20].
41 Ces vestiges, éminemment fragiles, ont donc connu un sort très variable. Les envois à Dakar ont été effectués pour la plupart en 1950, sur les instructions de Raymond Mauny, puis leurs reproductions communiquées à Jean Sauvaget ou à Marie-Madeleine Viré. Leur désenclavement a donc permis une mise en valeur temporaire, non sans risques. Ici et là, dans cet échantillon, comme dans l’ensemble du corpus, des disparitions ou destructions ont, en effet, accompagné ou suivi ces transferts, que seules des photographies systématiquement prises à Gao ou à Dakar peuvent remplacer lorsqu’elles existent. C’est dire aussi les difficultés que représente le collationnement de toutes ces traces constamment menacées de perdition. L’autre aspect de cette collecte, c’est qu’il s’agit pour l’essentiel de « cueillette » au hasard d’explorations en surface, souvent, dans un premier temps, par des « amateurs » coloniaux éclairés, hors de tout accompagnement archéologique [21]. Les 250 inscriptions ou groupes d’inscriptions ainsi référencés ne sont donc qu’une partie d’un corpus sans doute plus vaste qui attend encore ses découvreurs. Ce n’est évidemment pas diminuer l’importance des inscriptions ainsi rassemblées que d’espérer de nouvelles campagnes.
42 Tel qu’il se présente aujourd’hui, avec ses richesses et ses limites, ce corpus pose un certain nombre de questions aux historiens. La première de ces questions a trait assurément à sa mauvaise réception par le public scientifique concerné de l’époque.
43 La « première vague » de matériaux épigraphiques, mise au jour essentiellement par De Gironcourt, ne donna pas lieu, en dehors des expertises de Van Berchem et Houdas, à une publication systématique (§ 66). La « seconde vague », celle des années 1930 et 1940, fut mieux traitée : les inscriptions furent publiées et commentées par Sauvaget et Viré (§§ 15-25 et 82-83). La présence de « stèles royales » aida à une telle promotion. Alors que, dans leur majorité, les inscriptions de la région concernent des personnes sans titre et inconnues par ailleurs (§ 30), celles de Gao mettent en scène des « figures » royales susceptibles, comme telles, d’attirer les historiens de cette période, d’autant plus attachés à reconstituer une histoire chronologique, politique et événementielle qu’il fallait utiliser de telles catégories pour faire bonne figure face à l’histoire européenne du moment.
44 Il reste que, dans leur ensemble, ces inscriptions se heurtaient à une historiographie déjà solidement constituée au sein de laquelle il leur était difficile de prendre place. Comme dans d’autres régions du monde, telles l’Europe et le monde musulman, les chroniques et ouvrages écrits primaient, pour l’établissement de l’histoire, sur des vestiges aussi disparates et modestes, relégués au statut significatif de « sources auxiliaires ». La fonction d’une « source auxiliaire » était alors de confirmer le récit historique établi, celui de la « grande histoire ». Toute discordance était, sinon, à mettre à son passif.
45 PFMF procède, à cet égard, à une analyse fine du contexte historiographique au milieu duquel ces inscriptions surgissent. Il rappelle comment Heinrich Barth, le fondateur de l’histoire ouest-africaine moderne, découvre l’histoire de la boucle du Niger, en consultant à Gwandu (califat de Sokoto), en 1853, un an avant d’arriver à Gao, plusieurs parties de ce qui sera reconnu plus tard comme le Ta’rîkh al-Sûdân. Moment d’éblouissement : sous ses yeux apparaissent des dates, des dynasties, des règnes et, ainsi qu’il l’écrit, « une histoire complète du royaume songhay » depuis les premières traces historiques jusqu’au milieu du xvie siècle (§ 40). Désormais, l’histoire de l’empire du Songhay sera principalement fondée sur ce ta’rîkh. Le séjour de Barth à Gao et Tombouctou fut, pour lui, décevant. Contrairement à d’autres zones, il ne se plaisait pas. À Gao, il ne vit pas les stèles funéraires épigraphiées d’un cimetière situées à quelques mètres de l’endroit où il résidait, et dont quelques-unes sont encore très visibles à cet emplacement jusqu’à aujourd’hui. Descendant le cours du Niger, il stationna en face de Bentyia, de l’autre côté du fleuve, sans pénétrer dans la ville et en ignorant donc les nombreuses inscriptions arabes que lui, l’arabisant, aurait pu y trouver. Ce fut donc un rendez-vous manqué (§§ 40-56). Au début du xxe siècle, Maurice Delafosse, autre père fondateur, prend le relais. Il s’attache au Ta’rîkh al-Sûdân désormais traduit par son beau-père Houdas, avec lequel il collabore. Empruntant souvent à Barth sans toujours le dire clairement, il dispose, à la différence du voyageur allemand, d’une édition bilingue complète du Ta’rîkh al-Sûdân qui lui sert de guide et de base pour l’histoire du Songhay et de toute la zone, dans son maître-ouvrage Haut-Sénégal-Niger (1912). Quelques années plus tard (1913-1914), la publication du Ta’rîkh al-Fattash viendra doubler la première chronique et renforcer l’autorité, désormais incontestée, des chroniques de Tombouctou, un corpus assurément remarquable dont il n’existe pas d’équivalent en Afrique de l’Ouest. Delafosse ne voit pas l’intérêt de l’archéologie (des morceaux de poterie et d’outils qui ne disent pas l’histoire, à ses yeux). Nettement plus radical que Houdas, il conteste aussi, explicitement, l’intérêt de l’épigraphie. Dans la mesure où ce qu’il avait pu savoir des inscriptions de Bentyia ne lui apportait pas de noms, de titres ni d’événements mentionnés dans le Ta’rîkh al-Sûdân, il ne pouvait s’agir, à ses yeux, d’information proprement « historique » (§§ 68 sq.) Considérant qu’il y avait là des matériaux secondaires, illisibles et conventionnels, Delafosse referma le dossier. Dans une formule lapidaire, PFMF résume en ces termes la situation : « Tandis que Barth avait exclu les sources épigraphiques parce qu’il en ignorait l’existence, Delafosse les rejeta délibérément » (§ 71). Haut-Sénégal-Niger s’impose alors pour longtemps comme la vulgate officielle.
46 C’est dans le chapitre 2 que PFMF, face à ce poids exorbitant des chroniques, revendique une place, « un espace [22] », pour les inscriptions. Il procède à cet effet à une remise en cause globale des chroniques de Tombouctou. Loin de les considérer, comme on l’avait fait auparavant, comme un conservatoire de sources, d’archives et de pièces historiques antérieures (préface, p. 26), il y voit le lieu privilégié d’une réinvention de la tradition (ibid.). S’agissant en particulier des listes royales qui avaient tant fasciné les lecteurs européens, il considère comme probable que, comme dans les récits oraux, elles aient été manipulées pour les besoins de la cause (§ 146). Quelle cause ? Le rôle des chroniques de Tombouctou au service de la dynastie askyia est déjà bien connu et reconnu. Mais il y a plus. Dans un contexte troublé, des lettrés qui sont employés dans l’administration marocaine occupante et plaident pour une réconciliation entre les élites locales et le pouvoir arma [23] veulent, à cette fin, revaloriser leur héritage et présenter une image flatteuse d’une monarchie songhay dans la longue durée C’est à l’établissement de cette continuité monarchique, instrument de ce que PFMF désigne sous le nom de « royalisme songhay » (§ 125), que se consacrent les auteurs des Ta’rîkh. Comme l’écrit PFMF, cette rhétorique historique prend place dans une volonté de renégociation des rôles et des statuts, avec les Arma, au profit du patriciat urbain de la Boucle du Niger et de la dynastie askia. Par là les auteurs inventent un genre littéraire nouveau : il ne s’agit plus, comme on a pu le croire, d’archives brutes précieusement collationnées mais d’une reconstruction du pass?au service d’un projet : à cette fin, il faut des noms, des dates, des événements. La chronique obéit à une programmation spécifique. C’est une œuvre idéologique dans sa composition même. Les chaînes dynastiques, loin d’être des matériaux « objectifs », sont au cœur même de cette construction (§ 101-18).
47 Pour construire cette histoire, les auteurs ont sans doute recouru à des notices brèves manuscrites, des aide-mémoire conservés dans les familles et contenant des listes royales sans commentaire ainsi que des récits divers. Dans bien des cas, selon un usage commun au Sahel, ces notes proviennent d’informations orales consignées par écrit par des lettrés en arabe à un moment donné. Ainsi s’est constitué un fonds initial dans lequel les auteurs ont puisé pour bâtir leurs récits (§ 146). Mais là où l’on pensait simplement avoir affaire à des historiens compilant de façon méthodique des matériaux antérieurs – historiens certes engagés au service de l’askyia Muhammad contre Sonni Ali, de Tombouctou contre Gao, et des grands askyias contre leurs successeurs médiocres –, on trouve des idéologues plus raffinés chargés de mettre en forme une histoire imaginée, dans laquelle continuités dynastiques, profondeur chronologique et richesse événementielle constituent une trame utilitaire et apportent un capital symbolique négociable au milieu des malheurs des temps. Les chroniques de Tombouctou gagnent alors en complexité et épaisseur culturelle ce qu’elles perdent en crédibilité « historique » lorsqu’on les traitait comme de simples « réservoirs » de listes royales, de biographies ou d’événements.
48 À partir du moment où les chroniques de Tombouctou sont ainsi « désacralisées » et réinterprétées, les listes royales peuvent être traitées de façon plus distanciée et les discordances observées entre les inscriptions et les chroniques, loin de générer du doute, peuvent créer un nouvel espace de réflexion historique. Alors la voie est dégagée pour une exploitation autonome de ces sources épigraphiques, désormais dégagées du poids des chroniques.
49 L’impossibilité de faire correspondre les listes royales de Saney avec celles des chroniques de Tombouctou constituait, à cet égard, l’un des plus irritants problèmes posé aux historiens. Saney était le seul site médiéval sahélien connu pour receler des épitaphes royales. C’est la raison pour laquelle, on l’a vu, il avait suscité une attention toute particulière.
50 PFMF consacre vingt pages d’exposé dense et complexe à cette question (§§ 374-438). Sa démonstration est fondée sur une distinction structurante entre deux séries de rois : earlier muluk et later muluk – ce que l’on pourrait traduire par « les premiers rois », et « les rois suivants » (§§ 405-414).
51 La catégorie des earlier muluk (sur la base de stèles datées de 509 ah/1115 ad - 536 ah/1142 ad [24])
52 Il s’agit d’une catégorie disparate d’ascendants directs de défunts qui portent le titre de malik, mais dont aucun ne remonte à un ancêtre commun. Cinq inscriptions peuvent être réunies dans cette catégorie, les deux premières étant difficiles à lire avec certitude :
53 n° 10 : Sulaymân, fils du malik Yaghâwî, ou Naghâwî, etc. (509 ah/1115 ad).
54 n° 11a et 11b : ’A’ishâ, fille du malik Kûrî (Korey ?) (511 ah/1117 ad).
55 n° 21 : Fâtima, fille du malik Mâmâ, ou Yâmâ, ou Nâmâ, etc. (520 ah/1126 ad).
56 n° 22 : (…illisible), fille du malik K.N.K.Î, ou K.N.K. (536 ah/1142 ad).
57 Cette série putative, qui est faite de trois filles et d’un fils de malik, mais d’aucun malik en tant que tel, couvre une période courte. Les règnes de muluk (pl. de malik) évoqués sont datables de la fin du ve ah/xie ad et du début du vie ah/xiie siècles ad. En dehors de l’observation de noms en partie islamiques et en partie africains, il est difficile d’en dire plus sur cette série d’autant plus importante qu’elle constitue la strate la plus ancienne.
58 La catégorie des later muluk (494 ah/1100 ad-600 ah/1203 ad [25])
59 La catégorie des « derniers rois » se compose de quatre inscriptions. La majeure partie des débats sur l’épigraphie royale a porté précisément sur ces quatre inscriptions qui comportent la mention de personnages masculins qualifiés, eux aussi, de muluk. Les stèles portant les inscriptions 1 et 4 furent importées d’Almeria : elles sont en marbre et gravées en relief en caractères coufiques. Les inscriptions 13 a et 13 b sont aussi en caractères coufiques en relief, mais de facture locale. À ces quatre, PFMF ajoute la stèle n° 23, qui mentionne le même nom ancestral que trois d’entre elles, Zâghî (ou Zâghay), et en donne la graphie la plus lisible (qui élimine clairement d’autres hypothèses de lecture de Sauvaget, comme « Râ’î » – § 391-397).
60 Il s’agit, dans l’ordre chronologique, des personnages suivants :
61 n° 1 : Malik… Abû Abd Allâh Muhammad b. Zâghî (ou Zâghay) (494 ah/1100 ad).
62 n° 4 : Malik… Abû Bakr ibn Abû Quhâfa (503 ah/1110 ad).
63 n° 13a et 13b : Malik… Yâmâ b. K. mâ (Kûma, ou Kamâ, Kimâ, Gumâ, Komâ’î) b. Zâghî ou Zâghay, connu comme ’Umar b. al-Khattâb (514Aah/1120 ad).
64 n° 23 : Malik Fandâ b. ARBNY(Aru Banî ?) b. Zâghî ou Zâghay (600 ah/1203 ad).
65 Comme l’avait remarqué Sauvaget dès 1948, les trois premiers rois de cette série ont une double dénomination comportant, dans l’ordre, les noms islamiques des trois premiers dirigeants de l’islam : le Prophète Muhammad, fils de ’Abd Allâh, et les deux premiers califes Abû Bakr ibn Abû Quhâfa et ’Umar b. al-Khattâb (§ 384).
66 On a pu se demander s’il ne s’agissait pas là de noms de convertis, mais, en ce cas, les noms non islamiques auraient disparu du nom complet. On a moins remarqué, écrit PFMF, que ce type de succession à la direction de la communauté musulmane naissante n’était pas dynastique, et qu’il avait pu en être de même à Saney (§ 386).
67 Aucun de ces noms n’est attesté dans les sources narratives, à part celui de Qandâ dont al-Bakrî (460 ah/1068 ad) qualifie le roi de Gao, et qui peut être aussi lu Fandâ (les lettres fa et qaf ne diffèrent que par un point). Ce nom de Fandâ, présent dans l’inscription n° 23, figure aussi dans la stèle n° 18, celle d’une reine (malika), « fille de Fandâ », ou « Qandâ » (il n’y a pas de point), difficile à dater, mais que PFMF, d’après le contexte, situe approximativement entre 530 ah (1135 ad) et 550 ah (1155 ad) (§ 405). Compte tenu de l’éloignement chronologique entre les datations des deux épitaphes, il ne peut s’agir d’un même personnage, mais, au moins, d’une récurrence significative [26].
68 Le nom ancestral Zâghî (ou Zâghay) constitue le point commun de quatre de ces cinq inscriptions de later muluk. Cependant, l’inscription n° 23 se distingue des précédentes par plusieurs caractéristiques : d’une part, elle est nettement plus tardive ; d’autre part, elle est étrangère à la série « califale » du début (§ 393-395). Enfin PFMF montre comment ces muluk aux noms califaux reçoivent, en outre, des titulatures emphatiques habituellement réservées à de grands personnages, et dont il n’y a pas trace dans l’inscription n° 23. Le malik Muhammad est qualifié de al-Nâsir li-dîni Allâh (« celui qui donne la victoire à la religion de Dieu ») et al-Mutawakkil ’alâ Allâh (« celui qui s’en remet à Dieu »), le malik Abû Bakr est qualifié, de même, de al-Nâsir li-dîni Allâh et al-Mutawakkil bi Allâh, le malik Yâmâ porte les mêmes qualificatifs auxquels s’ajoutent al-Qâ’im bi amr Allâh (« celui qui accomplit le commandement de Dieu ») et al-Mujâhid fî sabîl Allâh (« celui qui mène le jihâd dans le chemin de Dieu »). Ce sont là des titulatures prestigieuses portées par les califes des plus grandes dynasties de l’Islam (§§ 413 et 414). On pourrait y voir le signe d’une prétention, au niveau local, de la part d’une famille régnante ayant atteint un certain niveau de puissance. En ce cas, les rois de Saney ne seraient pas de petits chefs comme on a pu parfois le penser. PFMF, notant que l’importation de stèles d’Almeria a cessé, y voit plutôt un signe de déclin : c’est, en effet, une stèle locale qui porte l’inscription la plus « prétentieuse » (§ 413). Il est difficile de savoir si l’absence de nouvelles stèles venues d’Almeria est un signe de décadence. Quoi qu’il en soit, un modèle de titulature a été assimilé et reproduit.
69 Aucune de ces inscriptions ne fait mention d’ancêtre ayant régné. Le nom ancestral qui apparaît (Zâghî, ou Zâghay), et qui peut être celui d’un ascendant direct, mais aussi plus distant, semble ici jouer une fonction de légitimation (§ 381-393), comme si le pouvoir revenait à des descendants de ce personnage, sans qu’il y ait nécessairement succession en ligne directe. PFMF y verrait volontiers le signe d’une succession par rotation entre branches d’un même clan (§ 401). La réapparition du même nom origine, à 83 années solaires de distance, dans l’inscription n° 23, constituerait un indice supplémentaire fort de l’existence d’un clan dirigeant se réclamant d’une même figure (§ 393).
70 Comme on le voit, ces deux séries de muluk, fondées sur les épitaphes de huit personnages dans un champ chronologique de moins de deux siècles, sont le produit d’un effort de construction et de mise en forme de la part de l’auteur. À défaut d’autres indices pour expliquer le passage de l’une à l’autre, PFMF a relevé et retenu une coupure explicative possible entre les deux « dynasties » autour d’une expédition menée par les Almoravides contre Tâdmakka (§ 409). L’information est elle-même le résultat d’une interprétation, par John Hunwick [27], d’un passage d’al-Zuhrî (ca. 532 ah/1137 ad) et la date de cette affaire se situerait le plus vraisemblablement en 476 ah (1083-1084 ad). La conquête de Tâdmakka par les Sunnites Almoravides, aidés de Ghâna, aurait éliminé toute influence ibâdite et frayé la voie au développement d’une épigraphie funéraire islamique. PFMF reconnaît cependant que « the epigraphic record at Essuk shows no recognisable sign of this attack, and nothing is precisely known about its consequences » (§ 354). Les premières stèles funéraires datées à Es-Souk remontent à 407 ah ou 409 ah (1017 ou 1019 ad), donc à une période nettement antérieure – au moins deux générations – à cette victoire du sunnisme.
71 En faisant de cet événement – enfoui dans le texte d’un seul auteur arabe (il est vrai précieux à différents égards) – un tournant majeur (§ 409), et en le projetant sur la situation à Gao, en retenant et en affichant cette date extérieure comme césure chronologique entre les earlier muluk et les later muluk à Gao [28], il nous semble que PFMF force un peu le trait. Il est vrai que les dates épigraphiées des stèles des fils et filles d’earlier muluk s’étendent de 509 ah/1115 ad à 536 ah/1142 ad – ce qui peut s’accorder avec une telle chronologie. Il en de même pour le premier des later muluk dont la tombe est datée de 494 ah/1100 ad. Mais c’est plutôt à Tâdmakka/Es-Souk, où on ne la retrouve pas, que l’on attendrait une telle césure. À Gao, elle reste spéculative.
72 Cette question de l’expédition almoravide sur Tâdmakka et de son rôle dans l’histoire de la région fait partie d’une question plus vaste qui est celle du facteur almoravide dans l’histoire de Gao. On pourrait considérer que les deux stèles venues d’Almeria (n° 1 : 494 ah/1100 ad et n° 4 : 503 ah/1110 ad) sont la conséquence d’une mise en relations plus étroite avec l’Espagne facilitée par l’expédition almoravide sur Tâdmakka (1084 ad) – qui commande l’accès de Gao au commerce transssaharien –, puis par la conquête d’al-Andalus par les Almoravides (1086-1100 ad), qui crée un grand axe de communication unifié de l’Espagne musulmane à l’Afrique sahélienne. C’est cette position, déjà relevée par l’historiographie antérieure, que retient ici PFMF lorsqu’il écrit : « C’est pendant le temps de leur [Almoravides] domination sur al-Andalus que des pierres tombales en marbre gravées furent exportées d’Almeria à Saney, apportant ainsi de façon passagère l’influence de l’épigraphie funéraire ibérique jusqu’à la Boucle du Niger. Mais les Almoravides ne se sont guère livrés à la fabrication d’épitaphes pour eux-mêmes » (§ 297). Paradoxalement ces Sunnites « anti-épigraphistes » que représentaient les Almoravides auraient induit une influence épigraphique venue d’Espagne. Or PFMF rappelle aussi comment la cité-État d’Almeria (al-Marîya), héritière des ambitions impériales du califat umayyade de Cordoue, avait gardé des intérêts importants du côté de l’Afrique (§ 261). C’est précisément à Almeria qu’al-Bakrî termine son Kitâb, en 460 ah/1068 ad (avant la conquête almoravide), et l’on doit donc, en sens inverse du chemin parcouru par les stèles d’Almeria vers Gao un peu avant 1100 ad, être particulièrement attentif à ce qu’al-Bakrî rapporte, trente ans avant 1100 ad, à propos de Gao : « Le roi porte le nom de Qandâ… Quand un roi accède au trône, on lui remet un anneau portant un cachet, un sabre et un Coran, qui, comme ils l’affirment, leur furent envoyés par l’amîr al-muminîn [le calife – titre du calife umayyade d’Espagne en ce cas]. Leur roi est un musulman, car ils ne confient la fonction de roi qu’à des musulmans [29] ». Les qualificatifs emphatiques qui figurent sur les deux stèles (n° 1 et 4) venues d’Almeria, et qui seront repris sur des stèles de facture locale, ont été portés, entre autres, mais notamment en ce qui nous concerne, pour la sphère d’Almeria, par les califes umayyades de Cordoue, comme le rappelle aussi PFMF (§ 413) [30]. La relation privilégiée avec al-Andalus à l’époque umayyade est donc inscrite dans ces échanges. Elle est antérieure aux Almoravides, même si ses effets se poursuivent quelque temps après la conquête almoravide.
73 Il nous semble donc que le repère de 1084 ad ne devrait pas être surestimé. Si l’on mesure bien, à la fois dans les sources arabes et dans les stèles, les influences qui ont pu venir du monde arabe, notamment d’al-Andalus, jusqu’à Gao, on a du mal à identifier l’apport almoravide dans les différentes traces disponibles. PFMF y reviendra, et nous avec lui.
74
PFMF aborde une autre question difficile, celle de la dynastie
la plus ancienne mentionnée dans les chroniques de Tombouctou, les Zâ ou Zuwâ.
Il apparaît, et c’est une constatation de grande importance, que dix
inscriptions fournissant une information sur des Zu’a/Zuwâ sont disponibles
dans le corpus – huit provenant de Saney, une de Gao ou Saney, et la dernière
de Gao (§ 422). Ce sont les suivantes :
-
n° 14 : « Ceci est la tombe de Zâ/Zu’a b.
al-malika Hakkiya (?)… » (521
ah/1127
ad).
Il s’agit donc du fils d’une malika, le nom du père n’étant pas mentionné – ce qui mérite d’être remarqué dans un contexte funéraire islamique. La filiation royale matrilinéaire est ici celle qui prime. -
n° 20 « Ceci est la tombe de ’Umar. Il est mort, ’Umar b.
Zuwâ Abiyâ (ou Abayâ, etc.) ».
Cette inscription illisible ne comporte pas de date. - n° 24 : « Ceci est la tombe de Zuwâ (le mot suivant n’est pas lisible) » (648 ah/ 1251 ad).
- n° 25a : « Ceci est la tombe de A’isha bint (« fille de ») malik Zuwâ Kayna [31] » (650 ah/1253 ad).
- n° 93 : « Ceci est la tombe de Juwâ b. HNDWÂ » (654 ah/1256 ad).
- n° 26 : « Ceci est la tombe de Yâmâ Kûrâ/Kwarâ/Kûrî, fils du malik Rwâ » (lire très probablement : Zuwâ, les lettres râ et zâ ne se distinguant que par un point), (663 ah/1264-1265 ad).
- n° 27 : « Ceci est la tombe de Zuwâ b. MBWRM » (667 ah/1269 ad).
- n° 28 : « Ceci est la tombe de Zuwâ b. ARHM » (678 ah/1280 ad, ou 698 ah/1299 ad).
- n° 29 : « Ceci est la tombe de Zuw (â b.) ARKN » (la date est illisible).
- n° 91 : « Ceci est la tombe de Zuwâ b. ’A (bd) Allâh » (la date est illisible).
75 Un nouvel argument significatif est avancé par PFMF à l’appui de sa démonstration sur les Zuwâ. Dans ce qu’on appelle la Notice historique, un texte anonyme écrit entre 1657 et 1669 ad, publié en appendice II de l’édition du Ta’rîkh al-Fattash par O. Houdas et M. Delafosse (1913-1914), et dont l’original arabe est perdu, on trouve – immédiatement après le nom du fondateur mythique Zu’a Alayman – la mention d’un roi dont le nom est transcrit en français « Dioua Oua’aï » par Houdas et Delafosse. À partir de ce nom traduit, inconnu dans les autres chroniques, PFMF suggère une reconstitution du nom arabe originel sous la forme *Wa’ay, avec une possibilité de passage à la forme *Zaghay compte tenu de la proximité graphique entre les lettres waw et za, et ’ayn et ghayn (§§ 431-438). Cette lecture est rendue plausible par le nom figurant, après Zuwâ Alayman, dans la liste royale donnée, de son côté, par le Ta’rîkh al-Sûdân : Zuwâ ZKY, transcrit Zakî, ou Zakoi selon les traducteurs. PFMF propose dès lors une lecture Zakî ou Zakay qui, si l’on considère qu’un phonème songhay /g/, inexistant en arabe, a pu être transcrit, selon les cas, par les lettres kaf ou ghayn (§ 434), nous mène à une nouvelle lecture *Zaghay, laquelle concorderait bien, en ce cas, avec celle de l’autre source reconstituée. Celle-ci permet à son tour d’établir un lien direct avec le nom ancestral Zaghay figurant sur les stèles des later muluk. Il est vrai, cependant, que c’est là la seule concordance onomastique avec les noms figurant dans les listes des chroniques. Pour autant, la démonstration, digne d’une investigation romanesque, est éclatante et convaincante.
76 Plusieurs conclusions peuvent être tirées de ces constatations. On remarque tout d’abord la contemporanéité chronologique entre les séries des Zuwâ des stèles et une partie des later muluk du même corpus épigraphié. La première épitaphe d’un Zuwâ (n° 14) est datée de 521 ah (1127 ad), soit sept ans seulement après le décès de Yâma/’Umar, le dernier de la première partie des later muluk, ceux qui portent des titres califaux.
77 D’autre part, on doit s’interroger sur la nature des fonctions de ces Zuwâ. Dans deux cas (inscriptions n° 25a et 26), les Zuwâ (pères de défunts) sont qualifiés de muluk, et, dans un autre (n° 14), un Zu’a est le fils d’une malika.
78 Les deux seuls Zuwâ qualifiés de muluk se situent au milieu du viie ah/xiiie siècle ad, comme si – hypothèse de travail, précise nettement PFMF – les Zuwâ des stèles avaient d’abord coexisté avec la seconde partie des later muluk, peut-être comme titulaires de fonctions politico-rituelles, peut-être, ajouterons-nous, comme princes du lignage royal étendu, avant de devenir eux-mêmes muluk à la fin de cette période – à moins, autre hypothèse, qu’ils n’aient été des chefs locaux indépendants dans un paysage politique local plus morcelé (§ 430). Cette « malikisation » finale des Zuwâ est d’ailleurs tout sauf définitive puisqu’il y a au moins deux Zuwâ de la deuxième moitié du viie siècle ah/xiiie siècle ad qui ne sont pas davantage qualifiés de muluk.
79 S’agissant de la localisation des stèles, PFMF note que quelques Zuwâ ont été enterrés à Gao alors que la majorité d’entre eux sont inhumés à Saney. Il en conclut, d’abord, que ces rois devaient résider à Gao mais, pour la plupart, étaient enterrés à Saney (§§ 428-429). Il remarque aussi que, à deux reprises, des noms de Zuwâ dans les manuscrits du Ta’rîkh al-Sûdân sont accompagnés de la mention de Tintâ Sanay, ou d’une graphie proche [33]. Un tel qualificatif, qui semble bien établir un rattachement à un lieu nommé « Sanay » ou « Sinay », pourrait indiquer, selon les hypothèses, une résidence ou une sépulture à Saney, voire un éclatement en deux branches localisées, l’une à Gao et l’autre à Saney, d’où la nisba (qualificatif de lien géographique) mentionnant, pour certains de ces muluk, une relation avec Saney (§ 429).
80 Une série de conclusions plus générales peut être tirée de ce débat complexe. Tout d’abord, les inscriptions funéraires signalent une première série de earlier muluk jusqu’alors ignorés de tous. La plus ancienne dynastie mentionnée par les chroniques de Tombouctou, celle des Zuwâ, viendrait donc seulement ensuite. Ce nom de Zuwâ, qui occupe une place importante à l’origine de la royauté songhay dans les chroniques, figure effectivement sur dix inscriptions de Gao et Saney. Il existe, en outre, une certaine contemporanéité chronologique entre elles et ceux que PFMF désigne comme les later muluk (du moins les derniers d’entre eux) qui, eux, se distinguent, sur les stèles épigraphiées, par la mention d’un ancêtre origine nommé Zâghay. Un *Zaghay semble bien, d’autre part, être le nom qui vient en deuxième position dans la série des Zuwâ des chroniques. Ainsi des passerelles, étroites mais fiables, sont-elles établies, de façon méthodique, entre l’épigraphie et les chroniques de Tombouctou. C’était là, on le sait, le rêve déçu des traducteurs des inscriptions des années 1940 et 1950. À propos de ce Zâghî/Zâghay, si grande est d’ailleurs la conviction de PFMF « qu’aucun roi du nom de Zâghî/Zâghay a jamais régné » (§ 435) – puisque les stèles ne le désignent pas comme malik – et que ce nom ne serait pas autre chose que celui de l’ancêtre tribal/origine du clan royal –, que la mise au jour du nom *Zaghay, en deuxième position, dans la série des Zuwâ des chroniques de Tombouctou, ne l’incite en aucune manière (peur d’une lecture « positiviste » ?) à l’identifier à la fois comme un régnant et comme l’ancêtre origine des noms figurant sur les stèles.
81 On sait que le Ta’rîkh al-Sûdân note 14 rois avant la conversion à l’islam (400 ah/1009-1010 ad) et que ce Zuwâ *Zaghay est présenté comme le deuxième, soit par conséquent, bien avant l’an mil ad dans une telle configuration chronologique, mais c’est là le temps du mythe. Réciproquement, le premier b. Zâghî (ou Zâghay) de l’épigraphie remonte à 494 ah/1100 ad. Serait-il vraiment imprudent de reconnaître, dans le deuxième Zuwâ des chroniques, le Zâghay éponyme de la série épigraphique ? L’ancêtre éponyme (apical ancestor, écrit PFMF) des later muluk serait-il présent au début des strates dynastiques des chroniques ainsi décryptées ? PFMF, qui a tout fait pour arriver à une telle concordance, hésite cependant à franchir le pas. On respectera sa prudence.
82 Différentes formes de correspondances arrivent donc à être établies entre les deux corpus parallèles, épigraphie et chroniques, mais cela ne va pas sans difficultés. En particulier, les deux premières dynasties Zuwâ et Sonni, selon les chroniques, ne coïncident pas avec les deux séries de earlier et later muluk établies par PFMF à partir de l’épigraphie. Les auteurs de la Notice Historique et du Ta’rîkh al-Sûdân auraient donc effectivement, par l’intermédiaire de leurs propres sources, une connaissance lointaine mais morcelée de ces dynastes passés. Ainsi, le nom de *Zaghay reconstitué, placé au début de leurs listes royales, en serait la preuve, sans que l’on puisse risquer une plus grande fusion des données. Le nom de Zuwâ, attesté par les inscriptions, et célébré par les chroniques, en serait une seconde trace. Mais les auteurs des chroniques projettent en amont les Zuwâ jusqu’à couvrir toute la période ancienne : ainsi, là où les chroniques mettent en place une première dynastie de Zâ, ou Zuwâ, les inscriptions épigraphiques autorisent à distinguer au moins deux séries : les earlier muluk, totalement ignorés par les chroniques et la vulgate historique, et antérieurs au Zuwâ, et les later muluk, entièrement confondus par les chroniques avec les Zuwâ. Pourtant, d’après l’épigraphie, ces derniers ne seraient qu’une section mal identifiée de l’appareil de pouvoir local, mais aussi, dans au moins deux cas, eux-mêmes des muluk.
83 Il existe encore une difficulté majeure dans l’établissement de telles passerelles entre les deux familles de sources. Alors que les inscriptions montrent que earlier muluk, later muluk et Zuwâ sont tous enterrés à Gao ou Saney, le Ta’rîkh al-Sûdân, et, après lui, avec plus d’insistance, la vulgate historique, considéraient que Kukyia (Bentyia) était le berceau de la royauté songhay. C’est de là que les Zuwâ auraient ensuite fait mouvement vers Gao. Or, il n’existe aucune trace de Zuwâ dans le riche corpus épigraphique mis au jour à Bentyia (33 inscriptions datées avant 1400 ad, réparties sur 3 sites épigraphiques différents).
84 En fait, le Tarîkh al-Sûdân ne dit pas clairement où les premiers Zuwâ vivaient. Il affirme seulement que le fondateur mythique, Zuwâ Alayaman, avec son frère, venus du Yémen, errèrent jusqu’à ce que « le destin les amène à la ville de Kukyia, sur la rive du fleuve, au pays de Songhay. Kukyia est très ancienne, ayant existé depuis le temps de Pharoah/Fir’awn (Pharaon) [34] ».
85 Kukyia, site identifié aujourd’hui sous le nom de Bentyia, est alors un endroit stratégique important. C’est un lieu de rupture de charges, juste en aval des rapides de Fafa et Labbezenga, là où les barques doivent être déchargées et transportées pour continuer leur chemin [35]. Un marché a dû exister là depuis une date difficile à déterminer. Une route de commerce ancienne menant jusqu’à Igbo-Ukwu et Ifé, au sud-est du Nigeria, devait passer par Kukyia. Le site est aussi connu comme source d’ivoire d’hippopotame au Moyen Âge (§ 441) [36]. Ce n’était donc pas un cul-de-sac, mais un lieu d’escale et de diffusion pour les diasporas commerciales qui, venues du nord de la Boucle du Fleuve et du Sahara, menaient leurs affaires jusqu’aux pays du Sud (routes de la kola et de l’ivoire notamment).
86 À l’époque des Ta’rîkh, et sans doute, entre autres raisons, parce que l’avènement de la dynastie askyia avait refoulé vers le sud-est divers praticiens des cultes païens, les Sohance, la ville de Kukyia, reliée mythiquement, on l’a vu, au « temps de Pharaon », a été présentée par ces chroniqueurs du xviie siècle comme un foyer de paganisme ancien (§ 443). Ici encore, les deux familles de sources cessent de s’accorder. En fait l’épigraphie montre que Kukyia fut, au Moyen Âge, le lieu d’une ou plusieurs communautés musulmanes actives (wangara) et elle renverse donc complètement l’image, transmise comme une évidence, d’une Kukyia, berceau et conservatoire d’un vieux Songhay païen.
87 Nouvelle difficulté : les épitaphes de la zone de Gao-Saney, comme celles de Bentyia, ne laissent aucune trace de la dynastie des Sonni. C’est une lacune importante, on dirait presque, dommageable, pour la crédibilité des nouvelles sources. Si elles ont révélé un Zâghay et des Zuwâ, à plus forte raison devraient-elles faire surgir des Sonni, la dynastie fondatrice de la puissance songhay naissante. PFMF propose, en conséquence, une reconstitution audacieuse destinée à rendre sa place à la dynastie manquante.
88 PFMF admet tout d’abord que les Sonni (Sonyi), ou Sii, devaient être originaires de Kukyia, ainsi que l’affirme le Ta’rîkh al-Fattash, qui leur donne en outre une ascendance wangara, et il ajoute qu’ils avaient dû devenir les dirigeants locaux de Kukyia sous la tutelle du Mali (voir ses arguments, §§ 448 sq.). Ce lien avec le monde wangara est rendu plausible par l’existence d’une puissante colonie wangara à Kukyia, révélée précisément par les stèles épigraphiées. En conséquence, l’émergence des Sonni ne serait pas seulement celle d’un pouvoir guerrier, mais elle serait également liée à un contexte économique, à l’activité d’un foyer de marchands musulmans (§ 541), dont les inscriptions nous montrent brusquement l’existence et l’importance. Tout ceci est, en effet, très éclairant et convaincant.
89 Cependant, sur la nature de l’exercice du pouvoir à Kukyia, les indices sont rares. Deux inscriptions seulement signalent l’existence de fonctions locales, dans lesquelles PFMF propose de voir une preuve en creux de la présence des Sonni, même si ceux-ci ne sont pas nommés. L’inscription n° 234, datée de 824 ah (1421 ad), est celle d’un wazîr, donc d’un ministre royal, dont le nom serait Muhammad Aryû zammo Kawkaw [37]. Une deuxième inscription (n° 226), datée de 815 ah (1412 ad), fait référence au « khâtib ’Umar Beere, fils d’al-Hâjj Mûsâ ». Un khâtib prononce le prêche du vendredi et fait mention, à cette occasion, du nom du souverain régnant. PFMF veut voir dans ces deux inscriptions la preuve de l’existence d’une part, pour la première, d’une organisation monarchique locale, d’autre part, pour la seconde, d’une communauté musulmane bien organisée. « Compte tenu des dates », écrit PFMF, « ceux-ci (les chefs locaux) étaient, sans aucun doute, les Sii ou Sonyi, dont les rites funéraires propres restaient non-islamiques », ce qui expliquerait l’absence d’épitaphes (§ 452). Ainsi, par une série de glissements et d’hypothèses, les Sonni, complètement absents de l’épigraphie, se trouvent réintégrés dans cette histoire grâce à une interprétation dirigée de ces deux inscriptions qui, sans être invraisemblable, a peut-être l’inconvénient de chercher à tout prix une concordance entre l’appareil des chroniques et celui des inscriptions – danger dont PFMF a fort bien montré, par ailleurs, les effets de brouillage. On rappellera, comme le mentionne lui-même PFMF, que seul le Tarîkh al-Fattash place les débuts des Sonni à Kukyia, alors que la Notice Historique les fait originaires de Gao (§ 448), et que le Ta’rîkh al-Sûdân n’en dit rien. En dépit de cette mise en évidence du facteur wangara à propos de l’origine des Sonni, l’enchaînement d’indices reste encore limité. En réalité, les Sonni sont les grands absents de cette épigraphie, à Kukyia, comme à Gao et à Saney, et rien ne permet de les réintégrer dans les traces épigraphiées actuelles. On peut, tout au plus, considérer que les rites animistes les ont privés de stèles épigraphiées (§ 452), ou bien que des stèles de Sonni, dans une éventuelle nécropole royale encore inconnue, restent à découvrir, à moins, ajouterons-nous, que l’avènement des Askyias ait entraîné un « effacement » de leurs tombes. Leur absence est, en tout cas, remarquable. Telles sont certaines des limitations les plus évidentes de cette épigraphie, celles mêmes qui avaient détourné Delafosse.
90 Il est vrai que, sur cette dynastie des Sonni, et sur son fondateur, ’Alî Kulun, PFMF apporte au débat de nouveaux éléments qui peuvent transformer la vision des historiens.
91 Pour PFMF, ’Alî Kulun, dont l’historicité est contestable (§ 165), serait plutôt l’exemple classique d’un nom qui existe pour définir et illustrer un personnage (« a character » § 169), et non celui d’une personne historique. PFMPF rappelle, comme il a déjà été montré à propos des Zuwâ, que les listes des chroniques sont construites de façon à remonter le plus loin possible dans le temps et qu’elles sont donc, conformément au genre, « peuplées » de noms d’origines diverses : chefs réels connus par des sources intermédiaires aussi bien que personnages fictifs, voire romanesques, empruntés au folklore ou au mythe. ’Alî Kulun serait précisément l’un de ceux-ci. Pour comprendre la lecture qui est faite de ce personnage fondateur, il convient d’abord de remonter à un modèle jusqu’alors oublié, emprunté à la culture touareg. PFMF insiste, à cet égard, sur les liens culturels, souvent sous-estimés, entre Songhay et Touareg. L’espace même couvert par les inscriptions est un indice, parmi d’autres, de cette proximité entre les uns et les autres. Selon lui, les récits sur l’origine des premiers Sonni/Sii/Sonyi montrent précisément l’importance d’influences touareg dans les traditions songhay.
92 Les contes touareg célèbrent, en effet, un personnage nommé Aligurran, réputé pour son intelligence et son astuce. Aligurran est aux prises avec les ambitions du fils de sa sœur, comme tel son successeur matrilinéaire naturel, et il arrive, par ses ruses, à s’en défaire temporairement, avant d’être tué par ce dernier. Le neveu élimine en même temps la concurrence du fils d’Aligurran, qui avait soutenu son père (§§ 173-184). PFMF voit dans le cycle d’Aligurran une matrice littéraire pour l’histoire songhay.
93 L’exemple central de cette adaptation du conte, plus aisé à comprendre que l’application qui en est faite à ’Alî Kulun, et sur laquelle nous reviendrons ensuite, est celui du renversement du fils de Sonni Ali, et de la dynastie des Sonni/Sonyi par l’askyia Muhammad, fondateur de la « troisième dynastie », selon la vulgate historique. L’histoire d’Aligurran, tout en célébrant l’oncle et ses stratagèmes, légitime la prise du pouvoir par le neveu et l’éviction du fils. C’est exactement ce que l’askyia Muhammad a fait dans le cadre de l’empire songhay. Et si, selon les chroniques, il est vrai qu’il n’est pas personnellement l’auteur de la mort de Sonni Ali, toute cette affaire est présentée comme celle d’une rivalité et d’un coup de force qu’il s’agit ensuite, à tout prix, de valider. Tandis que les chroniques de Tombouctou invoquent plutôt des modes de légitimation islamiques, les traditions orales songhay s’approprient le schéma de la légende d’Aligurran : Maamar (diminutif de Muhammad, nom donné à l’askyia) est présenté comme le neveu utérin de Sonni Ali. Comme Aligurran, Sonni Ali est informé par les devins qu’un fils de sa sœur le tuera et prendra sa place. Comme Aligurran, il fait tuer tous les nouveau-nés [38], mais, comme dans la légende d’Aligurran, Maamar est sauvé grâce à la substitution du fils d’une femme esclave. À l’exemple du neveu d’Aligurran dans le récit touareg, Maamar devient un serviteur à la cour de son « oncle », qu’il inquiète par ses talents précoces. À la fin de l’histoire ainsi contée, Maamar assassine le Sii et devient roi (§ 205). L’empreinte du modèle d’Aligurran (« Aligurran paradigm », § 204) dans les versions orales et populaires du grand affrontement entre les deux figures majeures de l’histoire songhay paraît, en effet, incontestable. Par contre, dans les chroniques de Tombouctou, un tel modèle littéraire est supplanté par l’argumentaire islamique : la mécréance du Sii, le soutien des ’ulamâ’ à l’askyia Muhammad, le pèlerinage de l’askyia et les modes de légitimation islamiques qu’il recherche. L’askyia Muhammad est un officier de Sonni Ali, non son parent ni son successeur naturel. Ce sont là deux langages distincts, entre lesquels on se gardera de trancher.
94 Il y a donc, sous-jacente, une structure littéraire à l’œuvre qui n’est explicitement mentionnée ni par l’épigraphie, ni par les chroniques de Tombouctou, mais que l’écart entre les deux types de sources permet d’intégrer à cette remise en chantier de l’histoire de la Boucle. Le cas de ’Alî Kulun, auquel on peut maintenant revenir, est moins facile à décrypter. PFMF débusque cependant, à son propos, et cette fois dans les chroniques de Tombouctou elle-même, une trace plus obscure de la geste d’Aligurran en la personne de ce fondateur même de la dynastie Sonni, désigné par les chroniques sous le nom de ’Alî Kolân, (ou ’Alî Kulun, ou Ali Gulum). Selon le Ta’rîkh al-Sûdân et la Notice Historique, c’est lui qui aurait libéré le pays songhay de la domination du Mali. Son frère et successeur, Silmân Nâri, aurait poursuivi son œuvre.
95 D’après le Ta’rîkh al-Sûdân, ’Alî Kulun et son frère et successeur Silmân Nâri sont nés, la même nuit, de deux sœurs. C’est, au matin, celui des deux qui fut lavé le premier qui fut considéré l’aîné. Ce thème des deux frères, rappelle PFMF, n’est pas spécifique et se retrouve ailleurs, notamment en Afrique de l’Ouest. Pour PFMF, Silmân Nâri est plus un double de ’Alî Kulun qu’un roi concret. Et si Nâri veut bien dire, en songhay, « stupide, simple d’esprit », ce ne serait donc que la figure renversée du frère ’Alî, réputé, lui, pour son intelligence (§ 170).
96 Bien que ces deux frères ne soient pas rivaux, l’existence d’une paire fondatrice – qui trouve ses homologues tout au long de l’histoire songhay, dans les fondateurs de la dynastie Zuwâ (Alayman arrive au Songhay accompagné d’un frère anonyme), dans la dynastie Sonni elle-même (Sonni Ali est le successeur immédiat et le « second » de Sulaymân Daama qui, selon le Ta’rîkh al-Fattash, lance les premières attaques sur la province malienne de Méma) et dans la dynastie askia (l’askia al-Hâjj Muhammad et son frère ’Umar Koma-Zâgha, ou Koma-Diakha) (§ 188-190) – montre que les chroniques de Tombouctou, également, tissent une histoire selon des modèles culturels et littéraires. Le doute créé par le récit autour de l’identité du premier né pourrait symboliser, et annoncer aussi, de façon allusive, comme dans d’autres mythes royaux ouest-africains, l’émergence d’un concurrent futur (§ 187). En effet, s’il n’est pas sûr que ’Alî Kulun soit l’aîné, c’est l’ordre dynastique lui-même qui comporte une faille originelle, ou, du moins, une structure en paire qui devient ensuite récurrente.
97 Il va de soi que le nom de ’Alî Kulun/Gulum évoque surtout irrésistiblement, par rapprochement phonétique, celui d’Aligurran. Les chroniques de Tombouctou présentent ’Alî Kulun comme un héros rusé et courageux, à l’égal d’Aligurran, mais les rôles sont différents. C’est ’Alî Kulun, venu servir un temps à la cour du mansa du Mali, qui est dans la position du cadet du conte touareg, en mettant fin à la domination de l’aîné malien sur son pays.
98 Dans le chapitre 2 de l’introduction historique, consacré à la déconstruction des chroniques de Tombouctou, PFMF, attentif au poids de l’oralité, y compris dans ces sources écrites longtemps sacralisées, s’attache à montrer l’importance de ces grilles culturelles et littéraires dans la confection des listes royales. Ainsi ’Alî Kulun, comme l’ensemble du dispositif des chroniques, n’est pas le produit d’une mémoire historique « brute ». ’Alî Kulun incarne un rôle (la rupture avec le Mali, la fondation d’une nouvelle dynastie). Il représente, aux yeux des chroniqueurs, le chaînon nécessaire dans le passage d’une dynastie à une autre (§ 171). Depuis sa magistrale démonstration sur le commerce à la muette comme rhétorique mythique et stéréotypée [39], on connaît la passion de PFMF pour démasquer tout ce qui, sous les habits de la mémoire, raconte une histoire, et non pas l’histoire.
99 Les récits d’origine de la royauté songhay empruntent donc à des mythes et représentations culturelles qui traversent toute la zone, à des récits oraux aussi bien touareg que songhay. Il y a, dans l’invention de cette histoire songhay primitive, une ingéniosité faite d’apports multiples. Le génie des chroniqueurs de Tombouctou a été d’en faire un récit cohérent traversant les siècles. ’Alî Kulun n’échappe pas à cette grande révision. Aucune stèle de lui ne vient donc confirmer son existence. On ne saurait s’en étonner.
100 À travers ce long développement, on s’est un peu éloigné du temps de l’épigraphie. Cependant, dans cette enquête sur les influences touareg, l’épigraphie reprend tous ses droits à l’occasion d’une découverte qui remet en chantier l’un des acquis des chroniques. « Ce n’est pas seulement la légende de ’Alî Kulun qui dérive de motifs tirés des histoires d’Aligurran. Ces motifs sont aussi l’une des racines du titre askyia », écrit PFMF (§ 191). La signification de ce terme, utilisé pour désigner le fondateur de la dernière dynastie songhay, a toujours suscité un certain nombre d’interrogations. Le Ta’rîkh al-Sûdân considère qu’il fut créé lors de la naissance de la nouvelle dynastie. Le Ta’rîkh al-Fattash affirme, au contraire, que le terme askyia était déjà en usage sous Sonni Ali (fin XVe) et était porté par un chef d’expéditions militaires (§ 197). Or PFMF en retrouve la trace, d’abord, dans le cycle d’Aligurran. On a vu qu’Aligurran, mis en garde par les devins, a fait tuer tous les nouveau-nés masculins de sa sœur. Mais la mère procède à un échange avec le fils d’une femme esclave. Ce neveu caché, nommé Adelasaq (entre autres formes de son nom), est donc élevé comme un ashku, terme tamashaq qui désigne un enfant esclave ou un jeune esclave [40]. Né et élevé dans la famille de ses maîtres, un ashku est, à la différence des prisonniers capturés à la guerre, un familier et un esclave de confiance. Déjà Delafosse avait noté que les Touareg affirmaient que le titre royal d’askyia signifiait « jeune esclave » dans leur langue. PFMF retrouve aussi une forme songhay de ce mot, asitya, avec le même sens d’esclave, dans un conte de la région. L’asitya du conte songhaï apparaît comme le serviteur de confiance de son maître Dinga. Dupuis-Yakouba, en publiant ce conte, avait aussi attiré l’attention sur le lien possible entre le titre dynastique et le qualificatif asitya désignant l’esclave de Dinga dans le récit (§ 194-195) [41].
101
Les découvertes épigraphiques relancent le débat en montrant
assez spectaculairement que le titre était effectivement porté à une époque
antérieure à l’avènement de l’askyia Muhammad, comme l’indique le
Ta’rîkh al-Fattash, et, qui est plus
est, à une période encore plus haute que celle désignée par la chronique. Il
s’agit des inscriptions n° 62 et 63 trouvées sur le site de Gao ancien (Old
Gao) :
-
n° 62 : « Ceci est la tombe de YGHZY, fils de Askiyâ (ou Is
(i)kiyâ) Awbyâ (ou Awbayâ, etc.) » – 631 ah (1234 ad).
Cette inscription non publiée est conservée seulement par un estampage de De Gironcourt. -
n° 63 : « Ceci est la tombe de Y’… (illisible), ou Ygh…
(illisible), fils de Askiyâ (ou Is (i)kiyâ) (illisible) » – date incomplète et
illisible.
Cette inscription figure sur une stèle non publiée photographiée par Colin Flight et PFMF au Musée National de Bamako en 1972.
102 La preuve est donc faite que ce titre existait, à Gao, deux siècles et demi avant la prise du pouvoir par l’Askyia Muhammad. Compte tenu de ces différents éléments, PFMF propose un scénario plausible. Le terme askyia aurait d’abord été le titre d’un esclave de confiance, en charge, notamment, des chevaux (comme dans le conte de Dinga). La présence et le rôle important d’esclaves royaux sont d’ailleurs bien attestés au Mali comme au Songhay à l’époque médiévale. Le titre aurait fini par désigner un chef militaire proche du roi (§ 199) – et peut-être perdre sa marque servile ?
103 PFMF consacre, en parallèle, un long développement à la figure de l’Askyia Muhammad dans les traditions orales songhay, présenté par elles à la fois comme un descendant des Sonni par sa mère et des maîtres des esprits du fleuve par son père. Des étymologies de circonstance du titre d’askyia apparaissent dans ces constructions (§ 214-216) qui visent toutes à légitimer le « meurtre » de Sonni Ali et l’accession du nouveau souverain au pouvoir. Il s’agit, pour elles, de réintégrer la figure de celui qui a brisé l’ordre existant dans une nouvelle configuration légitime.
104 Ces « détours » minutieux par le cycle touareg d’Aligurran et par les traditions orales songhaï dessinent une « contre-histoire », tout aussi construite que celle des chroniques de Tombouctou, au moyen de laquelle les distinctions, jadis rigides, entre les textes écrits et les versions orales se brouillent. Les auteurs des chroniques de Tombouctou sont imprégnés, eux aussi, de modèles culturels et de récits d’origine orale qui sont loin d’être tous islamiques. Une lecture purement événementielle et chronologique de leur récit ne pourrait qu’effacer tout ce processus littéraire d’invention du passé. Non que ce passé reconstruit soit entièrement fictif. C’est plutôt sa trame qui est en cause et la manière dont les auteurs ont sélectionné et tissé un récit. En remettant en question de façon indirecte cette façade apparemment cohérente et définitive, l’épigraphie ouvre un nouvel espace et une possibilité de « dissidence », et c’est cette remise en cause de la vulgate historique qui conduit à ce parcours nettement plus complexe [42], dans un entrelacs de sources où se mêlent archétypes, récits culturels, mythes et traces de différentes natures.
105 Les arcanes de l’histoire songhay ne sauraient cependant nous éloigner de l’une des ressources majeures de ce corpus. Stèles et inscriptions nous parlent d’islam. Ces inscriptions représentent le seul corpus qui existe en Afrique de l’Ouest composé de textes datables remontant à l’époque médiévale. Elles sont antérieures à toutes les chroniques historiques de la région et même, pour une partie d’entre elles, à certains des grands textes de la géographie arabe. Elles permettent donc de suivre à la « trace » la diffusion de l’islam dans cette partie de l’Afrique sud- et sub-saharienne, avec une fraîcheur que n’ont pas d’autres relations éloignées dans l’espace ou dans le temps. Ces inscriptions se présentent comme autant de messages dédiés à la célébration du monothéisme coranique. PFMF met cependant en garde contre une lecture trop classique d’un processus d’islamisation qui partirait du monde arabe, chercherait essentiellement à retrouver des paradigmes centraux et ignorerait les spécificités des formes acculturées de l’islam au Sahel (§ 73).
106 Sur le plan chronologique, le corpus actuel s’ouvre avec une inscription (n° 106) provenant des falaises situées au sud-est d’Es-Souk, que PFMF analyse comme une véritable profession de foi. Cette inscription en trois lignes, d’un format d’environ 40 cm (hauteur maximum) x 85 cm (largeur maximum), proclame simplement : « Ceci est l’année 404 » – soit, dans le calendrier grégorien, la période qui s’étend du 13 juillet 1013 au 2 juillet 1014 ad. Semblable proclamation d’une année du calendrier islamique sur une des falaises proches d’Es-Souk constitue une sorte d’affirmation militante et propagandiste « naïve » en plein désert. Une seconde inscription corrobore cet intérêt exclusif pour le calendrier islamique. Il s’agit de l’inscription n° 157, provenant d’une nécropole située au nord-est d’Es-Souk, et qui n’est associée à aucun nom de défunt (§ 461). Simplement, après les formules introductives usuelles et une citation coranique de circonstance sur le caractère éphémère de « tout ce qui est sur la terre », le texte gravé énonce : « Le commencement de l’année 557 ah (21 décembre 1161 ad) ». On ne sait ce que commémore cette datation, sinon sans doute le désir du scripteur d’annoncer la nouvelle année. Ici encore, la célébration du calendrier islamique est une fin en soi, un objet de dévotion qui occupe dans l’inscription une place égale à celle de la citation coranique (§ 461). Plusieurs inscriptions du corpus, sur plusieurs sites, donnent un nom à ce calendrier en évoquant l’ « Ère du Prophète » (ta’rîkh al-nabî) (§ 462). Une seule fois, dans la même nécropole au nord-est d’Es-Souk (n° 161-642 ah/1245 ad), l’expression utilisée est l’ « Ère de Dieu » (ta’rîkh Allah) (§ 462), et une autre fois, toujours dans cette même nécropole (inscription n° 160 – 639 ah/1242 ad), on trouve la formulation l’« Ère du Prophète H. » (H. pour hijriyya, « hégirienne ») (§ 463). Il faudrait y regarder de plus près, mais visiblement, cette nécropole, en particulier, et le site d’Es-Souk, de façon plus générale, apparaissent comme un lieu privilégié de réception du calendrier islamique.
107 PFMF perçoit dans cet affichage du calendrier hégirien, qui parcourt la majeure partie des stèles épigraphiées, un acte de foi ostentatoire et un signe délibérément manifesté d’appartenance au monde islamique : « Les déclarations épigraphiques sont passionnément orientées en direction de l’extérieur, le monde islamique au nord et à l’est du Sahara. L’accent mis sur la synchronie avec le temps vectoriel de ce monde-là est le trait le plus frappant de l’épigraphie médiévale au Sahel » (préface, p. 25). PFMF y voit l’une de ces « stratégies d’extraversion » (préface, p. 26) propres à différentes sociétés, en Afrique et ailleurs, qui donnent la priorité à l’intégration dans un ensemble extérieur plus vaste. Ici, aux limites du monde musulman, le calendrier hégirien joue le rôle de marqueur de l’appartenance et de l’identité. Comme l’écrit encore PFMF, « sur les 151 inscriptions de cet ouvrage dans lesquelles, soit le siècle est noté et lisible, soit des mots précédant ou suivant une date érodée restent déchiffrables, pas moins de 118 mettent un accent inhabituel sur leur adhésion au calendrier islamique universel. C’est la caractéristique rhétorique la plus frappante du corpus épigraphique médiéval du Mali. Le calendrier a été utilisé pour plus que la datation des événements » (§ 459). La « pédagogie » du calendrier vient dès lors, dans ce corpus, au premier rang des formes et modes de diffusion du message coranique. C’est peut-être la rupture la plus radicale avec la société anté-islamique, en même temps qu’une référence indispensable à l’organisation d’une communauté musulmane (fixation des fêtes annuelles, des mois du jeûne et du pèlerinage). L’imposition du calendrier est donc bien un acte inaugural fondamental.
108 PFMF construit, à partir de cette observation, une périodisation possible de la diffusion de l’islam dans cette zone. La première période serait celle du calendrier affiché et des shahâda [43]-s proclamées sur les stèles. Plus tard, ces caractéristiques s’estompent. Le texte des stèles change. L’ère islamique n’est plus mentionnée. PFMF suppose qu’il y a alors un changement dans la manière dont les musulmans de la région signifient leur appartenance et leur participation à l’œcoumène islamique : ainsi des dates de décès qui ne sont pas mentionnées, mais où figure seulement l’âge des défunts (§ 365). C’est le cas, en particulier, des inscriptions n° 182, 183 et 187 sur le site de Junhan – comme si le temps social et communautaire islamique était devenu désormais la norme et la mesure du temps individuel, avec des vies « pesées » et comptées en années de l’Ère prophétique [44].
109 Dans l’inscription n° 182, PFMF détecte, en outre, d’éventuelles traces d’influence sûfî. Le texte donne, en effet, au père du défunt, un nommé Muhammad, le même nom et la même nisba qu’une figure emblématique de la pensée musulmane et sûfî, Abû Hâmid al-Ghazâlî (451 ah/1059 ad – 505 ah/1111 ad) [45]. À partir de cette observation, PFMF rapproche l’inscription n° 182 de deux autres, n° 85 (Gao ancien) et 235 (Bentyia), où figure la même nisba inhabituelle al-Ghazâlî, pour y reconnaître les marques d’un langage nouveau d’inspiration sûfî (§ 364-373). Récapitulons ici ces trois textes, qui ne sont connus que par les estampages de De Gironcourt :
110 N° 85 : « Ceci est la tombe de Muhammad, fils de Muhammad al-Hâshimî (…illisible), appelé (aussi) ATÂBR (ou ATÂFR), fils de Muhammad Ahmad, fils d’al-Bakrî, fils de Muhammad b. ANG, fils de Bâbakar b. Agh… (illisible), fils d’al-Ghazâlî. Que Dieu ait pitié de tous ! » (Gao ancien).
111 Cette inscription, non datée, qui contient une nisba Ghazâlî, et comporte des mentions récurrentes des noms du Prophète : Muhammad, Ahmad, al-Hâshimî, peut indiquer une dévotion particulière à l’endroit du Prophète et du modèle muhammadien. On notera aussi la présence de noms berbères.
112 N° 182 : Après la basmala [46], « ceci est la tombe de Muhammad, fils de Abû Hamid al-Ghazâlî. Il est mort. Il avait 63 ans… » (Junhan).
113 C’est cette inscription, non datée, illustrée par la nisba al-Ghazâlî, qui ouvre la « piste sûfî ».
114 N° 235 : « Au nom de Dieu. Que Dieu bénisse le noble (karîm) Muhammad. Ceci est la tombe de Mahammad b. Muhammad, fils de Ayya – surnommé (laqaban) Ibn Âbâb – b. Hamma-Hamma b. al-Qâra’i (?) b. Mahammad, fils de Mahmûd b. al-Ghazâlî… » (Bentyia)
115 Cette inscription non datée insiste visiblement sur la dévotion à Muhammad, dont le nom est repris cinq fois dans la lignée (sous les formes Muhammad, Mahammad, Mahmûd et Hamma). PFMF note que, contrairement à d’autres stèles, la miséricorde de Dieu envers les défunts n’est même pas invoquée.
116 PFMF remarque d’autres affinités entre ces trois inscriptions dans le style d’écriture et dans la forme des lettres. De même, le démonstratif hâdhâ est-il écrit conformément aux normes de l’arabe classique, ce qui n’est pas courant dans l’épigraphie de Bentyia. Faut-il voir là une tradition commune à travers ces trois sites nettement distants ? PFMF note aussi, d’après Norris [47], que les appellations al-Ghazâlî, al-Bakrî [48], Ibn Ayya (ou Agg Ayya) apparaissent dans les généalogies de savants et lettrés Kel Es-Souk et de propagateurs de la confrérie Qâdiriyya.
117
La conclusion de PFMF mérite d’être citée intégralement
:
S’agissant de trois inscriptions non datées, uniques dans chacun des trois sites concernés, eux-mêmes à une certaine distance l’un de l’autre, c’est une hypothèse assurément suggestive mais ambitieuse. S’agit-il vraiment, comme le suggère PFMF, d’un lignage (berbère) constitué en tant que tel, ou d’un réseau d’enseignants (lignée spirituelle de maîtres à disciples), ou encore d’une éponymie adoptée par des personnes ou des groupes « ghazâliens » le long de cet axe nord-sud ? La nisba Ghazâlî pourrait, en effet, être aussi un nom adopté, emblématique, renvoyant à une figure sacralisée et à un type d’enseignement diffusé dans l’arc oriental de la Boucle. PFMF ajoute à ce propos que l’ « on peut concevoir que la confrérie et la discipline sûfî ont pu fournir le cadre organisationnel pour de nouvelles activités économiques, aidant les gens à gagner leur subsistance » (§ 365). Mais ne serait-ce pas là un « cliché confrérique » un peu anachronique ? La propagation d’idées sûfî est, en effet, distincte de celle des confréries, dont la chronologie généralement retenue aujourd’hui, y compris celle de la Qâdiriyya, est plus tardive [50]. La circulation d’idées et de personnes avec l’Égypte, attestée, pour la deuxième moitié du xve siècle, par la correspondance d’al-Suyûtî [51], est l’un des vecteurs par lequel les personnes, les concepts et les pratiques sûfî ont, assurément, pu pénétrer les milieux musulmans subsahariens, mais avec une fluidité des acteurs qui précède la structuration confrérique ultérieure [52]. Les « confréries » sont aussi, pour les époques hautes, des « réinventions du passé [53] ».« On peut soutenir que le moyen le plus simple de donner un sens à ces matériaux épigraphiques et oraux [49] est de postuler qu’un lignage d’enseignants se réclamant d’un ancêtre appelé « al-Ghazâlî » et associé, à la fois, à un style distinctif d’inscription arabe et un type distinctif de praxis islamique (soufisme), s’est répandu à partir de Junhan (et peut-être d’autres endroits de l’Adagh) et acquit une notoriété le long des bords du Fleuve, à Gao et Kukyia/Bentyia.
Selon le plan publié par De Gironcourt, l’inscription n° 235 (comme toutes les autres stèles déplacées à Tombouctou) venait de la partie médiévale du Grand Cimetière de Bentyia. Par conséquent, il est probable qu’elle ne fut pas gravée plus tard que le ixe siècle ah/xve siècle ad. S’il en est ainsi, l’inscription n° 235 est la preuve que certains des éléments onomastiques et généalogiques utilisés dans la construction des généalogies sûfî, et autres, étudiés par Norris, étaient déjà en circulation dans ce siècle-là, même si nombre de ses informateurs ont daté ces généalogies d’un ou deux siècles plus tard. Ceci peut avoir des implications sur la chronologie de la diffusion du soufisme dans la région. Mais, en tout cas, les historiens doivent reconnaître pour la première fois que Gao et Kukyia/Bentyia ont joué un rôle dans cette diffusion ».
118 Il reste cette hypothèse de travail selon laquelle ces trois inscriptions pourraient être le signe d’un changement et d’un tournant dans la diffusion de l’islam et les pratiques islamiques de la région : après une première phase illustrée par l’affichage du calendrier hégirien, viendrait une seconde dans laquelle une attitude dévotionnelle à l’égard du Prophète et la référence à al-Ghazâlî, accompagnées d’un repli du calendrier, constitueraient les signes les plus tangibles d’un nouvel ethos. Cette piste séduisante repose sur une intuition qu’il appartiendra aux découvertes et recherches ultérieures de valider. Comme PFMF le montre par ailleurs, la mention du calendrier hégirien continue encore à figurer à une époque tardive à Bentyia : la dernière datation mentionnée dans cette ville est, en effet, de 894 ah (1489 ad). À Gao [54], par contre, la date terminale actuellement connue est celle de 766 ah (1364 ad) [55], et, encore plus tôt, à la fin du xiiie siècle ad, à Saney. Il y a donc là des rythmes et des occurrences multiples et distinctes qui se côtoient et qui exposent constamment l’analyse à la fois à la nécessité et au risque de la surinterprétation. Comme l’écrit PFMF à propos des inscriptions royales, et le propos peut être étendu : « We may speculate – and all we can do is speculate, given the nature of the data » (§ 400). Ces deux âges de la diffusion de l’islam valent donc comme spéculation érudite dans un domaine où l’épigraphie n’apporte, pour le moment, que des traces très succinctes.
119 Une autre inscription mérite d’être associée à cette réflexion sur l’évolution de l’islam dans la région. Il s’agit de l’inscription n° 202 (Bentyia), photographiée par PFMF en 1982 et 1983, et qui est absente du corpus De Gironcourt. Après une succession de citations coraniques relatives à l’enseignement islamique sur la nature de la vie en ce monde, la mort, le Jugement et la majesté divine, cette inscription se termine par « Ô Dieu ! Sois satisfait de (?) et pardonne (?) à Abû Bakr, et ’Umar, et ’Uthmân, et ’Alî, fils de Abû Talib. Que Dieu les bénisse tous ! ». Cette énumération des quatre califes rashidûn (« Bien Guidés ») est, comme le note PFMF, une profession de sunnisme (commentaire de l’inscription n° 202, p. 171), sans que l’on puisse d’ailleurs y voir une charge explicite contre des souvenirs éventuels d’ibadisme [56] dans la zone, ni, non plus, un effet particulier de l’expansion almoravide. Cette inscription n’est pas datée, ce qui rend encore plus difficile son commentaire. Tout au plus peut-on noter que les autres inscriptions datées du même site (Petit Cimetière) se situent dans le dernier tiers du xiiie siècle ad. Pourquoi une telle affirmation de sunnisme à Bentyia à une date qui resterait à consolider ? Ici encore le souci d’interprétation bute sur le caractère unique et non datée de l’inscription.
120 D’autres pièces utiles sont encore à verser au dossier de l’islamisation de la région. Nombre de stèles se présentent comme de véritables leçons sur les fondamentaux de l’islam, citations coraniques à l’appui, et elles doivent donc être lues et appréciées comme telles.
121
Nous retiendrons plus particulièrement l’inscription n° 152b
(Es-Souk), non datée mais associée sur la même tombe, et pour le même défunt, à
l’inscription n° 152a – qui est, elle, datée de 443
ah (1052
ad). Elle contient un véritable «
catéchisme » islamique en sept points :
Le texte est assurément adapté aux circonstances (l’enseignement sur la mort et la Résurrection), mais il énonce clairement des points distinctifs de la doctrine, à la fois la shahâda et les topoi habituels sur l’après-vie, lesquels constituent encore souvent, jusqu’à une période récente, les éléments de base d’une prédication élémentaire à des auditeurs africains à convertir [58]. Les mêmes thèmes parcourent l’ensemble de l’épigraphie funéraire, sans d’ailleurs qu’un modèle unique s’impose.« Au nom de Dieu, Celui qui fait miséricorde, le Miséricordieux. Muhammad b. Malik est mort. Il attestait qu’il n’y a de dieu que Dieu, seul, sans associé, et que Muhammad est le serviteur de Dieu et Son Envoyé, et que le Paradis (janna) est véridique, et que le Feu (nâr) est véridique, et que la Résurrection (ba’th) (des morts) est véridique, et que vraiment « Dieu ressuscitera ceux qui sont dans les tombes [57] ».
122 La liste des « citations et allusions coraniques » (p. 219-220) illustre cette fluidité. Ces références sont au nombre de cinquante. Trois d’entre elles font l’objet d’une fréquence particulière : sourate III, verset 185 : « Toute âme goûtera la mort : vous recevrez sûrement votre rétribution le jour de la Résurrection » – sourate 28, verset 88 : « N’invoque aucune autre divinité avec Dieu. Il n’y a de dieu que Lui ! Toute chose périt, à l’exception de Sa Face. Le jugement Lui appartient. Vous serez ramenés à Lui » – sourate LV, versets 26-27 : « Tout ce qui se trouve sur la terre disparaîtra. La face de ton Seigneur subsiste, pleine de majesté et de munificence ». PFMF rappelle que Coran III, 185 est fréquemment utilisé dans l’épigraphie funéraire à travers tout le monde musulman à partir des années 500 ah/1100 ad, avec une occurrence plus ancienne (270 ah/883 ad) à Kairouan (Qayrawân) (§ 508). La première citation de Coran III, 185 dans le corpus figure dans l’inscription n° 33b.1 (Saney, 481 ah/1088 ad).
123 Cet appareil coranique pose à l’historien un certain nombre de questions. Il atteste de la diffusion et de la connaissance du Livre coranique, selon des modes qui restent inconnus, où se combinent certainement mémorisation, récitation et copie. Rappelons que le livre est rare et cher au Sahara et au Sahel pendant tout le Moyen Âge, et le restera encore longtemps. Ces stèles nous parlent donc aussi de la circulation du Coran. Peut-être conviendrait-il, dans un travail ultérieur, de dresser une liste des références coraniques dans l’ordre chronologique de leur mention, avec l’indication des lieux de découverte, puis de cartographier les résultats. Nous pourrions ainsi reconnaître d’éventuelles lignes de diffusion du livre coranique dans son ensemble, et de certaines références en particulier. Sauf erreur, la première référence coranique dans le corpus, précisément à Coran, XXI, 35 et XXIX, 57, figure dans l’inscription n° 152a (Es-Souk) : « Toute âme (nafs) goûtera la mort » (443 ah/1052 ad). Il ne s’agit donc que d’un bref extrait, mais PFMF note des allusions à VI, 62, XXVIII, 88, XXIX, 57 et XL, 43 dans la suite de l’inscription, qui signalent une connaissance plus large du texte, du moins sur une telle thématique. D’autre part, la seconde stèle qui figure sur cette tombe, mentionne également Coran, XXII, 7. Il n’est pas surprenant qu’au milieu du xie siècle ad, le texte coranique soit connu dans un centre aussi important que Tâdmakka/Es-Souk. Du moins est-ce la trace et la preuve concrète la plus ancienne que nous ayons de cette connaissance.
124 Une autre question importante porte sur la manière dont on a pu passer à cette forme particulière d’écrit que représente l’épigraphie. Les lettrés spécialistes de l’écrit étaient rares au Sahel au xie siècle et ceux qui pouvaient graver des lettres dans la pierre l’étaient encore plus.
125 Si l’on admet qu’il ait pu y avoir des modèles et des influences extérieurs, PFMF démontre tout d’abord que ceux-ci ne sont pas à rechercher là où on avait antérieurement cru les trouver : ni chez les Almoravides, qui étaient anti-épigraphistes comme les Ibâdites, leurs adversaires, ni en Espagne musulmane, mais du côté des capitales arabes les plus proches, Tripoli et Kairouan. PFMF rappelle les traditions épigraphiques de ces deux centres et remarque des analogies stylistiques dans l’écriture qui renvoient à des contacts avec ces deux villes (§ 303). Ce n’est que brièvement, à la fin du ve siècle ah/xie siècle ad, que s’ajouta l’influence de l’épigraphie funéraire d’al-Andalus (§ 303-305), qui mobilisa si fort l’attention à partir de la découverte, à Saney, de trois stèles royales venue d’Almeria, et d’autres inscriptions locales dans le même style coufique andalou. Grâce à cette analyse, les stèles en marbre d’Almeria deviennent ainsi des cas remarquables, mais particuliers, et cessent de prendre une valeur de repère pour l’ensemble du phénomène épigraphique.
126 Si l’on excepte, en effet, ces stèles importées d’Almeria, toutes les inscriptions recueillies entre Bentyia et l’Adagh sont des productions locales. Selon PFMF, les inscriptions sahéliennes ont été gravées par des professionnels recrutés pour la circonstance dans d’autres métiers, celui des forgerons principalement (§ 74). « D’après une description qui fut rédigée pour De Gironcourt en 1912 (…), mais qui correspond bien avec l’évidence matérielle sur les stèles médiévales, on demanda à ces artisans « empruntés » de ciseler dans la pierre l’écriture tracée dessus avec de l’encre par un lettré » (ibid.). De telles conditions expliquent que les textes puissent comporter des erreurs de copie et que l’ensemble de la production soit de qualité bien inférieure à celle du monde arabe, réalisée, elle, par des professionnels. C’est la découverte des inscriptions venues d’Almeria qui, en rehaussant le niveau artistique et la qualité de l’écriture, a attiré l’attention de spécialistes du monde arabe central et redonné à leurs yeux un peu de lustre à cette production jugée médiocre selon les standards alors en vigueur (§§ 74-76).
127 L’action de dresser des stèles épigraphiées en arabe, sans parler des autres inscriptions, représente donc une innovation majeure, un signe identitaire fort, une marque de distinction sociale. Ces stèles nous parlent de figures oubliées de ces communautés musulmanes naissantes. Les mentions sont insuffisantes pour dresser un inventaire complet. On aurait besoin d’en savoir plus sur les premières mosquées (ce que seule l’archéologie pourra nous livrer) et sur le personnel religieux en place. On a vu la mention d’un khatîb (inscription n° 226, 815 ah/1412 ad) et de plusieurs faqîh [59]-s (inscriptions n° 34, Saney, 483 ah/1090 ad ; n° 124, Es-Souk, 484 ah/1091 ad ; n° 183 et 185, Junhan, non datées), mais pas celle d’imâms, ni de muezzins ou de lecteurs du Coran. On trouve cependant la mention de pèlerins, autre signe important de l’enracinement, au sud du Sahara, des cinq piliers de l’islam, et notamment du plus ardu d’entre eux. Le titre al-Hâjj apparaît dans quatre inscriptions de Saney (n°s 33a.1, 33a.2, 33b.1 et 33b.2) et dans quatre inscriptions de Bentyia (n° 189, 191, 212 et 226) (§ 551).
128 Saney, n° 33a.1, 33a.2, 33b.1 et 33b.2. Ces quatre inscriptions sur deux stèles, gravées des deux côtés, placées sur la même tombe, commémorent la même personne. Cette surabondance de signes extérieurs peut indiquer un statut particulier de la défunte. Il s’agit d’une femme nommée Makkîya, fille de Hasan al-Hâjj (481 ah/1088 ad), dont on ne sait rien de plus. On ne peut s’empêcher de remarquer que cette fille de hâjj est qualifiée de « Mecquoise », ce qui semble redoubler la référence à la ville sacrée.
129 Bentyia, n° 189 : al-Hâjj Mûs (â), fils de Awkâr (ou Awgâr, etc.) – 672 ah (1273 ad).
130 Bentyia, n° 191 : al-Hâjj, fils de K… (illisible) – 677 ah (1278 ad).
131 Bentyia, n° 212 : Lajji ’Umar b… (illisible) – 752 ah (1351 ad). Lajji, note PFMF, est une forme abrégée du mot al-Hâjj (§ 551). Est-ce à dire que le terme est déjà entré dans un usage courant au milieu du xive siècle ad, et, en tout cas, que le scribe n’a su le transcrire que phonétiquement ?
132 Bentyia, n° 226 : le khatîb ’Umar Beere, fils de al-Hâjj Mûsâ – 815 ah (1412 ad).
133 Cinq personnes sur quatre siècles et demi, c’est évidemment insuffisant pour construire une série. On notera du moins que, pour cette femme de la fin du xie siècle ad à Saney, dont nous ignorons d’ailleurs complètement s’il s’agit d’une musulmane arabe ou songhay, c’est apparemment un signe de distinction sociale que d’avoir pour père un hâjj. Il est vrai, nous rappelle PFMF, à propos de ce père, que la mention « al-hâjj » qui suit, au lieu de précéder, le nom personnel, peut être un surnom et non un titre. Tous les dénommés hâjj n’ont pas nécessairement accompli le pèlerinage. Ils peuvent, par exemple, être simplement nés pendant le mois de dhu’l-hijja, le mois du pèlerinage (§ 551).
134 Nous étions accoutumés, d’autre part, aux pèlerinages emblématiques de Mansa Mûsâ et d’autres personnages royaux du Mali, ainsi que de l’Askyia Muhammad du Songhay [60], et l’on pouvait penser que le pèlerinage était, à ces époques hautes, affaire de princes et de grands, avant d’être celle du « tout-venant ». Si ces traces sont convenablement interprétées, la preuve est faite que, peut-être dès le xie siècle ad, et, en tout cas, le xiiie siècle, cette pratique avait commencé à se diffuser « à la base » dans cette partie du Sahara et du Sahel. C’est un autre élément à ajouter à l’actif de ces découvertes.
135 La présence de références à des personnes nommées hâjj dans ce corpus apporte une information fugitive, mais de première main, sur une poignée de pèlerins parmi les plus anciens connus en Afrique de l’Ouest, et donc sur l’intégration de ce nouvel islam du « bout du monde » dans la umma, la communauté musulmane universelle. Le mot umma est absent de l’ouvrage. On ne l’attendait d’ailleurs pas dans ces inscriptions, mais c’est bien ce souci de conformité aux normes de la umma et d’appartenance à celle-ci qui est en jeu dans ce déploiement de signes extérieurs d’islamité, y compris dans la parade qui est faite du calendrier islamique. Il existe, de ce désir fort d’appartenance à la umma, un témoignage où l’imaginaire se mêle à la texture du réel, et sur lequel PFMF revient à plusieurs reprises. Dans la partie la plus orientale du groupe d’inscriptions qui se trouve sur les falaises au sud-est d’Es-Souk, là même où se place la désormais fameuse proclamation de l’année 404 ah (1013-1014 ad), figure un texte (inscription n° 104), dont la traduction la plus probable est : « Ceci fut écrit par Ilyas b. Hammâdin/Khammâdin (ou Hammâdî, etc.). Et il lui (lahâ : “à elle”) restera un marché (sûq) en conformité avec Bakka/Makka (autre lecture : “et il lui restera un désir fort (shawq) de Bakka/Makka”) ».
136 PFMF y trouve immédiatement une réminiscence du passage connu d’al-Bakrî selon lequel « Tâdmakka… de toutes les villes du monde est celle qui ressemble le plus à La Mecque. Son nom signifie « celle qui est comme La Mecque [61] ». Nous laisserons ici de côté la critique textuelle de l’inscription [62]. Quelle que soit la lecture retenue, PFMF en conclut, de toute manière, à l’expression du lien idéel (ideational) établi entre La Mecque et le site de l’inscription (§ 489), par l’auteur, cette fois nommé, de cet autre graffiti-proclamation sur les falaises. Pour PFMF, il convient, en outre, de le lire, « non seulement comme une déclaration de sentiment personnel, mais aussi comme un fier slogan urbain, avec une raillerie implicite aux étrangers qui ne partageaient pas les idéaux de la communauté » (§ 8). Quant à Bakka, dans l’hypothèse où la lecture Makka serait douteuse, c’est de toutes manières un synonyme déjà connu de La Mecque et de sa vallée (commentaire de l’inscription n° 104, page 88). Cette inscription peut donc être mise en interaction avec le texte d’al-Bakrî [63], à la différence qu’ici la ressemblance entre La Mecque et Tâdmakka n’est pas un fait inscrit dans la nature des lieux, mais une construction mentale (§ 8). PFMF rappelle, à partir des travaux des berbérisants, que le nom de Tâdmakka a bien le sens, en tamashaq, de quelque chose comme « C’est vraiment La Mecque » (§ 347). Il est probable, dit-il, que les habitants du lieu ont fait la promotion d’un nom qui soulignait qu’à leurs yeux, la ville remplissait dans cette partie du Sahara la même fonction de marché et de berceau de l’islam que La Mecque (§ 346). Il y a donc bien l un échange exemplaire entre le langage de l’inscription et celui de la source arabe narrative. Là où la ressemblance avec La Mecque paraissait être une simple forme dans le paysage, elle devient, grâce à l’inscription, une profession de foi et un discours de fierté locale.
137 Telles sont les manières multiples dont la pénétration de l’islam dans la région peut donc être retracée dans ce corpus. Il y a là une poignée d’inscriptions qui nous en dit davantage que les récits généraux sur des modes concrets d’appropriations de modèles, de pratiques, de discours par ces pionniers d’un islam aux frontières. Mais, comme on vient de le voir, c’est l’effet de rebond entre les deux types de sources qui est le plus stimulant.
138 Bien qu’elles soient écrites en arabe, ces inscriptions ne nous parlent pas seulement d’islam et de références coraniques. Nous ne sommes pas, non plus, en présence de graffiti ou de tombes d’étrangers arabes de passage, comme on pourrait aussi le penser et comme cela a dû parfois être le cas. Partout, les sociétés subsahariennes affleurent dans ces textes. Certes les inscriptions contiennent des formules pieuses conventionnelles, sans grande originalité, mais, en même temps, une partie de ces matériaux « reflète clairement le contexte ethnographique subsaharien dans lequel ces inscriptions ont été produites, et qui consistait largement de traditions indépendantes de l’islam » (§ 7). « En fait, ces inscriptions, ajoute PFMF, contiennent les occurrences les plus précoces connues d’écriture de termes de parenté sans erreur possible songhay. C’est là une contribution significative à la chronologie de cette langue dans la zone de Gao-Saney » (§ 4).
139 PFMF passe en revue les traces de termes et titres africains. Outre les termes songhay, on trouve des traces de manding et de berbère. Au titre de la langue manding, les mots qui figurent sont les suivants :
140 Fûdiki (inscription n° 41 : Muhammad b. Muhammad b. Fûdiki Sulaymân, (Saney, 517 ah/1123 ad, ou 519 ah/1125 ad). Ce mot désigne un juriste islamique. Il est mentionné sous la forme Fûdigi dans le Ta’rîkh al-Fattash, et Fûdiye dans l’un des manuscrits du Ta’rîkh al-Sûdân (§ 538) [64].
141 Wâ : dans deux inscriptions de Bentyiâ (n° 196 : années 670 ah/1271-1281 ad, et 200 : (6)89 ah/1290 ad ?), le nom du défunt est précédé ou suivi par le mot Wâ ou Wa, qui est associé, en manding, aux noms de personnes. En forme suffixée, il peut exprime l’importance (§ 539) [65].
142 Kumba : dans une inscription de Bentyia (n° 209), figure le nom de ’Umar (b. ?) Kumba. Ce mot qui est connu dans les langues manding (litt. « grosse tête ») désigne un nom de branche de lignage ou un surnom de personne (§ 540). La présence d’usages manding à Bentyia est cohérente avec la présence d’une forte communauté wangara révélée par les inscriptions.
143 Au titre de la langue songhay, en dehors des formes askyia, qanda, zuwa, déjà évoquées, on retiendra :
144 les formes wey et weyza. Weyza, signifiant « madame », était utilisé pour les femmes d’un rang social élevé, comme cela est attesté par les deux Ta’rîkh. Dans les dialectes songhay modernes, wey veut simplement dire « femme » (§ 542-543). Dans le corpus de Bentyia, le terme weyza peut être suggéré dans l’inscription n° 229 («…Ceci est la tombe de… z (a) ? fille du faqîh ’Abd Allâh, etc. », 818 ah/1416 ad). Il est attesté clairement dans l’inscription n° 240 (tombe d’une femme nommée KYKR, fille de Sulaymân, « et sa mère est Weyza… » – année de décès illisible [66]), et dans l’inscription n° 228 (« ceci est la tombe de wayja KYKY, sœur de etc. »), la forme wayja [67] étant une simple variante (§ 542). Dans le corpus de Gao, on trouve une occurrence du terme wey dans l’inscription n° 74 (« ceci est la tombe de wey SWÂ/Suwâ/Suwa, fille de etc. » – année de décès illisible) et, sans certitude, dans l’inscription n° 78 (« Ceci est la tombe de WYBY/Waybiya/Waybuya/Wei Buyi ?, fille de etc. » – 607 ah/1210 ad) (§ 543 et commentaires des inscriptions).
145 Kûrî : PFMF note le mot kûrî/korey, qui signifie « bouclier » en songhay (§ 544), et qui figure dans cinq inscriptions : Saney, n°s 11a et 11b : nom d’un malik décédé en 511 ah (1117 ad) ; Saney, n° 15 : Barîqa, fille de Kûrî (534 ah/1140 ad) ; Saney n° 26 : « Yâmâ Kûrî, fils du malik Zuwâ [68] etc. » – 663 ah/1264-1265 ad) et Gao, n° 83 : « …b. Kûrî » – sans date, peu lisible, inscription connue seulement par un estampage de De Gironcourt.
146 Aru : dans l’inscription n° 23, PFMF repère l’inscription qui fournit le plus ancien exemple daté d’une expression très certainement songhay : « Ceci est la tombe du malik Fandâ b. ARBNY b. Zâghy » (600 ah/1203 ad). La présence du mot ARBNY (ici en lettres capitales, pour noter la structure consonantique à défaut de vocalisation connue) est conforme à la construction des noms masculins songhay, qui font précéder ceux-ci du mot aru (« homme »). On pourrait alors lire ce nom Aru-Baani (« homme-santé »), ou Aru-Bine (« homme courage ») (§ 545). Le même élément ar/aru se retrouve encore dans plusieurs inscriptions : Saney, n° 28 (« tombe de Zuwâ ARHM » – 698 ah/1280 ad) et 29 (« tombe de Zuw (â b.) ARKN, ou ARKR » – année illisible), et Bentyia n° 234 (« tombe du wazîr ARYW… » – (8)24 ah/1421 ad) (§ 546). Sur ce dernier nom, différentes hypothèses sont formulées (§ 549).
147 Keyna/kayna ou keyne et beere (§ 547) : les deux premiers mots désignent un cadet, frère ou sœur, et le troisième un aîné, également frère ou sœur. Les occurrences de kayna, avec différentes graphies, sont au nombre de trois (§ 547) : Saney, n° 25a (« Â’isha, fille du malik Zuwâ Kâynâ » – 650 ah/1253 ad), Bentyia, n° 207 (« Gh. Kayna » – date illisible) et 238 (« [’Abd al-Ra]hmân… b. Bûbakrîn (b.) Fâtima Kayna, fille de… (illisible) » – sans date). La quatrième possible (Gao, n° 89) est tout sauf sûre (seules figurent les lettres KY). Le terme beere, écrit bîri en arabe dans les chroniques de Tombouctou, figure avec la même orthographe dans trois inscriptions de Bentyia : n° 211 (« Â’isha, fille du faqîh Muhammad Beere » – 696 ah/1296 ad), n° 218 (« (illisible), fille de (illisible) Beere » – 796 ah/1394 ad), n° 226 (« le khatîb ’Umar Beere b. Al-Hâjj Mûsâ » – 815 ah/142 ad).
148 Zammu (§ 548) : Ce mot a déjà été cité. Comme le jamu manding, c’est un « nom de louange », le nom par lequel les personnes sont nommément désignées : Bentyia 234 « le wazîr Muhammad ARYW zammu kawkaw… » – (8)24 ah/1421 ad).
149 Au titre de la langue berbère, plutôt que des noms communs ou des titres, on trouve surtout des noms de personnes, noms d’origine berbère ou noms arabes berbérisés. Une série d’exemples relevés dans les inscriptions et soigneusement commentés est présentée (§§ 554-564), ainsi qu’une analyse des influences berbères sur la structure des noms et l’usage des particules de filiation (§§ 515-526), tel ce mot arraw, qui signifie « fils de » (équivalent du ibn arabe), et qui apparaît dans un graffiti (Es-Souk, n° 105, sans date) : « Ceci a été écrit par Ahmad, arrâw de Sa’îd ».
150 On aura noté la présence de nombreuses femmes dans ces dernières inscriptions. « En raison de la polygamie, écrit PFMF, il était souvent utile de donner le nom de la mère, afin de distinguer entre des fils homonymes du même père » ; d’autre part, « les mères dotées d’ancêtres prestigieux avaient souvent leurs noms inclus dans le nasab (lignée généalogique) de leurs fils » (§ 549). Plusieurs épitaphes de Saney (n° 3a et 3b, 12, 14, 18, 30), on l’a vu, font apparaître des malikât (« reines ») auxquelles certains descendants masculins ou féminins rattachent exclusivement leur nasab (§ 415-421). Une inscription de Bentyia (n° 194 – 678 ah/1280 ad) commémore « Fâtima, fille de Â’isha » sans aucune référence à des ascendants masculins (§ 466), ni d’ailleurs à un lignage prestigieux. Des ancêtres femmes sont mises en évidence de cette manière dans plusieurs inscriptions. PFMF émet l’hypothèse que, notamment dans le cas de Bentyia, des commerçants étrangers ont pris femme sur place et que la mention des femmes permet de rappeler les enracinements locaux des nouveaux lignages (§ 468). Il note aussi les références coraniques qui figurent dans deux épitaphes de femmes, à Bentyia (n°s 233 – 894 ah/1489 ad) et 244 - années 800 ah/1400 ad environ), et où hommes et femmes sont placés à égalité [muslimîn wa muslimât (« musulmans et musulmanes »), mu’minîn wa mu’minât (« croyants et croyantes »), ap. Coran, XXXIII, 35 et LVII, 12], y voyant d’éventuelles connections à des pratiques sûfî ou autres (§ 469). Ce sont aussi, pour des épitaphes de femmes, des citations de circonstance, et, comme on l’a vu ailleurs, la personnalité des défunts ou les circonstances commandent aussi le choix des citations coraniques.
151 Le moment est venu de conclure. Si l’on croit que cette longue analyse a épuisé le sujet, disons tout de suite qu’il n’en est rien. Des questions importantes ont été laissées de côté. Qu’il suffise de les mentionner en rappel, afin de donner à ce travail sa pleine mesure : une discussion sur l’histoire de l’épigraphie islamique, dont les paradigmes ont influencé le traitement des premières inscriptions découvertes (rôle de Van Berchem et Sauvaget) (§§ 15-32 et 84-100), des exposés érudits sur les caractéristiques de l’écriture, du style, de l’orthographe et des formules employées, dont une étude particulière sur l’expression de la date en jours, mois et années (§§ 572-590) [69]. Ces observations composent notamment la deuxième partie de l’ouvrage consacrée aux « caractéristiques textuelles » (plus particulièrement §§ 502-622), que, par choix et nécessité, nous avons évoquées plus occasionnellement, mais qui apportent de nombreuses richesses aux spécialistes de l’épigraphie et de l’écriture arabes.
152 Le bilan est évidemment impressionnant. De ces 250 inscriptions ou groupes d’inscriptions, PFMF est l’inventeur exclusif de 50 d’entre elles, quelquefois en compagnie de Colin Flight ou d’Edmond Bernus, soit le cinquième du corpus, sans parler de toutes celles qu’il a revisitées. L’étude de ces matériaux bouleverse de nombreuses perspectives considérées comme acquises. Bentyia, la vieille métropole païenne, resurgit comme une cité wangara d’islam, de commerce et d’échanges à longue distance, dont le dynamisme a probablement fécondé la première dynastie songhay, celle des Sonni. La connaissance du pouvoir ancien à Gao-Saney s’enrichit d’une liste de nouveaux dynastes, des earlier muluk qui précèdent la « première dynastie » jusqu’alors identifiée, celle des Zuwâ, dont la qualité royale, en revanche, se met à « flotter ». Des malikât et des filiations matrilinéaires prennent aussi une place significative dans le paysage (§§ 415-421 et 466-469). Les berceaux historiques et géographiques de l’État songhay apparaissent aussi profondément marqués par un contact suivi avec les sociétés touareg les plus proches et par des phénomènes de créolisation qui les accompagnent (« creole traditions », §172). En revanche, paradoxe des paradoxes, « aucune inscription du temps de Sonyi ou Sii Ali Beeri, ni de la période de la dynastie askyia, n’a été retrouvée à Gao » (§ 620), et pas davantage à Bentyia. Paradoxe en guise d’avertissement. L’épigraphie ne saurait renverser les rôles au point de s’imposer comme accès unique au passé. Comme l’indique, sans aucune ambiguïté, PFMF : « nous devons nous rappeler dès le départ que les sources épigraphiques ne peuvent remplacer les sources narratives et la recherche archéologique » (§ 374). Ce que l’épigraphie ne peut d’ailleurs nous expliquer, c’est sa propre disparition. PFMF imagine que c’est l’avènement de la dynastie askyia qui, attentive au soutien des lettrés et à la promotion de l’orthodoxie sunnite [70], aurait entraîné l’abandon des épitaphes en pays songhay [71] (§ 621). À Tâdmakka, cependant, ce serait une autre raison, par exemple la ruine de la cité (§ 620), bien que les circonstances en soient obscures (§ 340). Telles sont, à nouveau, les limites de l’interprétation d’un corpus exceptionnel.
153 La découverte par Heinrich Barth d’une version incomplète du Ta’rîkh al-Sûdân, en 1853, fut, pour lui, un éblouissement. Tout un passé ignoré sortait brusquement de l’ombre. Il en résulta, au fil du temps, un discours organisé et construit, qui fixa pour plusieurs générations l’histoire de cette zone. C’est un éblouissement du même genre que ressent l’historien devant ces traces oubliées et, en partie, insoupçonnées qui établissent un contact direct entre l’observateur d’aujourd’hui et les scripteurs du temps passé. Il reste qu’une trace ne parle pas d’elle-même, que ce qu’elle affirme est une construction mentale qui vaut autant par ce qu’elle dit que par ce qu’elle ne dit pas. C’est tout l’art de l’historien de lui donner un sens. Alors peut-elle passer du statut de simple scorie oubliée à celui de source au sens plein du terme. Ce livre nous montre donc aussi comment, en même temps qu’il en est l’inventeur et l’éditeur, Moraes Farias s’est fait l’historien de ces nouvelles sources. Et, si l’on ose dire, ces sources écrites, qui sont désormais les plus anciennes disponibles sur la région, ont donné un « coup de vieux » à nombre de travaux historiques sur cette partie du Sahel. C’est là le signe d’une importante découverte scientifique.
154 L’éveil à l’écriture, ce n’est pas l’« entrée dans l’histoire » – des sociétés politiques organisées, que l’on perçoit de façon fugitive, existent déjà, dont l’archéologie peut se porter également témoin – mais c’est le début d’une passion pour l’écrit arabe dans ce monde songhay qui est un creuset de peuples et un carrefour. À peine la dernière stèle du corpus est-elle dressée (894 ah/1489 ad) que déjà a commencé à se constituer depuis au moins un siècle, grâce aux pèlerinages et aux échanges suivis avec l’Égypte et grâce à la diffusion de la culture écrite dans les milieux urbains commerçants et cosmopolites de la Boucle du Niger, cette corporation de lettrés, d’où sortiront, plus à l’ouest, au milieu du xviie siècle, les auteurs des deux principales chroniques de Tombouctou, Ibn al-Mukhtâr et al-Sa’dî. Ces chroniques, dont il n’y a pas d’équivalent, en Afrique de l’Ouest à la même époque, sont une autre expression de cette exception scripturaire dans cette partie du Sahel. Inscriptions médiévales du xie au xve siècles et chroniques du xviie siècle se relayent ainsi dans cette longue durée de l’écrit local, où la langue arabe est appropriée et utilisée pour les échanges marchands et pour l’enseignement religieux, mais aussi pour conserver la mémoire des défunts, savants et lettrés, chefs et rois, et avec eux, une mémoire d’un passé construit et imaginé. Épitaphes et graffiti ne nous livrent pas une histoire plus « authentique » mais une strate enfouie des représentations sociales à l’œuvre aux origines de l’État songhay, entre Tâdmakka, cette autre Mecque rêvée par ses habitants musulmans, au nord, et Kukyia, la ville origine selon certains mythes songhay, au sud. Le bon usage de l’épigraphie nous apprend ainsi à compter avec des mémoires multiples pour une seule histoire. Les inscriptions agissent là comme un catalyseur. C’est comme si, après un long temps de latence, l’histoire, toute l’histoire, grâce à cette somme de Moraes Farias, reprenait ses droits.
Notes
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[*]
Jean-Louis Triaud est professeur d’histoire de l’Afrique à l’université de Provence (Institut d’Études Africaines, Aix-en-Provence).
-
[1]
Oxford University Press for the British Academy, 2004, 614 pages, 69 pages de reproductions, 14 cartes, 297 mm x 210 mm., Fontes Historiae Africanae, New Series, Sources of African History, 4.
-
[2]
D. Robert, S. Robert et J. Devisse (éd.), Tegdaoust I, Paris, Arts et Métiers Graphiques, 1970.
-
[3]
S. K. McIntosh (ed.), Excavations at Jenne-Jeno, Hambarketolo, and Kanioma (Inland Niger delta, Mali), the 1981 Season, Berkeley, University of California Press, 1995. Voir aussi les autres publications de Susan K. McIntosh, et Roderick J. McIntosh.
-
[4]
Bulletin de l’IFAN, B, 36, 3, p. 511-524.
-
[5]
Nous avons choisi d’écrire Es-Souk selon l’usage francophone le plus courant, et non selon la translittération de l’arabe (al-sûq, as-sûq) ni, selon l’orthographe phonétique adoptée par PFMF ($ssuk).
-
[6]
Comme nous l’expliquerons plus loin, l’ouvrage comporte des paginations multiples. D’autre part, l’introduction historique est numérotée en paragraphes. Pour un accès rapide au volume, nous avons choisi de renvoyer constamment aux passages de l’ouvrage concernés, et notamment aux paragraphes numérotés (§) de cette introduction, véritable synthèse des résultats obtenus et de la recherche menée. Dans certains cas, nous avons traduit de l’anglais des passages de l’auteur (ainsi que des citations utiles empruntées à d’autres auteurs). Nous portons seul la responsabilité de ces traductions.
-
[7]
« (…) the new did not abolish the old. Rather, Tifinagh and Arabic script became parallel resources, each assigned to its own realm and according to conventions of its own. Their relation was kept deliberately tense, but neither impeded the existence of the other, and each catered for different but real needs » (§ 322).
-
[8]
Nehemia Levtzion et J.F.P. Hopkins (ed.), Corpus of Early Arabic Sources for West African History, Cambridge University Press, 1981, p. 50-51.
-
[9]
Esclave dont il eut pour fils le fameux Abû Yazîd, l’« homme à l’âne », le leader d’un soulèvement khârijite en Tunisie en 332 ah (943 ad). Voir N. Levtzion et J.F.P. Hopkins (ed.), Corpus of Early Arabic Sources for West African History, Cambridge University Press, 1981, p. 154 et 158. Des sources ibâdites de la fin du ve siècle ah (xie siècle ad) parlent aussi de commerce à Tâdmakka à partir de la seconde moitié du ive siècle ah (xe siècle ad) (§ 341).
-
[10]
N. Levtzion et J.F.P. Hopkins (ed.), Corpus of Early Arabic Sources for West African History, p. 21. Dans l’ouvrage de PFMF, Al-Ya’qûbî est absent de l’index, mais non de la bibliographie – On remarquera que, selon le même Ibn Hammâd, déjà cité, le commerçant ibâdite, nommé Kîdâd, serait allé jusqu’à Gao et aurait montré son fils (né vers 270 ah/883 ad) à un devin local qui lui aurait annoncé que ce fils « deviendrait un roi » (loc. cit., p. 154 et 396).
-
[11]
Entre 976 et 996 ad, l’Égyptien al-Muhallabî écrit que « leur roi prétend (yuzâhir), devant ses sujets, être un musulman » et ajoute que ses sujets font de même (Voir N. Levtzion et J.F.P. Hopkins (ed.), Corpus of Early Arabic Sources for West African History, p. 174 et 399). Yuzâhir peut signifier : « fait semblant », qui est encore plus fort. Une islamisation « mimétique » précéderait-elle en ce cas une islamisation plus orthodoxe ? On ne sait si ce roi anonyme fait partie des malik-s de l’épigraphie ou, plus probablement, se trouve encore en amont de ceux-ci.
C’est ce même al-Muhallabî, connu seulement par Yâqût (1220 ad), qui écrit que le roi de Kawkaw « a une ville sur le Nil, sur la rive orientale, qui est appelée Sarnâh, où il y a des marchés et des maisons de commerce et en direction de laquelle il y a un commerce continuel de toutes les directions » (Voir N. Levtzion et J.F.P. Hopkins, op. cit., p. 174). Le ta marbûta (t) final n’est pas prononcé, et il est translittéré pour cette raison, par Levtzion, par un h : on lira donc Sarnâh plutôt que Sarnât. Les historiens ont volontiers identifié cette Sarnâh/Sarnâ avec Saney, située effectivement à l’est de la rive orientale, comme, d’ailleurs, la Gao moderne. -
[12]
Voir John O. Hunwick, Timbuktu and the Songhay Empire. Al-Sa’dî’s Ta’rîkh al-Sûdân down to 1613 and other Contemporary Documents, Leiden, Brill, 1999, p. 3-4.
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[13]
Chaque notice, localisée et numérotée, comporte la reproduction du texte arabe, la traduction en anglais et un commentaire précisant les lieux de découverte et les particularités du texte.
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[14]
Paulo Fernando de Moraes Farias, « A letter from Ki-Toro Mahamman Gaani, King of Busa (Borgu, Northern Nigeria) about the “Kisra” stories of origin (c. 1910) », Sudanic Africa, vol. III, 1992, p. 109-132. Les informations qui suivent proviennent de cet article.
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[15]
La technique de l’estampage a été massivement utilisée au xixe siècle pour reproduire et conserver les inscriptions anciennes. Comme elle est aujourd’hui inconnue et absente des dictionnaires, il est intéressant de reproduire ici la présentation qui en est faite dans le tout premier numéro de la Revue Africaine (Alger, 1856), avec un appel à reproduire toutes les inscriptions en latin, grec ou arabe :« Procédé pour l’estampage en papier des inscriptions et même des sculptures dont la saillie ne serait pas trop considérable :
- Nettoyer, en la brossant avec soin, l’inscription ou la sculpture dont on veut prendre l’empreinte ;
- Appliquer dessus une feuille de papier fort non collé dont on se sert dans les imprimeries. Ce n’est qu’à son défaut qu’il faudrait prendre du papier collé qui vaut moins pour cet usage ;
- Mouiller légèrement ce papier avec une éponge humectée, jusqu’à ce qu’il soit devenu parfaitement souple et qu’il se colle sur la pierre qu’on veut estamper ;
- Appuyer sur ce papier une brosse à poils longs et doux, comme celles dont on se sert pour nettoyer les tables ou pour brosser les chapeaux – ces dernières sont peut-être un peu molles. Presser et frapper à petits coups, de façon que le papier entre dans les creux des lettres ou de la sculpture, et qu’il prenne les contours en relief ;
- Laisser sécher aux trois quarts le papier, l’enlever avec précaution de dessus la pierre ; attendre qu’il soit entièrement sec. Alors on peut l’envoyer où l’on veut sans avoir à craindre que l’empreinte s’efface. Il vaut mieux ne pas laisser sécher entièrement le papier sur la pierre, parce que le retrait provenant de la dessiccation le ferait crever.
- Si, pendant qu’on mouille avec l’éponge ou qu’on frappe avec la brosse, le papier se crève, on peut mettre une pièce sur la partie ouverte ; on mouille la pièce, jusqu’à ce qu’elle fasse pâte avec la feuille entière et s’y soude. Elle adhère en séchant, et fait un tout avec la pièce, lorsqu’on la retire ».
-
[16]
Octave Houdas, arabisant, beau-père de Maurice Delafosse, avait publié le texte et la traduction du Ta’rîkh al-Sûdân (1898-1900), ainsi que celle d’une chronique de Tombouctou couvrant la période arma (après 1591), le Tadhkirat al-Nisyân (1899-1901). Celle du Ta’rîkh al-Fattash viendra plus tard, en 1913-1914.
-
[17]
Voir Jean-Louis Triaud, « Le nom de Ghana. Mémoire en exil, mémoire importée, mémoire appropriée », in Jean-Pierre Chrétien et Jean-Louis Triaud (éd.), Histoire d’Afrique. Les enjeux de mémoire, Paris, Karthala, 1999, p. 248-249.
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[18]
On notera que la majeure partie de ces matériaux consultés par Houdas ont été perdus et n’existent plus, y compris les stèles transférées à Tombouctou. Seuls subsistent dans cette série les estampages de De Gironcourt. (PFMF, § 64).
-
[19]
Jean-Louis Triaud, « Haut-Sénégal-Niger, un modèle “positiviste” ? De la coutume à l’histoire : Maurice Delafosse et l’invention de l’histoire africaine », in Jean-Loup Amselle et Emmanuelle Sibeud (dir.), Maurice Delafosse. Entre orientalisme et ethnographie : l’itinéraire d’un africaniste (1870-1926), Paris, Maisonneuve et Larose, 1998, p. 210-232.
-
[20]
Toutes ces indications accompagnent la présentation des inscriptions (3e partie, chap. 5, p. 3-22).
-
[21]
Les sites de Gao et de Saney sont les seuls à avoir fait l’objet de fouilles archéologiques systématiques, sur une longue durée, par Raymond Mauny (années 1950), Colin Flight (années 1970), et T. Insoll (années 1990) (§ 14). Voir, dans la bibliographie de PFMF, les publications de T. Insoll (17 titres entre 1993 et 2000).
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[22]
C’est le titre du chapitre 2 : « Reclaiming Space for Epigraphy from the Timbuktu Chronicles ».
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[23]
Ce terme désigne le pouvoir marocain local, en cours d’enracinement et d’intégration dans la vie de la région.
-
[24]
PFMF, pour sa part, pour des raisons que nous discuterons plus loin, fait terminer la série de ces earlier muluk autour de 1084 ad : « up to c. 476 ah/1083-1084 ad ?) » (p. CLIX). « Tentatively, we assign the end of this series of rulers to c. 476 ah/1083-1084 ad » (§ 409). Nous avons préféré nous en tenir ici à la chronologie figurant sur les stèles.
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[25]
PFMF, pour les mêmes raisons, fait commencer la série des later muluk autour de 1084 ad (p. 161). Nous reprenons, ici aussi, les dates des inscriptions.
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[26]
PFMF note plusieurs explications possibles du terme qandâ en songhay : ganda, qui signifie « sol », « pays » (ap. J. Hunwick) – ganda (« attendre, retarder ») pour un enfant qui s’est fait attendre – ou nom de personne encore courant dans le dialecte de Gao (§ 543). La version fandâ peut aussi détenir une signification : fonda, en songhay, signifie « route » et désigne l’enfant né « en route » (avec un équivalent arabe, le nom Târiq, de même racine que tarîq, « route ») (§ 545). Cette diversité d’interprétations possibles montre que, en l’état, aucune d’entre elles n’est sûre.
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[27]
John Hunwick, « Gao and the Almoravids : a Hypothesis », in B.K. Swartz et R.E. Dumett (ed.), West African Cultures Dynamics, 1980. Le texte d’al-Zuhrî indique que « les habitants de ces deux villes (l’une appelée NSLA et l’autre Tâdimakka) devinrent musulmans sept ans après Ghâna ». Al-Zuhrî est le seul à dater, dans le même texte, la conversion à l’islam des habitants de Ghâna en 469 ah (1076-1077) – selon les manuscrits les plus fiables (Voir N. Levtzion et J.F.P. Hopkins (ed.), Corpus of Early Arabic Sources for West African History, 1981, p. 98-99 et 389). Le même texte montre que Ghâna aurait fait appel aux Almoravides contre les raids des gens de Tâdmakka.
-
[28]
Al-Zuhrî mentionne, par ailleurs, l’existence de Gao (Kawkaw), mais sans autre précision et sans relier cette ville à l’expédition almoravide.
-
[29]
Voir N. Levtzion et J.F.P. Hopkins (ed.), Corpus of Early Arabic Sources for West African History, p. 8.
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[30]
PFMF note aussi une occurrence pour ’Alî b. Yûsuf b. Tâshfîn, le fils du fondateur du mouvement almoravide.
-
[31]
Kayna signifie ici, en langue songhay, « frère cadet » (PFMF, § 428). On retrouve ce qualificatif dans certains noms des listes de Tombouctou.
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[32]
Quelques références permettent de préciser la chronologie de départ de la dynastie Sonni. PFMF rappelle qu’Ibn Battûta, visitant Gao en 754 ah (1353 ad), a trouvé la ville sous la domination effective du Mali. Ibn Khaldûn parle aussi d’une armée envoyée par le Mali pour soumettre une région au-delà de Gao entre 775 ah/1373 ad et 789 ah/1387 ad (§ 240). C’est nécessairement après cette date, donc vers la fin du xive siècle ad, que la dynastie Sonni, dont le fondateur est crédité d’avoir libéré le pays de la domination du Mali, aurait émergé et commencé à régner sur Gao et le Songhay, remplaçant ses prédécesseurs Zuwâ.
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[33]
Liste des Zuwâ du Ta’rîkh al-Sûdân : n° 20 : Zuwâ Nintâ Sanay, ou, selon les manuscrits, Tintâ Sinay, ou N-tâ S-n-y ; n° 23 bis : Zuwâ Tinbâ Sinay, d’après une partie des manuscrits. Voir John O. Hunwick, Timbuktu and the Songhay Empire. Al-Sa’dî’s Ta’rîkh al-Sûdân down to 1613 and other Contemporary Documents, Leiden, Brill, 1999, p. 4, et PFMF, § 429. C. Ralfs est le premier à mentionner ces noms (« Beiträge zur Geschichte und Geographie des Sudan. Eingesandt von Dr Barth », Zeitschrift der Deutschen Morgenländischen Gesellschaft, 1855, 9, p. 518-594). C’est probablement par erreur que l’édition de Hunwick, 1999, ci-dessus, parle de « Rohlfs ».
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[34]
Ta’rîkh al-Sûdân, chapitre 1, in John O. Hunwick, Timbuktu and the Songhay Empire. Al-Sa’dî’s Ta’rîkh al-Sûdân…, 1999, p. 6. Hunwick transcrit Kukiya, PFMF Kukyia. Par souci de cohérence, nous avons gardé la transcription de PFMF.
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[35]
Voir John O. Hunwick, Timbuktu and the Songhay Empire. Al-Sa’dî’s Ta’rîkh al-Sûdân…, 1999, p. 33, et PFMF, § 441.
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[36]
PFMF renvoie aux fouilles de T. Insoll et T. Shaw. (Voir, de ces deux auteurs, « Gao and Igbo-Ukwu Beads, Inter-Regional Trade and Beyond », African Archaeological Review, 1997, 14, 1, p. 9-23).
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[37]
Le nom Aryû renvoie à une racine songhay, et zammo désigne, en songhay, un nom de louange de lignage (comme le jamu malinké). Ici, Kawkaw servirait en quelque sorte de nisba, nom d’origine, comme si ce personnage ou sa famille était originaire de Gao, ou y avait vécu.
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[38]
On retrouve là l’entrecroisement de modèles qui dépassent d’ailleurs l’espace régional et déborde donc l’histoire d’Aligurran. C’est Moïse, qui échappe à l’extermination des nouveau-nés masculins, et est élevé à la cour du pharaon qui persécute son peuple. C’est Jésus, qui échappe au Massacre des Innocents (tous les enfants de moins de deux ans), ordonné par Hérode. Il y a là, de quelque manière qu’on les appelle, des archétypes présents dans de nombreuses cultures.
-
[39]
P. F. de Moraes Farias, « Silent Trade : Myth and historical Evidence », History in Africa, 1974, 1, p. 9-24.
-
[40]
Ce mot a différentes variantes dialectales, dont les formes askiw et eskiw. Par commodité, nous employons ici une translittération simplifiée. PFMF utilise, pour sa part, les signes de l’alphabet phonétique international.
-
[41]
M. Delafosse, Haut-Sénégal-Niger (1912) 1972, II, p. 84 sq. n.1 ; Auguste Dupuis, Essai de méthode pratique pour l’étude de la langue songoï ou songaï, langue commerciale et politique de Tombouctou et du Moyen-Niger, suivie d’une légende en songoï avec traduction et d’un dictionnaire songoï-français, Paris, E. Leroux, 1917, p. 97 sq, n. 1. En dépit de l’homonymie, ce conte de Dinga est sans rapport avec celui de la légende soninké du Wagadu.
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[42]
PFMF consacre une part importante de son exposé à ces développements sur les motifs et les récits issus de l’oralité. La section 2 du chapitre 2, qui leur est consacrée (§§ 150 à 241), représente près du quart de l’introduction historique. C’est dire à quel point cet ouvrage est beaucoup plus qu’une édition d’inscriptions.
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[43]
Dans la même zone que celle de l’inscription n° 106 (falaises sud-est), le groupe d’inscriptions n° 111 comporte trois graffiti (G3, G4, G5) qui contiennent le texte de la shahâda ainsi que les noms (arabes) des professants, et l’inscription n° 112 comporte de même le texte de la shahâda, répétée à deux reprises, avec le nom (arabe) du professant – Shahâda : « attestation » fondamentale de l’islam : Lâ ilaha illa ’llah wa Muhammad rasûl Allah (« il n’y a de dieu que Dieu et Muhammad est Son envoyé »).
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[44]
En vue de travaux futurs, les historiens tiennent là – pour la période médiévale – plusieurs âges au décès, des durées de vie de personnes « ordinaires ». Sans vouloir nous engager dans cet examen, notons au passage que Muhammad b. Abû Hamid al-Ghazâli, dont il est question ci-après, est mort à l’âge de 63 ans (Junhan, inscription n° 182) et que le faqîh Muhammad est décédé à 34 ans (Junhan, n° 183). Rappelons qu’il s’agit là d’années lunaires, plus courtes de 11 jours.
-
[45]
Après avoir étudié l’ensemble des sciences islamiques et être devenu un enseignant réputé à Baghdâd, Al-Ghazâlî traversa une crise spirituelle et rechercha dans l’expérience intime et personnelle la validation de sa foi. Pendant près de onze ans, il pratiqua les exercices sûfî dans diverses retraites. Son œuvre principale appelée à une grande diffusion, Ihyâ’ ’ulûm al-dîn (« Revivification des sciences religieuses »), écrite à la fin de sa vie, est un traité de vie religieuse conciliant les exigences de la sharî’a et celles du soufisme. On ignore comment et à partir de quelle date les œuvres d’al-Ghazâlî ont été connues au sud du Sahara. H.T. Norris note l’activité d’un groupe sûfî à Tadmakka, en liaison étroite avec al-Suyûtî, le savant du Caire, connu pour ses multiples liens avec les musulmans subsahariens. Cette influence d’al-Suyûtî peut être datée de la seconde moitié du xve siècle.
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[46]
Bi-ism Allâh al-Rahmân al-Rahîm : « Au nom de Dieu, Celui qui fait miséricorde, le Miséricordieux », formule introductive du Coran (sourate I), souvent prononcée au début d’une action. Cette formule figure aussi au début de toutes les sourates, sauf la sourate IX. La basmala figure en tête de nombre de ces épitaphes. C’est aussi un signe commun d’identité islamique.
-
[47]
H.T. Norris, The Tuaregs. Their Islamic Legacy and its Diffusion in the Sahel, Warminster, 1975, et Sûfî Mystics of the Niger Desert. Sîdî Mahmûd and the Hermits of Aïr, Oxford, Clarendon Press, 1990.
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[48]
« Muhammad Abû al-Hasan al-Bakrî, réel fondateur de la Bakriyya qui sera à la tête des ordres initiatiques égyptiens pendant plusieurs siècles, est célèbre de son vivant dans l’ensemble du Moyen-Orient, autant pour la science extérieure qu’il détient que pour son haut degré spirituel » (Éric Geoffroy, Le soufisme en Égypte et en Syrie, Institut français de Damas, 1995, p. 164). « …la Bakriya de ’Abd al-Rahmân Jalâl al-dîn al-Bakri, et surtout son fils Muhammad Abû al-Hasan (m. 952/1545) » (op. cit., p. 209).
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[49]
PFMF note la présence, dans les traditions orales songhay relatives à l’Askyia Muhammad, d’une version islamisée du nom du père de l’askyia sous la forme « Muhammad al-Ghazalî », comme si « cette nisba était devenue une icône d’islam aux yeux des gens vivant dans la vallée du Niger à une étape de la création de ces histoires » (§ 370).
-
[50]
« The Qadiriyya brotherhood had first been introduced into the Sahara probably at the end of the fifteenth century. But the Qadiriyya had been loosely organized and rather ineffective until its resurgence, in the second half of the eighteenth century, under the leadership of Sidi al-Mukhtar al-Kunti » (N. Levtzion, « Islam in the Bilad al-Sudan to 1800 », in N. Levtzion et R.L. Pouwels, The History of Islam in Africa, Athens, Ohio University Press et Oxford, James Currey, 2000, p. 86).
-
[51]
E. M. Sartain, « Jalâl al-Dîn al-Suyûtî’s relations with the people of Takrûr », Journal of Semitic Studies, XVI, 2, 1971, p. 193-198.
-
[52]
Voir Louis Brenner, « Sufism in Africa in the seventeenth and the eighteenth centuries », Islam et Sociétés au sud du Sahara, n° 2, 1988, p. 80-93.
-
[53]
Voir Jean-Louis Triaud, « Hommes de religion et confréries islamiques dans une société en crise. L’Aïr aux xixe et xxe siècles : la Khalwatiyya », Cahiers d’Études africaines, 1983, 91, XXIII, 3, p. 239-280.
-
[54]
PFMF souligne que les cimetières de Gao ont beaucoup souffert de la croissance de la ville moderne. Nombre d’inscriptions et de stèles ont pu disparaître à cette occasion (§ 620).
-
[55]
Cette tombe qui est celle d’une personne de sexe féminin : (« nom illisible bint (fille de) nom partiellement lisible »), comporte la mention complète de la date : jour, mois, année.
-
[56]
Les sources ibâdites disponibles, qui remontent pour la plupart au xiie siècle ad, mentionnent plusieurs contacts à Tadmakka (cf. N. Levtzion et J.F.P. Hopkins (éd.), Corpus…, p. 88-91). N. Levtzion, ap. T. Lewicki, rappelle que le principal lien de l’imamat ibadite de Tahert (vaincu par les Fatimides en 909 ad) « semble avoir été avec Gao par l’intermédiaire de Wargla et Tadmakka » (Ancient Ghana and Mali, 1973, p. 136). PFMF constate l’absence de tout texte de facture ibâdite dans le corpus (sans parler des inscriptions funéraires personnelles qui, elles, étaient formellement condamnées par les khârijites). Il voit aussi dans le « démarrage tardif » de l’épigraphie du corpus la confirmation d’une influence ibâdite antérieure anti-épigraphiste (§ 357-361).
-
[57]
Coran, XXII, 7.
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[58]
Jean-Louis Triaud, « Le prosélytisme islamique en Afrique noire », dans Problèmes d’Histoire du christianisme : propagande et contre-propagande religieuses, Bruxelles, Éditions de l’Université Libre de Bruxelles, vol. 17, 1987, p. 205-220. Cet imaginaire islamique monothéiste sur l’après-vie et le Jugement représente une innovation fondamentale par rapport aux croyances antérieures.
-
[59]
Faqîh : spécialiste de fiqh (droit jurisprudentiel islamique).
-
[60]
Les pèlerinages royaux suivants sont mentionnés par les sources écrites. Pour le Mali, Mansa Ulî (Oulé), après 658 ah/1260 ad, Sâkûrâ autour de 700 ah/1300 ad et Mansa Mûsâ en 724 ah/1324 ad. Pour le Songhay, Askyia Muhammad, entre 901 ah/1496 ad et 904 ah/1498 ad.
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[61]
N. Levtzion et J.F.P. Hopkins, Corpus of Early Arabic Sources, 1981, p. 85. PFMF rappelle qu’il s’agit d’un lieu commun dans le monde musulman et non d’un cas unique : « Le motif de la ressemblance avec La Mecque est récurrent dans les sources islamiques en référence à différentes villes situées dans les régions périphériques du monde islamique » (§ 346, et référence à d’autres travaux de l’auteur, dont « Tadmakkat and the Image of Makka : Epigraphic Records and the Work of the Imagination in 11th-century West Africa » in T. Insoll (ed.), Case Studies in Archaeology and World Religion, 1999, p. 105-115).
-
[62]
Ce texte comporte, en effet, plusieurs difficultés de lecture : tout d’abord, le féminin lahâ : « à elle, pour elle », alors qu’aucun nom féminin ne figure auparavant dans le texte. À l’issue d’une discussion serrée, qui renvoie à d’autres exemples, PFMF conclut que lahâ ne peut désigner que « la terre », c’est-à-dire, aussi bien, le lieu, le site, le village, la communauté (autres noms féminins possibles), etc. (§ 487-488). Le débat entre les lectures shawq et sûq est, lui, difficile à trancher (§ 489).
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[63]
« Par là [le lien affiché avec La Mecque], le texte d’al-Bakrî et l’inscription se lisent comme des paraphrases l’un de l’autre » (§ 489).
-
[64]
PFMF renvoie au dictionnaire manding-français de Maurice Delafosse (1955), qui dérive ces différentes formes de l’arabe futyâ, synonyme de fatwâ (interprétation juridique par une personne qualifiée). Le terme est passé dans d’autres langues africaines, notamment le fulfulde (peul), sous les formes Fodye, Fodyo.
-
[65]
L’inscription 196 n’est connue que par un estampage de De Gironcourt, l’inscription 200 par un estampage et une copie manuscrite faite à sa demande.
-
[66]
On remarquera au passage la mention de la double filiation masculine et féminine.
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[67]
Avec une lecture arabisante, Marie-Madeleine Viré avait cru pouvoir lire zuwayja (diminutif d’épouse). (PFMF, § 542).
-
[68]
Ce nom était précédemment lu R.w.â.
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[69]
Par commodité et souci de simplification, nous n’avons pas retenu les jours et mois dans l’énoncé des dates, mais on gardera à l’esprit que ceux-ci sont, la plupart du temps, dûment notés sur les stèles (voir §§ 572-590).
-
[70]
PFMF note la diffusion, à partir des environs de 905 ah/1500 ad, du Mukhtasar de Khalîl, manuel de fiqh hostile aux épitaphes, parmi les lettrés de Tombouctou.
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[71]
Aujourd’hui, les tombes musulmanes contemporaines de Gao, à une exception près, sont dépourvues d’inscriptions (§ 620).