Notes
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[*]
Caroline Oudin-Bastide est docteur de l’EHESS, membre associé du Centre de Recherche sur les pouvoirs locaux dans la Caraïbe (CNRS).
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[1]
Cité par V. Schœlcher (1840 : 59).
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[2]
Cet ouvrage a été présenté en 1838 par V. Schœlcher au concours ouvert par la Société française pour l’abolition de l’esclavage afin de décerner le prix de mille francs offert par testament par l’abbé Grégoire à « l’écrivain qui exposerait les meilleurs moyens d’effacer le cruel et absurde préjugé qui règne parmi les blancs contre les nègres et les hommes de couleur ». Refusé par la commission chargée d’accorder le prix, le texte fut publié chez Pagnerre en 1840.
-
[3]
J.-F. Carteau (1802 : 269).
-
[4]
R.P. J. Mongin (1984 : 82).
-
[5]
Anonyme (1797 : 12).
-
[6]
Conseil colonial de la Guadeloupe, rapport de la commission constituée de Bovis, Reiset, Rochoux, sur le rapport de la commission instituée par le ministre sur les questions relatives à l’esclavage (commission de Broglie), juillet 1843, Caom Généralités 171.
-
[7]
Notre analyse de l’approche de l’Afrique par V. Schœlcher se fonde sur trois textes : De l’esclavage des noirs et de la législation coloniale (1833), Abolition de l’esclavage, examen critique du préjugé contre la couleur des Africains et des sang-mêlés (1840) et Des colonies françaises, abolition immédiate de l’esclavage (1842). Les biographes de V. Schœlcher ont évoqué, avant nous, l’implication de l’Afrique dans l’argumentation antiraciste de V. Schœlcher (A. Girollet, 2000 : 203 ; N. Schmidt, 1994 : 48-51).
-
[8]
V. Schœlcher a attendu 1847 pour se rendre au Sénégal, voyage dont il n’a d’ailleurs laissé aucune relation écrite détaillée – Schmidt (1994 : 48-51).
-
[9]
Les références fournies par Victor Schœlcher sont extrêmement imprécises. Les prénoms des auteurs ne sont jamais indiqués. Il ne donne que les titres des ouvrages des auteurs français et, également en français (ce qui permet de supposer qu’il a utilisé les traductions disponibles à cette époque), ceux des ouvrages de James Bruce (le traducteur, Castera est ici indiqué), de Mungo Park, de Friedrich Hornemann, du major Denham et du capitaine Clapperton. Les pages dont les citations ont été tirées ne sont jamais précisées. Les ouvrages utilisés sont les suivants : Thomas Astley, A new collection of voyages and travels, 1745 ; Gaspard Mollien, Voyage dans l’intérieur de l’Afrique, aux sources du Sénégal et de la Gambie, fait en 1818, par ordre du gouvernement français, 1820 ; Richard Lander, Journal of an Expedition to explore the course and termination of the Niger, 1830 ; René Caillié (orthographié Caillé), Journal d’un voyage à Tombouctou et à Jenné, 1828 ; James Bruce, Voyages aux sources du Nil et en Abyssinie : pendant les années 1769, 1770, 1771 et 1772, 1790-1791 ; Mungo Park (orthographié Mungo-Park), Voyages et découvertes dans l’intérieur de l’Afrique, 1798 (Schœlcher indique 1795) ; Dixon Denham, Hugh Clapperton et feu le docteur Odney, Voyages et découvertes dans le nord et dans les parties centrales de l’Afrique, 1826 (Schœlcher indique 1824) ; Friedrich Conrad Hornemann (orthographié Horneman), Voyage de F. Hornemann dans l’Afrique septentrionale, 1803 ; Mc Gregor Laird et R. A. K. Oldfield, Narrative of an expedition into the interior of Africa, 1837 ; Roger Jacques François, « Notice sur le gouvernement, les mœurs et les superstitions des nègres du pays de Wâlo », in Bulletin de la Société de Géographie, 1827 et Fables sénégalaises recueillies de l’Ouolof et mises en vers français…, 1828.
-
[10]
On trouvait, selon Laird, la ville d’Attah à l’entrée de la vallée du Niger et celle de Bocqua plus haut dans la vallée du même fleuve (V. Schœlcher, 1840, p. 56).
-
[11]
Les éléments du « tableau » de l’Afrique présentés ici sont tirés de V. Schœlcher (1833 : 53-60) et V. Schœlcher (1840 : 39-65).
-
[12]
V. Schœlcher (1833 : 59).
-
[13]
Nous n’avons pu identifier les villes de Kerwani et Kamalia. La seconde, décrite par Mungo Park, se trouvait dans le royaume bambara.
-
[14]
V. Schœlcher (1840 : 71-72).
-
[15]
André Brüe ou Brué fut directeur des établissements du Sénégal pour le compte des diverses compagnies d’Afrique qui se succédèrent à la fin du xviie et au début du xviiie siècle. Il rédigea en 1725 ses mémoires qui permirent au P. Labat d’écrire sa Nouvelle relation de l’Afrique occidentale (chez Pierre-François Giffart, Paris, 1728). L’ouvrage de Willem (William ou Guillaume pour les auteurs français) Bosman, édité en néerlandais aux Pays-Bas en 1704, fut publié en français en 1705 sous le titre Voyage en Guinée contenant une description nouvelle et très exacte de cette côte (A. Schouten, Paris). Michel Adanson publia, en 1757, Histoire naturelle du Sénégal (C.-B. Bauche, Paris) et Antoine Bénézet (ou Benezeth), Some historical account of Guinea en 1772 (W. Owen, Londres).
-
[16]
B.S. Frossard (1789, tome 2 : 218).
-
[17]
H. Grégoire (1808 : 146-160).
-
[18]
H. Grégoire (1808 : 151).
-
[19]
V. Schœlcher (1833 : 62-63).
-
[20]
V. Schœlcher (1833 : 70-71).
-
[21]
Montesquieu (1995 : livre XIV, chapitre II, 444 et 447 et Livre XVIII, chapitre IV, 531).
-
[22]
Quelques-uns se sont pourtant opposés à tout déterminisme climatique : en 1781 Condorcet soutenait que la paresse de certains peuples ne devait être imputée ni au climat, ni au terrain, ni à la constitution physique, ni à l’esprit national mais seulement aux mauvaises lois (1781 : 22), position radicale réaffirmée en 1791 par C. Clavière, membre éminent de la Société des Amis des Noirs, qui ne voyait dans l’invocation de la « localité » qu’une raison « absurde, barbare », « un criminel subterfuge de l’intérêt particulier » (1791 : 96-97).
-
[23]
H. Grégoire (1808 : 173-174). Les italiques sont placés par nous.
-
[24]
H. Grégoire (1808 : 59).
-
[25]
V. Schœlcher (1833 : 68).
-
[26]
V. Schœlcher (1840 : 73-75).
-
[27]
V. Schœlcher (1833 : 68).
-
[28]
V. Schœlcher (1840 : 75-76).
-
[29]
Les colons se réclament au reste très fréquemment de la théorie des climats et de Montesquieu lui-même – C. Oudin-Bastide (2003 : 565-575).
-
[30]
V. Schœlcher (1840 : 146 et 167).
-
[31]
Nous utilisons ici la distinction établie par T. Todorov entre le racisme, « comportement fait le plus souvent de haine et de mépris à l’égard de personnes ayant des caractéristiques physiques bien définies », et le racialisme, doctrine concernant les races – T. Todorov, 1989.
-
[32]
Les colons ne revendiquent généralement pas le polygénisme mais s’inscrivent plutôt dans l’approche de naturalistes comme Buffon, Gall ou Petrus Camper qui, tout en affirmant l’unité du type primitif humain, imputent au climat la différenciation des êtres humains qui engendre une catégorisation hiérarchisée.
-
[33]
B. S. Frossard (1789, tome ii : 218).
-
[34]
Ch. de Rémusat (1839 : 19).
-
[35]
V. Schœlcher (1842 : 276).
-
[36]
V. Schœlcher (1842 : 156).
-
[37]
V. Schœlcher (1842 : 147). Cette analyse de Schœlcher est assimilable à celle de la nation juive proposée par l’abbé Grégoire dans l’Essai sur la régénération physique, morale et politique des juifs paru en 1788 : la dégradation physique et morale du juif n’est pas contestée par H. Grégoire mais elle est considérée comme réversible.
-
[38]
V. Schœlcher (1840 : 24).
-
[39]
V. Schœlcher (1833 : 78-79). L’ouvrage cité est le suivant : Xavier Boniface Saintine (sous la direction de), Histoire de l’expédition française en Égypte, Gagniard, Paris, 1830.
-
[40]
V. Schœlcher (1840 : 24-38).
-
[41]
Antoine Fabre d’Olivet, De l’État social de l’homme, ou Vues philosophiques sur l’histoire du genre humain, 1822 ; Constantin François Volney, Voyage en Syrie et en Égypte, 1787 ; Richard Payne Knight, The Progress of Civil Society. A didactic Poem, in six books, 1796 (Schœlcher indique en note : « The progress of civil society, 1796, cité par M. Grégoire »).
-
[42]
V. Schœlcher confond en fait l’Éthiopie-Abyssinie et l’Éthiopie de Diodore (la Nubie) : Axum appartient à la civilisation antique du nord de l’Éthiopie, alors que les rois « éthiopiens » qui ont reconquis l’Égypte sont des dynastes nubiens.
-
[43]
Hoskins George Alexander, Travels in Ethiopia…, 1835 (Schœlcher donne le titre de l’ouvrage en anglais, sans plus de précision).
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[44]
V. Schœlcher (1842 : 155-156).
-
[45]
Note de l’abbé Grégoire : « Voyages en Syrie et en Égypte, par Volney, nouvelle édition, t. I, p. 10 et suiv. » Il s’agit de la troisième édition de l’ouvrage, chez Dugour et Durand, Paris, an VII.
-
[46]
L’abbé Grégoire indique en note : « Ledyard, t. I, p. 24 ». Il s’agit en fait des Voyages de MM. Ledyard et Lucas en Afrique, entrepris et publiés par ordre de la Société anglaise d’Afrique, 2 tomes en 1 volume, Détervillan, Paris 1804.
-
[47]
Note de l’abbé Grégoire : « Nouveau Voyage dans la haute et basse Égypte, par Browne, t. I, c. XII ». Il s’agit d’une traduction par J. Castéra de l’ouvrage de William George Browne, 2 vol., Dentu, Paris, 1800.
-
[48]
Note de l’abbé Grégoire : « De generis humani varietate nativa, in 8°, Gottingue 1794 ».
-
[49]
H. Grégoire (1808 : 9-11). Une analyse de la défense par l’abbé Grégoire de la thèse de l’Éthiopie et de l’Égypte nègres est proposée par A. A. Dieng (2000 : 81-85).
-
[50]
V. Schœlcher (1842 : 156).
-
[51]
P.-S. Dupont de Nemours (1771 : 242-245).
-
[52]
Une analyse du discours de l’abbé Grégoire sur la colonisation de l’Afrique a été proposée par M. Dorigny (2000 : 94-104).
-
[53]
S. Sibire (1789 : 117).
-
[54]
Cité par H. Grégoire (1797 : 165-166).
-
[55]
Carl Bernhard Wadström, membre influent de la Société des amis des noirs et des colonies, avait publié un Précis sur l’établissement des colonies de Sierra Léona et de Boulama à la côte occidentale de l’Afrique – Ch. Pougens, Paris, 1798. Le « docteur Smeathman » aurait été le premier à concevoir « un plan de colonisation libre en Afrique, où il résidait en 1783 » : il s’agit certainement d’Henri Smeathman qui se vit confier en 1787 par les abolitionnistes anglais le soin d’amener au Sierra Leone quatre cents nègres libres indigents vivant à Londres. Fothergill – Grégoire écrit en fait « Forthergill », ajoutant, pour toute précision que son nom « rappèle toutes les vertus » (1797, p. 162) – est très probablement le médecin anglais John Fothergill, quaker et philanthrope célèbre.
-
[56]
La Société des amis des noirs et des colonies, fondée en novembre 1797, comprenait une commission portant sur les « colonies nouvelles », colonies à former reposant sur le travail libre. Plusieurs sociétaires (Stone, Hélène-Marie Williams, Wadström et Grégoire lui-même) fréquentaient assidûment Talleyrand, ministre des relations extérieures, qui développait un plan visionnaire de colonisation de l’Afrique. Le projet « colonisateur » des Amis des Noirs n’était au reste pas dépourvu d’ambiguïté : « On peut tout autant, remarque B. Gainot, y déceler les prémisses du futur empire colonial au xixe siècle – lorsque la conquête la plus brutale prétendit se purifier en prétextant l’exportation des droits de l’homme – que l’amorce d’une politique de coopération entre les peuples fondée sur le développement du commerce. » (1998 : 312-313). Si la visée de l’abbé Grégoire est indéniablement morale et philanthropique – il insiste d’ailleurs sur la dimension missionnaire du processus (M. Dorigny, 2000 : 100-103) –, elle s’inscrit cependant dans un rapport inégalitaire : les Européens ont un devoir civilisateur à l’égard des Africains.
-
[57]
H. Grégoire (1797 : 162-164 et 176).
-
[58]
H. Grégoire (1808 : 172-173).
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[59]
H. Grégoire (1826 : 78).
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[60]
V. Schœlcher (1833 : 87-89).
-
[61]
V. Schœlcher (1840 : 116-121).
-
[62]
V. Schœlcher (1842 : 165-167).
-
[63]
V. Schœlcher (1840 : 76-77).
-
[64]
V. Schœlcher (1842 : 165).
-
[65]
Florence Lotterie a montré comment le jeune Turgot avait pensé, dès 1750, « le progrès de la civilisation comme un processus d’homogénéisation des cultures ». Conception appelée à devenir dominante au sein des Lumières françaises mais à laquelle s’oppose cependant déjà Rousseau qui considère que des choix culturels divers peuvent être conformes à une éthique humaine valable. Débat au reste riche d’avenir : à la civilisation française qui se pense comme un modèle universel, les penseurs allemands opposeront le concept de « Kultur », c’est-à-dire de spécificité régionale ; F. Lotterie (2002 : 19-37). Notons que notre analyse du discours de V. Schœlcher sur l’Afrique contredit celle d’ A. Césaire qui affirmait, en 1948, que l’abolitionniste soupçonnait « en plein siècle de l’impérialisme, qu’après tout la civilisation européenne n’[était] qu’une civilisation parmi les autres – et pas la plus tendre » ; A. Césaire (1848 : 8).
-
[66]
L’abbé Grégoire s’inscrivait d’ailleurs dans une conception similaire ; M. Dorigny (2000 : 103).
-
[67]
V. Schœlcher (1842 : 286-287).
-
[68]
Anne Girollet (2000 : 286) constate que pour Schœlcher l’accès à la civilisation des peuples colonisés suppose généralement un phénomène de déculturation, mais qu’il semble cependant, paradoxalement, pencher pour une acculturation réciproque dans le cas des colonies américaines où il préconise la « fusion » des races dont pourrait sortir « un genre participant des mérites participant de ses deux générateurs » – « on pourrait s’attendre, écrit-il, à voir sortir des Indes occidentales des prodiges nouveaux qui étonneraient l’univers » (1842 : 214).
« Il a été fait force systèmes pour ou contre les nègres, ayant pour but d’établir ou de nier les facultés de leur esprit. Il y a un fait avec lequel tous les systèmes étaient inutiles, c’est que les nègres sont en Afrique depuis que les blancs sont en Europe, et que, durant trois mille ans de loisir qu’ils ont eus comme nous, ils n’ont su rien créer, ni arts, ni lettres, ni science, ni industrie. Ils n’ont pas tracé une route, ils n’ont pas bâti une maison ; ils n’ont pas formé un peuple. Voilà un fait ; qu’on l’explique comme on voudra, il s’accommode mal avec de la réflexion, de l’intelligence, de l’esprit de suite même à un médiocre degré [1]. »
1 Cité par Victor Schœlcher dans son ouvrage intitulé Abolition de l’esclavage, examen critique du préjugé contre la couleur des Africains et des sang-mêlés (sic) [2], cet extrait d’un article publié dans la Revue de Paris en septembre 1836 s’inscrit dans la vision de l’Afrique colportée par les esclavagistes depuis de nombreuses décennies : « Si le goût du travail, si le désir d’apprendre, si l’aptitude aux arts eussent été naturellement communs aux noirs comme aux blancs, depuis six mille ans – s’interrogeait ainsi le colon J.-F. Carteau près de quarante ans plus tôt –, les habitants de la Guinée ne se seraient-ils pas fait connaître, ou devenus renommés dans quelque genre de ces choses, ainsi qu’il est arrivé tour à tour à presque tous les peuples blancs [3] ? » Les sociétés africaines témoignent, au dire des colons, de l’infériorité native des nègres qui possèdent « par-dessus toutes les nations – écrivait déjà le R.P. Mongin en 1682 – les qualités qu’Aristote demande pour l’esclavage : la force du corps et la faiblesse de l’esprit [4] ». On ne peut regretter de voir les nègres réduits à la servitude dans les colonies quand la nature semble les avoir condamnés à cet état [5] : l’esclavage est la fonction la plus en rapport avec leurs capacités car il n’y a pas chez eux « aptitude d’intelligence » égale à celle des blancs [6].
2 Lorsque Victor Schœlcher s’engage, à partir de la fin des années 1820, dans la lutte pour l’émancipation des esclaves, l’Afrique est présente dans le discours abolitionniste à deux titres, d’une part en tant que lieu témoignant de « l’aptitude à la civilisation » des peuples noirs, d’autre part comme projet, comme lieu d’une possible expansion pacifique de la civilisation occidentale. S’appropriant cette double approche, le grand abolitionniste va opérer des choix dans le discours de ses prédécesseurs, adoptant certains de leurs arguments, les actualisant ou les modifiant au gré de sa propre réflexion [7].
L’Afrique et « l’aptitude à la civilisation » du nègre
3 Dans son premier ouvrage abolitionniste – De l’esclavage des Noirs et de la législation coloniale, publié en 1833 – V. Schœlcher brosse, dans un chapitre intitulé « L’Afrique n’est pas absolument dépourvue de civilisation », un « tableau » des sociétés africaines de son temps, tableau dont l’objectif déclaré est d’arracher le nègre à la catégorisation dépréciative, prétendument fondée en nature, que les colons utilisent pour légitimer la servitude américaine. Procédé démonstratif conservé quelques années plus tard dans l’Abolition de l’esclavage dont la première partie du chapitre I s’intitule « Tous les voyageurs s’accordent à représenter l’état social des nations de l’intérieur de l’Afrique comme assez avancé [8] ».
4 Tandis que le premier ouvrage fonde essentiellement son évocation des sociétés africaines sur des citations de Thomas Astley, Gaspard Mollien, des frères Richard et John Lander et de René Caillié, le second s’appuie sur des sources plus larges, les ouvrages du chevalier James Bruce, de Mungo Park, du major Dixon Denham et du capitaine Hugh Clapperton, de Friedrich Hornemann, de Mac Gregor Laird et de l’ancien gouverneur du Sénégal Roger venant s’ajouter aux témoignages des auteurs précédemment cités [9]. Ni dans un texte ni dans l’autre, V. Schœlcher ne prétend se livrer à une description générale de l’état social des sociétés africaines : il s’agit seulement pour lui de relever des faits sociaux propres à mettre au jour les capacités intellectuelles et morales des noirs.
5 Le propos porte pour une large part sur les capacités productives des Africains.
6 Compétences agricoles : on découvre en effet, dans l’intérieur de l’Afrique, de vastes champs cultivés en céréales, en indigo et en coton dont les équipes de laboureurs sont, selon les frères Lander, aiguillonnées au travail par le son du tambour. Usage dans lequel V. Schœlcher reconnaît d’ailleurs, dans le texte publié en 1833, l’accomplissement d’une des meilleures pensées du saint-simonisme – « Ces nègres si stupides, commente-t-il, ils ont presque deviné le phalanstère » – et, dans celui édité en 1840, la mise en œuvre, par ces nègres que l’on dit si barbares, d’une des pensées les plus fécondes de Fourier.
7 Compétences sur le plan de « l’industrie » : confection de tissus – notamment d’un tissu de coton entremêlé de soie – dont on fait des robes et des pantalons qui, toujours selon les frères Lander, ne déshonoreraient pas une manufacture anglaise, production de bière, manufacture de poteries d’une grande solidité, extraction et traitement du fer, utilisé pour la fabrication de lances ou d’outils aratoires, mais aussi de l’or dont les Africains font des bijoux tels que bracelets, colliers, pendants d’oreilles.
8 Toutes productions qui s’inscrivent dans une économie marchande monétarisée et réglementée (comme le prouve notamment l’existence des douanes) qui a favorisé la création de grandes villes – Jenné [Djenné], Sego [Segou], Sennaar [Sennar], Tombouctou, Attah, Bocqua [10] – où se côtoient tous les corps de métier (tailleurs, forgerons, maçons, cordonniers, portefaix, emballeurs, pêcheurs) et où marchands, négociants et pacotilleurs se livrent au commerce de gros et de détail. Trafic qui pourrait s’étendre en direction de l’Europe – en témoigne d’ailleurs l’essor des exportations d’huile de palme et de bois inconnus sur les marchés européens – s’il n’en était empêché par la terreur inspirée par l’homme blanc aux populations de l’intérieur, « terreur fort habilement propagée, selon Laird, par les peuplades de la côte, et qui tend à maintenir la désorganisation du pays produite par la traite ».
9 V. Schœlcher ne se contente cependant pas de relever, dans les récits de voyages en Afrique, des éléments prouvant les talents des peuples africains en matière de production de biens matériels. Il s’emploie également – davantage d’ailleurs dans le second ouvrage que dans le premier – à mettre au jour leurs aptitudes à l’organisation politique, leurs qualités intellectuelles, artistiques et morales.
10 Les sociétés africaines n’ignorent pas les institutions étatiques : il existe par exemple, dans le royaume bambara, des doutys dont les fonctions consistent à veiller au maintien de l’ordre, à percevoir les droits du fisc ainsi qu’un tribunal appelé palaver, composé des anciens du village, dans lequel les parties discutent publiquement, contradictoirement et librement, les avocats « égalant dans l’art de la chicane – au dire de Mungo Park – les plus habiles plaideurs d’Europe » ; des écoles publiques où tous les enfants sont instruits gratuitement – l’écriture arabe s’étant diffusée dans les pays où l’islam a pénétré – ont été, selon Caillié, établies à Djenné. Les souverains africains peuvent au reste faire preuve de la plus grande sagesse : ainsi du roi de Boussa, décrit par Astley et les frères Lander, qui désigne toujours pour juges ceux qui ont le plus d’expérience et de lumières – « À coup sûr, commente Schœlcher, on ne saurait en dire autant de nos monarques européens, et le très-civilisé roi des Français lui-même est encore loin d’avoir le discernement du prince jalof [jolof ?], dont le royaume est situé entre la Gambie et le Sénégal » – et qui, dans ses discours – comme un roi constitutionnel, observe encore l’abolitionniste –, après avoir assuré la nation de la tranquillité intérieure de l’empire et des dispositions amicales qu’ont envers lui les puissances étrangères, exhorte son peuple à pratiquer les vertus utilitaires (zèle au travail et tempérance, l’alcoolisme étant source de misère mais aussi d’insécurité urbaine).
11 L’imagination, le sens artistique des Africains se manifestent dans leurs chants improvisés mais aussi dans des fables – notamment celles de la hyène et du lièvre, collectées par le gouverneur Roger au Sénégal – où sont mis en scène des hommes, des animaux et quelquefois des choses inanimées, fables au sens « plutôt moral que satyrique », au dire de V. Schœlcher. La saillie ne leur manque d’ailleurs pas plus que le reste : répliques cinglantes et aphorismes, « déliés jusqu’au paradoxe », émaillent leurs propos.
12 Les sociétés africaines valorisent enfin les plus hautes vertus morales : respect de la vérité – « jamais il ne dit un mensonge, jamais, jamais », s’exclame, selon le récit de Mungo Park rapporté par Schœlcher, une femme pleurant sur le corps de son fils mortellement blessé –, grand sens de l’hospitalité, honnêteté, amour de la famille, notamment entre la mère et ses enfants. Ces gens que l’on ne suppose propres qu’à faire des esclaves s’avèrent au reste, selon le gouverneur Roger, passablement policés, puisqu’ils ne se demandent, lorsqu’ils se rencontrent, des nouvelles de leur santé qu’après s’être enquis de l’état de leur âme – « Êtes-vous en paix ? est une question qu’un noir Ghialof [wolof] adresse toujours à son ami avant notre Comment vous portez-vous ? » – et qu’ils possèdent, en plus des équivalents des bonjour, bonsoir, bonne nuit européens une formule intermédiaire que l’on pourrait traduire par bon midi, bon milieu du jour.
13
Ainsi – selon une citation de G. Mollien présente dans
l’ouvrage de 1833 comme dans celui de 1840 – les nègres regardés comme des
barbares « loin d’être dépourvus de connaissances ne sont guère moins avancés
que la plupart des habitants de la campagne en Europe » ; « la religion de
Mahomet qu’ont embrassée presque toutes les nations [rencontrées par ce
voyageur français ] a éclairé leur esprit, adouci leurs mœurs, et détruit chez
elles ces coutumes cruelles que conserve l’homme dans l’état sauvage [11] ».
Si les hommes sont égaux en nature, les cultures sont inégales : Schœlcher admet l’existence d’une hiérarchie des sociétés, chacune d’entre elles se situant à un degré plus ou moins élevé de la « civilisation », notion composite, d’ailleurs jamais explicitement définie par Schœlcher, recouvrant tout à la fois le progrès scientifique et technique, l’essor des arts et l’instauration d’un savoir-vivre-ensemble supposant l’existence de valeurs et de normes mais aussi d’un système politique conformes au droit naturel.« Il est inutile, conclut V. Schœlcher en 1833, de pousser plus loin ces extraits, ils suffisent pour prouver, non pas que les nègres sont aussi avancés que les blancs, mais seulement qu’ils savent vivre en commun, avec des lois, de l’industrie et des rapports sociaux ; qu’enfin ils sont parvenus à un certain degré de civilisation. […] Après les faits que nous avons constatés, quelle que puisse être d’ailleurs l’incurie ou la barbarie africaine, on ne peut plus supposer aux noirs cette incapacité morale dont on s’est fait si longtemps un titre contre eux. – C’est tout ce que nous voulons [12] ».
14
Sa conclusion n’a guère varié en 1840 :
Tout en admettant avoir « choisi » le tableau qu’il a dressé de l’Afrique, il reconnaît qu’il y existe de plus sombres perspectives – l’esclavage (comme chez les Grecs et les Romains, comme chez les Français et les Anglais), le despotisme (comme chez les Russes), une superstition comparable à celle des matelots européens, un manque d’hospitalité similaire à celui des bourgeois de Paris. « En voudra-t-on déduire, ajoute-t-il, leur stupidité originelle ? Si l’on envoyait esclaves à Kerwani, à Kamalia [13], à Sego [Segou] ou à Jenné [Djenné], les habitants de certains villages de France, les nègres pourraient, avec autant de raison, faire de nous une nation d’êtres obtus [14] ».« Non, ce qu’il y a à dire, ce qui est vrai, c’est qu’il en est des Africains comme des Européens ; les peuples divers y sont plus ou moins doués de la nature, plus ou moins favorisés par le sol, le climat, les circonstances. Nous ne disons pas que tous les nègres sont des hommes de génie, comme Christophe ou Toussaint-Louverture ; que toutes les négresses sont des improvisatrices, poètes et musiciennes, comme celles qui veillèrent Mungo Park ; mais nous disons qu’il est faux et extravagant d’en faire des idiots, et que c’est avoir soi-même très peu de cerveau que de bâtir sur leur angle facial, plus ou moins aigu, de petites théories physiologiques qui tendent à leur refuser à peu près toute intelligence ».
15
V. Schœlcher n’est au reste pas le premier à recourir aux
descriptions de l’Afrique pour démontrer « l’aptitude à la civilisation » des
nègres. Deux ouvrages abolitionnistes publiés en 1789 –
Le More-Lack de Lecointe-Marsillac et
La cause des esclaves Nègres et des habitants de
la Guinée, portée au Tribunal de la Justice, de la Religion, de la
Politique de B. S. Frossard – avaient usé de ce procédé. S’appuyant
sur des récits de voyageurs dans l’Ouest africain (André Brüe, Willem Bosman,
Michel Adanson, Antoine Bénézet, etc. [15]), leurs auteurs s’inscrivaient déjà en
faux contre l’image d’une Afrique barbare propagée par les colons : ils
brossaient le tableau – assez idyllique d’ailleurs – de peuples laborieux,
organisés en royaumes (Juida [Ouidah], Loango, Congo, Angola, Benguela),
constructeurs de villes, capables d’art et de science, à la fois agriculteurs
(culture du riz et du millet, élevage de bœufs, moutons, volaille), artisans
(poterie, tissage, sellerie, travail des métaux) et commerçants [16]. Une approche identique
avait d’ailleurs été adoptée en 1808 par l’abbé Grégoire qui se référait aux
mêmes sources que ces prédécesseurs mais également à des récits plus
récents [17]. Plusieurs
décennies avant V. Schœlcher, il concluait à l’existence de « nations
civilisées » en Afrique :
L’absence presque totale de toute « civilisation » dans plusieurs « États nègres », ne pouvait donc permettre de légitimer la mise en esclavage des peuples noirs.« Quoi qu’il en soit, remarquait-il, en nous bornant à l’acception que présente l’idée de sociabilité, c’est-à-dire, d’aptitude à vivre avec les hommes en rapport de services mutuels ; l’idée d’un état policé qui a une forme constituée de gouvernement et de religion, un pacte conservateur des personnes, des propriétés, et qui place sous la sauvegarde des lois, ou des usages ayant force de loi, l’exercice des travaux agricoles, industriels et commerciaux ; qui pourrait disputer à plusieurs peuples noirs la qualité de civilisés [18] ? »
Des peuples en retard…
16 Les faits suffisent à prouver, écrivait Schœlcher en 1833, « non pas que les nègres sont aussi avancés que les blancs » mais seulement qu’ils « sont parvenus à un certain degré de civilisation ». S’il est indéniable, réaffirme-t-il encore en 1840, que les Africains ne sont pas aussi policés que les Européens, s’il faut convenir du faible niveau d’avancement de leur « industrie », ce retard ne saurait être imputé à la couleur de leur peau. Rejetant l’approche en termes d’inégalité raciale revendiquée par les colons, il propose une analyse en termes de détermination par l’environnement : le handicap des peuples africains – handicap dont il faut bien, selon lui, convenir – résulte non d’une infériorité native des nègres mais des « circonstances » naturelles, économiques, sociales et politiques. Trois de ces circonstances sont en fait retenues : l’existence de la traite, le facteur climatique et enfin l’isolement dans lequel l’Afrique aurait été longtemps confinée.
17
La première circonstance n’est invoquée que dans l’ouvrage
publié en 1833, dans lequel elle fait l’objet d’un court chapitre – le chapitre
IX – intitulé « Ce sont les Européens qui ont entretenu la barbarie en Afrique
». Le fait « que les nègres ne sont pas aussi misérables chez eux que leurs
ennemis le prétendent » ayant été démontré, il sera facile, affirme d’emblée V.
Schœlcher, de prouver « que c’est à l’Europe, et non au
créateur, qu’il faut attribuer l’état
comparativement sauvage dans lequel ils vivent encore ». S’appropriant les
arguments utilisés par nombre de ses prédécesseurs – notamment par Dupont de
Nemours, Condorcet, A. Bonnemain, B. S. Frossard, Mirabeau, E. Clavière, l’abbé
Sibire, l’abbé Grégoire – il dénonce l’effet corrupteur de la traite sur des
peuples africains : les enlèvements à main armée effectués le long des côtes ne
permettant pas de satisfaire la demande américaine, les négriers ont réussi à
persuader les Africains, moyennant d’abord un chapeau, une bouteille
d’eau-de-vie ou une dizaine de boutons puis contre des sommes de plus en plus
importantes, de leur vendre leurs semblables. S’est ainsi développé un
véritable commerce d’hommes, comprenant de nombreux rouages : facteurs,
courtiers faisant métier d’acheter les esclaves « qu’ils gardent en magasin »,
chasseurs « qui enlèvent leurs compatriotes au milieu des bois et sur les
routes pour aller les vendre », « joueurs qui jouent leur personne et celle de
leur femme », rois despotes, « comme ils le sont tous » (le sage roi de Boussa
célébré quelques pages plus haut, semble oublié !), tirant profit de la traite.
La traite a un effet doublement néfaste sur le gouvernement des souverains
africains : d’une part, elle provoque un durcissement du droit pénal, le
moindre délit étant puni de la perte de la liberté ; d’autre part, elle est à
l’origine de batailles dont le seul objectif est la capture de prisonniers – il
est faux de dire, précise Schœlcher, « que les négriers sauvent la vie des
vaincus, lesquels autrement seraient tués et mangés » –, capture qui occasionne
d’ailleurs la mort de nombreux combattants. Au reste – V. Schœlcher cite à ce
sujet B. S. Frossard qui invoque pour sa part les témoignages oculaires de
Falconbridge et de Stanfield – la plupart des déportés ne sont pas des
prisonniers de guerre mais des victimes de rapts, enlevés dans l’intérieur des
terres par fraude ou par violence. La demande européenne d’esclaves crée
l’offre : durant la guerre de 1777 à 1780, alors que l’Europe ne pouvait se
livrer à la traite, les exactions et les massacres ont en effet cessé en
Afrique. L’Europe a donc fait « le malheur de ces peuples vierges en leur
communiquant ses mauvaises passions [19] ». Les Européens ne sauraient justifier l’esclavage
en arguant de l’avilissement des Africains, assez dépourvus de tout sentiment
de la dignité humaine pour se vendre réciproquement à des étrangers :
Second facteur expliquant le retard des sociétés africaines : les conditions climatiques. Loin d’être naturellement travailleur, affirme V. Schœlcher en 1833, l’homme est essentiellement paresseux : on ne saurait donc s’étonner que les nègres « soient restés à peu près sans industrie sous un ciel toujours chaud, sur une terre qui se féconde d’elle-même ». Allégation relevant évidemment de la théorie des climats illustrée par Montesquieu : l’homme des pays chauds, affirmait celui-ci, « timide comme les vieillards le sont », « facilement ému par tout ce qui a du rapport à l’union des deux sexes », trouve son bonheur dans la paresse ; « la fertilité d’un pays donne, avec l’aisance, la mollesse et un certain amour pour la conservation de la vie [21] ». Déterminisme climatique d’ailleurs revendiqué, avec plus ou moins de précautions, par nombre d’auteurs abolitionnistes [22] :« Eh, mon dieu ! conclut à ce propos ironiquement V. Schœlcher, nous ne craignons pas de prendre nos adversaires eux-mêmes à témoin ; ne croient-ils pas que si les Turcs et les Chinois venaient acheter des Français sur nos marchés, il s’élèverait immédiatement parmi nous, nous le peuple le plus fier de la terre, des trafiqueurs d’esclaves blancs, qui ne manqueraient jamais de marchandises ? Ne pensent-ils pas avec moi qu’il se répandrait dans nos villages de hardis voleurs d’hommes, et que plus d’un père peut-être irait secrètement au marché recevoir le prix de la liberté de sa fille [20] ? »
Le même – qui est probablement sur ce point, comme sur bien d’autres, l’inspirateur direct de Schœlcher – n’hésitait d’ailleurs pas à expliquer le faible développement des arts en Afrique par la faiblesse des besoins naturels ou factices des Africains, les besoins de se vêtir et de s’abriter étant, en raison de la chaleur du climat, presque nuls et le besoin de se nourrir se révélant très facile à satisfaire du fait de la prodigalité de la nature [24].« Il paraît, écrivait ainsi avec prudence l’abbé Grégoire, que toutes choses égales d’ailleurs, les pays où l’on doit trouver le moins d’énergie et d’industrie, sont ceux où la chaleur excessive porte à l’indolence, où les besoins physiques, très restreints par cette température, trouvent facilement à se satisfaire par l’abondance des denrées consommables. Il semble encore que, d’après ces causes, la servitude doit s’attacher aux climats brûlants, et que la liberté, soit politique, soit civile, doit rencontrer plus d’obstacles entre les tropiques que dans les latitudes plus élevées [23] ».
18
La troisième circonstance, d’ailleurs étroitement articulée à
la seconde, avancée par V. Schœlcher pour expliquer le faible niveau de
civilisation des sociétés africaines est l’isolement des grandes sociétés
européennes et de leur civilisation [25]. L’Afrique a en effet été tenue à l’écart de « la »
civilisation qui n’a jamais connu de diffusion sur son territoire :
Ainsi les peuples africains sont-ils les victimes de « circonstances fâcheuses », constituées à la fois par « un climat dont la fécondité invite au repos perpétuel » et par la privation de « secours étrangers ». Leur état social ne résulte pas de leur nature mais de leur environnement. Et de citer le Traité de législation de Charles Comte : « Si les nègres eussent changé de sol avec nous, peut-être feraient-ils aujourd’hui sur nous les mêmes raisonnements que nous faisons sur eux [27] ». Citation, présente dans l’essai de 1833 comme dans celui de 1840 et suivie, dans le second ouvrage, du commentaire suivant : « Déjà, du temps des Grecs, les observateurs avaient remarqué que les dispositions locales, les conditions géographiques et climatériques d’un pays, engendrent chez ses habitants des coutumes et des idées qui finissent par constituer un caractère national [28] ». En affirmant que les qualités intellectuelles et morales de l’homme sont déterminées par son environnement, Schœlcher s’inscrit en faux contre le « préjugé de couleur » colonial. Ferme position pourtant ébranlée, en 1842, par d’inattendues concessions faites au point de vue des planteurs : accordant à ses adversaires [29] la défectuosité phrénologique relative du nègre (le devant de son crâne serait plus étroit que sa partie occipitale), il l’explique par le fait que le développement de son cerveau a été entravé par de longs siècles d’esclavage et de sauvagerie (le nègre, comme d’ailleurs le serf russe, a « le cerveau de ses actes », nécessairement peu performant), circonstances probablement aggravées par l’habitude vicieuse de porter les fardeaux sur la tête, qui hébète les individus en déprimant leur crâne. Si l’« organisation » du nègre qui n’a pas été perfectionnée par de longs siècles de culture est effectivement « moins heureuse, moins riche que celle du blanc », il n’est cependant « aucune raison de croire que, quand l’exercice des facultés intellectuelles aura grossi la masse antérieure de l’encéphale du nègre aux dépens de la masse postérieure, sa tête ne devienne aussi ronde que [celle de l’Européen] [30] ». S’ils ont été désavantageusement façonnés, dans leur culture mais aussi dans leur nature, par de fâcheuses circonstances, les Africains restent perfectibles, comme les Gaulois ou les Germains l’ont été avant eux, comme les serfs russes ou les grossiers paysans français le sont encore. Réaffirmant constamment l’inanité du « préjugé de couleur », Schœlcher n’échappe donc pas absolument à l’influence des théories racialistes alors en vogue [31] : monogéniste, il admet néanmoins que les « circonstances » climatiques et historiques sont à l’origine d’une différenciation phrénologique hiérarchisée des peuples, les caractères acquis et transmis étant cependant, au contraire de ce que soutiennent les colons [32], constamment réversibles.« En admettant même que les Africains soient aussi arriérés qu’on le dit – plaide-t-il –, serait-il bien rationnel d’arguer de trois mille ans d’impuissance pour leur contester toute aptitude à la civilisation ? Ont-ils jamais communiqué avec elle ? Un peuple se fait-il tout seul ? Est-ce bien à elle-même que l’Europe doit ses connaissances, et non à la fréquentation des nations déjà policées ? L’Espagne, l’Allemagne, l’Angleterre, seraient peut-être encore cachées dans leurs sombres forêts et leurs marécages, si Rome, civilisée, elle, par les Étrusques et par la Grèce, n’était venue y porter l’illustration avec la guerre. L’histoire enseigne-t-elle que jamais un flambeau ait été jeté dans l’intérieur de l’Afrique ? Les Romains mêmes n’y eurent d’établissements que sur les côtes. Satisfaits d’avoir soumis les bords de la mer Rouge et de la Méditerranée, ils regardèrent la conquête du reste de l’Afrique et de ses déserts brûlants comme une entreprise dont la gloire n’aurait pas compensé les périls [26] ».
19
L’environnement esclavagiste américain est-il cependant plus
propice au développement intellectuel et moral du nègre que celui des sociétés
africaines ? La réponse de B. S. Frossard à cette question avait été négative :
« Les nègres, expliquait-il, sont plus civilisés dans leur pays parce qu’ils
sont plus libres [33]
». Nombre d’abolitionnistes contemporains de Schœlcher – notamment A. de
Gasparin, A. Moreau de Jonnès ou Ch. de Rémusat – soutenaient pour leur part
que l’un des effets néfastes de la traite résidait dans la « continuelle
infusion d’Africains tout à fait barbares au sein de la population créole » qui
rendait « plus difficile et plus lente l’action morale de la civilisation dans
les ateliers [34] ».
Les quelques éléments de réponse donnés par V. Schœlcher à cette question – on
les trouve dans un ouvrage publié en 1842 sous le titre
Des colonies françaises, abolition immédiate de
l’esclavage – se révèlent peu concluants : s’il affirme que dans les
colonies anglaises « les nègres nouveaux, les nègres pris sur des négriers et
mis à la culture » se montrent plus laborieux que les esclaves créoles parce
qu’ils n’ont « point été gâtés par l’esclavage » et qu’ « il ne se manifeste en
eux aucune antipathie pour le travail [35] », il souligne également qu’il y a «
des nègres véritablement stupides, ceux particulièrement que les négriers
amènent encore aux îles espagnoles, presque tous esclaves abrutis dans leur
pays comme le sont les serfs d’Europe [36] ». Lui qui n’a eu de cesse de dénoncer
l’avilissement engendré par l’esclavage, lui qui, deux ans auparavant,
brocardait ceux qui élaboraient de « petites théories physiologiques » sur
l’angle facial des nègres, se hasarde pourtant à constater l’évolution
morphologique favorable des esclaves créoles :
Ainsi l’ « organisation » du nègre a-t-elle été améliorée par le contact que celui-ci a pu avoir, au sein même de la société esclavagiste, avec la civilisation européenne…« Déjà, assure-t-il, si l’on étudie phrénologiquement la population des colonies, on observe que chez l’esclave créole la bouche est moins avancée, l’angle facial plus ouvert que chez l’Africain. Ce museau du nègre dont M. Virey parle toujours, est un effet du reculement du front, qui disparaît lorsque le front s’avance. M. Lacharrière, de la Guadeloupe, n’hésite pas à reconnaître que “le moral des nègres s’est amélioré dans les colonies” ». Pour léger qu’ait été le frottement avec la civilisation, ils ont montré combien ils sont perfectibles en en profitant ; et il n’y a pas de doute que la liberté faisant jouer leurs organes intellectuels laissés en repos dans l’esclavage, ne les amène au même degré que les plus fiers Caucasiques. Tout est affaire d’éducation et de pratique. Nous croyons beaucoup au perfectionnement progressif des races par la culture, et à la transmission d’une génération à l’autre d’un degré acquis d’intelligence [37] ».
… ou des peuples dégénérés ?
20
Avant même de relever dans les récits des voyageurs les preuves
de l’aptitude à la civilisation, avant même d’exposer les causes du retard des
sociétés africaines, V. Schœlcher introduisait cependant, dans l’introduction
de Abolition de l’esclavage, sous le
sous-titre « Antériorité de la civilisation éthiopienne », un questionnement
fondamental :
La question avait été effleurée sur un mode anecdotique et humoristique dans l’essai publié en 1833. L’abolitionniste y relève comment X.-B. Saintine – probablement, note-t-il, pour « se moquer de ces superbes anatomistes qui condamnent fièrement toute une espèce d’hommes, sur la conformation plus ou moins régulière de leurs yeux ou de leur cervelet » – a fait « une excellente critique de ces hauts docteurs, dans son histoire d’une société antédiluvienne » : en un temps où il y avait déjà une armée et une potence en Éthiopie – « les deux derniers degrés de la perfection sociale, à mon avis », ironise Schœlcher – les philosophes d’Auxuma [Axum], tout en reconnaissant l’humanité d’un blanc amené par des voyageurs dans leur ville, auraient déduit de l’examen de ce dernier qu’il y avait eu deux créations d’hommes, à de longs siècles d’intervalle, Dieu s’étant d’abord complu « à faire le nègre éthiopien avec de gros et forts cheveux laineux, pour lui mettre la tête à l’abri du danger, et de bonnes lèvres épaisses, type éternel du vrai beau », puis ayant, dans un second temps, « la puissance de l’ouvrier ou la qualité de la matière défaillant », produit « l’homme blanc, avec sa couleur pâle, ses cheveux plats et ses lèvres rétrécies [39] ».« Avant de passer outre, écrivait-il, il y aurait peut-être une première question à soulever, celle de savoir si les Africains, au lieu d’être un peuple encore dans l’enfance, ne seraient pas, au contraire, un peuple tombé en décadence ; si les nègres, après avoir été la souche de toute société policée, n’auraient point vu, antérieurement à l’histoire connue, le sceptre du monde aller en d’autres mains, comme depuis l’histoire connue on a vu l’Inde, l’Arabie, la Grèce, autrefois si lumineuses, s’obscurcir, s’éteindre et nous laisser à nous autres barbares d’Occident la tâche de l’avenir [38] ».
21 Les quatorze pages d’Abolition de l’esclavage consacrées à la question [40] revêtent un caractère autrement sérieux. Schœlcher en appelle d’abord à l’autorité de quelques experts : avis d’Antoine Fabre d’Olivet qui soutient que, alors que la race blanche était « à l’état sauvage », la race noire « couvrait l’Afrique entière de nations puissantes émanées d’elle », « connaissait la science de la politique et savait écrire » ; invitation de Volney à méditer sur le fait que « cette race d’hommes noirs, aujourd’hui notre esclave, est celle-là même à laquelle nous devons nos arts, nos sciences et jusqu’à l’usage de la parole ! » ; hypothèse du philosophe Richard Payne Knight qui « penche à croire que le nègre est le type originel de l’espèce humaine », la couleur noire étant, selon lui, l’attribut de la race primitive de tous les animaux [41].
22 Étudiant les écrits d’Hérodote et de Diodore de Sicile, Schœlcher observe – après Volney – que ces deux auteurs, « qui avaient puisé les éléments de leur narration aux sources vives, aux traditions sacerdotales, s’accordent à voir dans quelque émigration éthiopienne le principe de la vieille civilisation de Thèbes » : l’Égypte aurait donc été une colonie de peuplement de l’Éthiopie, les anciens Égyptiens ayant d’ailleurs, comme les Éthiopiens, la peau noire et les cheveux crépus et pratiquant, comme eux, la circoncision. Témoignent d’ailleurs, ajoute Schœlcher, du caractère nègre de l’ancienne population égyptienne d’une part la figure des Sphinx, d’autre part les têtes de momies de la collection du Louvre qui « sont tout à fait des têtes de nègres, grosses lèvres, nez épaté, bas de visage fort et carré ».
23
Alors que les relations entre l’Éthiopie et ses colonies
étaient coupées depuis de longs siècles, celle-ci manifesta d’ailleurs encore,
de loin en loin, « sa force et son intelligence » : on vit ainsi à deux
reprises les rois d’Éthiopie reconquérir le trône d’Égypte, d’abord sous le
règne d’Actisanes qui traita favorablement ses nouveaux sujets, adoucit le code
pénal et abolit la peine de mort, ensuite sous le règne de Sabacos dont les
anciens s’accordent à dire qu’il se distingua par sa douceur, remplaçant la
peine de mort par des condamnations aux travaux publics, jugeant, selon Diodore
« qu’en sauvant la vie à ces misérables, il changerait une cruauté infructueuse
en une punition dont l’Égypte tirerait de grands avantages [42] ».
Schœlcher rappelle alors les éléments réunis par Diodore sur l’antique civilisation éthiopienne : les Éthiopiens se disent « les premiers de tous les hommes », affirment que ce sont eux qui ont institué le culte des Dieux, les fêtes, les assemblées solennelles, les sacrifices, en un mot, toutes les pratiques destinées à honorer la divinité ; ils assurent avoir envoyé à Priam dix mille soldats sous la conduite de Memnon et soutiennent que l’Égypte leur doit la plus grande partie de ses lois et de ses coutumes. La tradition recueillie par le chevalier Bruce en 1768, confirme d’ailleurs la diffusion de cette civilisation : les Abyssins racontent que Cush, petit-fils de Noé, et ses enfants, sont passés, après le déluge, en Afrique dont ils ont peuplé les montagnes en creusant des habitations troglodytes ; après avoir construit la ville d’Axum au pied de leurs cavernes, ils ont colonisé la Nubie puis fondé Méroé et enfin Thèbes. De nombreux vestiges témoignent au reste de la grandeur passée : prodigieux fragments de statues colossales à Axum, restes considérables de bâtiments ayant appartenu à la reine de Saba, construits avec des pierres et de la chaux dans les montagnes de Sofala, à proximité des mines d’or et d’argent exploitées par les anciens Éthiopiens. Ainsi le chevalier Bruce peut-il établir un constat de décadence : après avoir été le peuple le plus cultivé de la terre, les nègres « cushites » sont tombés, par un destin étrange, dans une ignorance profonde et se voient maintenant chassés par leurs voisins au fond des mêmes forêts où ils vivaient jadis dans la liberté, la magnificence et le luxe.« Ces idées de haute économie politique qu’apportent les rois éthiopiens sur les trônes conquis, commente Schœlcher, n’indiquent-elles pas que les spéculations sociales étaient poussées dans leur pays à de grandes profondeurs ? Avons-nous besoin de faire remarquer que la majorité des parlements européens n’a pas encore atteint l’élévation de principes du roi noir Sabacos, qui ne remonte pas à plus de 740 ans avant notre ère ».
24
La conclusion de Schœlcher est cependant prudente :
Deux ans plus tard – au début du chapitre VIII de Des colonies françaises, chapitre intitulé « De l’intelligence de l’homme noir » – il se targue néanmoins d’avoir démontré, dans son précédent ouvrage, les textes d’Hérodote et de Diodore « à la main », que les hommes noirs furent les premiers civilisés, assertion corroborée un demi-siècle plus tôt, ajoute-t-il, par les observations de James Bruce mais aussi, plus récemment, par le récit de voyage publié en 1835 par George Hoskins sous le titre Travels in Ethiopa [43]. S’adressant « aux hommes de la révélation », il note – argument nécessairement ironique sous la plume d’un athée déclaré – que « c’est une impiété de se refuser à admettre que les nègres soient un peuple dégénéré, et non pas un peuple encore sauvage » : si les descendants des enfants de Noé, chargés par la Providence de repeupler la terre, sont actuellement dépourvus de la connaissance de toutes les sciences humaines que leur ancêtre, selon la révélation, leur a transmis, c’est qu’ils ont perdu son héritage moral scientifique et industriel ou que la révélation a menti ! Ainsi l’antériorité de la civilisation éthiopienne devrait-elle constituer, pour tout bon chrétien, un article de foi ! L’objectif de l’argumentation est au reste toujours le même : « Nous n’avons pas dit cela sans but, rappelle encore Schœlcher, car la barbarie des nègres étant ainsi un état de dégradation, ils remonteront à leur égalité primitive, dès que la cause de cette dégradation cessera [44] ».« Nous ne pousserons pas plus loin, observe-t-il, la proposition de la civilisation antérieure des Africains ; elle ne serait point en son lieu, et nous ne possédons pas d’ailleurs toute la science qu’exigerait une telle question. Nous avons voulu seulement l’indiquer, afin de montrer que si les colons ne tarissent point sur la stupidité native des noirs, il est des très savants hommes qui ont trouvé ces noirs assez bons pour en faire les éclaireurs de l’humanité. – Encore un mot : quand nous parlons de l’illustration de l’Éthiopie, nous ne prétendons pas l’étendre à toute l’Afrique ; nous avons en vue de démontrer qu’une race nègre a été civilisée, ce qui ne prouve pas, cela est clair, que la race entière l’ait été, mais bien qu’elle est susceptible de l’être, et ce dernier point est le seul auquel tendent nos recherches ».
25 La thèse de l’antériorité de la civilisation éthiopienne ne suscita manifestement pas une large adhésion dans le mouvement abolitionniste : dans son rapport concernant l’ouvrage de Schœlcher, adopté par la Société française pour l’abolition de l’esclavage le 20 juin 1838, M.P.A. Dufau évitait de se prononcer sur la question en la qualifiant de « non résolue ». Appréciation lapidaire qui étonne lorsque l’on sait que Schœlcher entre, ici encore, dans la voie tracée par l’abbé Grégoire lui-même. Plus de trois décennies avant Schœlcher, il intègre en effet à son argumentation le « système de Volney [45] », affirmant l’origine éthiopienne des anciens Égyptiens, ancêtres des actuels « Colches » [Coptes], origine dont témoignent, explique-t-il, le « ton de peau jaunâtre et fumeux, le visage bouffi, l’œil gonflé, le nez écrasé, la lèvre grosse, en un mot la figure mulâtre » qui les caractérisent. Observations confirmées par celles de Ledyard [46] mais aussi du médecin Frank, membre de l’expédition d’Égypte – qui constatait par ailleurs la persistance d’usages communs aux deux peuples (notamment la circoncision et l’excision) –, par l’examen des crânes de momies égyptiennes effectué par Johann Blumenbach, enfin par « l’inspection des sphinx dessinés dans Caylus, Norden, Niehbur et Cassas, examinés sur les lieux par ces trois derniers, et depuis par Volney et Olivier ». Conclusions – remarque d’ailleurs avec impartialité l’abbé Grégoire – infirmées par William Browne [47] qui soutient que le teint basané et les cheveux crépus des Égyptiens décrits par Hérodote n’indiquent pas des n?res – « À cette assertion de Browne, commente l’abolitionniste, il ne manque que la preuve ; le texte d’Hérodote est clair et précis » – mais aussi par Cuvier qui contredit les observations de Blumenbach [48] – contradiction qui n’est peut-être qu’apparente puisque ce dernier distingue en fait trois « variétés égyptiennes, dont une rappelle la figure des Indous, une autre celle des nègres, une troisième propre au climat de l’Égypte ». Au regard de l’abbé Grégoire, la thèse de l’origine éthiopienne des anciens Égyptiens est en fait clairement établie [49].
26 S’inspirant largement de l’argumentation de son prédécesseur – qu’il s’efforce cependant de compléter en collectant dans les récits de voyages en Abyssinie les preuves de la grandeur de la civilisation éthiopienne – Schœlcher ne semble en percevoir ni le caractère contradictoire ni l’ambiguïté. La théorie des climats et celle de l’antériorité de la civilisation éthiopienne ne sont-elles pas antithétiques ? Comment expliquer que les Éthiopiens, apparemment indifférents à tout déterminisme climatique, soient devenus les « éclaireurs de l’humanité » quand leurs voisins, amollis par « un climat dont la fécondité invite au repos éternel », restaient presque sans industrie ? Pas plus que l’abbé Grégoire, Schœlcher ne tente au reste d’analyser le processus de déclin des civilisations, processus pouvant entraîner la dégradation phrénologique des populations : les longues migrations interdisant de cultiver les connaissances, invoquées pour expliquer leur progressif oubli, apparaissent plus comme une manifestation que comme une cause de décadence [50]. Évitement peut-être signifiant : l’idée de dégénérescence sociale se concilie mal, nous semble-t-il, avec l’évolutionnisme optimiste dont font preuve les deux militants abolitionnistes lorsqu’ils appellent de leurs vœux la diffusion de « la » civilisation, c’est-à-dire de la civilisation occidentale, capable de rendre l’humanité plus intelligente et meilleure…
Le « projet africain »
27
Après avoir condamné le « honteux commerce d’hommes », après
s’être employé à démontrer, par un long calcul, la supériorité du coût du
travail servile sur celui du travail libre, Dupont de Nemours proposait, en
1771, un véritable renversement politique :
Que produiraient alors les colons américains ? Ils se livreraient à d’autres cultures, leurs terres, épuisées par les cannes, exigeant d’ailleurs un changement de production.« Voilà, observait-il, quel a été l’essor de l’intelligence atroce des Peuples européens ; mais personne d’entre eux ne s’est avisé de penser que puisque le Ciel avait mis les cannes & les nègres à la côte d’Afrique, il ne fallait pas tant de peines, de dépenses & de cruauté pour avoir du sucre ; qu’il suffisait seulement de faire quelques établissements pacifiques à la côte ; d’y envoyer des artisans, des fabricateurs de moulins & des chaudières, de dire aux nègres : amis, vous voyez bien ces cannes, coupez-en, passez-les entre les deux rouleaux que nous vous offrons, faites-en bouillir le jus dans les chaudières que voici, & nous vous paierons bien le sirop qui en proviendra. Sans doute ils eussent mieux aimé nous vendre le suc de leurs cannes que le sang de leurs frères. Sans doute il leur eût coûté moins cher ; car l’esclave fait acheter la victoire à laquelle il cède. Nous eussions perfectionné leurs mœurs & les nôtres ; nous les eussions rendu cultivateurs & industrieux ; nous ne fussions pas devenus des oppresseurs non moins insensés qu’avides. La culture du sucre établie chez les nègres, & par eux-mêmes, dans leur pays où ils consomment peu, où leur intelligence est libre, où ils se prêtent des secours réciproques, où la nature fait presque tous les frais de la production, n’aurait coûté que très peu de chose ; & nous aurions vrai semblablement (sic) aujourd’hui le sucre raffiné pour six liards la livre, ce qui est sa valeur à la Cochinchine, où il est cultivé par des mains libres. »
28
Le premier souverain qui aura l’audace de mener une telle
politique, ajoutait Dupont de Nemours, forcera les autres nations à l’imiter
:
Texte fondateur de ce que Marcel Dorigny appelle le « projet africain [52] » des abolitionnistes français : la proposition d’exploiter les ressources naturelles africaines – proposition qui n’engage cependant pas nécessairement l’abandon de la production sucrière aux Antilles – est présente notamment dans l’Histoire philosophique des deux Indes de l’abbé Raynal, dans les ouvrages abolitionnistes de l’abbé Sibire, de B. S. Frossard, de D. Lescallier, de F.-X. Lanthenas, de A. Bonnemain, de E. Clavière, de Mirabeau, enfin dans l’Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain de Condorcet. Elle offre l’énorme avantage de réconcilier intérêt économique et principes de justice. Pérenniser l’exploitation esclavagiste en Amérique apparaît alors comme un choix tout à la fois moralement condamnable et économiquement absurde. L’abbé Sibire énonçait clairement, en 1789, la conviction commune : « Oui, cessons d’être féroces, nous n’en serons que plus riches. L’Amérique ne nous donne que des échantillons ; c’est au sein de l’Afrique que respire l’abondance [53] ». Le 28 novembre 1792, la Convention nationale, sensible aux arguments antiesclavagistes, renvoyait d’ailleurs à ses comités du Commerce et des Colonies la proposition faite par A.-G. Kersaint « d’examiner dans quel état se [trouvait] l’établissement agricole fondé par la société anglaise des amis des Nègres, sur les bords de la Sierra-Leona au Sénégal, et de lui présenter les moyens de seconder cet établissement formé pour naturaliser en Afrique la culture des denrées coloniales [54] ». Fondée par les abolitionnistes anglais, cette colonie était d’ores et déjà appréhendée comme un possible modèle.« Il sera le bienfaiteur de l’Europe & de l’Afrique, le réformateur des noirs & des blancs ; il sera agréable à Dieu & aux hommes ; son nom ne sera prononcé qu’avec amour & bénédiction, ses vertus & ses lumières attireront les récompenses du Ciel, les dons de la nature sur les États & sur ceux de ses voisins [51] ».
29
Au début du Directoire, l’abbé Grégoire, dans un discours
prononcé devant l’Institut national le 22 pluviôse an IV, rend hommage aux
quelques philanthropes qui ont imaginé qu’un moyen d’extirper la traite «
serait de porter graduellement la civilisation en Afrique, en organisant sur
les côtes de ce continent des sociétés politiques de nègres libres ». Après
avoir célébré les précurseurs de ce nouveau « plan de colonisation » – le
Suédois C.-B. Wadström, les Anglais Smeathman et Fothergill [55] mais aussi le Français
Dupont de Nemours –, il magnifie l’établissement de la Sierra Leone dont le
véritable but – quoique les spéculations commerciales ne lui soient pas
étrangères et qu’il entre même dans ses vues d’étendre le commerce britannique
– est, selon ses dires, de porter en Afrique la civilisation et la liberté par
l’éducation, l’instruction religieuse et morale [56]. Expérience porteuse d’un immense
espoir :
Enthousiasme durable puisqu’il décrit, en 1808, les colons de la Sierra Leone comme généralement « pieux, sobres, chastes, bons époux, bons pères, [donnant] des preuves multipliés de sentiments honnêtes » : « malgré les événements désastreux de la guerre, et des éléments qui ont ravagé cette colonie, conclut-il, on y goûte presque tous les avantages de l’état social [58] ».Enthousiasme qui semble ne s’être jamais démenti puisqu’il affirme encore, en 1826, que « en fondant la Sierra-Leone, des philanthropes anglais réalisèrent le projet de porter la civilisation en Afrique », se félicitant du fait que « leurs voyageurs se succèdent sans interruption pour explorer cette région dans tous les sens [59] ».« Le cri de la liberté a retenti dans les deux mondes. Puissent les blancs et les noirs, abjurant les rivalités, les haines et les vengeances, confondre leurs affections, et ne plus former qu’une famille ! Puissent l’humanité, la liberté, la justice, renaître enfin dans les contrées africaines, expier les crimes de l’Europe, éclairer, consoler, civiliser des nations qui ont les mêmes droits que nous, et qui peut-être rempliront mieux leurs devoirs [57] ».
30 Si le projet africain n’occupe qu’une place mineure dans les écrits abolitionnistes de Schœlcher, il n’en est néanmoins pas absent. Dans De l’esclavage des Noirs et de la législation coloniale, il propose aux Français d’imiter les Anglo-Saxons qui ont formé sur la côte africaine les colonies de Sierra Leone et de Liberia. Il vante tout particulièrement l’action des philanthropes américains, promoteurs du second établissement où des noirs vivent sous l’empire d’une constitution semblable à celle des USA : deux cents sociétés se sont formées, selon un large extrait d’un article publié dans Le Censeur cité par Schœlcher, pour seconder la société centrale de Pennsylvanie qui arme des navires pour transporter des esclaves affranchis dans la nouvelle colonie. La société de colonisation collecte, avec succès, des fonds afin de conduire à Liberia les esclaves dont nombre de propriétaires des États du Sud lui offre l’émancipation, à la condition qu’elle se charge de leur transport en Afrique. Les pouvoirs publics américains eux-mêmes investissent dans ce beau projet : l’assemblée générale du Maryland a adopté en 1827 un bill qui accorde à la société une somme de mille piastres par an pour être employée au transport d’hommes de couleur ou de nègres libres ayant résidé au moins un an dans les limites de cet État ; vingt et un États de l’Union ont par ailleurs invité le Congrès américain à seconder les efforts de la société, initiative qui devrait entraîner le vote d’une subvention considérable au profit de celle-ci. « C’est ainsi que se prépare, en Amérique, conclut l’auteur de l’article, l’abolition de l’esclavage ; tout promet de rapides progrès à une œuvre qu’approuve la conscience nationale » et Schœlcher d’ajouter : « Sitôt que notre gouvernement aura donné le signal, nous suivrons tous de si nobles exemples [60] ».
31 Le titre IV du chapitre II de Abolition de l’esclavage est entièrement consacré aux « sociétés libres » de Liberia et de Sierra Leone [61]. La première est à nouveau célébrée : comptant environ quinze cents habitants, elle constitue en effet une réussite tant sur le plan économique (elle a fourni à l’exportation en 1832 pour 80 000 piastres de bois rouge, d’ivoire, d’huile de palmier, d’écailles de tortues et de poudre d’or) que sur le plan social et politique (elle possède un journal rédigé en anglais par les colons noirs, des écoles, une cour de justice où siège un jury). Réussite qui dépasse d’ailleurs les limites de son territoire : « Dès 1828, explique Schœlcher, la colonie commençait à fonder des relations avec les peuplades environnantes, et faisait élever dans ses écoles une centaine de jeunes gens de ses voisins. On ne peut douter qu’elle ne devienne, pour l’intérieur de l’Afrique, un riche agent de civilisation ». Les informations concernant Sierra Leone – informations remontant au reste jusqu’à 1830 – se révèlent moins concluantes : « moins avancés » qu’à Liberia, les nègres y montrent cependant « une grande aptitude à tout » (agriculture, construction de villages en pierre, négoce), quelques-uns envoyant déjà leurs enfants en Angleterre pour leur procurer une belle éducation.
32 En 1842 V. Schœlcher se fonde sur les informations fournies par un capitaine de la marine militaire des États-Unis rencontré à la Martinique, M. W. Ch. Bell, pour faire, encore une fois, l’éloge de l’expérience de Liberia où la civilisation, selon ses dires, se développe avec rapidité [62] : essor rapide de l’agriculture et de l’industrie, établissement de nombreuses écoles publiques situées dans divers quartiers de la ville afin que tous les enfants puissent y venir, administration de la justice par un jury, publication de deux journaux rédigés par des nègres, instauration d’un système de gouvernement semblable à celui des colonies anglaises – un congrès vote le budget et les lois qui doivent être soumises à l’approbation du gouverneur (seul homme blanc de l’administration) nommé par la Société d’abolition américaine. « En un mot, commente Schœlcher, c’est une imitation heureuse de la civilisation européenne qui s’élabore là sur les côtes d’Afrique ; et le voyageur admettait que Liberia pouvait un jour devenir un agent de lumière pour l’intérieur ».
33
Les rapports du capitaine Bell, précise alors Schœlcher, sont
d’autant plus crédibles que leur auteur croit à la supériorité native des
blancs sur les nègres, supériorité reconnue – affirme celui-ci – par les nègres
eux-mêmes puisque les Africains des tribus nomment les colons de Liberia « les
nouveaux blancs », « the new white men », tandis que ceux-ci, lorsqu’on leur
demande s’ils se sentent disposés à gagner l’intérieur du continent, répondent
qu’ils ne sauraient le faire car ils sont des hommes blancs, des « white men ».
Récusant l’interprétation donnée à ces propos par son informateur, Schœlcher
soutient qu’ « on peut voir là un hommage rendu par ces nègres à ceux dont ils
reconnaissent avoir reçu la vie intellectuelle et industrielle, mais non pas
l’attestation d’une infériorité imprescriptible dont ils auraient conscience »,
ajoutant, assez contradictoirement, qu’il ne faut au reste pas oublier que la
population du Liberia est elle-même imbue des préjugés de couleur au sein
desquels elle a vécu aux États-Unis.
Malgré « tant de circonstances fâcheuses », les Africains sont parvenus, constatait Schœlcher en 1840, à dépasser l’état sauvage et l’état barbare :« Pour aujourd’hui, d’ailleurs, conclut-il abruptement, la question est de mince importance. Que cette civilisation noire se fonde, se constitue, et prenne de solides racines ; qu’elle s’étende, qu’elle grandisse, qu’elle fasse sortir de l’Afrique un nouveau monde, et quand les produits de leur industrie et de leur science viendront parmi nous, portés par leurs navires, on se convaincra que les nègres peuvent marcher de pair avec les blancs. Laissez faire au temps, l’histoire l’a déjà vu accomplir bien d’autres miracles. Il a fait ce que nous sommes, des farouches habitants des Gaules et de la Germanie ».
Comme ses prédécesseurs, Schœlcher n’a eu de cesse de rappeler l’unicité de l’humanité dont le corollaire est le devoir pour tous les hommes de se considérer comme les membres d’une même famille, comme des frères égaux en droits. L’égalité entre les races affirmée par Schœlcher n’est pourtant qu’une égalité virtuelle, potentielle : si les Africains ne sont pas assis au banquet de la grande famille humaine, ce n’est pas seulement parce que certains refusent de les y admettre, mais aussi, semble-t-il, parce qu’ils ne sont pas encore en mesure d’y tenir leur place. S’ils ont démontré leur aptitude à la civilisation (leur perfectibilité), ils restent cependant – sur le plan économique et culturel et, par voie de conséquence, d’un point de vue phrénologique – « moins avancés » que les Européens mais aussi que les esclaves américains, « frottés » à la civilisation occidentale.« Comment ne pas croire maintenant, ajoutait-il, que, s’ils étaient appelés à un commerce honorable avec l’Europe, ils ne fussent bientôt capables de marcher de pair avec elle ? Ce serait une noble tâche et de nature à inspirer une noble ambition que de leur porter pacifiquement la lumière, de les gagner à la civilisation, d’établir entre eux et nous des relations qui leur fissent prendre un rôle dans le poème sublime de l’humanité. Il se trouvera, celui qui tentera cette grande fortune. Que faut-il après tout ? – Du cœur et du dévouement. Regardez autour de vous, évoquez le génie de l’avenir, n’est-il pas impossible que le magnifique mouvement social dont notre siècle est témoin ne franchisse point, tôt ou tard, les déserts de feu qui semblent vouloir isoler le continent africain. […] Et qui peut dire les résultats futurs du contact fraternel de la race noire avec la race blanche ! Tous les hommes sont solidaires, tous les peuples doivent s’assembler un jour en une immense communion, et, n’en doutons point, les nègres viendront comme les autres s’asseoir au banquet de la grande famille humaine [63] ! »
34 Tous les efforts de philanthropes doivent alors tendre à réaliser cette égalité virtuelle : pour prendre un rôle dans « le poème sublime de l’humanité », les Africains doivent accéder à la culture occidentale qui pourra leur être apportée pacifiquement par des colons blancs mais aussi par des affranchis américains occidentalisés. Si le fait que les colons noirs de Liberia sont désignés par les Africains et se désignent eux-mêmes comme des « white men » semble le troubler quelque peu, Schœlcher élude rapidement ce léger malaise : la « civilisation noire » dont il souhaite l’extension ne saurait manifestement être qu’une « heureuse imitation » de la civilisation européenne. Quel devrait alors être le lien politique entre les puissances européennes et les territoires où elles porteraient leurs lumières ? Aucune réponse explicite n’est donnée à cette question. L’éloge du système politique instauré à Liberia est cependant éclairant. Décrit comme similaire à celui instauré par la constitution des USA en 1833 puis, en 1842, comme semblable à celui des colonies anglaises, il est, dans les deux cas, présenté comme démocratique : démocratie pourtant placée sous tutelle – ce qui ne semble pas gêner Schœlcher – puisque le budget et les lois votées par le congrès local doivent être soumis à l’approbation du gouverneur, un blanc nommé par la Société d’abolition américaine, et n’ont force légale qu’après avoir été sanctionnés par cette dernière [64].
35 Pas plus que l’abbé Grégoire, Schœlcher n’imagine que l’unicité humaine puisse recouvrir des modèles culturels divers : la réalisation de l’égalité humaine suppose le triomphe de « la » civilisation dont le stade le plus avancé, en cette première partie du xixe siècle, est représenté par les sociétés occidentales qui sont d’ailleurs elles-mêmes la résultante d’un long processus civilisateur mené par l’Empire romain et, avant lui, par les Étrusques, la Grèce, l’Égypte et sans doute l’Éthiopie… Unicité de l’humanité et unicité de la civilisation vont de pair. Conception – au reste déjà présente au sein des Lumières françaises [65] – en fin de compte ethnocentrique : les cultures africaines ne peuvent en effet être jugées qu’à l’aune des normes, valeurs, pratiques culturelles de la forme la plus aboutie de civilisation qui se trouve être occidentale. La régénération du continent africain apparaît alors comme une tâche nécessaire, un devoir, l’homme nouveau devant être ouvré grâce à l’action éducative de ceux qui, blancs ou nègres civilisés, ont la chance de posséder les Lumières et à qui incombe, de ce fait, la « tâche de l’avenir ». L’accomplissement de la fraternité nécessite une transmission culturelle qui ne peut s’accomplir que dans un rapport pédagogique unilatéral [66] : « [la civilisation] a pour devoir d’éclairer les sauvages, de les instruire, de leur donner une direction. Tous les peuples ont été conduits par des hommes que la science du passé avait perfectionnés eux-mêmes [67] ». Ainsi, malgré le refus constamment réitéré du préjugé de couleur, l’inégalité est-elle au principe du projet de rénovation des relations entre l’Afrique et les puissances occidentales soutenu par Schœlcher [68].
Bibliographie
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- Schœlcher Victor, Abolition de l’esclavage, examen critique du préjugé contre la couleur des Africains et des sang-mêlés, Paris, Pagnerre, 1840.
- Schœlcher Victor, Des colonies françaises, abolition immédiate de l’esclavage, 1842, [réédition fac-similé Paris, Éditions du CTHS, 1998].
- Sibire, abbé Sébastien-André, L’aristocratie négrière, ou Réflexions philosophiques et historiques sur l’esclavage et l’affranchissement des Noirs…, Paris, Lesclapart et Desray, 1789.
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- Volney Constantin François, Voyage en Syrie et en Égypte, Paris, Volland, 1787, 2 vol. [indiqué par V. Schoelcher en 1840 sous le titre État politique de l’Égypte, qui est en fait la seconde partie de l’ouvrage].
Notes
-
[*]
Caroline Oudin-Bastide est docteur de l’EHESS, membre associé du Centre de Recherche sur les pouvoirs locaux dans la Caraïbe (CNRS).
-
[1]
Cité par V. Schœlcher (1840 : 59).
-
[2]
Cet ouvrage a été présenté en 1838 par V. Schœlcher au concours ouvert par la Société française pour l’abolition de l’esclavage afin de décerner le prix de mille francs offert par testament par l’abbé Grégoire à « l’écrivain qui exposerait les meilleurs moyens d’effacer le cruel et absurde préjugé qui règne parmi les blancs contre les nègres et les hommes de couleur ». Refusé par la commission chargée d’accorder le prix, le texte fut publié chez Pagnerre en 1840.
-
[3]
J.-F. Carteau (1802 : 269).
-
[4]
R.P. J. Mongin (1984 : 82).
-
[5]
Anonyme (1797 : 12).
-
[6]
Conseil colonial de la Guadeloupe, rapport de la commission constituée de Bovis, Reiset, Rochoux, sur le rapport de la commission instituée par le ministre sur les questions relatives à l’esclavage (commission de Broglie), juillet 1843, Caom Généralités 171.
-
[7]
Notre analyse de l’approche de l’Afrique par V. Schœlcher se fonde sur trois textes : De l’esclavage des noirs et de la législation coloniale (1833), Abolition de l’esclavage, examen critique du préjugé contre la couleur des Africains et des sang-mêlés (1840) et Des colonies françaises, abolition immédiate de l’esclavage (1842). Les biographes de V. Schœlcher ont évoqué, avant nous, l’implication de l’Afrique dans l’argumentation antiraciste de V. Schœlcher (A. Girollet, 2000 : 203 ; N. Schmidt, 1994 : 48-51).
-
[8]
V. Schœlcher a attendu 1847 pour se rendre au Sénégal, voyage dont il n’a d’ailleurs laissé aucune relation écrite détaillée – Schmidt (1994 : 48-51).
-
[9]
Les références fournies par Victor Schœlcher sont extrêmement imprécises. Les prénoms des auteurs ne sont jamais indiqués. Il ne donne que les titres des ouvrages des auteurs français et, également en français (ce qui permet de supposer qu’il a utilisé les traductions disponibles à cette époque), ceux des ouvrages de James Bruce (le traducteur, Castera est ici indiqué), de Mungo Park, de Friedrich Hornemann, du major Denham et du capitaine Clapperton. Les pages dont les citations ont été tirées ne sont jamais précisées. Les ouvrages utilisés sont les suivants : Thomas Astley, A new collection of voyages and travels, 1745 ; Gaspard Mollien, Voyage dans l’intérieur de l’Afrique, aux sources du Sénégal et de la Gambie, fait en 1818, par ordre du gouvernement français, 1820 ; Richard Lander, Journal of an Expedition to explore the course and termination of the Niger, 1830 ; René Caillié (orthographié Caillé), Journal d’un voyage à Tombouctou et à Jenné, 1828 ; James Bruce, Voyages aux sources du Nil et en Abyssinie : pendant les années 1769, 1770, 1771 et 1772, 1790-1791 ; Mungo Park (orthographié Mungo-Park), Voyages et découvertes dans l’intérieur de l’Afrique, 1798 (Schœlcher indique 1795) ; Dixon Denham, Hugh Clapperton et feu le docteur Odney, Voyages et découvertes dans le nord et dans les parties centrales de l’Afrique, 1826 (Schœlcher indique 1824) ; Friedrich Conrad Hornemann (orthographié Horneman), Voyage de F. Hornemann dans l’Afrique septentrionale, 1803 ; Mc Gregor Laird et R. A. K. Oldfield, Narrative of an expedition into the interior of Africa, 1837 ; Roger Jacques François, « Notice sur le gouvernement, les mœurs et les superstitions des nègres du pays de Wâlo », in Bulletin de la Société de Géographie, 1827 et Fables sénégalaises recueillies de l’Ouolof et mises en vers français…, 1828.
-
[10]
On trouvait, selon Laird, la ville d’Attah à l’entrée de la vallée du Niger et celle de Bocqua plus haut dans la vallée du même fleuve (V. Schœlcher, 1840, p. 56).
-
[11]
Les éléments du « tableau » de l’Afrique présentés ici sont tirés de V. Schœlcher (1833 : 53-60) et V. Schœlcher (1840 : 39-65).
-
[12]
V. Schœlcher (1833 : 59).
-
[13]
Nous n’avons pu identifier les villes de Kerwani et Kamalia. La seconde, décrite par Mungo Park, se trouvait dans le royaume bambara.
-
[14]
V. Schœlcher (1840 : 71-72).
-
[15]
André Brüe ou Brué fut directeur des établissements du Sénégal pour le compte des diverses compagnies d’Afrique qui se succédèrent à la fin du xviie et au début du xviiie siècle. Il rédigea en 1725 ses mémoires qui permirent au P. Labat d’écrire sa Nouvelle relation de l’Afrique occidentale (chez Pierre-François Giffart, Paris, 1728). L’ouvrage de Willem (William ou Guillaume pour les auteurs français) Bosman, édité en néerlandais aux Pays-Bas en 1704, fut publié en français en 1705 sous le titre Voyage en Guinée contenant une description nouvelle et très exacte de cette côte (A. Schouten, Paris). Michel Adanson publia, en 1757, Histoire naturelle du Sénégal (C.-B. Bauche, Paris) et Antoine Bénézet (ou Benezeth), Some historical account of Guinea en 1772 (W. Owen, Londres).
-
[16]
B.S. Frossard (1789, tome 2 : 218).
-
[17]
H. Grégoire (1808 : 146-160).
-
[18]
H. Grégoire (1808 : 151).
-
[19]
V. Schœlcher (1833 : 62-63).
-
[20]
V. Schœlcher (1833 : 70-71).
-
[21]
Montesquieu (1995 : livre XIV, chapitre II, 444 et 447 et Livre XVIII, chapitre IV, 531).
-
[22]
Quelques-uns se sont pourtant opposés à tout déterminisme climatique : en 1781 Condorcet soutenait que la paresse de certains peuples ne devait être imputée ni au climat, ni au terrain, ni à la constitution physique, ni à l’esprit national mais seulement aux mauvaises lois (1781 : 22), position radicale réaffirmée en 1791 par C. Clavière, membre éminent de la Société des Amis des Noirs, qui ne voyait dans l’invocation de la « localité » qu’une raison « absurde, barbare », « un criminel subterfuge de l’intérêt particulier » (1791 : 96-97).
-
[23]
H. Grégoire (1808 : 173-174). Les italiques sont placés par nous.
-
[24]
H. Grégoire (1808 : 59).
-
[25]
V. Schœlcher (1833 : 68).
-
[26]
V. Schœlcher (1840 : 73-75).
-
[27]
V. Schœlcher (1833 : 68).
-
[28]
V. Schœlcher (1840 : 75-76).
-
[29]
Les colons se réclament au reste très fréquemment de la théorie des climats et de Montesquieu lui-même – C. Oudin-Bastide (2003 : 565-575).
-
[30]
V. Schœlcher (1840 : 146 et 167).
-
[31]
Nous utilisons ici la distinction établie par T. Todorov entre le racisme, « comportement fait le plus souvent de haine et de mépris à l’égard de personnes ayant des caractéristiques physiques bien définies », et le racialisme, doctrine concernant les races – T. Todorov, 1989.
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[32]
Les colons ne revendiquent généralement pas le polygénisme mais s’inscrivent plutôt dans l’approche de naturalistes comme Buffon, Gall ou Petrus Camper qui, tout en affirmant l’unité du type primitif humain, imputent au climat la différenciation des êtres humains qui engendre une catégorisation hiérarchisée.
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[33]
B. S. Frossard (1789, tome ii : 218).
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[34]
Ch. de Rémusat (1839 : 19).
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[35]
V. Schœlcher (1842 : 276).
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[36]
V. Schœlcher (1842 : 156).
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[37]
V. Schœlcher (1842 : 147). Cette analyse de Schœlcher est assimilable à celle de la nation juive proposée par l’abbé Grégoire dans l’Essai sur la régénération physique, morale et politique des juifs paru en 1788 : la dégradation physique et morale du juif n’est pas contestée par H. Grégoire mais elle est considérée comme réversible.
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[38]
V. Schœlcher (1840 : 24).
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[39]
V. Schœlcher (1833 : 78-79). L’ouvrage cité est le suivant : Xavier Boniface Saintine (sous la direction de), Histoire de l’expédition française en Égypte, Gagniard, Paris, 1830.
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[40]
V. Schœlcher (1840 : 24-38).
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[41]
Antoine Fabre d’Olivet, De l’État social de l’homme, ou Vues philosophiques sur l’histoire du genre humain, 1822 ; Constantin François Volney, Voyage en Syrie et en Égypte, 1787 ; Richard Payne Knight, The Progress of Civil Society. A didactic Poem, in six books, 1796 (Schœlcher indique en note : « The progress of civil society, 1796, cité par M. Grégoire »).
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[42]
V. Schœlcher confond en fait l’Éthiopie-Abyssinie et l’Éthiopie de Diodore (la Nubie) : Axum appartient à la civilisation antique du nord de l’Éthiopie, alors que les rois « éthiopiens » qui ont reconquis l’Égypte sont des dynastes nubiens.
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[43]
Hoskins George Alexander, Travels in Ethiopia…, 1835 (Schœlcher donne le titre de l’ouvrage en anglais, sans plus de précision).
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[44]
V. Schœlcher (1842 : 155-156).
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[45]
Note de l’abbé Grégoire : « Voyages en Syrie et en Égypte, par Volney, nouvelle édition, t. I, p. 10 et suiv. » Il s’agit de la troisième édition de l’ouvrage, chez Dugour et Durand, Paris, an VII.
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[46]
L’abbé Grégoire indique en note : « Ledyard, t. I, p. 24 ». Il s’agit en fait des Voyages de MM. Ledyard et Lucas en Afrique, entrepris et publiés par ordre de la Société anglaise d’Afrique, 2 tomes en 1 volume, Détervillan, Paris 1804.
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[47]
Note de l’abbé Grégoire : « Nouveau Voyage dans la haute et basse Égypte, par Browne, t. I, c. XII ». Il s’agit d’une traduction par J. Castéra de l’ouvrage de William George Browne, 2 vol., Dentu, Paris, 1800.
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[48]
Note de l’abbé Grégoire : « De generis humani varietate nativa, in 8°, Gottingue 1794 ».
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[49]
H. Grégoire (1808 : 9-11). Une analyse de la défense par l’abbé Grégoire de la thèse de l’Éthiopie et de l’Égypte nègres est proposée par A. A. Dieng (2000 : 81-85).
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[50]
V. Schœlcher (1842 : 156).
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[51]
P.-S. Dupont de Nemours (1771 : 242-245).
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[52]
Une analyse du discours de l’abbé Grégoire sur la colonisation de l’Afrique a été proposée par M. Dorigny (2000 : 94-104).
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[53]
S. Sibire (1789 : 117).
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[54]
Cité par H. Grégoire (1797 : 165-166).
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[55]
Carl Bernhard Wadström, membre influent de la Société des amis des noirs et des colonies, avait publié un Précis sur l’établissement des colonies de Sierra Léona et de Boulama à la côte occidentale de l’Afrique – Ch. Pougens, Paris, 1798. Le « docteur Smeathman » aurait été le premier à concevoir « un plan de colonisation libre en Afrique, où il résidait en 1783 » : il s’agit certainement d’Henri Smeathman qui se vit confier en 1787 par les abolitionnistes anglais le soin d’amener au Sierra Leone quatre cents nègres libres indigents vivant à Londres. Fothergill – Grégoire écrit en fait « Forthergill », ajoutant, pour toute précision que son nom « rappèle toutes les vertus » (1797, p. 162) – est très probablement le médecin anglais John Fothergill, quaker et philanthrope célèbre.
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[56]
La Société des amis des noirs et des colonies, fondée en novembre 1797, comprenait une commission portant sur les « colonies nouvelles », colonies à former reposant sur le travail libre. Plusieurs sociétaires (Stone, Hélène-Marie Williams, Wadström et Grégoire lui-même) fréquentaient assidûment Talleyrand, ministre des relations extérieures, qui développait un plan visionnaire de colonisation de l’Afrique. Le projet « colonisateur » des Amis des Noirs n’était au reste pas dépourvu d’ambiguïté : « On peut tout autant, remarque B. Gainot, y déceler les prémisses du futur empire colonial au xixe siècle – lorsque la conquête la plus brutale prétendit se purifier en prétextant l’exportation des droits de l’homme – que l’amorce d’une politique de coopération entre les peuples fondée sur le développement du commerce. » (1998 : 312-313). Si la visée de l’abbé Grégoire est indéniablement morale et philanthropique – il insiste d’ailleurs sur la dimension missionnaire du processus (M. Dorigny, 2000 : 100-103) –, elle s’inscrit cependant dans un rapport inégalitaire : les Européens ont un devoir civilisateur à l’égard des Africains.
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[57]
H. Grégoire (1797 : 162-164 et 176).
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[58]
H. Grégoire (1808 : 172-173).
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[59]
H. Grégoire (1826 : 78).
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[60]
V. Schœlcher (1833 : 87-89).
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[61]
V. Schœlcher (1840 : 116-121).
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[62]
V. Schœlcher (1842 : 165-167).
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[63]
V. Schœlcher (1840 : 76-77).
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[64]
V. Schœlcher (1842 : 165).
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[65]
Florence Lotterie a montré comment le jeune Turgot avait pensé, dès 1750, « le progrès de la civilisation comme un processus d’homogénéisation des cultures ». Conception appelée à devenir dominante au sein des Lumières françaises mais à laquelle s’oppose cependant déjà Rousseau qui considère que des choix culturels divers peuvent être conformes à une éthique humaine valable. Débat au reste riche d’avenir : à la civilisation française qui se pense comme un modèle universel, les penseurs allemands opposeront le concept de « Kultur », c’est-à-dire de spécificité régionale ; F. Lotterie (2002 : 19-37). Notons que notre analyse du discours de V. Schœlcher sur l’Afrique contredit celle d’ A. Césaire qui affirmait, en 1948, que l’abolitionniste soupçonnait « en plein siècle de l’impérialisme, qu’après tout la civilisation européenne n’[était] qu’une civilisation parmi les autres – et pas la plus tendre » ; A. Césaire (1848 : 8).
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[66]
L’abbé Grégoire s’inscrivait d’ailleurs dans une conception similaire ; M. Dorigny (2000 : 103).
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[67]
V. Schœlcher (1842 : 286-287).
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[68]
Anne Girollet (2000 : 286) constate que pour Schœlcher l’accès à la civilisation des peuples colonisés suppose généralement un phénomène de déculturation, mais qu’il semble cependant, paradoxalement, pencher pour une acculturation réciproque dans le cas des colonies américaines où il préconise la « fusion » des races dont pourrait sortir « un genre participant des mérites participant de ses deux générateurs » – « on pourrait s’attendre, écrit-il, à voir sortir des Indes occidentales des prodiges nouveaux qui étonneraient l’univers » (1842 : 214).