Notes
-
[*]
Eva Evers Rosander, université d’Uppsala (Suède).
-
[1]
U. Hannerz (1990 : 239-240).
-
[2]
Ibid., p. 238.
-
[3]
Ibid., p. 243.
-
[4]
Sur la métaphore des « racines » (roots) et des « routes », voir P. Basu (2004).
-
[5]
F. Sarr (1998 : 114).
-
[6]
M. Billig (1995).
-
[7]
Une attitude similaire est exprimée dans une autobiographie plus littéraire par l’auteur suédoise Bodil Malmsten, à partir de sa vie en France : « Comme un escargot porte sa maison avec elle, je porte la Suède. Où que je marche je laisse une trace collante et brillante qui dit “Ici a marché cette femme de Suède” » ; B. Malmsten (2004).
-
[8]
Selon M. Ndiaye (1998), ce nom a été donné à l’origine par les gens de la ville aux immigrants ruraux qui venaient principalement en ville comme petits commerçants pour survivre. Plus tard, « Móodu » est devenu un surnom pour tous les commerçants qui partagent les mêmes caractéristiques sociales : un empressement marqué à économiser de l’argent, la religiosité, un certain sens de l’activité commerciale. C’étaient des gens industrieux et courageux, avec une capacité à s’adapter aux situations difficiles – vivre loin de chez eux, se permettre seulement des moyens de consommation minimaux, accepter des besognes que les autres trouvent en dessous de leur dignité.
-
[9]
M. Ndiaye (1998 : 411) ; V. Ebin (1996 : 96).
-
[10]
Voir O. Kane (1997).
-
[11]
Voir E. Evers Rosander (1991 : 12).
-
[12]
Voir E. Evers Rosander (1998 ; 2000 ; 2004).
-
[13]
E. Evers Rosander (2000).
-
[14]
E. Evers Rosander (2000).
-
[15]
cf. E. Evers Rosander (2000).
-
[16]
Nom fictif.
-
[17]
D. Cruise O’Brien (1971) ; C. Gaye (2003).
-
[18]
S. Balogh (1999 : 134 sq).
-
[19]
C. Mackenzie et N. Stoljar (2000).
-
[20]
Ibid., p. 21.
-
[21]
U. Hannerz (2004 : 2).
-
[22]
U. Hannerz (2004 : 5).
-
[23]
U. Hannerz (1987).
-
[24]
S.S. Sered.
-
[25]
Ibid. (1994 : 153).
« On ne se déplace pas de quelque part mais avec quelque chose ».
1
Si l’on en croit Ulf Hannerz, le « cosmopolitisme » est d’abord
une orientation, une volonté de développer des relations avec l’Autre. Il est
une ouverture à des expériences culturelles différentes, une recherche du
contraste plus que de l’uniformité. Cela peut également être une question de
compétence culturelle, d’habilité à circuler dans d’autres cultures et à
manœuvrer des systèmes nouveaux de signification. Un cosmopolite peut s’ouvrir
à la culture étrangère car il a une autonomie personnelle. Il peut choisir de
dissimuler sa compétence culturelle ou au contraire de l’activer. Son regard
sur lui-même n’est pas dépourvu d’une certaine distance [1]. Les « locaux », en revanche, ne
s’intéressent pas à l’Autre. Ils évitent ce qui est étranger et ils
s’accrochent à leurs propres idées concernant eux-mêmes et les autres.
Lorsqu’ils sont à l’étranger, ils restent ensemble ; ils ne s’intéressent pas
aux mélanges de cultures. En réalité, ils font preuve d’une absence totale de
curiosité à cet égard. Si l’on se réfère encore à Hannerz, les femmes du marché
de Lagos ne peuvent pas être mises dans la catégorie des cosmopolites. Elles
embarquent dans des avions à destination de l’Angleterre avec du poisson séché
pour leurs compatriotes de Londres. Lorsqu’elles rentrent, elles rapportent du
lait en poudre, des vêtements de bébé et des bâtonnets de poisson congelé très
recherchés à Lagos. Hannerz dit que ces allers-retours des commerçantes de
Lagos ne dépassent pas l’horizon de la culture urbaine nigériane :
Même si, ça et là, les exilés peuvent être cosmopolites, la plupart ne le sont pas. Hannerz affirme que la plupart des travailleurs immigrés ordinaires ne sont pas cosmopolites non plus, parce que leur interaction avec d’autres cultures représente un coût plutôt qu’un bénéfice. Leur patrie et des revenus plus élevés sont leur idéal. Une patrie de substitution est donc créée à l’étranger avec l’assistance de compatriotes [3].« Ces poissons en bâton et les vêtements de bébé modifient de façon très marginale les structures de signification locales. Une large part de l’implication avec le monde extérieur, qui est caractéristique des vies contemporaines, est constituée de cette façon, c’est essentiellement une question d’assimilation d’éléments d’une origine distante dans une culture fondamentalement locale [2] ».
2 Le présent article aborde le cas des commerçantes, grossistes et coiffeuses sénégalaises qui vivent en partie à Tenerife, dans l’archipel espagnol de Canaries. Par leur apparence physique, elles signalent leur appartenance culturelle sénégalaise (cheveux tressés, vêtements colorés africains). Mais aux yeux de leurs familles restées au pays, elles ont, en développant un mode de vie différent, déjà brisé la plupart des règles culturelles concernant la vie normale d’une femme. Ces voyageuses sénégalaises ne sont pas de véritables migrantes, bien qu’elles ne cessent d’entrer et de sortir d’Espagne, de visiter d’autres pays d’Europe ou d’Asie ainsi que les États-Unis. Elles sont toujours sur la route du Sénégal. Voyageuses permanentes, elles ont appris à se voir différentes. Elles sont conscientes de l’existence d’un préjugé de race et d’un sentiment de compassion dans le regard des Espagnols. Mais les commerçantes sénégalaises savent utiliser ces sentiments pour leur profit économique. Cette connaissance de l’Autre qui ne fait pas abdiquer la dignité et l’identité pourrait bien être ce que Hannerz appelle « une autonomie personnelle » des cosmopolites. Adhérant aux pratiques cosmopolites, mais seulement dans la mesure où cela sert leurs intérêts économiques, ni philanthropes, ni misanthropes, mais entrepreneurs possédant compétence culturelle et habilité sociale, ces femmes en déplacement permanent sont ce que l’on pourrait appeler des « locales cosmopolites ». Leur statut social est aussi dans cet entre-deux : ici étrangères jouant d’une identité d’emprunt, elles retrouvent là une nationalité, une religion, une ethnicité d’origine, mais sont traitées en multimillionnaires par leurs compatriotes. Elles ne restent jamais longtemps au Sénégal, et ce, disent-elles, pour des raisons économiques ; mais en réalité la plupart d’entre elles sont habituées à un nouveau mode de vie.
Roots and routes [4]
3 La force de l’habitude fait que nous pensons souvent à un voyageur cosmopolite comme nécessairement masculin, et cela plus encore quand il s’agit de musulmans. Cette vision des choses se reflète dans la littérature des sciences sociales sur l’Islam, ainsi que dans l’interprétation masculine des règles imposées aux musulmanes. L’idée de femmes en voyage paraît en effet suspecte à certaines institutions sociales islamiques et à certains individus. Dans le cas du Sénégal, la plupart des hommes craignent de voir les femmes exposées aux agressions sexuelles et à d’autres formes de violence dans un monde dangereux. C’est pourquoi, même aujourd’hui, une femme devrait idéalement voyager accompagnée de son mari, son père, son frère ou avec son maHrem, terme arabe qui désigne un parent mâle qu’elle ne pourra jamais épouser. Les femmes qui insistent pour voyager seules ou avec d’autres femmes amies courent ainsi le risque d’être déconsidérées. On ne les associe pas aux personnes respectées ayant beaucoup voyagé et en qui l’on verrait d’authentiques « cosmopolites ».
4 Comment les femmes commerçantes font-elles pour combiner le fait de voyager seules et le maintien de leur respectabilité et de leur réputation morale ? De nombreuses stratégies plus ou moins conscientes existent pour résoudre ce dilemme. L’une d’elle consiste à gommer la frontière entre la sphère domestique et la sphère publique. Le cadre domestique peut être élargi afin d’englober également l’espace étranger que les femmes qui commercent occupent dans d’autres pays. Cela diminue les risques d’être dans la rue ou dans d’autres endroits publics dominés par les hommes, ce qui aurait des conséquences néfastes pour leur réputation. Une commerçante qui se rend régulièrement à Hong Kong m’a ainsi raconté qu’elle voyage équipée de tous les ustensiles et de la nourriture dont elle a besoin pour faire la cuisine. Elle retrouve généralement à l’aéroport un partenaire de travail qui la dépose dans un hôtel du centre-ville. Là, elle reste dans sa chambre jusqu’à son départ, y recevant ses clients pour acheter ou vendre des produits. Une autre stratégie consiste à se montrer généreuse envers sa propre famille ainsi qu’avec celle de son conjoint. Une autre enfin consiste à éviter le commérage en restant réservée dans les relations avec les hommes, espagnols comme sénégalais. Ces différentes stratégies favorisent l’acceptation croissante de la carrière professionnelle et du mode de vie de ces femmes dans leur milieu d’origine. Elles sont ainsi admirées chez elles au Sénégal aussi longtemps qu’elles sont riches et font preuve de générosité. Une intelligente gestion des situations complexes auxquelles les femmes sont confrontées à l’étranger augmente leur autonomie personnelle, leur estime d’elles-mêmes comme le respect des autres à leur égard.
5 Un autre champ d’action est celui de la religion, qui constitue une alternative au mode de vie et à l’idéologie séculiers inspirés du monde occidental. Ces femmes aux racines (roots) sénégalaises et aux routes internationales sont pour la plupart membres d’un ordre sufi ou tariqa (arabe pour « chemin »). La majorité appartient à un ordre appelé el Mouridiyya. Mais la religion peut aussi offrir une source de légitimité aux femmes musulmanes qui développent leurs activités commerciales et leurs réseaux à travers le monde. Khadija, l’épouse du prophète, est ainsi devenue un exemple pour les commerçantes. Sa vie illustre le fait que la place de la femme n’est pas seulement à la maison, mais aussi à l’extérieur, dans un cadre professionnel. L’une de ces commerçantes, interrogée par la sociologue sénégalaise Fatou Sarr, estime que le commerce est recommandé par le Prophète et que Dieu l’a béni [5].
6 Ces Africaines de l’Ouest immigrées en Europe passent parfois davantage de temps hors du pays où elles ont « migré » que dedans. Bien que « basées » à Tenerife, beaucoup reviennent au Sénégal au moins une fois par an et certaines effectuent le pèlerinage à La Mecque tous les ans. Au gré de la demande des clients potentiels, elles se rendent à Ibiza, Palma de Majorque, la Grande Canarie. Comme grossistes, elles font de longs voyages vers d’autres continents. Même si leurs efforts pour obtenir un permis de travail et la nationalité espagnole laissent parfois cette impression, les migrantes de Tenerife ne se conçoivent pas comme des personnes ayant réellement rompu avec le Sénégal. Elles ne brandissent pas le drapeau sénégalais pour afficher leur identité nationale [6], mais elles ne cachent pas non plus leur religion ou leur appartenance nationale [7].
Le va-et-vient vers Tenerife
7 Bien sûr, il existe en Espagne d’autres hommes et femmes originaires du Sénégal que les commerçantes et les coiffeuses mourides de Tenerife. Des femmes de la « bourgeoisie » sénégalaise vont par exemple en vacances aux îles Canaries, relativement proches du Sénégal. Elles combinent voyages d’agrément et commerce. Ce qui les attire, c’est le fait que les îles Canaries sont un port-franc qui offre des produits hors-taxe comparativement bon marché et en abondance. D’autres Sénégalais ont l’ambition de rester en Espagne pour la scolarisation de leurs enfants et même plus longtemps. Ils désirent s’intégrer dans la société espagnole plus que ne le font les commerçantes de Tenerife. Ces migrants permanents – il s’agit surtout de travailleurs domestiques ou industriels, non de commerçants – ont leurs « papiers » en règle ; ils n’entretiennent pas toujours des relations aussi fortes avec les ordres sufi que les femmes dont il est question ici.
8 Mes données de terrain de Tenerife remontent aux étés 1998, 2000 et 2001, lorsque j’habitais à Playa de las Américas et Los Cristianos avec une étudiante sénégalaise, Salimata Thiam, qui était mon assistante. Nous avons suivi quelques commerçantes et coiffeuses dans leurs activités quotidiennes dans la rue, et passé du temps avec quelques-unes d’entre elles dans leur habitation. Nous avons également rendu visite à la famille de quelques commerçantes sénégalaises dans leurs maisons toutes neuves de Dakar et de Thiès. À titre de comparaison, je suis également restée quelques semaines dans un quartier du cœur de Madrid nommé Lavapiés, qui est le centre d’activité du commerce sénégalais. J’ai également rendu visite à des Sénégalais à Séville et dans un petit village à la sortie de Salamanque.
9 La majorité des Sénégalais rencontrés à Tenerife appartenaient au type d’hommes et de femmes habituellement appelés Moudou-Moudou. Le Moudou-Moudou [8] contemporain est le stéréotype de l’analphabète du Baoul, une région pauvre (les hommes sont souvent appelés « Baoul-Baoul », et les femmes par analogie « Fatou-Fatou »). On trouve ces pauvres gens à la recherche d’un emploi à Dakar, mais aussi dans d’autres parties du pays et de l’Afrique, ainsi qu’aux États-Unis, en Europe, en Asie et en Australie [9]. À l’origine, seuls les hommes quittaient leur pays pour une dure vie au loin, à l’étranger.
10 Le Maroc semble avoir été, dans les années 1970, avec l’essor des vols charter, le premier pays à accueillir des commerçantes. Avec Fez comme destination finale, les femmes quittaient le Sénégal pour visiter la tombe du fondateur du Tijanisme, Shaykh Ahmed Tijane. Elles apportaient des produits sénégalais qu’elles vendaient à Fez et Casablanca ; elles achetaient des produits marocains (bijoux, tissus, robes) qu’elles revendaient à leur retour chez elles.
11 Cependant, ce n’est pas avant les années 1990 que les membres féminins des familles et des voisins des Moudou-Moudou des régions pauvres du Sénégal (l’ancienne ceinture de la culture de l’arachide dans le Diourbel et la province de Louga) commencent à émigrer vers l’Espagne. Beaucoup d’entre elles gagnent leurs revenus en vendant des produits de l’artisanat et des tissus bon marché dans les stations de métro à Madrid. Quand toutes les activités commerciales sont interdites dans les stations de métro, en 1997, et que les détaillants sont expulsés des couloirs sous-terrains, beaucoup de commerçantes qui habitaient et travaillaient dans la capitale espagnole partent pour la Grande Canarie et Tenerife pour exploiter le marché du tourisme. Elles rencontrèrent là une attitude moins rigide de la part des autorités à l’égard des migrants et de leurs activités.
12 La majorité des femmes sénégalaises à Tenerife sont des griottes (guewel en Wolof), au statut professionnel peu prestigieux (chanteuses de louange, musiciennes) qui s’insère dans un système social proche de celui des castes. Elles sont wolof, le groupe ethnique le plus important au Sénégal. Les femmes que je connais vivent dans et autour de Playa de las Américas à Tenerife, où elles travaillent comme détaillantes, grossistes, coiffeuses, domestiques, femmes de ménage dans les hôtels, ou encore danseuses. Les griottes ne sont pas les seules dans les rues de Playa de las Américas. Bien qu’en minorité, il y a d’autres hommes et femmes sénégalais à Tenerife originaires de groupes ethniques différents (Toucouleur, Mandingue). Plusieurs commerçants sont « non-castés », appartenant à la majorité des Sénégalais qui se considèrent supérieurs aux groupes marqués professionnellement comme tisserands, forgerons, sculpteurs, potiers et griots.
13 La communauté mouride à Tenerife domine totalement les activités religieuses et sociales des Sénégalais. Tous les griots que j’ai rencontrés à Tenerife étaient mourides. Les Mourides insistent sur l’identité partagée, la piété et la générosité envers les leaders mourides au Sénégal et envers les frères et les sœurs de la diaspora sénégalaise en cas de maladies et de décès. Les quelques non-Mourides qui vivent là, comme des Tijans (membre de la confrérie de la Tijaniyya) ou des Layennes, une autre confrérie, socialisent avec les Mourides dominants, paient des contributions à leur congrégation et à leurs leaders religieux et assistent à certaines de leurs activités religieuses. Ils agissent ainsi pour devenir une partie de la communauté mouride et avoir accès à leurs réseaux commerciaux prospères [10].
14 Le statut économique et social est perçu comme un important élément de la respectabilité. Pour un homme, posséder une voiture ou une maison est particulièrement prestigieux. Si elles peuvent se le permettre, les femmes financent à la fois maisons et voitures pour leur mari et leur famille. Une femme investira également dans des cérémonies familiales au Sénégal afin d’augmenter son prestige et celui de sa famille au sein de leur communauté locale. Une femme prestigieuse a de l’autorité parmi ses parents et affins féminins, économiquement dépendants d’elle, ce qui influe indirectement sur ses relations matrimoniales, en raison de ses ressources morales, économiques et religieuses [11]. Dans le cas des griottes de Tenerife, les ressources matérielles, converties en ressources immatérielles (par des dons d’argent à buts religieux et familiaux) constituent une forme de capital qui augmente dans une certaine mesure le statut social et le prestige de ces femmes au Sénégal. Être mariée, avoir des enfants dans un mariage monogame est certainement aussi un facteur de prestige par rapport aux femmes commerçantes célibataires, divorcées ou veuves. De leur côté, ces femmes sans hommes vont particulièrement insister sur leur « carrière » religieuse de pieuses mourides, qui font des pèlerinages, assistent les marabouts (leader religieux) durant leurs visites à Tenerife. Elles soulignent également la générosité dont elles font preuve à l’égard de leurs familles restées au Sénégal [12].
À Playa de las Américas
15 Il est difficile de connaître le nombre exact de Sénégalais qui vivent à Tenerife. À Playa de las Américas et Los Cristianos, l’autre lieu touristique important, il y avait en 2001 peut-être 150 hommes et environ 30 femmes. Si l’on ajoute encore 300 personnes à Santa Cruz, Puerto de la Cruz et d’autres endroits, dont les femmes constituent environ 20 %, on obtient un chiffre approchant la réalité. Des informations plus précises sont impossibles à obtenir, non seulement à cause de tous les cas de migrations clandestines, mais aussi parce que ces gens vivent en réalité de façon « translocale », voyageant en permanence, entretenant des contacts étroits avec le Sénégal, restant à l’affût des dernières nouvelles se rapportant aux lieux sacrés mourides et aux leaders religieux.
16 Les gens habitent ensemble sur la base de groupes familiaux, de parenté, de quartier, d’origine régionale et de statut de « caste ». Les femmes venues à Tenerife sans mari pour gagner de l’argent aussi rapidement que possible vivent ensemble au nombre de six ou plus dans des hôtels ou dans de petits appartements en dehors du centre de Playa de las Américas, où elles cuisinent ensemble. Elles ont peu ou pas du tout de temps libre et cherchent à minimiser la routine de la maisonnée comme celle de la religion afin de préserver leur temps de travail. La réponse la plus courante à mes questions à propos de leur vie sociale est : « Nous ne vivons pas ici, nous ne faisons qu’y travailler ». Cela signifie ne pas prendre le temps à la maison pour prier durant la journée : les femmes prient deux fois de suite le matin et trois fois lorsqu’elles reviennent à la maison vers minuit après une journée et une longue soirée de vente. Les femmes qui vivent ensemble prennent des tours dans l’achat des victuailles et l’élaboration de la nourriture. Seule la nourriture sénégalaise fait partie du menu quotidien : les ingrédients sont achetés à Tenerife à d’autres Sénégalais qui arrivent de leur patrie avec des condiments et des produits que l’on ne trouve pas sur le marché espagnol [13].
L’argent et les marabouts
17 Tout, à Tenerife, se concentre autour de l’argent, ou comment le gagner, l’économiser, l’investir. Les femmes « non-castées » comme les quelques femmes qui appartiennent à d’autres confréries sufi que les Mourides participent également à la collecte d’argent pour le plus grand des leaders Mourides, Serigne Saliu Mbacké. Des dons d’argent sont également faits à d’autres marabouts, pour l’amélioration de la mosquée de Touba ou pour le pèlerinage annuel à la tombe de Shaykh Amadou Bamba à Touba. Les grands leaders religieux sont dotés de pouvoirs magiques ; ils donnent – et ils prennent. On dit que leurs capacités magiques varient, mais que l’on doit éviter toute complication inutile avec eux ou avec leurs disciples les plus dévots.
18 Les personnes qui peuvent se le permettre envoient régulièrement, comme il a été dit plus haut, des sommes d’argent à leur famille au Sénégal et donnent de l’argent, surtout collecté à travers le représentant de l’association mouride, pour l’addiyya, basé à Santa Cruz. Cette association organise des réunions mensuelles au cours desquelles l’argent collecté de tout Tenerife est rassemblé. La réception de marabouts en visite ainsi que d’autres activités religieuses y sont alors planifiées. Comme elles ont peu à dire dans cette assemblée dominée par les hommes, les femmes mourides de la Playa de las Américas ne considèrent généralement pas disposer du nécessaire pour se rendre à Santa Cruz. Elles perdraient les revenus d’une journée de travail et préfèrent confier leur argent à un représentant masculin. En Espagne, toutes les activités des femmes sont organisées dans le but d’accroître les revenus et de minimiser les dépenses. À Tenerife, les commerçants et revendeurs sénégalais offrent aux touristes une image d’Africains pauvres. À la maison, la situation est opposée : les migrants de retour sont regardés comme des multimillionnaires en francs CFA. Ils doivent se montrer dignes de leur réputation et agir avec générosité : maisons, voitures, cérémonies familiales, pèlerinages à Touba et célébrations en relation avec le retour des hajj de La Mecque – tous ces investissements contribuent à l’avancement social des individus et de leur famille au Sénégal.
19 L’argent est aussi un mode de communication pour les commerçants de Tenerife ; il constitue un lien entre leur ville d’origine au Sénégal, la ville sacrée de Touba et la périphérie qui est constituée par la diaspora espagnole. L’argent constitue une partie de l’univers religieux, et pour les femmes, une condition sine qua non pour entrer en contact avec les grands marabouts des hommes. À l’heure actuelle, les leaders religieux viennent visiter les périphéries diasporiques mourides, qui, dans leur perspective, est à la fois centrale et extrêmement importante pour le mouridisme. Les capitaux accumulés par les Mourides dans la diaspora constituent une contribution financière cruciale pour les leaders mourides et les femmes en tant que commerçantes génèrent une source de revenus qui ne doit pas être sous-estimée [14].
Les visites des marabouts
20 Quand les marabouts arrivent à Tenerife pour rendre visite à leurs disciples, les griottes prennent leur rôle traditionnel de messagères et d’assistantes pour toutes sortes de questions pratiques. Les experts religieux, ainsi qu’ils s’auto-désignent en Espagne, sont installés dans des hôtels très coûteux à la charge des mourides de Tenerife. La nourriture est préparée dans la maison d’une femme griotte, réputée comme bonne cuisinière, et apportée à la suite du marabout à l’hôtel. Là, le marabout reçoit, habituellement assis dans une chaise confortable, entouré par ceux des membres de sa famille qui l’accompagnent, ses disciples les plus éminents et d’autres marabouts qui peuvent se joindre à lui durant son voyage. Les visiteurs s’assoient devant lui sur le sol et lui exposent un à un leurs problèmes et leurs besoins. Le marabout reçoit les dons en argent, dispense des conseils sur les questions religieuses comme sur les questions pratiques et distribue ses bénédictions aux personnes présentes. Souvent, il connaît les Mourides de Tenerife de nom et demande des nouvelles des personnes qui ne sont pas venues lui rendre visite. Certains Mourides envoient simplement une enveloppe avec de l’argent qui doit lui être remise par quelqu’un d’autre. L’argent est utilisé pour ses dépenses personnelles mais aussi pour des écoles coraniques au Sénégal, ou encore pour être distribué aux pauvres dans les mosquées du pays.
21 Les femmes prennent souvent du temps sur leur activité pour rendre visite au leader religieux. En général, celui-ci est occupé avec les hommes durant la journée, quand les enjeux religieux, politiques et économiques sont débattus. Le soir, c’est le moment pour les femmes de se joindre à eux. C’est une occasion unique pour les femmes de se trouver en présence des leaders mourides les plus saints et les plus prestigieux. Au Sénégal, elles n’auraient jamais cette occasion. Aussi la bénédiction du marabout, qu’elles reçoivent à la fin de la visite, les « remplit de grâce » (en wolof : barke, de l’arabe : baraka), une grâce dont elles pensent qu’elle leur sera bénéfique pour leurs opérations commerciales ou autres. Les personnes pauvres au Sénégal n’ont jamais accès à ce type de contact rapproché avec un marabout, et les femmes encore moins. Cette situation avantageuse des femmes mourides de la diaspora est due au fait que les marabouts ont besoin de leurs disciples de la diaspora pour des raisons économiques et socio-politiques. Mais la relation est incontestablement réciproque : la présence des leaders religieux sénégalais renforce l’identité mouride des migrants et donne le sentiment d’être relié avec le centre mouride au Sénégal. Les visites des marabouts et l’argent qu’ils reçoivent de leurs disciples à Tenerife augmentent le rayonnement de la communauté de la diaspora aux yeux des hommes et des femmes sénégalais restés chez eux [15].
Le cas de Khady Samb [16] : un itinéraire professionnel
22 Évoquons ici une des femmes rencontrées à La Playa de las Américas. Je n’ai aucune idée de l’endroit où elle vit aujourd’hui ; peut-être garde-t-elle toujours son appartement à La Playa. En 1999, j’ai rendu visite à sa famille à Dakar et j’ai vu la maison qu’elle avait fait construire pour eux avec l’argent gagné à l’étranger. En réalité, la famille entière vivait de ses contributions financières, aucun de ses frères et sœurs de Dakar n’ayant d’emploi. En 2001, tous les membres de sa famille, sauf sa grand-mère, vivaient et travaillaient avec elle à Tenerife.
23 Khady est un exemple de femme sénégalaise ayant réussi économiquement à Tenerife. Khady est une « griotte » et elle est wolof. Elle est venue à Tenerife avec d’autres jeunes danseuses sénégalaises au début des années 1990 comme membre d’une troupe de ballet organisée par un danseur sénégalais. Grâce à lui, elle a obtenu un permis de travail espagnol. La troupe faisait des tournées dans les îles Canaries et dans la Péninsule ibérique, en France, en Amérique latine et aux États-Unis. Cette troupe de danse sénégalaise se produit encore en Espagne à l’heure actuelle. Aujourd’hui, Khady est une femme divorcée avec un enfant. Son fils vit avec la famille de son ex-mari au Sénégal. Elle a atteint le milieu de la trentaine et s’adonne au commerce sur les marchés et au tressage de cheveux dans les rues de Playa de las Américas. Elle est aussi grossiste et se rend parfois à New York pour acheter un stock en gros de tee-shirts ou d’autres textiles qu’elle revend aux détaillants des îles Canaries. Elle vend également de « l’or » (c’est-à-dire plus généralement des bijoux) en Espagne et au Sénégal, qu’elle achète à Dubaï, en Arabie saoudite et en Égypte. De cette manière, elle gagne beaucoup plus d’argent qu’elle ne le faisait en tant que danseuse. Néanmoins, elle aime encore se produire avec sa troupe sénégalaise ; c’est pourquoi, m’a-t-elle dit en 2001, elle renouera peut-être avec le ballet.
24 Khady vit avec sa mère, son frère et ses trois sœurs. Les membres de sa famille « respectent le visa », ce qui signifie qu’ils restent pour des périodes allant jusqu’à trois mois de suite – la durée de validité du visa – en Espagne, puis ils quittent le pays et reviennent pour une autre période de trois mois. C’est ainsi qu’ils ne cessent de venir et de repartir de Tenerife. Pour Khady, il est très important d’avoir sa famille autour d’elle car elle n’est pas mariée. De plus, elle désire qu’ils gagnent leur vie, ce qu’ils ne sont pas en mesure de faire au Sénégal. Elle est le chef de famille et a une grande autorité sur ses parents, dans la mesure où elle est le principal soutien de la famille à Tenerife. C’est elle qui a la plus longue expérience de la vie en Espagne et qui gagne le plus d’argent. L’ambition première des autres membres de la famille est de gagner assez d’argent pour le billet d’avion de retour pour le Sénégal tous les trois mois, afin de renouveler leurs visas et de revenir en Espagne. Ils ne se sentent pas à l’aise à Tenerife et vivent en gardant des contacts rapprochés à travers de longues conversations quotidiennes au téléphone, avec le reste des membres de la famille à Dakar, en particulier avec la grand-mère.
25 Khady rentre aussi chez elle une fois par an. Elle n’a pas les moyens de rentrer plus souvent, dit-elle, parce que toute sa famille au Sénégal attend des dons en argent et toutes sortes de cadeaux ou une aide financière substantielle en cas de besoins (et les besoins sont sans fin, me dit-elle). Elle ajoute – ce que d’autres femmes m’avaient déjà affirmé pour expliquer leur retour du Sénégal à Tenerife – : « Je devais revenir car tout mon argent était parti. J’avais juste assez d’argent pour le billet de retour ». Mais contrairement à la plupart des autres femmes, Khady admet aimer vivre à Playa de las Américas – et les voyages. « Je suis una aventurera (en espagnol : une aventurière) », dit-elle à plusieurs reprises, en souriant, déclarant qu’elle partira bientôt pour un autre voyage aux États-Unis. Voyager était ce qu’elle aimait le plus lorsqu’elle appartenait à la compagnie de ballet sénégalaise et c’est aussi pourquoi elle envisage de se remettre à la danse.
26 Quand je la questionne au sujet de son affiliation religieuse, Khady répond qu’elle est mouride. Elle n’était initialement membre actif d’aucun ordre sufi. Quand elle est venue à Tenerife, elle ne priait pas et elle ne payait aucun addiyya à un marabout au Sénégal ou à ceux qui viennent en visite à Tenerife. Une fois, elle a discuté durant le vol de Dakar à Las Palma avec un marabout. Il n’a pas apprécié son indifférence religieuse et lui a demandé de vénérer Shaykh Amadou Bamba, le fondateur du mouridisme, car elle aurait besoin de sa protection. Quelques jours plus tard, la maison où elle habitait a brûlé, ce qu’elle a interprété comme un signe. Peu après, Khady rencontra en rêve Shaykh Amadou Bamba, qui l’appela à le suivre. Depuis ce rêve, elle est mouride et fait chaque année le pèlerinage à Touba [17]. Mais au-delà de ces événements personnels, il faut interpréter l’engagement religieux de Khady comme le résultat d’une pression des Mourides de la diaspora. Sans manifester son identité mouride à Tenerife, Khady se serait sentie exclue du sentiment communautaire, ce qui aurait eu un impact négatif pour ces activités commerciales aussi bien que pour sa réputation. D’un autre côté, elle essaye aussi d’être aimable et attentionnée envers ses voisins espagnols et ses clients, elle parle mieux espagnol que la plupart des femmes sénégalaises, un peu de français et quelques mots d’anglais, ce qui lui sert dans ses activités professionnelles.
27 Lorsqu’elle gère l’argent, Khady mélange les formes d’épargne traditionnelles d’Afrique de l’Ouest avec des formes d’épargne transnationales et modernes. Comme au Sénégal, il existe à Tenerife des tontines (wolof : nat), dont les cycles tournent sur l’année, le mois, la semaine ou le jour. Les gens évitent d’utiliser les banques, que ce soit pour les transferts d’argent ou pour l’épargne, si bien que les associations financières traditionnelles restent le système privilégié. Cependant, ces tontines ont été influencées par les conditions économiques et politiques spécifiques qui prévalent en Espagne, de même que par les contraintes qu’exerce la mobilité des personnes, notamment en termes de validité des visas. Dans des conditions aussi incertaines, la participation à une association de tontines qui tourne sur le long terme est une affaire risquée pour certains membres. Des changements brutaux peuvent intervenir dans la vie des participants, qui auront des conséquences négatives pour ceux des membres qui ont leurs papiers en règle et qui vivent de façon plus ou moins permanente à Tenerife. Ces derniers pourraient perdre une partie de l’argent investi dans le nat. Pour éviter de tels problèmes, seules les personnes disposant de véritables permis de séjour sont admises à participer aux tontines, dans lesquelles des sommes d’argent substantielles sont investies pour une durée de plus d’un an. Les autres ont accès à des tontines qui tournent sur la journée ou au maximum sur la semaine, et dans ce cas seules des petites sommes sont investies. Khady est membre d’un nat de Tenerife, gérée par une association que se réunit tous les mois pour payer la somme prescrite et pour tirer des lots de la somme totale amassée à cette réunion particulière. Certaines femmes n’ont même pas le temps de rester bavarder un petit peu. Elles laissent juste l’argent et partent travailler, ou bien envoient l’argent à quelqu’un d’autre pour payer l’échéance mensuelle. Les sommes investies par personne sont considérables : environ l’équivalent de 250 euros par mois en 2000 (alors payés en pesetas). Avec dix femmes dans ce nat, l’une des femmes recevra chaque mois à son tour 2500 euros.
28 Hormis l’argent, les bijoux et les boubous (de larges robes confectionnées avec des tissus chers, parfois brodées) sont des investissements prisés par les femmes sénégalaises à Tenerife. Les habits et les bijoux constituent un élément de prestige au Sénégal et sont surtout achetés pour être utilisés lors des grandes fêtes en relation avec les mariages et l’attribution de noms. Mais à Tenerife, parmi certaines femmes, une culture féminine similaire de célébrations liées aux festins religieux ou à des rites de passages a aussi émergé, inspirés de ce qui ce passe au Sénégal dans les mêmes occasions. En particulier, les femmes qui, pour diverses raisons, ne passent pas beaucoup de temps dans leur patrie, recréent leurs propres compétitions entre femmes sénégalaises en terme de beauté et de valeur des boubous et des bijoux. Cette tendance est confirmée par l’existence de tontines exclusivement dédiées à la collecte d’argent pour l’achat de boubous et de bijoux. L’argent ne peut être utilisé pour autre chose et la femme responsable de la tontine est également celle qui vend les objets aux autres membres. Khady Samb ne participe pas à ce genre de nat, ayant déjà, affirmait-elle, suffisamment de bijoux, achetés à La Mecque et à Dubaï, et de vêtements faits pour elle au Sénégal avec de magnifiques tissus teints au Mali, pour ses besoins personnels.
29 Khady possède aussi un compte dans une banque espagnole. Elle utilise également les membres de sa famille et des collègues sénégalais dignes de confiance pour transporter des sommes d’argent de Tenerife au Sénégal. Une part de l’argent, rapporté au Sénégal dans les bagages à main, les poches ou à l’intérieur de leurs vêtements, est investie en lingots d’or gardés dans un endroit secret. Une partie est cachée dans son appartement à Tenerife, parfois dans un pot de fleur.
30 Bien évidemment, Khady ne gagne pas tout cet argent en faisant des tresses, en vendant des t-shirts et des ceintures. Comme nous l’avons dit plus haut, Khady importe aussi des marchandises des États-Unis à Tenerife, qu’elle revend, et elle achète et elle vend également des bijoux en provenance des pays arabes aux Sénégalais du Sénégal ou de la diaspora, ou à des touristes. Un élément décisif est la très grande capacité de travail de Khady. Travaillant jour et nuit, elle fait des affaires partout où elle en voit l’opportunité. Khady ne prend que quelques heures de repos par nuit, à partir de 3, 4 ou 5 heures du matin. Trois jours par semaine, elle vend et elle fait des tresses sur les marchés dans et autour de Playa de las Américas. Dans ces occasions, elle charge sa voiture tôt le matin avec ses marchandises et revient l’après-midi avec les invendus. Après cela, elle commence à tresser les cheveux dans le style rasta sur une place très populaire et très fréquentée de Playa de las Américas appelé Las Verónicas. C’est ici qu’un nombre de femmes sénégalaises, surtout des griottes, se rassemblent tous les soirs pour faire des tresses et vendre des t-shirts et des ceintures dans la rue. Les hommes vendent surtout des montres. Commençant à travailler vers 6 heures du soir, elle fait une pose vers 10 heures et mange pour le dîner un plat sénégalais en plein air. Elle garde son dîner dans sa voiture garée non loin de la place.
31 Après minuit, l’atmosphère dans les rues et la place changent. Les touristes sont pour la plupart ivres et la période de la nuit appelée par les Sénégalais « l’heure du crime » commence. Les faiseuses de tresses deviennent commercialement plus agressives avec leurs clients ; elles haranguent les touristes pour attirer leur attention. Les prix augmentent follement en fonction de l’heure de la nuit. Dans la journée, une tresse artificielle avec des couleurs contrastées coûte 5 euros ; le prix pour tresser toute la chevelure peut varier de 50 à 200 euros. La nuit, il n’y pas de limite supérieure aux prix ; beaucoup de touristes ne sont pas habitués aux devises étrangères (en 2000 les pesetas avaient toujours cours) et beaucoup ne sont pas assez sobres pour comprendre qu’ils ont été abusés dans les rues, dans les bars et dans les discothèques. Certaines victimes des méthodes commerciales des femmes sénégalaises se plaignent à la police, mais en vain : dès l’arrivée de la police, les commerçants de rue disparaissent sur-le-champ avec leurs marchandises réunies à la va-vite dans un ballot ou un sac à dos. La confection de tresses cesse immédiatement et le client est laissé seul assis sur le trottoir jusqu’à ce que la police disparaisse. Parfois, un commerçant sans papiers est emmené par la police, soumis à une amende, et son stock de marchandise confisqué.
32 Les jours où Khady ne vend ni ne coiffe, elle commence à travailler à Las Verónicas vers 13 heures Les membres de sa famille travaillent souvent la nuit, alors que Khady passe moins de temps dans la rue la nuit qu’autrefois. Parfois, elle est en voyage ou reste à l’appartement pour planifier ses activités commerciales. L’argent qu’elle gagne va directement dans sa poche ; elle a peu de dépenses hormis le loyer de son étal au marché, l’essence et la voiture pour le transport de la marchandise.
33 Sa situation financière florissante a permis à Khady d’acheter de la terre et de construire des maisons à Dakar. Elle a également acheté des voitures pour elle-même et pour son père ; elle possède des bijoux et de magnifiques vêtements. Ses investissements dans le champ religieux ont déjà été mentionnés. Et pourtant il est quasiment impossible de dire ce qu’elle possède réellement ou pas. La plupart des biens importants, comme les maisons et les voitures, sont achetés à crédit. Il en va de même des meubles, de l’équipement de la cuisine, etc. Khady est poursuivi par le démon du gain d’argent ; elle doit sans interruption payer ses dettes, s’occuper de sa famille au Sénégal et faire des dons.
34 Cependant, quand Khady gère son propre commerce de grossiste, elle refuse de revendre les biens importés aux mêmes conditions. Elle veut de l’argent « rouge », une expression utilisée par les Sénégalais pour désigner l’argent liquide. Khady n’accepte plus que du liquide pour éviter d’être abusée. Trop souvent, par le passé, ses clients l’ont laissée sans aucun paiement pour la marchandise qu’elle leur avait livrée. Ainsi, la mobilité géographique des vendeurs et des clients est une des raisons qui contribue au commerce en liquide. L’achat à crédit présuppose une confiance liée, d’une manière ou d’une autre, à la sédentarité (le fait d’avoir une adresse permanente, de vivre au même endroit durant une période plus ou moins longue, où l’argent peut être reçu et à laquelle le client peut être contacté).
35 Khady est tenue de travailler dur pour répondre à ses besoins et faire face à toutes ses obligations financières. Sa marge de manœuvre est très faible et ses dépenses d’investissement sont élevées. J’ignore la quantité d’argent qu’elle conserve dans son compte bancaire, mais on peut supposer qu’il s’agit d’une somme modique. Khady m’a dit plus d’une fois que l’argent ne devrait pas être gardé à la banque : l’argent devait travailler pour elle. Si le jour venait où elle ne pourrait plus gagner d’argent à cause de problèmes de santé ou par suite d’une crise économique, elle courrait le risque d’être rapidement ruinée, car elle n’a pas fait d’autres investissements personnels que sa maison à Mermose. L’attente qui repose sur elle – s’occuper de sa famille en ces temps de chômage – ¹est grande. Or les dépenses somptuaires coûtent cher. Khady sait qu’elle doit dépenser pour être quelqu’un et acquérir un statut au Sénégal. Statut et prestige qui lui donnent aussi une protection morale et légitiment ses voyages et sa vie à l’étranger, – ce qu’une femme pauvre aurait beaucoup de mal à faire sans dommages pour sa réputation. En cela, Khady est prise dans un filet d’attentes et de demandes à la fois financières, morales et religieuses. Jusqu’à un certain point, cela explique à la fois sa dévotion religieuse récente et son obsession pour le gain d’argent, même si, personnellement, elle préfèrerait reprendre la danse.
Une « locale cosmopolite »
36 Khady peut être définie comme une femme « locale cosmopolite ». Son ambition et ses stratégies comme commerçante et coiffeuse sont dictées par des idéaux et des définitions du bien-être financier et social « local » (c’est-à-dire sénégalais), qui recoupent, mais seulement en partie, des critères globaux du succès économique et des modes de consommation. Son cosmopolitisme dérive de ses expériences en tant que « globe-trotter » et de son adaptation progressive à la vie hors du Sénégal. Être une femme divorcée sans enfant en Espagne lui offre considérablement plus d’indépendance et de liberté d’action que cela n’aurait été le cas au Sénégal, où le contrôle social et moral s’exerçant sur les femmes sans hommes (divorcées, veuves ou célibataires) sont stricts. Khady a trouvé son autonomie personnelle en Espagne, ce qui est certainement un aspect important dans son cosmopolitisme – peut-être faut-il dire : son cosmopolitisme « composé », si l’on prend en considération les nombreuses influences nationales et internationales qui sont intégrées dans sa vison du monde et qui y interfèrent !
37
La raison pour laquelle je parle d’autonomie
personnelle, d’après la définition de
Sándor Balogh, est que la notion s’applique
Dans le cas de Khady, son autonomie personnelle l’encourage à agir librement et de façon plutôt indépendante en tant que membre du groupe minoritaire sénégalais en Espagne. Mais la notion s’applique aussi métaphoriquement aux relations de genre dans la diaspora. Khady, en tant que femme sénégalaise à Tenerife, appartient à un groupe minoritaire de femmes. Avec une autonomie personnelle accrue, elle affirme son indépendance par rapport au milieu des hommes sénégalais qui constituent le groupe majoritaire en Espagne. Elle le fait d’une façon culturellement correcte et les hommes doivent accepter son style de vie en raison de son statut et de son prestige. L’autonomie de son expérience dans la diaspora peut aussi, dans la perspective féministe de Catriona Mackenzie et Natalie Stoljar [19], être regardée comme « relationnelle ». Ces deux auteurs estiment qu’une analyse des caractéristiques et des capacités du soi ne peut être entreprise en dehors du contexte social et historique riche et complexe dans lequel les agents sont insérés. Il existe un besoin de penser l’autonomie comme la caractéristique d’agents qui non seulement sont des créatures rationnelles mais qui ont aussi des émotions, un corps, des désirs, une créativité et des sentiments, ce qui souligne les façons dans lesquelles les agents sont à la fois psychologiquement différenciés de façon interne et socialement différenciés des autres [20]. La compétence sociale de Khady et son adaptation habile aux règles multiculturelles facilitent et augmentent son autonomie personnelle, ce qui pour elle, en tant que femme, a clairement un caractère rationnel. Ceci est un aspect important de la carrière transnationale de Khady et de celle d’autres femmes sénégalaises.« quand les individus d’une minorité ou de petits groupes vivent au milieu d’une population majoritaire. Dans ce cas, les membres d’une minorité ont le droit de faire certains choix économiques, culturels, religieux et politiques fondamentaux qui affectent leur vie personnelle, sans interférence, harcèlement et discrimination de la part du gouvernement ou de la majorité de la population. L’autonomie personnelle diffère des droits individuels de l’homme en général par le fait que les membres de la minorité devraient avoir le droit non seulement de faire ce que la majorité fait, mais aussi le droit de le faire en accord avec leur religion, culture, profession, etc. Cela inclut le droit de protéger et de maintenir leur langue, culture, et identité de soi, y compris le droit de former et rejoindre leurs propres groupes et organisations. Ignorer cette différence entre l’égalité des droits et le droit des minorités peut provoquer de sérieux problèmes [18] ».
Dilemme masculin
38 Les actions des femmes et leurs succès économiques semblent être difficiles à vivre pour les hommes mourides à Tenerife. Ceux-ci disent qu’ils sont préoccupés par le comportement moral des femmes en Espagne, qu’ils condamnent souvent en termes généraux. Ils se sont plaints à moi de façon répétée du mode de vie des femmes à Tenerife, qui échappe à leur contrôle. Ils critiquent l’obsession des femmes pour l’argent et les biens matériels, ainsi que ce qu’ils ressentent comme l’indifférence religieuse des femmes. En outre, voir des femmes marchander dans la rue avec des inconnus – des touristes des deux sexes – rend furieux certains des commerçants hommes. Les Sénégalais de Tenerife donnent parfois l’impression de se sentir coupables de ne pas être capables de dominer ou de contrôler les femmes. Mon impression est qu’ils ne se sentent pas comme de « vrais » hommes dans ce nouveau contexte occidental où ils sont traités comme de misérables Africains et où les femmes s’occupent de leurs propres affaires. Les hommes interrogés éprouvent ce manque de contrôle sur les femmes comme quelque chose d’hérétique, allant « à l’encontre de la religion ». Ils savent que les femmes auraient été beaucoup mieux contrôlées par la société si elles étaient restées au pays. Ils savent aussi que la plupart des familles de commerçantes ignorent le fait que leurs mères, filles ou épouses sont assises sur la chaussée publique, criant après les clients, dans les rues de La Playa de las Américas ; ce serait sans nul doute considéré comme honteux si cela était su.
Expérience de la Diaspora
39 La vie de Khady a développé son cosmopolitisme par des rencontres avec diverses cultures. Mais, tout comme les autres Sénégalais à Tenerife, elle insiste sur son identité nationale et religieuse, qui la plupart du temps coïncide avec l’ethnicité et le sentiment d’une homogénéité culturelle partagée. C’est une sorte de nationalisme « basé sur une grande densité symbolique, une ressource importante dans un contexte où la solidarité doit être mobilisée [21] ». Khady a laissé le Sénégal derrière elle, en même temps qu’un groupe de griottes pour qui danser faisait partie de l’identité de caste. Mais une fois en Espagne, elle a expérimenté de quelle façon ce talent pouvait être perçu comme un atout au plan professionnel, que les touristes et les Espagnols à Tenerife appréciaient chez elle, sans relation avec son appartenance de caste ou son identité. Au Sénégal, le privé et le public formaient des parties d’une même identité associée à elle comme griotte. En Espagne, elle a appris à se regarder elle-même à la fois comme un individu appartenant à une minorité dans une situation de diaspora et comme une personne avec deux sphères d’action et de vie ; l’une professionnelle et l’autre privée. La sphère privée n’appartient qu’à elle, et personne en Espagne hors de la minorité sénégalaise ne s’intéresse à cet aspect de sa vie. Selon mon interprétation du développement de Khady vers l’intégrité et la distance à soi, ce pas a été le premier dans le processus de dérivation du local vers le cosmopolite.
40 Le stade suivant a été atteint quand Khady, à travers ses voyages avec le ballet, a établi un lien avec un monde plus large et créé un réseau professionnel et personnel transnational, qu’elle a commencé à utiliser dans ses activités commerciales. Le commerce est un champ d’activité social aussi bien qu’économique auquel Khady a su très bien s’adapter. Elle a acquis une distance vis-à-vis du local tout en continuant à vivre en contact avec lui. Motivée par l’appât du gain, elle a commencé à s’ouvrir à d’autres horizons culturels, comparant son propre mode de vie à d’autres. Sa vision d’elle-même et des autres évolue pas à pas vers une image plus fragmentée. Le fait que Khady ait gagné suffisamment d’argent pour devenir indépendante lui permet de décider pour elle-même, augmente son autonomie et contribue à son acceptation des valeurs et d’un style de vie étrangers. Dans un sens, on pourrait dire que les expériences dérivées du commerce transnational l’ont amenée à une ouverture plus généralisée vers le monde [22]. Cependant, cette rencontre – et même cet engagement – avec la diversité doit être contrebalancée par un engagement similaire dans les activités et le système « local » de valeurs qui se manifeste dans la religion, la famille et la parenté. Ensemble, les valeurs cosmopolites (transnationales et multiculturelles) et locales (traditionnelles et régionales) ont dû se combiner pour ne pas défier les normes du système du pays d’origine ni gêner les relations d’affaires transnationales. Je me réfère à un processus culturel ou à un mélange que d’autres spécialistes des sciences sociales ont appelé la « créolisation » [23] ou le « bricolage culturel ».
41 À Tenerife, le contrôle social au sein de la communauté sénégalaise est important. L’adhésion religieuse et le soutien à la famille constituent pour les hommes comme pour les femmes des obligations sociales coûteuses. Cependant, les femmes sont plus exposées que les hommes à la médisance et à la mauvaise réputation, et elles doivent davantage que les hommes surveiller leur comportement. Les coups de téléphone vers la patrie répandent très rapidement toutes sortes de rumeurs. Aussi Khady est-elle obligée de penser à son comportement en relation avec les traditions, les demandes et les attentes locales. Quand elle est arrivée pour la première fois aux îles Canaries, la communitas et la solidarité de groupe étaient des mots-clefs pour la survie et le bien-être des danseurs en Espagne. Les orientations religieuses partagées se sont aussi avérées être un important outil identitaire dans la diaspora. C’est ainsi de son propre chef, et non à cause de l’affiliation religieuse de son père ou de son (ex-)mari (comme c’est généralement le cas au Sénégal), que Khady est devenue une mouride active. Elle a choisi le mouridisme en fonction de ce qui était le mieux adapté pour elle, à la fois en tant qu’individu et que membre d’une diaspora.
Continuité et cosmopolitisme
42 Susan Starr Sered remarque, dans son livre sur les religions des femmes, que les hommes et les femmes parlent souvent avec des « voix morales » différentes en raison de leur expérience différente de la vie. Alors que les hommes insistent sur les droits universels et la justice en faisant des choix moraux, elle considère que les femmes ont tendance à voir la morale insérée dans des réseaux de relations interpersonnelles spécifiques [24]. Sered souligne aussi l’importance de la continuité dans la vie religieuse et dans la vie profane des femmes. Elle affirme que la réalité sociale empêche plus souvent les femmes que les hommes de s’engager dans de violentes ruptures, que les hommes décrivent et expérimentent. Les femmes – surtout les mères – ne peuvent pas se lever et quitter la vie normale de la même façon que les hommes [25]. Depuis leur prime jeunesse, elles sont entraînées à manifester leur intérêt et à maintenir des relations de long terme avec d’autres personnes. Elles sont dès lors davantage enclines à intégrer le public dans le privé, le profane dans le sacré et la morale dans la réalité de la vie. Ces grilles de comportement ancrées dans le genre apportent une compréhension plus profonde de la sorte de cosmopolitisme caractéristique d’une femme telle que Khady, une commerçante transnationale qui traverse toutes sortes de frontières, géographiques, sociales, économiques et traditionnelles. Par le moyen d’un travail acharné, du succès financier et d’un certain comportement moral, Khady répond aux attentes qui reposent sur elle à la fois au Sénégal et dans la diaspora, surmontant la distance et les contradictions, et trouvant des formes d’autonomie personnelle et relationnelle qui enrichissent sa vie comme femme et comme être humain dans un monde en mutation.
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Notes
-
[*]
Eva Evers Rosander, université d’Uppsala (Suède).
-
[1]
U. Hannerz (1990 : 239-240).
-
[2]
Ibid., p. 238.
-
[3]
Ibid., p. 243.
-
[4]
Sur la métaphore des « racines » (roots) et des « routes », voir P. Basu (2004).
-
[5]
F. Sarr (1998 : 114).
-
[6]
M. Billig (1995).
-
[7]
Une attitude similaire est exprimée dans une autobiographie plus littéraire par l’auteur suédoise Bodil Malmsten, à partir de sa vie en France : « Comme un escargot porte sa maison avec elle, je porte la Suède. Où que je marche je laisse une trace collante et brillante qui dit “Ici a marché cette femme de Suède” » ; B. Malmsten (2004).
-
[8]
Selon M. Ndiaye (1998), ce nom a été donné à l’origine par les gens de la ville aux immigrants ruraux qui venaient principalement en ville comme petits commerçants pour survivre. Plus tard, « Móodu » est devenu un surnom pour tous les commerçants qui partagent les mêmes caractéristiques sociales : un empressement marqué à économiser de l’argent, la religiosité, un certain sens de l’activité commerciale. C’étaient des gens industrieux et courageux, avec une capacité à s’adapter aux situations difficiles – vivre loin de chez eux, se permettre seulement des moyens de consommation minimaux, accepter des besognes que les autres trouvent en dessous de leur dignité.
-
[9]
M. Ndiaye (1998 : 411) ; V. Ebin (1996 : 96).
-
[10]
Voir O. Kane (1997).
-
[11]
Voir E. Evers Rosander (1991 : 12).
-
[12]
Voir E. Evers Rosander (1998 ; 2000 ; 2004).
-
[13]
E. Evers Rosander (2000).
-
[14]
E. Evers Rosander (2000).
-
[15]
cf. E. Evers Rosander (2000).
-
[16]
Nom fictif.
-
[17]
D. Cruise O’Brien (1971) ; C. Gaye (2003).
-
[18]
S. Balogh (1999 : 134 sq).
-
[19]
C. Mackenzie et N. Stoljar (2000).
-
[20]
Ibid., p. 21.
-
[21]
U. Hannerz (2004 : 2).
-
[22]
U. Hannerz (2004 : 5).
-
[23]
U. Hannerz (1987).
-
[24]
S.S. Sered.
-
[25]
Ibid. (1994 : 153).