Notes
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[1]
E. Gilbert, Dhows and the colonial economy of Zanzibar 1860-1970, Oxford, J. Currey, 2004. Voir le compte rendu de cet ouvrage dans le numéro 3 d’Afrique & histoire, p. 235-237.
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[2]
L. Colley, Captives. Britain, Empire and the World 1600-1850, Londres, Jonathan Cape, 2002.
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[3]
Voir, entre autres, R. Werbner, « Central Places in History : Regional Cult and the Flow of West African Strangers, 1860-1960 », in A. Ross et R. Willis (eds), Religion and Change in African Societies, Edinburgh, University of Edinburgh, 1979 ; A. Gascon et B. Hirsch, « Les espaces sacrés comme lieux de confluence religieuse en Éthiopie », Cahiers d’Études Africaines, 128, 1992, p. 689-704.
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[4]
Voir, en autres, N. Quarcoopome, « Thresholds and Thrones : Morphology and Symbolism of Dangme Public Altars », Journal of Religion in Africa, XXIV, 4, 1994, p. 339-357.
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[5]
P. Cressier, « Archéologie de la dévotion soufi », Journal des Africanistes, LXII, 2, 1992, p. 69-90 ; C. Gueye, « Touba : The New Dairas and the Urban Dream », in A. Tostens, I. Tvedten et M. Vaa (eds.), Associational Life in African Cities, Stockholm, Nordiska Afrikainstitutet, 2001, p. 107-123.
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[6]
U. Hannerz, Cultural Complexity : Studies in the Social Organization of Meaning, New York, Columbia University Press, 1992.
1 La mobilité est le fil conducteur de ce volume d’Afrique & histoire. Migrations, échanges, contacts, voyages en sont les maîtres mots. Nos lecteurs savent que notre préoccupation première est de restituer le passé de l’Afrique dans une vision large qui est celle de l’histoire mondiale, tant par les horizons où elle est impliquée que dans les problématiques. Cela ne signifie pas qu’on oublie la première ouverture des sociétés africaines, celle qui les met en relation avec leurs voisins plus ou moins éloignés, suscitant de multiples mouvements internes au continent. Les contacts entre les différents peuples ne se réduisent nullement aux confrontations ou aux invasions (réelles bien sûr), chères à une certaine vulgate africaniste. Les peuples n’ont pas non plus vécu dans les vases clos que leur ont trop souvent impartis les monographies ethnographiques. En plein cœur de l’Afrique, on cultivait du maïs ou du tabac, venus d’Amérique, et on arborait des parures en coquillage importées de l’océan Indien.
2 Le dossier sur les voyageurs africains reflète cette réalité. Il n’a pas fallu attendre les « explorateurs » européens pour que gens se visitent et se « découvrent » en Afrique. Les Africains aussi ont bougé. On connaît les migrants d’aujourd’hui, ils ont été précédés par des générations de jeunes gens aventureux et d’experts en caravanes de toutes sortes. Cette mobilité s’est accrue durant le dernier siècle, à mesure que s’agrandissaient les villes, que se multipliaient les liens appelant à des dons réciproques, que de nouveaux moyens de locomotion devenaient accessibles. Pourtant, ces phénomènes migratoires contemporains prolongent des déplacements anciens que motivaient la quête de terres nouvelles, les guerres et les déplacements forcés de ceux que nous appellerions aujourd’hui « réfugiés » et enfin tous les mouvements individuels condensés dans des migrations dont rendent compte l’archéologie, la linguistique et les traditions orales. Les déplacements actuels entre campagnes et villes, souvent déterminés par la double quête de numéraire et de modernité, ont leurs antécédents dans les circulations de main-d’œuvre vers les sites miniers. En contraste avec ces déplacements focalisés sur des lieux précis, se poursuivent les déplacements plus fluides des commerçants motivés par des transactions qui se produisent tout au long de leur périple entre deux destinations principales. Ce commerce à longue distance a pu relier l’Inde à la côte occidentale de l’Afrique, voire aux réseaux de commerce transatlantique, les caravanes formant le relais continental mobile entre les boutres de l’océan Indien et les vaisseaux de l’océan Atlantique [1]. Les voyageurs africains ont aussi participé au développement d’une culture méditerranéenne autant qu’à celui d’une culture océane. Depuis longtemps, entre les côtes orientales, l’Inde et l’Arabie, circulaient les esclaves, les produits de la mer, les tissus et les épices. Les corsaires maghrébins ont négocié des captifs blancs avec les Européens [2] bien avant que ces derniers n’aient établi le marché triangulaire de la traite qui devait organiser les transportations humaines parmi les plus sinistres de l’histoire. Les guerriers d’aujourd’hui, chefs de guerre ou d’État, mettent en mouvement de vastes fractions de population, tandis que les pèlerinages continuent de mouvoir, sur les voies de la piété, tel futur Hadj ou tel adepte d’un culte local [3] vers l’autel d’un ancêtre [4] ou d’un saint vénéré [5]. De nouveaux itinéraires prolongent les anciens. Les reliefs du Rift africain permettent, par route, de relier enfin le Cap au Caire, réalisant le rêve des bâtisseurs d’empires qui y voyaient circuler un chemin de fer. Les routes et leurs camionneurs sont devenus les vecteurs de gros tonnages et aussi de maladies comme le sida. Les avions modifient les contacts, focalisant les déplacements sur des points de contacts spécialisés, en césure avec la continuité des voyages d’antan qui véhiculaient, tout au long des parcours, modes, connaissances et rumeurs. Les points de contacts peuvent être anciens, avec les extrémités continentales et les concentrations de richesse comme lieux privilégiés. Si l’or du Bouré était, depuis longtemps, objet de rêves et de commerce, l’ouverture de sites diamantifères et miniers ont encouragé de nouveaux trafics dans des zones où, naguère, l’ivoire attirait les caravaniers. La focalisation des points de vente a élargi l’Afrique à ses zones de contacts privilégiées. Dubaï est devenu un lieu de contact culturel africain important : la richesse y permet le déploiement d’une main-d’œuvre non qualifiée et les talents d’artistes ailleurs fort mal payés. Les musiciens africains en font leur lieu de ralliement le plus envié. New York est une autre de ces plaques tournantes, mais chaque lieu où une opportunité de commerce intense s’offre peut devenir un point de ralliement, une escale pour des commerçants ou commerçantes.
3 C’est dans ces contextes de longue durée que s’inscrivent les exemples pris dans le dossier sur les « voyageurs africains ». Ainsi, les Sénégalaises mourides établissent-elles, aux Canaries, une sorte d’escale à leur vie pas vraiment cosmopolite mais certainement fort mobile. Elles mettent leurs déplacements mercantiles au service de leur enracinement au pays, où elles gagnent une indépendance financière, l’accès à la propriété personnelle et un prestige accru dans les réseaux locaux de solidarité et d’échange fondé sur les liens anciens de parenté. Ce mécanisme est bien connu dans toute l’Afrique et les voyages internationaux ne sont qu’une forme exacerbée du contact réussi avec la ville. L’horizon de ces voyageurs, pour reprendre la terminologie de Hannerz [6], peut rester l’enracinement au terroir, le but de l’exil étant, avant tout, une amélioration d’un statut local. En écho, nous voyons sur les bords du lac Tanganyika au xixe siècle, à Ujiji, des caravanes venues de la côte orientale, relayées parfois par les pirogues. En ces lieux, les accompagnateurs des explorateurs européens bénéficiaient du prestige lié à leur connaissance du terrain et, déjà, à leurs liens avec les étrangers. Nombre d’entre eux jouissaient, une fois installés, d’un statut enviable lié à leur connaissance du monde. Ce fut aussi le cas du caporal Manus Ulzen : embarqué volontaire sur un vaisseau néerlandais en route vers Batavia, capitale des Indes orientales néerlandaises, Ulzen, rentré au pays après un périple passant par la froideur de l’hiver hollandais, bénéficia d’une pension d’ancien combattant et tint pavillon haut dans le quartier métis où il demeurait. Certes, son esprit d’initiative lui avait valu ce statut, mais ses voyages n’avaient pas fait de lui un cosmopolite. En revanche, William Sheppard vit son séjour au Congo comme un retour au pays de ses ancêtres : missionnaire afro-américain, au lendemain de la guerre de Sécession et de l’abolition de l’esclavage aux États-Unis, il se retrouve au Congo au début du régime colonial. Il partage la souffrance des populations soumises au régime léopoldien, avec en tête celle de ses frères encore esclaves quelques décennies auparavant. Il se fait ensuite davantage l’apôtre de la grandeur de la civilisation kuba auprès de son public américain qu’il avait été apôtre du Christ chez ses ouailles d’Afrique centrale. Mais c’est bien de la dignité noire dans son propre pays qu’il témoigne. Son « voyage » s’est inscrit à la fois dans l’espace éclaté de la négritude et dans le temps déchiré du xixe siècle. La discussion de textes d’un historien égyptien du xve siècle sur des voyageurs arabes en Éthiopie nous rappelle d’autre part l’ancienneté de la circulation des gens du Nord du continent au sud du Sahara et vers le haut-Nil.
4 On aura remarqué qu’un des éléments du tableau de ces pérégrinations est la présence de l’esclavage, soit tourné vers l’extérieur, soit à l’intérieur du continent. Les traites esclavagistes, déportations et non « voyages », nous conduiraient à d’autres questionnements. Disons simplement ici qu’elles déterminent nombre de mobilités induites à l’intérieur du continent, mais qu’elles marquent aussi les regards étrangers. L’âge dit des « explorations » est précédé et accompagné par le discours abolitionniste. On connait le rôle des affranchis auprès de nombreux voyageurs européens du milieu du xixe siècle. La dimension paternaliste du rapport entre les Européens, propagandiste de la « civilisation » et de la « liberté des échanges » (pensons à Livingstone), et leurs guides et protégés, trouve un autre éclairage dans ce numéro avec l’étude de la pensée de Victor Schoelcher sur l’Afrique : selon le père de l’abolition de l’esclavage en France, les Noirs sont des êtres humains égaux aux Blancs, mais leurs civilisations sont en retard. Une vision bien différente de celle de Sheppard.
5 La rencontre avec Maurice Godelier autour de son dernier ouvrage sur la parenté offre un champ de questionnements qui ne nous éloigne pas de cette prospection renouvelée de la mobilité dans les anciennes sociétés africaines. En effet, les principes de la filiation et de l’alliance sont par excellence des invariants structurels dans la littérature africaniste classique. Or, opérant un retour à la fois sur son œuvre et sur les grands écrits anthropologiques relatifs à ce sujet, Maurice Godelier contribue ici, dans cet entretien exceptionnel, à une réflexion décisive sur la flexibilité des systèmes de parenté, sur l’impact des rapports de pouvoirs et des imaginaires culturels dans leur construction et donc, en dernière instance sur leur historicité.
6 La rubrique « atelier » nous reporte vers un passé plus lointain de l’Afrique : les stèles funéraires gravées du Mali « médiéval », analysées par Paulo Fernando de Moraes Farias dans une somme qui fera date, commentée ici par Jacqueline Sublet et Jean-Louis Triaud, et qui, selon les mots de ce dernier « ouvre à une révision profonde des rapports entre sources écrites et orales, et entre les différents registres de l’écrit eux-mêmes ». Ces sources anciennes nous parlent aussi de mobilités complexes, de croisements culturels, arabo-africains et entre Touaregs et Songhay. On voit du même coup que l’histoire de l’Afrique se fait en écho avec les recherches sur le reste du monde (méditerranéen, européen, etc.) et peut éclairer aussi d’autres situations de par le monde.
Notes
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[1]
E. Gilbert, Dhows and the colonial economy of Zanzibar 1860-1970, Oxford, J. Currey, 2004. Voir le compte rendu de cet ouvrage dans le numéro 3 d’Afrique & histoire, p. 235-237.
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[2]
L. Colley, Captives. Britain, Empire and the World 1600-1850, Londres, Jonathan Cape, 2002.
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[3]
Voir, entre autres, R. Werbner, « Central Places in History : Regional Cult and the Flow of West African Strangers, 1860-1960 », in A. Ross et R. Willis (eds), Religion and Change in African Societies, Edinburgh, University of Edinburgh, 1979 ; A. Gascon et B. Hirsch, « Les espaces sacrés comme lieux de confluence religieuse en Éthiopie », Cahiers d’Études Africaines, 128, 1992, p. 689-704.
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[4]
Voir, en autres, N. Quarcoopome, « Thresholds and Thrones : Morphology and Symbolism of Dangme Public Altars », Journal of Religion in Africa, XXIV, 4, 1994, p. 339-357.
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[5]
P. Cressier, « Archéologie de la dévotion soufi », Journal des Africanistes, LXII, 2, 1992, p. 69-90 ; C. Gueye, « Touba : The New Dairas and the Urban Dream », in A. Tostens, I. Tvedten et M. Vaa (eds.), Associational Life in African Cities, Stockholm, Nordiska Afrikainstitutet, 2001, p. 107-123.
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[6]
U. Hannerz, Cultural Complexity : Studies in the Social Organization of Meaning, New York, Columbia University Press, 1992.