Couverture de AFHI_003

Article de revue

Des maîtres de paroles en Algérie coloniale

Le récit d'une mise en scène

Pages 129 à 154

Notes

  • [*]
    Didier Guignard, professeur agrégé d’histoire, est enseignant au lycée Jean Lurçat (Martigues). Il prépare une thèse sur les scandales administratifs en Algérie coloniale (1880-1914). Laboratoire d’accueil : IREMAM/MMSH (Aix-en-Provence).
  • [1]
    L’incident de Bougie nous est connu grâce aux comptes rendus envoyés à la préfecture de Constantine par le maire, la gendarmerie et la police locales, conservés au Centre des Archives d’Outre-Mer à Aix-en-Provence (CAOM, 7G5). Ils sont courts, peu détaillés et se répètent largement, joints à d’autres rapports qui exposent, conformément aux instructions reçues, les réactions politiques dans la colonie à l’anniversaire de la République. La saisie de l’environnement propre à cette journée est complétée grâce aux archives de la colonisation locale (CAOM, dans les séries L et M) et du bureau arabe de Bougie (CAOM, dans la série K).
  • [2]
    Un « Royaume » sous la « protection » de la France où aurait régné l’égalité entre Algériens et Européens.
  • [3]
    Sur cette période, lire : A. Rey-Goldzeiguer (1963 : p. 123-158 ; 1977 : p. 631 et suivantes), C.-A. Julien (1979 : p. 453-500), C.-R. Ageron (1968 : t. 1, p. 2-55).
  • [4]
    C.-R. Ageron (1968 : t. 1, p. 19) à propos des velléités autonomistes du maire d’Alger, Vuillermoz, en 1870.
  • [5]
    D. Rivet (2002 : p. 11).
  • [6]
    C. Nicolet (1994 : 9, 29).
  • [7]
    CAOM, 7G5.
  • [8]
    M. Vovelle (1984 : 116-117).
  • [9]
    CAOM, 7G5.
  • [10]
    Ibid.
  • [11]
    Ibid.
  • [12]
    Ibid.
  • [13]
    CAOM, 66K4.
  • [14]
    Ibid.
  • [15]
    A. de Tocqueville (1991 : t. 1, p. 681).
  • [16]
    Gouvernement général de l’Algérie (1874 : p. 150-151 et 158-161). La population kabyle du cercle de Bougie est sous-estimée en 1872 avec moins de 70000 individus recensés alors qu’un rapport de la commission des centres de colonisation de Bougie fait état la même année de 120 000 Kabyles (CAOM, L26). Sur le manque de fiabilité des chiffres de recensements algériens à l’époque coloniale, lire K. Kateb (2001 : 19-21).
  • [17]
    CAOM, 7G5.
  • [18]
    C. Féraud (1869 : 388).
  • [19]
    CAOM, 2M117-119.
  • [20]
    Des viols d’Européennes furent commis par les militaires en plus de la terreur systématique qu’ils infligèrent aux Algériens sur leur passage. Cf. C.-A. Julien (1979 : 169).
  • [21]
    Op. cit.
  • [22]
    F. Pharaon (1865 : 94-96) ; O. Teissier (1865 : 244).
  • [23]
    Anonyme (1865).
  • [24]
    L. Rinn (1891 : 230).
  • [25]
    L’Indépendant de Constantine, 04/05/1871.
  • [26]
    Ibid.
  • [27]
    CAOM, 7G5.
  • [28]
    CAOM, 66K4.
  • [29]
    Ibid.
  • [30]
    CAOM, 66K11.
  • [31]
    CAOM, L26 – Instructions du gouverneur au général de Lacroix, responsable de la division de Constantine, 03/12/1872.
  • [32]
    Les estimations qui suivent résultent de la confrontation des chiffres globaux fournis par C.-R. Ageron (1968 : t. 1, p. 27 et 31-32) avec divers documents relatifs au cercle de Bougie : la population kabyle concernée par la répression (CAOM, L26), la contribution de guerre exigée (CAOM, 66K2), le montant de l’impôt pour 1872 (ibid.) et la proportion des terres de cultures séquestrées (CAOM, 3M25).
  • [33]
    Dix-sept fois l’impôt annuel était le maximum de contribution de guerre à exiger des tribus révoltées, selon les conseillers les plus sévères du gouvernement d’Alger. Cf. C.-R. Ageron (1968 : t. 1, p. 25).
  • [34]
    CAOM, 66K4.
  • [35]
    En particulier par les épidémies de choléra et de typhus ; lire à ce sujet : A. Nouschi (1961 : p. 337-378), A. Rey-Goldzeiguer (1977 : p. 453 et 472-473).
  • [36]
    CAOM, 66K11.
  • [37]
    A. Mahé (2001 : p. 201).
  • [38]
    CAOM, 66K4, rapport du commandant de cercle au gouverneur, 3 mars/1872.
  • [39]
    CAOM, 66K6.
  • [40]
    Khodja (secrétaire), chaouch (planton), spahi (cavalier), khiela (membre d’une force de police locale).
  • [41]
    CAOM, 66K2. Le constat du commandant Reilhac peut être généralisé à l’administration de l’ensemble des territoires militaires de l’Algérie. Cf. J. Frémeaux (1993 : p. 31).
  • [42]
    Formule reprise par tous les guides touristiques du début xxe siècle.
  • [43]
    Nous empruntons aux géographes la notion d’espace vécu, défini comme « le rapport existentiel que l’individu socialisé (donc informé et influencé par la sphère sociale) établit avec la terre », d’après G. Di Meo (1998).
  • [44]
    CAOM, L26.
  • [45]
    Comice agricole de l’arrondissement de Bougie (1900 : p. 26).
  • [46]
    CAOM, 66K2 – L’auteur ne cite, hors du territoire civil, que la concession forestière de M. Chabannes sur la route de Chabet el-Akra (à l’est du cercle) au « personnel très restreint ».
  • [47]
    Croisement des rapports des commandants du cercle de Bougie pour les années 1871-73 (CAOM, 66K2, 66K4, 66K6) avec l’article déjà cité de C. Féraud (1869 : p. 107-116).
  • [48]
    Ibid.
  • [49]
    C. Féraud (1869 : p. 107-116).
  • [50]
    CAOM, 7G5.
  • [51]
    Constat semblable dans la ville de Bône (Annaba) à la même date. Cf. D. Pochaska (1980 : 53-74 ; 1990 : 135-179).
  • [52]
    CAOM, 2M117-119. Les comptes rendus de visites des concessions réalisées entre 1854 et 1864 à Bougie ne permettent pas une étude rigoureuse de l’origine géographique ou de la nationalité des propriétaires. L’observation seule des noms, qui ne saurait en aucune façon servir de preuve, fournit simplement une indication : plus de 80 % ont une consonance française.
  • [53]
    CAOM, 7G5.
  • [54]
    CAOM, 2M118. Sur une concession de 11 ha, il dépensa en 1863 la somme de 3 400 F pour la plantation de 600 arbres fruitiers. La fortune de sa famille était-elle plus ou moins grande avant l’arrivée des Français ?
  • [55]
    CAOM, 2M117-119. Donner des proportions exactes est difficile dans la mesure où les concessionnaires double actifs, nombreux dans l’étroit périmètre de Bougie, se déclarent volontiers « cultivateurs » pour satisfaire les contrôleurs et parce qu’une trentaine de titulaires ne donnent aucune précision. Cependant, à titre indicatif vers 1860, car les mutations de 1854 à 1864 compliquent aussi la saisie, la superficie moyenne des propriétés n’était que de 3,5 ha. 33 titulaires se définissaient comme « cultivateurs », 9 comme artisans (boulanger, maçon, charpentier, serrurier, etc.), 10 comme négociants (d’huile, de tabac, de blé, etc.), 7 comme employés ou fonctionnaires, 5 comme « industriels » (briquetier, tuilier, fondeur, etc.) et 10 comme « propriétaires ». Par exemple, Louis Eynaud faisait figure de grand propriétaire avec 18 ha en vigne, arbres fruitiers, prairies. Avec ses deux maisons, l’ensemble de la propriété était estimée à 15 000 F en 1862. Simple journalier, le seul qui fut en même temps concessionnaire, Joseph Espiguy ne disposait que d’une parcelle de 90 ares à la même date : en orge, arbres fruitiers et haricots.
  • [56]
    CAOM, 1L15.
  • [57]
    CAOM, 2M117-119 – La superficie moyenne des concessions passe de 3,2 à 3,5 ha de 1854 à 1864 et le nombre de titulaires de 111 à 102.
  • [58]
    A. Rey-Goldzeiguer (1963 : p. 152)
  • [59]
    Portrait dressé en croisant plusieurs documents : CAOM, L26, 2M117, 7G5.
  • [60]
    CAOM, L26.
  • [61]
    Ibid.
  • [62]
    CAOM, 1L15. (Le mot « européenne » est souligné dans le texte).
  • [63]
    C. Féraud (1869 : p. 105).
  • [64]
    Application des décrets des 27/12/1866 et 19/12/1868, de la loi du 14/04/1871.
  • [65]
    Arrêté du gouverneur général, 18/04/1841, confirmé par l’ordonnance du 01/09/1847.
  • [66]
    L’officier s’octroyait une concession de 11 ha en 1845, qui n’était pas la première. « Certains particuliers se servent un peu trop en terres », constatait alors le chef du bureau des subsistances maritimes à Paris (CAOM, 1L15). Il en possédait peut-être le double puisque sa veuve put doter sa fille aînée vers 1860 avec une superficie semblable, et en garder suffisamment pour elle et sa cadette (CAOM, 2M119, titulaires : Possien et Sauvé).
  • [67]
    Conformément à l’ordonnance de 1847 qui s’applique toujours sur ce point en 1872.
  • [68]
    CAOM, L26.
  • [69]
    CAOM, 1L15.
  • [70]
    CAOM, 3M25.
  • [71]
    Ibid.
  • [72]
    Ibid.
  • [73]
    CAOM, L26.
  • [74]
    Ibid.
  • [75]
    Ibid.
  • [76]
    Ibid.
  • [77]
    Une législation très changeante et souvent imprécise. Ainsi sept ans seulement après son abolition, la concession gratuite revient en force en Algérie par les lois des 24/06 et 15/09/1871 qui octroient 100 000 ha aux candidats alsaciens-lorrains. Le décret d’application de ces textes, du 16/10/1871, précise dans son titre ii qu’il en étend le bénéfice à tous les Français d’origine européenne. Si le colon ne réside pas sur son lot au cours des neuf premières années, il peut être déchu de sa propriété. Cela implique-t-il qu’il y construise obligatoirement sa maison ? Sur ce point, « la jurisprudence s’est toujours montrée hésitante » constate le juriste E. Larcher (1923 : t. 3, p. 479). De fait, la loi profite plus aux colons déjà installés en Algérie qu’aux éventuels candidats à l’immigration, « vice capital du titre ii », estime, trente ans plus tard, le haut fonctionnaire de Peyerimhoff (1906 : t. 1, p. 53).
  • [78]
    7G5.
  • [79]
    C.-A. Julien (1979 : p. 547) ; C. Martin (1936).
  • [80]
    C. Féraud (1869 : p. 106 et 404).
  • [81]
    E. Guernier (1946 : t. 2, p. 123).
  • [82]
    P. Montoy (1982 : t. 1, p. 49).
  • [83]
    Parmi les articles polémiques à droite ou au centre : La Patrie, 1 et 5 septembre/1872 ; La France, 30 août et 4 septembre/1872 – Pour les réactions à gauche : La République française, 1er septembre/1872 ; L’Événement, 7 septembre/1872.
  • [84]
    L’Indépendant de Constantine, 25 mai 1972.
  • [85]
    CAOM, 1X, 31Miom11 – Isma’il Urbain (1812-84), « apôtre d’une Algérie franco-musulmane » d’après C.-R. Ageron (1968 : t. 1, p. 398) fut l’inspirateur de la politique impériale du Royaume arabe, comme conseiller de Napoléon III et du gouvernement d’Alger entre 1860 et 1870. En 1872, détesté des colons et retiré en France, sa liberté d’expression est limitée.
  • [86]
    CAOM, 7G5.
  • [87]
    Ibid.
  • [88]
    Ibid. Les collections de journaux français d’Algérie en France (BNF, CAOM), extrêmement lacunaires pour cette période, ne permettent pas de connaître directement leur traitement de l’incident de Bougie.
  • [89]
    CAOM, 1X, 31Miom11 – Une lettre de Sautayra, président de la cour d’appel d’Alger, à son ami Isma’il Urbain (21.5.1872) nous apprend que le préfet d’alors, M. Roussel, « aurait vendu des terrains domaniaux par ventes de gré à gré mais sans observer les conditions voulues par la loi, et moyennant des prix ridiculement réduits ». Aussitôt, « les colons de la localité se sont plaints, la commission départementale s’est emparée de l’affaire, elle l’a dénoncée au gouverneur qui a jeté des hauts cris ». « Je crois », conclut l’auteur, « qu’aujourd’hui le préfet a contre lui le gouverneur et la commission départementale et que sa chute est certaine quoi qu’il arrive. » Avant d’être rappelé, le préfet Roussel est encore l’objet de trois votes de défiance de la part du conseil général et d’une violente campagne de presse dans L’Indépendant de Constantine.
  • [90]
    L’audience du journal est limitée, avec un tirage inférieur à 5000 exemplaires, mais il a la réputation d’être bien informé par ses attaches avec les notables du centre droit et certains ministres, par l’influence qu’exerce sur sa rédaction le duc de Broglie en personne. Cf. P. Albert (1980 : t. 1, p. 754-762).
  • [91]
    Les journaux républicains modérés qui ont été consultés sont Le National, La France, L’Événement ; et pour l’aile gambettiste : La République française.
  • [92]
    C. Rémusat (1967 : t. 5, p. 422).
  • [93]
    CAOM, 7G5 – Note à usage interne, 09/1872.
  • [94]
    La presse hexagonale n’a pas de correspondant envoyé en Algérie. Des quotidiens qui comptent comme Le Temps ou Le National, le vénérable Journal des Débats (malgré la présence d’Isma’il Urbain) continuent à puiser leurs informations dans « les derniers rapports parcourus au ministère de l’Intérieur », c’est à dire seulement un bilan hebdomadaire sur « l’état d’esprit des Indigènes », leur état sanitaire, les incendies, les récoltes et les rentrées fiscales…
  • [95]
    CAOM, 1X, 31Miom10 – Ancien interprète, Charles Brosselard a déjà derrière lui une longue carrière dans l’administration civile d’Algérie, entamée au début des années 1840. Il est aussi l’auteur d’un dictionnaire berbère et de travaux sur les confréries musulmanes.
  • [96]
    C. Rémusat (1967 : t. 5, p. 421).
  • [97]
    Ibid.
  • [98]
    CAOM, L26.
  • [99]
    F. Biziou est conseiller général de Bougie de 1874 jusqu’à sa mort en 1893, également maire de sa ville de 1884 à 1892 (CAOM, B.1.2 et 3M25).
  • [100]
    CAOM, 3M25.
  • [101]
    La commune de Bougie ne compte toujours que 2100 Européens en 1876, 2600 en 1884. Dans le même temps, les Algériens voient leur nombre multiplié par sept et, de minoritaires, deviennent largement majoritaires, représentant 75 % de la population en 1884, d’après les recensements de 1876 et 1884.
  • [102]
    Comice agricole de l’arrondissement de Bougie (1900 : p. 12).
  • [103]
    Syndicat d’initiative de Bougie (1914 : p. 25-26).
  • [104]
    G. Balandier (1980).
  • [105]
    Expression empruntée à C. Hagège (1985 : chap. viii).
  • [106]
    T. Zeldin (1981 : t. 4, p. 10).

1 Tendons l’oreille à Bougie – aujourd’hui Bejaïa – le 4 septembre 1872. La scène est bruyante. Les rapports administratifs qui content l’affaire et son environnement nous cantonnent à l’écoute des seuls Européens [1]. Ce jour-là, ils crient : « Vive la République ! » quand, au même moment, le pouvoir colonial retire brutalement aux Algériens leurs derniers droits et libertés. Les années 1868-73 sont en effet un moment de bascule décisif. Le régime militaire, porteur du projet napoléonien de Royaume arabe [2], s’effondre, définitivement condamné avec la chute du Second Empire en 1870 et la révolte algérienne de 1871. Il laisse la place à un régime civil qui, sous la bannière républicaine, répond aux vœux des colons en accélérant la spoliation des terres [3].

2 Imposée par la documentation à notre disposition, l’attention portée à la seule parole des maîtres de Bougie est aussi pour nous un choix délibéré car les mots lancés dans l’espace public, les gestes, les représentations et l’influence qui les accompagnent méritent une analyse approfondie. Simple « rodomontade de politiciens méditerranéens [4] » ? L’historiographie de la décolonisation a souvent discrédité ces forts en gueule, éternels pétitionnaires, peu sensibles à l’idéologie en dépit des mots. Sans être dupes sur ses évidentes contradictions, nous n’évacuons pas a priori l’hypothèse de la sincérité du discours républicain. Parole illégitime ? « L’historien », insiste justement Daniel Rivet, « n’a pas pour vocation d’écrire l’histoire du Maghreb à l’heure française comme on instruit un procès [5] ». Il serait dommage de nous priver de la parole des maîtres comme instrument et révélateur privilégiés du pouvoir en Algérie.

3 Ainsi, parce que ces mots écorchent nos oreilles de démocrates, parce qu’ils nous empêchent d’entendre la parole algérienne, sont-ils seulement l’écho d’une situation coloniale et de l’hypocrisie de leurs auteurs ? Ou bien expriment-ils une appropriation locale de la République ? Claude Nicolet nous prévient en effet contre les risques d’anachronisme et de généralisation : malgré sa « profonde unité », « la République est […] multiple et s’avance masquée [6] ». Écoutons alors avec attention l’étrange tapage dont Bougie est le théâtre à l’automne 1872. Les conditions originales qui le rendent possible, son inspiration et sa portée sont ensuite examinées.

4 « On me défend [de] jeter des pétards, je vous préviens que je n’en jetterai plus, mais on ne m’empêchera pas de crier : Vive la République ! », lance depuis sa fenêtre « à haute et intelligible voix » l’épicier Auguste Barnaud, malgré les policiers qui le verbalisent [7]. « Vive la République ! », reprend trois fois un groupe d’Européens attiré là par le chahut. Témoin du spectacle, le commissaire de police entend la répétition des cris « comme un écho naturel ». Le chœur improvisé entonne enfin La Marseillaise aux accents séditieux, chant de ralliement des républicains [8].

5 La scène a lieu à l’angle de la rue Trézel et de la place de la Poissonnerie, bordée d’auberges et de débits de boissons, vers 20 h 30 quand la foule des Européens investit les lieux (cf. carte 1). Avant les éclats de voix et l’intervention policière, les badauds admirent déjà les bougies et les branches de feuillages au premier étage de la boutique, la seule du bourg ainsi décorée. Le commerçant y préside un banquet républicain auquel sont conviés ses employés, entre quinze et vingt personnes. S’il en est besoin, la pétarade est un élément supplémentaire pour attirer joyeusement l’attention. Les enfants en particulier s’amusent à se renvoyer les projectiles mal éteints.

Carte 1

Le centre de Bougie en 1872.

Carte 1

Le centre de Bougie en 1872.

6 Le charivari célèbre l’anniversaire de la République, proclamée deux ans plus tôt sur les ruines du Second Empire, mais aussi, dans une certaine mesure, la cuisante défaite de l’armée française à Sedan qui en est la cause. C’est pourquoi le gouvernement Thiers a décrété un jour de recueillement national, ce 4 septembre 1872, interdisant toute réunion publique. La mesure vise à rassurer la France des notables et la majorité conservatrice au Parlement. Entre illuminations, drapeaux rouges, arbres de la liberté, fusées et banquets républicains, la désobéissance est encore bruyante à Alger, Oran, Constantine, Bône, Blida, Philippeville, Saint-Denis-du-Sig et Cherchell [9], alors qu’en métropole les chahuts de Nîmes ou de Sisteron sont les seuls à retenir l’attention des journaux, tous bords confondus. L’exception des villes d’Algérie nous interroge sur les motivations et les facilités des Européens à brocarder ainsi.

7 À Bougie seulement, le charivari dérape quand sept à huit clairons du 21e bataillon de chasseurs à pied, sonnant la retraite, défilent sous le nez des manifestants. Coïncidence malheureuse ? Provocation calculée ? Un dernier pétard éclate au milieu des rangs… Piqué au vif, le capitaine engage ses hommes à disperser l’attroupement, au plat du sabre, sans la moindre hésitation. La charge fait plusieurs blessés dont un enfant ; des civils sont frappés à coups de cravache, trois d’entre eux arrêtés. Face à « une foule toujours grossissante », rapporte le maire de Bougie [10], un peloton de quatre-vingt à cent hommes armés de fusils arrive en renforts, dégage les clairons et escorte les prisonniers. Le commandant du 21e bataillon déclare le soir même avoir reçu du commandant supérieur du cercle de Bougie, Ernest Reilhac, l’ordre de réprimer toute provocation civile. Ce dernier dément, obligeant son subordonné à accepter la responsabilité de ses actes [11].

8 Suite à l’échauffourée, le libraire François Biziou, premier adjoint, entre en scène. En l’absence du maire de Bougie ce jour-là, il arrive en tête de cortège chez le commandant du 21e bataillon pour savoir de qui émanait l’ordre de charger, pour exiger le retrait des troupes occupant la rue et la libération des trois civils arrêtés. Ses semonces verbales suffisent pour obtenir satisfaction complète dans la soirée. Le gouverneur général de l’Algérie, le vice-amiral de Gueydon, condamne dans sa correspondance avec le ministère un élu « [appartenant] incontestablement à la République radicale [12] ». Il n’en écarte pas moins toute idée de poursuite contre lui qui risquerait de lui donner un « regain de popularité ».

9 Sur la journée proprement dite, nous ne savons rien de plus, sinon qu’elle eut un écho important dans la presse locale et métropolitaine – nous y reviendrons. Ces éléments suffisent néanmoins à attiser notre curiosité.

10 En effet, le spectacle est étrange autant par les silences qui l’entourent que par son bruit. Le gouverneur s’interroge par exemple sur la discrétion des gendarmes, simples spectateurs au cours de la journée. Plus assourdissant nous semble le mutisme de la population kabyle malgré les défauts de notre documentation. « Il n’y a pas de nouvelles intéressantes en circulation » dans les tribus, répète les 5 et 26 septembre le commandant du cercle de Bougie [13]. Comment peut-il en être sûr ? Si des « nouvelles » circulaient sur l’échauffourée du 4 septembre, n’aurait-il pas intérêt à les cacher à ses supérieurs ? Le commandant Flatters, successeur de Reilhac à partir d’octobre 1872, est un observateur plus crédible, semble-t-il. Mais lui aussi souligne le silence des Khouans de Bougie, membres de la puissante confrérie religieuse des Ben Abd er-Rhaman, qui écoutent, assure-t-il, observent, sans laisser percer dans leurs paroles « aucun des vœux qu’ils ne manquent pas de faire intérieurement [14] ».

11 Contraste sonore saisissant dans une bourgade où 1 600 civils européens seulement restent sous la protection de 600 hommes de troupe. Tocqueville les observait déjà, trente ans plus tôt, renfermés « comme dans une guérite [15] ». Toujours en 1872, si 1 500 Kabyles résident à l’intérieur de l’enceinte, ils sont peut-être plus de 100 000 hors les murs, dans les seules limites du cercle où la présence européenne est quasiment nulle [16]. Le bourg fortifié est français depuis 1833 mais la conquête de la Kabylie ne remonte qu’à 1857. Surtout, quelques mois plus tôt, les tribus révoltées ont encore failli jeter les Européens à la mer et le siège de Bougie (mai-juin 1871) hante toujours les esprits. La zizanie des maîtres civils et militaires éclate donc dans une région à peine soumise où les Européens ne représentent pas plus de 2 % de la population à l’échelle du cercle. Une sourdine à leurs divisions n’était-elle pas davantage de circonstance ?

12 Le maire Bernard Claraz, absent le 4 septembre, est le premier surpris quand on lui fait le récit des évènements : « Tout était parfaitement calme […], je partais absolument tranquille sur le compte de notre ville ; où chacun ne songe qu’à travailler et où depuis longtemps, en fait de politique, les esprits sont bien au repos » à l’exception, concède-t-il, de « deux ou trois entêtés, tout au plus [17] ». Même si la volonté de défendre ses concitoyens est perceptible, l’élu français semble convaincant quand il rappelle que les colons, bien conscients de leur dette envers l’armée, avaient célébré quelques semaines plus tôt un anniversaire moins bruyant mais non moins significatif : celui de la mort des soldats tués au cours du siège, un an plus tôt.

13 En effet, les signes de solidarité entre colons et militaires ne manquent pas dans cet environnement colonial. Le lieutenant Charles Féraud se souvient que les premiers Européens venus s’installer à Bougie, vers 1840, étaient « des fournisseurs qui [suivaient] les armées [18] » et les liens économiques restent substantiels après cette date dans le bâtiment ou le ravitaillement [19]. Certes, le passage des troupes de Bugeaud en 1847 avait laissé un détestable souvenir, y compris chez les colons [20]. Mais cela n’empêcha pas ces derniers de secourir une colonne militaire, prisonnière de la montée des eaux dans une gorge en février 1852. « Dès que la nouvelle de nos souffrances fut connue, la population civile accourut au devant de nous […]. Tout ce qui possédait un cheval, un mulet ou une charrette arrivait avec des torches, jusqu’à plusieurs lieues dans l’intérieur […], chaque maison particulière devint une ambulance ». « Un élan généreux que personne n’a oublié », écrit Charles Féraud en 1869 [21].

14 Les Européens auraient même accueilli par des vivats Napoléon III, apôtre du Royaume arabe, lors de son escale de 1865. L’empereur, venu surtout rendre hommage à l’armée, aurait été sensible aux fleurs ornant les rues, aux arcs de triomphe rivalisant d’élégance. Évidemment, on imagine les précautions prises par les autorités locales, militaires en l’occurrence, afin d’éviter toute fausse note et la partialité des récits après l’événement [22]. Le chef de l’État ne fit d’ailleurs que passer en voiture dans Bougie pour s’installer sous bonne escorte à l’extérieur du bourg, au champ de manœuvres (cf. carte 2). Pourtant on trouve encore à la veille de l’incident de 1872, sur les rayonnages de l’éditeur radical François Biziou, une relation révérencieuse du Voyage de Sa Majesté Napoléon III en Algérie[23].

Carte 2

Le territoire civil de Bougie de 1856 à 1872.

Carte 2

Le territoire civil de Bougie de 1856 à 1872.

15 Surtout le siège de la ville en 1871 a plus que jamais resserré les rangs de la minorité européenne. Le 14 avril, une grande prière « pour l’extermination des Français » réunissait plus de 10 000 combattants musulmans à Takaat, situé à seulement 45 km au sud-ouest de Bougie, près du sanctuaire de Seddouk [24] (cf. carte 3). Les ralliements au cheikh Aziz se multiplièrent alors contre les infidèles accusés de profaner les sépultures des grands marabouts, objets d’un pèlerinage très suivi à Bougie, la « Petite Mecque ». Les cavaliers kabyles dévastaient en quelques jours les rares établissements coloniaux de l’arrière-pays pendant que 2 000 hommes seulement préparaient la défense des Européens, retranchés derrière les remparts de la ville. Le débarquement puis le rembarquement précipité d’une brigade, pour la protection prioritaire d’Alger et de la Mitidja, produisit « une pénible impression » alors que le bruit courait de l’attaque imminente de 20 000 musulmans [25] ! Le commandant supérieur de Bougie lança un appel « à tous les hommes de cœur, sans distinction de partis », auquel la municipalité s’empressa de faire écho : « Que tous les citoyens, s’unissant en ce moment dans une même pensée, ne songent qu’au salut commun [26] ». Effectivement, les miliciens combattirent aux côtés des soldats jusqu’à la levée du siège au début de juin. Comment cette peur commune et cette fraternité d’armes peuvent-elles être oubliées un an après ?

Carte 3

Le cercle de Bougie et l’essor de la colonisation de 1871 à 1873.

Carte 3

Le cercle de Bougie et l’essor de la colonisation de 1871 à 1873.

16 La prise de parole des colons, le 4 septembre 1872, échappe donc à la seule considération d’une minorité européenne face à une majorité algérienne hostile. Acte prémédité, elle oblige à repenser l’environnement colonial pour comprendre les conditions qui la rendent possible dans l’esprit des participants. Quand le gouverneur général se contente de qualifier l’échauffourée d’« incident sans gravité sérieuse [27] », il minimise le bruit qui lui parvient de Bougie à l’attention de son ministre. Il le normalise aussi. Pourquoi ?

17 D’abord parce les populations algériennes sont effectivement, dans le même temps, réduites au silence. Bras armé de la répression après le soulèvement de 1871, les colonnes militaires continuent durant l’été 1872 de sillonner la vallée de l’Oued Sahel (ou Soummam), où se concentre la population (cf. carte 3). Les tribus rechignant à payer la contribution de guerre sont principalement visées : ainsi les Aït Ameur dont les villages de Kebouch et d’Aberkan (60 km à l’ouest de Bougie) sont razziés au début du mois d’août, c’est-à-dire 160 sacs de grains emportés et les maisons brûlées, ce qui laisse à peine le temps aux habitants de s’enfuir avec leurs troupeaux [28]… La colonne « pèse » également sur les Beni Aïdel (près d’Akbou sur la rive droite du fleuve) pour activer les versements d’armes et d’argent. Quand se produit la manifestation européenne, le 4 septembre, c’est la tribu des Toudja (environ 40 km à l’ouest de Bougie) qui subit ses violences. « Ce châtiment », conclut le commandant Reilhac, produit « un bon effet » en inspirant « de salutaires réflexions aux autres tribus [29]. »

18 De plus, « indépendamment de leurs sacrifices d’argent, les tribus avoisinant l’Oued Sahel ont dû abandonner à la colonisation les terres de cette vallée, les plus riches du cercle », constate à la fin de l’année le commandant Flatters [30]. « Les Ouled Sidi Mohammed Amokran […] ont été expulsés totalement de leurs terres », ajoute-t-il, pour faire place au village de La Réunion à 20 km au sud-ouest de Bougie. En effet, commencés dans la vallée dès 1871, les travaux de la commission du séquestre s’achèvent en juin 1872 « sans rencontrer de difficultés », selon le gouverneur général, qui regrette quand même les résistances d’« individualités récalcitrantes » dans la région. « Regrettables lenteurs » pour une expropriation définitive [31]. Elles sont pour lui le prétexte à des instructions plus sévères, « en vue de nous procurer les superficies qui sont, d’une manière plus immédiate, nécessaires à la constitution de nouveaux centres ».

19 Pour se faire une idée de la rigueur de la répression locale, quelques chiffres sont utiles [32] : si l’on retient celui de 100 000 Kabyles pour le cercle, presque tous sont concernés par l’impôt de guerre pour leur participation à la révolte, directe ou non, volontaire ou non. Ils représenteraient 12 % environ de la population révoltée mais 14 % de la contribution de guerre totale perçue, soit à peu près dix-sept fois l’impôt perçu localement en 1872 [33] ! En 1876, les terres de culture séquestrées y représentent 20 000 ha, soit 6 % du total séquestré après la révolte en Algérie mais le quart de celles disponibles dans le seul cercle de Bougie en 1870. Faute de statistique équivalente, il nous est impossible d’évaluer le séquestre des terres de parcours. Le commandant Flatters reconnaît en novembre 1872 que « la répression ne paraît pas avoir été partout égale pour le même degré de culpabilité [34] » car le séquestre touche encore une fois les terres « les plus riches du cercle » : la vallée et les versants de l’Oued Sahel, avec de l’eau en relative abondance, sont réputés depuis longtemps pour leurs champs d’oliviers, de figuiers, de caroubiers ou d’orangers.

20 Les populations kabyles – peu épargnées par la crise des années 1866-70 [35] et qui ne récoltent du blé que pour neuf mois sur douze – sont donc, avec la répression, « réduites […] à l’impuissance », « plus soucieuses de leurs intérêts matériels que de la réussite d’une idée politique quelconque », observe encore le commandant de cercle [36]. L’analyse vaut aussi pour l’encadrement religieux de la région, qui paie chèrement sa conduite de l’insurrection et qui subit alors « un déclassement social vertigineux [37] ». Mais Flatters ajoute : « une génération suffira à peine pour faire disparaître les haines » car « les indigènes expulsés, refoulés sur les tribus voisines » sont « toujours à portée de leurs anciennes propriétés ». Le silence forcé n’exclut donc pas sporadiquement l’expression violente de la colère : la plupart des cheikhs nommés dans les tribus par les Français sont ainsi « maltraités ou injuriés [38] ». Déjà compromis avant 1871, beaucoup avaient trouvé refuge à Bougie avec leurs familles durant le siège. Leur crédibilité est définitivement ruinée quand ils deviennent les agents de la répression française. Trois sont même assassinés et deux roués de coups en 1872. Mais, dans le contexte répressif, le silence kabyle est une stratégie de résistance ou de survie plus sûre. Même les caïds et les cheikhs nommés ont « une tendance à ne pas rendre compte de ce qui se passe […] et à se tenir ainsi à l’écart de notre autorité », se plaint encore le commandant de cercle à la fin de l’année [39].

21 Ce silence est aussi dû à notre documentation produite par un pouvoir colonial qui entend mal au-delà de Bougie. Sur un territoire montagneux, grand comme la moitié d’un département français et densément peuplé, l’effectif administratif se résume en décembre 1871 à un commandant supérieur, un chef de bureau arabe (ses deux adjoints sont encore à nommer), un interprète, un khodja, un chaouch, dix spahis, seize khielas[40] et un secrétaire français. Dans les tribus, l’administration est déléguée à deux caïds et trente-huit cheikhs détestés ou peu loquaces, nous les avons observés. Le commandant Reilhac le reconnaît lui-même à cette date : il lui est « totalement impossible de s’occuper des détails intimes des tribus et de parvenir à faire inspirer aux indigènes une confiance assez entière [41] ».

22 Quelles que soient les raisons du silence autochtone, il s’impose à tous. Par contraste, il amplifie la prise de parole européenne, le 4 septembre 1872, en la rendant possible et peut-être aussi nécessaire. S’égosiller, n’est-ce pas pour la poignée des colons une façon d’exister face à la masse silencieuse et inquiétante ?

23 Pourtant les mots « Vive la République ! », répétés « comme un écho naturel » par une poignée d’Européens, ont une sonorité étrangère à la majorité kabyle. Ils révèlent une autre condition à la prise de parole des colons : la perception particulière de leur environnement.

24 L’archiduc Jean Salvator d’Autriche qui, depuis la mer, découvre Bougie à la fin du xixe siècle, admire la « Perle de l’Afrique du Nord [42] ». Esthétisme mis à part, c’est la traduction d’un vécu très ponctuel de l’espace, partagé par les colons du lieu au moins jusqu’à 1872 [43]. Dans leur imaginaire, en effet, Bougie ressemble à une île qui communique avec le monde extérieur (villes d’Algérie, Europe) par la mer Méditerranée seulement, séparée d’un continent hostile. La topographie du site renforce ce vécu (cf. carte 2) : les 1 400 ha du territoire civil, délimités en 1852, se déploient en amphithéâtre face à la mer. Au nord et au nord-ouest se dressent les versants abrupts du Gouraïa, au pied desquels s’accroche le port de Bougie. À l’ouest, la pente plus douce du Djebel Sidi bou Draham poursuit l’encadrement d’une étroite plaine littorale, interrompue au sud par l’estuaire de l’Oued Sahel. C’est là le territoire des Français. La colonisation agricole concerne seulement en 1872 une superficie de 400 ha entre le bourg et le fleuve.

25 Au-delà, notamment en amont de « la belle et riche vallée de l’Oued Sahel », comme la regarde avec envie la commission des centres de Bougie en janvier 1872, « on ne rencontre que quatre usines françaises [trois moulins à huile et une scierie], disséminées sur un parcours de près de 50 km [44] ». En effet, regrette-t-elle, le cercle militaire « ne renferme pas un hameau, pas une exploitation agricole, en un mot pas le moindre essai de colonisation, et cette situation n’a pas été sans influence sur le développement de l’insurrection ». Un autre signe de cette coupure des Européens avec l’intérieur du pays est l’absence du chemin de fer, de routes sûres et carrossables pour leurs charrettes, ce qui n’empêche pas les Kabyles ou les colonnes militaires de circuler à partir d’un réseau très resserré de chemins muletiers. Mais aux yeux des colons, « jusqu’à 1874, la contrée [est] privée de voies de communication ; 25 km à peine de routes, 16 dans la vallée […] et 8 longeant le golfe, amorce de la route de Sétif [45] ».

26 Les événements de 1871 ont contribué puissamment à entretenir cette division de l’espace vécu par les Européens. Le commandant de cercle remarque bien à la fin de l’année l’acquisition par eux de quelques terres dans les tribus, à titre privé, mais elles sont « le résultat de ventes pour remboursement d’emprunts », des terres louées ensuite aux Kabyles. Sa préférence va à « des propriétaires européens résidant de leur personne au milieu des indigènes », ce qui reste encore tout à fait exceptionnel [46].

27 Les occasions de se rencontrer entre Kabyles et Européens sont pourtant quotidiennes, mais au prix d’une inégalité évidente dans les termes de l’échange. À Bougie par exemple, deux marchés approvisionnés en céréales, poissons, fruits et légumes de toutes sortes sont fréquentés régulièrement par les deux groupes, mais ils se situent l’un à l’extérieur du bourg, l’autre sur la place de l’Arsenal, détachée des quartiers civils européens [47] (cf. cartes 1 et 2). Ces contacts n’ont d’ailleurs vraiment commencé qu’à la fin des années 1840 et pour consacrer la domination des colons. Ainsi les producteurs d’olives kabyles deviennent-ils progressivement dépendants des moulins français en s’endettant auprès des propriétaires. Les négociants européens du port, en relation avec Alger et Marseille, contrôlent le commerce des grains en décidant du moment, du volume et du prix, et donc à eux seuls des arrivages de l’arrière-pays. Enfin les moissonneurs kabyles sont déjà plusieurs centaines à transiter par le port pour des migrations saisonnières vers les grandes fermes européennes de la Mitidja ou du Constantinois. Leurs frères jardiniers travaillent pour les colons de la banlieue de Bougie [48].

28 De plus, dans les limites de la commune en 1872, le rapport entre les deux principaux groupes est de 1 Kabyle pour 1,4 Européen alors qu’il est d’environ 1 Européen pour 400 Kabyles dans tout le reste du cercle. Ces proportions ne rendent pas suffisamment compte de la ségrégation spatiale qui renforce chez les colons de Bougie leur sentiment de vivre presque seuls, entre eux, dans un univers familier. En effet, la ville musulmane faite de ruelles étroites et sinueuses, de petites maisons éparpillées sur la pente, a laissé la place vers 1850, à coups d’explosifs, à des rues larges et rectilignes et à « la construction de quelques vastes et disgracieuses maisons, véritables casernes », regrette le lieutenant Charles Féraud [49]. Il ne reste plus, vingt ans après, que « fort peu d’anciennes maisons » à l’exception de « la partie [haute] de la ville dite quartier arabe, où se trouve groupé tout ce qui existe de population indigène ». Dans la partie basse et européenne, une église a été construite sur les fondations d’une ancienne mosquée ; d’ailleurs on ne peut plus y admirer « aucune des anciennes mosquées qui faisaient autrefois le principal ornement de Bougie », mais l’hôtel de ville, des casernes, un hôpital militaire, des fortifications imposantes… Au cœur de ce microcosme européen et protégé, conclut-il, la rue Trézel parcourt « presque toute la largeur […] de la ville » et est alors, avec celle du port, la plus animée.

29 C’est dans cette rue, rappelons-le, qu’Auguste Barnaud juge bon de lancer des pétards depuis sa fenêtre et de crier son attachement à la République. Son magasin donne également sur la place de la Poissonnerie où, en début de soirée, les cafés sont bondés. Lieu politique par excellence et lieu de la parole européenne dans un univers cloisonné. Le charivari semblable d’un autre « entêté » a beaucoup moins d’écho, seulement parce que sa maison se situe « à l’autre extrémité du pays », selon l’expression du maire de Bougie [50], en fait à quelques centaines de mètres du bourg dans la banlieue agricole contiguë.

30 Confinée, la parole est aussi monopolisée selon une stricte hiérarchie sociale et ethnique [51]. À Bougie, l’élite du groupe européen est constituée par les colons français, de souche semble-t-il, ayant obtenu une ou plusieurs concessions à la suite du lotissement des années 1854-56 [52]. Peu ou pas de concessionnaires étrangers parmi la petite centaine de privilégiés. Un seul propriétaire maltais, Jean Taboni, a pu être identifié avec certitude. Son lot modeste de 90 ares lui avait été remis en compensation à la mort en service du frère, interprète militaire. La grande majorité des étrangers sont « des ouvriers italiens et espagnols » qui, précision intéressante du maire de Bougie en 1872, « ne se mêlent nullement de notre politique [53] ». Avec leurs familles, on recense à cette date 300 Espagnols, 170 Italiens et 130 Anglo-Maltais, soit 28 % seulement du groupe européen.

31 Kassem ben Ahmed est lui aussi une exception dans ce microcosme : ancien chaouch du commissaire civil, il signe en français d’une écriture hésitante. Peut-être naturalisé, il est le seul propriétaire kabyle de la banlieue, assez riche relativement aux colons du périmètre [54].

32 Les Français sont donc presque les seuls bénéficiaires de la colonisation agricole. Les disparités n’en restent pas moins sensibles entre eux. Sur quelques 3 à 400 chefs de famille, un tiers ou un quart seulement détiennent une parcelle agricole dans les années 1860, attribut indispensable de la réussite du colon. Seuls 30 à 40 propriétaires possèdent plus de 3 ha (18 ha maximum) ; lesquels combinent ce modeste ancrage terrien avec une fonction principale dans l’administration civile, le négoce ou l’industrie, assez souvent même avec une retraite militaire. Viennent ensuite 70 concessionnaires environ disposant de moins de 3 ha, des artisans colons ou des cultivateurs à plein temps, rêvant de s’agrandir [55]. La majorité des Français de Bougie, simples artisans, ouvriers ou journaliers, partage avec les Européens étrangers une existence plus précaire et la condition mal acceptée des « sans terre ».

33 Tous les Européens revendiquent en effet l’accès à un lot ou l’agrandissement de leur propriété. En 1858, la préfecture de Constantine était déjà débordée « face aux nombreuses demandes de concessions […] par les colons de Bougie [56] ». Or l’arrêt des concessions officielles après 1856 et l’absence presque totale de colonisation privée, au milieu d’une population kabyle hostile, rendaient plus vives leurs récriminations au cours de la décennie 1860-70, d’autant plus qu’un début de concentration foncière exacerbait les convoitises ou les difficultés de certains dans le petit périmètre de Bougie [57]. Conformément à la politique impériale du Royaume arabe, le décret du 25 juillet 1860 privilégiait en effet la vente à la concession gratuite (initiée en 1841) avant qu’elle ne soit complètement abolie par un nouveau décret du 31 décembre 1864. C’est là une raison majeure de la haine vouée par les colons d’Algérie à l’administration militaire et au Second Empire. Ils l’exprimèrent en mai 1870 avec 58 % de « non » au plébiscite impérial, un score équivalent à celui de la Seine, le département métropolitain le plus hostile à Napoléon III. À Bougie comme dans la plupart des centres de la province de Constantine, le « non » atteignit plus de 70 % [58] !

34 La prise de parole du 4 septembre 1872 reflète ces sentiments et la hiérarchie locale. L’orateur français Auguste Barnaud est propriétaire de 3 ha dans la banlieue agricole depuis 1854. Épicier, boulanger – patron de quinze à vingt ouvriers – membre civil de la commission des centres de Bougie, il fait figure de coq de village[59]. Dans un univers européen confiné, l’artisan colon est autorisé par ses pairs, rue Trézel, à parler en leur nom, haut et fort. Moins privilégiée que d’autres, sa position peut tout de même lui faire espérer davantage. Aussi son « Vive la République ! », repris en chœur par un groupe d’Européens, exprime moins un contenu idéologique qu’une revendication commune pour la terre.

35 Or, deux ans après la victoire annoncée du régime civil, leurs vœux ne sont toujours pas exaucés. L’âpreté du contentieux foncier qui oppose civils et militaires et la facilité avec laquelle les colons peuvent s’affranchir de l’autorité locale de leurs protecteurs conditionnent aussi la curieuse bagarre du 4 septembre. Ils sont assurés désormais de l’appui paradoxal et sans faille du pouvoir central ; leur surenchère verbale s’opère donc au moindre coût.

36 En effet, suite au soulèvement algérien de 1871 et au séquestre des meilleures terres dans la vallée de l’Oued Sahel, ils connaissent les nouvelles intentions du gouvernement d’Alger. Le leitmotiv officiel est que l’absence d’implantation européenne dans la vallée a considérablement facilité l’extension de la révolte. Aussi, loin de freiner l’appétit de terres des Européens, le pouvoir central encourage désormais à dépasser des projets de colonisation qu’il juge trop timides… La commission des centres de Bougie a été créée à cet effet : elle comprend en majorité des militaires dont le commandant Reilhac qui la dirige, mais aussi des représentants des colons dont le futur braillard du 4 septembre, Auguste Barnaud. Au début de l’année 1872, six villages européens de cent feux chacun sont envisagés dans la vallée de l’Oued Sahel (cf. carte 3) : 2 500 ha prévus pour le centre d’Akbou, situé à 80 km en amont de Bougie, puis vers l’aval : Isser Amokran (1 800 ha), Sidi Aïch (1 050 ha), Oued Il Maten (1 200 ha), El Kseur (2 100 ha) et enfin Oued Ghir (4 150 ha), à 14 km de Bougie. Mais le directeur général du gouvernement d’Alger, l’incontournable Charles Tassin, insiste en mars 1872 sur « la nécessité de créer en plus quelques villages sur la rive droite […] de façon à englober les vallées secondaires de l’Oued Amizour et de l’Oued Seddouk [60] ». Ceux déjà projetés doivent être agrandis, selon lui, car « le stock de terres libérées par la commission du séquestre dépasse largement celles nécessaires pour concrétiser les propositions de la commission ». Il donne même instruction à celle-ci de « rechercher les moyens de doter la ville de Bougie d’une banlieue agricole [sous-entendue plus vaste que celle existante] au moyen de prélèvements effectuer sur le territoire des Mezzaïas ». Quand le gouverneur général prête personnellement attention au dossier, c’est pour appuyer pleinement les vues de son subordonné : « N’hésitez pas », écrit-il ainsi en avril au général de Lacroix, commandant la division de Constantine, « à prendre l’initiative des mesures qui vous sembleront les plus propres à conduire au but, […] peupler par des colons français d’origine et de descendance européenne le plus de territoire que nous pourrons. C’est le moyen de dominer et d’enrichir le pays [61]. » De Gueydon approuve donc en personne le nouveau rapport de la commission de Bougie qui projette la création de deux gros centres supplémentaires à Seddouk (6 000 ha) et à Oued Amizour (4 500 ha). Par arrêtés des 12 et 13 avril 1872 sont ainsi créés officiellement huit centres européens dans la vallée et cinq hameaux sur la route de Bougie à Sétif (encore inachevée) pour servir de gîtes d’étapes. Ordre est donné aux autorités militaires locales de procéder immédiatement à leur délimitation et aux travaux préalables à l’arrivée des colons.

37 Un tel appui donné aux Européens par le pouvoir central s’explique encore par l’importance stratégique conférée à Bougie. Dès 1858, le commandant supérieur des forces de terre et de mer en Algérie insistait pour aménager « une place maritime européenne et puissante [62] ». En faisant sortir Bougie « de l’oubli », l’ambition déclarée était de concurrencer en Méditerranée la base anglaise de Malte. Le percement de l’isthme de Suez en 1869 ajoute à l’intérêt suscité par la rade, profonde et abritée. Le projet est connu de tous et ses promoteurs voient grand : une darse militaire de 900 ha, bordée de vastes terre-pleins avec l’arsenal ; une darse marchande de 15 ha à l’extrémité sud de la plaine comme point d’aboutissement des routes de l’intérieur [63]. Le peuplement européen et la colonisation agricole sont donc bien des corollaires au plan des militaires et du pouvoir central.

38 Avec de telles perspectives et un tel soutien, les colons de Bougie se savent suffisamment indispensables, le 4 septembre 1872, pour oser une provocation ; d’autant plus qu’après 1866-71, ils trouvent dans les délégations de pouvoirs déjà consenties un cadre, des facilités et une légitimité propres à bousculer l’administration militaire locale [64]. Ainsi, une poignée d’électeurs, presque tous Français, a pu élire pour la première fois neuf conseillers municipaux en 1867 : six Français, un Algérien musulman, un Algérien israélite et un Italien (les élus algériens et étrangers ne pouvaient pas représenter plus du tiers de l’effectif). Le maire et l’adjoint étaient encore nommés par le pouvoir central en dehors du conseil mais leurs attributions étaient étendues l’année suivante : pouvoirs d’acquérir des immeubles, de conclure des baux de location, de dresser les plans et devis de grosses réparations, de fixer les droits de place ou de stationnement, etc. Enfin une loi d’avril 1871 autorise les conseillers bougiotes à élire en leur sein le maire et l’adjoint ; c’est chose faite en novembre.

39 Le moment n’est donc plus au compromis entre des élus français assurés de leur bon droit et les représentants d’un régime militaire condamné à terme. Entre-deux délicat car les sources de contentieux ne manquent pas !

40 Parmi celles-ci, le contrôle militaire de la décision en matière de concessions aux colons. La proposition des candidats, en territoire civil, relevait en droit après 1841 du directeur de l’Intérieur et de la Colonisation à Alger [65]. En 1854 à Bougie, elle fut en fait déléguée, au bout de la chaîne administrative, à l’appréciation du commissaire civil et du commandant supérieur, le premier docile aux injonctions du second. Ainsi, vingt ans après, les civils digèrent mal que l’ancien commandant Ducourthial se soit d’abord servi lui-même [66]… En territoire militaire où se situent les nouveaux centres de l’Oued Sahel, ce soin est confié aux généraux divisionnaires [67]. Là encore, le commandant Reilhac en a la charge effective en 1872 car son supérieur à Constantine, le général de Lacroix, revient rarement sur ses propositions, pas plus que le gouverneur général qui cède au final le titre de concession [68].

41 L’exiguïté de la banlieue agricole de 1854 à 1872 et la concurrence avec les périmètres militaires sont aussi la cause de perpétuelles disputes. Le contentieux touche principalement les 56 ha du champ de manœuvres, dans l’étroite plaine littorale, et la colline de 20 ha du Djebel Khalifat, aux portes du bourg, où les projets de fortifications gèlent ceux de vigne ou d’oliveraie (cf. carte 2). « Il serait fâcheux de voir ces terrains rester indéfiniment à l’état de biens de mainmorte », soulignait en 1858 la préfecture de Constantine qui devait faire face aux demandes incessantes de concessions [69]. Aussi proposait-elle déjà la réduction de moitié du champ de manœuvres, considérant cet espace comme « complètement superflu aux besoins pour lesquels il a été réservé ». Sans résultat. L’interdiction faite à de nombreux propriétaires de construire sur leurs parcelles, parce que comprises dans les zones de servitudes militaires, ajoute à la discorde. Enfin le Génie – qui étudie sans se hâter, faute de financements, la forme et l’emplacement des nouveaux ouvrages de fortifications – exaspère les colons.

42 À Bougie même, ville de garnison, l’imbroglio parcellaire est à son comble [70] (cf. carte 1). Après 1868, gonflée de ses nouvelles prérogatives, la municipalité entend bien marquer le bourg de son empreinte civile. Cette année-là, elle cautionna une pétition, signée par quatre-vingt-quatre électeurs et adressée au maréchal gouverneur Mac-Mahon, pour réclamer un terrain militaire en plein centre. En effet, le bruit courait qu’il était réservé à la construction d’un hôtel pour le commandant supérieur. Les pétitionnaires arguaient au contraire de l’embellissement et de l’hygiène pour lui préférer une place publique. Le vainqueur de Magenta trancha en faveur des militaires, officialisant leur projet. Si les recours répétés du conseil municipal sont restés lettre morte de 1868 à 1870, la chute de l’Empire et ses conséquences politiques en Algérie dopent les élus bougiotes. Profitant de la parution d’un décret diminuant considérablement les prérogatives des commandants de cercles, le 24 décembre 1870, le conseil municipal considère dès lors que « la ville de Bougie ne doit plus être le siège d’un commandant supérieur [71] ». Le maire estime même dépassée la proposition d’échange de terrains faite par le Génie et exige, au nom du conseil, la cession immédiate de dix-sept immeubles militaires ! Au projet de place publique s’ajoute désormais celui d’un hôpital civil, indispensable « si l’on songe surtout à l’avenir réservé à Bougie, destiné à devenir sous peu le chef-lieu d’un arrondissement très important et très peuplé ». Le siège de la ville en 1871 met une sourdine aux prétentions du maire. Mais, sitôt le danger écarté, c’est désormais le pouvoir central qui encourage le pouvoir local des colons au détriment des militaires. La visite à Bougie du gouverneur de Gueydon, au printemps 1872, est l’occasion pour lui d’envisager publiquement une solution « dans le sens des vœux de la municipalité [72] ».

43 Les officiers de la place supportent difficilement la passation de pouvoir, imposée par leur hiérarchie, d’autant plus qu’elle profite à des colons ingrats. Moins d’un an après le siège de Bougie, l’ouverture de l’Oued Sahel à la colonisation est toujours le fait de la répression et de l’occupation militaires. C’est d’ailleurs pour l’attribution des lots dans les nouveaux centres européens, tous situés en territoire militaire, que le commandant Reilhac, privé d’un hôtel en ville, a encore son mot à dire. Les rancunes accumulées depuis deux ans, bien plus que la volonté chez lui de protéger les populations kabyles, le motivent pour nuire aux candidats bougiotes. À partir d’avril 1872, il facilite ainsi l’installation des Alsaciens-Lorrains, objets de l’attention de la Patrie toute entière, mais aussi celle illégale de ses amis fonctionnaires. En juin par exemple, le gouverneur général lui ordonne de rayer de la liste un ancien chef de bataillon pour le remplacer par un employé [73]. Quelques mois plus tard, de Gueydon s’offusque encore de découvrir parmi les concessionnaires un conducteur des Ponts et Chaussées, lequel se déclarait volontiers « cultivateur » ou « constructeur de maçonneries, charpentier, etc. ». « M. le commandant Reilhac, en signalant la demande du sieur Polak comme digne d’intérêt et méritant d’être prise en considération, s’abstient de mentionner la profession du pétitionnaire », fait-il remarquer au général de Lacroix [74]. « Dès lors ne semble-t-il pas qu’il y a eu sur ce point une entente calculée pour tromper votre religion et la mienne ? » Dans le même temps, Reilhac se plaît à faire obstacle aux demandes de la plupart des colons qui, désireux d’agrandir leur propriété dans les nouveaux centres, ne souhaitent pas pour autant quitter Bougie. Comme le déplore après le 4 septembre son supérieur à Constantine, il « a pris sur lui de décider que les lots de culture ne seraient pas accordés aux colons qui, ayant obtenu des concessions depuis plusieurs mois, […] espèrent labourer, ensemencer, récolter sans bâtir [75] ». Il a donc « usurpé un droit qu’il n’avait pas ». Cependant, comme il « prétend souvent n’agir qu’en raison d’instructions reçues directement du gouverneur », le général de Lacroix préfère attendre les ordres d’Alger « avant de le remettre dans la bonne voie [76] ». Le flou législatif en la matière explique aussi la tactique de Reilhac et la prudence de son supérieur hiérarchique [77].

44 Avant le 4 septembre 1872, les maîtres civils et militaires se livrent donc une lutte pour le pouvoir local fort éloignée, semble-t-il, des passions idéologiques de la métropole. Assuré de l’appui du pouvoir central, un épicier colon redoute peu l’interdiction qui lui est faite de manifester et peut crier « Vive la République ! » pour embarrasser le nuisible Reilhac. Supportant difficilement le déclin de sa position et condamné à se taire, ce dernier aurait ordonné en coulisse la répression sans ménagement de toute provocation civile. C’est du moins ce que déclare pour se dédouaner le commandant du 21e bataillon, le soir de l’échauffourée [78].

45 Telles sont les conditions qui motivent la parole des nouveaux maîtres civils dans un contexte strictement colonial. Cependant, les mots choisis et les réactions des autorités s’inscrivent dans un espace plus large avec des relais qui franchissent la Méditerranée. Ces connexions expliquent la forme et l’écho extraordinaire d’une querelle de clochers dans l’Algérie coloniale et, en définitive, le poids de la parole européenne.

46 « Vive la République ! » semble exprimer une continuité avec les passions qui agitent la métropole. Pourtant dans le contexte colonial, si prégnant et si contraire aux principes républicains, le cri garde à nos oreilles une résonance fausse. Charles-André Julien a raison quand il reproche à Claude Martin, l’historien de la Commune d’Alger de 1870-71, d’avoir trop pris au pied de la lettre le radicalisme politique exprimé à cette époque, alors que l’idéologie sert surtout aux colons de paravent à leurs revendications de terres, à Alger comme à Bougie [79]. Mais restent à préciser les raisons qui les incitent à choisir cet habillage idéologique plutôt qu’un autre, sans évacuer trop facilement l’hypothèse de la sincérité.

47 Insulaires dans leurs représentations spatiales, les Européens de Bougie se maintiennent plus à l’écoute des centres lointains de décision et d’information qu’à celle des populations kabyles environnantes. Cette perception déformée de la réalité est encouragée par les moyens de communication utilisés : le bateau et le télégraphe. À la fin des années 1860, les navires des Messageries Impériales font escale six fois par mois dans le port de Bougie sur leur trajet aller-retour : Alger – Bône (Annaba). Les vapeurs marseillais y accostent aussi, de plus en plus souvent, pour compléter par exemple une cargaison en huile [80]. Le courrier et la presse arrivent donc par la mer, attendus, lus et vivement commentés, en même temps que les nouvelles colportées par les marins ou les passagers. L’attention est grande car beaucoup d’Européens appartiennent encore à la première génération d’immigrants qui a gardé des attaches dans le pays d’origine. De plus, l’Algérie coloniale a été équipée dès 1854 des premières lignes télégraphiques. Avant 1860, le bourg de Bougie avait son propre bureau connecté à Alger et à Bône par la côte ; de là, la ligne rejoint Constantine et même Marseille par un câble sous-marin, pleinement opérationnel après août 1870 [81]. Ces liaisons lointaines, les prismes et les filtres à travers lesquels l’information circule, expliquent aussi la parole du 4 septembre à Bougie et sa portée bien au-delà.

48 En effet, la situation politique en France est suivie avec passion par les lecteurs bougiotes de L’Indépendant de Constantine, « le défenseur de l’idée républicaine, le porte-parole des colons [82] », qui est aussi le seul papier diffusé dans tous les centres européens du département. Depuis le début du mois de juillet, le quotidien consacre sa première page au bruit d’un complot monarchiste contre la République incertaine de Monsieur Thiers. À sa tête figurent le duc de Broglie et le maréchal Mac-Mahon, particulièrement vilipendé dans cette feuille. Incarnation du régime du sabre, toujours en sursis, l’ancien gouverneur général ne peut pas laisser indifférents à Bougie les pétitionnaires privés de concession ou de place publique.

49 Mais la provocation du 4 septembre, dans sa forme, a une inspiration plus hexagonale que coloniale tant son scénario répète celui d’un autre incident survenu à Narbonne une semaine plus tôt, amplement relayé par la presse : déjà les clairons d’un bataillon de chasseurs à pied, sonnant la retraite, n’ont pu souffrir les chants et les sifflets à la terrasse d’un café ; une bagarre a éclaté… Dans les jours qui suivent, la controverse met aux prises la municipalité radicale de Narbonne à l’institution militaire, cette dernière défendue en métropole par les journaux conservateurs qui obligent la gauche à protester de son patriotisme [83]. Ces faits sont connus à Bougie car la presse locale reproduit des extraits des grands quotidiens nationaux qui entretiennent la fièvre avant l’anniversaire du 4 septembre. Le spectacle de Bougie répète donc les passions métropolitaines sur une scène miniature, comme détachée de l’environnement colonial. Rue Trézel, la sincérité peut aussi avoir sa place dans le jeu politique des acteurs.

50 La greffe républicaine prend bizarrement sur le rameau colonial. Depuis plus de deux ans, la disparition du régime du sabre est annoncée et la victoire promise aux colons. L’adéquation entre, au nord de la Méditerranée, la dynamique, le vocabulaire républicains et, au sud, les aspirations profondes des colons d’Algérie se réalise, cautionnée par d’anciens transportés politiques sous l’Empire, devenus porte-parole de la colonisation. Polysémie du langage républicain : la revendication de la terre des Algériens sans aucun contrôle administratif prend ainsi la forme du combat radical pour « les franchises municipales » et pour l’épuration des fonctionnaires impériaux [84]. Cette légitimation est importée, surimposée – une lecture très déformée sans doute du contexte colonial – mais elle colle à la perception insulaire des colons. Bougie est assurément pour eux la « perle » d’un chapelet européen plus vaste les liant davantage aux autres centres de colonisation et à la métropole qu’aux populations algériennes partout présentes.

51 Représentation singulière du monde, le discours républicain s’avère d’une redoutable efficacité vis-à-vis des autorités françaises, incapables elles-mêmes de percevoir l’Algérie autrement. « Nous sommes toujours esclaves de la blague », déplore le général Hugonnet en mars 1872 dans une lettre à Isma’il Urbain [85]. Ce responsable militaire en poste à Oran, héritier de la tradition des bureaux arabes, qualifie ainsi l’habillage républicain du nouveau régime en Algérie et de sa politique de colonisation à outrance. Son jugement pourrait aussi s’appliquer à la mise en scène d’Auguste Barnaud à Bougie, le 4 septembre 1872. L’épicier fanfaron illumine et décore sa fenêtre de branches de feuillages, pérore son radicalisme à tous les passants en jetant des pétards… Pourtant, la représentation (dans toutes les acceptions du terme) n’exclut ni une croyance sincère dans les mots prononcés ni le calcul de leur écho.

52 En effet, la comédie de Bougie révèle encore la parfaite conscience qu’ont les acteurs de leur capacité de résonance. La préméditation du coup ne fait guère de doute. Les amplificateurs de la parole sont d’ordre institutionnel et technique mais la faiblesse ou le désintérêt des contradicteurs lui donnent plus de poids encore. L’écho suffit enfin pour qu’une poignée de colons s’emparent du pouvoir local.

53 À Bougie en 1872, la législation coloniale réserve la légitimité de parole à quelques 200 électeurs français au nom de 100 000 individus. Quelques-uns la monopolisent, nous les avons entendus. Celle de François Biziou, simple adjoint au maire, porte très loin. Son sermon au commandant du 21e bataillon en impose également au préfet de Constantine, Adrien Desclozeaux, qui le loue pour « sa conduite sage et modérée » et le remercie même pour son intervention, ayant « empêché tout désordre de se renouveler [86] ». Moins impressionné, le gouverneur général reproche à ce haut fonctionnaire « un esprit évident d’atténuation », mais n’en refuse pas moins toute idée de poursuite contre l’orateur [87] car sa parole bénéficie de relais puissants. L’adjoint a eu « le tort grave » en effet, d’après le gouverneur général, de télégraphier le soir même à L’Indépendant de Constantine, cédant « au désir de plaire à ses coreligionnaires politiques ». Sa version des faits fait « peser exclusivement sur les militaires la responsabilité de l’incident » et le quotidien « ne pouvait qu’en abuser [88] ». Impuissant, le vice-amiral de Gueydon estime encore que, « dès le lendemain, on aurait cessé de s’en occuper si les journaux et leurs correspondants ne s’étaient mis de la partie ».

54 Nommé deux mois plus tôt, le préfet Desclozeaux se plie donc surtout à la pression du milieu politique de Constantine qui tient le département et qui a déjà eu la peau de son prédécesseur [89]. Son catholicisme, ses services sous l’Empire ont déjà été sévèrement commentés et le sens de sa mission précisé sur un ton faussement rassurant : « Le danger ne viendra pas pour lui des corps élus. Quoiqu’on ait pu lui dire à cet égard, ni le conseil général, ni la commission départementale, ni les municipalités ne chercheront à l’entraver dans son œuvre. Qu’il soit bien persuadé d’avance que les uns et les autres n’ont qu’un seul but : la colonisation […], de la colonisation en chair et en os et non sur le papier », peut-on lire dans L’Indépendant de Constantine du 23 juin 1872. Représentant ce groupe de pression, le conseiller général Jules Vinet est aussi l’un des principaux rédacteurs de L’Indépendant. Grand maître de paroles, il prend personnellement en charge les doléances des colons de Bougie après le 4 septembre 1872.

55 Par courrier ou par dépêche, le récit de l’incident parvient même aux rédactions parisiennes, capables de lui donner un écho exponentiel. Cette traversée de l’information produit une lecture hexagonale du fait divers qui rend compte également de l’ignorance, de ce côté-ci, des choses d’Algérie. De quoi enraciner davantage le mythe des colons républicains. Après le journal bonapartiste La Liberté du 13 septembre, Le Français, la feuille des notables orléanistes, consacre le 25 une colonne entière aux « désordres graves » survenus dans les « trois départements » d’Algérie [90]… Ceux de Bougie sont pourtant les seuls à occuper l’article. Le journal livre un récit fantaisiste de l’événement détaillant, par exemples, les injures proférées contre les clairons (« capitulards ! », « traîtres ! »), les pierres lancées par la foule et même les coups de couteau ayant grièvement blessé deux militaires… Aucun compte rendu, de source civile ou militaire, n’en conforte le moindre élément. Comme pour mieux en convaincre le lecteur, on souligne que « l’affaire prend de grandes proportions », en raison des rapports contradictoires, de l’ouverture d’une enquête et des demandes de sanctions.

56 Les républicains de métropole, en quête de respectabilité, préfèrent garder le silence, soulagés que les débordements annoncés du 4 septembre se soient limités à des chahuts dans quelques villes méridionales [91]. Mais leur opinion sur les procédés de la droite est connue, formulée par exemple dans l’éditorial de La République française, le 1er septembre : « [La presse réactionnaire] relève complaisamment les rixes signalées dans diverses localités entre des militaires et d’autres individus. Elle essaie de transformer des querelles purement individuelles en actes d’hostilité politique et les qualifie d’attaques contre l’armée. » En somme : « un nouveau genre de calomnie contre le parti républicain ». Le spectre du désordre et de la révolution, un an seulement après la Commune de Paris, « avaient laissé dans les âmes un tel effroi qu’on devenait d’une susceptibilité excessive à l’endroit de la paix publique. Un trouble qui ne dépassait pas l’importance d’un charivari pouvait produire de l’inquiétude, et l’alarme, pour naître, n’attendait pas le danger », se souvient en effet l’ancien ministre conservateur Charles Rémusat [92]. À travers le prisme hexagonal, accréditant le mythe radical dans l’Algérie coloniale, l’incident de Bougie force l’entrée des rédactions parisiennes. La publicité est suffisante pour que les services du ministère de l’Intérieur exigent d’Alger des éclaircissements [93].

57 Réflexe inhabituel tant l’ignorance ou le désintérêt vis-à-vis des réalités coloniales sont de mise chez ceux qui, à partir du centre, sont censés les infléchir. Les années 1870-79 sont celles de la République incertaine et la situation en France absorbe entièrement des hommes politiques, pourtant responsables outre-mer d’une colonie de quatre millions d’individus. L’information publiée sur l’Algérie y est rare et de médiocre qualité, à un moment où l’instauration du régime civil accélère de façon spectaculaire la spoliation des terres des Algériens, sous couvert d’assimilation[94]. Témoin critique de cette réalité, Charles Brosselard estime en mai 1872 que, depuis un an, « le gouvernement et l’assemblée souveraine ont laissé tout faire, sans s’émouvoir ». « Je sais », écrit-il à Isma’il Urbain, « qu’il faut tenir compte des embarras de toute sorte qui ont pu faire reléguer l’Algérie au second plan, et encore plus bas, dans les préoccupations gouvernementales ; mais elle méritait mieux assurément ; la question est politique au premier chef et elle a droit à plus d’égards [95] ».

58 Sans contradicteurs, les orateurs du 4 septembre ont la voix qui porte même si la carence des contre-pouvoirs est aussi le fait des circonstances : un maire absent, un préfet fragile ou fragilisé, un commandant de division qui assure l’intérim à Alger du gouverneur général en mission à Paris, vacance parlementaire, ministres en congé et repos du président de l’exécutif à Trouville. Loin des réalités algériennes, Charles Rémusat assure seul, le 4 septembre 1872, en plus de son ministère des Affaires étrangères, les intérims de l’Instruction publique et de l’Intérieur dont dépend principalement l’Algérie :

« Il y eut un moment où M. Teisserenc de Bort [ministre de l’Agriculture et du Commerce] et moi, nous composâmes tout le gouvernement, dont le chef était absent. Ce fut un des symptômes du repos extraordinaire dont jouissait cette France bouleversée naguère jusque dans ses fondements. C’est un des moments où elle s’est le plus abandonnée à sa sécurité renaissante [96]. »
À l’évidence, le ministre de garde ne comprend dans son analyse ni les braillards de Bougie ni surtout les Algériens refoulés. Il reconnaît plus loin dans ses Mémoires que « le temps et peut-être aussi le ministère » lui faisaient alors sentir « les faiblesses de l’âge », en lui occasionnant « quelques indispositions [97] »…

59 Loin de retomber pourtant, les mots du 4 septembre 1872 entérinent la victoire des colons de Bougie. Le redouté Jules Vinet, maître-chanteur, les relaie désormais dans les colonnes de son journal. Ce conseiller général, élu avec quelques centaines de voix, orchestre seul l’avenir de la colonisation dans l’Oued Sahel par des interventions directes auprès des autorités, combinées à ce qu’il faut de campagne de presse pour activer la décision. C’est lui qui dénonce le commandant Reilhac à ses supérieurs pour les obstacles dressés contre les colons de Bougie : « Si vous ne mettez ordre à cela », écrit-il ainsi au général de Lacroix au début du mois d’octobre, « les villages de votre territoire avorteront et nous n’aurons pour ainsi dire rien de fait cette année. » Alerté à son tour, le directeur général du gouvernement d’Alger donne des instructions « d’urgence » le 19 (c’est lui qui souligne) pour que la colonisation soit facilitée en territoire militaire comme en territoire civil [98]. L’Indépendant de Constantine maintient la pression dans les mois qui suivent, ainsi le 2 décembre :

« Il paraîtrait que, quoiqu’en disent les satellites gueydoniens, les choses ne vont pas à Bougie comme sur des roulettes. […] M. Desclozeaux, préfet de Constantine, a reçu une somme de 60 000 F, destinée à être affectée au développement de la colonisation dans son département. Il a télégraphié à son gouverneur pour lui demander quel emploi il devait en faire [lequel lui a répondu] : Gardez-les, on verra plus tard ! ».
Ou encore le 16 mars de l’année suivante : « S’il est un point en Algérie où l’administration de M. Gueydon ait daigné jeter ses regards et faire semblant d’y implanter la colonisation, c’est à coup sûr Bougie »… L’administration se charge pourtant dès octobre 1872 de trouver le responsable du retard pris dans la concession des terres : le commandant Reilhac est rapidement muté. Il démissionne bientôt de l’armée pour s’établir comme colon près d’Akbou.

60 Les mots produisent alors leurs effets : par décrets, le gouverneur de Gueydon sanctionne la promotion du modeste bourg de Bougie qui devient en 1873 chef-lieu d’un arrondissement, d’une sous-préfecture, d’un tribunal civil, d’un ingénieur des Ponts et Chaussées et d’une inspection des Forêts. Un an après, l’adjoint Biziou est élu conseiller général du tout nouveau canton de Bougie, précisément contre Reilhac, avec 154 voix contre 47… C’est pour lui le début d’une longue carrière dans la politique locale [99]. Les centres européens de la vallée occupent déjà 18 000 ha en 1876 et le nouveau commandant supérieur propose d’en livrer encore 2 000 ha à la colonisation, pris sur la « réserve » du séquestre [100]. La spoliation profite surtout aux colons du lieu car l’immigration européenne continue à stagner [101].

61 Vingt-cinq ans plus tard, le comice agricole de l’arrondissement se félicite de l’œuvre accomplie « depuis 1873 » : un « magnifique vignoble », « de belles fermes qui font l’admiration des touristes » mêlées partout « aux pittoresques villages kabyles », plus de cinquante usines « dont quelques-unes à vapeur » pour la production d’huile d’olives, d’importants ateliers de forge, de mécanique, de serrurerie et l’exportation de l’alfa jusqu’à l’Angleterre [102]. En ouvrant un guide touristique de la même époque, les noms de rues à Bougie reflètent la mémoire sélective des nouveaux maîtres : « De la place de Gueydon, la rue Trézel se continue jusqu’à la place Clément Martel [maire radical de 1892 à 1896], autrefois place de l’Arsenal, d’où un large boulevard François Biziou permet de descendre au quartier commerçant et industriel de Camp Inférieur [103] ».

62 La prise de parole et son écho consacrent donc le formidable « pouvoir sur scènes [104] » d’une poignée de Français. La parole est monopolisée dans un environnement cloisonné et hiérarchisé ; elle résonne au milieu du silence imposé aux Algériens, légitimée par un pouvoir central colonisateur et relativement absent après l’avènement du régime civil. Les maîtres de paroles [105] orchestrent ainsi la mainmise sur le sol algérien.

63 En raison de leur perception insulaire de l’espace colonial, à l’écoute des nouvelles de France et disposant des moyens pour se faire entendre, ils participent aux passions politiques de la métropole. Scrutant celles-ci, Théodore Zeldin considère que « la mobilité sociale, la concurrence et l’anxiété dominent le comportement des individus [106] ». En Algérie, c’est la République qui assure aux colons la mobilité sociale et la suprématie sur le pouvoir militaire. Elle permet aussi à cette minorité d’exprimer bruyamment ses anxiétés. « Vive la République ! », peuvent-ils alors crier, avec autant de sincérité que de calcul, conscients qu’ils sont du poids de leur parole. Pour ce qu’elle nous apprend, la parole des maîtres mérite assurément une oreille plus attentive.

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  • Zeldin T., Histoire des passions françaises, 1848-1945, tome iv, Colère et politique, Paris, Le Seuil, coll. « Points Histoire », 1981.

Notes

  • [*]
    Didier Guignard, professeur agrégé d’histoire, est enseignant au lycée Jean Lurçat (Martigues). Il prépare une thèse sur les scandales administratifs en Algérie coloniale (1880-1914). Laboratoire d’accueil : IREMAM/MMSH (Aix-en-Provence).
  • [1]
    L’incident de Bougie nous est connu grâce aux comptes rendus envoyés à la préfecture de Constantine par le maire, la gendarmerie et la police locales, conservés au Centre des Archives d’Outre-Mer à Aix-en-Provence (CAOM, 7G5). Ils sont courts, peu détaillés et se répètent largement, joints à d’autres rapports qui exposent, conformément aux instructions reçues, les réactions politiques dans la colonie à l’anniversaire de la République. La saisie de l’environnement propre à cette journée est complétée grâce aux archives de la colonisation locale (CAOM, dans les séries L et M) et du bureau arabe de Bougie (CAOM, dans la série K).
  • [2]
    Un « Royaume » sous la « protection » de la France où aurait régné l’égalité entre Algériens et Européens.
  • [3]
    Sur cette période, lire : A. Rey-Goldzeiguer (1963 : p. 123-158 ; 1977 : p. 631 et suivantes), C.-A. Julien (1979 : p. 453-500), C.-R. Ageron (1968 : t. 1, p. 2-55).
  • [4]
    C.-R. Ageron (1968 : t. 1, p. 19) à propos des velléités autonomistes du maire d’Alger, Vuillermoz, en 1870.
  • [5]
    D. Rivet (2002 : p. 11).
  • [6]
    C. Nicolet (1994 : 9, 29).
  • [7]
    CAOM, 7G5.
  • [8]
    M. Vovelle (1984 : 116-117).
  • [9]
    CAOM, 7G5.
  • [10]
    Ibid.
  • [11]
    Ibid.
  • [12]
    Ibid.
  • [13]
    CAOM, 66K4.
  • [14]
    Ibid.
  • [15]
    A. de Tocqueville (1991 : t. 1, p. 681).
  • [16]
    Gouvernement général de l’Algérie (1874 : p. 150-151 et 158-161). La population kabyle du cercle de Bougie est sous-estimée en 1872 avec moins de 70000 individus recensés alors qu’un rapport de la commission des centres de colonisation de Bougie fait état la même année de 120 000 Kabyles (CAOM, L26). Sur le manque de fiabilité des chiffres de recensements algériens à l’époque coloniale, lire K. Kateb (2001 : 19-21).
  • [17]
    CAOM, 7G5.
  • [18]
    C. Féraud (1869 : 388).
  • [19]
    CAOM, 2M117-119.
  • [20]
    Des viols d’Européennes furent commis par les militaires en plus de la terreur systématique qu’ils infligèrent aux Algériens sur leur passage. Cf. C.-A. Julien (1979 : 169).
  • [21]
    Op. cit.
  • [22]
    F. Pharaon (1865 : 94-96) ; O. Teissier (1865 : 244).
  • [23]
    Anonyme (1865).
  • [24]
    L. Rinn (1891 : 230).
  • [25]
    L’Indépendant de Constantine, 04/05/1871.
  • [26]
    Ibid.
  • [27]
    CAOM, 7G5.
  • [28]
    CAOM, 66K4.
  • [29]
    Ibid.
  • [30]
    CAOM, 66K11.
  • [31]
    CAOM, L26 – Instructions du gouverneur au général de Lacroix, responsable de la division de Constantine, 03/12/1872.
  • [32]
    Les estimations qui suivent résultent de la confrontation des chiffres globaux fournis par C.-R. Ageron (1968 : t. 1, p. 27 et 31-32) avec divers documents relatifs au cercle de Bougie : la population kabyle concernée par la répression (CAOM, L26), la contribution de guerre exigée (CAOM, 66K2), le montant de l’impôt pour 1872 (ibid.) et la proportion des terres de cultures séquestrées (CAOM, 3M25).
  • [33]
    Dix-sept fois l’impôt annuel était le maximum de contribution de guerre à exiger des tribus révoltées, selon les conseillers les plus sévères du gouvernement d’Alger. Cf. C.-R. Ageron (1968 : t. 1, p. 25).
  • [34]
    CAOM, 66K4.
  • [35]
    En particulier par les épidémies de choléra et de typhus ; lire à ce sujet : A. Nouschi (1961 : p. 337-378), A. Rey-Goldzeiguer (1977 : p. 453 et 472-473).
  • [36]
    CAOM, 66K11.
  • [37]
    A. Mahé (2001 : p. 201).
  • [38]
    CAOM, 66K4, rapport du commandant de cercle au gouverneur, 3 mars/1872.
  • [39]
    CAOM, 66K6.
  • [40]
    Khodja (secrétaire), chaouch (planton), spahi (cavalier), khiela (membre d’une force de police locale).
  • [41]
    CAOM, 66K2. Le constat du commandant Reilhac peut être généralisé à l’administration de l’ensemble des territoires militaires de l’Algérie. Cf. J. Frémeaux (1993 : p. 31).
  • [42]
    Formule reprise par tous les guides touristiques du début xxe siècle.
  • [43]
    Nous empruntons aux géographes la notion d’espace vécu, défini comme « le rapport existentiel que l’individu socialisé (donc informé et influencé par la sphère sociale) établit avec la terre », d’après G. Di Meo (1998).
  • [44]
    CAOM, L26.
  • [45]
    Comice agricole de l’arrondissement de Bougie (1900 : p. 26).
  • [46]
    CAOM, 66K2 – L’auteur ne cite, hors du territoire civil, que la concession forestière de M. Chabannes sur la route de Chabet el-Akra (à l’est du cercle) au « personnel très restreint ».
  • [47]
    Croisement des rapports des commandants du cercle de Bougie pour les années 1871-73 (CAOM, 66K2, 66K4, 66K6) avec l’article déjà cité de C. Féraud (1869 : p. 107-116).
  • [48]
    Ibid.
  • [49]
    C. Féraud (1869 : p. 107-116).
  • [50]
    CAOM, 7G5.
  • [51]
    Constat semblable dans la ville de Bône (Annaba) à la même date. Cf. D. Pochaska (1980 : 53-74 ; 1990 : 135-179).
  • [52]
    CAOM, 2M117-119. Les comptes rendus de visites des concessions réalisées entre 1854 et 1864 à Bougie ne permettent pas une étude rigoureuse de l’origine géographique ou de la nationalité des propriétaires. L’observation seule des noms, qui ne saurait en aucune façon servir de preuve, fournit simplement une indication : plus de 80 % ont une consonance française.
  • [53]
    CAOM, 7G5.
  • [54]
    CAOM, 2M118. Sur une concession de 11 ha, il dépensa en 1863 la somme de 3 400 F pour la plantation de 600 arbres fruitiers. La fortune de sa famille était-elle plus ou moins grande avant l’arrivée des Français ?
  • [55]
    CAOM, 2M117-119. Donner des proportions exactes est difficile dans la mesure où les concessionnaires double actifs, nombreux dans l’étroit périmètre de Bougie, se déclarent volontiers « cultivateurs » pour satisfaire les contrôleurs et parce qu’une trentaine de titulaires ne donnent aucune précision. Cependant, à titre indicatif vers 1860, car les mutations de 1854 à 1864 compliquent aussi la saisie, la superficie moyenne des propriétés n’était que de 3,5 ha. 33 titulaires se définissaient comme « cultivateurs », 9 comme artisans (boulanger, maçon, charpentier, serrurier, etc.), 10 comme négociants (d’huile, de tabac, de blé, etc.), 7 comme employés ou fonctionnaires, 5 comme « industriels » (briquetier, tuilier, fondeur, etc.) et 10 comme « propriétaires ». Par exemple, Louis Eynaud faisait figure de grand propriétaire avec 18 ha en vigne, arbres fruitiers, prairies. Avec ses deux maisons, l’ensemble de la propriété était estimée à 15 000 F en 1862. Simple journalier, le seul qui fut en même temps concessionnaire, Joseph Espiguy ne disposait que d’une parcelle de 90 ares à la même date : en orge, arbres fruitiers et haricots.
  • [56]
    CAOM, 1L15.
  • [57]
    CAOM, 2M117-119 – La superficie moyenne des concessions passe de 3,2 à 3,5 ha de 1854 à 1864 et le nombre de titulaires de 111 à 102.
  • [58]
    A. Rey-Goldzeiguer (1963 : p. 152)
  • [59]
    Portrait dressé en croisant plusieurs documents : CAOM, L26, 2M117, 7G5.
  • [60]
    CAOM, L26.
  • [61]
    Ibid.
  • [62]
    CAOM, 1L15. (Le mot « européenne » est souligné dans le texte).
  • [63]
    C. Féraud (1869 : p. 105).
  • [64]
    Application des décrets des 27/12/1866 et 19/12/1868, de la loi du 14/04/1871.
  • [65]
    Arrêté du gouverneur général, 18/04/1841, confirmé par l’ordonnance du 01/09/1847.
  • [66]
    L’officier s’octroyait une concession de 11 ha en 1845, qui n’était pas la première. « Certains particuliers se servent un peu trop en terres », constatait alors le chef du bureau des subsistances maritimes à Paris (CAOM, 1L15). Il en possédait peut-être le double puisque sa veuve put doter sa fille aînée vers 1860 avec une superficie semblable, et en garder suffisamment pour elle et sa cadette (CAOM, 2M119, titulaires : Possien et Sauvé).
  • [67]
    Conformément à l’ordonnance de 1847 qui s’applique toujours sur ce point en 1872.
  • [68]
    CAOM, L26.
  • [69]
    CAOM, 1L15.
  • [70]
    CAOM, 3M25.
  • [71]
    Ibid.
  • [72]
    Ibid.
  • [73]
    CAOM, L26.
  • [74]
    Ibid.
  • [75]
    Ibid.
  • [76]
    Ibid.
  • [77]
    Une législation très changeante et souvent imprécise. Ainsi sept ans seulement après son abolition, la concession gratuite revient en force en Algérie par les lois des 24/06 et 15/09/1871 qui octroient 100 000 ha aux candidats alsaciens-lorrains. Le décret d’application de ces textes, du 16/10/1871, précise dans son titre ii qu’il en étend le bénéfice à tous les Français d’origine européenne. Si le colon ne réside pas sur son lot au cours des neuf premières années, il peut être déchu de sa propriété. Cela implique-t-il qu’il y construise obligatoirement sa maison ? Sur ce point, « la jurisprudence s’est toujours montrée hésitante » constate le juriste E. Larcher (1923 : t. 3, p. 479). De fait, la loi profite plus aux colons déjà installés en Algérie qu’aux éventuels candidats à l’immigration, « vice capital du titre ii », estime, trente ans plus tard, le haut fonctionnaire de Peyerimhoff (1906 : t. 1, p. 53).
  • [78]
    7G5.
  • [79]
    C.-A. Julien (1979 : p. 547) ; C. Martin (1936).
  • [80]
    C. Féraud (1869 : p. 106 et 404).
  • [81]
    E. Guernier (1946 : t. 2, p. 123).
  • [82]
    P. Montoy (1982 : t. 1, p. 49).
  • [83]
    Parmi les articles polémiques à droite ou au centre : La Patrie, 1 et 5 septembre/1872 ; La France, 30 août et 4 septembre/1872 – Pour les réactions à gauche : La République française, 1er septembre/1872 ; L’Événement, 7 septembre/1872.
  • [84]
    L’Indépendant de Constantine, 25 mai 1972.
  • [85]
    CAOM, 1X, 31Miom11 – Isma’il Urbain (1812-84), « apôtre d’une Algérie franco-musulmane » d’après C.-R. Ageron (1968 : t. 1, p. 398) fut l’inspirateur de la politique impériale du Royaume arabe, comme conseiller de Napoléon III et du gouvernement d’Alger entre 1860 et 1870. En 1872, détesté des colons et retiré en France, sa liberté d’expression est limitée.
  • [86]
    CAOM, 7G5.
  • [87]
    Ibid.
  • [88]
    Ibid. Les collections de journaux français d’Algérie en France (BNF, CAOM), extrêmement lacunaires pour cette période, ne permettent pas de connaître directement leur traitement de l’incident de Bougie.
  • [89]
    CAOM, 1X, 31Miom11 – Une lettre de Sautayra, président de la cour d’appel d’Alger, à son ami Isma’il Urbain (21.5.1872) nous apprend que le préfet d’alors, M. Roussel, « aurait vendu des terrains domaniaux par ventes de gré à gré mais sans observer les conditions voulues par la loi, et moyennant des prix ridiculement réduits ». Aussitôt, « les colons de la localité se sont plaints, la commission départementale s’est emparée de l’affaire, elle l’a dénoncée au gouverneur qui a jeté des hauts cris ». « Je crois », conclut l’auteur, « qu’aujourd’hui le préfet a contre lui le gouverneur et la commission départementale et que sa chute est certaine quoi qu’il arrive. » Avant d’être rappelé, le préfet Roussel est encore l’objet de trois votes de défiance de la part du conseil général et d’une violente campagne de presse dans L’Indépendant de Constantine.
  • [90]
    L’audience du journal est limitée, avec un tirage inférieur à 5000 exemplaires, mais il a la réputation d’être bien informé par ses attaches avec les notables du centre droit et certains ministres, par l’influence qu’exerce sur sa rédaction le duc de Broglie en personne. Cf. P. Albert (1980 : t. 1, p. 754-762).
  • [91]
    Les journaux républicains modérés qui ont été consultés sont Le National, La France, L’Événement ; et pour l’aile gambettiste : La République française.
  • [92]
    C. Rémusat (1967 : t. 5, p. 422).
  • [93]
    CAOM, 7G5 – Note à usage interne, 09/1872.
  • [94]
    La presse hexagonale n’a pas de correspondant envoyé en Algérie. Des quotidiens qui comptent comme Le Temps ou Le National, le vénérable Journal des Débats (malgré la présence d’Isma’il Urbain) continuent à puiser leurs informations dans « les derniers rapports parcourus au ministère de l’Intérieur », c’est à dire seulement un bilan hebdomadaire sur « l’état d’esprit des Indigènes », leur état sanitaire, les incendies, les récoltes et les rentrées fiscales…
  • [95]
    CAOM, 1X, 31Miom10 – Ancien interprète, Charles Brosselard a déjà derrière lui une longue carrière dans l’administration civile d’Algérie, entamée au début des années 1840. Il est aussi l’auteur d’un dictionnaire berbère et de travaux sur les confréries musulmanes.
  • [96]
    C. Rémusat (1967 : t. 5, p. 421).
  • [97]
    Ibid.
  • [98]
    CAOM, L26.
  • [99]
    F. Biziou est conseiller général de Bougie de 1874 jusqu’à sa mort en 1893, également maire de sa ville de 1884 à 1892 (CAOM, B.1.2 et 3M25).
  • [100]
    CAOM, 3M25.
  • [101]
    La commune de Bougie ne compte toujours que 2100 Européens en 1876, 2600 en 1884. Dans le même temps, les Algériens voient leur nombre multiplié par sept et, de minoritaires, deviennent largement majoritaires, représentant 75 % de la population en 1884, d’après les recensements de 1876 et 1884.
  • [102]
    Comice agricole de l’arrondissement de Bougie (1900 : p. 12).
  • [103]
    Syndicat d’initiative de Bougie (1914 : p. 25-26).
  • [104]
    G. Balandier (1980).
  • [105]
    Expression empruntée à C. Hagège (1985 : chap. viii).
  • [106]
    T. Zeldin (1981 : t. 4, p. 10).

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