Couverture de AFHI_003

Article de revue

Le génie de l'athéisme

Pages 103 à 120

Notes

  • [*]
    Patrick Boucheron est Maître de conférences en Histoire du Moyen Âge à l’université Paris I – Panthéon-Sorbonne (UMR 8589 – Lamop) et membre de l’Institut universitaire de France.
  • [1]
    Y. Thébert (1988 : 277-345). Les numéros signalés entre parenthèses dans le corps du texte renvoient à la pagination de cet article.
  • [2]
    Magnifiquement exprimé par Tertullien : « Mais elles ne servent à rien, vos cruautés les plus raffinées. Elles sont plutôt un attrait pour notre secte. Nous devenons plus nombreux, chaque fois que vous nous moissonnez : c’est une semence que le sang des chrétiens » (Apologétique, 50, 13, éd. J.-P. Waltzing et A. Severyns, Paris, CUF, 1961, p. 108.)
  • [3]
    Par esprit de polémique ? C’est une hypothèse qu’on ne saurait écarter définitivement… Mais l’analyse d’Yvon Thébert a au moins le grand mérite de mettre l’accent sur l’instabilité de la croyance chrétienne, rejoignant par là (en sautant à pieds joints le bloc de certitude de la foi socialement instituée) les formulations de certains mystiques éprouvant, comme Michel de Certeau, « la faiblesse de croire ». Pour ce dernier auteur, « les Églises, voire les religions, seraient non des unités référentielles, mais des variantes sociales dans les rapports possibles entre du croire et du cru » : M. de Certeau (1990 : 269). Les premiers chrétiens, pour certains, ne croient plus en la religion romaine, et l’Église chrétienne est la réponse à ce discrédit. Considérer originellement les premiers chrétiens comme des incroyants et non comme des croyants revient à dire que nous manquons aujourd’hui d’une histoire de l’incroyance.
  • [4]
    Voir, aujourd’hui, la manière dont le concept marxiste de transition est retravaillé par A. Schiavone (1996).
  • [5]
    Y. Thébert, (1985 : 319-325).
  • [6]
    Ibid., p. 323. L’argument est irréfutable. On ne peut donc lui opposer que la pure et simple dénégation. Par exemple : P. Maraval, (1997 : 184) : « Ces formes architecturales étaient certes empruntées à la tradition antique (de grands débats opposent encore les historiens sur les modèles de la basilique chrétienne), mais elles prirent avec le christianisme un nouveau départ et un développement propre. Aux éléments de la basilique ancienne, on ajouta parfois un transept, plus souvent encore un atrium d’entrée, parfois d’autres pièces ».
  • [7]
    J. Durliat, (1981) ; J.-L. Maier (1973).
  • [8]
    Voir en particulier J.-L. Biget et Y. Thébert, (1990).
  • [9]
    V. Saxer (2000 : 619 et 579).
  • [10]
    C. Saumagne, (1975).
  • [11]
    Ibid., p. 86-87.
  • [12]
    Ibid., p. 98.
  • [13]
    Ibid., p. 111.
  • [14]
    Ibid., p. 10.
  • [15]
    « En tout cas, il est certain que je ne cherche pas à faire des discours simples et clairs et que je crois dangereuse la stratégie qui consiste à abandonner la rigueur du vocabulaire technique au profit du style lisible et facile. D’abord, parce que la fausse clarté est souvent le fait du discours dominant, le discours de ceux qui trouvent que tout va de soi, parce que tout est bien ainsi. Le discours conservateur se tient toujours au nom du bon sens » : P. Bourdieu, (1987 : 67).
  • [16]
    P. Jobert, (1977).
  • [17]
    P. Maraval (1997).
  • [18]
    Voir en particulier le dixième volume : J.-M. Carrié et A. Rousselle (1999).
  • [19]
    A. Ducellier, (1990 : 20). Le fait que ce jugement favorable provienne non d’un antiquisant mais d’un byzantiniste (sans doute impressionné par les belles pages qu’Yvon Thébert consacre à la fondation de Constantinople) est certainement riche d’enseignement.
  • [20]
    P. Brown, (2003 : 157). Signalons au passage que l’œuvre de Peter Brown n’est citée qu’à la dérobée dans l’article d’Yvon Thébert (note 65, p. 339) qui semble lui manifester une certaine méfiance, à mes yeux injustifiée.
  • [21]
    G. W. Bowersock, (2004 : 110).
  • [22]
    S. Bardet, (2002). On appelle Testimonium Flavianum les quelques lignes de Flavius Josèphe qui, dans le livre 18 des Antiquités juives, évoque le Christ qui « attirait à la fois beaucoup de Juifs et beaucoup de gens du groupe des Grecs » et précise : « Maintenant encore, le groupe des Chrétiens, comme on les nomme d’après lui, n’a pas disparu ». Il existe une longue tradition pour douter de l’authenticité de ce texte – le seul qui ne soit pas d’origine chrétienne. Serge Bardet a analysé le détail des arguments : les commentateurs hostiles à l’authenticité reconnaissent tous le caractère ancien de l’interpolation, et Bardet montre qu’elle ne peut être de beaucoup postérieure au texte de Josèphe lui-même ; elle remonte donc à la fin du ier ou au début du iie siècle. Or, dans la mesure où à ce moment là, les chrétiens n’ont aucun intérêt à forger ce témoignage, et que la description de la secte chrétienne s’intègre parfaitement dans le tableau global du judaïsme de son temps que brosse Flavius Josèphe, l’hypothèse de l’authenticité est au fond plus économique.
  • [23]
    P.-E. Dauzat, (2001 : 147).
  • [24]
    M. Foucault, (1983, 2001 : 1221). Précisons qu’au moment où Yvon Thébert rédige « À propos du “Triomphe” du christianisme », le tome ii de l’Histoire de la sexualité est paru depuis quelques temps (L’usage des plaisirs, Paris, Gallimard, 1984) et que dans le champ de l’histoire ancienne, certains ont déjà commencé à acclimater les thèses foucaldiennes, à commencer par Paul Veyne, dont Yvon Thébert cite et utilise l’article « La famille et l’amour sous le Haut-Empire romain », Annales ESC, 33, 1978, p. 35-63.
  • [25]
    M. Gauchet, (1985 : 179).
  • [26]
    M. Gauchet (2003 : 107).
  • [27]
    Ibid., p. 106.
  • [28]
    Y.-M. Hilaire (dir.), (1999 : 249). Voir aussi, dans ce même volume, la contribution d’Ottorino Pasquato, « Les caractères originaux de l’historiographie religieuse de Marrou », p. 135-154.
  • [29]
    M. Simon et A. Benoit (1991 : 112).
  • [30]
    Ibid., p. 186.
  • [31]
    Ibid., p. 195.
  • [32]
    Et point nodal d’un renouvellement récent des perspectives, dont on pourrait montrer – mais ce serait ici hors de propos – qu’il a gagné plus précocement et plus profondément l’historiographie italienne : voir P. Brezzi, (1993) et A. Marcone, (2002).
  • [33]
    Mayeur J.-M. et al. (1995 : 190).
  • [34]
    Ibid., p. 337.
  • [35]
    Ibid., p. 340.
  • [36]
    Ibid., p. 341.
  • [37]
    Ibid., p. 343.
  • [38]
    Ibid., p. 344.
  • [39]
    Ibid., p. 346.
  • [40]
    Ibid., p. 351.
  • [41]
    Ibid., p. 353.
  • [42]
    E. Poulat (2001 : 262).
  • [43]
    Ibid., p. 263.
  • [44]
    Ibid., p. 264.
  • [45]
    Ibid., p. 271.
  • [46]
    Ibid., p. 277.
  • [47]
    Alain Guerreau a analysé la manière dont la philosophie des Lumières fracture la notion englobante d’ecclesia qui ne saurait, au Moyen Âge, se réduire à celle d’Église puisqu’elle est « la véritable épine dorsale de l’Europe médiévale » et absorbe même l’idée de société. Un des outils conceptuels de la dissolution de l’ecclesia est justement l’idée de religion, fondée sur une conception de la foi comme croyance individuelle volontaire. La rétroprojeter au-delà de cette fracture est donc soit un contresens historique, soit précisément un acte de foi, puisque « Les Églises, telles qu’on les observe en Europe à partir du xixe siècle furent bien, à quelques égards (à quelques égards seulement), les héritières de l’ecclesia médiévale, mais la notion même d’héritage implique décès, en dépit des efforts démesurés déployés durant tout le xixe siècle pour rendre ce décès subreptice et donner a posteriori l’apparence d’une continuité à ce qui fut une rupture radicale » : A. Guerreau, (2001 : 31). Parler d’une Histoire du christianisme des origines à nos jours (c’est le titre complet du volume 14 de l’Histoire du christianisme dont nous parlons) est donc une prise de position, un coup de force théorique aussi puissant qu’il demeure inaperçu.
  • [48]
    Origène, Contre Celse, I, 27, éd et trad. M. Borret, Paris, 1967, Sources chrétiennes, 132, p. 148-149.
  • [49]
    Je m’appuie ici sur l’excellent article de G. Dorival (2001).
« Tout cela, ayant prévalu par raisonnement ou résulté d’un arrangement, pour que l’on crût plus facilement à la croix du Christ, créera une pente telle que ne pouvant renier leur histoire, ils acquiesceront la nôtre ».
Ambroise de Milan (340-397), De Officiis, III, 36.

1 Ceux qui ont lu l’article d’Yvon Thébert, « À propos du “triomphe du christianisme” » en 1988, l’année de sa parution dans les Dialogues d’histoire ancienne, avaient du mal à ne pas s’identifier aux premiers chrétiens des catacombes [1]. On avait beau nous expliquer comment l’histoire apologétique avait exagéré l’ampleur des persécutions pour mieux exalter la force d’âme de ces petites communautés pliant sous le joug de l’Empire, tout de même, c’était bien tentant. Nous nous attendions à ce que ce texte plein de fougue déclenche la levée de boucliers qu’il méritait, sans se douter qu’en pareille occasion, le silence poli ou, pire encore, l’indulgence attendrie est la plus efficace des défenses. Et de fait, il ne manquerait pas de subtils pour railler ces nouveaux convertis en attente d’un martyre qu’on ne leur accorderait même pas.

2 Mais nous ne sous sentions nullement investis d’une mission évangélisatrice, et encore moins raffermis d’une foi nouvelle. Lire Thébert, ce n’est certes pas chercher à se convertir, au sens où l’on adopterait d’un coup, et en bloc, un nouveau corps de doctrine. Lire Thébert, c’est au contraire bénéficier d’une conversion du regard : son texte nous amène à voir autrement ce qui nous semblait familier, à rompre les évidences en devenant étranger à nos habitudes de pensée. Exagère-t-on si l’on orne cette expérience critique du beau nom d’émancipation ? C’est parce que le signataire de ces lignes en garde un souvenir inoubliable qu’il a finalement accepté de faire taire ses pudeurs académiques – disons, une fois pour toute, que l’histoire de la société tardo-antique est une discipline exigeante, et qu’elle n’est pas mienne – pour rendre compte, simplement, de l’effet de lecture que l’article d’Yvon Thébert peut encore produire aujourd’hui.

3 Le plus simple est sans doute de partir de son point d’aboutissement : « Il n’y a donc pas à s’émerveiller devant le “triomphe du christianisme”. L’idée d’une religion constituée gagnant l’Empire dans le cadre d’un immense mouvement de conversion est un mythe. Le christianisme n’a pas conquis la société du Bas-Empire, il a été secrété par elle » (p. 325). Il n’y a pas à s’émerveiller : la formule est bien dans la manière de ce maître désenchanteur qu’était Yvon Thébert, disant volontiers combien il aimait tout dans le Miracle grec de Pierre Lévêque, sauf le titre. Il ne peut y avoir en histoire ni miracle, ni prodige, ni merveille. Ce qui ne veut pas dire pour autant que l’historien doit éteindre l’étonnement. Si Thébert refuse de se laisser surprendre par le “triomphe du christianisme”, c’est pour mieux déplacer l’effet de surprise. « Comment un tel système a pu devenir la seule religion officielle de l’Empire ? » (p. 282) : telle est la question qui intrigue l’historien, guère ébloui par le génie du christianisme, mais posant au contraire comme principe initial qu’il convient de jeter sur lui « un regard essentiellement externe » (p. 277). Après avoir hardiment déblayé de sa route toute une série de problèmes jugés étrangers au questionnaire de l’historien (la question de l’historicité de Jésus notamment, mais aussi celle de la théologie chrétienne des premiers siècles), le christianisme des premiers siècles se ramène à une « classique religion à mystères » (p. 281) reposant sur l’histoire d’un Dieu souffrant – ce qui est commun à de nombreuses sectes orientales. Rien, en tout cas, qui ne puisse expliquer a priori le choix de Constantin d’en faire une religion d’État. Et de cela, nous dit Yvon Thébert, il y a effectivement lieu de s’étonner. Or, pour beaucoup d’historiens, « que le christianisme l’emporte apparaît chose naturelle », tant est intériorisée l’idée de la supériorité de cette religion, « soit sous la forme naïve d’un dynamisme conquérant, soit sous la forme plus explicite d’une suprématie spirituelle » (p. 282).

4 Reprendre le dossier de la diffusion du christianisme consiste d’abord à s’interroger sur sa chronologie. Deux constats s’imposent alors : « inextricable mélange des traditions » (p. 284) dans un contexte où le christianisme ne s’est pas encore détaché du judaïsme, et « faiblesse des vestiges » (p. 288). Sur le premier point, Yvon Thébert cite avec gourmandise les propos de son auteur préféré, Celse, païen militant, qui voyait dans les chrétiens des « plagiaires maladroits ». Mais il ne s’agit évidemment pas seulement du malin plaisir de dénigrer la radicale nouveauté dont le christianisme serait porteur. Thébert délivre à cette occasion une leçon de méthode qui peut sembler triviale, mais dont on vérifie aisément combien elle est en réalité peu suivie : on ne peut rendre raison des hésitations doctrinales des inventeurs du christianisme en élaguant le tronc de l’orthodoxie – telle qu’elle sera plus tard définie par les conciles, notamment en matière de théologie trinitaire – de tous les rameaux adventices qui formeraient autant d’hérésies. Dire du christianisme qu’il est originellement une hérésie du judaïsme est encore trop dire : il faut cesser de penser que l’historien est en droit d’émonder les croyances en y distinguant tronc commun et branches portantes. On doit au contraire partir de ce buissonnement, rendre compte de la pluralité des discours et des dogmes, cette « large palette d’opinions, toutes valides dans la mesure où il n’existe pas de credo et où la diversité des positions, loin d’être le fruit d’une évolution, est originelle » (p. 291-292).

5 Si rien ne vient attester le mythe d’une « prodigieuse expansion de la nouvelle religion » (p. 287), c’est d’abord parce que cette religion n’est pas si nouvelle que cela, du moins avant que le pouvoir impérial n’en exploite son universalité potentielle. De ce fait, « la présence chrétienne est sans doute indiscernable dans les premiers temps » (p. 287), noyée dans l’effervescence sectaire du judaïsme. Thébert montre avec quelle lenteur le christianisme se différencie du judaïsme aux iie et iiie siècle, et le peu d’écho qu’il rencontre alors. Même en Asie mineure (qui est, théoriquement, le cœur du premier christianisme), on peine à trouver un seul témoignage archéologique avant le iiie siècle bien avancé : ni édifice, ni même inscription. Pour expliquer ce silence documentaire, la tradition chrétienne a une explication imparable : les persécutions étaient si féroces qu’elles obligeaient les premiers chrétiens à une vie clandestine. S’appuyant notamment sur les travaux de Charles Saumagne, Yvon Thébert conteste l’ampleur de ces persécutions. La tenue régulière des conciles chrétiens en fournirait le meilleur démenti. Ce point pourrait évidemment être discuté – comme on le suggérera plus loin – moins pour affaiblir son argumentation que pour l’assouplir et la déplacer.

6 Mais peu importe au fond : ce qui intéresse Thébert est moins le mouvement de persécutions en lui-même que la critique de son usage apologétique [2]. Car celui-ci s’articule avec le postulat précédemment discuté de la radicale nouveauté du christianisme. Ses inventeurs refusent bien vite de se reconnaître les héritiers des religions qui les ont précédés – à l’inverse, par exemple, de l’attitude qu’auront les musulmans par rapport aux autres gens du Livre. D’où le trait d’emblée dogmatique, coercitif du christianisme. Or, par un retournement qui n’est qu’en apparence paradoxale, le christianisme puise une partie de sa légitimité dans l’ampleur des persécutions dont il aurait été la victime. Sur ce point sans doute, Yvon Thébert se plait à inverser l’histoire chrétienne plus qu’il ne la décolonise véritablement [3]. Car après avoir minoré de manière systématique l’importance des persécutions contre les chrétiens, il n’hésite pas à réévaluer leur portée pour expliquer l’élimination des derniers païens : « le paganisme est peut-être en recul, mais ce n’est qu’à la suite des nombreuses mesures de persécution inaugurées par Constance en 356, systématisées par Théodose et réitérées jusqu’à la fin du ive siècle que ce recul, si souvent proclamé par les écrivains chrétiens depuis Tertullien et si souvent réaffirmé par les historiens contemporains, commence à être perceptible dans le paysage urbain » (p. 295).

7 La question des persécutions met en scène, de manière volontairement dramatisée, l’antagonisme entre le christianisme et l’Empire – et c’est bien l’existence même de cet antagonisme originel et fondamental qui constitue la principale cible d’Yvon Thébert. D’où sa thèse centrale, exprimée notamment à la page 291 : « ce n’est pas le christianisme qui submerge le pouvoir, c’est le pouvoir qui utilise le christianisme et qui, pour ce faire, va le modeler de façon décisive en fonction de ses besoins ». Yvon Thébert va pousser très loin l’expression de cet utilitarisme : le pouvoir politique « exploite ses potentialités » (p. 294), il use de « la palette religieuse officielle » (p. 313), le christianisme « n’étant qu’une carte parmi d’autres dans le jeu de l’Empereur » (p. 312). Mais aussi : « parmi les sectes qui se multiplient, l’Empereur choisit celle qui est la plus apte à rendre les services attendus et, dès lors, s’attache à assurer son développement dans une direction qu’il contribue largement à définir » (p. 324). L’empereur est donc le grand ordonnateur du christianisme. Il l’est d’abord sur le plan doctrinal, en promouvant une « théologie moyenne » (p. 299), notamment sur la question du baptême et de la nature du Christ. Il s’agit incontestablement d’une affaire d’État, pour Constantin qui convoque le concile de Nicée (325) et pour ses successeurs (dont Théodose) qui tentent d’imposer les dispositions nicéennes sur la double nature du Christ. Nous sommes bien alors dans le contexte impérial romain : en définissant le dogme, l’empereur lui donne force de loi. Il peut ainsi déposer un évêque comme un mauvais fonctionnaire. Car sur le plan politique également, il organise l’institution ecclésiale, l’intégrant dans les rouages administratifs de l’empire. La structure des diocèses est un décalque de l’organisation politique civile et l’évêque rend la justice et perçoit l’impôt, en ville, par délégation impériale.

8 Après avoir analysé la manière dont « le pouvoir clérical se développe en calquant le modèle civil » (p. 297), reste à envisager le maintien de la religion impériale dans un cadre désormais chrétien. Car « l’adoption du christianisme comme religion officielle ne modifie pas la mystique impériale qui s’est élaborée depuis des siècles » (p. 301). La démonstration, très éloquente, repose notamment sur l’analyse du rescrit d’Hispellum, texte refoulé par de nombreux historiens à qui il paraissait « invraisemblable que Constantin, premier “Empereur chrétien”, ait pu favoriser le culte païen de sa personne et de famille » (p. 312) ; elle passe aussi par un détour particulièrement brillant sur la fondation de Constantinople – qui « consiste non en la création d’une ville chrétienne, mais en un dédoublement de la Ville » (p. 313) – et culmine avec la redéfinition des rapports entre arts païen et chrétien. Car on l’aura sans doute déjà deviné : « il n’y a pas non plus d’art chrétien » (p. 320), simplement parce que l’architecture des premières basiliques démontre sans ambiguïté possible la « dépendance de la scénographie ecclésiastique envers le monde profane » (p. 322) et que de ce point de vue, « l’histoire de l’art se poursuit sans dévier » (p. 321).

9 Au total, à l’idée de conversion, Thébert substitue celle d’une « longue phase de transition » (p. 325) [4]. Ainsi les concepts marxistes du changement social sont-ils appliqués directement aux évolutions de la croyance, en ne tenant d’ailleurs pas compte des propositions de l’anthropologie religieuse – ce qui provoque sans doute un certain flottement terminologique entre « pratiques cumulatives » (p. 309), « pratiques syncrétistes » (p. 310), « pratique du cumul des religions » (p. 312), voire « phénomène associatif » (p. 339, n. 71). Mais l’essentiel est ailleurs : si Yvon Thébert refuse de considérer le triomphe du christianisme comme « un phénomène de boule de neige » (p. 283), il ne se résout pas pour autant à considérer son message religieux et moral comme un bloc autonome, qui s’imposerait au monde antique et ne serait pas secrété par lui : « En réalité, le christianisme n’est pas un mode de pensée tombé déjà constitué, au beau milieu de la culture gréco-romaine » (p. 317). Ni boule de neige ni pavé dans la mare, le christianisme « n’est pas un concept historique opératoire » (p. 325), et l’article peut se refermer sur lui-même.

10 Pas tout à fait cependant, puisque suivent vingt pages de notes où Yvon Thébert déploie sa rigueur pointilleuse et inquiète. La profusion même de cet appareillage critique donne la mesure du « malaise dans l’érudition » caractérisant l’article de 1988. « Fait-on preuve de tant de prudence envers les récits qui sous-tendent les légendes païennes ? » lâche Yvon Thébert au beau milieu de l’interminable note 1 multipliant les étais de sa réflexion sur la non-historicité de Jésus. Non, certes, mais la remarque peut être lue comme un aveu en miroir : pourquoi doit-on faire preuve de tant de prudence envers les récits qui sous-tendent les légendes chrétiennes ? Sans doute parce que la critique est un travail exigeant et difficile, pour Thébert comme pour les autres, et que ce travail est d’abord un travail sur soi lorsqu’il s’agit de creuser si profondément aux bases de notre civilisation. Et qui ne voit finalement combien les provocations typographiques d’Yvon Thébert – guillotinant la majuscule de l’Église pour qu’elle ne se hausse pas du col au dessus de l’État, comme jadis le père Hugo mit un bonnet rouge au vieux dictionnaire – ne sont là que pour faire diversion, et combien ces véhémences paradoxalement si pudiques cachent une profonde inquiétude, devant la portée d’un discours qu’il sait aussi radical que peu assuré ?

11 S’il existe en histoire des figures libres et des figures imposées, des cheminements tranquilles comme des conduites dangereuses, nul ne peut douter qu’« À propos du “triomphe du christianisme” » ne fasse partie de la catégorie des articles à risques. Yvon Thébert s’y aventure, librement, hors des sentiers battus, ceux de l’historiographie dominante comme ceux de sa propre « spécialité ». Or, si l’on quitte la métaphore médicale (Yvon se plaisant à se caractériser comme un « généraliste » de l’histoire) pour celle du cyclisme, il est évident que le peloton n’avait pas délivré son bulletin de sortie à l’échappée en solitaire de celui qui, dès les premiers lacets du col le plus redoutable de l’épreuve, décide de partir ainsi, « en costaud ». Tenter de reconstituer la généalogie intellectuelle de l’article de 1988 revient sans doute à évoquer les fondements les plus solides de la vocation historienne d’Yvon Thébert. Elles s’enfoncent d’abord dans le sol de Bulla Regia, où les fouilles de la maison de la chasse avaient mis au jour le plan d’une basilique privée munie d’un transept, et bien datée de la première moitié du ive siècle. Découverte cruciale, si l’on peut dire, que celle de cette forme architecturale antérieure à sa réinterprétation chrétienne, sur laquelle Yvon Thébert écrivit des pages éblouissantes dans l’Histoire de la vie privée[5]. Grégoire de Nazianze est en effet le premier à développer, vers 380, l’analogie entre le plan de la basilique constantinienne des Saints-Apôtres à Constantinople et la croix du Christ. Les chrétiens n’élaborent pas le plan basilical associant une nef et un transept, ils le chargent d’une signification nouvelle. Or, cette resémantisation affecte une forme caractéristique de l’unité de l’architecture romaine, puisque la découverte tunisienne démontre qu’elle concerne également la construction domestique. Le culte chrétien n’offre qu’une des modalités d’un problème général de circulation et de cérémoniel faisant fi de nos catégories du politique et du religieux, du privé et du public, puisque « le transept offre une solution parfaite à des problèmes de circulation pour des pratiques cérémonielles, qu’il s’agisse de la déambulation des fidèles autour des reliques, du déploiement du clergé autour de l’autel ou des dignitaires autour du souverain. À Bulla Regia, le problème est le même, la parade du dominus, et la solution architecturale identique jusque dans ses proportions : le transept, dans ses parties saillantes, forme deux carrés, selon un parti attesté dans l’architecture chrétienne et, peut-être, dans le palais impérial de Ravenne [6] ».

12 Tout est là, déjà, in nuce, car c’est d’abord dans la matérialité de l’histoire qu’Yvon Thébert trouvait le tremplin de sa réflexion. De cette histoire matérielle et sensible, la roche-mère se trouve en Afrique. L’analyse de l’intégration des évêques dans la société politique de l’Afrique byzantine menée par Jean Durliat, celle de l’épiscopat de l’Afrique romaine, vandale et byzantine par Jean-Louis Maier préparaient déjà le terrain [7]. Terrain miné, sans doute, comme Yvon Thébert eut maintes fois l’occasion de le démontrer [8], mais qui commençait à être défriché par quelques travaux précurseurs dans lesquels notre auteur allait trouver appuis, inspirations et encouragements. On pense d’abord aux analyses de Victor Saxer, historien catholique ouvert aux débats de sa discipline, incarnant pour Yvon Thébert cette figure qu’il cherchait souvent en vain, mais qu’il cherchait toujours avec passion et conviction : l’adversaire honorable. Il suffit pour s’en convaincre de lire les pages que Victor Saxer donna, dix ans plus tard, à l’Histoire du christianisme, où affleure souvent une conception, sinon critique, du moins nettement historicisée, de la diffusion du christianisme, notamment lorsque, attentif aux « données de l’archéologie », il admet que « la christianisation a suivi la romanisation du pays et a été rendue possible par elle, quels qu’en aient été les artisans précis [9] ». Saxer ne va pas jusqu’à signaler l’article des Dialogues d’histoire ancienne, mais il cite et utilise les travaux de Charles Saumagne auxquels Yvon Thébert rend souvent hommage et qui constituent certainement une impulsion décisive pour sa propre réflexion [10].

13 La thèse de Saumagne travaille en effet un dossier décisif pour l’histoire du début du christianisme en Afrique romaine : celui de la carrière de l’évêque de Carthage Cyprien qui, refusant de célébrer les fastes de la religion impériale, provoque l’épreuve de force avec l’empereur Valérien et meurt en martyr en 258. À cet ouvrage, Yvon Thébert emprunte notamment la notion de « monarchisme épiscopal [11] », l’argument de la publication des conciles pour mettre en doute la clandestinité de la pratique chrétienne du iiie siècle [12], l’idée que « durant le iie siècle et depuis le temps des Flaviens, le pouvoir politique n’avait guère été en mesure de distinguer les christianisants des judaïsants [13] ». Le ton général du livre de Saumagne avait certainement de quoi ravir un lecteur comme Yvon Thébert – cette manière d’utiliser les guillemets comme des pincettes pour épingler, et ce dès le titre général du livre, tous les mots-clefs de l’apologétique, mais aussi des formules comme celles qui ouvrent en fanfare un ouvrage se donnant pour but de « comprendre comment, au plan de l’historicité pragmatique, une secte juive, rameau détaché d’une obscure religion ethnique et topique, celle du Dieu Yahvé, en est venue, en deux siècles, et par le moyen de laborieux et, par moments, douloureux accommodements au monde, à s’établir “religion d’État” du plus puissant Empire qui ait dominé notre monde occidental, – et a pu continuer encore de l’être ou d’y prétendre [14] ».

14 Fanfare militaire, sans doute, plus que musique de chambre : mais si l’on trouve aujourd’hui la prose de Saumagne bien empesée, il faut se souvenir qu’elle n’était sans doute si lourde que pour tenter de faire contrepoids à un discours aussi massif que diffus. On sait bien avec quelle facilité apparente la pensée réactionnaire trouve dans le « style épouvantable » un argument qu’elle juge imparable pour disqualifier les inconvenances des sciences sociales, si évidemment contraires à la bienséance académique [15]. Et il suffit de prendre la mesure de la fureur que ce type de discours inspire pour qu’il nous redevienne d’un coup beaucoup plus sympathique. Dans le cas de Charles Saumagne, cela donne, par exemple, sous la plume de Philippe Jobert dans la Revue d’histoire de droit français et étranger, un compte rendu feignant de rendre hommage à « un livre à thèses », développant une « vision extrêmement personnelle des crises que traversent les rapports entre le pouvoir et l’Église d’Afrique ». Il faut attendre les dernières lignes de la recension pour assister à l’exécution capitale : « Malgré les trouvailles d’une plume remplie d’une juvénile ardeur à convaincre, les thèses de Saumagne sont desservies par un rationalisme excessif, une jonglerie avec les sources et une sorte de rage iconoclaste [16] ». Il est des injures qui sonnent comme des encouragements : on imagine avec émotion le plaisir d’Yvon Thébert à découvrir ces lignes, lui si peu jongleur, et au fond pas plus enragé qu’iconoclaste, mais qui ne pouvait évidemment concevoir qu’on puisse être excessivement rationaliste, sinon en ayant raison jusqu’au bout.

15 L’Afrique romaine et la révélation de Bulla Regia, quelques devanciers et l’exaspération de les savoir ignorés ou méprisés : telles sont sans doute les principales motivations de l’embardée thébertienne, qui l’a amené à dévier de son cours bibliographique pour écrire cet article déplacé et intempestif qu’est le « “Triomphe” ». Mais sans prétendre à une égohistoire que son auteur aurait réfutée, et que l’on ne saurait mener en son absence sinon en aggravant un sentiment mêlé de perte et de trahison, qu’il me soit permis d’ajouter ceci : Yvon Thébert écrivait ce qu’il enrageait de ne pouvoir lire ailleurs. Et il n’écrivait pas ce qu’il savait pouvoir trouver sous la plume des autres. Sa position pédagogique de forçat de l’agrégation en faisait un lecteur infatigable et exigeant. Rien ne l’enthousiasmait plus que de découvrir au hasard d’une bibliographie un soutien inattendu, une hypothèse hardie, une audace théorique – et ce plaisir était redoublé lorsqu’il venait d’un historien qu’il ne considérait pas a priori comme un allié. Or, sur le sujet des origines du christianisme, ce plaisir fut rare et longtemps différé. Et l’écriture seule pouvait calmer l’impatience. Chercher dans les livres des réponses à ses questions ; et lorsqu’on désespère de les trouver un jour, se résoudre, sans calcul, à les écrire soi-même : une telle attitude pourrait sembler naturelle dans le champ académique. Mais chacun sait qu’en réalité l’impulsion d’écrire est plus souvent mue par l’art du placement que par le principe de nécessité. Aussi les conditions d’écriture de l’article des Dialogues d’histoire ancienne – la préparation intellectuelle d’une couvée d’agrégatifs ayant convaincu Yvon Thébert que l’on ne pouvait rien lire de synthétique et de satisfaisant sur le sujet et que, décidément, et quel qu’en soit le prix, il fallait s’y coller soi-même – expriment une certaine éthique de la recherche, c’est-à-dire du rapport entre la transmission et la production des connaissances.

16 Cette éthique de la recherche passait, chez Yvon Thébert, par l’exigence du débat, qui fut à la fois une passion privée et une aspiration scientifique. Or, si beaucoup peuvent témoigner du fait que la première était fréquemment comblée, force est de constater que la seconde fut le plus souvent déçue. « À propos du “Triomphe du christianisme” » en est un exemple tristement caricatural. Disons-le tout net : sa réception est à peu près nulle. Aucune allusion dans les quatorze volumes de l’Histoire du christianisme (1990-2001), ni dans la « Nouvelle Clio » de Pierre Maraval (1997) dont la bibliographie comporte pourtant plus de 1100 titres [17], pas un mot dans la Nouvelle histoire de l’Antiquité[18]… C’est à peine si l’on glane ici où là quelques références – ainsi cette notation sous la plume d’Alain Ducellier, historien spécialiste de Byzance, qui indique sobrement et au fond assez justement l’importance de l’article d’Yvon Thébert : « texte qu’on pourra juger provoquant, mais dont la lecture s’impose [19] ». J’arrête là l’inventaire : il est fastidieux de faire l’histoire d’un silence. On peut d’ailleurs en rendre compte assez simplement. Le livre de Charles Saumagne reposait sur une contribution érudite à l’analyse textuelle des écrits de saint Cyprien. Quoi qu’on pense de ses interprétations, ne pas le citer constitue, pour un spécialiste, une faute professionnelle. Rien de tel avec l’essai d’Yvon Thébert. Son souffle est sa faiblesse, et c’est parce qu’il manifeste une incroyable ampleur de vue qu’il demeure dans un angle mort de la bibliographie. On n’a même pas besoin de le réfuter, ni même de l’injurier – comme Philippe Jobert dans son compte rendu de la thèse de Saumagne – il suffit simplement de l’ignorer. Yvon Thébert connaissait d’ailleurs la leçon, puisque la publication de cet article dans les Dialogues d’histoire ancienne dérogeait au principe qu’il s’était lui-même fixé, et qui consistait à avancer sinon masqué du moins couvert par le bouclier de l’érudition.

17 Le silence d’hier rend plus pénible celui d’aujourd’hui, puisque l’un et l’autre sont sans issue. Relire le « “Triomphe” » oblige à agencer de ces débats muets entre les livres, qui se répondent sans s’entendre et font colloque, tristement et en silence. Je ne sais pas si Peter Brown a lu Yvon Thébert, son voisin de l’Histoire de la vie privée, mais à consulter ses derniers livres, j’y découvre des formulations qui entrent en résonance avec l’article de 1988. Ainsi, par exemple, dans son analyse de l’épreuve de force de 390 qui met aux prises saint Ambroise, évêque de Milan, avec l’empereur Théodose coupable du massacre de Thessalonique à qui il impose pénitence : « C’est la majesté du cérémonial impérial elle-même qui liait Théodose à l’Église catholique. Regagner un rôle de premier plan dans la grand-messe solennelle à la cathédrale de Milan valait bien une pénitence [20] ». Autre exemple : voici que paraît le livre de Glen Bowersock qui montre la manière dont le martyre chrétien s’inscrit dans le contexte spectaculaire de la vie urbaine romaine et affirme que « sans la glorification du suicide dans la tradition romaine, le développement du martyre, aux iie et iiie siècles, eût été impensable [21] ». On se plait alors à rêver d’un débat serein entre Bowersock et Thébert, qui aurait amené ce dernier à réviser son interprétation des persécutions, et à comprendre qu’il n’avait pas besoin d’en minimiser l’importance pour défendre sa thèse, puisque d’une certaine manière, Bowersock réinscrit l’épisode des persécutions chrétiennes dans l’histoire générale de la société du Bas Empire.

18 Et l’on pourrait multiplier les exemples : lorsque Yvon Thébert évacue un peu prestement le Testimonium Flavianum au détour d’une note (p. 330, n. 20 : « il faut, évidemment, exclure les autres pseudo-témoignages païens fabriqués à posteriori pour les besoins de l’apologétique »), il est démenti par l’érudition récente [22]. Mais celle-ci n’affaiblit en rien – au contraire, elle la renforce en l’enrichissant – sa thèse centrale qui consiste à dire que notre conception du triomphe de la nouvelle religion est strictement dépendante des sources chrétiennes. Et lorsqu’il évoque l’importance de la langue latine comme principe structurant de ces sources chrétiennes (elle « n’est pas alors le simple support d’une pensée extérieure à la tradition, mais un outil qui influe sur sa nature même », p. 317), il anticipe sur une orientation de recherche qui, sans se référer à lui, le poursuit et le nuance. Ainsi a-t-on pu montrer comment la « foi en pente douce » consistait, toujours pour saint Ambroise, à christianiser les auteurs païens, simplement en les répétant ou en les plagiant. Ambroise a largement démarqué Plotin dans ses œuvres théologiques, il a mobilisé Virgile, mais aussi Homère, Ovide, Pline et Salluste dans son commentaire de Luc, et il fait de même avec Cicéron dont il reprend des pages entières dans son De officiis. Dans ce texte, les vertus du clerc sont la transfiguration des devoirs du citoyen. Ce qui confère au texte de Cicéron « une sorte d’onction [23] », selon l’expression de Pierre-Emmanuel Dauzat : le baptême du texte latin est comme sa seconde naissance. Le mot fides permet chez saint Ambroise le passage en douceur de la « bonne foi » (considérée chez Cicéron comme le fondement de la justice) à la foi tout court.

19 Tout ceci pour quoi ? Évidemment pas pour prétendre corriger tel ou tel point de l’analyse d’Yvon Thébert, et encore moins pour alimenter cruellement la mélancolie d’un dialogue interrompu. Mais pour comprendre pourquoi le débat n’a pas eu lieu et comment, pourtant, il aurait pu avoir lieu, à partir de ces articulations critiques (la question de la violence persécutrice, de la nature des sources, de la langue latine…) qui étaient autant de points d’accroche d’une discussion possible. Reste, pour rendre compte de cette occasion manquée, un dernier aspect, que je crois essentiel : Yvon Thébert a cherché à engager le débat avec des « collègues » (les historiens de l’Antiquité) qui n’étaient en rien disposés à l’entendre, mais il a ignoré un pan entier des sciences humaines où il aurait pu trouver appuis et interlocuteurs. Pour lui, sans doute, l’interdisciplinarité était d’abord une indiscipline, et en tout cas une infidélité à la communauté des historiens qu’il considérait comme indéfectiblement sienne, en vertu d’une conception au fond très idéaliste qu’il se faisait de la vie savante.

20 Or, au moment où Yvon Thébert écrivait son « “Triomphe” » et cherchait en vain chez les historiens de quoi conforter sa thèse sur l’inexistence d’une morale chrétienne spécifique, la question était travaillée depuis plusieurs années déjà par Michel Foucault, notamment du point de vue des pratiques sexuelles (si essentielles, comme le montrera Peter Brown, à l’institution de l’ordre clérical). Le concept de « souci de soi » permettait notamment à Michel Foucault de désattribuer au christianisme un certain nombre de techniques ascétiques, et, ainsi qu’il le précisera dans un important entretien daté de 1983, de nier « une quelconque rupture morale entre une Antiquité tolérante et un christianisme austère [24] ». Autre rendez-vous manqué : en 1985 paraît Le désenchantement du monde où Marcel Gauchet tente de fonder une histoire politique de la religion. On y lit, par exemple, ceci : « Voilà le vrai tombeau du polythéisme : la réussite même de la cité conquérante, nécessairement payée d’une destitution sans remède, même si lente et détournée, de ses divinités tutélaires et de la croyance de ses aïeux [25] ». Certes, la définition par Marcel Gauchet du christianisme comme « religion de la sortie de la religion » peut sembler en porte à faux avec l’effort d’historicisation critique et a provoqué bien des malentendus. Mais revenant sur cette question dans son dernier livre d’entretien, il aboutit à une formulation assez proche de celle que l’on peut trouver dans notre article de 1988 : « L’Empire romain pose à ses propres citoyens un problème spirituel, métaphysique, religieux, dont il n’est pas trouvé de solution à l’intérieur de l’empire. Cette solution est cherchée ailleurs, dans les cultes orientaux, dans la philosophie grecque. Pour finir, une révision improbable du monothéisme juif apporte à l’empire ce qu’il attendait. D’une certaine manière, après coup, nous pouvons observer qu’elle lui correspond, même si elle ne pouvait apparaître en son sein [26] ».

21 C’est très exactement cette logique de « l’après-coup » du christianisme que l’article d’Yvon Thébert nous permet de comprendre. Mais le problème conceptuel qu’évoque Marcel Gauchet – si le christianisme est bien, selon l’expression thébertienne, « le produit de la société tardo-antique », pourquoi apparaît-il à la marge et non au centre, et comment rendre compte de cette conquête par le bas, « à l’inverse du mode classique de la conquête religieuse qui passe par la prise de pouvoir [27] » ? – ne trouve pas de solution à la lecture du « “Triomphe” ». Le discours des sciences humaines en général (et de la pensée “antitotalitaire” de Michel Foucault ou de Marcel Gauchet en particulier) était sans doute mieux armé pour comprendre le problème auquel Yvon Thébert se heurtait que la tradition marxiste qu’il revendiquait lourdement dans les trois dernières pages de son article. Là encore, on se désole qu’Yvon Thébert ne se soit pas choisi d’adversaire à sa mesure. Je pense notamment à Henri-Irénée Marrou, dont les thèses sont certainement sous-évaluées dans « À propos du “triomphe du christianisme” » et dont on ne doit pas oublier qu’il défendait en son temps, et dans le champ de l’histoire chrétienne, une position jugée fort audacieuse. Sa soutenance de thèse fut, en 1938, selon le témoignage d’André Mandouze, une âpre bataille, « comme si l’Université subissait une atteinte sacrilège en entendant confronter, par un jeune plein d’avenir, la fin de la culture antique et l’efflorescence du génie chrétien [28] ». Mais sans doute Yvon Thébert pensait-il qu’il avait mieux à faire en s’attaquant frontalement au gros de la troupe des historiens plutôt qu’en allant débusquer quelques francs-tireurs.

22 Un doute pourtant demeure. Et si Yvon Thébert exagérait ? Est-il bien vrai que la position historique dominante sur le christianisme est travaillée par une conception apologétique de l’histoire où la vérité révélée doit nécessairement triompher d’une force adverse et qu’elle ne peut par conséquent le concevoir comme une production culturelle et politique de la société du Bas-Empire ? Après tout, il n’est pas rare dans le débat intellectuel de s’inventer des ennemis faciles, pour les terrasser avec d’autant plus de facilité que l’on a soi-même gonflé les baudruches de leurs idées outrées. Or, un examen, même rapide, de la bibliographie générale confirme aisément la justesse du diagnostic d’Yvon Thébert, qui excelle toujours à reconstituer le discours moyen des historiens. Que l’on prenne, par exemple, l’un des ouvrages de référence sur le sujet : Le Judaïsme et le Christianisme antique d’Antiochus Épiphane à Constantin, écrit en 1968 par Marcel Simon et André Benoit pour la collection « nouvelle Clio », dont la troisième édition mise à jour date de 1991. Les têtes de chapitre en jalonnent de manière limpide l’orientation générale. Au début est « Jésus et la naissance du christianisme » (chapitre i), puis « Saint Paul et l’universalisme chrétien » (chapitre ii). Telle est bien, dans la tradition, la double fondation du christianisme : un message messianique qui gagne avec la réélaboration paulinienne son universalité. Se déclenche alors, presque nécessairement, « L’expansion chrétienne » – et c’est le chapitre iii, qui évoque les débuts de ce que les auteurs appellent la « mission chrétienne » : « assez lente encore au cours du iie siècle, l’expansion chrétienne a pris une ampleur nouvelle et a connu une progression plus rapide au iiie siècle [29] ». Inutile sans doute de gloser la manière dont l’inéluctabilité du processus est grammaticalement rendue par la construction de la phrase (« assez lente encore… »). Mais viennent bientôt les chapitres sur les réactions au christianisme, entendu comme force exogène et abrasive de l’Empire. Ces réactions sont d’abord intellectuelles (chapitre iv, « Christianisme et tradition classique »), puis politiques (chapitre v, « Le christianisme et l’empire jusqu’en 313 ») – c’est-à-dire, essentiellement, le temps des persécutions. Elles provoquent à leur tour un sursaut : sursaut spirituel (« L’essor doctrinal du christianisme »), ecclésial (« Les institutions ecclésiastiques ») et rituel (« Le culte et la vie religieuse »). Nous en sommes alors au chapitre viii, où l’on lit par exemple : « le développement d’un art chrétien représente en un certain sens une concession aux habitudes païennes [30] ». Puis vient « Le triomphe de l’Église » (chapitre ix), qui s’impose à tous, y compris à Constantin. Ce qui amène nos auteurs à une formulation étrangement proche de celle d’Yvon Thébert dans sa dimension « utilitariste » : Constantin « a compris que le christianisme avait l’avenir pour lui, aussi a-t-il joué la carte de l’Empire chrétien à la fois sur le plan politique et sur le plan personnel [31] ».

23 On m’objectera peut être qu’il est déloyal de juger de l’orientation générale d’un livre en mettant bout à bout les titres de ses chapitres. Mais si l’on plonge plus avant dans la grande synthèse de la fin du xxe siècle, l’Histoire du christianisme publiée en 14 volumes, on retrouve sans peine une structure identique, tant dans l’architecture générale de cette œuvre monumentale – et c’est cela, au fond, qui nous importe ici – que dans la manière dont elle se difracte à l’échelle d’un chapitre ou d’une étude de cas. Repartons du problème de la conversion de Constantin, point d’aboutissement de la synthèse de Marcel Simon et André Benoit [32]. Dans la deuxième partie (« Constantin et l’inflexion chrétienne de l’Empire ») du deuxième tome consacré à la « Naissance d’une chrétienté (250-430) », paru en 1995, Charles Pietri propose de « renverser les termes du problème ». Mais c’est pour minorer le fait du prince puisque « le grand mouvement de conversion chrétienne a commencé avant le règne de Constantin [33] ». Le chapitre portant sur « L’échec du système constantinien : Julien dit l’Apostat (361-363) », rédigé par Jacques Flamand et Charles Pietri, est révélateur de cette histoire orientée – puisque l’expérience politique de rétablissement du paganisme conduite par l’empereur Julien est mise en scène comme « une conversion à rebours ». Les auteurs s’attardent d’abord sur « une enfance malheureuse [34] » : « ce petit homme à la barbe de bouc que raillent les Antiochiens, ce révolutionnaire ascète, dont Grégoire de Nazianze note l’hypersensibilité et l’instabilité caractérielle [35] » ne peut avoir exprimé qu’une pensée religieuse « formée de manière sinueuse, au gré des événements et de ses propres impulsions [36] ». Quoi de plus logique, dans ces conditions, s’il en arrive à exprimer « une haine rancunière à l’encontre des Chrétiens [37] » puis se lance dans « la réalisation du programme révolutionnaire qu’impliquent ses convictions [38] » ? Après avoir affiché « une tolérance hypocrite » [39], il saute le pas en juin 362 et organise une « Église païenne ». Mais cette « reconquête agressive de l’État [40] » se heurte aux « immenses progrès réalisés par le christianisme depuis un demi-siècle [41] ». Le moins que l’on puisse dire est que notre héros flaubertien n’aura pour le coup bénéficié ni de la neutralité de ses biographes, ni de leurs efforts critiques pour tenir à distance une conception téléologique de l’histoire…

24 On aurait tort, pourtant, de se contenter de railler les petits travers d’une tendance historiographique qui affiche par ailleurs de grandes ambitions théoriques. Publié sous la direction de François Laplanche, le dernier tome de l’Histoire du christianisme (intitulé Anamnèsis) explicite le sens intellectuel de l’entreprise. Dans sa contribution à ce volume conclusif, Émile Poulat évoque à juste titre le « principe de séparation » qui fonde l’historicité de la religion chrétienne : « d’une part une sorte d’histoire naturelle de l’Église commençant à la Pentecôte ; d’autre part une exégèse littérale des Évangiles [42] ». Ce principe a eu, concède l’auteur, des « effets positifs », au-delà de « la suspension du jugement qu’elle impliquait (la fameuse “neutralité”) et de la réduction que sa méthodologie entraînait (au nom de la “positivité”) [43] ». Mais il ne permet pas d’écrire « une histoire véridique du christianisme [44] », qui doit quant à elle « faire émerger l’inaperçu, le perdu [45] ». Car « la Foi n’est pas simple adhésion à un dogme ou à une croyance. Elle anime le mouvement missionnaire de “conversion” qui a porté l’expansion chrétienne “jusqu’aux extrémités de la terre”. Elle est à l’origine d’une notion de la vérité inconnue des civilisations antiques et répudiée par la culture moderne [46] ». On ne saurait analyser plus clairement, et plus sincèrement, les implications philosophiques de toute histoire chrétienne du christianisme : quel que soit le talent ou l’honnêteté de ses auteurs, elle met en jeu un régime de vérité spécifique et irréductible qui ne peut tout simplement pas se dissoudre dans l’objectivité historienne. Prétendre s’en affranchir en rejetant l’expression d’« histoire religieuse » pour celle d’« histoire de la religion » est illusoire, puisque le terme de « religion » est, comme on le sait, inapte à appréhender efficacement toute réalité sociale antérieure au siècle des Lumières, réalité sociale qui se caractérise précisément par l’absence de ce « principe de séparation » qu’Émile Poulat définit lucidement (de son point de vue) à la fois comme un legs de la modernité et un obstacle à « une histoire véridique du christianisme [47] ».

25 En nouant conceptuellement expansion du christianisme et invention de la vérité dans la notion englobante de conversion, Émile Poulat énonce un des postulats les plus enracinés de la tradition chrétienne. Qu’est-ce qui démontre la vérité du christianisme ? Le fait que les prophéties des Hébreux et du Christ se soient réalisées ; le fait que le christianisme ait réussi, et qu’il était donc assisté par Dieu. Ce second argument est le plus puissant sur le plan euristique ; il apparaît sans doute chez Origène, dans le Traité des principes (avant 231) et surtout dans le Contre Celse (vers 250). Le passage vaut d’être cité en entier, tant il est fondateur de toute la tradition apologétique évoquée dans l’article d’Yvon Thébert : « Un examen des faits montre que Jésus osa une entreprise qui dépasse la nature humaine et que ce qu’il osa, il l’accomplit. Dès l’origine, tout s’opposait à la diffusion de sa doctrine par toute la terre : les empereurs successifs, leurs généraux et chefs d’armées, en un mot tous ceux qui détenaient une autorité quelconque, et en outre les gouverneurs de chaque cité, les soldats, le peuple. Il fut vainqueur, puisqu’il était par nature, en tant que Logos de Dieu, impossible à arrêter, et, plus fort que ces puissants adversaires, il a conquis toute la Grèce et, plus encore, la barbarie, et converti des âmes innombrables à la religion qu’il enseignait [48] ».

26 Lire ce passage d’Origène, c’est comprendre pourquoi les historiens chrétiens ne peuvent concevoir autrement la diffusion du christianisme : il a triomphé, donc il est vrai, affirme le Père de l’Église ; il est vrai, donc il a triomphé lui répondent aujourd’hui les croyants. Or, l’on sait que l’argument d’Origène, qui est ensuite repris par toute la tradition patristique (notamment par Eusèbe de Césarée, Athanase d’Alexandrie, Jean Chrysostome) retourne originellement celui des Païens [49]. Comment expliquer la réussite fulgurante de Rome sinon par la protection des Dieux ? Déjà, Polybe au début de ses Histoires (I 1, 5 ; 2, 7) le dit explicitement : « Presque toute la terre habitée, soumise en moins de cinquante-trois ans, est tombée sous le pouvoir d’une seule autorité, celle des Romains. Fait dont on ne découvre aucun précédent […]. Les Romains, en soumettant à leur pouvoir non pas quelques parties, mais la totalité de la terre habitée, ont laissé une puissance si considérable qu’il est impossible à nos contemporains de lui résister ni à nos descendants de la surpasser ». Les auteurs chrétiens connaissaient bien l’argument : Tertullien y répond dans son traité Aux Nations (197), puis dans son poème Contre Symmaque (202 ou 203) avant que Prudence ne combine les deux argumentaires. Ce n’est pas Mars qui a donné à Rome la victoire, mais « le Christ Dieu, dont la volonté a réglé, d’après un plan déterminé, la destinée des royaumes, puis le développement des triomphes des Romains ». Il fallait donc que Rome triomphe pour que se dresse sur le chemin de la vérité un adversaire redoutable et que triomphe le christianisme.

27 L’archéologie textuelle révèle donc des structures presque aussi nettes que celles que recouvrait le sol tunisien à Bulla Regia : comme le transept de la basilique de la maison de la chasse, s’y croisent deux traditions, aussi puissantes l’une que l’autre et surtout liées l’une à l’autre par un principe de nécessité : le triomphe de Rome et le triomphe du christianisme, ces mythes jumeaux qui furent les deux meilleurs ennemis d’Yvon Thébert. Qu’il en ait conscience ou non, qu’il soit croyant ou pas, un historien d’inspiration chrétienne – précisons encore : un historien qui n’accomplit pas entièrement l’effort critique, l’arrachement de soi à soi qui consiste à maintenir à distance cette inspiration chrétienne – ne peut que défendre pied à pied cette conception de l’histoire. Il la défendra de manière éclairée et lucide – comme Émile Poulat, Michel de Certeau, Henri-Irénée Marrou et tant d’autres intellectuels chrétiens analysant scrupuleusemement leur position d’énonciation – ou de manière aveugle et obstinée, mais il la défendra. C’est ce à quoi s’attaquait Yvon Thébert. Non, il n’exagérait pas.

Références

  • Bardet S., Le “Testimonium Flavianum” : examen historique, considérations historiographiques, Paris, Cerf, 2002.
  • Biget J.-L et Thébert Y., « L’Afrique après la disparition de la cité classique : cohérence et ruptures dans l’histoire maghrébine », in L’Afrique dans l’Occident romain : actes du colloque de Rome, 3-5 décembre 1987, Rome, École française de Rome, 1990 (Collection de l’EFR, 134), p. 575-602.
  • Bourdieu P., Choses dites, Paris, Minuit, 1987.
  • Bowersock G. W., Martyrdom and Rome, Cambridge, Cambridge University Press, 1995 (trad. franç., Rome et le martyre, Paris, Flammarion, 2002, rééd. « Champs », 2004).
  • Brezzi P., Il cristianesimo nella storia. Saggi di metodologia storiografica, Rome, Bonacci, 1993.
  • Brown P., Power and Persuasion in Late Antiquity. Towards a Christian Empire, University of Wisconsin Press, 1992 (trad. franç., Pouvoir et persuasion dans l’Antiquité tardive. Vers un Empire chrétien, Paris, Seuil, 1998, rééd. « Points », 2003).
  • Carrié J.-M. et Rousselle A., L’Empire romain en mutation : des Sévères à Constantin, 192-337, Paris, Seuil (« Points »), 1999.
  • Certeau M. de, « Crédibilités politiques », in L’invention du quotidien, tome i, Arts de faire, rééd. Paris, Gallimard, Folio, 1990, p. 259-274.
  • Dauzat P.-E., Les Pères de leur Mère. Essai sur l’esprit de contradiction des Pères de l’Église, Paris, Albin Michel, 2001.
  • Dorival G., « L’argument de la réussite historique du christianisme », in Pouderon B. et Duval Y.-M. (dir.), L’historiographie de l’Église des premiers siècles, Paris, Beauchesne, 2001, p. 37-56.
  • Ducellier A., L’Église byzantine. Entre Pouvoir et Esprit (313-1204), Desclée, 1990.
  • Durliat J., Les dédicaces d’ouvrages de défense dans l’Afrique byzantine, Rome, École française de Rome, 1981.
  • Foucault M., « On the Genealogy of Ethics : An Overview of Work in Progress », in Dreyfus H. et Rabinow P., Michel Foucault : Beyond Structuralism and Hermeneutics, Chicago, University of Chicago Press, 1983, p. 229-252 (traduit et republié dans Foucault M., Dits et écrits, Paris, Gallimard, 1994, rééd., « Quarto », 2001, t. 2, p. 1202-1230).
  • Gauchet M., La condition historique, Paris, Stock, 2003.
  • Gauchet M., Le désenchantement du monde, Paris, Gallimard, 1985.
  • Guerreau A., L’avenir d’un passé incertain. Quelle histoire du Moyen Âge au xxie siècle ? Paris, Seuil, 2001.
  • Hilaire Y.-M. (dir.), De Renan à Marrou. L’histoire du christianisme et les progrès de la méthode historique (1863-1968), Lille, Septentrion, 1999.
  • Jobert P., [Compte rendu de] Saumagne C., Saint Cyprien, évêque de Carthage, “Pape” d’Afrique (248-258). Contribution à l’étude des “persécutions” de Dèce et de Valérien, Paris, CNRS, 1975, Revue d’histoire de droit français et étranger, 55, 1977, p. 76-77.
  • Maier J.-L., L’épiscopat de l’Afrique romaine, vandale et byzantine, Rome, Institut suisse de Rome, 1973.
  • Maraval P., Le Christianisme de Constantin à la conquête arabe, Paris, PUF, Nouvelle Clio, 1997.
  • Marcone A., Pagano e cristiano : Vita e mito di Costantino, Rome-Bari, Laterza, 2002.
  • Mayeur J.-M., Pietri C. et L., Vauchez A. et Vénard M. (dir.), Histoire du Christianisme, tome ii, Naissance d’une chrétienté (250-430), Paris, Desclée, 1995.
  • Poulat E., « Anamnèse », in Mayeur J.-M., Pietri C. et L. Vauchez A. et Vénard M. (dir.), Histoire du Christianisme, tome xiv, Des origines à nos jours. Anamnèsis, Laplanche F. (dir.), Paris, Desclée, 2001, p. 259-278.
  • Saumagne C., Saint Cyprien, évêque de Carthage, “Pape” d’Afrique (248-258). Contribution à l’étude des “persécutions” de Dèce et de Valérien, Paris, CNRS, 1975.
  • Saxer V., « L’Afrique chrétienne (189-260) », in Mayeur J.-M., Pietri C. et L., Vauchez A. et Vénard M. (dir.), Histoire du Christianisme, tome i, Le Nouveau Peuple (des origines à 250), Paris, Desclée, 2000, p. 579-623.
  • Schiavone A., La storia spezzata. Roma antica e Occidente moderno, Rome-Bari, Laterza, 1996, trad. franç., L’histoire brisée. La Rome antique et l’Occident moderne, Paris, Belin, 2003.
  • Simon M. et Benoit A., Le Judaïsme et le Christianisme antique d’Antiochus Épiphane à Constantin, Paris, PUF, « Nouvelle Clio », 1968, 3e édition, 1991.
  • Thébert Y., « À propos du “triomphe du christianisme” », Dialogues d’histoire ancienne, 14, 1988, p. 277-345.
  • Thébert Y., « Vie privée et architecture domestique en Afrique romaine », in Ariès P. et Duby G. (dir.), Histoire de la vie privée, tome i, Veyne P. (dir.), De l’Empire romain à l’an mil, Paris, Seuil, 1985, p. 301-397.

Notes

  • [*]
    Patrick Boucheron est Maître de conférences en Histoire du Moyen Âge à l’université Paris I – Panthéon-Sorbonne (UMR 8589 – Lamop) et membre de l’Institut universitaire de France.
  • [1]
    Y. Thébert (1988 : 277-345). Les numéros signalés entre parenthèses dans le corps du texte renvoient à la pagination de cet article.
  • [2]
    Magnifiquement exprimé par Tertullien : « Mais elles ne servent à rien, vos cruautés les plus raffinées. Elles sont plutôt un attrait pour notre secte. Nous devenons plus nombreux, chaque fois que vous nous moissonnez : c’est une semence que le sang des chrétiens » (Apologétique, 50, 13, éd. J.-P. Waltzing et A. Severyns, Paris, CUF, 1961, p. 108.)
  • [3]
    Par esprit de polémique ? C’est une hypothèse qu’on ne saurait écarter définitivement… Mais l’analyse d’Yvon Thébert a au moins le grand mérite de mettre l’accent sur l’instabilité de la croyance chrétienne, rejoignant par là (en sautant à pieds joints le bloc de certitude de la foi socialement instituée) les formulations de certains mystiques éprouvant, comme Michel de Certeau, « la faiblesse de croire ». Pour ce dernier auteur, « les Églises, voire les religions, seraient non des unités référentielles, mais des variantes sociales dans les rapports possibles entre du croire et du cru » : M. de Certeau (1990 : 269). Les premiers chrétiens, pour certains, ne croient plus en la religion romaine, et l’Église chrétienne est la réponse à ce discrédit. Considérer originellement les premiers chrétiens comme des incroyants et non comme des croyants revient à dire que nous manquons aujourd’hui d’une histoire de l’incroyance.
  • [4]
    Voir, aujourd’hui, la manière dont le concept marxiste de transition est retravaillé par A. Schiavone (1996).
  • [5]
    Y. Thébert, (1985 : 319-325).
  • [6]
    Ibid., p. 323. L’argument est irréfutable. On ne peut donc lui opposer que la pure et simple dénégation. Par exemple : P. Maraval, (1997 : 184) : « Ces formes architecturales étaient certes empruntées à la tradition antique (de grands débats opposent encore les historiens sur les modèles de la basilique chrétienne), mais elles prirent avec le christianisme un nouveau départ et un développement propre. Aux éléments de la basilique ancienne, on ajouta parfois un transept, plus souvent encore un atrium d’entrée, parfois d’autres pièces ».
  • [7]
    J. Durliat, (1981) ; J.-L. Maier (1973).
  • [8]
    Voir en particulier J.-L. Biget et Y. Thébert, (1990).
  • [9]
    V. Saxer (2000 : 619 et 579).
  • [10]
    C. Saumagne, (1975).
  • [11]
    Ibid., p. 86-87.
  • [12]
    Ibid., p. 98.
  • [13]
    Ibid., p. 111.
  • [14]
    Ibid., p. 10.
  • [15]
    « En tout cas, il est certain que je ne cherche pas à faire des discours simples et clairs et que je crois dangereuse la stratégie qui consiste à abandonner la rigueur du vocabulaire technique au profit du style lisible et facile. D’abord, parce que la fausse clarté est souvent le fait du discours dominant, le discours de ceux qui trouvent que tout va de soi, parce que tout est bien ainsi. Le discours conservateur se tient toujours au nom du bon sens » : P. Bourdieu, (1987 : 67).
  • [16]
    P. Jobert, (1977).
  • [17]
    P. Maraval (1997).
  • [18]
    Voir en particulier le dixième volume : J.-M. Carrié et A. Rousselle (1999).
  • [19]
    A. Ducellier, (1990 : 20). Le fait que ce jugement favorable provienne non d’un antiquisant mais d’un byzantiniste (sans doute impressionné par les belles pages qu’Yvon Thébert consacre à la fondation de Constantinople) est certainement riche d’enseignement.
  • [20]
    P. Brown, (2003 : 157). Signalons au passage que l’œuvre de Peter Brown n’est citée qu’à la dérobée dans l’article d’Yvon Thébert (note 65, p. 339) qui semble lui manifester une certaine méfiance, à mes yeux injustifiée.
  • [21]
    G. W. Bowersock, (2004 : 110).
  • [22]
    S. Bardet, (2002). On appelle Testimonium Flavianum les quelques lignes de Flavius Josèphe qui, dans le livre 18 des Antiquités juives, évoque le Christ qui « attirait à la fois beaucoup de Juifs et beaucoup de gens du groupe des Grecs » et précise : « Maintenant encore, le groupe des Chrétiens, comme on les nomme d’après lui, n’a pas disparu ». Il existe une longue tradition pour douter de l’authenticité de ce texte – le seul qui ne soit pas d’origine chrétienne. Serge Bardet a analysé le détail des arguments : les commentateurs hostiles à l’authenticité reconnaissent tous le caractère ancien de l’interpolation, et Bardet montre qu’elle ne peut être de beaucoup postérieure au texte de Josèphe lui-même ; elle remonte donc à la fin du ier ou au début du iie siècle. Or, dans la mesure où à ce moment là, les chrétiens n’ont aucun intérêt à forger ce témoignage, et que la description de la secte chrétienne s’intègre parfaitement dans le tableau global du judaïsme de son temps que brosse Flavius Josèphe, l’hypothèse de l’authenticité est au fond plus économique.
  • [23]
    P.-E. Dauzat, (2001 : 147).
  • [24]
    M. Foucault, (1983, 2001 : 1221). Précisons qu’au moment où Yvon Thébert rédige « À propos du “Triomphe” du christianisme », le tome ii de l’Histoire de la sexualité est paru depuis quelques temps (L’usage des plaisirs, Paris, Gallimard, 1984) et que dans le champ de l’histoire ancienne, certains ont déjà commencé à acclimater les thèses foucaldiennes, à commencer par Paul Veyne, dont Yvon Thébert cite et utilise l’article « La famille et l’amour sous le Haut-Empire romain », Annales ESC, 33, 1978, p. 35-63.
  • [25]
    M. Gauchet, (1985 : 179).
  • [26]
    M. Gauchet (2003 : 107).
  • [27]
    Ibid., p. 106.
  • [28]
    Y.-M. Hilaire (dir.), (1999 : 249). Voir aussi, dans ce même volume, la contribution d’Ottorino Pasquato, « Les caractères originaux de l’historiographie religieuse de Marrou », p. 135-154.
  • [29]
    M. Simon et A. Benoit (1991 : 112).
  • [30]
    Ibid., p. 186.
  • [31]
    Ibid., p. 195.
  • [32]
    Et point nodal d’un renouvellement récent des perspectives, dont on pourrait montrer – mais ce serait ici hors de propos – qu’il a gagné plus précocement et plus profondément l’historiographie italienne : voir P. Brezzi, (1993) et A. Marcone, (2002).
  • [33]
    Mayeur J.-M. et al. (1995 : 190).
  • [34]
    Ibid., p. 337.
  • [35]
    Ibid., p. 340.
  • [36]
    Ibid., p. 341.
  • [37]
    Ibid., p. 343.
  • [38]
    Ibid., p. 344.
  • [39]
    Ibid., p. 346.
  • [40]
    Ibid., p. 351.
  • [41]
    Ibid., p. 353.
  • [42]
    E. Poulat (2001 : 262).
  • [43]
    Ibid., p. 263.
  • [44]
    Ibid., p. 264.
  • [45]
    Ibid., p. 271.
  • [46]
    Ibid., p. 277.
  • [47]
    Alain Guerreau a analysé la manière dont la philosophie des Lumières fracture la notion englobante d’ecclesia qui ne saurait, au Moyen Âge, se réduire à celle d’Église puisqu’elle est « la véritable épine dorsale de l’Europe médiévale » et absorbe même l’idée de société. Un des outils conceptuels de la dissolution de l’ecclesia est justement l’idée de religion, fondée sur une conception de la foi comme croyance individuelle volontaire. La rétroprojeter au-delà de cette fracture est donc soit un contresens historique, soit précisément un acte de foi, puisque « Les Églises, telles qu’on les observe en Europe à partir du xixe siècle furent bien, à quelques égards (à quelques égards seulement), les héritières de l’ecclesia médiévale, mais la notion même d’héritage implique décès, en dépit des efforts démesurés déployés durant tout le xixe siècle pour rendre ce décès subreptice et donner a posteriori l’apparence d’une continuité à ce qui fut une rupture radicale » : A. Guerreau, (2001 : 31). Parler d’une Histoire du christianisme des origines à nos jours (c’est le titre complet du volume 14 de l’Histoire du christianisme dont nous parlons) est donc une prise de position, un coup de force théorique aussi puissant qu’il demeure inaperçu.
  • [48]
    Origène, Contre Celse, I, 27, éd et trad. M. Borret, Paris, 1967, Sources chrétiennes, 132, p. 148-149.
  • [49]
    Je m’appuie ici sur l’excellent article de G. Dorival (2001).

Domaines

Sciences Humaines et Sociales

Sciences, techniques et médecine

Droit et Administration

bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Retrouvez Cairn.info sur

Avec le soutien de

18.97.14.80

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions