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Article de revue

L'impérialisme, un débat manqué de l'histoire contemporaine française ?

Pour une relecture des travaux d'Yvon Thébert dans la perspective de la colonisation

Pages 57 à 69

Notes

  • [*]
    François Dumasy est membre de l’École Française de Rome et doctorant en histoire contemporaine à l’université de Provence.
  • [1]
    La réflexion de Y. Thébert est formulée pour la première fois dans « Romanisation et déromanisation en Afrique : histoire décolonisée ou histoire inversée ? » (1978). Elle se poursuit cependant au fil des articles, ce qui fait que son combat pour une histoire africaine, même s’il est un des aspects les plus développés, n’est qu’une étape de la relecture de l’Empire romain. Y. Thébert ne se fait pas le chantre d’une africanité. Au contraire, il intègre l’Afrique dans un ensemble culturel et politique plus vaste. Voir sa contribution sur la « Nature des frontières de l’Empire romain : le cas germain » (1995), ainsi que son article de vulgarisation « Legioni e lotta di classe » (1990). Un bel exemple de renversement de perspective se trouve aussi, pour un tout autre sujet, dans « A propos du triomphe du christianisme » (1988).
  • [2]
    Pour une vision synthétique, cf. P.J. Cain et M. Harrison (2001). Nombre des considérations qui suivent sont issues de sa lecture.
  • [3]
    Y. Thébert (1978 : 64).
  • [4]
    Idem, 65.
  • [5]
    Y. Thébert (1995 : 221-222).
  • [6]
    L’impérialisme est compris ici comme le simple mouvement d’expansion de l’Empire romain. Il ne s’agit pas en effet pour nous de prendre position dans le débat sur l’existence ou non d’un impérialisme antique.
  • [7]
    Y. Thébert (1978 : 76).
  • [8]
    Idem, p. 69.
  • [9]
    Idem, p. 73.
  • [10]
    P. Veyne (1975 : 793-855). Le texte de P. Veyne est lui-même une prise de position qui, sans le nommer, répond aux travaux de Jérôme Carcopino.
  • [11]
    Y. Thébert (1995 : 221 ; 1978 : 74).
  • [12]
    Y. Thébert (1978 : 72-73).
  • [13]
    Y. Thébert (1978 : 79-80). Fondamentalement, l’Afrique restaît maîtresse de son histoire : ses luttes de classes internes sont bien plus explicatives que les pressions externes qui n’ont pu se répercuter sur son évolution que dans la mesure où elles étaient reprises, appuyées, infléchies.
  • [14]
    Y. Thébert (1995 : 222). « Ce phénomène culturel précède toujours les événements politiques. Bien plus, il contribue à les rendre possibles ».
  • [15]
    Y. Thébert (1995 : 232) : « Le lien qui unit les provinces au centre du pouvoir est tissé essentiellement par les premières ».
  • [16]
    S’il faut décoloniser l’histoire antique, l’histoire contemporaine a du aussi se « déromaniser » en faisant la critique des schémas historique issues des analogies supposées entre impérialismes romains et colonisation contemporaine, notamment de la part des historiens de l’antiquité et des archéologues. Cf. V. Bracco (1983) ; J. Chappelot et A. Schnapp dir. (1984) ; G. Gaucher et A. Schnapp dir. (1984) ; R. Visser (1992) ; P. Gathercole et D. Lowenthal éd. (1990) ; L. Meskell éd. (1998) ; S. Altekamp (2000) ; M. Munzi (2001).
  • [17]
    M. Ferro dir. (2003).
  • [18]
    M. Ferro fait cependant remarquer que l’arrivée d’une nouvelle génération d’historiens issus des pays anciennement colonisés contribue à élargir le regard. Il faut néanmoins regarder du côté de la sociologie pour chercher les analyses les plus poussées des conséquences de la colonisation dans le contexte le plus récent. Voir notamment, pour l’immigration, l’ouvrage d’A. Sayad (1999).
  • [19]
    J. Galtung (1971).
  • [20]
    J. Gallagher et R.E. Robinson (1954) ; ainsi que R.E. Robinson (1972).
  • [21]
    P. Leveau, (1978 : 89-91).
  • [22]
    Voir notamment D. Landes (1962).
  • [23]
    Cette préoccupation se retrouve dans son article « Réflexion sur l’utilisation du concept d’étranger : évolution et fonction de l’image du Barbare à Athènes à l’époque classique » (1980).
  • [24]
    M. Benabou (1978 : 83-88).
  • [25]
    E. Saïd (1980).
  • [26]
    Pour des réflexions croisées sur les Subaltern studies, voir M. Diouf (1999).
  • [27]
    Ainsi G. Prakash (1990), qui entend « décoloniser l’histoire » et lutter contre l’essentialisme.
  • [28]
    D. Chakrabarty (1992).
  • [29]
    Voir P. Chatterjee (1986) et G. Prakash, op. cit., ainsi que la réponse de R. O’Hanlon et D. Washbrook (1992). Voir aussi G.C. Spivak (1988). Récemment, P. Wolf a proposé un retour au structuralisme d’Althusser et l’utilisation de la notion de « formation sociale » comme points de départ d’une (encore) nouvelle histoire de l’impérialisme : P. Wolf (1997).
  • [30]
    Voir E. Savarèse (2002) et A. Stoler, (1989).
  • [31]
    Ici encore, le vocabulaire habituel peine à rendre compte des rapports sociaux et culturels. Que signifient en effet des termes aussi généraux que « colons » ou, ailleurs, de « pieds-noirs » ? L’italien n’offre même aucun mot pour désigner les Européens des colonies. Voir N. Labanca (2001).
  • [32]
    J. Clancy-Smith (2002).
  • [33]
    Voir I. Merle et E. Sibeud (2003) ainsi que D. Rivet (1995).

1 Est-il permis de commencer un article par des remarques et des souvenirs personnels, qui risquent de surcroît de paraître ingénus ? Est-il même possible à un contemporanéiste de s’affranchir des frontières disciplinaires et temporelles de la recherche historique pour ergoter du côté de l’histoire de l’Antiquité ? Mon propos n’est pas de proposer une nouvelle théorie historique ou de procéder à un « droit d’inventaire » des écrits et de l’enseignement d’Yvon Thébert. Je voudrais me limiter ici à l’exploration de simples départs de pistes, acceptant de malmener l’arc du temps pour rapprocher un instant l’historiographie récente sur l’Antiquité et les problématiques de l’impérialisme et de la colonisation en histoire moderne et contemporaine. La révolution copernicienne de la problématique de l’expansion de l’Empire romain, effectuée par Thébert [1], peut-elle en effet être transposable pour la période contemporaine ? Rome et les « empires » coloniaux récents doivent-ils être dissociés, parce que répondant à des logiques radicalement différentes, ou existe-t-il des éléments de continuité et de comparaison, au-delà de la simple analogie de vocabulaire, qui permettraient d’utiliser des outils d’analyse communs ?

2 Derrière cet aspect pratique se pose la question plus globale de la définition de la relation impériale entre le centre et ses périphéries. Bien que resté à l’état d’esquisse sur ce point, le travail de théorisation d’Yvon Thébert, nous semble participer d’un débat plus large, duquel la France est restée pratiquement absente jusqu’à aujourd’hui [2]. Réintégrer ces chantiers ouverts par toute une série d’articles de fond, dans le questionnement plus général sur la nature de l’impérialisme et les processus de colonisation nous paraît d’autant plus indispensable que, comme le souligne Meriem Sebaï, ils n’ont trouvé qu’un écho extrêmement limité chez les historiens de l’Antiquité, et aucun ailleurs.

3 C’est d’abord un sentiment, difficilement transposable en paroles, et sans doute trop intime pour être exposé publiquement sans embarras, qui a guidé cette démarche. Les cours d’Yvon Thébert, suivis parfois de conversations qui dépassaient bien vite le cadre de la relation de professeur à élève, puis la lecture de ses travaux, quelques années plus tard, furent pour moi sources d’exaltations ou de réflexions, qui, mâturant ensuite lentement, me faisaient porter un autre regard sur mon objet d’étude, le colonialisme italien en Afrique du Nord. La relation entre son approche de l’Antiquité et l’étude de la colonisation fut d’abord pour moi ressentie plus qu’intellectualisée, prenant forme parce qu’elle entrait en résonance avec mes propres interrogations, et fut, pour cette raison, peut-être d’autant plus profonde dans mon expérience. Elle risquerait, de ce fait, de s’altérer à être ainsi mise à jour, si elle ne reposait sur une invitation d’Yvon Thébert lui-même.

4 Il suffit pour cela que de le suivre, en quelque sorte, « à la lettre » : d’emblée, le combat (car il ne cessa de penser son activité de chercheur comme telle) est placé sur le terrain de la « décolonisation » de l’histoire et s’inscrit dans un cadre chronologique qui déborde amplement la seule Antiquité romaine. Il s’agit en premier lieu de se débarrasser des pesanteurs idéologiques directement héritées du contexte contemporain et retrouver les véritables enjeux de l’Histoire ancienne. Le débat historiographique sur l’Antiquité n’ignore pas le présent, il l’interroge et le critique. La pensée d’Yvon Thébert se construit à partir d’un mouvement constant de comparaison, qui vise à singulariser, par le jeu des oppositions, les spécificités de l’expansion romaine antique. Aussi son appel à la « décolonisation » de l’histoire s’oppose-t-il directement à une certaine forme de l’histoire coloniale et interpelle l’historien du contemporain. Débordant le cadre de l’Histoire antique, le premier problème est effectivement « d’adapter l’enquête historique à la réalité africaine » en échappant « à la pesante problématique traditionnelle » [3]. Il n’est pas surprenant, dès lors, qu’il faille en passer quasiment à chaque fois par l’évocation de l’impérialisme contemporain, étape obligée d’un processus de déconstruction visant à mettre en place de nouveaux instruments conceptuels plus adaptés aux réalités antiques. Yvon Thébert reproche notamment à ce qu’il appelle l’histoire coloniale « dans sa forme la plus crue » d’avoir imposé toute une série de thèmes dont la fonction est avant tout de légitimer l’entreprise coloniale et l’idée d’une « mission civilisatrice ». Celle-ci suppose en effet un cheminement de l’histoire, de l’ombre à la lumière, où les Africains n’apparaîtraient qu’à l’aune de leur acculturation et donc de la pénétration de la « civilisation » des colonisateurs. Approche dualiste, qui repose sur une division entre deux grands ensembles géographiques et culturels, séparant Africains et Européens selon une dichotomie opposant les dominés aux dominateurs, « conception dont la fonction idéologique est double : suivant les moments, cette sous-culture figée sert aussi bien à prouver l’inaptitude des dominés au changement qu’à protéger les dominateurs contre un monde dont les mutations inquiètent [4] ».

5 Si l’idée d’une inégalité culturelle, voire raciale, entre les colonisés et les colonisateurs n’a pas résistée à la vague de la décolonisation des années 1950 et 1960, l’histoire de l’Empire romain et de la période coloniale n’ont pas su renouveler véritablement leurs grilles d’analyse. Derrière l’inversion des valeurs de la colonisation, passage nécessaire mais non suffisant pour s’affranchir de la lecture analyste qui en est issue, se trouve le problème de la représentation de l’autre : en postulant un immobilisme culturel, en englobant l’ensemble des Africains dans des termes généraux, hérités de la perception coloniale, en s’interdisant une analyse sociale au profit de critères ethniques et culturels, la « vision traditionnelle » débouche sur une conception essentialiste de l’histoire.

6 Ces reproches, sur lesquels nous reviendrons, sont suivis chez Yvon Thébert d’une proposition de réintroduction du mouvement historique dans la compréhension de l’impérialisme, qui permet d’affiner la conception de « la réalité impérialiste au sens moderne du terme [5] ». À l’inverse de l’impérialisme antique [6], celle-ci se caractérise d’abord, dans l’ordre des critères proposés, par un rapport de domination, dont les termes employés suggèrent assez le caractère brutal : il est question de « soumission », puis « d’asservissement ». Cette relation inégale n’est possible que par le « stade de développement très différent » dont bénéficient les colonisateurs. Ainsi, dans le cas de la colonisation ou de l’impérialisme de type moderne, « lorsque les deux sociétés qui entrent en contact sont séparées par de profondes différences et lorsque l’une d’entre elles possède des moyens d’exploitation, tant militaires que techniques, aptes à bouleverser profondément le pays conquis, il peut effectivement se produire une agression à tous les niveaux qui appelle de la part des colonisés une riposte collective qui ne néglige pas la culture [7] ».

7 Or Yvon Thébert prend soin de dissocier la naissance de l’impérialisme contemporain de celle d’un « mode de production capitaliste impliquant un développement industriel ». Celui-ci ne vient que renforcer un processus antérieur, en lui donnant des moyens supplémentaires de coercition et d’exploitation. Pour autant, l’imprécision d’expressions telles que « stade de développement », « profondes différences » et « moyens d’exploitation » nécessite d’aller chercher plus loin les outils permettant la compréhension de cette ligne de partage. De fait, c’est dans son développement sur l’Afrique que l’on peut trouver, par recoupement avec l’ensemble des données qu’il regroupe sous le terme de « culture », des éléments de définition. La culture, telle qu’elle redéfinie, par opposition à son acception traditionnelle, se fonde sur le mode d’organisation sociale, le « niveau des forces productives » et le « type de répartition des richesses produites [8] ». Ces articulations s’expriment par des techniques et des réalisations qui, en soi, peuvent être attractives, comme l’architecture romaine qui a contribué « à modifier de façon notable le mode de vie non seulement au niveau de l’habitat, mais surtout au niveau d’une large diffusion, qui semble bien avoir été une nouveauté, de toute une gamme de monuments publics ». La dernière différence principale avec l’Empire romain est la mutation profonde que ces facteurs entraînent dans les sociétés colonisées, notamment par « la déstructuration et l’asservissement de formations sociales de nature très différente » de celle des colonisateurs, ce qui permet de parler de « conquête, acculturation » et, plus loin, d’évoquer « l’absorption » des populations. Contrairement à l’usage commun, Yvon Thébert évite là encore tout risque de vision ethnique et préfère parler de contacts entre des sociétés.

8 Cette présentation de l’impérialisme moderne pourra paraître trop schématique pour être véritablement opératoire. Elle n’a cependant pour objectif que de fournir une base élémentaire de différenciation qui permette à terme d’élaborer des « blocs historiques », découpés selon « un espace et une durée cohérents » et ayant leur articulation propre [9]. Cette posture est, indirectement, une réponse à Paul Veyne, qui, quelques années auparavant, s’était interrogé sur ce « que veut dire impérialisme [10] ». Partant de l’interprétation donnée par Thucidyde et la comparant à celle de Lénine, P. Veyne est conduit à en proposer une définition globale avant de chercher à l’appliquer à la lecture de l’Empire romain, pour se demander in fine « comment un maître étranger cesse-t-il d’être senti comme un étranger pour devenir ni plus, ni moins étranger que tout gouvernement, même national, l’est par rapport aux gouvernés ». Cette interrogation, qui se pose en termes universels, est indirectement récusée dans sa forme par Yvon Thébert, qui condamne toute « idée abstraite de l’impérialisme, qui ne tient pas compte des profondes évolutions historiques » et « toute approche idéaliste des faits privilégiant l’événementiel ou les “cultures” [11] ». Dans cette perspective, la description rapide de la colonisation, et l’insistance sur les facteurs techniques servent essentiellement à se débarrasser d’une problématique inadaptée qui, dans le cas romain, signifierait la prédominance de la puissance militaire comme seul moteur de l’expansion.

9 Bien au contraire, c’est une nouvelle méthode qui est préconisée, reposant d’une part sur l’importance de l’analyse sociale, et d’autre part sur la nécessité d’une vue d’ensemble, décloisonnée, devant permettre d’aborder la question centrale de la nature de l’Empire romain. Contre les frontières de disciplines et les spécialisations fragmentaires, Yvon Thébert demande de « poursuivre la réflexion sur la problématique de l’histoire africaine, question que l’on ne peut éluder car même les études ponctuelles renvoient à une vision d’ensemble […]. Seule la prise en considération de la totalité du cadre historique peut donner sens aux témoignages parvenus jusqu’à nous [12] ». Exigence de la totalité donc, mais cueillie dans son mouvement historique. La problématique de l’histoire africaine dépasse l’Afrique seule, pour interroger un phénomène plus général. Il s’agit ici d’un texte de circonstance, visant à s’attaquer à un problème précis, mais qui suppose aussi son élargissement. C’est pourquoi l’apport d’Yvon Thébert à l’histoire plus récente ne saurait se limiter à un simple réajustement de perspective chronologique et demande une analyse plus profonde des clés de lecture proposées. Au cœur de la recherche sur le monde romain se trouve l’analyse sociale. C’est elle à présent qu’il nous faut définir, avant de la réintégrer dans les termes du débat historique sur la notion d’impérialisme.

10 Comme le laisse présager le réinvestissement de la notion de culture par les notions de mode de production et de répartition, « le jeu des forces sociales » internes aux sociétés africaines se substitue à la vision traditionnelle qui risque de « transformer les conflits culturels en moteur de l’histoire [13] ». Pour autant l’évacuation de la problématique culturelle, par le renversement des valeurs de la colonisation, s’oppose à la cohérence d’une véritable histoire décolonisée. Thébert voit au contraire dans la culture un élément indispensable à l’extension d’une hégémonie politique comme celle de Rome, et plaide contre le « renoncement aux comparaison entre “cultures” ». Parce qu’elle peut être un puissant élément d’attraction et qu’elle permet d’exprimer les différences sociales, la culture est, dans son étude de l’Empire romain, le ciment permettant à l’ordre social impérial de s’imposer. Ce fond culturel, s’il ne suffit pas à expliquer l’expansion romaine, est une de ses conditions préliminaires [14]. Dans l’articulation complexe entre les différents éléments du rapport impérial, la culture est le fruit de l’organisation sociale, non une donnée ayant une autonomie propre. Il en va de même des liens politiques, qui n’interviennent, dans le cas de Rome, qu’en dernier lieu. Cette lecture aboutit à penser l’Empire romain comme un ensemble de rouages, où chacun est indispensable et entraîne l’autre, le tout étant coordonné par les tensions et les oppositions entre classes sociales. La souveraineté politique coiffe un ensemble déjà existant.

11 Yvon Thébert en vient ainsi à proposer un modèle explicatif de l’impérialisme antique, ou pré-moderne, qui suppose une participation active des marges vers le centre, selon une inversion du lien présenté traditionnellement [15]. On voit ce que cela suppose d’hétérodoxe : les provinces ont davantage besoin du centre que l’inverse. Dans ce rapport, où les facteurs économiques ne sont qu’un élément parmi d’autres, ce sont les élites locales qui servent, volontairement, de courroie de transmission du nouvel ordre politique, dont elles tirent profit. La violence n’est pas l’apanage de la puissance impériale, mais joue dans l’articulation entre les différentes classes, selon un découpage horizontal.

12 Cette approche nous apparaît fondamentale en ce qu’elle s’appuie sur des éléments très souvent négligés par l’histoire de la colonisation contemporaine. Elle invite par là même à replacer cette grille d’analyse dans un contexte plus récent. Il ne s’agit évidemment pas de reprendre le modèle romain tel quel, ce qui n’aurait pas de sens, mais de tenter de répondre encore une fois à l’invitation qui nous est faite. Or il faut bien constater que l’étude du contexte social (surtout lorsqu’elle ne se limite pas seulement, comme elle le fut trop longtemps, à la seule société colonisatrice), de même que la prise en compte du contexte culturel et de son évolution dans les processus de colonisation, ont trop souvent été négligées par les historiens, notamment en France et en Italie. D’une certaine façon, l’absence d’inégalité technique marquée entre Rome et ses provinces permet à Yvon Thébert de s’affranchir des modèles explicatifs hérités de la période coloniale [16]. Il peut ainsi procéder à une lecture plus profonde et plus globale de l’impérialisme romain, quand la focalisation sur la supériorité technique et le contexte politique européen, tout en étant indispensables, ont empêché bien des historiens contemporanéistes d’aller voir au-delà, de se confronter avec une histoire sociale de la colonisation.

13 S’il semble désormais accepté que celle-ci ne peut pas se réduire à une simple épreuve de force suivie de l’instauration d’un pouvoir et, éventuellement, d’une société de colons postiches, quelle place cependant l’analyse sociale tient-elle dans la volonté d’une réécriture de l’histoire dont les manifestations se multiplient ces dernières années ? La divergence profonde de nature entre colonisation contemporaine et « antique », ou, pour d’autres, « pré-industrielle », reste un problème ouvert, comme le montre Marc Ferro dans l’introduction au récent Livre noir du colonialisme, où il cherche précisément à différencier les deux [17]. Or si l’on observe la structure et la teneur de ce dernier ouvrage, on constate justement que la question sociale, notamment au regard des sociétés coloniales, ou, pour mieux dire, colonisées, est secondaire et repose sur une vision partielle. Pouvait-il en aller autrement dans l’état actuel de la recherche [18] ?

14 Face à ces obstacles, le renversement méthodologique et les résultats obtenus par Yvon Thébert pour l’Empire romain paraissent pourtant s’ancrer dans le contexte plus large du débat sur la nature et les modalités de l’impérialisme qui s’est développé au sein de la recherche anglophone. Le lien de dépendance entre les élites provinciales et le centre de l’Empire témoigne d’une affinité frappante avec plusieurs de ces auteurs, pourtant encore pratiquement méconnus chez les historiens français. En 1971, Johan Galtung avait notamment insisté sur l’idée que la violence structurelle de l’impérialisme apparaît moins entre des « nations » différentes qu’entre une association d’élites et le reste de la population. Dans le contexte impérial moderne toutefois, les relations entre les élites sont asymétriques, celles des pays dominés étant dépendantes de celles du centre qui peuvent contrôler la périphérie et la maintenir dans un état d’infériorité. L’importance accordée à la dépendance culturelle, sociale et politique s’affranchit d’une conception fondée sur le primat absolu du facteur économique dans le rapport de sujétion [19]. L’approche d’Yvon Thébert peut être par ailleurs rapprochée – en eut-il conscience ? – de l’analyse formulée par Ronald E. Robinson et John Gallagher sur le rôle des élites locales et des formes impériales « informelles » dans l’étude de l’empire britannique. Selon cette perspective, ce dernier ne serait devenu effectif, sous sa forme politique, que lorsque les mécanismes antérieurs de collaborations auraient été menacés par la compétition entre puissances européennes. Ronald E. Robinson fait ainsi de la croissance des échanges et de la mutation de leur nature l’élément principal d’évolution vers une organisation de type impérial, selon un « processus interactif [20] ». Dans cette perspective la colonisation n’est qu’une étape, sans doute la plus explicite et la plus brutale, de la contrainte impérialiste, elle-même sujette des rapports sociaux. Contrairement à Philippe Leveau, qui dans sa réponse à l’article sur la romanisation reste centré sur le problème de la dépendance politique et ne sort pas du cadre de la question de la colonisation [21], Yvon Thébert met précisément en relief « l’empire informel » qui la précède et permet l’absorption politique. Aussi ne suffit-il sans doute pas de qualifier ce dernier de « marxiste » pour en définir la pensée ! Il se rattache bien davantage à un courant critique, qui s’appuie en partie sur les thèses de Gramsci concernant la notion d’hégémonie et se développe hors des cercles d’historiens à partir des années 1960. Dans ce mouvement, l’impérialisme économique est considéré comme ne formant qu’une facette du phénomène d’expansion, contrairement à la théorie léniniste « classique [22] ».

15 L’exigence de la revalorisation des Africains comme acteurs de l’histoire est dans la continuité logique de cette posture. Il ne s’agit pas seulement de dénoncer une vision essentialiste européenne, mais de rechercher les mécanismes véritables de l’expansion. La question de fond est alors de cerner l’autre, de le rendre de nouveau présent dans son contexte social. Comment décrire en effet un phénomène de domination sans définir exactement les termes de la relation ? Comment surtout ne pas rester prisonnier d’un discours qui reproduit, par les concepts qu’il actionne, une représentation ancienne et culturaliste ? Tout un pan du travail d’Yvon Thébert tourne autour de ce problème, qui le conduit inévitablement à débusquer la valeur idéologique des mots employés traditionnellement [23]. De la dénonciation, en 1978, de l’usage inconsidéré de termes tels que « Berbère », « indigène » ou « Africain », il passe en 1995 à la critique du discours sur les Germains en mettant à jour les enjeux politiques qui le produisent. On est loin de la simple « querelle de mots » nuancée par Marcel Benabou [24]. Il s’inscrit en réalité dans la continuité de la critique des représentations comme élément de légitimation du pouvoir colonial amorcée depuis le début des années 1960. À la suite de Frantz Fanon, Yvon Thébert dénonce les tendances essentialistes et la conception figée de la culture qui suppose une permanence africaine. Ce combat est alors nouveau. L’article sur la romanisation précède de peu la publication de l’ouvrage d’Edward Saïd sur l’orientalisme comme instrument d’assujettissement intellectuel [25]. L’absence de suite à l’article de Thébert, tout comme le silence de la recherche francophone dans le débat sur l’écriture d’une histoire de la colonisation, demanderaient à être expliqués. Il est tentant d’y voir la persistance d’une inégalité intériorisée, tant chez les anciens colonisateurs que chez les ex-colonisés, le signe finalement d’une « décolonisation » inachevée de la pensée historique.

16 En refusant de faire de la puissance impériale ou coloniale le seul agent de l’histoire, Yvon Thébert précédait pourtant de quelques années les revendications des Colonial, Post-Colonial et Subaltern Studies[26]. Il est symptomatique que les expressions employées se retrouvent telles quelles, bien des années plus tard, sous la plume d’historiens indiens à la pointe des revendications en faveur d’une histoire centrée avant tout sur la culture, qui entend redonner voix aux dominés [27]. L’entreprise d’Yvon Thébert ne peut-elle pas se comprendre aussi, d’une certaine façon, comme une tentative de « provincialisation » de Rome, par l’inversion du rapport du centre à la périphérie, à l’instar du projet de Chakrabarty en 1992 [28] ? L’analogie des termes cache cependant le reproche que les Subaltern Studies, ou du moins une partie de ses représentants, n’auraient pas manqué de lui adresser : en utilisant des concepts issus uniquement de la culture et de l’histoire occidentale, comme la lutte des classes, ne reste-t-il pas là encore prisonnier d’une vision unilatérale de l’histoire ? La discussion sur ce sujet est connue. À continuer ce jeu de déconstruction ne risque-t-on pas de se heurter de nouveau à une histoire par « essence » et de passer à côté de la spécificité de la colonisation dans les rapports internationaux [29] ? L’histoire « décolonisée » touche-t-elle ici un point limite ?

17 Ces questions, évoquées bien trop rapidement ici, mériteraient une réflexion plus ample. La démarche de Thébert me semble appeler, en attendant, quelques remarques sur les applications immédiates qu’elle pourrait trouver dans l’histoire coloniale. Elle montre que, au-delà de la réinsertion du colonisé comme acteur de l’histoire et de l’étude des formes sociales et culturelles dans la compréhension de la colonisation, celle-ci ne saurait être comprise uniquement comme un rapport duel opposant des colonisateurs-dominateurs à des colonisés-dominés. Le rapport de subordination politique et de violence institutionnalisée induit par la domination coloniale repose sur toute une gamme de hiérarchies intermédiaires qui touchent aussi bien les « indigènes » que les « métropolitains ». Cette nécessaire approche sociale de la colonisation pose cependant le problème de l’existence d’une autonomie de l’histoire de la colonisation en tant que champ constitué. De même que la pénétration romaine en l’Afrique ne peut être artificiellement séparée d’un processus d’expansion méditerranéen, l’étude de l’expansion impériale ou coloniale relève-t-elle, par essence, d’une logique différente de celle qui prévaut, dans l’analyse du « village des cannibales » par Alain Corbin, pour prendre un exemple dont le vocabulaire employé indique assez la convergence des représentations ? Le poids et les formes des luttes sociales dans les colonies sont-il substantiellement différents de ce qui se passe dans les métropoles ? Si les outils de l’historien ne diffèrent guère en apparence, l’impérialisme moderne, et plus encore la colonisation, se singularisent néanmoins par l’idéologie qui les sous-tend. L’histoire de la colonisation est celle d’une rupture ontologique : la différence majeure avec l’Antiquité repose sur l’introduction de la division raciste, de cette coupure culturaliste ou biologique insurmontable qui vient se surajouter aux autres inégalités, au point de devenir l’argument de référence de la pratique coloniale. Chercher, au-delà des facteurs purement techniques et économiques, la compréhension de ce phénomène, suppose de se confronter à l’explication du racisme contemporain et de sa très grande complexité. Inversement, aborder l’étude de cette différence proclamée, qu’elle repose sur une vision culturelle ou biologique, nécessite de considérer de front le substrat économique et social qui en est à la source, à l’instar de la démarche globalisante proposée par Yvon Thébert. De même, la période coloniale demande à être replacée dans une chronologie plus large, qui englobe la prise en compte des différentes sociétés en amont de la colonisation proprement dite. Le rapport inégalitaire introduit par la violence coloniale implique, pour être pleinement évalué, que l’on analyse les structures sur lesquelles il s’impose.

18 L’étude des marges sociales permettrait sans doute, entre autres, d’éviter le risque d’une lecture binaire. Certains travaux récents ont permis de se libérer des mythes unificateurs d’un colonat homogène pour repenser les catégories sociales, culturelles et ethniques dans la colonisation [30]. Ainsi les relations existant entre « colons » italiens et « indigènes » à Tripoli dans la première décennie de la colonisation ont-elle pu être marquées, dans certains cas, par un rapport de force économique en faveur d’une partie de la bourgeoisie locale et au détriment des plus faibles parmi les « petits blancs [31] ». L’exemple des Maltais de Tunisie avant l’instauration du protectorat montre par ailleurs que le rapport existant entre les différents groupes peut varier considérablement au fil du temps, et que l’intégration dans le nouvel ordre social colonial ne fait que coiffer un processus de différenciation antérieur, qui produit à son tour ses propres relégations, la femme étant rejetée au plus bas de l’échelle [32]. Pour être pleinement effective cependant, cette approche doit encore se dépouiller des réflexes et des enfermements nationaux : l’histoire de la colonisation ne saurait être découpée artificiellement plus longtemps entre deux histoires « nationales » aux frontières plus ou moins perméables. Parce qu’elles se trouvent à la périphérie de ces anciens blocs qui conditionnent encore la pensée historique, les marges permettent de repenser la nature des relations de dépendance et de domination au sein de la société coloniale prise dans sa globalité.

19 Par-delà ces aspects, c’est l’ensemble des relations et des structures définissant le phénomène colonial qui doit être repensé comme un tout [33]. Les habitudes nationales qui continuent à présenter la colonisation en deux espaces liés, mais distincts – et la repentance, à cet égard, en est un des avatars – semblent empêcher encore aujourd’hui de considérer les colonisés, mais aussi les migrants et les poor whites comme des acteurs de l’histoire. Les articles d’Yvon Thébert attendent toujours leurs réponses. L’histoire de la colonisation ne demande pas seulement à être décolonisée, elle demande encore à être acceptée dans sa totalité.

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  • Wolf P., « History and Imperialism ; A Century of Theory, from Marx to Postcolonialism », in American Historical Review, 102, 2, 1997, p. 388-420.

Notes

  • [*]
    François Dumasy est membre de l’École Française de Rome et doctorant en histoire contemporaine à l’université de Provence.
  • [1]
    La réflexion de Y. Thébert est formulée pour la première fois dans « Romanisation et déromanisation en Afrique : histoire décolonisée ou histoire inversée ? » (1978). Elle se poursuit cependant au fil des articles, ce qui fait que son combat pour une histoire africaine, même s’il est un des aspects les plus développés, n’est qu’une étape de la relecture de l’Empire romain. Y. Thébert ne se fait pas le chantre d’une africanité. Au contraire, il intègre l’Afrique dans un ensemble culturel et politique plus vaste. Voir sa contribution sur la « Nature des frontières de l’Empire romain : le cas germain » (1995), ainsi que son article de vulgarisation « Legioni e lotta di classe » (1990). Un bel exemple de renversement de perspective se trouve aussi, pour un tout autre sujet, dans « A propos du triomphe du christianisme » (1988).
  • [2]
    Pour une vision synthétique, cf. P.J. Cain et M. Harrison (2001). Nombre des considérations qui suivent sont issues de sa lecture.
  • [3]
    Y. Thébert (1978 : 64).
  • [4]
    Idem, 65.
  • [5]
    Y. Thébert (1995 : 221-222).
  • [6]
    L’impérialisme est compris ici comme le simple mouvement d’expansion de l’Empire romain. Il ne s’agit pas en effet pour nous de prendre position dans le débat sur l’existence ou non d’un impérialisme antique.
  • [7]
    Y. Thébert (1978 : 76).
  • [8]
    Idem, p. 69.
  • [9]
    Idem, p. 73.
  • [10]
    P. Veyne (1975 : 793-855). Le texte de P. Veyne est lui-même une prise de position qui, sans le nommer, répond aux travaux de Jérôme Carcopino.
  • [11]
    Y. Thébert (1995 : 221 ; 1978 : 74).
  • [12]
    Y. Thébert (1978 : 72-73).
  • [13]
    Y. Thébert (1978 : 79-80). Fondamentalement, l’Afrique restaît maîtresse de son histoire : ses luttes de classes internes sont bien plus explicatives que les pressions externes qui n’ont pu se répercuter sur son évolution que dans la mesure où elles étaient reprises, appuyées, infléchies.
  • [14]
    Y. Thébert (1995 : 222). « Ce phénomène culturel précède toujours les événements politiques. Bien plus, il contribue à les rendre possibles ».
  • [15]
    Y. Thébert (1995 : 232) : « Le lien qui unit les provinces au centre du pouvoir est tissé essentiellement par les premières ».
  • [16]
    S’il faut décoloniser l’histoire antique, l’histoire contemporaine a du aussi se « déromaniser » en faisant la critique des schémas historique issues des analogies supposées entre impérialismes romains et colonisation contemporaine, notamment de la part des historiens de l’antiquité et des archéologues. Cf. V. Bracco (1983) ; J. Chappelot et A. Schnapp dir. (1984) ; G. Gaucher et A. Schnapp dir. (1984) ; R. Visser (1992) ; P. Gathercole et D. Lowenthal éd. (1990) ; L. Meskell éd. (1998) ; S. Altekamp (2000) ; M. Munzi (2001).
  • [17]
    M. Ferro dir. (2003).
  • [18]
    M. Ferro fait cependant remarquer que l’arrivée d’une nouvelle génération d’historiens issus des pays anciennement colonisés contribue à élargir le regard. Il faut néanmoins regarder du côté de la sociologie pour chercher les analyses les plus poussées des conséquences de la colonisation dans le contexte le plus récent. Voir notamment, pour l’immigration, l’ouvrage d’A. Sayad (1999).
  • [19]
    J. Galtung (1971).
  • [20]
    J. Gallagher et R.E. Robinson (1954) ; ainsi que R.E. Robinson (1972).
  • [21]
    P. Leveau, (1978 : 89-91).
  • [22]
    Voir notamment D. Landes (1962).
  • [23]
    Cette préoccupation se retrouve dans son article « Réflexion sur l’utilisation du concept d’étranger : évolution et fonction de l’image du Barbare à Athènes à l’époque classique » (1980).
  • [24]
    M. Benabou (1978 : 83-88).
  • [25]
    E. Saïd (1980).
  • [26]
    Pour des réflexions croisées sur les Subaltern studies, voir M. Diouf (1999).
  • [27]
    Ainsi G. Prakash (1990), qui entend « décoloniser l’histoire » et lutter contre l’essentialisme.
  • [28]
    D. Chakrabarty (1992).
  • [29]
    Voir P. Chatterjee (1986) et G. Prakash, op. cit., ainsi que la réponse de R. O’Hanlon et D. Washbrook (1992). Voir aussi G.C. Spivak (1988). Récemment, P. Wolf a proposé un retour au structuralisme d’Althusser et l’utilisation de la notion de « formation sociale » comme points de départ d’une (encore) nouvelle histoire de l’impérialisme : P. Wolf (1997).
  • [30]
    Voir E. Savarèse (2002) et A. Stoler, (1989).
  • [31]
    Ici encore, le vocabulaire habituel peine à rendre compte des rapports sociaux et culturels. Que signifient en effet des termes aussi généraux que « colons » ou, ailleurs, de « pieds-noirs » ? L’italien n’offre même aucun mot pour désigner les Européens des colonies. Voir N. Labanca (2001).
  • [32]
    J. Clancy-Smith (2002).
  • [33]
    Voir I. Merle et E. Sibeud (2003) ainsi que D. Rivet (1995).

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