Notes
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[*]
Meriem Sebaï est ATER au Collège de France et doctorante en histoire romaine à l’université Paris I.
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[1]
Y. Thébert (1978 : 64-82).
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[2]
On remarque une absence très nette de cet article dans la littérature scientifique. Seulement cinq publications le citent clairement : D. J. Mattingly (1978) ; E. Smadja (1981) ; R. Sheldon (1982) ; M. Bénabou (1986), D. J. Mattingly (1996) ; une sixième le paraphrase sans une allusion au débat : C. Gebbia (1989).
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[3]
L’article d’Y. Thébert est le premier volet d’une tribune consacrée à la romanisation et animée par deux autres voix, celle de M. Bénabou (1978 : 83-88) ; et celle de P. Leveau (1978 : 89-92).
-
[4]
Si l’historiographie contemporaine n’omet jamais l’ouvrage de M. Bénabou, l’article d’Y. Thébert est systématiquement écarté des grands manuels ou des ouvrages de référence sur la romanisation de l’Afrique ; pire, il arrive qu’il soit cité de façon fautive comme dans D. Whittaker (1995 : 19-32).
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[5]
Sans parler du thème de la résistance qui est l’objet de cette étude, je pense bien sûr à toute la littérature scientifique qui prit comme sujet d’étude l’acculturation et ses modalités, voir infra notes 64 et 66-67 ainsi que notes 68 et 70.
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[6]
M. Bénabou (1976 : 18).
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[7]
M. Bénabou (1976 : 18) ; vision dominante chez A. Laroui (1970 : 36).
-
[8]
Cette partie est toutefois vigoureusement contestée dès la parution de son ouvrage par le compte rendu de C. R. Whittaker (1978 : 190-192) ; de nos jours la recherche est beaucoup plus nuancée en ce qui concerne la vision d’une armée romaine en lutte contre des tribus africaines installées sur les marges de l’Empire ou dans les zones montagneuses. Les travaux de P. Trousset (2002), à cet égard, démontrent que le limes, espace lié à la résistance militaire des Africains pour M. Bénabou, n’est pas cette frontière rigide composée de postes frontières défensifs que l’on restitue depuis les débuts du colonialisme français au Maghreb, mais plutôt un système de routes canalisant et régulant de façon souple les flux nomades.
-
[9]
Outre le débat des Annales dont il est question ici on se reportera aux études suivantes : E. Fentress (1982 : 107-113) ; D. Whittaker (1978 : 190-92), ces deux derniers auteurs contrecarrent la thèse de M. Bénabou en arguant que ce qu’il appelle résistance culturelle n’est qu’une variation de ce qu’eux-mêmes appellent romanisation et que, eu égard au contexte politique et idéologique dans lequel il publie son ouvrage, le thème de la résistance est un anachronisme ; c’est également l’avis de R. Sheldon (1982 : 103-107).
-
[10]
J. Déjeux (1982 : 67-162) ; (1983 : 1-42) ; D.J. Mattingly (1996 : 45-69) ; d’ailleurs, M. Bénabou (1976 : 17) a bien à l’esprit ce contexte politique qu’il nomme pudiquement « l’esprit du temps ».
-
[11]
On en veut pour preuve le nombre non négligeable de thèses et d’articles consacrés aux divinités du panthéon romain d’Afrique dont les conclusions reprennent, en dépit des documents, la thèse des résistances et présentent « les deux aspects » des figures divines d’Afrique romaine : un aspect typiquement romain et visible, un aspect africain, sous jacent et symbolisant la lutte spirituelle des africains contre Rome, voir A. Beschaouch (1973 : 103-05) ; P. Corbier (1974 : 95-104) ; M. Khanoussi (1977) ; S. Ben Baaziz (1986) ; A. Boussada (1989) ; N. Benseddik (1995).
-
[12]
Le projet de M. Bénabou, appréhender l’histoire de l’Afrique à travers le prisme africain, rejoint les travaux de N. Wachtel (1971), pour la culture péruvienne, à la différence que cet historien avait en sa possession de nombreuses sources indigènes apportant des informations précieuses sur la sphère indigène avant et après la conquête.
-
[13]
H. Moniot (1974 : 106-123).
-
[14]
D. J. Mattingly (1996 : 58-60) ; cet article est une mise au point historiographique de la vision de l’impérialisme romain à travers l’évolution des attitudes de la recherche moderne en Occident et au Maghreb. L’ouvrage de M. Bénabou est bien sûr cité et analysé comme illustration de « l’attitude post-coloniale » de certains chercheurs ; il apparaît, sans surprise, comme le défenseur ou le représentant de la thèse de la résistance africaine. Je voudrais, cependant, noter que ce rôle endossé courageusement par M. Bénabou ne l’a pas mis à l’abri de ce que l’on pourrait prendre pour de l’humour mal placé, mais qui en définitive semble tout simplement être une erreur : D. J. Mattingly, citant M. Bénabou, écrit en toutes lettres (ce qu’il ne fait pour aucun autre auteur) « Mohammed Bénabou » (p. 58) ; erreur incompréhensible mais également, lapsus qui en dit long sur l’association intime qui est faite entre Marcel Bénabou et l’Afrique dans l’esprit des chercheurs européens.
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[15]
N. Wachtel (1971 : 22-24).
-
[16]
Fers de lance de la recherche occidentale d’époque coloniale, les thèmes corollaires de la survivance et de la permanence des cultures libyques et puniques en pleine époque romaine sont développés et ressassés à partir de critères issus de l’image que l’on se faisait de l’indigène africain, calquée sur celle de l’indigène moderne. À titre d’exemple, lorsque l’un des critères suivants était présent dans les documents religieux les savants concluaient à la présence d’un dieu ou d’un culte indigène : si le nom ou l’épiclèse de la divinité semblait étranger à Rome, si l’onomastique des dédicants présentaient des caractéristiques pérégrines et enfin si le plan de l’édifice cultuel ne correspondait pas aux critères normatifs romains alors tel ou tel culte ou divinité était classé dans l’univers indigène.
-
[17]
J. Toutain (1917) ; S. Gsell (1916 : t. 4) ; A. Merlin (1908) ; G.-C. Picard (1954).
-
[18]
G.-C. Picard (1990 : 12) ; cet auteur, qui se situe clairement dans la lignée de l’historiographie traditionnelle, se range à l’avis d’E. Fentress et de C.R. Whittacker et écrit : « Il [M. Bénabou] appelle résistances à la romanité ce que nous considérons plutôt comme les modalités de la romanité ».
-
[19]
M. Bénabou (1976 : 262). Le vrai problème de cette définition est que nous ne connaissons pas mieux qu’en 1976 les structures de « la religion africaine ». Que signifie « africaine » dans ce contexte, ce concept englobe-t-il les cultes libyques, ou puniques ? À la lecture de son chapitre sur la résistance religieuse on enregistre d’emblée un amalgame entre ces deux structures pré-romaines, il est vrai mal connues, mais surtout jugées « primitives » et dénuées « d’organisation rationnelle et cohérente » (p. 263) ; il y a là le double danger d’étudier les religions de l’Afrique romaine sous le seul angle culturaliste et de détacher de leur contexte historique romain ce que l’on prend pour des permanences ou des résistances, alors que ce ne sont que des pratiques, certes répétitives, mais dont on a pas établi avec certitude la parenté libyque ou punique.
-
[20]
C’est le titre du débat entre Y. Thébert, M. Bénabou et P. Leveau (1978 : 64).
-
[21]
M. Bénabou (1978 : 263).
-
[22]
M. Bénabou (1978 : 19).
-
[23]
Y. Thébert (1978 : 72).
-
[24]
Ce terme même, très présent dans tous les chapitres de sa thèse, n’est pas innocent ; il véhicule l’arrière-plan idéologique colonial en insinuant que face à Rome se trouve une population unie culturellement ; il introduit aussi l’idée d’une continuité culturelle entre les populations africaines de l’Antiquité et celles peuplant le Maghreb contemporain, voir J. Carcopino (1939 : 622).
-
[25]
Y. Thébert (1978 : 65).
-
[26]
M. Bénabou (1976 : 332-333).
-
[27]
M. Bénabou (1976 : 333, note 5).
-
[28]
J. Toutain (1905).
-
[29]
M. Bénabou (1976 : 338).
-
[30]
M. Bénabou (1976 : 335).
-
[31]
M. Bénabou (1976 : 341).
-
[32]
M. Bénabou (1976 : 347).
-
[33]
M. Bénabou (1976 : 351).
-
[34]
M. Bénabou (1976 : 356).
-
[35]
M. Bénabou (1976 : 359).
-
[36]
M. Bénabou (1976 : 362).
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[37]
M. Bénabou (1978 : 369) ; l’auteur postule, à la suite de G.-Ch. Picard et M. Le Glay que Caelestis, Nutrix et Ops sont associées, les secondes étant des équivalences de la première. C’est une affirmation péremptoire qui ne repose sur aucune preuve tangible. Les déesses sont tour à tour honorées en même temps que Saturne et à ce titre il serait plus intéressant de les étudier dans leur rapport avec ce dieu, en évitant d’avoir à l’esprit le présupposé que toute divinité féminine figurant auprès de Saturne n’est qu’un avatar de Caelestis et par extension de la Tanit punique symbolisant les principes de fécondité, fertilité et maternité.
-
[38]
C’est une idée développée par M. Le Glay (1966 : 222) : « […] romanisation et sémitisation de l’Afrique sévérienne marchent décidément de pair » ; idée déjà présente chez G.-Ch. Picard (1954 : 110), impossible à étayer, qui plus est.
-
[39]
M. Bénabou (1978 : 353). Cette terminologie est adoptée sans exception par les deux historiographies, colonialiste et nationaliste. À la mode au xixe siècle lorsque l’on commence à découvrir les cultures indigènes qui sont passées sous le contrôle des grandes puissances européennes, la notion d’âme religieuse africaine dans notre domaine a servi à donner un cadre, une cohérence à ce qui paraît a priori incohérent et détaché du contexte romain. Assez floue et commode pour y classer toutes les survivances, persistances, résistances et autres anomalies qui semblent s’écarter du modèle romain, cette notion dépend des larges lacunes documentaires ; elle dépend aussi du contexte idéologique et des enjeux politiques et culturels dans lequel elle a vu le jour et s’est développée jusqu’à aujourd’hui. Voir, infra note 51.
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[40]
M. Bénabou, (1976 : 377, note 1) évoque néanmoins deux divinités dont il ne fait pas état en la figure d’Hercule et Pluton, citant à cet effet P. Corbier (1974 : 95-104) et A. Beschaouch (1973) ; voir aussi, M. Clavel-Lévêque, (1974 : 105-107). Il y a également le culte d’une divinité propre à l’Afrique, Frugifer, dont il n’est fait aucune mention ; et puis bien sûr Vénus, Minerve, Cérès, Diane, sont citées çà et là mais sont rangées a priori dans la catégorie des divinités dont la part africaine reste obscure, sinon inexistante d’après lui.
-
[41]
La notion d’« indigène » comme celle de « berbère » donne des Africains l’image d’une population unifiée, ce qu’elle n’est absolument pas. Elle efface les multiples différences internes qui caractérisent les populations africaines. Toutefois, probablement plus pratique que « africain », « natif » ou « local », elle est utilisée depuis J. Toutain, 1917, jusqu’à N. Kallala (1990 : 193-200) et semble satisfaire les chercheurs des deux rives de la Méditerranée.
-
[42]
J. Toutain (1896 : 217-219).
-
[43]
M. Bénabou, (1976 : 379).
-
[44]
Dans certain cas, très rares, on peut réellement parler d’interpretatio africana opérée dans certaines cités par le pouvoir local et non pas « spontanément et anarchiquement par les fidèles » ; M. Bénabou, (1976 : 379).
-
[45]
Jupiter, Mercure, Silvain, Mars, Bacchus, Neptune, Esculape, Junon-Caelestis, seraient respectivement : protecteur de la fertilité des terres, (p. 338) ; protecteur de la fécondité, (p. 342) ; protecteur de la végétation, (p. 343) et de l’agriculture, (p. 347) ; endosserait un rôle agraire, (p. 350) ; divinité de la fécondité, (p. 353) ; divinité des sources, (p. 357) ; génie des eaux salutifères, (p. 361) ; déesse de la fécondité, de la fertilité (p. 364).
-
[46]
C’est la méthode que je propose dans une étude plus large sur la vie religieuse des cités d’Afrique proconsulaire et que j’ai précisé dans M. Sebaï (1999 : 81-94).
-
[47]
P. Balta (1990).
-
[48]
P. Bertholon (1909) ; R. Basset (1910) ; J. Carcopino (1938) ; G. Camps, (1961).
-
[49]
Procope, La guerre contre les Vandales, I, 10, 5 ; Ibn Khaldoun, Histoire des Berbères, (éd. de Slane, I, p. 193). Voir à ce propos les précisions apportées par M. Benabbès, (2004 : 9-12)
-
[50]
Que l’on désigne encore aujourd’hui par le terme arabe El-Maghrib.
-
[51]
P. Veyne (1979 : 27) : « Une société devient sans cesse différente d’elle-même et ses transformations sont des drames qu’elle a avec elle-même, quand bien même le modèle d’origine d’un de ces ébranlements serait chez un peuple étranger ; elle ne peut pas perdre son âme, puisqu’elle n’en a pas ». On voit souvent, surtout depuis les mouvements d’indépendance et l’affirmation des nationalismes dans les anciennes colonies européennes, une revendication identitaire très forte, mêlée d’attachement à des valeurs traditionnelles. Le développement du thème d’une « âme » africaine voit le jour dans ce contexte de colonisation et de décolonisation.
-
[52]
M. Le Glay (1966).
-
[53]
Ibid, p. 447, évoquant à propos de Saturne une phrase de Tertullien, Apologétique, IX, 3 : non soli vos contemnunt Christiani, nec ullum facinus in perpetuum eradicatur, aut mores suos aliquis deus mutat. M. Bénabou (1976 : 373), sans récuser totalement la contribution de Saturne à « une impossible romanisation des âmes », en adoucit la portée, en retournant de manière rhétorique l’argument de M. Le Glay : si Saturne reste un dieu punico-berbère c’est parce que ses fidèles sont des punico-berbères ; dans une Afrique romanisée il jouait donc le rôle de valeur-refuge.
-
[54]
Muhammad al-Hasanî al-Zubaydî, Tâdj al-cArûs min djawâhir al-kunûz, (éd. I. al-Tarzî, p. 159). Je remercie M. Benabbès d’avoir attiré mon attention sur cette étymologie non référencée dans la littérature scientifique occidentale.
-
[55]
Muhammad ben Hishâm al-Kalabî (mort vers 204-206 heures/819-821 de notre ère) a recueilli et répandu ce mythe étiologique qui fut par la suite soumis à quelques variantes.
-
[56]
Strabon, XIV, 2, 28.
-
[57]
Hérodote, II, llvii, rapporte que les Égyptiens appellent Barbar tous ceux qui parlent une autre langue que l’égyptien, tandis que le Périple de la mer d’Érythrée, donne le nom de Barbaria au littoral africain de la mer Rouge et du golfe d’Aden. Enfin, Ptolémée, IV, 7, 1, p. 755, rapporte la même information en l’étendant à l’équateur. Il semble que les mentions dans les sources grecques faites à propos de populations appelées Barbar ne concernent pas les populations nord-africaines, ni l’Afrique du Nord ; en revanche, lorsque Augustin, Lettres, 17, 2, évoque « l’Afrique Barbare », il fait probablement allusion aux zones situées nettement au sud du Limes, dans le Sahara, appelée de nos jours Touat ou sous une autre forme Iberaber.
-
[58]
J. Desanges (1962).
-
[59]
Procope, De Aedificiis, VI, 1, 11, précise que le toponyme Libuh désigne une partie restreinte située à l’est de l’Africa traditionnelle, se limitant selon cette acception au territoire qui s’étend d’Alexandrie à Cyrène. Chez El-Bakri (1965 : 654), toujours limitée à l’est par rapport à l’Africa, le terme englobe également la Tripolitaine.
-
[60]
A. Siraj (1995 : 212-213). Il est probable, en effet, que ce terme ne soit pas une invention arabe, mais que leur étant devenu familier après leur passage par l’Égypte, il ait été adopté peu après le massacre de ‘Ukba par Kusayla à Tahuda en 682, pour devenir l’appellation générique des Nord-Africains pour les Arabes.
-
[61]
C’est la thèse que défend Y. Thébert ; il n’est, toutefois, ni le seul ni le premier à la formuler : P.A. Février (1973 : 152-169) montre que l’iconographie des stèles de grande Kabylie utilise en l’adaptant à ses propres schémas artistiques une manière de représenter les cavaliers selon les codes hellénistiques.
-
[62]
Y. Thébert, (1978 : 74).
-
[63]
F. Coarelli et Y. Thébert, (1988 : 761-818) ; voir également Y. Thébert (1995 : 192-199).
-
[64]
M. Fortes (1936 : 24-55) ; F. M. Keesing (1952) ; R. Bastide (1948) ; (1960) ; (1963) ; (1971) ; R. Linton, R. Redfield & M. J. Herskovits (1936 : 149-152) ; M. J. Herskovits (1948) ; The Social Science Research Council Summer Seminar on Acculturation (1954 : 973-1 002).
-
[65]
G. Boissière (1901 : 359), dans sa conclusion sur la conquête des indigènes, exprimait son avis sur la question : « Je ne sais si l’anthropologie, en étudiant la couleur de leur peau ou la conformation de leur corps, distinguera jamais chez eux les descendants de ces divers peuples disparus ; mais dans leurs idées, leurs habitudes, leurs croyances, leur façon de penser, de vivre, il n’y a plus rien du Punique, rien du Romain, rien du Vandale : c’est le Berbère qui a surnagé. […] En un mot (cette race) est peu résistante et très persistante » ; voir aussi J. Marquardt (1892 : 464), qui évoque la civilisation africano-romaine ; G. Ch.-Picard (1959 : 24) écrit : « Bornons-nous à constater l’inexistence d’une résistance des indigènes » ; il est contredit par L. Harmand (1960 : 471), qui constate « l’inachèvement » de l’Empire romain en Afrique.
-
[66]
R. Linton & R. Redfield, M. J. Herskovits (1936 : 149-152) ; M. J. Herskovits (1948).
-
[67]
J. F. Barré (1991 : 1-3).
-
[68]
Beaucoup d’études sont consacrées au continent américain : R. Redfield (1953) ; A. Mc Nickle (1958) ; R. Linton (1940) ; pour une bibliographie exhaustive des études sur les processus d’acculturation sur le continent américain ainsi que sur les continents africains, asiatique et australien il faut consulter l’article fondamental du groupe de recherche nord-américain : The Social Science Research Council Summer Seminar on Acculturation (1954 : 973-1 002).
-
[69]
A. Dupront (1965, I : 7-36). Rapports, I ; H. Van Effenterre (1965 : 37-44) ; puis trois volumes de congrès, publiés chaque décennie depuis 1965, sont consacrés aux problèmes du contact dans l’Antiquité : Le rayonnement des civilisations grecque et romaine sur les cultures périphériques, VIIIe congrès international d’archéologie classique, Paris, 1965 ; Assimilation et résistance à la culture gréco-romaine dans le monde ancien, VIe congrès international d’études classiques, Madrid, 1974, Paris, 1976 ; Modes de contacts et processus de transformation dans les sociétés anciennes, Cortone, 1981. Cependant, ces moments historiographiques sont profondément différents dans leur démarche méthodologique : le premier s’insère dans un cadre de recherche encore largement dominé par l’étude des traits culturels transmis par Rome ou Athènes aux « cultures périphériques », le second s’insère plus directement dans le cadre des modèles théoriques nés de la décolonisation, enfin le dernier suivant le rythme de la recherche fait le lien avec les travaux ethno-anthropologiques et l’étude des interactions du contact. Signalons encore l’article de S. Gruzinski et A. Rouveret (1976 : 159-219), qui synthétise tout ce que les concepts de romanisation et d’acculturation peuvent apporter à la recherche sur les mondes indigènes.
-
[70]
R. Beals (1953 : 375-395) évoque, p. 391, le peu de progrès parcouru depuis 1930 dans l’approche des différents concepts qui donnent corps à la théorie de l’acculturation et sa portée théorique insuffisante : « Beyond very broad concepts, then, little progress has been made in accurate conceptualization of processes or their empirical identification, particularly in broad theoritical context ».
-
[71]
Y. Thébert, (1978 : 1980).
-
[72]
On en veut pour preuve l’immense majorité des petites ciuitates de l’arrière-pays de Carthage comme Néféris, Sutunurca, Suo, ou Biracsaccar. D’autres accèdent très tardivement au statut municipal, c’est le cas de Giufi, Thugga, Hr Bou Cha ; voir H.-G. Pflaum (1970 : 75-117) ; J. Gascou (1972) ; Cl. Lepelley (1979) ; (1981).
-
[73]
Suivant en cela C. Nicolet (1984 : 7-21).
-
[74]
Voir à cet égard les réticences de M. Bénabou et P. Leveau, dans le même débat, qu’ils réduisent à « une querelle de mots » p. 84-85 et p. 89.
-
[75]
Voir en dernière analyse : S. Keay, N. Terrenato (éd.) (2001).
1 Le débat inauguré par Yvon Thébert dans son article des Annales, sous le titre : « Romanisation et déromanisation en Afrique : histoire décolonisée ou histoire inversée [1] ? », est toujours d’actualité. Il n’a, pourtant pas reçu l’écho ni l’attention qu’il méritait [2]. Pourquoi ce silence, autour d’un article qui rend compte des difficultés d’appréhension d’une histoire de l’Afrique antique, champ clos où s’opposent depuis le xixe siècle les idéologies de tous horizons. Les thèmes défendus dans ces quelques pages nous convient, pourtant, à une réflexion sur nos propres conditionnements intellectuels et culturels ainsi que sur la manière dont on construit l’histoire des sociétés antiques. L’article d’Yvon Thébert se présente comme un point de vue sur l’ouvrage de M. Bénabou, La résistance africaine à la romanisation (Paris, 1976) ; et à ce titre Yvon Thébert choisit de ne discuter et de ne traiter que certains aspects ou concepts qui lui semblent susciter quelques difficultés de méthode. Mon propos n’est pas de « donner raison ou tort » à l’un ou l’autre de ces auteurs ni d’ajouter une nouvelle voix, tardive, au débat qui agita le numéro 33 des Annales [3] ; il s’agit simplement de poser une double question : les concepts maniés par Marcel Bénabou et Yvon Thébert sont-ils encore opérationnels aujourd’hui ? Et, si oui, pourquoi l’historiographie contemporaine a-t-elle oublié de prendre en compte les mises en garde de méthode réclamées par Yvon Thébert ? Pour entrevoir certains éléments de réponse, il est nécessaire de reprendre le dossier sous l’angle de la problématique de l’histoire des religions de l’Afrique antique, thème central de l’ouvrage de Marcel Bénabou, et pour lequel Yvon Thébert jeta des pistes de réflexions originales qui n’ont jusque là jamais été explorées.
2 Avant de reprendre les termes du débat, il n’est pas inutile d’évoquer en quelques mots le contexte historique dans lequel est né La résistance africaine à la romanisation et la querelle qui opposa en 1978 son auteur et Yvon Thébert, suscitant un article et une polémique de fond peu prise en compte de nos jours [4].
3 L’éventail historiographique lié à l’histoire religieuse de l’Afrique romaine s’est enrichi au cours de la période post-coloniale de nouveaux thèmes et concepts largement dominés par le contexte politique et idéologique de l’époque [5]. Une thèse se distingue néanmoins de la production historiographique par son originalité, sa vision novatrice et surtout par l’écho qu’elle rencontre au sein du milieu fraîchement renouvelé des archéologues maghrébins. Il s’agit, bien entendu, de l’ouvrage de Marcel Bénabou publié en 1976. Cet ouvrage marqua les esprits et continue encore aujourd’hui de rallier ou de déranger beaucoup d’africanistes. Bénabou tenta de constituer un nouvel objet de recherche qui permettait d’appréhender non plus la vision univoque de la romanisation mais la vision ambiguë des deux éléments culturels en présence [6]. Il explique en effet, dans son introduction, son souci d’éviter les simplifications excessives qui présenteraient les rapports entre Rome et l’Afrique comme un duel sans merci [7]. Si, dans la première partie, dédiée à la résistance militaire, M. Bénabou réussit à nous délivrer d’une image manichéenne en nous donnant à voir les différentes gammes de résistances (ou, inversement, d’acceptation), de la hiérarchie complexe des institutions mises en places et mal acceptées des Africains, dévoilant ainsi l’imbrication intime des effets de la résistance et de la romanisation [8], sa tâche se révèle beaucoup plus ardue dans la seconde partie, qu’il consacre à la résistance religieuse. M. Bénabou part du constat que le terme de « résistance », utilisé parfois au détour d’une phrase, ne fait jamais office de concept explicatif global pour l’Afrique romaine. En réalité, l’auteur faisant sienne la notion de résistance, adopte par la même occasion le point de vue des Africains et se fait en quelque sorte le défenseur de la culture africaine, si longtemps dominée et opprimée par de nombreux envahisseurs. Il faut dire tout d’abord que cet ouvrage, comme les discussions passionnées qui suivirent sa publication [9], représentent un événement historiographique sans précédent et par voie de conséquence, positif et nécessaire dans un contexte politique et idéologique dans lequel prévalaient les thèmes nationalistes de la reconstruction, de la ré-élaboration identitaire, et de la souveraineté [10]. Bien que son projet de départ et sa méthode pluridisciplinaire aient abouti à une vision très originale de l’histoire africaine, la lecture de son ouvrage et l’adhésion unanime du milieu scientifique maghrébin entraîna, dans les décennies suivantes, une utilisation abusive du concept et l’insidieuse vision d’une Africa romana habitée de forces manichéennes : un empire dominateur infligeant son système à un peuple vaincu qui n’accepte que superficiellement l’ordre qui lui est imposé, résistant par les armes ou par l’esprit [11]. À l’inverse, en Europe, si La résistance africaine à la romanisation connut un tel retentissement lors de sa parution, c’est qu’il s’inscrivait dans un contexte intellectuel européen très marqué par les mouvements de décolonisation et les jeunes indépendances des pays « sous-développés [12] ». Les études centrées sur le continent africain, entré dans le champ des historiens depuis une quinzaine d’années au moment de la parution de cette thèse, plante le décor de la réflexion [13]. Ainsi, le titre lui-même, provocateur, et son propos participent d’une prise de conscience collective, celle d’une historiographie occidentale exclusivement tournée vers elle-même, dédaigneuse de ces sociétés antiques apparemment différentes de Rome. Il fallut donc attendre cette nouvelle tendance et cet immense effort de synthèse pour qu’enfin sortent de l’ombre les acteurs africains trop longtemps négligés [14].
4
Toutefois, à la lecture de la thèse de Marcel Bénabou, il
apparaît que ce nouveau type d’approche reste dans une certaine mesure
tributaire, voire prisonnière des problématiques traditionnelles [15]. Le choix du concept
central, utilisé comme principe explicatif de l’histoire africaine, devient, au
cours des pages consacrées à la résistance culturelle, un prétexte idéologique
au même titre que les thèmes de la permanence ou des persistances l’étaient
pendant la période coloniale [16]. Ainsi, malgré les nuances importantes introduites
par Marcel Bénabou, on voit se perpétuer sans rupture un problème réel
d’interprétation des documents à la disposition du monde scientifique. En
effet, les mêmes données étudiées par des chercheurs d’époques différentes
nourrissent des thèses opposées. Ainsi, pour notre propos, les documents qui
étaient présentés par l’historiographie colonialiste [17] comme témoignage des
survivances illustrent pour Marcel Bénabou des formes de résistances [18]. Mais voyons maintenant
quelle définition l’auteur donne de ce concept dans le domaine qui nous
intéresse :
Volontairement ouverte, cette définition permet à M. Bénabou d’introduire dans son analyse les champs d’étude chers à l’historiographie traditionnelle – permanence berbère – tout en y intégrant sa propre vision – osmose culturelle introduisant une forme complexe de résistance.« Nous considérons comme relevant d’une forme de résistance à la romanisation tout ce qui, dans la ou les religions effectivement pratiquées sur l’ensemble du territoire des provinces de l’Afrique romaine, s’écarte par quelque trait de la religion romaine officielle, et se rattache, d’une façon directe ou indirecte, à des traits connus de la religion africaine traditionnelle [19] ».
« Débats et combats [20] »
5
Parler de résistance évoque d’abord un antagonisme fort entre
deux cultures, deux populations différentes, bien délimitées, distinctes,
s’affrontant : l’une dans une situation d’agressivité, l’autre dans une
situation de riposte collective sur tous les terrains. Les degrés subtils
employés par M. Bénabou ne permettent d’effectuer qu’une lecture partielle de
l’histoire religieuse de l’Afrique ; d’autre part, on remarque aisément qu’à
bien des égards le fond culturel africain est montré comme confiné dans une
sorte de déterminisme primitiviste qui ne prend un aspect évolué qu’au contact
d’une population bénéficiant d’une organisation rationnelle et cohérente de la
vie religieuse [21].
Paradoxalement, même si cet auteur cherche à soulager Rome de son rôle d’agent
unique porteur de civilisation, il cantonne les Africains dans une situation de
« société dominée et pénétrée, n’existant qu’à l’état fragmentaire [22] », les privant du rôle
d’agent de leur propre évolution. Les remarques faites par Yvon Thébert dans
son compte rendu musclé à propos de la thèse qui nous intéresse ici, sont, à
cet égard, très intéressantes : elles montrent bien à quel point cette thèse
est un moment important dans le débat sur la romanisation de l’Afrique et
surtout qu’il est un jalon sur la route historiographique tracée depuis la
colonisation française. Mais Thébert met l’accent, dès le titre de son article,
sur les dangers d’utiliser la résistance comme un concept unificateur donnant
lieu à une vision globale des contacts entre Rome et l’Afrique ; cette vision,
dit-il, « (…) même nuancée, reste profondément dualiste (…) [23] ». La volonté de Marcel
Bénabou de redonner aux « Berbères [24] » leur place d’acteurs dans la construction de leur
histoire entraîne un danger plus grave encore, celui d’une « vision inversée »
des concepts jadis employés par l’historiographie traditionnelle [25]. Rattacher le processus
de romanisation en Afrique à des phénomènes de résistance, c’est finalement
entretenir cette image duelle de l’Afrique inaugurée par la recherche d’époque
coloniale, et prolongeant une vision ethnique de l’histoire. Le meilleur
exemple de cette inversion des schémas traditionnels se trouve dans le chapitre
consacré à la résistance religieuse. Dans une partie intitulée «
L’africanisation des divinités romaines », Bénabou veut montrer la richesse, la
complexité et l’originalité des dieux africains de l’époque romaine :
Sur cette base, Marcel Bénabou propose d’examiner le destin de certaines divinités qui ont été d’après lui très profondément modifiées ; cela signifie, comme il s’en explique dans une note [27], qu’il ne tient pas compte de l’ensemble des divinités attestées en Afrique mais uniquement de celles qui lui semblent présenter des traits ou des caractéristiques africaines. Cette façon d’aborder le panthéon religieux de l’Afrique romaine ne se distingue pas de la recherche africaniste des premiers temps, encore que Jules Toutain ou Stéphane Gsell avaient le souci wissovien d’étudier tous les dieux du panthéon. Il semble donc important de revenir sur plusieurs problèmes de méthode sans cesse repris dans les études contemporaines sur les divinités de l’Afrique romaine.« L’ensemble des dieux d’Afrique qui semblent à première vue appartenir au panthéon traditionnel de la Rome impériale, représentent en fait l’aboutissement d’un long processus d’influences diverses, qui ont concouru à l’élaboration des cultes africains. […] L’examen des cultes romains en Afrique montre que, dans le plus grand nombre de cas, on a affaire à des cultes africains plus ou moins profondément imprégnés de romanité [26] ».
L’africanisation des divinités romaines
6 Le recours systématique aux listes de divinités est un fait frappant qui rappelle fortement le classement raisonné de divinités mis au point par J. Toutain au début du siècle dernier [28]. Les divinités sont présentées séparément – Jupiter, Mercure, Mars, Bacchus, Neptune, Esculape, Junon-Caelestis – ou en association. En effet, dans la mesure où il tente d’étudier ce qu’il y a de plus africain dans la divinité, Bénabou regroupe arbitrairement certaines divinités qui lui apparaissent liées sur les documents iconographiques ou épigraphiques. Saturne, par exemple, est associé à Jupiter [29] en même temps qu’à Jupiter Hammon [30] ; Silvain est associé à Mercure [31] ; une place est faite aussi aux côtés de Mars à Hadad [32], aux côtés de Bacchus à Shadrapha [33] ; Neptune est associé à Yam ou El [34], divinités sémitiques très improbablement attestées en Afrique ; Esculape est non seulement assimilé à Eschmoun mais aussi aux génies libyques de la santé [35]. Enfin, Junon-Caelestis [36], divinité associative par excellence, représente la divinité féminine nourricière méditerranéenne dans laquelle se fondent Tanit, Ops, Nutrix [37], dans un mouvement de tentative de retour aux sources romaines et phéniciennes à l’intérieur d’un contexte de renouvellement théologique propre à l’époque sévérienne [38].
7 En réalité, l’entreprise de Marcel Bénabou de dévoiler les manifestations de résistance religieuse africaine à la romanisation apparaît aujourd’hui, avec le recul, et à la lumière des objections d’Yvon Thébert, de pure forme. Il se contente de donner un aperçu de tous les thèmes prônés depuis le début du siècle dernier en leur donnant le cadre conceptuel de la résistance, ayant pour trait commun un esprit religieux indigène ou une « âme africaine [39] » qui se manifesterait à travers les assimilations aux divinités puniques imposées par J. Toutain en 1907 mais dans la plupart des cas non attestées durant la période pré-romaine.
8 Le second point concerne le choix, à bien des égards arbitraire, des divinités. Réunissant, en quelques pages, l’ensemble du panthéon africanisé de l’Afrique romaine, sept divinités seulement correspondraient à une divinité punique et parfois libyque. Les autres divinités attestées en Afrique ont paru moins ouvertement africaines ou africanisées à l’auteur [40]. Pourtant, si l’on veut faire de l’histoire globale à l’aide d’un concept opératoire, n’est-il pas indispensable de rassembler toute la documentation publiée ? Ce choix de divinités montre que Marcel Bénabou est parti d’un présupposé idéologique que motivait la nécessité de faire valoir une culture indigène antique pour rendre sa dignité à une « culture indigène [41] moderne » à la recherche de ses racines.
9 L’idée d’une africanisation des dieux romains telle que la proposait Bénabou n’était pas si nouvelle ni révolutionnaire, car elle apparaissait déjà dans les ouvrages de Jules Toutain, qui avait tenté de donner un tableau des limites, des carences de la romanisation en Afrique [42]. L’ambition du projet « résistance » trouve à son tour ses limites, inhérentes au sujet lui-même, sous la plume de Bénabou : « À travers ces transformations (africanisation), c’est finalement le rôle des “survivances” qui est le problème central [43] ». Revenir en définitive sur cette vieille terminologie, c’est dans un sens reconnaître les limites du concept central de cette thèse. L’inversion opérée par l’interpretatio africana, même si on peut y adhérer – cette idée n’est pas choquante en soi [44] –, ne peut constituer une valeur explicative de l’histoire de la religion romaine en Afrique ; elle implique, en effet, une sorte de refus spirituel conscient correspondant à des besoins africains. De quels besoins africains s’agit-il ? Ces besoins semblent se concentrer en une sorte de dyade sacrée proprement africaine : fécondité de la terre et importance de l’eau dans la religion [45]. Fertilité et eau sont, en effet, les pendants récurrents aux thèmes historiographiques nord-africains des survivances, des persistances, et du Berbère. À l’origine de ces caractéristiques africaines, l’irrémédiable fond initial, archaïque et primitif, terreau des éléments constitutifs de cette « âme africaine » si complexe qu’il est encore difficile sinon impossible de définir.
10 Les analyses de M. Bénabou, en matière religieuse, doivent être resituées dans les contextes contemporains de la colonisation de l’Afrique du Nord et l’époque des indépendances maghrébines. Il n’est pas question bien sûr de nier l’existence de divinités indigènes au sein de la vie religieuse des cités de l’Afrique mais de les replacer dans leur contexte et de les étudier en relation avec l’ensemble des divinités formant les panthéons locaux. De même, beaucoup d’autres écrits sur la religion se sont concentrés sur les figures divines, aboutissant ainsi systématiquement à une histoire partielle, de la vie religieuse, dont n’était étudié qu’un aspect. Les deux exemples les plus impressionnants de cette historiographie et de son miroir inversé sont représentés, d’une part, par la thèse de Marcel Le Glay, Saturne Africain, Histoire (Paris, 1966) ; d’autre part, par celle évoquée, ici, La résistance africaine à la romanisation.
11 Comment envisager, dès lors, les religions dans l’Afrique du Nord antique ? Une méthode consisterait à s’appuyer sur un catalogue épigraphique et archéologique classé par cités, les documents y étant présentés dans leur cadre topographique, institutionnel et politique, ce qui permet très rapidement de relativiser l’image manichéenne mise en avant par les historiographies traditionnelles. Ce point de départ méthodologique permettrait, dès lors, d’appréhender le fonctionnement de la vie religieuse dans les cités de l’Empire romain et d’en étudier l’élaboration identitaire définie à bien des égards par l’élite locale [46].
L’obsession du Berbère
12 Cette inversion des schémas traditionnels est née à une époque où la culture libyque est encore mal connue et souvent difficile à appréhender. L’utilisation de ce thème amène Yvon Thébert à reprendre le débat sur l’identité de la population que Marcel Bénabou ne renonce pas à désigner du terme de « berbère ». Pourquoi parler de « Berbères », de « culture berbère », entités qu’il est malaisé de définir à partir des sources. En reprenant le dossier historiographique, Yvon Thébert dégage trois remarques importantes : 1) l’utilisation du terme de Berbère « sert à matérialiser un peuple, berbère, face à un autre peuple, romain, tout en masquant à la fois, les nuances internes de chacune des parties » ; 2) l’utilisation de ce terme « présume une continuité culturelle entre les indigènes antiques et les indigènes contemporains de la colonisation, soulignant au passage la permanence d’un fond ethnique » ; 3) enfin l’utilisation de ce terme « ou la référence à la Berbérie permettait d’éviter de parler de Maghreb, notion qui renvoie à l’unité du monde arabe ».
13 Si les deux premières remarques peuvent recueillir aujourd’hui un large assentiment, la troisième montre bien, en définitive, que Thébert adhère aux idées en vigueur dans le Maghreb des années soixante-dix qui voient, en effet, se succéder de nombreuses tentatives de création d’un grand Maghreb unifié [47]. Ce thème de l’unité maghrébine fonctionnait alors à l’égal d’un mythe moderne, tout comme s’est élaboré celui de la permanence berbère à l’époque coloniale [48]. Le terme de « Maghreb » n’aurait pas pu renvoyer à l’époque coloniale à une quelconque unité du monde arabe, puisqu’il est à l’origine utilisé par les géographes arabes à partir des viie – viiie siècles de notre ère pour désigner la situation occidentale de l’Afrique septentrionale par rapport à l’Égypte, et donc par rapport au Machrek (orient) [49]. Cette acception géographique est toutefois, dans l’esprit des géographes arabes, très étendue – puisqu’elle peut désigner non seulement l’Afrique du Nord tout entière incluant l’Espagne, ou très restreinte et dans ce cas, elle ne désigne que la partie la plus occidentale de l’Afrique du Nord, le Maroc actuel [50]. Ainsi, cette notion ne paraît renvoyer ni à une conception culturelle ni à une conception politique de l’Afrique. « Tradition », « ancienneté », « permanence », « fond religieux ancien », « esprit berbère », sont autant d’expressions qui s’égrènent au fil de l’ouvrage de Marcel Bénabou exprimant « la primauté d’un découpage vertical » de l’histoire africaine, sinon une vision romantique aboutissant dans le cadre religieux à évoquer « l’âme africaine » sans en apporter une définition claire [51]. Thème ressassé, massivement utilisé par l’historiographie coloniale de Jules Toutain à Marcel Le Glay [52], et qui clame « l’impossible romanisation des âmes [53] » berbères. L’utilisation de ce type de vocabulaire favorise une vision binaire et antagoniste d’un monde indigène opposé à un monde romain.
14 Pourquoi faut-il, d’après Yvon Thébert, renoncer à cette terminologie ? Demandons-nous d’abord à partir de quelle période les termes de Berbère, Berbérie apparaissent dans les sources. Le terme de « Barbar » remonte, dans la tradition littéraire, au ixe siècle de notre ère. Les chercheurs arabophones, dans la majorité des cas, continuent à faire dériver le terme de la racine arabe « BRBR » qui signifie bredouiller [54]. Cette interprétation philologique rend compte d’une tradition remontant à Ibn Hisham qui attribue cette dénomination au personnage éponyme de l’Africa, Ifrîkush qui aurait conduit des tribus orientales en Afrique du Nord et qui les auraient nommés ainsi en raison de leur étrange langage [55]. Le mythe rappelle étrangement ce que dit Strabon des Barbares : « est barbare celui qui a des problèmes d’élocution, de prononciation, qui bégaie ou qui a un parler rocailleux [56] ». Désignant, par extension et à la suite d’une évolution, « l’autre » dans la culture gréco-romaine, ainsi que tout groupe non civilisé, vivant en-dehors de la cité [57]. Toutefois, il semble que, dans les sources gréco-latines, on ne désigne jamais les habitants de l’Afrique du Nord par un nom générique, mais plutôt par le nom de leur tribu, les Maxyes, les Auses, les Machlyes, les Maxitani [58], ou encore par le moyen du terme « Libyens ». Encore une fois, ce dernier terme ne reflète pas une unité culturelle, bien au contraire, son utilisation variant selon les époques et les auteurs ; il reste surtout attaché à un espace nord-africain s’étendant à l’ouest de l’Égypte [59]. En conséquence, le terme « Barbar », probablement dérivé en arabe du latin, n’a pas été ignoré en Afrique, où il est appliqué à diverses populations. Toutefois, nous n’avons pas de preuves qu’il ait été attribué à l’ensemble de la population nord-africaine avant la conquête arabe [60]. Réutilisé lors de la période coloniale, il revêt une couleur particulière qui ne permet pas de se faire une idée précise de l’ensemble du monde indigène.
15 Il faut reconnaître avec Yvon Thébert que, bien avant l’arrivée des Romains et des Phéniciens, l’Afrique numide ne vivait pas en vase clos mais que se trouvant dans une position géographique centrale, elle entretenait des contacts permanents avec le monde méditerranéen et en particulier avec les pays grecs via la Sicile [61]. Cela permet de remettre à sa juste place l’action de Rome en Afrique : Rome n’a pas été la seule pourvoyeuse de civilisation en Afrique, les échanges constants issus des contacts culturels entre les Afriques, numide, maure et libyque et le monde méditerranéen ont donné naissance à une culture hellénisée et en même temps, pour reprendre l’expression d’Yvon Thébert, « authentiquement africaine [62] ». Le travail de ce dernier sur les grandes constructions que sont les mausolées ou les autels monumentaux de Numidie, tend à le prouver [63]. Insérées dans les échanges commerciaux et culturels méditerranéens, les Afriques reçoivent sans rupture les influences d’une culture punique elle-même fortement tournée vers la Grèce ; c’est donc sans traumatisme que en Afrique pourront prendre place dans un nouveau faisceau d’influences méditerranéennes pareillement influencé par l’hellénisme : le monde romain.
16 Les phénomènes d’inversion envisagés par le biais des résistances conduisent Yvon Thébert à évoquer deux concepts corollaires – romanisation et acculturation [64].
17 Le phénomène de la romanisation est le plus anciennement étudié en méditerranée, surtout à travers le prisme des conséquences de la conquête militaire [65]. L’utilisation du second concept est issue d’un mouvement intellectuel élaboré par l’anthropologie occidentale et dans un premier temps tournant le dos aux sociétés antiques [66]. Né en réaction contre la vision d’une civilisation occidentale supérieure et nécessairement dominante face à un monde « indigène » sous-développé et nécessairement dominé, ce concept est à replacer dans le contexte de la fin du monde colonial. Il est par ce biais demeuré chargé d’une certaine expérience liée à la décolonisation et donc tributaire du regard occidental sur des cultures dites « indigènes [67] ». Le terme lui-même désigne les processus de contact culturel à travers lesquels une société ou un groupe social assimile ou se voit imposer des traits appartenant à une autre société [68]. Dans le langage courant, l’« acculturé » est synonyme d’« évolué ». C’est le même schéma que l’on retrouve lorsque l’on évoque les populations « romanisées » en Afrique ou ailleurs dans l’Empire.
18 On le voit, cette terminologie, interdisait de se livrer à une analyse dynamique de l’histoire africaine, occultant l’importance du passé pré-romain, riche en contacts et en élaboration identitaire. C’est là l’un des aspects essentiel de l’opinion d’Yvon Thébert. En effet, même si celui-ci envisage la notion d’acculturation, il ne la retient pas au même titre que la notion de romanisation, il estime qu’elle engage à une vision uniquement culturelle, donc partielle, des sociétés. Cet écueil est inhérent à l’histoire de l’utilisation du concept. Car c’est au moment même où les historiens des sociétés antiques semblent accueillir en leur sein le cadre anthropologique de ce concept [69] qu’il est délaissé par les anthropologues qui ont entamé vers le milieu des années 50 une retractatio [70] et qui affirment clairement que le concept d’acculturation occulte la dynamique des processus acculturatifs pour privilégier des listes de traits culturels transférés d’un contexte culturel vers un autre, on comprend mieux, dès lors, les réserves d’Yvon Thébert.
19 Pour lui, la romanisation est un « phénomène qui consiste en la diffusion d’une civilisation dont de nombreux aspects sont hérités de la Grèce ». Dès lors, « la romanisation ne lui semble pas pouvoir être analysée essentiellement comme un phénomène consécutif à la conquête, mais au contraire comme la poursuite, sous des formes nouvelles d’un contact ancien ». Enfin, « les moyens de contrôle ne sont pas les mêmes qu’à l’époque de la colonisation européenne, et Rome n’a pas les moyens de gérer de façon autoritaire les vastes territoires entrés en sa possession, et c’est par le biais de la fusion entre élites locales et colons que s’élabore la romanisation [71] ». Ce dernier point permet d’introduire une nuance chronologique issue de la recherche de ces trente dernières années. Certes, le cadre de l’Empire romain permet l’émergence d’une élite locale au plus haut niveau politique et administratif des cités, mais la fusion est progressive, extrêmement lente et n’aboutit parfois jamais à une romanisation juridique [72].
20 Cette triple définition, réintroduit dans le champ de la recherche, l’étude des formations sociales de l’Afrique ; elle fait apparaître la romanisation comme un phénomène de classe permettant à l’élite d’emprunter les structures économiques ou culturelles de Rome pour asseoir son prestige social. Ainsi, pour progresser vers une décolonisation de l’histoire africaine, il faudrait minimiser l’importance de la notion de « groupe », utilisée chez Bénabou, au profit de la restitution d’un monde méditerranéen plus unitaire, les conflits passant moins entre éléments ethniques (Africains face à Italiens) qu’entre différentes classes sociales, à l’intérieur desquels Yvon Thébert replace le concept de résistance.
21 Si la notion de classe sociale paraît difficile à appliquer à l’Antiquité, la plupart des historiens actuels lui préfère la notion de catégorie sociale [73]. Ici, les remises en questions d’Yvon Thébert sur la façon dont on écrit l’histoire de l’Afrique me semblent justifiées. On peut ne pas être d’accord avec ses positions marxistes qui l’amènent parfois à utiliser, à son tour, un vocabulaire emprunté à des théories qui manquent de pertinence pour l’Antiquité. Il n’en demeure pas moins que l’importance donnée au vocabulaire et aux concepts employés est particulièrement intéressante : elle permet de mieux tenir compte des contextes historiques dans lesquels l’écriture de l’histoire africaine s’élabore [74]. Il semble toutefois important de réaffirmer que Thébert rejoint, sur de nombreux points, et non remis en cause de ce fait, les thèses de Bénabou ; il lui reproche avant tout l’utilisation presque « inconsciente » d’une terminologie paradoxalement ancrée dans les thèmes traditionnels. Au lieu d’inventer un terme, Yvon Thébert, préfère élaborer une nouvelle définition de la notion de romanisation.
22 Relire cet article, un quart de siècle après sa parution, nous aide à mieux réfléchir sur les concepts constamment utilisés pour saisir l’histoire de la Méditerranée antique. Le concept de « romanisation » a permis de passer sous silence l’importance des structures indigènes ; celui de « résistance » a masqué l’hétérogénéité de ces structures ; enfin, celui d’« acculturation » a nié l’importance des relations de pouvoir qui peuvent conditionner deux structures sociales en contact. Ces modèles, édifiés depuis le début du siècle, n’ont pas donné grande satisfaction. Chaque décennie voit surgir de nouveaux débats, de nouvelles tentatives de redéfinitions valorisantes de ce que fut la romanisation [75] ; employés unilatéralement, ces nouveaux outils ne peuvent donner une image concrète des structures, sociales, culturelles et économiques de l’Afrique romaine. Peut-être est-ce là une invite à accepter ce que nous disent, à travers les documents, les sociétés africaines, c’est-à-dire accepter que les formes artistiques, religieuses, politiques, évoluent selon des processus différents. Ce qui peut nous apparaître comme des décalages, des lenteurs, des différences, par rapport à d’autres zones méditerranéennes ne sont sans doute en fait que de multiples formes d’une culture africaine à la fois une et plurielle.
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- Sheldon R., « Romanizzazione, Acculturazione et Resistenza : problemi concettuali nella storia del Nordafrica », Dialoghi di archeologia, 1982, p. 103-107.
- Siraj A., L’image de la Tingitane. L’historiographie arabe médiévale et l’Antiquité nord-africaine, Rome, 1995.
- Smadja E., « Modes de contact, société indigènes et formation de l’état numide au second siècle av. notre ère », in Modes de contacts et processus de transformation dans les société anciennes, Actes du colloque de Cortone, Cortonne, 1981, p. 685-702.
- Thébert Y., « Romanisation et déromanisation en Afrique : histoire colonisée ou inversée ? », Annales ESC, 33, 1978, p. 64-82.
- Thébert Y., « Royaumes numides et hellénisme », in Carthage, l’histoire, sa trace et son écho. Catalogue de l’exposition du Petit Palais, Paris, 9 mars – 2 juillet 1995, Paris, 1995, p. 192-199.
- The social Science Research Council Summer Seminar on Acculturation, « Acculturation : an Explorary Formulation », American Anthropologist, 56, 1954, p. 973-1002.
- Toutain J., Les cités romaines de la Tunisie, Paris, 1896.
- Toutain J., Les cultes païens dans l’Empire romain, Les provinces latines, t.1, Paris, 1905.
- Toutain J., Les cultes païens dans l’Empire Romain. Les cultes indigènes, nationaux et locaux. Les cultes africains, 1er fascicule t. 3, Paris, 1917.
- Trousset P., « Aux confins de l’Empire : contacts, échanges, conflits », L’Africa Romana, XV, 2002, sous presse.
- Van Effenterre H., « Acculturation et histoire ancienne », in XIIe congrès des sciences historiques, I, 1965, p. 37-44.
- Veyne P., « L’hellénisation de Rome et la problématique des acculturations », Diogène, 106, 1979, p. 27.
- Wachtel N., La vision des vaincus, Paris, 1971.
- Whittaker C. R., « M. Bénabou, “La résistance africaine à la romanisation” », Journal of Roman Studies, 68, 1978, p. 190-192.
- Whittaker D., « Integration of the Roman West : The Example of Africa », in Metzler J., Millet M., Roymans N. et Slofstra J. (éd.), Integration in the Early Roman West. The Role of Culture and Ideology, Luxembourg, 1995, p. 19-32.
Notes
-
[*]
Meriem Sebaï est ATER au Collège de France et doctorante en histoire romaine à l’université Paris I.
-
[1]
Y. Thébert (1978 : 64-82).
-
[2]
On remarque une absence très nette de cet article dans la littérature scientifique. Seulement cinq publications le citent clairement : D. J. Mattingly (1978) ; E. Smadja (1981) ; R. Sheldon (1982) ; M. Bénabou (1986), D. J. Mattingly (1996) ; une sixième le paraphrase sans une allusion au débat : C. Gebbia (1989).
-
[3]
L’article d’Y. Thébert est le premier volet d’une tribune consacrée à la romanisation et animée par deux autres voix, celle de M. Bénabou (1978 : 83-88) ; et celle de P. Leveau (1978 : 89-92).
-
[4]
Si l’historiographie contemporaine n’omet jamais l’ouvrage de M. Bénabou, l’article d’Y. Thébert est systématiquement écarté des grands manuels ou des ouvrages de référence sur la romanisation de l’Afrique ; pire, il arrive qu’il soit cité de façon fautive comme dans D. Whittaker (1995 : 19-32).
-
[5]
Sans parler du thème de la résistance qui est l’objet de cette étude, je pense bien sûr à toute la littérature scientifique qui prit comme sujet d’étude l’acculturation et ses modalités, voir infra notes 64 et 66-67 ainsi que notes 68 et 70.
-
[6]
M. Bénabou (1976 : 18).
-
[7]
M. Bénabou (1976 : 18) ; vision dominante chez A. Laroui (1970 : 36).
-
[8]
Cette partie est toutefois vigoureusement contestée dès la parution de son ouvrage par le compte rendu de C. R. Whittaker (1978 : 190-192) ; de nos jours la recherche est beaucoup plus nuancée en ce qui concerne la vision d’une armée romaine en lutte contre des tribus africaines installées sur les marges de l’Empire ou dans les zones montagneuses. Les travaux de P. Trousset (2002), à cet égard, démontrent que le limes, espace lié à la résistance militaire des Africains pour M. Bénabou, n’est pas cette frontière rigide composée de postes frontières défensifs que l’on restitue depuis les débuts du colonialisme français au Maghreb, mais plutôt un système de routes canalisant et régulant de façon souple les flux nomades.
-
[9]
Outre le débat des Annales dont il est question ici on se reportera aux études suivantes : E. Fentress (1982 : 107-113) ; D. Whittaker (1978 : 190-92), ces deux derniers auteurs contrecarrent la thèse de M. Bénabou en arguant que ce qu’il appelle résistance culturelle n’est qu’une variation de ce qu’eux-mêmes appellent romanisation et que, eu égard au contexte politique et idéologique dans lequel il publie son ouvrage, le thème de la résistance est un anachronisme ; c’est également l’avis de R. Sheldon (1982 : 103-107).
-
[10]
J. Déjeux (1982 : 67-162) ; (1983 : 1-42) ; D.J. Mattingly (1996 : 45-69) ; d’ailleurs, M. Bénabou (1976 : 17) a bien à l’esprit ce contexte politique qu’il nomme pudiquement « l’esprit du temps ».
-
[11]
On en veut pour preuve le nombre non négligeable de thèses et d’articles consacrés aux divinités du panthéon romain d’Afrique dont les conclusions reprennent, en dépit des documents, la thèse des résistances et présentent « les deux aspects » des figures divines d’Afrique romaine : un aspect typiquement romain et visible, un aspect africain, sous jacent et symbolisant la lutte spirituelle des africains contre Rome, voir A. Beschaouch (1973 : 103-05) ; P. Corbier (1974 : 95-104) ; M. Khanoussi (1977) ; S. Ben Baaziz (1986) ; A. Boussada (1989) ; N. Benseddik (1995).
-
[12]
Le projet de M. Bénabou, appréhender l’histoire de l’Afrique à travers le prisme africain, rejoint les travaux de N. Wachtel (1971), pour la culture péruvienne, à la différence que cet historien avait en sa possession de nombreuses sources indigènes apportant des informations précieuses sur la sphère indigène avant et après la conquête.
-
[13]
H. Moniot (1974 : 106-123).
-
[14]
D. J. Mattingly (1996 : 58-60) ; cet article est une mise au point historiographique de la vision de l’impérialisme romain à travers l’évolution des attitudes de la recherche moderne en Occident et au Maghreb. L’ouvrage de M. Bénabou est bien sûr cité et analysé comme illustration de « l’attitude post-coloniale » de certains chercheurs ; il apparaît, sans surprise, comme le défenseur ou le représentant de la thèse de la résistance africaine. Je voudrais, cependant, noter que ce rôle endossé courageusement par M. Bénabou ne l’a pas mis à l’abri de ce que l’on pourrait prendre pour de l’humour mal placé, mais qui en définitive semble tout simplement être une erreur : D. J. Mattingly, citant M. Bénabou, écrit en toutes lettres (ce qu’il ne fait pour aucun autre auteur) « Mohammed Bénabou » (p. 58) ; erreur incompréhensible mais également, lapsus qui en dit long sur l’association intime qui est faite entre Marcel Bénabou et l’Afrique dans l’esprit des chercheurs européens.
-
[15]
N. Wachtel (1971 : 22-24).
-
[16]
Fers de lance de la recherche occidentale d’époque coloniale, les thèmes corollaires de la survivance et de la permanence des cultures libyques et puniques en pleine époque romaine sont développés et ressassés à partir de critères issus de l’image que l’on se faisait de l’indigène africain, calquée sur celle de l’indigène moderne. À titre d’exemple, lorsque l’un des critères suivants était présent dans les documents religieux les savants concluaient à la présence d’un dieu ou d’un culte indigène : si le nom ou l’épiclèse de la divinité semblait étranger à Rome, si l’onomastique des dédicants présentaient des caractéristiques pérégrines et enfin si le plan de l’édifice cultuel ne correspondait pas aux critères normatifs romains alors tel ou tel culte ou divinité était classé dans l’univers indigène.
-
[17]
J. Toutain (1917) ; S. Gsell (1916 : t. 4) ; A. Merlin (1908) ; G.-C. Picard (1954).
-
[18]
G.-C. Picard (1990 : 12) ; cet auteur, qui se situe clairement dans la lignée de l’historiographie traditionnelle, se range à l’avis d’E. Fentress et de C.R. Whittacker et écrit : « Il [M. Bénabou] appelle résistances à la romanité ce que nous considérons plutôt comme les modalités de la romanité ».
-
[19]
M. Bénabou (1976 : 262). Le vrai problème de cette définition est que nous ne connaissons pas mieux qu’en 1976 les structures de « la religion africaine ». Que signifie « africaine » dans ce contexte, ce concept englobe-t-il les cultes libyques, ou puniques ? À la lecture de son chapitre sur la résistance religieuse on enregistre d’emblée un amalgame entre ces deux structures pré-romaines, il est vrai mal connues, mais surtout jugées « primitives » et dénuées « d’organisation rationnelle et cohérente » (p. 263) ; il y a là le double danger d’étudier les religions de l’Afrique romaine sous le seul angle culturaliste et de détacher de leur contexte historique romain ce que l’on prend pour des permanences ou des résistances, alors que ce ne sont que des pratiques, certes répétitives, mais dont on a pas établi avec certitude la parenté libyque ou punique.
-
[20]
C’est le titre du débat entre Y. Thébert, M. Bénabou et P. Leveau (1978 : 64).
-
[21]
M. Bénabou (1978 : 263).
-
[22]
M. Bénabou (1978 : 19).
-
[23]
Y. Thébert (1978 : 72).
-
[24]
Ce terme même, très présent dans tous les chapitres de sa thèse, n’est pas innocent ; il véhicule l’arrière-plan idéologique colonial en insinuant que face à Rome se trouve une population unie culturellement ; il introduit aussi l’idée d’une continuité culturelle entre les populations africaines de l’Antiquité et celles peuplant le Maghreb contemporain, voir J. Carcopino (1939 : 622).
-
[25]
Y. Thébert (1978 : 65).
-
[26]
M. Bénabou (1976 : 332-333).
-
[27]
M. Bénabou (1976 : 333, note 5).
-
[28]
J. Toutain (1905).
-
[29]
M. Bénabou (1976 : 338).
-
[30]
M. Bénabou (1976 : 335).
-
[31]
M. Bénabou (1976 : 341).
-
[32]
M. Bénabou (1976 : 347).
-
[33]
M. Bénabou (1976 : 351).
-
[34]
M. Bénabou (1976 : 356).
-
[35]
M. Bénabou (1976 : 359).
-
[36]
M. Bénabou (1976 : 362).
-
[37]
M. Bénabou (1978 : 369) ; l’auteur postule, à la suite de G.-Ch. Picard et M. Le Glay que Caelestis, Nutrix et Ops sont associées, les secondes étant des équivalences de la première. C’est une affirmation péremptoire qui ne repose sur aucune preuve tangible. Les déesses sont tour à tour honorées en même temps que Saturne et à ce titre il serait plus intéressant de les étudier dans leur rapport avec ce dieu, en évitant d’avoir à l’esprit le présupposé que toute divinité féminine figurant auprès de Saturne n’est qu’un avatar de Caelestis et par extension de la Tanit punique symbolisant les principes de fécondité, fertilité et maternité.
-
[38]
C’est une idée développée par M. Le Glay (1966 : 222) : « […] romanisation et sémitisation de l’Afrique sévérienne marchent décidément de pair » ; idée déjà présente chez G.-Ch. Picard (1954 : 110), impossible à étayer, qui plus est.
-
[39]
M. Bénabou (1978 : 353). Cette terminologie est adoptée sans exception par les deux historiographies, colonialiste et nationaliste. À la mode au xixe siècle lorsque l’on commence à découvrir les cultures indigènes qui sont passées sous le contrôle des grandes puissances européennes, la notion d’âme religieuse africaine dans notre domaine a servi à donner un cadre, une cohérence à ce qui paraît a priori incohérent et détaché du contexte romain. Assez floue et commode pour y classer toutes les survivances, persistances, résistances et autres anomalies qui semblent s’écarter du modèle romain, cette notion dépend des larges lacunes documentaires ; elle dépend aussi du contexte idéologique et des enjeux politiques et culturels dans lequel elle a vu le jour et s’est développée jusqu’à aujourd’hui. Voir, infra note 51.
-
[40]
M. Bénabou, (1976 : 377, note 1) évoque néanmoins deux divinités dont il ne fait pas état en la figure d’Hercule et Pluton, citant à cet effet P. Corbier (1974 : 95-104) et A. Beschaouch (1973) ; voir aussi, M. Clavel-Lévêque, (1974 : 105-107). Il y a également le culte d’une divinité propre à l’Afrique, Frugifer, dont il n’est fait aucune mention ; et puis bien sûr Vénus, Minerve, Cérès, Diane, sont citées çà et là mais sont rangées a priori dans la catégorie des divinités dont la part africaine reste obscure, sinon inexistante d’après lui.
-
[41]
La notion d’« indigène » comme celle de « berbère » donne des Africains l’image d’une population unifiée, ce qu’elle n’est absolument pas. Elle efface les multiples différences internes qui caractérisent les populations africaines. Toutefois, probablement plus pratique que « africain », « natif » ou « local », elle est utilisée depuis J. Toutain, 1917, jusqu’à N. Kallala (1990 : 193-200) et semble satisfaire les chercheurs des deux rives de la Méditerranée.
-
[42]
J. Toutain (1896 : 217-219).
-
[43]
M. Bénabou, (1976 : 379).
-
[44]
Dans certain cas, très rares, on peut réellement parler d’interpretatio africana opérée dans certaines cités par le pouvoir local et non pas « spontanément et anarchiquement par les fidèles » ; M. Bénabou, (1976 : 379).
-
[45]
Jupiter, Mercure, Silvain, Mars, Bacchus, Neptune, Esculape, Junon-Caelestis, seraient respectivement : protecteur de la fertilité des terres, (p. 338) ; protecteur de la fécondité, (p. 342) ; protecteur de la végétation, (p. 343) et de l’agriculture, (p. 347) ; endosserait un rôle agraire, (p. 350) ; divinité de la fécondité, (p. 353) ; divinité des sources, (p. 357) ; génie des eaux salutifères, (p. 361) ; déesse de la fécondité, de la fertilité (p. 364).
-
[46]
C’est la méthode que je propose dans une étude plus large sur la vie religieuse des cités d’Afrique proconsulaire et que j’ai précisé dans M. Sebaï (1999 : 81-94).
-
[47]
P. Balta (1990).
-
[48]
P. Bertholon (1909) ; R. Basset (1910) ; J. Carcopino (1938) ; G. Camps, (1961).
-
[49]
Procope, La guerre contre les Vandales, I, 10, 5 ; Ibn Khaldoun, Histoire des Berbères, (éd. de Slane, I, p. 193). Voir à ce propos les précisions apportées par M. Benabbès, (2004 : 9-12)
-
[50]
Que l’on désigne encore aujourd’hui par le terme arabe El-Maghrib.
-
[51]
P. Veyne (1979 : 27) : « Une société devient sans cesse différente d’elle-même et ses transformations sont des drames qu’elle a avec elle-même, quand bien même le modèle d’origine d’un de ces ébranlements serait chez un peuple étranger ; elle ne peut pas perdre son âme, puisqu’elle n’en a pas ». On voit souvent, surtout depuis les mouvements d’indépendance et l’affirmation des nationalismes dans les anciennes colonies européennes, une revendication identitaire très forte, mêlée d’attachement à des valeurs traditionnelles. Le développement du thème d’une « âme » africaine voit le jour dans ce contexte de colonisation et de décolonisation.
-
[52]
M. Le Glay (1966).
-
[53]
Ibid, p. 447, évoquant à propos de Saturne une phrase de Tertullien, Apologétique, IX, 3 : non soli vos contemnunt Christiani, nec ullum facinus in perpetuum eradicatur, aut mores suos aliquis deus mutat. M. Bénabou (1976 : 373), sans récuser totalement la contribution de Saturne à « une impossible romanisation des âmes », en adoucit la portée, en retournant de manière rhétorique l’argument de M. Le Glay : si Saturne reste un dieu punico-berbère c’est parce que ses fidèles sont des punico-berbères ; dans une Afrique romanisée il jouait donc le rôle de valeur-refuge.
-
[54]
Muhammad al-Hasanî al-Zubaydî, Tâdj al-cArûs min djawâhir al-kunûz, (éd. I. al-Tarzî, p. 159). Je remercie M. Benabbès d’avoir attiré mon attention sur cette étymologie non référencée dans la littérature scientifique occidentale.
-
[55]
Muhammad ben Hishâm al-Kalabî (mort vers 204-206 heures/819-821 de notre ère) a recueilli et répandu ce mythe étiologique qui fut par la suite soumis à quelques variantes.
-
[56]
Strabon, XIV, 2, 28.
-
[57]
Hérodote, II, llvii, rapporte que les Égyptiens appellent Barbar tous ceux qui parlent une autre langue que l’égyptien, tandis que le Périple de la mer d’Érythrée, donne le nom de Barbaria au littoral africain de la mer Rouge et du golfe d’Aden. Enfin, Ptolémée, IV, 7, 1, p. 755, rapporte la même information en l’étendant à l’équateur. Il semble que les mentions dans les sources grecques faites à propos de populations appelées Barbar ne concernent pas les populations nord-africaines, ni l’Afrique du Nord ; en revanche, lorsque Augustin, Lettres, 17, 2, évoque « l’Afrique Barbare », il fait probablement allusion aux zones situées nettement au sud du Limes, dans le Sahara, appelée de nos jours Touat ou sous une autre forme Iberaber.
-
[58]
J. Desanges (1962).
-
[59]
Procope, De Aedificiis, VI, 1, 11, précise que le toponyme Libuh désigne une partie restreinte située à l’est de l’Africa traditionnelle, se limitant selon cette acception au territoire qui s’étend d’Alexandrie à Cyrène. Chez El-Bakri (1965 : 654), toujours limitée à l’est par rapport à l’Africa, le terme englobe également la Tripolitaine.
-
[60]
A. Siraj (1995 : 212-213). Il est probable, en effet, que ce terme ne soit pas une invention arabe, mais que leur étant devenu familier après leur passage par l’Égypte, il ait été adopté peu après le massacre de ‘Ukba par Kusayla à Tahuda en 682, pour devenir l’appellation générique des Nord-Africains pour les Arabes.
-
[61]
C’est la thèse que défend Y. Thébert ; il n’est, toutefois, ni le seul ni le premier à la formuler : P.A. Février (1973 : 152-169) montre que l’iconographie des stèles de grande Kabylie utilise en l’adaptant à ses propres schémas artistiques une manière de représenter les cavaliers selon les codes hellénistiques.
-
[62]
Y. Thébert, (1978 : 74).
-
[63]
F. Coarelli et Y. Thébert, (1988 : 761-818) ; voir également Y. Thébert (1995 : 192-199).
-
[64]
M. Fortes (1936 : 24-55) ; F. M. Keesing (1952) ; R. Bastide (1948) ; (1960) ; (1963) ; (1971) ; R. Linton, R. Redfield & M. J. Herskovits (1936 : 149-152) ; M. J. Herskovits (1948) ; The Social Science Research Council Summer Seminar on Acculturation (1954 : 973-1 002).
-
[65]
G. Boissière (1901 : 359), dans sa conclusion sur la conquête des indigènes, exprimait son avis sur la question : « Je ne sais si l’anthropologie, en étudiant la couleur de leur peau ou la conformation de leur corps, distinguera jamais chez eux les descendants de ces divers peuples disparus ; mais dans leurs idées, leurs habitudes, leurs croyances, leur façon de penser, de vivre, il n’y a plus rien du Punique, rien du Romain, rien du Vandale : c’est le Berbère qui a surnagé. […] En un mot (cette race) est peu résistante et très persistante » ; voir aussi J. Marquardt (1892 : 464), qui évoque la civilisation africano-romaine ; G. Ch.-Picard (1959 : 24) écrit : « Bornons-nous à constater l’inexistence d’une résistance des indigènes » ; il est contredit par L. Harmand (1960 : 471), qui constate « l’inachèvement » de l’Empire romain en Afrique.
-
[66]
R. Linton & R. Redfield, M. J. Herskovits (1936 : 149-152) ; M. J. Herskovits (1948).
-
[67]
J. F. Barré (1991 : 1-3).
-
[68]
Beaucoup d’études sont consacrées au continent américain : R. Redfield (1953) ; A. Mc Nickle (1958) ; R. Linton (1940) ; pour une bibliographie exhaustive des études sur les processus d’acculturation sur le continent américain ainsi que sur les continents africains, asiatique et australien il faut consulter l’article fondamental du groupe de recherche nord-américain : The Social Science Research Council Summer Seminar on Acculturation (1954 : 973-1 002).
-
[69]
A. Dupront (1965, I : 7-36). Rapports, I ; H. Van Effenterre (1965 : 37-44) ; puis trois volumes de congrès, publiés chaque décennie depuis 1965, sont consacrés aux problèmes du contact dans l’Antiquité : Le rayonnement des civilisations grecque et romaine sur les cultures périphériques, VIIIe congrès international d’archéologie classique, Paris, 1965 ; Assimilation et résistance à la culture gréco-romaine dans le monde ancien, VIe congrès international d’études classiques, Madrid, 1974, Paris, 1976 ; Modes de contacts et processus de transformation dans les sociétés anciennes, Cortone, 1981. Cependant, ces moments historiographiques sont profondément différents dans leur démarche méthodologique : le premier s’insère dans un cadre de recherche encore largement dominé par l’étude des traits culturels transmis par Rome ou Athènes aux « cultures périphériques », le second s’insère plus directement dans le cadre des modèles théoriques nés de la décolonisation, enfin le dernier suivant le rythme de la recherche fait le lien avec les travaux ethno-anthropologiques et l’étude des interactions du contact. Signalons encore l’article de S. Gruzinski et A. Rouveret (1976 : 159-219), qui synthétise tout ce que les concepts de romanisation et d’acculturation peuvent apporter à la recherche sur les mondes indigènes.
-
[70]
R. Beals (1953 : 375-395) évoque, p. 391, le peu de progrès parcouru depuis 1930 dans l’approche des différents concepts qui donnent corps à la théorie de l’acculturation et sa portée théorique insuffisante : « Beyond very broad concepts, then, little progress has been made in accurate conceptualization of processes or their empirical identification, particularly in broad theoritical context ».
-
[71]
Y. Thébert, (1978 : 1980).
-
[72]
On en veut pour preuve l’immense majorité des petites ciuitates de l’arrière-pays de Carthage comme Néféris, Sutunurca, Suo, ou Biracsaccar. D’autres accèdent très tardivement au statut municipal, c’est le cas de Giufi, Thugga, Hr Bou Cha ; voir H.-G. Pflaum (1970 : 75-117) ; J. Gascou (1972) ; Cl. Lepelley (1979) ; (1981).
-
[73]
Suivant en cela C. Nicolet (1984 : 7-21).
-
[74]
Voir à cet égard les réticences de M. Bénabou et P. Leveau, dans le même débat, qu’ils réduisent à « une querelle de mots » p. 84-85 et p. 89.
-
[75]
Voir en dernière analyse : S. Keay, N. Terrenato (éd.) (2001).