CETTE CONTRIBUTION trouve son origine dans un étonnement que l'on peut formuler ainsi : alors que les salle de cinéma au Maroc ferment leur portes les unes après les autres, depuis vingt cinq ans, le groupe français Mégarama entreprend le lancement de multiplexes cinématographiques dans les grandes villes marocaines. Le premier multiplexe (14 salles) a ouvert ses portes à Casablanca en 2002. Deux autres ont suivi respectivement à Marrakech (7 salles) en 2007 et à Fès en 2011. Trois multiplexes sont annoncés prochainement à Agadir, à Rabat et à Tanger. Douze ans après son installation au Maroc, le groupe Mégarama domine avec 85 % des parts de marché de la distribution des films au Maroc et 66 % de celui de l'exploitation avec plus de 4 millions d'euros de recettes guichet (CCM, 2015).
En partant plus particulièrement de la question de circulation des films dans les salles de cinéma au Maroc, l'objectif de ce texte est double. Il s'agit, d'une part, d'analyser le contexte dans lequel cette initiative a vu le jour et s'est développée depuis et de tenter, d'autre part, de cerner la nouvelle configuration de la distribution et l'exploitation des salles au Maroc. Plus précisément, nous chercherons à comprendre comment les dirigeants du Mégarama, appuyés par les décideurs politiques marocains de la filière, vont introduire des innovations dans un marché incertain de l'exploitation du film, pour répondre aux demandes d'un public aisé, tout en marginalisant les autres exploitants et distributeurs et en favorisant une programmation fondée majoritairement sur les blockbusters américains : une configuration qui serait une figure, parmi d'autres, de la double domination culturelle et économique que connaissent beaucoup de pays des Suds, comme le Maroc…