Dans cet entretien Sylvie Chalaye se remémore son adolescence puis sa vie estudiantine pour nous livrer une traversée personnelle mais aussi le regard de toute une jeunesse prise dans les problématiques de La Marche pour l’égalité des droits et contre le racisme au début des années 1980. Spécialiste des théâtres francophones d’Afrique et des diasporas, anthropologue des représentations coloniales et historienne des arts du spectacle, Sylvie Chalaye est aujourd’hui Professeur et directrice au sein de l’Institut de recherche en études théâtrales (IRET). Elle y anime le laboratoire « Scènes francophones et écritures de l’altérité » (SeFeA) consacré aux dramaturgies traversées par l’histoire coloniale et l’histoire des migrations. Forte d’un regard privilégié sur les co-influences qu’entretiennent les mouvements sociétaux et les arts du spectacle, Sylvie Chalaye nous renseigne aussi sur les fondements historiques, les prémisses, les impacts culturels et enfin, les conséquences plus actuelles de la Marche des Beurs.Quels souvenirs avez-vous de la Marche des beurs en 1983 ?Sylvie Chalaye : La Marche a été un grand moment d’utopie, un événement emblématique car vraiment œcuménique et tellement « glamour » pour les médias, l’antidote balsamique aux violences qui ravageaient les banlieues au lendemain de l’arrivée de la Gauche au pouvoir et dont Vénissieux avait donné le coup d’envoi. L’action a été médiatiquement récupérée et détournée, dénaturée même. Je me souviens combien la presse stigmatisait les choses, dès l’été 1981, parlant des rodéos dans la cité des Minguettes, des courses poursuites avec la police, brandissant l’image fantasmatique de l’ensauvagement des cités et attisant la peur, alors qu’il aurait juste fallu se pencher de plus près sur la réalité sociale des jeunes adolescents de familles immigrées qui vivaient chaque jour la discrimination de leurs parents…