Le sujet de cette réflexion concerne ce que l’on pourrait définir comme la sauvagerie des mots. On reconnaît aujourd’hui combien le cannibalisme de la colonisation est sans doute plus authentique que celui des mangeurs d’homme et que les mots du colonisateur peuvent être finalement de redoutables « réducteurs de tête », d’autant plus redoutables d’ailleurs que leur entreprise de réduction est curieusement réciproque : ils réduisent l’être de celui qu’ils nomment, mais l’effet de rétrécissement gagne aussi l’esprit de ceux qui les emploient.
En français, les mots que nous utilisons pour définir ceux qui sont originaires de l’Afrique subsaharienne, ce sont systématiquement, et dès le bas Moyen Âge, des appellations qui dénient à ces hommes une origine géographique et une histoire au profit de leur apparaître, autrement dit au profit d’une simple impression chromatique et surtout du regard que l’on pose sur eux et auquel les réduit l’Occident.Maure, noir, nègre, homme de couleur, puis sauvage, indigène et aujourd’hui black, blackies ou kebla, renoi, tous ces mots qu’on utilise pour dire l’homme d’Afrique, l’homme dont les origines mêmes lointaines sont africaines, tous ces mots sont des termes qui, au lieu de reconnaître l’identité de l’autre, le réduisent à sa couleur ou à d’autres critères intimement dépendants de la situation d’énonciation, comme sauvage dans le contexte colonial ou black dans celui de la jeunesse d’aujourd’hui et des médias.
Au Moyen-Âge, c’est la face brûlée de l’Africain qui importe et il devient « l’homme à la face de mûre », le Maure, autrement dit le soldat noir de l’armée des Sarrasins…