L’histoire de l’Afrique est faite d’itinérances et de mouvements, que ce soit vers le continent ou hors du continent. Cette « circulation des mondes » a donné lieu à une culture riche et multiple, souvent passée sous silence et aujourd’hui menacée par un discours nativiste.
Qu’il s’agisse de la littérature, de la philosophie ou des arts, le discours africain a été dominé, pendant près d’un siècle, par trois paradigmes politico-intellectuels qui, au demeurant, ne s’excluaient pas mutuellement.
Il y a eu, d’une part, diverses variantes du nationalisme anticolonial. Celui-ci a exercé une profonde influence sur les sphères de la culture, du politique et de l’économique, voire du religieux. Il y a eu, d’autre part, diverses relectures du marxisme desquelles ont résulté, ici et là, maintes figures du « socialisme africain ». Venait, enfin, une mouvance panafricaniste qui accordait une place privilégiée à deux types de solidarité – une solidarité de type raciale et transnationale, et une solidarité de type internationaliste et de nature anti-impérialiste.
À l’orée du siècle, l’on peut dire que cette carte intellectuelle n’a pas fondamentalement changé alors même qu’en sous-main, d’importantes reconfigurations sociales et culturelles sont en cours. Cet écart entre la vie réelle des sociétés d’un côté et, de l’autre, les outils intellectuels par lesquels les sociétés appréhendent leur destin n’est pas sans danger pour la pensée et la culture. Les trois paradigmes politico-intellectuels mentionnés ci-dessus se sont en effet institutionnalisés et se sont ossifiés à un point tel qu’ils ne permettent plus aujourd’hui d’analyser avec un tant soit peu de crédibilité les transformations en cours…