Aujourd’hui, on s’accorde à dire que la création est un état de crise. Ce terme désignait chez les Grecs la « phase critique » d’une maladie. Nous devons à la médecine l’activité qui, en France, s’illustre dans le champ esthétique. La « crise », en effet, représente un moment de bascule ; ce qui signifie que le créateur naît en même temps que sa création. Il vit donc de crise.Cette chronique s’attachera à décrire la « crise » de la création africaine, notamment, en s’appuyant, en amont, sur ceux que Boniface Mongo-Mboussa appelle nos « classiques » et, en aval, sur les ouvrages que le marché mettra sous mes yeux. Ma pétition de principe n’excédera pas ce cadre. Toujours je serai « en phase ». Pour commencer, je convoque Ahmadou Kourouma et l’un de ses jeunes compatriotes, Kwamé N’goran.
Nous connaissons bien son rire. Par lui, il se protège du monde et de l’Afrique : l’auteur des Soleils des indépendances est pourtant le plus grand de nos historiens. Avec quatre romans, il a montré que notre continent est fou, mais cette folie ne distingue en rien les Africains des autres hommes. À quelque chose près, on le remercierait de rire comme il le fait. Le rire de Kourouma est celui de l’artiste qui sait où il en est de ses outils et de son métier. Son point de vue sur la création littéraire est le plus désopilant que j’aie jamais lu. Ouvrons Monnè, outrages et défis (Le Seuil, 1990, p. 40). Kourouma, en nous expliquant les conditions d’émergence de la caste des griots, nous donne accès au sort par lequel l’écrivain africain s’assume…