Notes
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[1]
L’Harmattan, 2019.
1Ce petit livre inattendu, d’une centaine de pages, se lit agréablement. On ne sait pourquoi l’auteur, spécialiste de bibliologie et des sciences de la communication, a exhumé ce qui fut le « combat du siècle », un improbable « Rumble in the jungle » qui opposa à Kinshasa, en 1974, deux célèbres boxeurs américains, Mohamed Ali et George Foreman, pour le titre de champion du monde des poids lourds. Eddie Tambwe Kitenge – le fait qu’il soit Congolais explique son intérêt pour ce combat mythique – a été fasciné par cet événement hors norme dont il démonte avec gourmandise une dramaturgie en huit « rounds », suivis d’un épilogue résumant le destin des quatre protagonistes, dont Donald King, dit « Don King », et George Foreman sont encore en vie en 2020.
2Organiser un combat de boxe d’importance mondiale sur les rives du Congo était un pari fou. L’auteur en analyse les ressorts avec brio, en mettant en exergue le rôle de la communication et des stratégies des acteurs qui se retrouvèrent autour d’un ring au célèbre stade Tata Raphaël (« stade du 20-Mai » durant la période zaïroise). Au centre, un maître du jeu sulfureux, Don King, multirécidiviste de coups tordus, repris de justice, bookmaker devenu promoteur extravagant de matchs de boxe, plus tard acteur et familier des studios de télévision : une icône flamboyante issue des ghettos noirs d’où émergèrent maints champions, dont Foreman et Mohamed Ali, alias Cassius Clay. Ce dernier, en acceptant le combat à Kinshasa – premier combat pour un titre mondial en terre africaine – proclamait son militantisme pour la cause des Noirs à la différence d’un mutique Foreman : il eut la faveur du public kinois. Et sortit vainqueur.
3L’auteur attire l’attention sur le fait que le combat se déroula à 3 heures du matin, heure inhabituelle, même dans une ville connue pour son animation nocturne, mais il fallait absolument que la retransmission en direct ait lieu à une heure de grande écoute aux États-Unis : la tyrannie des médias et les enjeux financiers ne datent pas d’aujourd’hui. Les championnats mondiaux de boxe mobilisent, dans les conditions souvent opaques des paris, des sommes considérables. Don King promit à chacun des deux boxeurs, pour qu’ils acceptent le déplacement à Kinshasa, cinq millions de dollars… alors qu’il n’avait pas un sou en poche ! Coup de poker gagnant : Mobutu assurerait l’intendance, trop heureux de propulser le jeune Zaïre, étoile montante de l’Afrique, sur le devant de la scène. Dignité retrouvée, reconnaissance internationale, un ring de rêve. Pour l’auteur, le combat fut la victoire de la « com » plus que de la boxe, des symboles plus que du sport. 1974 marqua l’acmé économique de l’ancien Congo belge. Mais le combat du siècle fut aussi la dernière gloire de Mobutu, car cette même année annonce, derrière les vivats, le crépuscule d’une « zaïrianisation » catastrophique, concomitante à la baisse des cours du cuivre. Eddie Tambwe Kitenge évoque brièvement dans l’épilogue ces nuages qui, déjà, montaient à l’horizon.
4L’exhumation d’un événement qui eut lieu voilà près d’un demi-siècle, participe de la nostalgie d’un temps où l’avenir du Congo-Zaïre paraissait radieux, feux d’artifice avant le début de la descente aux enfers dont la République démocratique du Congo peine à se remettre. Avec la mise en scène mordante et concise de quatre personnages fantasques, le livre d’Eddie Tambwe Kitenge remue une mémoire campée au beau milieu du ring de l’histoire.
Notes
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[1]
L’Harmattan, 2019.