Couverture de AFCO_271

Article de revue

Aurélie Champagne. Zébu boy

Pages 303 à 305

Notes

  • [1]
    Monsieur Toussaint Louverture, 2019.
  • [2]
    Sorte de sport traditionnel assimilé à la tauromachie, mais aussi rituel malgache consistant en un combat à mains nues entre un homme et un zébu, mais sans volonté d’abattre ce dernier.
  • [3]
    Oiseau, poule d’eau.
  • [4]
    Considéré comme étant le plus grand des lémuriens, il est endémique de l’est de Madagascar.
  • [5]
    Plante aromatique des forêts de montagne.
  • [6]
    Gris-gris, talismans.
  • [7]
    Force sacrée résidant dans la nature, certains objets ou lieux mais aussi les êtres, particulièrement les ancêtres, dans la croyance malgache.
  • [8]
    Terme utilisé pour qualifier le colon, et par extension le « Blanc ».
  • [9]
    Camps installés en France et appartenant à l’armée allemande où ont été internés les prisonniers « indigènes » ayant combattu pour l’armée française durant la Seconde Guerre mondiale.
  • [10]
    Ethnie vivant au nord des hautes terres centrales dont le royaume a été désigné « de Madagascar » par les puissances européennes qui s’en étaient rapprochés avant la colonisation.
English version
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1« Je ne suis pas comme les autres. Je ne l’ai jamais été. Dans l’arène face au bœuf, demandez à n’importe qui. “Zébu boy ! Zébu boy !” Les gens hurlaient mon nom. J’étais le plus grand. J’étais l’invaincu. »

2C’est d’une plume incisive et hardie qu’Aurélie Champagne nous livre dans ce premier roman aux allures de road trip l’épopée d’Ambila, surnommé « Zébu boy » par ses pairs en vertu de ses prouesses inouïes au savika[2]. Un roman d’un peu moins de 300 pages ; dont le projet, initié à la suite d’un deuil et d’un retour aux sources à Madagascar, aura maturé pendant quinze ans.

3Partie à 20 ans pour la Grande Île dans la volonté de renouer avec ses racines paternelles, l’auteure apprend que son nom de jeune fille, « Razafindrakoto » – qu’elle croyait signifier « Fils de Prince » – n’est en fait qu’un patronyme des plus communs. Une brèche – ouverte par cette quête identitaire – vers plus transcendant : les méandres de l’histoire de l’île – celle que les Malgaches susurrent entre eux, sans rien atténuer pourtant de sa gravité. Ainsi de l’insurrection de 1947, qui reste un événement relativement tu dans la mémoire collective malgache contemporaine, ou évoqué de manière indûment anecdotique – bien qu’on lui attribue plus de 30 000 morts et une journée de deuil national le 29 mars.

4À travers le périple initiatique d’Ambila, Aurélie Champagne nous conte le soulèvement de ce peuple insulaire, arborant sagaies et amulettes. On croit entendre les grondements s’élevant crescendo, dans un décor mystique, en terre antemoro, une ethnie du sud-est de Madagascar, connue pour sa maîtrise de l’art divinatoire. La forêt se réveille, son tumulte nous habite et nous berce, l’écho du chant du droviky[3], les cris des indris [4] résonnent en creux tout au long de la narration. C’est aussi un voyage à travers les sens : le rouge vif du vahia[5] qui a fleuri, couleur d’apparat des rois, de l’étoffe qui enveloppait ses aody[6], de la robe de sa mère agonisante… Le parfum du giroflier, du ricin mêlé au reliquat de ce flacon de Shalimar, les effluves de ces corps décomposés au fond du cachot.

5Rappel, aussi, de la relation intime des Malgaches à la nature et à la spiritualité ; ode au hasina[7] – dont le personnage se découvre être habité depuis toujours, et qui lui a permis de survivre à la guerre, à sa mère et à son père, à l’inéluctable. Et de se rebaptiser : « Aombitsimitoviaminaombilehibe » (« Le-zébu-qui-n’est-pas-semblable-aux-autres-grands-zébus »). Ce sera son cinquième nom, car il était de coutume sur l’île (avant une plus stricte régularisation de l’état civil) d’en porter plusieurs au long de son existence – un changement de nom signifiant un changement de vie, voire plus : un changement d’âme.

6Tout commence par le retour au pays du personnage principal, après avoir combattu dignement pour « La Grande France » : la fierté bafouée, dépouillé même de ses godillots – car même ça, le Vazaha[8] lui aura pris… Il incarne ces soldats « indigènes » vainement nourris de l’espoir de la nationalité française, que la métropole leur avait promise. Cette même métropole qui les laissera croupir aux Frontstalags [9] avant de les renvoyer chez eux, esquintés et sans un rond. Ce bel Ambila, dont on vantait le panache, ne connaîtra que l’ignominie à son retour, ça et la mort de son père. Il n’aura qu’une seule obsession : reconstituer dans la plus grande indifférence, ou presque, le cheptel de son aïeul pour rétablir l’honneur de la famille. Mais il se retrouvera inopinément embarqué dans une autre guerre, cette fois contre les colons français, les fahavalo, sans toutefois perdre de vue une seule seconde son ambition première. Le parcours du personnage en dira long sur celui d’une nation entraînée dans un lacis d’ardentes croyances spirituelles – un pragmatisme astreint par une logique de résilience.

7La survie et le deuil façonnent la trame de l’intrigue, dressant le portrait de personnages dont la complexité interpelle – faisant écho à la scabreuse position des colons partisans de l’indépendance de l’île et des religieux français, mais aussi aux prérogatives dont disposaient les Merina [10] et à l’ambiguïté de la relation qu’ils entretiennent avec les côtiers – tantôt antagonique, tantôt narquoise. La dissemblance de leurs dialectes, bien que normalement manifeste, n’étant toutefois pas évoquée.

8Zebu boy est un roman de caractère, à l’image de la couverture de l’ouvrage, « rugueuse et martelée comme un passé indicible », lit-on. L’auteure nous entraîne sans artifices ni échappatoire dans une incursion vertigineuse – dont la vélocité, émaillée de maints mots malgaches, sans glossaire annexé, peut escarper l’abord de certaines scènes, désarçonnantes et dissuasives, ou plus intrigantes encore ?

9Le pas est donné, gauche, droite, gauche, droite… Et une mélodie, graduellement frénétique, psalmodie à l’oreille du lecteur une lointaine incantation, presque entêtante, ondoyant depuis une île rouge, mère de celui qui, par la force des choses, ne craignait plus le froid.


Date de mise en ligne : 04/10/2021

https://doi.org/10.3917/afco.271.0303

Notes

  • [1]
    Monsieur Toussaint Louverture, 2019.
  • [2]
    Sorte de sport traditionnel assimilé à la tauromachie, mais aussi rituel malgache consistant en un combat à mains nues entre un homme et un zébu, mais sans volonté d’abattre ce dernier.
  • [3]
    Oiseau, poule d’eau.
  • [4]
    Considéré comme étant le plus grand des lémuriens, il est endémique de l’est de Madagascar.
  • [5]
    Plante aromatique des forêts de montagne.
  • [6]
    Gris-gris, talismans.
  • [7]
    Force sacrée résidant dans la nature, certains objets ou lieux mais aussi les êtres, particulièrement les ancêtres, dans la croyance malgache.
  • [8]
    Terme utilisé pour qualifier le colon, et par extension le « Blanc ».
  • [9]
    Camps installés en France et appartenant à l’armée allemande où ont été internés les prisonniers « indigènes » ayant combattu pour l’armée française durant la Seconde Guerre mondiale.
  • [10]
    Ethnie vivant au nord des hautes terres centrales dont le royaume a été désigné « de Madagascar » par les puissances européennes qui s’en étaient rapprochés avant la colonisation.

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