Couverture de AFCO_261

Article de revue

Le bois, énergie de première nécessité en Afrique

Une ressource trop souvent négligée

Pages 201 à 222

Notes

  • [1]
    Initialement, le CILSS regroupait les pays suivants : Burkina Faso, Cap-Vert, Gambie, Guinée-Bissau, Mali, Mauritanie, Niger, Sénégal et Tchad. Depuis, le Bénin, la Guinée, la Côte d’Ivoire et le Togo l’ont rejoint.
  • [2]
    Plus de soixante références d’études et d’assistance technique sur le bois énergie, financées principalement par l’Agence française de développement (AFD), la Banque mondiale, la coopération allemande (GIZ, KfW) ou l’Union européenne.
  • [3]
    Bénin, Burkina Faso, Cap-Vert, Côte d’Ivoire, Gambie, Ghana, Guinée, Guinée-Bissau, Liberia, Mali, Niger, Nigeria, Sénégal, Sierra Leone, Togo.
  • [4]
    Les plantations jouent toutefois un rôle important dans certains pays : c’est le cas du Rwanda, où la plus grande part du charbon de bois consommé provient de plantations privées, ou de Madagascar où les plantations d’eucalyptus approvisionnent en charbon de bois la capitale, Antananarivo.
  • [5]
    Centre pour les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique de la CEDEAO.
  • [6]
    Au Niger, le compte du Trésor constitué par le recouvrement des taxes d’exploitation forestière sur le bois énergie n’était alimenté qu’à hauteur de 10 % du montant prévisionnel calculé sur la base du trafic constaté par les enquêtes (GESFORCOM/CIRAD, 2011). En Côte d’Ivoire, les pertes de recettes fiscales sur le charbon de bois dues à la corruption sont estimées à 8 millions de dollars par an (GIZ, 2015).
  • [7]
    Dont 42 % en Afrique de l’Est, 32 % en Afrique de l’Ouest et 12,2 % en Afrique centrale.
  • [8]
    En considérant une productivité de l’ordre de 5m3/ha/an, le couvert forestier (définition FAO) de l’ensemble des pays de la CEDEAO produirait 200 à 250 millions tonnes/an de bois.
  • [9]
    La biomasse énergie comprend essentiellement des matières organiques solides allant du bois énergie et des déchets agricoles solides (paille, coques, briquettes, fumier), aux cultures énergétiques spécialisées.
  • [10]
    Programme BEST de la Facilité pour le dialogue et le partenariat (PDF) de l’Initiative de l’Union européenne pour l’énergie (EUEI).
  • [11]
    Un taux de 70 % d’exploitation non durable est souvent utilisé dans le cadre de la finance carbone volontaire.
  • [12]
    Financés notamment par l’Union européenne et l’Organisation internationale de la francophonie (OIF).
  • [13]
    L’exemple de la Gambie est parlant : la production du charbon de bois y est interdite depuis 1998 (Forest Act 1998, section 108), ce qui a eu pour effet de déplacer la production de charbon vers le Sénégal voisin.
  • [14]
    Pourtant, la production mondiale de bois énergie dépasse aujourd’hui la production de bois rond industriel en termes de volume. Dans les pays en développement et les économies en transition, elle est souvent l’utilisation prédominante de la biomasse ligneuse (FAO, 2017).
  • [15]
    Ce dernier objectif devait faire partie des nouveaux engagements reflétés dans les contributions déterminées au niveau national, suite à l’Accord de Paris adopté en 2015 pour atténuer le changement climatique.

1Au milieu des années 1970, alors que le monde industrialisé vivait son premier choc pétrolier, une alerte fut lancée : les pays en développement faisaient face à une crise majeure du bois énergie (leur principale source d’énergie), également appelée « l’autre crise de l’énergie » (Eckholm, 1975). Des affirmations alarmantes, parfois apocalyptiques, se succédèrent. Parmi elles, un rapport du Club du Sahel pour le Comité inter-État de lutte contre la sécheresse au Sahel (CILSS) [1], datant de 1978, prédisait qu’en l’absence d’action vigoureuse, une grande partie du Sahel serait devenue un désert en l’an 2000. En 1981, la FAO publia une carte présentant la perspective inquiétante d’une crise imminente, suivie d’un rapport prévoyant que 2,4 milliards de personnes seraient confrontées à une pénurie aiguë de bois énergie d’ici à l’an 2000 (Montalembert, Clément, 1983) ; et que ce dernier ne jouerait plus qu’un rôle marginal dans un grand nombre de situations. Des rapports de la Banque mondiale publiés en 1984 soulignaient la croissance accélérée du déséquilibre entre demande et offre, prédisant une disparition totale de l’offre de bois au Niger bien avant 2000 (Andersen, Fishwick, 1984), et le passage à un usage massif des bouses comme combustible en Éthiopie, avec des conséquences dramatiques en termes d’érosion et de fertilité (PNUD, Banque mondiale, 1984).

2Que s’est-il passé depuis ? Cet article s’appuie sur une longue expérience de terrain qui, dans le domaine du bois énergie, a commencé par le lancement au Sénégal, vers la fin des années 1970, d’un des premiers programmes de diffusion de foyers améliorés en Afrique de l’Ouest. Elle s’est poursuivie par de nombreuses missions de consultant dans une cinquantaine de pays, dont trente en Afrique. Cette trajectoire a été l’occasion de diriger ou participer à des équipes pluridisciplinaires pour concevoir, évaluer ou accompagner la mise en œuvre de politiques, stratégies, réformes institutionnelles et fiscales, programmes et projets concernant la gestion durable de l’offre, la rationalisation de l’approvisionnement et/ou la maîtrise de la demande de bois énergie [2]. Les points de vue exprimés ici proviennent des leçons tirées de ces missions sur l’évolution des réponses apportées, les succès et les échecs, à partir de nombreuses enquêtes et échanges avec les populations, les acteurs économiques, les responsables politiques et techniques locaux, et les experts des agences d’aide.

3La première partie présente un historique des faits, des réponses techniques et de l’aide au développement. Elle souligne que le bois énergie reste de loin la première source d’énergie dans la majorité des pays d’Afrique. Elle constate que la crise annoncée lors des années 1970 n’a pas eu lieu, mais que le couvert forestier a connu un net recul.

4La seconde partie rappelle les bonnes raisons d’agir pour faire face aux enjeux considérables que représente le bois énergie en Afrique : énergétique, en tant que source d’énergie de première nécessité ; socio-économique, par les chiffres d’affaires et les emplois engendrés ; environnemental, par la pression grandissante exercée sur les ressources ligneuses et les émissions de gaz à effet de serre ; de santé et d’égalité des genres, par les risques liés aux émissions de particules et les tâches de cuisson et de collecte du bois énergie ; et de bonne gouvernance locale avec le transfert aux collectivités rurales de la gestion et du contrôle forestiers.

5La troisième partie examine les erreurs d’appréciation et les freins qui ont marqué les réponses apportées par les pays et l’aide au développement. Elle met en avant la prise en compte insuffisante du bois énergie dans les politiques et les investissements. Elle souligne la méconnaissance des perceptions et attentes des consommateurs et les querelles d’experts sur les foyers. Elle décrit les freins institutionnels aux interventions dans le domaine du bois énergie, et les inconvénients pour les bailleurs de fonds.

6Enfin, la quatrième partie recommande les actions à mener. Elle porte sur la mise en place de politiques, stratégies, réglementations et fiscalités adaptées donnant au bois énergie toute la considération et la priorité qui lui revient ; la mise en œuvre de schémas directeurs d’approvisionnement des villes, basés sur des plans de gestion simplifiés de terroirs forestiers villageois et le développement de filières modernes de production de charbon de bois, afin d’assurer une offre durable de bois énergie ; et, pour réduire la demande, le développement de partenariats public-privé permettant aux ménages de trouver sur le marché et à des prix abordables les combustibles et les foyers performants et propres qui correspondent à leurs attentes.

Le bois énergie « n’a pas connu pas la crise »

7Historique. Le consensus sur la crise du bois énergie s’est traduit par une aide au développement d’abord massive, visant à atténuer la déforestation et stopper la désertification, puis dégressive. Toutes les actions envisageables ont été proposées. Cinq principales réponses techniques furent développées et mises en œuvre dans plusieurs pays : foyers pour la cuisine, techniques de carbonisation, combustibles de substitution, plantations forestières, foresterie paysanne et communautaire. Leur conception a été progressivement améliorée sur la base de l’expérience acquise sur le terrain.

8Le bois énergie, principale source d’énergie en Afrique. En pratique, la plupart des actions ont échoué, notamment la réduction significative de la demande de bois énergie. Selon les données de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’accès à d’autres combustibles tels que le gaz ou le kérosène ne s’est que légèrement amélioré et, compte tenu de la croissance démographique, la population dépendante des combustibles solides, notamment du bois énergie, n’a cessé de croître au cours des trois dernières décennies en Afrique subsaharienne (tableau 2). Malgré cette croissance, l’approvisionnement en bois énergie n’a pas connu la crise annoncée : ni pénurie notoire, ni hausse spectaculaire des prix de vente au détail du bois et du charbon de bois.

9En Afrique, le bois énergie compte en moyenne pour 70 % de l’énergie totale utilisée d’après les données 2014 de l’Agence internationale de l’énergie (AIE). Toutefois, cette moyenne masque d’importantes disparités entre les pays. La part de bois énergie dans l’énergie finale est par exemple limitée à 9 % pour les pays d’Afrique du Nord, inférieure à 50 % pour un quart des pays d’Afrique subsaharienne (avec des minima en Namibie, 13 % ; et en Afrique du Sud, 17 %), mais elle dépasse 80 % pour un tiers d’entre eux, et même 90 % au Tchad, en Éthiopie, en République démocratique du Congo et au Burundi. Les disparités sont également fortes entre les villes, où les combustibles de substitution ont parfois largement pénétré, et le milieu rural, où ce n’est pas le cas. La singularité de l’Afrique subsaharienne réside dans la forte dépendance de leurs populations urbaines au bois énergie et dans la part que celui-ci occupe dans l’énergie finale utilisée.

Tableau 1

Évolution des réponses techniques et de l’aide depuis les années 1970

FaitsRéponse techniqueAide au développement
Décennie 1970
Première crise pétrolière.
Prise de conscience du rôle du bois dans la satisfaction des besoins énergétiques.
Préoccupation grandissante au sujet de la disparition des forêts tropicales.
Émergence de l’idée de crise du bois énergie.
Grands programmes de reboisement « industriel » axés sur les essences à croissance rapide.
Programmes de diffusion de foyers améliorés et techniques améliorées de carbonisation mis en œuvre par les institutions gouvernementales.
Agglo-briquettes de déchets agricoles ou agro-industriels.
Forte préoccupation se traduisant par des financements abondants.
Décennie 1980
Échec de nombreux grands programmes de reboisement (FAO, 2001).
Faible diffusion des foyers et techniques de carbonisation améliorés.
Réorientation vers des projets à plus petite échelle impliquant les populations locales.
Prise en compte des acteurs des filières commerciales bois énergie.
Forêts villageoises, reboisements avec des essences locales et agroforesterie.
Foyers améliorés portatifs en métal et argile pour les villes.
Substitution par le kérosène et le gaz de pétrole liquéfié (GPL) subventionnés.
Schémas directeurs d’approvisionnement en bois énergie.
Élaboration de stratégies nationales pour l’énergie domestique.
Réduction progressive des financements en raison de la lassitude et des interrogations grandissantes.
Décennie 1990
Préoccupation croissante pour la protection de l’environnement et les gaz à effet de serre.
Meilleure connaissance et compréhension de la problématique bois énergie.
Mise en œuvre des stratégies énergie domestique.
Rôle accru du secteur privé.
Cadres réglementaires et fiscaux favorables.
Agences d’exécution dédiées.
Aménagement simplifié des terroirs forestiers villageois et marchés ruraux de bois énergie.
Poursuite de la réduction des financements du bois énergie.
Financement croissant de projets de protection de l’environnement, dont les mécanismes de développement propre.
Baisse progressive des subventions sur le kérosène et le GPL.
Depuis 2000
Prise de conscience des impacts sanitaires importants liés aux émissions de particules lors de la combustion du bois énergie.
Prise en compte de la décentralisation et des transferts de compétence associés.
Stratégies biomasse énergie.
Modèles de foyers améliorés propres limitant les émissions de particules.
Partenariats public-privé.
Développement des marchés ruraux en impliquant les collectivités locales.
Nouveaux combustibles de substitution (éthanol, biogaz, etc.)
Stagnation globale des financements du bois énergie.
Rôle croissant de la finance carbone dans les projets foyers améliorés.
Hausse des prix du kérosène et du GPL.

Évolution des réponses techniques et de l’aide depuis les années 1970

10Les ressources ligneuses n’ont pas disparu, même en forêts sèches. Les ressources ligneuses des pays d’Afrique sont malmenées mais elles sont encore là, et en mesure de satisfaire les besoins actuels en combustibles des populations (Madon, 2000). Elles ont été effectivement altérées par l’intervention humaine, comme l’agriculture et le pastoralisme, l’exploitation forestière pour le bois d’œuvre et de service, le prélèvement de bois de feu et la fabrication du charbon de bois, la pratique du feu pour la chasse et la collecte des essences traditionnelles ou médicinales.

Tableau 2

Part de la population sans accès aux combustibles non-solides (% et million)*,**

Tableau 2
1990 2000 2010 2012 Total Rural Urbain Afrique sub-saharienne* % 87 % 83 % 82 % 82 % 9 3% 63 % million 445 556 719 760 549 212 Afrique du Nord ** % 14 % 5 % 1 % 1 % 3 % 0 % million 17 7 2 2 2 0 Afrique du Sud % 40 % 25 % 15 % 13 % 33 % 4 % million 15 11 8 7 6 1 Amérique Latine % 29 % 20% 15 % 14 % 48 % 6 % million 129 106 89 85 62 29 Asie du Sud % 78 % 69 % 64 % 64 % 87 % 17 % million 884 957 1 044 1 073 995 91

Part de la population sans accès aux combustibles non-solides (% et million)*,**

* Y compris l’Afrique du Sud ;
** Algérie, Égypte, Libye, Maroc et Tunisie
Sources : Banque de données OMS, 2015 et Banque mondiale, 2017

11Entre 1990 et 2014, le couvert forestier a reculé globalement de 12 % en Afrique subsaharienne, avec un rythme moyen de 0,5 % par an (tableau 3). Dans les zones de savanes et de forêts sèches, le recul est plus marqué. Il atteint par exemple 21 % sur la même période dans les pays de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) [3], au taux moyen de 1 % par an, avec toutefois un ralentissement progressif au cours des dernières décennies. Le couvert forestier est en revanche en progression en Afrique du Nord et stable en Afrique du Sud.

12Cependant, les changements dans la couverture végétale ne signifient pas que sa capacité de production est détruite. La recherche a remis en cause certaines croyances, et il est maintenant établi qu’une grande partie de la dégradation observée peut être inversée avec une intervention efficace (ESMAP, Banque mondiale, 2011).

13Les besoins en terres pour l’agriculture sont de loin la principale cause de déforestation, mais une zone qui a été convertie en agriculture ne signifie pas qu’elle est définitivement déboisée. Les arbres valorisés localement sont laissés en place et, après quelques années, la zone sera mise en jachère et recolonisée par la végétation ligneuse. Plusieurs observations effectuées par des consultants forestiers lors d’études de terrain ont montré que le passage à l’agriculture se traduit par une faible perte du stock sur pied, voire par son augmentation. D’autre part, dans la plupart des régions où la durée de jachère a été raccourcie en raison de la pénurie de terres, on a observé une augmentation substantielle de la plantation d’arbres. C’est le cas depuis quelques années dans les régions de Maradi et Zinder au Niger (Buckingham, Hanson, 2015).

14L’auto-collecte du bois de feu en milieu rural a un impact limité sur les ressources ligneuses. Elle concerne en priorité le bois mort et celui provenant des défriches agricoles ou des jachères. Elle peut cependant devenir une préoccupation majeure en cas de cultures intensives ou de transition vers le charbon de bois.

Tableau 3

Évolution du couvert forestier et terres agricoles depuis 1990*,**

Tableau 3
Superficie (million ha) Évolution 1990-2014 1990 2014 million ha % %/an Afrique sub-saharienne Couvert forestier 699,0 617,2 -81,8 -12 % -0,5 % Terres agricoles 989,4 1 023,9 34,5 3 % 0,1 % Pays de la CEDEAO Couvert forestier 85,4 67,5 -17,9 -21 % -1,0 % Terres agricoles 203,8 245,1 41,3 20 % 0,8 % Afrique du Sud Couvert forestier 9,2 9,2 0,0 0 % 0,0 % Terres agricoles 95,6 96,8 1,2 1 % 0,1 % Afrique du Nord Couvert forestier 7,5 8,9 1,4 18 % 0,7 % Terres agricoles 95,8 101,2 5,4 6 % 0,2 %

Évolution du couvert forestier et terres agricoles depuis 1990*,**

* Forêts naturelles (couvert arboré de plus de 10 % sur au moins un demi hectare et d’au moins 5m de hauteur à maturité) et plantations forestières, à l’exclusion des arbres plantés dans les terres agricoles (fruitiers, agroforesterie) et les jardins (définition FAO)
** Terres cultivées ou en pâturage, à l’exclusion des terres abandonnées en raison d’une culture itinérante (définition FAO)
Source : Indicateurs de développement dans le monde (WDI), Banque mondiale, 2017

15L’approvisionnement urbain en bois énergie est considéré comme une cause importante de déforestation. Dans la plupart des pays d’Afrique subsaharienne, il est en quasi-totalité prélevé sur les ressources ligneuses (FAO, 2017), moins de 5 % provenant actuellement de plantations dédiées (Gazull, Gautier, 2015) [4]. Dans certains pays, l’exploitation est effectuée par coupes à blanc, mais il s’agit de coupes sélectives, notamment dans les zones de forêts sèches. Le prélèvement est chiffré en équivalent-hectares de bois sur pieds coupés par an, comme si les zones exploitées ne seraient plus exploitables. Dans la pratique, diverses études réalisées pour l’élaboration des stratégies énergie domestique en Afrique de l’Ouest ont confirmé que la capacité de régénération n’est pas détruite. Les durées nécessaires à la reconstitution du couvert ligneux citées dans la littérature vont de neuf à trente ans. Les bûcherons et charbonniers interrogés au Niger, au Burkina Faso, au Mali et au Sénégal affirment tous revenir dans les mêmes zones tous les sept à quatorze ans. Toutefois, en raison de la surexploitation des zones à proximité des voies d’accès qui conduisent aux villes et bourgs, ainsi que de la coupe sélective d’espèces commercialement attrayantes, il existe un risque réel de réduction de la biodiversité.

De bonnes raisons d’agir

16Une source d’énergie de première nécessité. Le bois énergie sert principalement à cuisiner les repas quotidiens, il est donc de première nécessité et représente l’essentiel de la consommation d’énergie des ménages. C’est de loin le plus utilisé dans la plupart des pays d’Afrique subsaharienne. Il est le premier combustible pour les trois quarts des habitants (plus de 300 millions) des pays de la CEDEAO (tableau 4), même si dans certains d’entre eux il est partiellement remplacé par des combustibles d’origine pétrolière, comme le gaz au Cap-Vert et au Sénégal, ou le kérosène au Nigeria.

17Le bois de feu a l’avantage de convenir aux populations pauvres et faiblement monétarisées, c’est-à-dire à la majorité des ménages ruraux et périurbains. Il peut être ramassé en furetant dans les formations ligneuses autour des villages ou des villes. Quand il est acheté en ville, le bois de feu est aussi le combustible le moins cher, à la portée des plus démunis. Il peut être acheté au jour le jour, s’adaptant alors aux conditions de revenus des acteurs du secteur informel. Il est ainsi un facteur de production peu onéreux pour de multiples petites micro-activités économiques.

18De la même manière, le prix du charbon de bois est raisonnable, et son usage, dès lors qu’il est utilisé avec un foyer amélioré, reste meilleur marché que celui des combustibles de substitution tels que le gaz ou le kérosène. En effet, ces derniers ont connu des hausses de prix significatives au cours des deux dernières décennies, avec la suppression progressive des subventions publiques devenues difficilement supportables par les budgets des États, et la montée des prix du pétrole brut. En outre, les ménages n’ont souvent pas les moyens d’investir dans l’achat d’un nouveau réchaud ou dans la consigne pour la bouteille de gaz.

19Le sous-secteur du bois énergie se caractérise aussi par son extraordinaire efficacité. En dépit du caractère informel des filières, de leur complexité et leur éparpillement entre de multiples acteurs, l’approvisionnement des villes en bois énergie se fait de façon toujours régulière et fluide.

Tableau 4

Premier combustible dans les pays de la CEDEAO (état des lieux 2012 & scénario tendanciel 2030)*,**

Tableau 4
Utilisateurs Gaz, kérosène, charbon, électricité Bois énergie (charbon de bois & bois de feu) Autres** Total Charbon de bois Bois de feu 2012 2030 2012 2030 2012 2030 2012 2030 2012 % urbains 45 % 54 % 54 % 42 % 20 % 24 % 34 % 18 % 2 % % ruraux 5 % 6 % 93 % 91 % 7 % 12 % 86 % 79 % 2 % % total 23 % 33 % 75 % 64 % 13 % 19 % 63 % 45 % 2 % Urbains (million) 61,8 146,9 74,5 114,5 27,2 65,7 47,3 48,8 2,25 Ruraux (million) 8,2 13,4 158,2 199,7 12,5 26,1 145,8 173,6 3,6 Total (million) 70,0 160,4 232,7 314,3 39,7 91,8 193,0 222,5 5,9

Premier combustible dans les pays de la CEDEAO (état des lieux 2012 & scénario tendanciel 2030)*,**

* Combustible le plus fréquemment utilisé pour cuisiner les principaux repas quotidiens ;
** Résidus agricoles, bouses, etc.
Source : ECOWAS Cooking Energy Initiative. Draft Concept Paper, MARGE, CEREEC [5]/CDEAO, 2012

20Des chiffres d’affaires et des gisements d’emplois considérables. Le bois énergie représente un enjeu économique majeur. Les filières commerciales d’approvisionnement engendrent des chiffres d’affaires considérables pour les économies locales. Dans de nombreux pays, ils sont similaires, voire plus importants, que ceux des autres sous-secteurs énergétiques (entreprises d’électricité, industrie pétrolière) ou des cultures de rente comme le coton. D’après la FAO, en Afrique, le chiffre d’affaires de la seule filière commerciale charbon de bois est estimé à 8-9 milliards de dollars par an (FAO, 2017). À titre d’exemple, il est de l’ordre de 300 millions de dollars par an au Mozambique et en Côte d’Ivoire, 650 millions en Tanzanie et 1,6 milliard au Kenya. En Afrique subsaharienne, il pourrait globalement dépasser les 12 milliards par an d’ici 2030.

21Au-delà des chiffres d’affaires, le bois énergie procure des revenus pour les populations les plus modestes et contribue ainsi à la réduction de la pauvreté. Il est souvent essentiel pour l’économie rurale, où il peut constituer la principale opportunité de revenus, parfois même de revenus de survie dans certaines zones défavorisées. D’après le Programme régional de promotion des énergies domestiques et alternatives au Sahel (PREDAS) (CILSS, 2009), environ 10 % de la population des pays du CILSS tirent des revenus du bois énergie. Les ratios estimés sont jusqu’à deux personnes par ménage utilisateur pour le bois de feu, et entre 35 et 55 emplois permanents pour 1 000 utilisateurs pour le charbon de bois, secteur plus professionnalisé. En comparaison, le GPL engendre moins de 5 emplois pour 1 000 utilisateurs. Les emplois sont créés tout au long des filières commerciales, depuis les zones de prélèvement jusqu’aux points de vente au détail. Bûcherons, charbonniers, patrons exploitants, commerçants ruraux, transporteurs et manœuvres, grossistes et courtiers, détaillants sont autant d’exemples de ce qu’il convient d’appeler les « professionnels » du bois énergie.

22Les femmes jouent un rôle exceptionnellement important dans les filières, souvent dans le commerce mais aussi dans la production : au Mali, environ 60 % des bûcherons et des charbonniers sont des femmes.

23En outre, le secteur économique bois énergie engendre des recettes fiscales par l’application de taxes et redevances qui peuvent être réinvesties en partie pour rendre les filières plus durables sur le plan environnemental en encourageant la régénération des forêts, des pratiques d’exploitation plus rationnelles et la plantation d’arbres. Ces recettes pourraient être significativement augmentées en renforçant le contrôle et en améliorant les procédures pour parvenir à des taux satisfaisants de recouvrement des taxes et redevances [6].

24Aux emplois au sein des filières d’approvisionnement s’ajoutent ceux liés à la fabrication, la distribution et le commerce des réchauds et foyers utilisés pour la cuisine. Les foyers traditionnels sont fabriqués par des forgerons et des potiers. Le développement des foyers améliorés a contribué à la création de groupement d’artisans, voire de petites entreprises semi-industrielles de production.

25Pour reprendre l’exemple de la CEDEAO, l’étude du CEREEC estime le marché potentiel des foyers à environ 14 millions d’unités par an en 2012, couvrant les nouveaux consommateurs et le remplacement des foyers usagers tous les trois ans. Ce marché serait porté, selon le scénario tendanciel, à plus de 22 millions d’ici 2030. Les prix de vente étant variables selon les modèles et les pays, dans une fourchette allant de 1 à 10 euros par unité, il est difficile d’estimer de façon fiable les chiffres d’affaires correspondants. On peut toutefois avancer qu’ils représentent actuellement plusieurs dizaines de millions d’euros par an et dépasseront cent millions d’ici 2030. Ces chiffres sont très inférieurs à ceux des filières d’approvisionnement en bois énergie, et les emplois concernés sont plus spécialisés, mais ils n’en sont pas moins significatifs à l’échelle du secteur artisanal des économies subsahariennes.

26Une pression grandissante sur les ressources ligneuses, mais une énergie renouvelable. Selon la base de données de l’OMS, la population utilisant des combustibles solides, dont principalement le bois énergie, a continué de croître et même plus rapidement depuis 2010 avec un taux de croissance de plus de 2 % par an, contre 1,5 % au cours des deux décennies précédentes. Le taux annuel atteint même 5 % dans un pays comme l’Éthiopie (Banque mondiale, AIE, 2015).

27Cette situation s’explique par une amélioration de l’accès à d’autres combustibles moins rapides que la croissance de la population. Ainsi, la part de la population utilisant le bois énergie comme premier combustible devrait baisser de plus de 10 % d’ici 2030 selon la tendance constatée, alors que le nombre d’utilisateurs augmenterait de 35 % sur la même période (tableau 4).

28Par conséquent, le prélèvement sur les ressources ligneuses va croître aussi. De plus, il va être amplifié par l’évolution des habitudes qui généralise l’usage du charbon de bois dans les zones urbaines de nombreux pays. D’après la FAO, 4 à 10 % des consommateurs d’Afrique subsaharienne passeraient chaque année du bois au charbon de bois. L’Afrique a produit 32,4 millions de tonnes de charbon de bois en 2015 [7], et la production devrait dépasser les 50 millions de tonnes d’ici 2030, si rien n’est fait pour changer la tendance. Les quantités de bois prélevées pour être carbonisées pourraient ainsi dépasser au cours des deux prochaines décennies celles prélevées pour le bois de feu. Le charbon de bois est à la fois traditionnel et moderne, adapté au contexte urbain, à la cuisine fermée, plus facile, plus confortable et plus propre d’usage que le bois. En dépit de son coût plus élevé, sa pénétration est parfois spectaculaire et probablement définitive dans la plupart des capitales. De plus en plus, les ménages urbains utilisent plusieurs combustibles, selon les besoins et parfois aussi selon leurs moyens financiers. Il est fréquent de voir coexister dans les cuisines bois, charbon de bois et gaz butane.

29Les estimations pour les pays de la CEDEAO présentées dans le tableau 5 sont parlantes. Si rien n’est fait pour modifier la tendance actuelle, bien que la part des ménages utilisateurs de bois énergie, comme premier combustible, soit globalement réduite, le prélèvement global de bois sur les ressources ligneuses pourrait croître de près de 74 % d’ici 2030. Cela est principalement dû à la progression de l’usage du charbon de bois qui, par MJ utile pour la cuisson, entraîne plus qu’un doublement du prélèvement de bois associé.

30La pression sur les ressources ligneuses va donc croître encore pendant des années, au moins deux décennies d’après l’AIE, plus ou moins fortement selon l’efficacité des mesures qui seront prises pour réduire la demande. L’enjeu est majeur, tout au moins pour les zones de savanes et forêts tropicales sèches telles que celles des pays de la CEDEAO. Leur couvert forestier (tableau 3) ne permet probablement pas, dans les conditions actuelles, de produire durablement de quoi compenser le prélèvement de bois (tableau 5) [8]. Ainsi, le risque d’une crise du bois énergie est peut-être à venir, même s’il faut rappeler que le bois n’est pas uniquement prélevé dans le couvert forestier, tel que défini par la FAO, mais également dans des formations ligneuses non répertoriées en tant que forêts, comme dans les terres agricoles, les jardins et autres ressources ligneuses non documentées (Openshaw, 2011).

31Les études menées dans plusieurs pays, avec l’appui notamment de la Banque mondiale, de l’Union européenne et de la GIZ, pour l’élaboration des stratégies énergie domestique et des stratégies biomasse énergie [9] (BEST [10]), ont toutefois montré que les ressources ligneuses devraient pouvoir faire face à la demande dès lors qu’on en stimule la régénération naturelle par une gestion rationnelle, intégrant aménagement et plantation (EUEI-PDF, GIZ, 2006).

Tableau 5

Prélèvements tendanciels de bois énergie dans la CEDEAO

Tableau 5
(en million de tonnes par an) Croissance 2012-2030 2012 2030 globale %/an Consommation de charbon de bois 8, 7 22,0 Prélèvement de bois associé 57,8 29 % 146,8 42 % 154 % 5,3 % Consommation de bois de feu 142,9 71 % 202,7 58 % 42 % 2,0 % Total prélèvement de bois 200,6 100 % 349,5 100 % 74 % 3,1 %

Prélèvements tendanciels de bois énergie dans la CEDEAO

Source : ECOWAS Cooking Energy Initiative, MARGE, CEREEC/CDEAO, 2012

32En effet, en fournissant aux communautés rurales les méthodes, la formation et l’accompagnement nécessaires, l’exploitation du bois énergie peut s’effectuer dans un cadre durable, préservant, voire enrichissant, le capital ligneux. L’expérience de transfert de la gestion forestière aux populations rurales, avec des plans de gestion simplifiés, a maintenant un recul de plus d’une trentaine d’années sur des millions d’hectares de forêts tropicales sèches. Le suivi écologique réalisé au Niger (Ichaou, 2005) a fait la preuve que le bois énergie produit dans un tel cadre est bien une ressource renouvelable.

33Les émissions de gaz à effet de serre liées à la cuisine et à la carbonisation. L’utilisation du bois énergie pour la cuisine est l’un des premiers contributeurs des émissions de gaz à effet de serre en Afrique. L’Afrique subsaharienne serait à l’origine du tiers des émissions attribuables au bois énergie à l’échelle mondiale, soit de 0,3 à 0,8 milliard de tonnes d’équivalent CO2 par an. Le tableau 6 compare les taux globaux d’émission selon que le bois est renouvelable, c’est-à-dire provenant de l’exploitation durable des ressources ligneuses et utilisé avec un foyer performant, ou non. Le bois de feu renouvelable est celui qui émet le moins de gaz à effet de serre, car la régénération naturelle ou la plantation séquestrant le carbone compense en partie les émissions lors de la combustion dans le foyer. Viennent ensuite le gaz (GPL), le kérosène et, dans une moindre mesure, le charbon de bois renouvelable. Il est important de noter que le bois énergie renouvelable émet plus de quatre fois moins que celui qui n’est pas exploité de manière durable.

34En appliquant ces taux aux pays de la CEDEAO, les chiffres soulignent là encore l’importance d’agir : les émissions globales de gaz à effet de serre dues à l’usage du bois énergie pour la cuisine s’y élevaient à 320 ou 64 millions de tonnes d’équivalent-CO2 par an en 2012, soit un écart d’un facteur 5 selon que l’on considère qu’il provient en totalité d’une exploitation non durable ou durable. Dans la réalité, une partie du bois énergie provient déjà d’une exploitation durable, mais, faute d’études systématiques sur les flux et les zones d’approvisionnement, il n’existe pas de données fiables [11]. Ainsi, on peut estimer qu’agir pour l’approvisionnement durable en bois énergie et la diffusion de foyers performants permettrait potentiellement de réduire d’un facteur 2 à 4 les émissions de gaz à effet de serre.

Tableau 6

Émissions globales de gaz à effet de serre liées à la cuisson des repas*

kg équ.-CO2/kgg équ.-CO2/MJ utileRatio/GPL
Bois de feu renouvelable0,3351310,8
Gaz de pétrole liquéfié (GPL)3,4671631,0
Kérosène3,5152011,2
Charbon de bois renouvelable1,882591,6
Bois de feu non renouvelable1,6676544,0
Charbon de bois non renouvelable9,41 2978,0

Émissions globales de gaz à effet de serre liées à la cuisson des repas*

* Y compris production (extraction), transformation (raffinage, carbonisation), transport-distribution du combustible et utilisation finale (combustion)
Source : Étude de la substitution GPL/bois - Cas de Madagascar, du Sénégal et du Togo, MARGE, AFD/FFEM, 2005

35Les risques sanitaires. Depuis les années 1990, les risques sanitaires associés à l’usage du bois énergie pour cuisiner sont devenus une préoccupation majeure, qui a notamment ravivé et intensifié l’intérêt des décideurs, des experts et de la communauté internationale pour la diffusion de foyers plus performants et propres.

36La combustion du bois énergie dans les foyers traditionnels peu efficaces (trois pierres, fourneau malgache) conduit à l’émission de grandes quantités de particules en suspension (PM) et de polluants gazeux, entraînant des niveaux de pollution de l’air jusqu’à vingt fois supérieurs aux seuils conseillés par l’OMS et d’autres organismes. Ce risque sanitaire touche particulièrement les femmes et les enfants. Les effets négatifs sur la santé sont nombreux et prouvés par plusieurs études (Bruce et al., 2000 ; Banque mondiale, 2011). D’après les données disponibles (OMS et PNUD, 2009), la fumée provenant du bois énergie utilisé pour la cuisine serait responsable de 500 000 à 700 000 décès prématurés chaque année en Afrique subsaharienne.

37Un enjeu d’égalité des genres. L’accès limité aux combustibles, tels que le gaz ou l’électricité, et aux foyers améliorés, contribue à des inégalités entre les genres et les générations. Les femmes et les enfants sont responsables de la plupart des tâches ménagères liées à la cuisine, allant de la collecte du bois de feu (et souvent de la fabrication du charbon de bois) à la cuisson des repas proprement dite. Ces activités, en plus de constituer des risques sanitaires importants, sont extrêmement chronophages.

38L’accès aux combustibles de substitution réduit la corvée de collecte du bois et les travaux de carbonisation (ou la supprime quand la substitution devient totale), facilite et réduit la durée de la cuisson des aliments. Il en va de même pour les foyers améliorés. L’exploitation durable des forêts naturelles et les plantations villageoises produisent durablement de plus grandes quantités de bois énergie à proximité des lieux de consommation, ce qui limite les distances à parcourir pour se le procurer. Combustibles de substitution, foyers améliorés et exploitation durable du bois énergie permettent ainsi d’alléger le fardeau domestique pour les femmes et les enfants, la pression sur leur santé et leur ouvrent des possibilités de participer à des activités éducatives, sociales, économiques ou de loisirs. Il est essentiel d’atténuer les impacts négatifs découlant des rôles sociaux et économiques différenciés des hommes et des femmes en matière d’énergie domestique. Les politiques doivent veiller à ce que les services énergétiques fournis visent à réduire l’écart entre les genres.

39L’apprentissage de la bonne gouvernance locale. Le transfert aux collectivités rurales de la responsabilité de la gestion forestière et du contrôle de l’exploitation de bois énergie constitue un formidable apprentissage de la gouvernance locale et de la démocratie. Les programmes bois énergie en ont jeté les bases à travers des structures villageoises, associatives ou privées, à qui l’État a délégué la responsabilité de gestion forestière, et souvent confié le recouvrement des taxes sur le bois énergie. Une part des recettes fiscales recouvrées par les structures villageoises pour le compte de l’État leur est ensuite retournée.

40Gérer les ressources forestières suppose de négocier, prendre en compte les intérêts des différents groupes locaux (agriculteurs, éleveurs, bûcherons), gérer des conflits et créer des solidarités face à d’éventuels intervenants extérieurs. Cela suppose aussi de faire fonctionner des instances collectives (assemblées villageoises, bureaux), concilier droits coutumiers et nouvelles réglementations (attribution des terres, autorisation de défriches). Contrôler l’exploitation de bois énergie demande d’acquérir une connaissance des marchés, de suivre les flux et les acteurs du transport et du commerce, de créer des capacités de négociation et de gestion. Les revenus tirés directement et indirectement (fiscalité) doivent enfin être gérés et utilisés au mieux des intérêts de la communauté.

41Les revenus directs et fiscaux du bois énergie permettent d’améliorer les finances locales. Ils créent concrètement les conditions d’application d’une gouvernance de proximité. Ces revenus sont dans une large mesure pérennes et évitent les écueils des financements temporaires des programmes publics ou de l’aide extérieure. Pour les responsables et les populations locales, gérer la ressource n’est pas seulement un devoir environnemental, c’est aussi la condition d’une autonomie financière durable, sous réserve du recouvrement efficace des recettes fiscales.

Les erreurs d’appréciation et les freins

42Une prise en compte insuffisante du bois énergie dans les politiques et les investissements. Les politiques de l’énergie donnent la part belle à l’électrification, et depuis peu aux énergies renouvelables comme le solaire, l’éolien et l’hydroélectricité. Les recherches de financement et les aides accordées sont orientées en conséquence, avec pour effet que le bois énergie, pourtant principale source d’énergie finale consommée dans la plupart des pays d’Afrique, n’occupe qu’une place réduite dans les documents de politique énergétique et dans les investissements réalisés. Les bilans énergétiques sont souvent présentés « hors bois énergie » ! Il est parfois difficile de trouver des données fiables et récentes sur le sujet dans les bases statistiques accessibles en ligne, y compris dans celles d’agences spécialisées comme l’AIE. On trouve plus facilement des données sur l’accès aux combustibles dits « modernes » ou « non-solides » que sur le bois énergie. Le fait que celui-ci soit essentiellement un secteur informel contribue sans doute à cette situation.

43Des systèmes d’information énergétiques adaptés ont été mis en place dans plusieurs pays d’Afrique dans le cadre de programmes d’assistance technique [12]. Cependant, ils ont été progressivement abandonnés, vivotent ou sont en veille faute de financements suffisants de la part des États qui n’ont pas pris de relais de l’aide internationale.

44Comme déjà souligné, la contribution du prélèvement de bois énergie à la déforestation est mal cernée et a été surévaluée. À cette surévaluation s’ajoute la préoccupation grandissante concernant les émissions de gaz à effet de serre et l’impact négatif sur la santé publique des particules en suspension émises lors de la combustion pour cuisiner. Déforestation, gaz à effet de serre et risques sanitaires ont amené bon nombre d’experts, puis de décideurs, à prôner un quasi-bannissement du bois énergie, perçu comme source d’énergie du passé et destructrice (Owen et al., 2012). Ainsi, l’accent a été mis, d’une part, sur des politiques forestières plus conservatrices et, d’autre part, sur la substitution par d’autres combustibles.

45Pourtant, décourager l’exploitation de bois énergie ou rechercher des activités économiques de remplacement pour les acteurs de la filière n’a de sens que dans les cas précis où la ressource est particulièrement dégradée ou a une valeur patrimoniale particulière (boisements classés). Le volume d’exploitation est régi par la demande : décourager ici revient à déplacer ailleurs, et les projets qui incitent les ruraux à arrêter l’exploitation forestière sont, à supposer qu’ils y arrivent, responsables d’un accroissement des coupes d’arbres hors de leurs périmètres d’intervention [13].

46Certaines évolutions récentes auraient pu contribuer à remettre en cause cette perception négative du bois énergie. Celle des pays développés d’Amérique, d’Asie et d’Europe, qui connaissent un retour du bois énergie comme source d’énergie moderne, utilisé dans des appareils performants très peu émetteurs de gaz à effet de serre et de particules en suspension. Mais aussi les succès rencontrés dans certains pays d’Asie, notamment en Chine, avec la pénétration massive de réchauds à bois énergie pour la cuisine, modernes, performants et propres, fabriqués industriellement.

47La méconnaissance des perceptions et attentes des consommateurs et des « querelles » d’experts. Le regain d’intérêt pour les foyers améliorés, dû à la réduction des risques sanitaires associés aux émissions de particules en suspension, a engendré de nombreuses initiatives internationales affichant des objectifs de diffusion ambitieux. C’est le cas de l’Initiative pour l’énergie de cuisson de la CEDEAO, déclinaison de celle des Nations unies, Énergie durable pour tous (SE4All), qui vise l’accès de tous les ménages à des appareils de cuisson ou des combustibles fiables, durables et modernes à un coût abordable à l’horizon 2030. C’est aussi le cas de la Global Alliance for Clean Cookstoves (GACC), acteur majeur depuis 2010 dans le domaine des foyers performants et propres, dont l’objectif est l’adoption de foyers et combustibles propres par 100 millions de ménages sur une période de dix ans se terminant en 2020. Toutefois, les résultats obtenus jusqu’ici laissent penser que ces objectifs ne seront probablement pas atteints.

48Un article publié il y a déjà vingt-cinq ans dans cette même revue (Madon, 1995) souligne les idées reçues et quiproquos qui avaient jalonné jusqu’alors l’histoire des foyers améliorés comme celle de la substitution. Ces mauvaises pistes ont creusé un fossé d’incompréhension entre les experts et les décideurs qui conçoivent les actions, et les consommateurs à qui elles s’adressent. La liste n’en sera pas refaite ici, mais force est de constater que la méconnaissance des perceptions, des attentes et des comportements des consommateurs en matière de bois énergie a persisté, et pour cause : ils sont rarement étudiés de façon approfondie et sans idées préconçues, et souvent mal interprétés. Les études préalables et l’élaboration des projets sont le plus souvent conduites par des technologues spécialistes des appareils de cuisson et de leurs performances, et les équipes qui les accompagnent n’ont pas de spécialistes des comportements et/ou ne disposent pas de moyens suffisants pour mener les enquêtes de terrain et les tests d’acceptabilité nécessaires.

49Par ailleurs, la conception et le choix des modèles de foyers à diffuser et de leurs stratégies de diffusion font l’objet de querelles d’experts, notamment entre, d’un côté, l’alliance internationale GACC et, de l’autre côté, ceux qui contestent son approche sur les protocoles de tests de performances thermiques et d’émissions et sur la stratégie de diffusion. En conséquence, il n’y a toujours pas de standards internationaux admis par tous, ni de tentatives de combiner les idées sur les modèles à diffuser et les stratégies pour le faire. Les deux approches sont souvent opposées alors qu’elles peuvent être complémentaires, l’une portant sur des foyers produits industriellement, l’autre privilégiant la fabrication artisanale locale.

50Des freins institutionnels. Les activités bois énergie concernent à la fois le secteur de l’énergie et celui de l’environnement et des ressources forestières. En toute logique, elles doivent s’inscrire dans le cadre des politiques, stratégies, réglementations et fiscalités de ces deux secteurs, et les programmes et projets bois énergie devraient être placés sous la tutelle partagée des ministères concernés. Mais l’expérience a montré qu’une telle tutelle partagée fonctionne rarement de façon efficace et harmonieuse. La situation est potentiellement conflictuelle, d’une part parce que l’un des ministères peut, selon le cas, revendiquer une position dominante, voire l’entière responsabilité, de la mise en œuvre du programme ou projet, ce qui peut créer des rivalités. D’autre part, les natures, volumes et coûts différents des activités à mettre en œuvre induisent des lignes budgétaires dédiées à chaque ministère qui peuvent être déséquilibrées, ce qui peut également provoquer des rivalités, voire des ressentiments. Les agences d’exécution dédiées créées dans certains pays pour mettre en œuvre des programmes et projets incluant le bois énergie ont été confrontées aux mêmes insuffisances de synergie entre tutelles ministérielles.

51Dans la pratique, la plupart des programmes et projets bois énergie sont sous tutelle unique d’un des ministères concernés, complétée en général par une instance multisectorielle de pilotage. Mais cette option n’évite généralement pas les rivalités et ressentiments, qui se traduisent souvent par une faible participation, voire un désengagement, des autres ministères.

52Un autre frein important réside dans la lenteur de la mise en œuvre effective de la décentralisation, notamment du transfert de compétence aux communautés locales concernant la gestion des ressources forestières de leur territoire. Dans de nombreux pays, cette compétence reste exercée par les services forestiers de l’État sur l’essentiel des formations forestières, ou son transfert n’est que partiel, alors que la plupart des autres compétences sont déjà totalement transférées. Cette situation ne favorise pas la responsabilisation des communautés locales et rend plus difficile le développement de la gestion participative des terroirs forestiers.

53Enfin, les conflits d’intérêt et la corruption permettent à certains acteurs importants des filières commerciales d’approvisionnement en bois énergie de contrevenir aux réglementations forestières et de prélever du bois où bon leur semble sans respecter de plan de gestion, et de ne pas payer les taxes et redevances sur le bois énergie. Ces acteurs sont des grossistes urbains, qui, dans bien des cas, contrôlent le système de transport, souvent avec la complicité de certains politiciens et fonctionnaires, quand ils ne le sont pas eux-mêmes.

54Des inconvénients pour les bailleurs de fonds. Les programmes et projets bois énergie présentent des inconvénients qui amènent souvent les bailleurs de fonds à réduire les financements qu’ils leur consacrent. Le premier d’entre eux est le caractère informel du sous-secteur bois énergie, caractérisé par la multiplicité des acteurs, l’absence de professions référencées et de réglementations, et l’inexistence de base de données historiques. Par opposition, il est évidemment plus aisé, moins risqué, de financer des programmes et projets dans les sous-secteurs de l’électricité ou des produits pétroliers disposant de réglementations et de normes, et dans lesquels les acteurs et interlocuteurs sont des grandes entreprises publiques ou privées, et dans les autres cas des entreprises déclarées et suivies statistiquement et fiscalement.

55Ensuite vient le fait que le bois énergie est souvent considéré par les forestiers comme un sous-produit comparé au bois d’œuvre et au bois de service [14], ou encore à l’arbre sur pied en tant que stockage du carbone pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Les politiques, stratégies, programmes et projets développés par les ministères en charge des ressources forestières sont majoritairement orientés vers les grands projets de conservation des forêts tropicales visant la réduction des émissions issues de la déforestation et de la dégradation forestière (REDD) et l’augmentation des puits de carbone via des pratiques sylvicoles adaptées ou des plantations (REDD+).

56Enfin, il convient de mentionner les effets de modes en matière d’approche et d’intervention. Cet inconvénient n’est pas spécifique au sous-secteur bois énergie, mais, s’agissant d’un domaine moins bien connu que d’autres, les modes y évoluent plus vite au rythme des retours d’expérience et de la progression de la connaissance. Ces changements peuvent perturber, voire briser, la nécessaire continuité à long terme, absolument indispensable dans ce domaine.

Que faire ? Quelles actions recommander ?

57Le bois énergie sera donc encore là demain ! Dans une étude conduite en 2009 pour l’AFD et la Banque africaine de développement sur la situation énergétique à l’horizon 2050, Favennec et al. (2009) ont écrit : « Il n’est pas possible d’envisager à horizon court la disparition de l’utilisation du bois de feu » et « la solution à long terme peut difficilement être le recours à des énergies fossiles productrices de gaz à effet de serre. Elle sera probablement à chercher plutôt dans la biomasse… »

58L’exemple des pays développés montre que le bois énergie est loin d’avoir dit son dernier mot : c’est un combustible disponible, une énergie du développement durable sobre en carbone dès lors que les conditions de son renouvellement pérenne sont assurées de façon adéquate.

59Il n’en reste pas moins que, si rien n’est fait, la demande en bois énergie va continuer de croître (tableau 4), entraînant l’accroissement de la pression sur les ressources ligneuses qui, ajouté aux effets du réchauffement climatique, augmentera les risques de dégradation irréversible de la régénération naturelle et de la biodiversité. Ces risques peuvent induire aussi la modification du microclimat en cas de disparition excessive du couvert forestier, avec des impacts négatifs sur les productions agricoles et les conditions de vie.

60Il convient donc d’agir et de le faire dans la durée. Les mesures à prendre et les réponses techniques à cet effet existent, mûries et éprouvées par l’importante expérience acquise depuis l’alerte lancée il y a plus de quarante ans. Les quatre principales sont présentées plus en détail ci-après.

61Des cadres politiques adaptés et des coopérations régionales renforcées. Les politiques nationales de l’énergie doivent impérativement donner au bois énergie la considération et la priorité qui lui reviennent dans les programmes d’actions et les engagements financiers. Cela passe par l’adoption et la mise en œuvre effective de stratégies bois énergie ou biomasse énergie actualisées.

62Concernant l’offre, les stratégies se déclinent en schémas directeurs d’approvisionnement en bois énergie des centres urbains, basés sur une évaluation minutieuse des potentiels en biomasse énergie, du marché des foyers performants et de la capacité des acteurs à moderniser leurs activités. Ces schémas consistent à rediriger le prélèvement vers les zones les plus propices et organiser l’aménagement des formations forestières qui s’y trouvent en marchés ruraux de bois énergie. Leur mise en œuvre doit être encadrée par un suivi-contrôle strict des flux de bois énergie, ainsi qu’un suivi-accompagnement des marchés ruraux.

63Les stratégies bois énergie supposent l’adoption de réglementations foncières et forestières, et de fiscalités instituant le transfert aux collectivités locales des compétences de gestion des formations forestières naturelles, et favorisant la modernisation des filières de production de charbon de bois. La fiscalité doit être décentralisée et viser l’autofinancement en donnant aux services centraux comme aux communautés rurales les moyens nécessaires. La transparence des flux de recettes est primordiale. Cela passe par une redéfinition du rôle des services forestiers vers une assistance au service de ces communautés et un meilleur contrôle du commerce de bois énergie. Cela suppose aussi la mise en place de protocoles de suivi environnemental, permettant de mieux orienter l’exploitation des formations naturelles et les plantations d’arbres.

64Concernant la demande, les stratégies bois énergie doivent également cibler en priorité les zones urbaines. Elles se déclinent en partenariats public-privé pour la promotion et la diffusion d’appareils de cuisson performants et propres et de combustibles de substitution.

65La conception et la mise en œuvre des stratégies bois énergie nécessitent une réorganisation de la gouvernance politique, incluant des cadres de concertation appropriés impliquant toutes les parties prenantes et des systèmes d’information fiables et pérennes regroupant les données nécessaires sur la demande et l’offre de bois énergie et de combustibles alternatifs, et sur les acteurs impliqués. Enfin, il importe de renforcer la coopération régionale pour tirer parti de l’expérience acquise et de l’expertise disponible, et pouvoir s’appuyer sur les moyens et les bases de données des organisations régionales.

66Marché rural, gestion locale des terroirs forestiers et solidarités territoriales. Développés et suivis depuis de nombreuses années en Afrique de l’Ouest, les marchés ruraux de bois énergie ont été reconnus par différentes évaluations comme la meilleure réponse actuelle à la production durable de bois énergie (ESMAP, Banque mondiale, 2012). Le marché rural, associé à un plan simplifié d’aménagement forestier et de plantation d’arbres, est un système autonome de gestion des terroirs forestiers villageois, peu coûteux et assez simple pour permettre aux populations rurales de le gérer elles-mêmes et offrir aux communautés locales des revenus suffisamment incitatifs pour qu’elles développent volontairement les marchés.

67Il s’agit d’un lieu où les grossistes-transporteurs peuvent acheter du bois énergie provenant de terroirs forestiers délimités et foncièrement sécurisés en accord entre les villageois et les autorités locales. Le marché est géré par une structure villageoise regroupant bûcherons et autres utilisateurs des ressources forestières. La structure fixe librement les prix de vente du bois énergie. Elle assure généralement le recouvrement des taxes forestières lors de la vente. Les plans simplifiés d’aménagement forestier sont convenus avec l’antenne locale des services forestiers. Ils visent à limiter le prélèvement de bois énergie à la capacité de production durable des ressources, et à appliquer des règles de coupe et de foresterie simples incluant la plantation d’arbres. Lorsque le marché commercialise du charbon de bois, les règles portent également sur l’amélioration des techniques de séchage et de carbonisation.

68Le développement des marchés ruraux doit s’inscrire dans le cadre de solidarités territoriales pour éviter les concurrences et les conflits entre communautés d’un même bassin d’approvisionnement.

69Vers des filières modernes de production de charbon de bois. Le charbon de bois est le combustible domestique majeur de demain en Afrique en termes de pression sur les ressources ligneuses mais aussi d’émissions de gaz à effet de serre. Les quantités de bois prélevées et les émissions dues au charbon de bois dépendent notamment des techniques de carbonisation utilisées. Celles traditionnellement répandues en Afrique, souvent des meules en terre, ont un rendement pondéral allant de 10 à 22 %, mais plus généralement entre 10 et 15 %. Des gains importants peuvent être obtenus avec des techniques plus performantes comme les fours en briques ou métalliques, dont les rendements vont de 20 à 30 %, ou certains fours modernes et industriels, type cornue ou à chambre de carbonisation, qui atteignent jusqu’à 40 %. Leur usage pourrait donc réduire de moitié le prélèvement de bois et les émissions liées à la carbonisation. Ces techniques nécessitent des investissements, souvent au-delà des moyens financiers des charbonniers des filières informelles d’Afrique.

70La croissance rapide de l’activité commerciale autour du charbon de bois et l’importance des chiffres d’affaires qu’elle engendre, auxquels s’ajoute la relative concentration des acteurs dans les bassins d’approvisionnement des villes, sont a priori propices à la modernisation des filières de production. Les enjeux de déforestation et de changement climatique justifient que des moyens adaptés soient mobilisés. Ces derniers comprennent notamment la mise en place de réglementations et fiscalités incitatives à la création d’entreprises modernes de production de charbon de bois, l’accès facilité aux financements pour réaliser les investissements, les formations techniques et l’appui à la gestion d’entreprise, la veille technologique, la mise en place de labels ou certifications, la coréalisation de campagnes de promotion, l’organisation d’échanges régionaux, etc.

71Les filières modernes de production doivent également porter sur la valorisation sous forme d’agglo-briquettes de biomasse carbonisée (résidus agricoles, agroalimentaires, de bois) et de poussière de charbon de bois.

72À chacun son foyer performant et propre, ainsi que son combustible. En plus des modèles diffusés dans de nombreux pays (Jiko au Kenya, Sewa au Mali), les progrès récents ont permis de concevoir une deuxième génération de foyers qui, au-delà d’être plus performant, réduisent également les émissions de particules en suspension. L’offre de modèles sur le marché s’est ainsi diversifiée et en partie industrialisée. L’expérience acquise a mis en évidence quatre conditions nécessaires au succès de la diffusion des foyers améliorés : garantir l’efficacité et la qualité des foyers diffusés sur le marché ; les commercialiser à un prix abordable ; bien informer les ménages sur leur disponibilité et sur leurs avantages ; et faire preuve de réalisme dans le choix des objectifs de diffusion.

73D’importants efforts restent à faire dans le domaine des combustibles de substitution. Si le GPL a significativement pénétré le marché par endroits, en revanche, les filières de combustibles bioénergétiques (éthanol, biodiesel) sont encore peu développées.

74Les quelques lignes d’actions que nous avons ébauchées restent toujours d’actualité. En premier lieu, à chacun son combustible et son foyer : il faut offrir aux ménages un choix aussi ouvert que possible de combustibles et modèles de foyers, tout en ciblant les efforts de promotion de chacun vers son créneau de marché, selon la ville, le niveau de revenu, etc.

75Il s’agit aussi de mieux comprendre et suivre les consommateurs, leurs comportements, leurs tendances de consommation, leurs sensibilités aux prix et leurs attentes : des méthodes efficaces existent pour le faire, inspirées de celles utilisées en marketing et progressivement adaptées aux réalités africaines. Elles doivent permettre de concevoir et adapter les stratégies commerciales de diffusion des foyers et combustibles de substitution, en prenant en compte au plus près les logiques de consommateurs.

76Enfin, il est important de s’appuyer sur les dynamiques privées et de les accompagner pour diffuser les foyers performants et les combustibles de substitution : il faut mettre en place les moyens pour stimuler les initiatives et la libre entreprise afin de favoriser la concurrence au profit des consommateurs. Ces moyens comprennent notamment l’allégement des contraintes administratives et fiscales, l’accès facilité aux financements nécessaires au développement d’unités modernes de production artisanale, semi-industrielles, voire industrielles, les formations techniques et l’appui à la gestion d’entreprise, la veille technologique, la mise en place de labels ou certifications, la coréalisation de campagnes de promotion, l’organisation de foires-expositions et d’échanges régionaux, etc.

Conclusion

77Le bois énergie satisfait actuellement le principal besoin énergétique de première nécessité de la grande majorité des populations africaines à la campagne comme à la ville, disponible pratiquement partout et à la portée du plus grand nombre. Il occupe ainsi toujours une place prépondérante dans les bilans énergétiques des pays de l’Afrique subsaharienne. Sa commercialisation engendre des chiffres d’affaires importants et de nombreux emplois ruraux et urbains, parfois de survie. Il paraît donc difficile de s’en passer. Toutefois, la croissance de la consommation, notamment celle de l’usage du charbon de bois, faute d’accès à des combustibles alternatifs abordables, se traduit par une pression sur les ressources ligneuses et des émissions de gaz à effet de serre de plus en plus préoccupantes. Les particules émises lors de la combustion représentent des risques sanitaires graves. Il paraît dès lors indispensable d’agir rapidement, efficacement et dans la durée.

78Il importe avant tout d’accorder au bois énergie la considération et l’importance qui lui sont dues au cœur des politiques énergétiques et environnementales nationales et régionales. L’objectif devrait être de parvenir le plus rapidement possible à un mode d’exploitation durable des forêts naturelles et la réduction de moitié du prélèvement de bois, concomitamment à celle d’au moins 2 à 4 des émissions de gaz à effet de serre par rapport au scénario tendanciel [15].

79L’atteinte d’un tel objectif passe par l’adoption et la mise en œuvre de stratégies multi-interventions concourant à la modernisation globale du secteur bois énergie, depuis l’arbre sur pied jusqu’à l’utilisation énergétique finale. Les pistes d’intervention ont été éprouvées. L’expérience a permis de les consolider et d’en identifier les conditions de réussite. Les interventions doivent être menées de front et de façon coordonnée car elles interfèrent entre elles et aucune ne constitue seule la solution. Il s’agit à la fois de développer la gestion durable participative de la ressource à l’échelle villageoise et de stimuler la modernisation des filières commerciales de production de charbon de bois, de biocombustibles alternatifs et de foyers performants et propres.

80Les stratégies doivent inclure la mise en vigueur des nécessaires réformes réglementaires foncières, forestières et fiscales incitatives. Un effort significatif est à prévoir pour mieux documenter et suivre les évolutions du secteur.

81La réalisation de ces objectifs ambitieux nécessite la réelle volonté politique de mettre en œuvre les stratégies et les réformes associées, la redevabilité de tous les acteurs et la transparence, ainsi que de lutter sans merci contre la corruption. Elle nécessite également la mobilisation des financements nécessaires au niveau national et international.

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  • Madon, G. (1995), « Foyers améliorés ou substitution ? », Afrique contemporaine, n° 161, p. 209-217.
  • Madon, G. (2000), “An Assessment of Tropical Dry-Land Forest Management in Africa. What are Its’ Lessons?”, communication à la conférence Village Power 2000.
  • Montalembert, M.R., Clément, J. (1983), « Disponibilités de bois de feu dans les pays en développement », FAO.
  • Openshaw, K. (2011), “Supply of Woody Biomass, Especially in the Tropics. Is Demand Outstripping Sustainable Supply?”, International Forestry Review, vol. XIII, n° 4, p. 487-499.
  • Owen, M. et al. (2013), “Can there Be Energy Policy in Sub-Saharan Africa without Biomass?”, Energy for Sustainable Development, Elseweir, vol. XVII, n° 2, p. 146-152.
  • PNUD, Banque mondiale (1984), “Ethiopia. Issues and Options in the Energy Sector”, ESMAP, rapport n° 4741-ET.

Notes

  • [1]
    Initialement, le CILSS regroupait les pays suivants : Burkina Faso, Cap-Vert, Gambie, Guinée-Bissau, Mali, Mauritanie, Niger, Sénégal et Tchad. Depuis, le Bénin, la Guinée, la Côte d’Ivoire et le Togo l’ont rejoint.
  • [2]
    Plus de soixante références d’études et d’assistance technique sur le bois énergie, financées principalement par l’Agence française de développement (AFD), la Banque mondiale, la coopération allemande (GIZ, KfW) ou l’Union européenne.
  • [3]
    Bénin, Burkina Faso, Cap-Vert, Côte d’Ivoire, Gambie, Ghana, Guinée, Guinée-Bissau, Liberia, Mali, Niger, Nigeria, Sénégal, Sierra Leone, Togo.
  • [4]
    Les plantations jouent toutefois un rôle important dans certains pays : c’est le cas du Rwanda, où la plus grande part du charbon de bois consommé provient de plantations privées, ou de Madagascar où les plantations d’eucalyptus approvisionnent en charbon de bois la capitale, Antananarivo.
  • [5]
    Centre pour les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique de la CEDEAO.
  • [6]
    Au Niger, le compte du Trésor constitué par le recouvrement des taxes d’exploitation forestière sur le bois énergie n’était alimenté qu’à hauteur de 10 % du montant prévisionnel calculé sur la base du trafic constaté par les enquêtes (GESFORCOM/CIRAD, 2011). En Côte d’Ivoire, les pertes de recettes fiscales sur le charbon de bois dues à la corruption sont estimées à 8 millions de dollars par an (GIZ, 2015).
  • [7]
    Dont 42 % en Afrique de l’Est, 32 % en Afrique de l’Ouest et 12,2 % en Afrique centrale.
  • [8]
    En considérant une productivité de l’ordre de 5m3/ha/an, le couvert forestier (définition FAO) de l’ensemble des pays de la CEDEAO produirait 200 à 250 millions tonnes/an de bois.
  • [9]
    La biomasse énergie comprend essentiellement des matières organiques solides allant du bois énergie et des déchets agricoles solides (paille, coques, briquettes, fumier), aux cultures énergétiques spécialisées.
  • [10]
    Programme BEST de la Facilité pour le dialogue et le partenariat (PDF) de l’Initiative de l’Union européenne pour l’énergie (EUEI).
  • [11]
    Un taux de 70 % d’exploitation non durable est souvent utilisé dans le cadre de la finance carbone volontaire.
  • [12]
    Financés notamment par l’Union européenne et l’Organisation internationale de la francophonie (OIF).
  • [13]
    L’exemple de la Gambie est parlant : la production du charbon de bois y est interdite depuis 1998 (Forest Act 1998, section 108), ce qui a eu pour effet de déplacer la production de charbon vers le Sénégal voisin.
  • [14]
    Pourtant, la production mondiale de bois énergie dépasse aujourd’hui la production de bois rond industriel en termes de volume. Dans les pays en développement et les économies en transition, elle est souvent l’utilisation prédominante de la biomasse ligneuse (FAO, 2017).
  • [15]
    Ce dernier objectif devait faire partie des nouveaux engagements reflétés dans les contributions déterminées au niveau national, suite à l’Accord de Paris adopté en 2015 pour atténuer le changement climatique.
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