Couverture de AFCO_260

Article de revue

Jacques Brasseul. Histoire économique de l’Afrique tropicale

Pages 128 à 130

Notes

  • [1]
    Armand Colin, 2016.
  • [2]
    L’Histoire générale de l’Afrique a été publiée entre 1980 et 1999 par l’Unesco. Ce projet est représentatif de la forte demande de reconnaissance de son identité du continent. Parmi les rédacteurs, les historiens africains sont largement représentés (comme Joseph Ki Zerbo, Cheikh Anta Diop et Amadou Hampaté Bâ), constituant les deux tiers des membres du comité scientifique international chargé de superviser la rédaction.
  • [3]
    La Découverte, 2011.
English version
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1Après tant de grands auteurs, écrire une histoire de l’Afrique relève de la gageure, et on s’interroge. Quelques années comme enseignant (en l’occurrence à Dakar) suffisent-elles à faire d’un généraliste un spécialiste ? La question se pose en lisant cet ouvrage de Jacques Brasseul, déjà auteur d’une Histoire des faits économiques et sociaux, et d’un manuel d’économie du développement, paru dans une collection de référence chez Armand Colin.

2L’adjectif « tropical », pour désigner l’Afrique subsaharienne, pose problème, autant pour un géographe que pour un économiste. Il exclut évidemment le Maghreb, mais aussi Madagascar, et pose question pour la partie australe, notamment pour l’Afrique du Sud. Autre question : peut-on aujourd’hui écrire sur l’Afrique sans les Africains ? On notera pour s’en étonner – et peut-être pour sans plaindre – le peu de références dans ce livre aux auteurs originaires du continent. Cheikh Anta Diop n’a droit qu’à une modeste mention dans le prologue pour être écarté dans les 350 pages qui suivent. On cherche en vain les autres références pourtant incontournables, comme par exemple celle de l’école congolaise (Elikia M’Bokolo, Isidore Ndaywel è Nziem, Léon de Saint-Moulin), qui ont collaboré avec le Kenyan Bethwell Allan Ogot et deux cent trente historiens pendant trente-cinq ans au formidable projet des huit volumes de l’Histoire générale de l’Afrique de l’Unesco [2].

3Ce livre de vulgarisation résulte d’un travail de compilation et de synthèse et non d’un travail original sur des archives et des documents de première main. À sa lecture, on rencontre quelques passages qui méritent l’attention, comme la présentation des grands empires (Nubie, Aksoum, Ghana, Songhaï, Kanem-Bornou), l’exposé de la relation ancienne de l’Afrique à la Chine, dès le xve siècle, ou le bon chapitre d’une trentaine de pages consacrée au Portugal. Certaines mises en cause sont toujours utiles, tant les idées de clivage sont tenaces, par exemple, la dénonciation de l’opposition entre cultures vivrières et cultures de rente. Mais au-delà de ces rappels pertinents, d’autres passages laissent insatisfait, voire pantois.

4Il faut être particulièrement audacieux pour nier, comme le fait l’auteur, les désavantages économiques qu’apporta la traite esclavagiste pour l’Afrique : « Il est douteux que le prélèvement humain ait retardé l’accumulation du capital en Afrique. » Dans l’écriture de la traite, on le sait, il y a toujours une sous-estimation, d’une part, des facteurs internes qui ont favorisé son déclenchement, puis son fonctionnement, et, de l’autre, de ses conséquences – qui furent éventuellement bénéfiques pour certaines entités politiques côtières – sur les économies d’enclave locales, mais la concision abusive de l’exposé de l’auteur laisse insatisfaite la curiosité du lecteur.

5On s’interroge encore : combien de temps faudra-t-il attendre pour que l’histoire de la traite et de la colonisation racontée par les Africains soit enfin reconnue et enseignée, comme l’est l’histoire des croisades racontée par les Arabes depuis qu’Amin Maalouf, inspiré par des textes anciens des chroniqueurs arabes de l’époque, a entrepris cet œuvre salutaire ?

6D’autres passages posent problème. L’auteur reprend largement à son compte la célèbre conception économique des processus de la décolonisation d’A.G. Hopkins, laquelle distingue deux temps forts : la crise de la fin du xixe siècle qui déclencha la conquête et le scramble colonial, puis la crise de 1929, qui déboucha sur la montée des nationalismes.

7Un tel raccourci n’apprend rien, sinon qu’il permet à l’auteur, avec toujours autant d’audace, de conclure en reprenant à son compte le concept d’« impérialisme humanitaire », souvent utilisé par les partisans de l’intervention militaire en situation de crise, pour caractériser le curieux mélange dans les motivations des puissances européennes : « abolir la traite et l’esclavage, pacifier le continent, faciliter la pénétration des missionnaires, éduquer et civiliser, et en même temps annexer, conquérir, asservir, réserver des sources de produits tropicaux et de matières premières, étendre son empire culturel et linguistique, se réserver des marchés pour les produits manufacturés européens ».

8La partie consacrée à la période contemporaine (les cinquante-cinq dernières années) est encore plus frustrante (moins de dix pages). Elle s’ouvre avec la décolonisation qui, on l’apprend avec stupéfaction, se serait faite « dans l’ensemble pacifiquement ». Un historien kenyan ou camerounais aurait assurément un autre récit, évoquant ici la révolte de Mau Mau en pays kikuyu, là l’insurrection en pays bassa. Ne pas penser aux guerres de la décolonisation portugaise relève de l’erreur, voire de l’omission. S’il faut démontrer qu’il est possible de faire court tout en étant percutant, vrai et instructif, il suffit de se référer à Catherine Coquery-Vidrovitch avec sa merveilleuse Petite Histoire de l’Afrique[3]. Chez Jacques Brasseul, le raccourci ne permet pas ni d’apprécier les « dynamiques du dedans » (cher à Georges Balandier, d’ailleurs ignoré par l’auteur), ni d’évaluer le poids de l’héritage de l’histoire longue dans l’histoire récente, pas davantage qu’il ne permet de construire une prospective, comme l’a proposé le regretté Philippe Hugon à plusieurs reprises dans cette revue. On retire de ce livre le sentiment du « trop peu ou pas assez ».


Date de mise en ligne : 22/06/2018.

https://doi.org/10.3917/afco.260.0128

Notes

  • [1]
    Armand Colin, 2016.
  • [2]
    L’Histoire générale de l’Afrique a été publiée entre 1980 et 1999 par l’Unesco. Ce projet est représentatif de la forte demande de reconnaissance de son identité du continent. Parmi les rédacteurs, les historiens africains sont largement représentés (comme Joseph Ki Zerbo, Cheikh Anta Diop et Amadou Hampaté Bâ), constituant les deux tiers des membres du comité scientifique international chargé de superviser la rédaction.
  • [3]
    La Découverte, 2011.
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