Couverture de AFCO_258

Article de revue

Collecte, archivage et statistiques en Afrique

Pour un meilleur accès aux données

Pages 135 à 140

Notes

English version

1Depuis la fin des années 2000, on assiste à une sensibilisation croissante des décideurs et des bailleurs de fonds à la préservation du « patrimoine statistique[1] » en Afrique. Après les grandes opérations de collecte menées pour les besoins de la planification dans les années 1960-1970, la nécessité d’une meilleure connaissance statistique des sociétés africaines a été moins ressentie avec la libéralisation des économies. Mais quand, à la fin des années 1990, la lutte contre la pauvreté et les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD, 2000-2015) ont été inscrits en priorité sur l’agenda international, un regain d’attention s’est manifesté pour les données statistiques.

2Afin d’affiner l’analyse de cette situation nouvelle, nous avons volontairement limité son étude à la seule démographie qui présente certaines caractéristiques particulières (notamment en matière de financement) ; à l’Afrique francophone subsaharienne (en réalité 19 pays [2]), dont l’histoire et les traditions statistiques sont différentes de celles des autres régions du continent ; et à la période qui va des débuts de l’« ère statistique » dans la région à aujourd’hui (1946-2015).

3Le suivi des OMD demandait de nombreux indicateurs (60), ce qui a nécessité un effort important dans les pays africains pour une « révolution des données ». Celui des Objectifs du développement durable (ODD, 2016-2030) va demander la poursuite de ce formidable effort statistique [3].

4Cette attention portée aux données statistiques a vite montré que si des fonds considérables avaient été investis dans la collecte, beaucoup moins d’intérêt avait malheureusement été accordé à la préservation des résultats, et certains fichiers ou documents étaient devenus quasi introuvables. La sauvegarde et la valorisation de ce patrimoine statistique ont alors commencé à faire l’objet d’initiatives variées, facilitées par les développements de l’informatique et d’Internet, qui ont transformé la problématique de l’accès aux données et bouleversé la notion même d’archive : outre la version numérique des documents, les fichiers de microdonnées d’enregistrements individuels peuvent être mis en ligne, ce qui permet de les réexploiter pour de nouvelles analyses.

5La multiplication des opérations de terrain. Les administrations coloniales avaient régulièrement réalisé des « recensements administratifs » destinés à prélever l’impôt et gérer les territoires, mais ils étaient peu fiables, notoirement sous-estimés et non détaillés. L’observation démographique en Afrique francophone subsaharienne démarre vraiment dans les années 1950 avec les premiers recensements urbains en 1951 à Diourbel et Ziguinchor (Sénégal) réalisés par des statisticiens, et la première enquête par sondage au Rwanda-Urundi en 1952. Jusqu’à la fin des années 2000, il était difficile de faire l’inventaire de ces opérations : c’est la raison d’être initiale du projet Ireda (Inventaire des recensements et enquêtes démographiques en Afrique), qui a permis d’identifier, pour les 19 pays considérés et sur une période de soixante-dix ans (1946-2015), 239 opérations « nationales », c’est-à-dire couvrant l’ensemble du pays [4] : soit 12,6 opérations par pays ou encore 1,8 opération par pays et par décennie [5]. Cet article traite essentiellement de ces opérations nationales.

6Ce nombre d’opérations varie selon le pays, de 8 (Comores et Congo) à 19 (Burkina Faso et Sénégal), et a été en augmentation régulière jusqu’à la décennie 1996-2005, ainsi que l’indique le graphique suivant.

Moins d’un recensement par pays et par décennie. Nombre d’opérations par type et par décennie

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Moins d’un recensement par pays et par décennie. Nombre d’opérations par type et par décennie

7Toutes ces opérations sont essentielles pour le suivi des ODD (SDSN, 2015). Les recensements se sont stabilisés à 14 ou 15 par décennie à partir de 1976 (soit un peu moins d’1 recensement par pays et par décennie), et l’augmentation du nombre des opérations est due à l’apparition à partir de 1986 des séries internationales des enquêtes démographiques et de santé (EDS) et des enquêtes par grappes à indicateurs multiples (EGIM), qui se sont imposées dans le paysage au point que les autres types d’opérations ont presque disparu.

8Ce grand nombre d’opérations, s’il marque incontestablement un progrès dans les connaissances, ne doit pas cacher les faiblesses du système, comme l’absence de stratégie d’observation, l’insuffisante adaptation aux besoins réels des décideurs, la dépendance vis-à-vis de l’extérieur, techniquement et financièrement.

9Ces opérations statistiques n’ont généralement pas été correctement conservées du fait du manque de manuels appropriés ou des mauvais exemples en matière de préservation des données fournis par les organismes appuyant ou finançant ces enquêtes.

10C’est ainsi que les « recommandations » de la Division de statistiques des Nations unies concernant les recensements de la population et des logements, dont la première version remonte à 1949, ne parlaient jusqu’en 2008 que des publications, et aucunement de l’archivage des données, ni même de celui des documents techniques (Nations unies, 1958, p. 82). Le sujet commence à être abordé en 2008 avec la recommandation d’une diffusion à la demande en plus d’une diffusion classique grâce à des bases de données. Ce n’est qu’en 2015 que l’archivage électronique est prôné avec quelques mises en garde sur les contraintes liées à la préservation de ces données numériques (Nations unies, 2015).

11Pour répondre aux besoins des utilisateurs, l’archivage des opérations de collecte a, totalement ou partiellement, pour objectifs : l’inventaire des opérations, la description de ces opérations (métadonnées), l’accès aux « ressources » (rapports d’analyse, documents techniques, etc.), et l’accès aux fichiers de microdonnées (données individuelles). En outre, cela permet d’extraire des indicateurs variés directement utilisables.

12Les avancées dans l’archivage des données. Malgré la multiplication des opérations de terrain et les besoins grandissants des utilisateurs, les données collectées restaient encore peu utilisées, et surtout elles « disparaissaient » rapidement car elles n’étaient pas archivées. Heureusement, les progrès accomplis par les instituts nationaux de statistique (INS) sont sensibles, depuis une quinzaine d’années, et ont bénéficié d’une conjonction de facteurs déterminants.

13Les débuts d’Internet furent lents, faute d’infrastructures suffisantes mais, peu à peu, les sites Web des INS ont été mis en place. Il devient important d’être visible sur Internet, grâce au partage des informations et non à leur monopolisation au sein d’une administration. Il faut donc organiser les données et, d’une certaine manière, les archiver. Cela se traduit par des mentions légales autorisant la libre réutilisation des données comme au Sénégal, ou par une licence Creative Commons pour tout le site, comme au Rwanda.

14Des évolutions majeures ont permis le développement de l’archivage des enquêtes statistiques. En 1995 a été élaboré le standard technique DDI (Data Documentation Initiative), basé sur le langage XML pour la description des enquêtes statistiques (métadonnées descriptives et encodage des variables) [6]. Le Dublin Core, standard de description bibliographique des ressources, est né à la même époque [7]. En 2002 a été créé le groupe de travail international SDMX (Statistical Data and Metadata eXchange) qui s’articule avec la DDI pour agréger des données [8]. Les travaux continuent pour prendre en compte la grande masse des données hétérogènes du big data (ONU, 2016).

15La grande nouveauté des sites Internet des INS en Afrique est la présence de banques de données répondant à des finalités diverses [9]. Pour celles nous concernant, outre les Nada (National Data Archive), il s’agit essentiellement de deux familles de sites, versions locales ou extractions d’un site global et fournissant non des métadonnées ou des microdonnées mais des indicateurs sur le développement.

16DevInfo [10] a été élaboré par l’Unicef en collaboration avec le système des Nations unies afin de suivre les progrès réalisés vers les OMD, alors que le site Open Data for Africa [11] est une initiative de la Banque africaine de développement (BAD) pour faciliter l’accès aux données requises pour la gestion et le suivi des résultats du développement en Afrique, entre autres les OMD.

17Ces banques de données sont rarement présentées sur les sites des INS et l’utilisateur a du mal à savoir si elles sont régulièrement mises à jour et quelles sont les différences entre les sources de l’une et l’autre. On y trouve aussi quelques systèmes d’information géographique (SIG) pour établir des cartes. Sur les 19 pays considérés, 8 ont les deux sites : Burkina Faso, Burundi, Cameroun, Côte d’Ivoire, Guinée, Mali, Mauritanie et Togo (mais le site DevInfo est inopérant pour le Burkina Faso, le Burundi et la Guinée) ; le Niger et le Rwanda n’ont que DevInfo, et le Bénin et le Sénégal n’ont que Open Data for Africa. Les autres pays n’ont aucun de ces deux sites.

18L’archivage des opérations de collecte. Les INS en Afrique ont reçu l’appui de certains organismes internationaux ou sous-régionaux pour leurs différentes activités. Dans les domaines de l’archivage et de la mise à disposition des données, les principaux sites utilisés aujourd’hui sont au nombre de 6 [12].

19Le site des enquêtes démographiques et de santé (EDS) fournit l’inventaire et les ressources des 380 enquêtes de ce type (dont 227 menées dans 47 pays africains) [13]. Ce site a été pionnier en matière d’archivage et son logiciel en ligne (« STATcompiler ») permet de construire des tableaux personnalisés avec les données.

20Le site Unicef des EGIM fournit l’inventaire et les ressources des 302 enquêtes de ce type (dont 135 menées dans 46 pays africains) [14].

21L’International Household Survey Network (IHSN) [15] a été créé suite à l’adoption du Plan d’action de Marrakech pour la statistique [16]. On y trouve un catalogue central des enquêtes et recensements statistiques qui décrit les opérations (plus de 5 400) de tous domaines (et pas seulement démographique) et de tous les pays du monde, dont plus de 1 500 opérations en Afrique. L’IHSN fournit aussi des outils et des directives pour la documentation, la diffusion et la préservation de microdonnées conformément aux normes internationales. C’est ainsi qu’il promeut la création par les INS de sites Internet d’archivage, les Nada (National Data Archive).

22L’Integrated Public Use Microdata Series (IPUMS-International) est un projet du Centre de population de l’université du Minnesota [17]. Il vise à constituer des échantillons de données de recensements préalablement anonymisées et à harmoniser les variables aux fins de comparaisons internationales. Il propose les microdonnées de 277 recensements de 82 pays (dont 57 recensements de 22 pays africains).

23Le portail Ireda a pour objet l’inventaire documenté des opérations nationales de collecte démographique en Afrique [18]. Il ne gère pas les microdonnées mais indique les liens vers les sites les fournissant. Ce projet est piloté par les deux auteurs de cet article. Les 239 opérations des 19 pays y figurent [19].

24Les sites Nada sont des sites d’archivage nationaux qui décrivent de nombreuses opérations (nationales ou locales), selon les normes DDI et Dublin Core, certaines avec leurs microdonnées. Les plus anciennes sont les recensements de population la plupart du temps. Si pour ces derniers on y trouve fréquemment des documents techniques (questionnaires et manuels), il est plus rare d’y voir les rapports d’analyse qui peuvent éventuellement se trouver ailleurs sur le site Web, mais pas systématiquement.

25Ces six sites sont de natures diverses : deux sites particuliers, car dédiés à leur programme d’enquêtes, les EDS/DHS, d’une part, et les EGIM/MICS, d’autre part ; trois sites généralistes (IHSN, IPUMS et Ireda) ; enfin, les sites Nada qui sont, eux, des sites nationaux.

26L’utilisateur pourra considérer tel ou tel de ces sites (dont les caractéristiques sont résumées dans le tableau suivant) en fonction de ses besoins. De plus, il ne sera pas trop dépaysé en passant de l’un à l’autre dans la mesure où ils respectent des normes communes.

Caractéristiques des principaux sites d’archivage[20]*,**,***

tableau im2
Projet Champ Objet Couverture Opérations Inventaire Métadonnées Microdonnées Ressources*** Type* Couverture Nombre Afrique Début Afrique EDS Monde EDS Nationale 227 1985 Oui Oui Oui D+P+S+T UNICEF Monde EGIM Nationale 135 1995 Oui Non Oui D+P+T IHSN Monde STAT Toutes 1 668 1955 Non Oui Non** D + P IPUMS Monde REC Nationale 57 1969 Non Oui Oui D+T IREDA Afrique DEMO Nationale 243 1951 Oui Oui Non** D+P+S NADA Nationale STAT Toutes – Variable Non Oui Oui D+P

Caractéristiques des principaux sites d’archivage[20]*,**,***

* STAT : opérations statistiques en général ; DEMO : opérations démographiques seulement.
** Le site indique seulement un lien vers une archive externe.
*** Ressources prises en compte par chacun des sites : documents techniques tels que questionnaires, manuels (D), productions primaires (P) et secondaires (S) ou tableaux à la demande (T).

27Comparaison des sites Nada et IHSN avec Ireda en matière d’inventaire. Pour illustrer nos propos, nous allons comparer les sites Nada et IHSN avec Ireda pour les 19 pays étudiés. En fait, seuls 12 pays disposent d’un site Nada et celui de l’un d’eux (la Mauritanie) est inaccessible. Les 11 sites Nada restants décrivent au total 369 opérations et IHSN 468. Si nous ne considérons que les opérations démographiques nationales au sens d’Ireda, on en trouve 66 pour les 11 sites Nada et 95 pour IHSN, alors qu’Ireda en décrit 159, soit un pourcentage global de description des opérations de 42 % pour les Nada et de 60 % pour IHSN.

28Ce pourcentage global varie d’un pays à l’autre : de 6 (Côte d’Ivoire) à 84 (Sénégal) pour les Nada et de 44 (Côte d’Ivoire) à 75 (Mali) pour IHSN. L’amplitude de la variation est donc beaucoup plus grande pour les Nada que pour IHSN, site unique, donc plus homogène.

29En ce qui concerne l’ancienneté des opérations, le résultat de la comparaison est clair (voir graphique) : les opérations figurent d’autant mieux sur les Nada et sur IHSN qu’elles sont plus récentes. Les opérations antérieures à 1975 y figurent peu.

Trou noir sur le passé démographique en Afrique. Nombre d’opérations démographiques par site et par décennie

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Trou noir sur le passé démographique en Afrique. Nombre d’opérations démographiques par site et par décennie

Sources : National Data Archive (NADA), International Household Survey Network (IHSN), Inventaire des recensements et enquêtes démographiques en Afrique (IREDA). EdiCarto, 02/2017.

30Il semble donc y avoir un certain désintérêt du passé puisque, hormis le Sénégal qui valorise tout son patrimoine démographique, n’y figurent même pas les enquêtes de l’Enquête mondiale sur la fécondité (EMF) des années 1980 dont les fichiers de microdonnées sont pourtant archivés à Princeton ni même les premières enquêtes EDS également archivées sur le site DHS [21]. En revanche, IHSN a une très bonne couverture après 1995. Ce sont d’ailleurs les EGIM, les EDS et les recensements, grandes opérations « classiques », qui sont de loin les mieux représentés sur les sites Nada et sur IHSN.

31Ce bilan montre bien les efforts restant à accomplir, qui doivent porter sur certains pays, sur les opérations anciennes et sur les opérations autres que classiques (recensements, EDS et EGIM).

32L’accès aux microdonnées par les sites Nada. Les contenus des sites Nada (opérations locales ou nationales, démographiques ou non, avec ou sans fichier de microdonnées) sont très divers : certains Nada ne comportent que des opérations avec des microdonnées, tandis que d’autres proposent uniquement des métadonnées descriptives d’opérations.

3361 % des recensements (nationaux) de population y figurent (c’est souvent la plus ancienne opération de la partie démographique de l’archive, voire de toutes les opérations). On y trouve certes des opérations démographiques (nationales ou locales), mais seulement 35 % des enquêtes démographiques nationales y sont décrites, généralement avec leurs microdonnées.

34Même s’il y a encore de nombreuses lacunes, l’évolution est positive et on peut aujourd’hui accéder assez facilement à un certain nombre de données démographiques récentes. Mais il est aussi parfois difficile de se retrouver sur les sites, tant est grande la profusion des données et tant sont nombreux les liens cassés ; il faut souvent chercher beaucoup pour trouver les données souhaitées. Enfin, on constate qu’il y a rarement des données anciennes, même lorsqu’elles existent encore.

35Les données anciennes sont les plus menacées. La consultation des sites des INS montre les progrès effectués en matière de dissémination des résultats (Nations unies, 2014). Sur les 19 pays étudiés, 3 n’avaient pas de site en 2007 (Gendreau, Gubry, 2009) : Burundi, Comores, République démocratique du Congo. Il n’en manque plus qu’un aujourd’hui (les Comores), mais celui de la Centrafrique n’a pas été remis à jour depuis 2006 et celui du Gabon, annoncé en travaux, est assez pauvre.

36Les 16 autres sites sont modernes et régulièrement alimentés. On y trouve en quantité des indicateurs structurels ou conjoncturels et des rapports d’analyses d’enquêtes, mais curieusement la moitié des sites n’affichent plus les résultats des recensements qui s’y trouvaient pourtant au moins partiellement en 2009. Déjà, à l’époque, il n’y avait pratiquement jamais de données sur le recensement précédent, hormis des séries chronologiques sur l’évolution de certains indicateurs. Il y a là sans nul doute un signe de désintérêt du passé.

37Mais les progrès technologiques ont fourni des moyens pour faire revivre des données démographiques susceptibles de tomber dans l’oubli, même si ces avancées technologiques induisent des effets pervers dont « un appauvrissement de notre compréhension des processus démographiques qui, pour la plupart, se font sur le moyen terme, voire même le long terme » (Marcoux et al., 2014), alors que la pression se fait sur la production d’indicateurs à jour.

38Heureusement, des données non numériques peuvent encore être sauvées, puis exploitées, pour le plus grand bénéfice de la recherche démographique en Afrique. Une approche permettant de recréer les fichiers de microdonnées a ainsi été tentée par l’Observatoire démographique et statistique de l’espace francophone (ODSEF), qui a coordonné au Mali et en République démocratique du Congo un programme de numérisation des questionnaires de recensements [22].

39Il sera aussi possible de réexploiter plus aisément certaines questions grâce aux développements prometteurs de la lecture automatique. L’exemple récent de la numérisation des questionnaires du recensement du Togo urbain de 1958 conduisant à un nouveau dépouillement, coordonné par l’IPUMS et le CEPED, a rendu possible des recherches nouvelles comme sur la domesticité (Pilon, Ségniagbéto, 2014).

40Enfin, il y a certainement encore des ressources inconnues susceptibles de réapparaître un jour : dans les bibliothèques des INS qui possèdent souvent des archives oubliées et dans les Archives nationales qui possèdent des fonds remontant avant les indépendances ; à l’occasion d’un déménagement de fonds documentaires mis « provisoirement » en cartons, sans signalement aisément accessible, comme les fonds récemment déposés à l’Académie des sciences d’outre-mer en France [23] ; dans les catalogues bibliographiques de plus en plus connectés, comme le Worldcat International ou grâce à des recherches générales bien menées sur Internet qui exhument des documents d’enquêtes « inconnues ou oubliées » mis à disposition par des personnes isolées ; en faisant appel en désespoir de cause aux experts ayant participé à ces opérations : c’est ainsi que les microdonnées d’un recensement du Rwanda détruites pendant la guerre civile ont été retrouvées ou que des rapports d’enquêtes ivoiriennes introuvables en bibliothèque ont été récupérés pour Ireda chez des chercheurs retraités.

41Malgré les efforts consentis en matière de collecte et d’archivage et même si les progrès enregistrés sont réels, l’accès à l’information démographique reste souvent difficile. Celle-ci est pourtant nécessaire, voire fondamentale, notamment dans la perspective des ODD où de nombreux indicateurs nécessitent cette information, parfois au numérateur (tous les indicateurs de fécondité, mortalité, prévalence contraceptive, etc.), très souvent au dénominateur (population totale ou de certains groupes d’âges).

42Cette situation tient sans doute à des raisons macro-économiques, notamment les crises économiques et la détérioration des finances publiques, et sociopolitiques (fragilisation des États, corruption, crises politiques, sans compter les situations de guerre civile, etc.) ; aux difficultés institutionnelles des instituts de statistique ; à un manque de financements autonomes de ces instituts, d’où la place importante prise par les financements extérieurs qui orientent les choix techniques en matière d’enquêtes et de recensement ; une importance insuffisante accordée à l’information démographique et sociale et à la valeur du patrimoine démographique. Il en résulte que les données sont mal utilisées, surtout si l’on ajoute au diagnostic précédent les trop longs délais de publication des résultats, leur qualité parfois incertaine et leur faible diffusion.

43Il faut donc que les politiques des INS et des bailleurs soient revues dans ce domaine et la révolution des données en Afrique doit commencer par la résolution des problèmes de fond touchant à la production, à l’analyse et à l’utilisation des données (Center for Global Development, 2014). Car la capacité de l’Afrique de créer, collecter, gérer et analyser ses propres données est indispensable à la réussite du développement. Avec des informations plus fiables, plus fréquentes, plus accessibles, on peut promouvoir des politiques publiques plus efficaces, plus ciblées et, in fine, plus à même de répondre aux véritables besoins des populations.

44La résolution de certains de ces problèmes n’est ni sectorielle, ni technique, elle demande que la production statistique soit considérée comme une fonction permettant d’éclairer les décisions. Pour cela, il faut notamment un cadre institutionnel adéquat (Woolfrey, 2009 ; Ngwé, 2007) avec un organe efficace de coordination statistique, un budget « sécurisé » pour les INS (Dackam-Ngatchou, in UNFPA, 2001), et l’affirmation de leur rôle majeur dans la politique d’archivage des données. Tout ceci implique de la part des responsables une vision stratégique d’ensemble de l’observation démographique et une culture de l’utilisation des données pour la prise de décision.

45L’archivage et l’accessibilité des données démographiques font ainsi partie des questions à régler pour mener à bien la révolution des données. Les responsables politiques africains semblent l’avoir compris en affirmant que celle-ci doit « fournir des données à jour et ventilées destinées à éclairer la prise de décisions, la fourniture de services, la mobilisation et l’information des citoyens et stimuler ainsi la transformation sociale, économique et structurelle de l’Afrique » (CEA, 2015).

Bibliographie

Bibliographie

  • CEA (2015), « Consensus sur les données en Afrique », 8e réunion annuelle conjointe du Comité technique spécialisé de l’Union africaine sur les finances, les affaires monétaires, la planification économique et l’intégration et de la Conférence des ministres africains des finances, de la planification et du développement économique de la CEA, Addis-Abeba.
  • Center for Global Development (2014), “Delivering on the Data Revolution in Sub-Saharan Africa”, Washington DC.
  • Gendreau, F., Gubry, F. (2009), « L’observation démographique en Afrique. Leçons du passé, perspectives d’avenir, préservation et valorisation des opérations », in R. Marcoux, J. Dion (éd.), Mémoires et démographie : regards croisés au Sud et au Nord, Québec, Presses de l’université Laval, « Cahiers du CIEQ », p. 61-97.
  • Gendreau, F., Gubry, F. (2011), « L’accès aux ressources démographiques en Afrique. Contexte général, initiatives récentes et exemple d’Ireda », communication à la 6e Conférence africaine sur la population, UEPA, Ouagadougou, 5-9 décembre.
  • Marcoux, R., Richard, L., Kani Konaté, M. (2014), « Sauvegarde numérique des patrimoines démographiques : les recensements de la population et les expériences du Mali et de la République démocratique du Congo », in J.-F. Simard, A.E. Ouedraogo (éd.), Une francophonie en quête de sens. Retour sur le 1er Forum mondial de la langue française, Québec, Presses de l’université Laval, p. 329-346.
  • Nations unies (1958), “Principles and Recommendations for National Population and Housing Censuses”, Statistical Division, New York.
  • Nations unies (2014), « Atelier régional sur la diffusion et la communication des données », Niamey, 12-15 mai.
  • Nations unies (2015), “Principles and Recommendations for Population and Housing Censuses”, Revision 3, Department of Economic and Social Affairs, Statistical Division, New York.
  • Nations unies (2016), « Rapport du Groupe de travail mondial des Nations unies sur l’utilisation des mégadonnées en statistique officielle », New York.
  • Ngwé, E. (2007), « La collecte des données démographiques au Cameroun. Évolution et problèmes », African Population Studies, vol. XXII, n° 2, p. 257-279.
  • Pilon, M., Ségniagbéto, K. (2014), « Confiage, domesticité et apprentissage à Lomé à la veille de l’indépendance », Journal des africanistes, vol. LXXXIV, n° 1, p. 212-247.
  • The Sustainable Development Solutions Network (2015), “Data for Development. A Needs Assessment for SDG Monitoring and Statistical Capacity Development”, New York, 15 juillet.
  • UNFPA (2001), “Report of the UNFPA/PARIS21 International Expert Group Meeting on Mechanisms for Ensuring Continuity of 10-Year Population Censuses. Strategies for Reducing Census Costs”, Pretoria, South Africa, 26-29 novembre 2001.
  • Woolfrey, L. (2009), Archiving Social Survey Data in Africa. An Overview of African Microdata Curation and the Role of Survey Data Archives in Data Management in Africa, Le Cap, University of Cape Town.

Notes

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