1Ce « Repère » propose une typologie actualisée des différentes écoles coraniques présentes au Sénégal. Celle-ci donne une idée précise des transformations qui travaillent l’une des plus puissantes institutions d’éducation islamique.
2L’islam s’est diffusé en Afrique subsaharienne grâce à une offre éducative transmise depuis plusieurs siècles via de multiples canaux (Robinson, 2004). La connaissance du Coran, l’enseignement des textes juridiques islamiques et de la langue arabe qui leur sert de support se sont d’abord faits dans des mosquées, leurs annexes ou encore dans des demeures de lettrés musulmans, voire des boutiques de marchands s’inscrivant dans une double activité de vente, par exemple d’ouvrages, et de transmission de savoirs religieux. La formation islamique expérimente ensuite de nouvelles institutions, surtout à partir du xixe siècle, avec la popularisation de l’école coranique par les mouvements confrériques.
3Qu’est-ce qu’une école coranique ? Les enfants, et parfois les adultes, consacrent leur apprentissage à la mémorisation du livre sacré des musulmans sur plusieurs années (voir photos 1 et 2). Dans le même temps, les apprenants sont engagés dans un long processus d’initiation à la vie en société par une double quête d’un savoir-faire et d’un savoir-être sous la houlette de leur maître (Piga, 2002).
4D’autres cadres d’apprentissage se développent, notamment au siècle dernier, ce sont les médersas, portés principalement par des mouvements réformistes animés par d’anciens étudiants ou des lettrés, et créés souvent suite à un séjour de plus ou moins longue durée dans les pays arabes. « Une médersa islamique est une institution privée musulmane dans laquelle des marabouts ou des professeurs (oustaz) dispensent une éducation religieuse, mais aussi l’arabe littéraire […] avec un matériel didactique moderne (tables, bancs, tableaux) », précise l’anthropologue Olivier Meunier (1995). Elle peut présenter une autre orientation quand ses promoteurs, en plus d’enseigner l’arabe et l’islam, conçoivent des modules scientifiques à partir d’une langue européenne, qu’il s’agisse du français ou de l’anglais (Gandolfi, 2003). De nos jours se dessine, et dans certains pays se renforce, une offre d’enseignement supérieur à travers la création d’instituts, de facultés et d’universités islamiques (Dia, 2015).
5Les mots des écoles coraniques. La plus populaire institution d’éducation islamique en Afrique subsaharienne reste l’école coranique. Elle est désignée différemment en fonction des pays et des contextes linguistiques. Pour ne citer que quelques exemples, elle est appelée daara en milieu wolof sénégalais (déformation du mot arabe « dar » signifiant « maison, demeure ») ou makarantar chez les Haoussa (Hausa) du Niger et du Nigeria qui désigne un « lieu d’apprentissage ».
6Les apprenants sont aussi identifiés à travers des langues locales : au Sénégal, on pourrait dire taalibe (terme wolof) ou almuudo (mot pulaar) ; au Nigeria, on les nommerait alamjirai (Hausa), tandis qu’en Côte d’Ivoire on parlerait de garibous chez les Dioulas.
7Les enseignants connaissent aussi des désignations spécifiques : les Nigérians les appellent mallam ou alfa dans certains cas, alors qu’en Guinée ils sont nommés karamoko. Dans l’espace francophone, un terme générique sert à les désigner : marabout.
8Sous l’appellation standard « école coranique » se cache une diversité de variantes dont il ne serait pas possible de faire l’inventaire dans le cadre d’un dossier. Néanmoins, cette institution bénéficie, depuis quelques années, d’une bonne couverture scientifique dans un pays francophone, le Sénégal. D’ailleurs, en lien avec les réformes de l’éducation arabo-islamique en cours, diverses typologies des écoles coraniques sont faites par les chercheurs ou des organisations non gouvernementales spécialisés ou intervenant dans le pays (d’Aouste, 2012, p. 41-53 ; Lewandowski, Niane, 2013, p. 521-527 ; Enda-Jeunesse Action, 2005, p. 19), à partir de ce cas singulier du Sénégal.
9Daaras internats. Daara est un terme wolof qui sert à désigner l’école coranique. Il dérive du mot arabe dar qui signifie « maison, demeure ». Il en existe plusieurs modèles. On a d’abord les « daaras internats » (voir photos 3 et 4). Ils accueillent les enfants à plein-temps qui y mémorisent le Coran et dorment chez le maître. Confiés par les parents au marabout, les enfants sont entièrement pris en charge par ce dernier, qui devient leur tuteur légal. Les daaras internats peuvent accueillir de dix à une centaine de talibés (apprenants). Les élèves viennent souvent d’un village voisin ou d’une autre région du Sénégal. Les parents choisissent d’envoyer leurs enfants dans ce daara car un des membres y a pu mémoriser le Coran ou par affiliation familiale.
10Les horaires d’apprentissage du Coran et d’enseignement islamique sont basés sur le calendrier musulman (jour de repos du jeudi soir au vendredi soir). Les horaires fixes permettent d’enseigner l’humilité et la dureté de la vie (5h-7h ; 9h-12h ; 15h-17h ; 21h-23h). Certains maîtres coraniques des daaras internats sont dans l’obligation de faire mendier les enfants pour subvenir aux besoins du daara et/ou des enfants, en nourriture essentiellement et en argent. Chaque élève peut néanmoins être pris en charge par une marraine (Ndeyou daara) qui s’occupe de ses repas et de son linge. En parallèle, et selon l’avancement de l’élève dans l’apprentissage du Coran, le maître coranique peut accepter que l’élève suive une scolarité à l’école publique. Les daaras internats accueillent essentiellement des garçons âgés de 5 à 18 ans, comme celui situé dans le quartier de Keur Goumack, dans la commune de Diourbel, qui accueille uniquement des garçons et celui du quartier de Santhiaba Nord, dans la commune de Louga. Il existe toutefois des daaras internats exclusivement dédiés aux filles (voir article de Mame Fatou Sène, p. 41).
11Daaras de « quartier ». Les daaras de quartier se situent en zones urbaines, périurbaines ou rurales. Ce sont des externats ; ils accueillent les enfants uniquement la journée (8h-13h ; 15-17h). Les daaras peuvent être installés chez le maître coranique, au sein d’une mosquée ou dans un lieu en construction. Ils sont mixtes et les élèves y ont entre 3 et 16 ans, comme celui situé dans le quartier populaire de Madina Gounass, dans le département de Guédiawaye, dans la région de Dakar (voir photos 3 et 4). En grande majorité, les élèves sont également scolarisés à l’école publique. Les plus petits qui n’ont pas encore l’âge d’être scolarisé à l’école publique y étudient la journée entière. Les plus grands viennent en dehors des heures de classes. De ce fait, les effectifs d’élèves peuvent être très importants les soirs, week-ends, vacances, moments où le daara peut accueillir plus d’une centaine d’enfants, en dehors des heures de cours de l’école publique.
12Daaras mixtes. Ces daaras peuvent à la fois être des internats et externats. Certains élèves (peu nombreux) sont en internat et viennent la plupart du temps du même village que le maître coranique. D’autres élèves sont externes et habitent le quartier. Certains d’entre eux alternent l’enseignement islamique avec l’école publique dite « française ». Par exemple, on en trouve dans la commune de Diourbel (voir photos 5 et 6). Les externes sont en grande majorité des filles (de la famille du maître coranique ou du quartier).
13Daaras arabes/instituts islamiques. En plus de la mémorisation du Coran, le maître dispense quelques heures d’enseignement de langue arabe par semaine. Dans le daara « classique » ou « traditionnel », l’alphabet est uniquement enseigné pour permettre la mémorisation du Coran. Certains maîtres coraniques peuvent par leur propre moyen recruter un enseignant en langue arabe (Ustadh).
14Dans un daara situé dans la commune de Diourbel, le maître coranique, également enseignant en langue arabe à l’école publique, enseigne la langue arabe aux élèves (voir photos 5 et 6). Certains de ces daaras prennent le nom « d’institut islamique ». Ce sont de « grands » daaras qui ont une longue histoire dont les effectifs d’élèves peuvent être très importants, comme par exemple celui de Coki, avec plus de 3 000 talibés.
15Daaras franco-arabes/daaras « français ». Les daaras franco-arabes sont largement inspirés du modèle franco-arabe privé. À la différence de ce dernier, l’accent est d’abord mis sur l’apprentissage du Coran et ensuite sur l’enseignement de la langue française et de la langue arabe (les jeudis et vendredis, par exemple). Certains daaras, avec l’accord du maître coranique, peuvent introduire certaines disciplines enseignées dans l’école publique (lecture, écriture, mathématiques). Ces daaras ont pour la plupart été intégrés dans des programmes internationaux soutenus par des organisations internationales, ONG ou associations locales. Le daara de l’ONG Jamra, située à Dakar, a par exemple intégré la langue française (lecture, écriture et mathématiques) en parallèle à l’enseignement islamique (voir photo 7). Les classes sont divisées selon les niveaux et par genre.
16Daaras « modernes » privés. Ces daaras sont intégrés dans le programme appuyé par la BID (Banque islamique de développement) depuis 2011. Au nombre de 32, ils ont été choisis par les inspections d’académie et départementales. En acceptant d’intégrer ce programme d’action, les maîtres coraniques s’engagent à introduire le curriculum de « daara moderne » élaboré par l’inspection des daaras. Par ailleurs, l’État s’engage à construire de nouvelles infrastructures.
17Le daara de Pir (région de Thiès) répond à ce modèle (voir photos 8 et 9). Il est géré par l’ancien président de la Fédération nationale des associations de maîtres coraniques du Sénégal. Des enseignants en langue française sont recrutés et le daara est géré comme une école privée avec des frais d’inscriptions permettant de prendre en charge l’ensemble des élèves inscrits, uniquement des garçons.
18Daaras « modernes » publics. Ces daaras sont entièrement conçus et pris en charge par l’État sénégalais dans le cadre du lancement du projet PAMOD par la BID. Ils sont au nombre de 32 ; l’État s’engage à construire des infrastructures et à recruter des enseignants. Le curriculum de daaras modernes est introduit. L’objectif de ces daaras est de créer des passerelles entre les daaras et les écoles franco-arabes publiques. Les daaras sont gérés et régulés par les inspections d’académie et départementales.
Bibliographie
Bibliographie
- D’Aouste, S. (2012), L’Effectivité du droit à l’éducation au Sénégal. Le cas des enfants talibés dans les écoles coraniques, Paris, L’Harmattan.
- Dia, H. (2015), « Les diplômés en langue arabe au sein de l’élite sénégalaise : du symbolique à l’académique », Cahiers de la recherche sur l’éducation et les savoirs, n° 14, p. 187-206.
- Enda TM Jeunesse Action (2005), « Situation des enfants dans les écoles coraniques au Sénégal », Jeuda 114.
- Gandolfi, S. (2003), « L’enseignement islamique en Afrique noire », Cahiers d’études africaines, vol. XLII, n°s 169-170, p. 261-277.
- Lewandowski, S., Niane, B. (2013), « Acteurs transnationaux dans les politiques publiques d’éducation. Exemple de l’enseignement arabo-islamique au Sénégal », in M.C. Diop, Sénégal (2000-2012). Les institutions et politiques publiques à l’épreuve d’une gouvernance libéral, Paris, Karthala, p. 503-534.
- Meunier, O. (1995), « Enseignements de base, politiques d’éducation et stratégies éducatives en milieu haussa », Cahiers des sciences humaines, vol. XXXI, n° 3, p. 617-664.
- Piga, A. (2002), Dakar et les ordres soufis. Processus socioculturels et développement urbain au Sénégal contemporain, Paris, L’Harmattan.
- Robinson, D. (2004), Muslim Societies in African History, Cambridge, Cambridge University Press.