Couverture de AFCO_256

Article de revue

Carte électorale externe et cartographie des migrations sénégalaises

Pages 114 à 116

Notes

  • [1]
    La Global Bilateral Migration Database de la Banque mondiale fourmille d’erreurs. Pour l’année 2000, l’Arabie Saoudite et le Maroc sont absents, les chiffres pour la France et l’Allemagne sont manifestement erronés, et les chiffres pour la Grande-Bretagne, l’Éthiopie, le Soudan et la République démocratique du Congo semblent particulièrement exagérés.
  • [2]
    Au début des années 2000, les difficultés économiques de l’Afrique de l’Ouest et la crise politique prolongée en Côte d’Ivoire se combinent pour rendre l’Afrique de l’Ouest moins attractive. À la même période, le taux de départ depuis le Sénégal est deux fois plus élevé pour l’Europe que vers l’Afrique (Beauchemin et al., 2014, p. 6). Cf. Ndiaye, Robin 2012. Sur la période avant 2000, cf. Bredeloup, 1995 ; Robin 1996.
  • [3]
    Pour obtenir un taux plus rigoureusement défini, il faudrait naturellement exclure la population de moins de 18 ans, dont la proportion varie considérablement en fonction du type de migration (individuelle ou familiale, par exemple). Voir Lafleur (2013, p. 95-96) sur les différentes manières de comparer population votante et population de référence (et de définir cette dernière) pour l’électorat extérieur.
  • [4]
    Selon les chiffres du ministère des Sénégalais de l’extérieur pour 2004 (OIM, 2009, p. 53), le taux d’immatriculation consulaire des émigrés en Afrique était de 19 % (77 536 individus immatriculés pour une diaspora estimée à 410 000 par le ministère), de 66 % en Europe (125 436 immatriculés pour une population estimée de 190 000) et de 15,5 % en Amérique (6 696 immatriculés pour une population estimée à 43 200).

1La carte mondiale des effectifs électoraux de la diaspora sénégalaise a considérablement évolué d’une élection à l’autre. Ces variations nous disent-elles quelque chose de l’évolution de la présence sénégalaise dans le monde ou sont-elles le produit d’une meilleure adéquation entre le fichier électoral et la population cible ?

2Les limites de la comparaison. De toute évidence, la carte électorale externe ne peut pas être considérée comme le reflet exact des émigrations sénégalaises dans le monde. Tout d’abord, en raison des contraintes institutionnelles et légales, provenant tant du pays d’origine (l’existence d’une représentation diplomatique sénégalaise conditionne l’octroi du droit de vote aux expatriés sénégalais dans le pays concerné) que du pays d’accueil (autorisation ou non de la tenue d’un scrutin étranger sur son territoire, restrictions ou au contraire facilitation de l’ouverture de bureaux de vote sur tout le territoire, législation en vigueur sur la double nationalité).

3Ensuite, les variations d’effectifs dans le temps et dans l’espace reflètent l’évolution et l’hétérogénéité des taux d’inscription électorale auprès des consulats. Or, ces taux varient selon l’importance conjoncturelle de l’échéance électorale, la mobilisation locale des émigrés et leurs caractéristiques socio-économiques, l’étendue du territoire, la densité du réseau consulaire, la diligence plus ou moins grande du consulat. Enfin, et par définition, seuls les expatriés enregistrés auprès de leur consulat sont recensés, ce qui exclue les effectifs importants d’émigrés non inscrits ou aux pratiques circulatoires parfois difficilement conciliables avec l’inscription consulaire.

4Malgré ces limites, la carte électorale externe révèle les grandes tendances de la présence sénégalaise légale et/ou recensée dans le monde, telle que dessinée conjointement par les recensements des pays d’accueil, les données sur l’émigration sénégalaise au départ du Sénégal ou sur les flux financiers en provenance de la diaspora (Tall, 2002 ; Lessault, Mezger, 2010 ; Fall, 2013 ; Baizan et al., 2013).

5En raison du manque de fiabilité des données sur l’immigration, même légale, de populations de référence distinctes selon les critères de recensement par pays ou l’absence de données sur l’immigration dans certains pays de destination, la comparaison est nécessairement approximative. Mais les données électorales permettent parfois de suppléer au manque de données sur la présence sénégalaise dans tel ou tel pays, ou d’affiner les données agrégées ou parcellaires des organismes internationaux sur les migrations [1]. Par ailleurs, les données dont disposent les consulats sénégalais peuvent parfois être plus précises que celles du pays d’accueil, car rien n’empêche un expatrié irrégulier, non répertorié par le pays hôte, de s’enregistrer auprès de son consulat, même si les obstacles à l’immatriculation mentionnés précédemment conduisent inévitablement à une sous-représentation des effectifs réels dans les bases de données consulaires.

6Données de la carte électorale. La carte électorale ne fournit des données que pour un nombre limité de pays en 1993 et 2000, mais donne un aperçu rétrospectif des émigrations sénégalaises des années 1970 à la fin des années 1990. L’Afrique de l’Ouest (Côte d’Ivoire, Mali), l’Afrique centrale (Gabon), la France, l’Italie et dans une moindre mesure l’Allemagne sont les destinations principales des émigrants. Selon la carte électorale de 2000, les États-Unis et l’Arabie Saoudite apparaissent déjà comme des destinations alternatives. Cette géographie est partielle car l’Espagne n’apparaît pas dans la carte du vote alors qu’elle constitue déjà au tournant des années 2000 une destination importante, les Sénégalais recensés en Espagne étant aussi nombreux que ceux des États-Unis. De même, à effectifs officiels équivalents en 2000 (entre 700 et 1 000), les Sénégalais de Belgique et de Suisse ne sont pas traités à la même enseigne, les premiers faisant partie des quinze pays retenus en 2000, les seconds n’ayant pu voter qu’à partir de 2012.

7En 2007, le rattrapage de l’Espagne dans les effectifs de la carte électorale est saisissant, confirmant l’importance de cette destination migratoire. Autre absent de taille en 2000, la diaspora d’Afrique centrale, qui, hormis le Gabon, ne sera prise en compte qu’à partir de l’élection de 2007, alors que son importance est attestée depuis les années 1970 (Bredeloup, 2007). Mais, là encore, la carte électorale de 2007 corrige ces déséquilibres, comme en atteste l’apparition d’un nombre important de pays d’Afrique centrale, notamment le Congo-Brazzaville et le Cameroun.

8En raison des efforts entrepris par le gouvernement entre 2003 et 2007 pour recenser les Sénégalais de l’extérieur, la carte électorale de 2007 peut être considérée comme un reflet plus précis des émigrations sénégalaises. Elle reflète le déclin des migrations interafricaines vers l’Afrique de l’Ouest (Gambie, Côte d’Ivoire, Mali et Guinée perdent au moins la moitié de leurs électeurs entre 2000 et 2007) [2] au profit de l’Europe. Elle témoigne également du tassement des migrations vers l’Allemagne (Marfaing, 2003 ; Beauchemin et al., 2014), au profit de l’Italie, de l’Espagne – et dans une moindre mesure la Belgique et le Portugal – ou de l’Amérique du Nord. Les données électorales confirment aussi que l’émigration vers le Gabon marque le pas au tournant des années 2000, tandis que celle vers la Mauritanie et le Maghreb s’accroît fortement. Entre 2007 et 2012, ces tendances semblent s’amplifier avec la forte progression, outre le trio de tête composé de la France, l’Italie, et l’Espagne, des États-Unis, du Canada et du Maroc. Ces deux derniers pays se distinguent notamment par le triplement de leurs effectifs et les deux plus forts taux de croissance des inscrits.

Émigrés et électeurs sénégalais en Europe et aux États-Unis (2000-2012)

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Émigrés et électeurs sénégalais en Europe et aux États-Unis (2000-2012)

Sources : Recensements nationaux : INSEE (France), ISTAT (Italie), INE (Espagne), US Census (USA). Fichier électoral : CENA (Sénégal). Données 2000, 2007 et 2012. Édigraphie, 07/2016.

9Malgré une carte électorale de plus en plus inclusive, des destinations importantes demeurent absentes en 2012. À défaut de statistiques fiables sur ces destinations émergentes, les données du ministère des Sénégalais de l’extérieur sur les associations de Sénégalais à l’étranger, reconnues par le ministère en 2008, permettent d’esquisser une géographie, elle aussi imparfaite, mais sans doute plus complète, de la présence sénégalaise dans le monde (OIM 2009, p. 138). La comparaison avec la carte électorale permet d’identifier les grands absents du vote externe sénégalais : la Chine, les pays du Golfe, le Brésil, l’Inde et le Japon notamment, ainsi que l’Algérie et l’Éthiopie, auxquels il faudrait sans doute ajouter la Turquie, la Grèce, la Scandinavie ou l’Australie.

Implantation électorale et associative des Sénégalais de l’étranger

figure im2

Implantation électorale et associative des Sénégalais de l’étranger

Sources : ministère des Sénégalais de l’extérieur, de l’Artisanat et du Tourisme (2008), CENA (2012). Édigraphie, 07/2016.

10La confrontation des données de l’émigration officielle recensée ou estimée et de la carte électorale permet en outre d’estimer (très approximativement) les taux d’inscription électorale des émigrés sénégalais selon les pays hôtes. Les taux d’inscription électorale sont ici définis comme le rapport entre les effectifs d’inscrits dans le fichier électoral externe et les effectifs estimés de la population expatriée [3]. Ce taux d’inscription électorale, plus restreint par définition que le taux d’immatriculation consulaire, révèle bien l’ampleur de l’écart entre la population électorale effective et potentielle. Le taux d’enregistrement consulaire – et, pour les plus de 18 ans, électoral – est logiquement appelé à s’accroître avec le temps et constitue une préoccupation des autorités sénégalaises visant à mieux comptabiliser la diaspora [4]. Les marges de progression révèlent l’inégale inscription de la diaspora selon les pays. Le cas français est un bon exemple de l’intensification du taux d’inscription électoral, les effectifs d’inscrits ayant quadruplé entre 2000 et 2012 (passant de 11 452 à 41 037) alors que dans le même temps la population d’origine sénégalaise recensée en France aurait, au mieux, doublé.

Bibliographie

Bibliographie

  • Baizan, P., Beauchemin, C., Gonzalez-Ferrer, A. (2013), “Determinants of Migration between Senegal and France, Italy and Spain”, MAFE Working Paper 25, INED, janvier.
  • Beauchemin, C., Sakho, P., Schoumaker, B., Flahaux, M.-L. (2014), “New Patterns of Migration between Senegal and Europe”, MAFE Working Paper 21, INED, décembre.
  • Bredeloup, S. (1995), « Sénégalais en Côte d’Ivoire, Sénégalais de Côte d’Ivoire », Mondes en développement, t. XXIII, n° 91, p. 13-29.
  • Bredeloup, S. (2007), La Diams’pora du fleuve Sénégal. Sociologie des migrations africaines, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, IRD Éditions.
  • Fall, P.D. (2013), « Des Francenabé aux Modou-Modou. Géographie de la migration internationale des Sénégalais », thèse de doctorat, Dakar, UCAD.
  • Lafleur, J.-M. (2013), Transnational Politics and the State. The External Voting Rights of Diasporas, Londres, Routledge.
  • Lessault, D., Mezger, C. (2010), « La migration internationale sénégalaise. Des discours publics à la visibilité statistique », MAFE Working Paper 5, INED.
  • Marfaing, L. (2003), Les Sénégalais en Allemagne, Paris, Karthala.
  • Ndiaye, M., Robin, N. (2012), « Les migrations internationales en Afrique de l’Ouest. Une dynamique de régionalisation renouvelée », Hommes et Migrations, n° 1286-1287, juillet, p. 48-60.
  • Organisation internationale pour les migrations (OIM) (2009), « Migration au Sénégal. Profil national 2009 ».
  • Robin, N. (1996), Atlas des migrations ouest-africaines vers l’Europe (1985-1993), Paris, ORSTOM.
  • Tall, S.M. (2002), « L’émigration internationale sénégalaise d’hier à demain », in M.-C. Diop (dir.), La Société sénégalaise entre le local et le global, Paris, Karthala, p. 549-577.

Notes

  • [1]
    La Global Bilateral Migration Database de la Banque mondiale fourmille d’erreurs. Pour l’année 2000, l’Arabie Saoudite et le Maroc sont absents, les chiffres pour la France et l’Allemagne sont manifestement erronés, et les chiffres pour la Grande-Bretagne, l’Éthiopie, le Soudan et la République démocratique du Congo semblent particulièrement exagérés.
  • [2]
    Au début des années 2000, les difficultés économiques de l’Afrique de l’Ouest et la crise politique prolongée en Côte d’Ivoire se combinent pour rendre l’Afrique de l’Ouest moins attractive. À la même période, le taux de départ depuis le Sénégal est deux fois plus élevé pour l’Europe que vers l’Afrique (Beauchemin et al., 2014, p. 6). Cf. Ndiaye, Robin 2012. Sur la période avant 2000, cf. Bredeloup, 1995 ; Robin 1996.
  • [3]
    Pour obtenir un taux plus rigoureusement défini, il faudrait naturellement exclure la population de moins de 18 ans, dont la proportion varie considérablement en fonction du type de migration (individuelle ou familiale, par exemple). Voir Lafleur (2013, p. 95-96) sur les différentes manières de comparer population votante et population de référence (et de définir cette dernière) pour l’électorat extérieur.
  • [4]
    Selon les chiffres du ministère des Sénégalais de l’extérieur pour 2004 (OIM, 2009, p. 53), le taux d’immatriculation consulaire des émigrés en Afrique était de 19 % (77 536 individus immatriculés pour une diaspora estimée à 410 000 par le ministère), de 66 % en Europe (125 436 immatriculés pour une population estimée de 190 000) et de 15,5 % en Amérique (6 696 immatriculés pour une population estimée à 43 200).
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