Notes
-
[1]
Black Economic Empowerment (BEE) est un programme lancé par le gouvernement sud-africain en 1994 pour corriger les inégalités de l’apartheid en donnant aux groupes de citoyens sud-africains précédemment défavorisés (Africains noirs, métis, Indiens et des Chinois) des privilèges économiques.
-
[2]
Agent de l’Agence française de développement depuis 1995, Laetitia Habchi a été mise à disposition de la Development Bank of Southern Africa (DBSA) par l’AFD de mai 2010 à août 2013. Elle est actuellement chef du bureau des infrastructures à la Nepad Business Foundation (NBF) en Afrique du Sud (laetitia.habchi@thenbf.co.za).
1Dans cet article, Laetitia Habchi analyse le positionnement économique de l’Afrique du Sud par rapport à l’Afrique, aux BRICS et au reste du monde. S’appuyant sur les dernières données disponibles, elle décrit les points forts qui permettraient à ce pays de maintenir sa place face à l’émergence de l’ensemble du continent africain. De plus, elle dégage de plus des pistes de réflexions sur le devenir de l’Afrique du Sud en Afrique et au sein des BRICS.
2La banque d’investissement sud-africaine Rand Merchant Bank (RMB) a publié, le 9 septembre 2013, son rapport intitulé « Où investir en Afrique ? ». Selon ce rapport (RMB Global Markets Research, 2013-2014), bien que concurrencée par les nouveaux pays africains émergents (Nigeria, Kenya, Éthiopie, Ghana), l’Afrique du Sud reste en tête des pays recommandés en termes d’investissements en Afrique, principalement grâce à l’existence d’une taille critique de marché, à son organisation et à ses modes opératoires évolués.
3De même, Goldman Sachs a publié, le 5 novembre 2013, son rapport faisant un bilan positif et mesuré de la situation économique de l’Afrique du Sud vingt ans après la fin de l’apartheid (Coleman, 2013). Sans faire l’impasse sur les lacunes du pays, le rapport énumère les avancées significatives depuis vingt ans : un PIB multiplié par 2,5 passant de 143 à 402 milliards de dollars de 1994 à 2013, une croissance significative des revenus disponibles pour les populations et l’amélioration de l’accès aux services de base.
4Malgré l’annonce récente du 6 avril 2014 de l’agence Ecofin du classement du Nigeria comme première économie africaine grâce à une mise à jour statistique du mode de calcul de son PIB, l’Afrique du Sud reste positionnée en tête de pont de l’Afrique dès lors qu’il s’agit de développement. L’Afrique du Sud est largement devant le pays le plus peuplé d’Afrique en termes de PIB par habitant, par infrastructure et gouvernance.
5La première économie africaine. Avec 50,7 millions d’habitants, l’Afrique du Sud est classée quatrième en Afrique subsaharienne en termes de population après le Nigeria, l’Éthiopie et la République démocratique du Congo. Avec un PIB par tête d’habitant trois fois supérieur à celui du Nigeria et vingt-deux fois supérieur à celui de l’Éthiopie, l’Afrique du Sud est la première économie africaine.
6L’Afrique du Sud reste cependant un pays de puissance moyenne à l’échelle du monde (0,53 % du PIB mondial). C’est donc bien son positionnement géographique particulier en Afrique qui lui confère sa résonance internationale.
7Depuis une dizaine d’années, l’Afrique du Sud possède un taux de croissance en moyenne supérieure à 3 %, à l’exception de 2009, année de crise financière qui l’a particulièrement affectée étant donné son exposition sur les marchés financiers internationaux. Dans le même temps, un nombre important de pays d’Afrique subsaharienne possède des taux de croissance supérieurs à l’Afrique du Sud (voir graphique).
8Les perspectives économiques de l’Afrique subsaharienne sont positives avec un taux de croissance de 4,2 % en 2012 et 4,9 % en 2013. Si l’on exclut l’Afrique du Sud, le taux de croissance de l’Afrique subsaharienne devrait atteindre 6 % en 2015 (Chuhan-Pole, 2013). Cette forte croissance, supérieure à 7 % pour les pays « émergents » tels que le Nigeria, l’Éthiopie et le Ghana, est souvent considérée comme une menace pour l’Afrique du Sud alors qu’elle devrait être, avant tout, envisagée comme une opportunité.
9Les facteurs de la puissance économique sud-africaine. Le World Economic Forum publie annuellement un rapport faisant le point sur la compétitivité mondiale. L’Afrique du Sud (53e sur 148 pays) et l’Île Maurice (45e) sont les économies les plus compétitives de l’Afrique subsaharienne. Le Kenya (96e) et le Nigeria (120e) se situent loin derrière (Schwab, Sala, Martin, 2013).
L’Afrique du Sud, une économie intégrée soumise aux aléas économiques internationaux
L’Afrique du Sud, une économie intégrée soumise aux aléas économiques internationaux
Taux de croissance de l’Afrique du Sud et de l’AfriqueL’Afrique du Sud, une faible démographie pour un géant économique en Afrique
L’Afrique du Sud, une faible démographie pour un géant économique en Afrique
10Les éléments qui favorisent la puissance économique sud-africaine sont à rechercher dans le bon niveau général de son système économique et juridique, la robustesse de son secteur financier, le dynamisme de son secteur privé et, enfin, l’émergence de sa classe moyenne (Berry Kurland et al., 2012). Alors que les deux premiers éléments sont hérités de son passé, les deux derniers sont davantage liés aux évolutions du pays postapartheid.
11Le rapport “Doing Business 2014” de la Banque mondiale classe ce pays 10e sur 189, en ce qui concerne la protection des investisseurs et 64e pour les facilitations concernant le démarrage d’une entreprise. Elle se situe largement devant ses compétiteurs émergents africains sur ces deux thèmes. En revanche, le pays connaît depuis quelques années des difficultés à fournir suffisamment en électricité ses industries. Enfin, l’accès aux crédits est plus facile au Nigeria qu’en Afrique du Sud.
12Selon le rapport mondial de la compétitivité 2013-2014 du World Economic Forum, l’Afrique du Sud bénéficie d’un système judiciaire indépendant qui la classe 22e sur 148 (Schwab, Sala, Martin, 2013).
13Malgré la politique de Black Economic Empowerment (BEE) [1], les investisseurs étrangers et locaux sont autorisés à développer leurs activités dans tous les secteurs de l’économie dès lors que des mesures sont prises pour insérer les populations historiquement désavantagées dans leurs relations d’affaires (participation au capital, emploi, contrat). En revanche, les administrations locales rencontrent des obstacles pour délivrer les prestations de services de base à la population en raison de la croissance des bénéficiaires de celles-ci depuis la fin de l’apartheid et des capacités encore limitées des institutions locales à les traiter.
14Le système financier sud-africain est très stable. Il bénéficie en effet d’une infrastructure réglementaire efficiente, de marchés financiers bien développés et d’institutions financières solides. Selon le rapport mondial de la compétitivité 2013-2014 du World Economic Forum, le pays se classe 3e sur 148 pour le développement des marchés financiers.
15De plus, le rapport de Goldman Sachs (2013) classe le Johannesburg Stock Exchange (JSE) 15e au niveau mondial. La capitalisation boursière de JSE est dix fois supérieure à n’importe quelle autre bourse en Afrique et représente 80 % du marché des capitaux en Afrique. En termes de liquidité, l’Afrique du Sud échange environ 2 milliards de dollars par jour contre 20 millions au Nigeria, et ses taux de retour sur investissements sont compétitifs. En conséquence, les investisseurs internationaux, les fonds de pension et les multinationales choisissent davantage l’Afrique du Sud comme plateforme pour leurs investissements stratégiques en Afrique. Enfin, l’Afrique du Sud présente des taux de retour sur investissement tout à fait comparables aux grandes places financières de ce monde.
16L’un des petits bémols à ce panorama financier positif est la sous-bancarisation des individus en âge d’être bancarisés : 5,7 millions de jeunes et d’adultes sont encore exclus du système financier en Afrique du Sud (Finmark Trust, 2013). L’Afrique du Sud possède un secteur privé dynamique dominé par l’industrie des services. Ainsi, le secteur tertiaire représente 69,58 % du PIB contre 27,95 % pour le secteur secondaire et 2,47 % pour le secteur primaire (Statistic South Africa, mai 2013).
17Le rapport OCDE (2012), « Science, technologie et industrie. Perspectives de l’OCDE 2012 », présente un secteur privé sud-africain innovant. La recherche et l’innovation reposent sur les liens industrie-science. L’intégration dans les réseaux d’affaires et universitaires internationaux est bonne. Existent en Afrique du sud des concepts et produits uniques en leur genre et qui s’exportent comme, par exemple, les équipements qui entourent les activités de loisir extérieur et les solutions électroniques pour le service au client (compteurs à prépaiements, paiement électronique). Cet atout la démarque du reste de l’Afrique en particulier, et des pays émergents en général, qui trouvent davantage leur avantage compétitif dans des couts de production bas que par une vraie capacité à proposer aux marchés des produits nouveaux.
18La politique du Black Economic Empowerment du gouvernement post-apartheid a certainement influencé favorablement cette dynamique du secteur privé : la population blanche, ayant été marginalisée de la fonction publique, a dû se reconvertir dans l’entrepreneuriat privé.
19Enfin, la transition démocratique de l’Afrique du Sud a permis un doublement de sa classe moyenne. D’après le rapport « L’émergence de la classe moyenne sud-africaine » (2013) du centre de recherche de l’université de Stellenboch, celle-ci est passée de 3,6 à 7,2 millions de foyers de 1993 à 2012 et de 8,2 % à 13,9 % en pourcentage de la population. La cohésion sociale qui en résultera lui permettra de maintenir son cap de développement économique. Néanmoins, la proportion de population pauvre en Afrique du Sud restant très élevé : 23 % en 2006 contre 38 % en 2000 (World Development Indicators, World Bank, 2013), il existe donc encore un potentiel fort de croissance de sa classe moyenne inférieure.
20Malgré cet effort, l’Afrique du Sud va rapidement se retrouver étriquée sur son marché intérieur. Il est donc indispensable qu’elle réussisse à se développer sur le continent africain pour maintenir sa position de « tête de pont de l’Afrique ». Ses avancées organisationnelles, sa puissance financière et le dynamisme de son secteur privé devraient lui permettre de relever ce défi.
21Pour cela, le gouvernement devra appuyer son secteur privé par des initiatives d’encouragement à l’expansion en Afrique (facilitations réglementaires, exonérations, financements, garanties, etc.). La stratégie BRICS de l’Afrique du Sud en est à ses débuts, mais reste encore à ce stade trop théorique.
Bibliographie
- Berry Kurland, L. et al. (2012), « Black Middle Class et classes moyennes en Afrique du Sud », Afrique contemporaine, n° 244, p. 116-117.
- CNUCED (2012), « Manuel de statistiques. Indicateurs du développement », New York, United Nation Publication.
- Coleman, C. (2013), “Two Decades of Freedom. What South Africa is Doing with it and what Now Needs to be Done”, Global Economic Research, New York, Goldman Sachs.
- Finmark Trust (2013), “Finscope SA Consumer Survey”, Johannesburg, Publication Finmark.
- IFC (2013), “Doing Business, Country Profile, Afrique du Sud, Nigeria, Ethiopie”, Washington, World Bank.
- OCDE (2012), « Science, technologie et industrie. Perspectives de l’OCDE 2012 », Paris, Éditions OCDE.
- OCDE (2013), « Afrique du Sud, dans “Perspectives économiques en Afrique” », Paris, Éditions OCDE.
- Rand Merchant Bank (2013), “Where to Invest in Africa. A Guide to Corporate Investment. Edition 2013-2014”, Johannesburg.
- Research on Socio Economic Policy (2013), “The Emerging South African Middle Class”, Stellenbosch, Stellenbosch University
- Schwab, K., Sala, I., Martin, X. (2013), “The Globak Competitiveness Report 2013-2014”, Genève, World Economic Forum, Full Data Edition.
Notes
-
[1]
Black Economic Empowerment (BEE) est un programme lancé par le gouvernement sud-africain en 1994 pour corriger les inégalités de l’apartheid en donnant aux groupes de citoyens sud-africains précédemment défavorisés (Africains noirs, métis, Indiens et des Chinois) des privilèges économiques.
-
[2]
Agent de l’Agence française de développement depuis 1995, Laetitia Habchi a été mise à disposition de la Development Bank of Southern Africa (DBSA) par l’AFD de mai 2010 à août 2013. Elle est actuellement chef du bureau des infrastructures à la Nepad Business Foundation (NBF) en Afrique du Sud (laetitia.habchi@thenbf.co.za).