Notes
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[1]
Le premier sommet des BRICS a eu lieu le 16 juin 2009 à Ekaterinbourg, en Russie. Le second sommet a eu lieu le 16 avril 2010 à Brasília, au Brésil. Ces deux rencontres témoignent d’une institutionnalisation des sommets des BRICS et participent ainsi à la formation d’une « nouvelle réalité géopolitique ». Le 14 avril 2011, le troisième sommet des BRICS, qui a eu lieu à Sanya (Hainan), en Chine, est aussi le premier sommet du groupe des BRICS, avec l’adhésion officielle de l’Afrique du Sud. Le quatrième sommet des pays BRICS a eu lieu le 29 mars 2012 à New Delhi, en Inde. Le sixième sommet des BRICS est attendu au mois en juillet prochain à Fortaleza, au Brésil.
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[2]
Voir la déclaration finale du sommet de Durban, 27 mars 2013. Traduction des auteures.
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[3]
Ibid.
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[4]
La politique du going global, go out ou encore Zou ChuQu, c’est-à-dire l’encouragement à la sortie d’investissements chinois, a été promue par les autorités chinoises depuis 1999.
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[5]
Traduction des auteures.
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[6]
Sous la pression de la Chine, l’Afrique du Sud avait refusé le visa d’entrée au chef spirituel tibétain, le dalaï-lama, en 2011.
1Les 26 et 27 mars 2013 s’est tenu à Durban le cinquième sommet des chefs d’État des BRICS réunissant le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud. Il a attiré les attentions vers ce groupe, symbole de la multipolarisation du monde, de la remise en question de la gouvernance mondiale et des normes dominantes.
2L’apogée du sommet, placé sous le signe de la relation des BRICS avec l’Afrique, devait être l’annonce de l’établissement de la Banque de développement des BRICS. Bien que la déclaration finale rappelle la volonté de sa création, le lancement n’a pas formellement eu lieu.
3Dans cet article, nous examinons la formation du groupe des BRICS, ainsi que les raisons qui, malgré la diversité et les divergences entre ses membres, peuvent en faire un groupe capable d’influencer les normes mondiales. Nous interrogeons ensuite les relations de chaque pays des BRICS avec l’Afrique subsaharienne, ainsi que l’existence d’une stratégie africaine du groupe au regard des annonces et des avancées du sommet de Durban. Nous tentons enfin de comprendre la place de l’Afrique du Sud dans cette relation particulière entre l’Afrique et les BRICS.
4Nous commençons par présenter le sommet, son organisation et ses réalisations. Nous voyons ensuite quels sont les défis posés à l’unité du groupe et à la mise en œuvre d’un agenda commun. Nous nous intéressons en seconde partie à la construction de cet agenda en Afrique. Comment les stratégies bilatérales existantes trouvent-elles leur expression dans une stratégie commune et comment se combinent-elles ? Y a-t-il synergie, concurrence, complémentarité ? Enfin, au vu des défis du développement de l’Afrique subsaharienne et des caractéristiques de leurs relations bilatérales, nous identifions les enjeux de la présence du groupe des BRICS en Afrique. Quels pré-requis pour des impacts positifs en termes de développement durable pour l’Afrique ?
Le sommet de Durban ou l’avènement d’un groupe d’influence globale
5L’Afrique du Sud, le Brésil, la Chine, la Russie et l’Inde se sont réunis à Durban, les 26 et 27 mars 2013, dans le cadre du cinquième sommet des BRICS [1]. Ces cinq États, quatre à l’origine, car l’Afrique du Sud les y rejoint en 2011, ont été rassemblés sous ce sigle par Jim O’Neill, alors économiste et président de Goldman Sachs Asset Management – filiale de gestion de portefeuilles du géant bancaire américain – dans une note produite en 2001, grâce à leurs économies en forte croissance et du potentiel important qu’ils représentaient pour les investisseurs. Ils ont tous un PIB par habitant inférieur à celui des pays développés, associé à une croissance économique rapide, et un niveau de vie, ainsi que des structures économiques convergeant vers ceux des pays développés. Hormis ces critères, les pays membres ont en commun d’être chacun une puissance régionale et d’être des États stables et interventionnistes (Jaffrelot, 2008).
6Cependant, les BRICS forment un ensemble très hétérogène tant d’un point de vue économique – PIB de 7 063 milliards de dollars pour la Chine contre 408 milliards de dollars pour l’Afrique du Sud et un rapport de PIB par habitant de 1 à 8 entre la Chine et l’Inde – que démographique – de 1,3 milliard d’habitants en Chine à 50 millions d’habitants en Afrique du Sud (Extraction CNUCED, 2011) (voir graphique page 15).
Les BRICS, un cinquième des richesses mondiales pour deux cinquièmes de la population
Les BRICS, un cinquième des richesses mondiales pour deux cinquièmes de la population
Poids économique et démographique du groupe des BRICS dans le monde en 2013La Chine et l’Inde sont les deux poids lourds démographiques des BRICS (respectivement 45 % et 42 % de la population cumulée des BRICS). La Chine apparaît comme le poids lourd économique du groupe. Les PIB cumulés des quatre autres BRICS réunis ne dépassent pas celui de la Chine. La part des BRICS dans le PIB mondial est significative mais n’est pas proportionnelle à sa part de population. La petitesse de ses parts en PIB et population (respectivement 3 % et 2 %) font au final de l’Afrique du Sud un outsider dans le groupe des BRICS.
7Une volonté politique de créer un groupe d’influence mondiale. Khanna et Palepu (2010) soulignent l’« ambition » forte des BRICS. Elle est du même ordre que celle qui régnait aux États-Unis à la fin du xixe siècle et au début du xxe siècle, et constitue un facteur déterminant à l’innovation et à la transformation positive des économies. De cette ambition partagée est née le désir d’un rayonnement mondial, la volonté de voir leur poids économique se refléter dans l’organisation de la gouvernance mondiale, politique et économique par la constitution d’un groupe fort.
8Jusqu’à présent, parmi les cinq pays, seule la Chine et, dans une moindre mesure, l’Inde étendent leur influence au-delà de leurs sphères régionales. Une fois réunis, ces pays situés sur les cinq continents peuvent jouer de leurs complémentarités pour peser sur l’échiquier mondial.
9Les pays du groupe des BRICS dénoncent la faible représentativité des pays du Sud dans les grandes structures internationales. Les présidences de la Banque mondiale et du FMI sont traditionnellement et respectivement tenues par un Américain (Jim Yong Kim) et un Européen (Christine Lagarde). La réforme du FMI, approuvée en novembre 2010, et qui devait voir l’augmentation des parts de vote des pays émergents, dont la Chine et l’Inde, n’est jusqu’à présent toujours pas appliquée. Ces pays dénoncent également le « consensus de Washington », dominé selon eux par l’interventionnisme des institutions de Bretton Woods, dans les politiques intérieures des pays et les conditionnalités politiques de l’aide.
10Les messages sont également portés au sein du G77 et du Mouvement des non-alignés né durant la guerre froide et regroupant initialement des pays qui ne se considéraient alignés ni sur le bloc de l’Est ni sur le bloc de l’Ouest. Il a évolué et se définit depuis 1979 comme luttant contre l’impérialisme, le colonialisme, le néocolonialisme, la ségrégation, le racisme, et toute forme d’agression étrangère, d’occupation, de domination, d’interférence ou d’hégémonie de la part de grandes puissances ou de blocs politiques. Le G77 est une coalition de pays en développement, conçue pour promouvoir les intérêts économiques collectifs de ses membres et créer une capacité de négociation accrue aux Nations unies.
11L’Inde est à l’origine du Mouvement des non-alignés. L’Afrique du Sud, dont les dirigeants du gouvernement de l’ANC ont historiquement leurs racines dans la lutte anticolonialiste et antiségrégationniste, en est également membre. Le Brésil et la Chine sont observateurs et la Russie, ancienne puissance du bloc de l’Est, reste invitée aux rencontres. Enfin, les pays du groupe des BRICS sont tous membres du G77, excepté la Russie, dont le statut de membre du G8 était jusqu’à récemment en contradiction avec une adhésion au G77.
12Les BRICS souhaitent apparaître comme les porte-parole des pays émergents, et plus largement des pays du Sud. Grâce à la médiatisation grandissante dont bénéficient leurs rencontres, les messages portés trouvent une résonance internationale.
13De la plateforme de concertation à la construction d’un agenda commun : les initiatives du sommet de Durban. Le sommet de Durban a été l’occasion de lancer le BRICS Think Tanks Council qui permet en principe d’alimenter et de consolider des positions communes sur des sujets tels que l’économie et le développement. Il a permis de réaffirmer la volonté de mettre en place une réserve commune de devises de cent milliards de dollars. Il a été l’occasion de signer deux accords dans le cadre de la coopération interbancaire des BRICS : un premier pour le cofinancement d’infrastructures en Afrique et le second pour le financement de l’économie verte et du contrôle du changement climatique. Mais le sommet a surtout été l’occasion du lancement du BRICS Business Council et d’avancer sur le projet de création de la banque des BRICS.
14Le business forum, tenu en marge du sommet, a été dynamique et a permis de mettre en réseau des entreprises et des banques qui rencontrent des problématiques similaires. Un accord a été signé entre China Development Bank et Transnet pour la construction et l’amélioration des réseaux ferrés et de ports en Afrique du Sud. Un autre accord a été signé entre la Reserve Bank of South Africa et la People’s Bank of China pour autoriser l’investissement de 1,5 milliard de dollars sur le marché interbancaire obligataire chinois. Plus récemment, la banque africaine Ecobank Transnational Incorporated, dont le siège est à Lomé, a signé un Memorandum of Understanding (MOU) avec l’ICICI Bank indienne avec pour objectif de renforcer les échanges indo-africains et les investissements indiens en Afrique. Par ailleurs, Ecobank a précédemment signé un partenariat stratégique avec la banque sud-africaine Nedbank.
Les croissances économiques des BRICS s’essoufflent-elles ?
Les croissances économiques des BRICS s’essoufflent-elles ?
Évolution du taux de croissance annuel moyen du PIB des BRICS, 2000- 2012De la création à 2009, les années 2000 sont perçues comme la décennie glorieuse des BRICS. Les écarts des taux de croissance de ces pays lors de la crise financière (en 2009, 9,8 % de croissance pour la Chine, contre – 5,5 % pour la Russie) illustrent particulièrement le caractère très hétérogène des pays membres du groupe des BRICS. Au-delà des conséquences de la crise internationale, le ralentissement de la croissance devrait s’inscrire dans une tendance à plus long terme. En Chine, le ralentissement est linéaire depuis 2010 et correspond à des facteurs davantage structurels que conjoncturels. Néanmoins, ce ralentissement impacte l’ensemble des économies du monde et des pays émergents.
15Le sommet a donc été l’occasion de renforcer les liens entre les entreprises des BRICS et de créer des opportunités d’affaires avec les pays africains. Le renforcement des échanges entre les entreprises (privées et publiques) des BRICS est une composante importante de la coopération entre les membres. Il est réaffirmé dans la déclaration finale.
16La pièce maîtresse du sommet est le lancement attendu de la nouvelle banque de développement des BRICS. L’idée d’une banque de développement commune a été lancée à l’occasion du sommet de New Delhi en 2012. Les ministères des Finances et les banques de développement ont travaillé dessus mais, alors qu’elle devait être lancée à l’occasion du sommet de Durban de 2013, trop inaboutie, elle n’a pas vu le jour. La déclaration finale ne donne aucun détail sur ses modalités de fonctionnement mais réaffirme bien la volonté de la créer : « Suivant le rapport émanant de nos ministres des Finances, nous sommes confiants que la mise en œuvre d’une nouvelle banque de développement est possible et viable. Nous sommes tombés d’accord sur la création de la nouvelle banque de développement [2]. »
17Au-delà de la question de la localisation de son siège, plusieurs questions techniques doivent être tranchées et rendent compte de la difficulté à parler d’une seule voix.
18Tout d’abord, aucun accord n’a été trouvé à propos du montant de la capitalisation. La déclaration finale indique que la contribution initiale doit être « suffisante pour que la banque soit efficace dans le financement des infrastructures [3] ». Une participation égale de chaque membre semble également actée. Le chiffre de dix milliards de dollars par pays a été avancé par la presse. Or, les capacités financières des cinq pays sont très hétérogènes, les réserves sud-africaines étant notamment très en deçà des réserves chinoises. Dix milliards de dollars correspondent à 2 % du PIB de l’Afrique du Sud. Ce montant est jugé trop élevé par certains membres (Brésil, Russie, Afrique du Sud). La Russie aurait ainsi proposé une première capitalisation de deux milliards de dollars par membre.
19Cependant, cinquante milliards de dollars, et a fortiori dix milliards de dollars si la part des membres est abaissée à deux milliards, est un montant faible au regard des banques multilatérales et régionales existantes. La banque des BRICS doit emprunter sur le marché pour obtenir les liquidités suffisantes pour financer les projets, ce qui suppose d’obtenir une bonne notation des agences internationales. Compte tenu des réserves importantes de la Chine, cette question de la capitalisation de la banque pourrait être levée par un accord pour une participation plus élevée de la Chine mais inégale des membres.
20Ensuite, une contrainte géographique s’ajoute. La déclaration finale affirme que les projets financés par la future banque de développement seront « dans les BRICS et dans les autres économies émergentes et pays en développement ». D’un point de vue sectoriel, il est indiqué que la banque de développement a pour objet de « mobiliser des ressources pour des projets d’infrastructures et de développement durable ». Il a été souvent question des infrastructures, du désenclavement et de la facilitation des échanges entre les pays BRICS, au cours notamment de la rencontre intitulée « Unlocking Africa’s Potential : BRICS and Africa Cooperation on Infrastructure », tenue avec les chefs d’État africains.
21En cas de participation inégale des différents membres, la question des règles de choix des projets se poserait de manière forte. La gouvernance de la banque semble un des points de litige. De plus, les financements publics internationaux de chacun des pays membres sont actuellement liés et adossés à un mécanisme d’aide à l’export. Dès lors, la définition des règles d’attribution des contrats financés par cette future banque, c’est-à-dire le degré de liaison des financements aux entreprises des différents pays qui conviennent à tous, relève d’une négociation difficile entre les membres.
22Enfin, une question plus générale se pose : que peut apporter de plus cette banque par rapport aux banques de développement existantes ? Quelles sont ses marges d’innovations possibles dans un univers de la finance internationale où un grand nombre de modèles ont déjà été éprouvés ? Des compétences en ingénierie financière et en ingénierie des projets sont essentielles dans un univers où elles restent encore très inégales.
23Ces initiatives ont une portée politique particulière puisqu’elles démontrent les fortes volontés des pays membres d’interpeller directement les banques de développement existantes, ainsi que les institutions multilatérales de Bretton Woods, au sein desquelles ils considèrent ne pas trouver leur place. Cette insatisfaction est clairement exprimée dans la déclaration finale du sommet de Durban avec tout d’abord la condamnation des modes de gestion des situations de crises économiques, financières et monétaires des pays développés par les institutions de Bretton Woods, qui ont des conséquences directes sur les économies des pays émergents et des pays en développement.
24La déclaration finale présente enfin la position commune des pays BRICS sur des sujets de politique internationale. Ces points d’entente, ainsi que les accords signés à l’occasion de ce sommet, sont la preuve qu’au-delà du sigle et des différences, le groupe existe comme un ensemble politique et économique.
25La capacité d’influence des BRICS au défi de la diversité des intérêts. Au-delà des grands principes, les intérêts au sein des BRICS sont divergents. Les pays membres sont attachés à leurs relations bilatérales respectives avec les puissances traditionnelles. Sur certains dossiers – notamment régionaux – ils sont parfois concurrents. La diversité des intérêts qui en découlent pèse sur leur partenariat au sein du groupe et remet en question son caractère non-aligné, ainsi que sa capacité d’influence.
26La Russie, membre récemment exclue du G8, partage des intérêts contradictoires avec l’Europe et les États-Unis. L’Asie centrale est une zone de tensions et de concurrence entre la Russie et la Chine. Les relations entre l’Inde et la Chine sont fragiles à cause des différends territoriaux et frontaliers. Les confrontations territoriales encouragent l’Inde à diversifier ses alliances en dehors des BRICS. L’Inde et la Chine sont également des concurrents économiques, en Asie principalement, mais également en Afrique.
27Le Brésil, qui est désormais exportateur de pétrole, est attaché à définir des termes commerciaux avantageux avec les États-Unis. Cet impératif peut le mener à ménager ses relations avec ces derniers, aux dépens de ses relations avec les autres membres du groupe des BRICS.
28Enfin, le Brésil, l’Inde et l’Afrique du Sud, tous les trois des régimes démocratiques, se réunissent au sein du forum IBAS duquel sont exclues (Soulé-Kohndou, 2012) la Chine en partie à cause de son régime « autoritaire » et la Russie à cause de son appartenance encore récente au G8. Ce sous-groupe paraît plus homogène politiquement. À titre d’exemple, cette démarcation du groupe IBAS au sein des BRICS se manifeste sur le dossier syrien (Quinton-Brown, 2013). La Chine et la Russie, d’une part, s’opposent à une intervention internationale et l’Inde, le Brésil et l’Afrique du Sud, d’autre part, sont plus mesurés. L’Inde et l’Afrique du Sud appuient la proposition de troisième voie du Brésil, entre interventionnisme et attentisme, The Responsability while Protecting reconnaît la nécessité d’intervenir, mais insiste sur les mécanismes de prévention par le renforcement des capacités d’alerte précoce et sur les critères d’une mise en œuvre du R2P – Responsability to Protect – qui ne mettent pas en danger la vie des civiles. À ces divergences d’intérêts et de positions, s’ajoute la question de la robustesse d’un agenda et d’une stratégie d’influence mondiale.
29Plus récemment sur le dossier ukrainien, les positions des BRICS ont été nettement plus alignées. La Chine, l’Inde, l’Afrique du Sud et le Brésil se sont abstenus à l’Assemblée générale de l’ONU le 27 mars 2014 de sanctionner la Russie en Crimée pour non respect de l’intégrité territoriale. Ils ont condamné les sanctions occidentales contre la Russie lors de leur rencontre au sommet de la sécurité nucléaire à La Haye les 24 et 25 mars 2014. La Russie, la Chine et l’Inde sont les principaux investigateurs de cette prise de position, définissant dès lors un nouvel et puissant axe de coopération politique et économique, notamment sur les questions énergétiques.
Le sommet de Durban, amorce d’une stratégie des BRICS en Afrique
30Sous l’influence de la doctrine affichée de l’Afrique du Sud, selon laquelle sa participation au forum des BRICS doit servir non seulement ses intérêts nationaux, mais également ceux du continent africain, le sommet de Durban s’est tenu sous le titre « BRICS-Afrique, un partenariat pour l’intégration et l’industrialisation ». En marge du sommet, quatorze chefs d’États africains ont été conviés, dont ceux assumant la présidence des communautés économiques et régionales, ainsi que la présidence de la commission de l’Union africaine. Mais le sommet est-il pour autant le signe du lancement d’une stratégie africaine des BRICS à plus long terme ?
31Présence croissante des BRICS en Afrique subsaharienne. Selon le rapport de la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique (2013), intitulé « Coopération entre les BRICS et l’Afrique, conséquences sur la croissance, l’emploi et la transformation structurelle en Afrique », les échanges commerciaux de l’Afrique avec les BRICS se sont développés plus rapidement que ceux avec tout autre région du monde. Ils ont doublé depuis 2007 pour atteindre 340 milliards de dollars en 2012 et doivent croître jusqu’à 500 milliards de dollars d’ici 2015. Cette donnée a fondamentalement modifié le rapport de force du continent avec le reste du monde. L’Afrique était jusqu’alors perçue principalement comme récipiendaire de l’aide et des investissements occidentaux (voir graphique page 21).
L’Union européenne, toujours premier partenaire commercial de l’Afrique
L’Union européenne, toujours premier partenaire commercial de l’Afrique
Pourcentage des exportations de l’Afrique subsaharienne vers ses principaux partenaires, 1995-2012L’Union européenne représente 33,5 % des exportations de l’Afrique subsaharienne en 2012 contre 42 % en 1995. De même, les exportations de l’Afrique subsaharienne vers les États-Unis diminuent au cours de la période étudiée de manière significative. De 28 % en 1995, elles passent à 18 % en 2012. Cette décroissance est « compensée » par une extrême progression des exportations africaines vers la Chine, de 1 % en 1995 à 22 % en 2012. La part cumulée de la Chine et de l’UE est la même en 1995 et en 2012. Les exportations de produits africains font également une nette percée en Inde, de 3 % des exportations de l’Afrique en 1995 pour atteindre 11 % en 2012. Les exportations de l’Afrique subsaharienne vers la Russie sont depuis toujours quasi nulles. Enfin, une des constantes de l’économie du continent, la part du commerce et des échanges intra-africains, reste marginal (11%) et n’a pas progressé de 1995 à 2012.
32Ces échanges ont deux effets positifs majeurs sur les économies africaines. Premièrement, par la forte demande en matières premières, les BRICS contribuent au maintien de leurs prix. La forte corrélation constatée entre les prix de matières premières et les taux de croissance des pays producteurs d’Afrique subsaharienne démontre un effet positif de la demande des BRICS sur les économies d’Afrique subsaharienne. Ainsi, le FMI indiquait en 2011 qu’un point de pourcentage de croissance de la production industrielle de la Chine se traduit par deux points de pourcentage de croissance des prix des matières premières (pétrole et cuivre) (Sindzingre, 2013). Deuxièmement, par le financement de projets productifs, les BRICS, et la Chine surtout, ont un impact sur le niveau d’infrastructures en Afrique subsaharienne. Leurs investissements dans le secteur deviennent de plus en plus significatifs et complètent les flux d’aide publique au développement des membres du Comité d’aide au développement (CAD) de l’OCDE et des bailleurs multilatéraux à caractère plus social. C’est le cas des prêts et des crédits à l’exportation de la banque chinoise Export-Import Bank of China (China Exim Bank) ciblés sur l’amélioration des infrastructures (African Economic Outlook, OCDE, 2011). Ainsi, les BRICS, largement tirés par la Chine, influent sur la croissance économique des pays africains et ont entraîné une certaine résilience du continent face à la crise financière mondiale.
33Plus encore, ces rencontres et échanges entre les BRICS et l’Afrique favorisent l’émergence de nouveaux modèles économiques répondant mieux aux besoins de consommation des populations africaines, dont 70 % restent à bas revenus (World Ressources Institute, 2007). Les populations pauvres sont souvent considérées comme des marchés peu attractifs par les entreprises des grandes puissances étant donné leur faible pouvoir d’achat. Cette position ignore cependant les volumes d’affaires que ces marchés représentent. La Banque mondiale a ainsi récemment estimé que ces marchés présentent un potentiel de consommation alimentaire de 1 000 milliards de dollars en Afrique (Africa Agribusiness Report, 2013). Portées par leur expérience sur leur propre territoire, les entreprises d’Inde et de Chine notamment, créent des produits à bas coût pour répondre à la demande de marchés où une grande partie de la population se situe « au bas de la pyramide ». Elles parient sur la montée d’une classe moyenne et la dynamique de sa consommation pour se développer en Afrique.
34Parmi les exemples de technologies adaptées, on peut citer l’utilisation de chargeurs solaires pour les téléphones portables et des nouvelles lampes à LED développées en Chine, la voiture à bas prix de Tata construite en Inde et commercialisée en Afrique, ou encore les médicaments génériques produits au Brésil et en Inde. L’importation de produits manufacturés a un impact indéniable sur les difficultés que rencontrent les pays du continent africain à développer ou maintenir une industrie locale. En revanche, l’accès à ces produits à bas coût constitue une amélioration du pouvoir d’achat au profit des plus pauvres dont profitent les consommateurs. Cette dernière ne concerne pas que les biens de consommation courants, puisque les téléphones portables deviennent des biens d’équipement importants dans l’agriculture et que les modes d’éclairages à bas coûts associant les nouvelles technologies permettent aux enfants d’étudier à la maison et à l’école (African Economic Outlook, OCDE, 2011).
35Par leurs échanges commerciaux, les BRICS permettent un meilleur accès à des produits manufacturés, aux produits de santé, aux nouvelles technologies et à la communication à bas coût. La stimulation de la demande par la maîtrise de nouveaux modèles économiques constitue un levier d’influence pour le groupe des BRICS en Afrique subsaharienne, à la condition que l’ensemble de ses membres puissent tirer parti de la forte avancée de la Chine et de l’Inde dans ce domaine.
36Des stratégies africaines individuelles différenciées. Au-delà de la rhétorique des échanges Sud-Sud fondés sur des partenariats équilibrés, les relations de la Chine et de l’Inde avec l’Afrique subsaharienne jouent un rôle essentiel de sécurisation de l’approvisionnement en matières premières. Ce n’est pas le cas pour la Russie et l’Afrique du Sud qui sont exportateurs de matières premières. Depuis la découverte de réserves pétrolières sur ces territoires, les besoins de sécurisation de l’approvisionnement de ressources énergétiques du Brésil sont moindres. On s’interroge sur l’unité affichée des BRICS avec les pays du Sud. N’est-elle qu’un argument rhétorique pour faciliter ses relations avec les pays africains et favoriser par la même les approvisionnements en matières premières de ses pays membres ?
37Les profils d’échanges entre les pays d’Afrique subsaharienne et les BRICS ne sont pas très différents de ceux des grandes puissances traditionnelles, principalement importatrices de matières premières non transformées (voir graphique page 23).
Exportations de l’Afrique, des ressources brutes aux produits transformés
Exportations de l’Afrique, des ressources brutes aux produits transformés
Nature et volume cumulés des exportations de l’Afrique vers ses principaux partenaires entre 2005 et 2011Les trois premiers partenaires commerciaux de l’Afrique - l’Union européenne, les États-Unis et la Chine - sont les destinataires privilégiés tant des exportations des ressources brutes que de la production manufacturière. Paradoxalement, les marchés africains sont plus importateurs de produits transformés en Afrique que de ressources naturelles issues du sous-sol africain. Le graphique montre que les économies en Afrique restent avant tout exportatrices de ressources naturelles dont les volumes des exportations dépassent largement celles des produits transformés sur le continent africain.
38La politique going global [4] de la Chine a poussé ses entreprises à s’internationaliser et à investir ou exporter des fournitures et des services. Pour cela, les banques publiques que sont la China Development Bank et l’Export-Import Bank of China (China Exim Bank) mobilisent des financements, dont certains bénéficient d’une bonification. Parmi les BRICS, la Chine est le partenaire le plus important de l’Afrique subsaharienne. Les échanges commerciaux s’élèvent à près de 80 milliards de dollars d’exportations vers la Chine et 69 milliards de dollars d’importations en 2012 (4 milliards en 2000) (extractions CNUCED). Les investissements augmentent aussi : les stocks d’IDE pourraient s’élever à 13 milliards de dollars en 2012 (Chaponnière et al., 2013).
39L’aide chinoise (comprenant les dons, les prêts sans intérêts et les prêts bonifiés considérés comme concessionnels de l’Export-Import Bank of China) s’élève en cumulé, de 1950 à 2009, à 39 milliards de dollars (Livre blanc sur l’aide internationale de la Chine, 2011). Le montant estimatif de l’aide s’élève en 2006 à 1,3 milliard de dollars (Brautigam, 2009).
40La présence de l’Inde sur le continent se fait par le biais de son importante diaspora et de ses entreprises privées. En stock, les IDE de l’Inde en Afrique s’élevaient entre 30 et 50 milliards de dollars, soit plus d’un tiers des IDE indiens dans le monde. Les programmes d’aide publique passent par des aides directes, de l’assistance technique et des prêts bonifiés par l’État et mis en œuvre par l’Exim Bank of India.
41Le Brésil profite de sa proximité linguistique avec l’Angola et le Mozambique pour développer sa présence sur le continent. Le pays a récemment annoncé, à l’occasion du cinquantième anniversaire de la création de l’Union africaine, l’annulation-restructuration d’une nouvelle tranche de dettes contractées par les pays africains (évaluée à 900 millions de dollars). Douze pays africains bénéficieront de cette remise de dettes, dont la Tanzanie et le Congo. Selon le porte-parole de la présidence brésilienne, ces annulations permettent au Brésil de débloquer de nouveaux crédits aux États africains qui sont ciblés sur les infrastructures, l’agriculture et les programmes sociaux. Les stocks d’IDE brésiliens en Afrique sont estimés à 10 milliards de dollars en 2009 (Banque africaine de développement, citée par Chaponnière et al., 2013).
42Les investissements sud-africains en Afrique subsaharienne sont en croissance, passant de 14,7 milliards de dollars en 2001 à 121 milliards de dollars en 2010 (soit 21 % de son stock d’IDE). L’Afrique australe représente cependant 90 % des exportations de l’Afrique du Sud vers le continent : neuf pays de la SADC sur treize ont l’Afrique du Sud pour premier pays importateur. Cinquante entreprises listées à la bourse de Johannesburg JSE sont actives en Namibie, Zambie, Mozambique et Botswana (Freemantle, 2012). Les exportations sont portées par de grandes entreprises du secteur tertiaire comme MTM (téléphonie mobile) ou Shoprite (grande distribution), des entreprises de grands travaux (Groupe V-Aveng) et le secteur minier (AngloGold Ashanti, Anglo-American). Même si la part des échanges de l’Afrique du Sud avec l’Afrique subsaharienne est plus faible que celle des autres membres (voir graphique page 21), l’Afrique du Sud, par son positionnement géographique, est le pays membre des BRICS le plus concerné par le développement de l’Afrique subsaharienne. Son influence y est quand même encore limitée et elle doit faire face à la concurrence de poids lourds économiques et démographiques tels que le Nigeria ou l’Éthiopie. Nouvellement élue présidente de la commission de l’Union africaine, Nkosazana Dlamini-Zuma, ancienne ministre de l’Intérieur sud-africaine, a annoncé sa volonté de faire émerger le continent en y renforçant les infrastructures et la paix. Après avoir longtemps voulu se démarquer de l’Afrique au temps de l’apartheid, l’Afrique du Sud ambitionne désormais de la représenter et de compter dans la politique du continent. Elle y est parvenue et a réussi à faire accepter sa légitimité de représentante du continent africain vis-à-vis de la communauté internationale.
43L’URSS était présente dans les pays socialistes du continent africain au lendemain des indépendances, au travers notamment de programmes de bourses d’étude. La Russie est peu active aujourd’hui en Afrique subsaharienne. Elle a récemment procédé à des annulations de dettes, mais aucun programme n’est engagé. L’Afrique subsaharienne ne constitue plus une priorité et elle est davantage préoccupée par sa zone d’influence géographique immédiate (Chaponnière et al., 2013).
44Exceptée la Russie, les membres du groupe des BRICS utilisent leurs situations particulières d’économies à la fois prospères et en développement comme un argument de solidarité avec les pays en développement d’Afrique pour faciliter les relations diplomatiques, économiques et commerciales.
45La Chine pâtit en Afrique de l’image la plus controversée parmi les BRICS. Les flux financiers importants qui la lient aux pays d’Afrique subsaharienne ne suffisent pas à limiter ces critiques. Des affrontements entre les entrepreneurs chinois et les travailleurs africains, ainsi que la concurrence déloyale des produits chinois sur les marchés intérieurs, ont encouragé les dirigeants africains à réagir. Très récemment, le Ghana a ainsi expulsé des milliers de travailleurs illégaux chinois. Le directeur de la banque centrale nigériane, Lamido Sanusi, a également publié une tribune dans le Financial Times, le 11 mars 2013 : « L’Afrique se voit imposer de nouvelles formes de colonialisme […]. Nous devons accepter de voir la Chine pour ce qu’elle est : un concurrent [5]. » Le président sud-africain, Jacob Zuma, en exprimant pendant longtemps son soutien au commerce sino-africain, a été poussé récemment par des pressions internes à durcir le ton vis-à-vis de la Chine.
46L’Afrique du Sud est aussi parfois critiquée sur le continent. Le vice-président de Zambie, Guy Scott, a dénoncé en mai 2013 dans une interview au Guardian le modèle d’intervention de l’Afrique du Sud : « Je soupçonne les Noirs sud-africains de copier le modèle des Blancs maintenant qu’ils sont au pouvoir. Arrogants, les décideurs sont encore sous le joug de la pensée qui régnait durant l’apartheid. » De même, les engagements des forces armées de l’Afrique du Sud en République centrafricaine et à l’est du Congo alimentent les critiques selon lesquelles l’Afrique du Sud répond davantage à ses intérêts propres qu’aux besoins humanitaires de ses voisins.
47Le Brésil et l’Inde jouissent d’une meilleure image. La Chine souhaite redorer son blason en intervenant via un outil multilatéral tel que le groupe des BRICS, aux côtés de ces deux pays. En s’associant avec la Chine, le Brésil, l’Inde et la Russie gagneraient en influence.
48Par sa participation au G20, au groupe des BRICS, l’Afrique du Sud cherche à l’extérieur une légitimité africaine qu’elle peine à trouver sur le continent. C’est parfois au prix d’alignements diplomatiques à l’opposé de ses idéaux de lutte anti-apartheid [6] qui risquent de dégrader un peu plus son image. Son positionnement comme porte d’entrée de l’Afrique, appelée également gateway pour les BRICS, ne l’exonère pas de chercher à développer des relations durables avec ses voisins.
49L’établissement de stratégies africaines communes. Tenu sur le continent africain, le sommet de Durban a placé l’intégration et l’industrialisation au cœur des politiques de développement en Afrique. Dans la déclaration finale, les BRICS veulent stimuler les programmes d’investissement en Afrique pour promouvoir le développement industriel, la création d’emplois, l’appui au développement des compétences, favoriser la sécurité alimentaire, l’éradication de la pauvreté et le développement durable et renforcer ses relations de commerce.
50Les BRICS soutiennent pleinement les programmes d’infrastructure africains. La déclaration finale reconnaît l’importance du développement des infrastructures pour promouvoir le développement industriel, l’emploi, la lutte contre la pauvreté et le développement durable. Elle souligne les avancées de l’Union africaine pour traiter le problème des infrastructures à travers le Program for Infrastructure Developpement in Africa (PIDA). La Banque africaine de développement crée actuellement un fonds de 10 milliards de dollars, l’Africa 50, pour appuyer le développement de manière innovante des projets du PIDA. Les pays émergents, dont les BRICS, sont appelés à y contribuer.
51Le sommet de Durban est l’occasion de lancer le Business Council BRICS. Ce conseil d’affaires pour les chefs d’entreprise et les hauts fonctionnaires des cinq pays favorise et renforce les liens commerciaux entre ses membres. Présidé par le Sud-Africain Patrice Motsepe, président d’African Rainbow Minerals, ce forum se réunira deux fois par an. Avec plus de cinq cents chefs d’entreprises présents, ce Business Council est un espace permettant de construire des réseaux, signer des contrats et favoriser la coopération et la coordination entre les membres du Sud, l’objectif étant la création d’un « réflexe BRICS », en alternative aux offres des pays développés. Le conseil promeut un développement fondé sur les liens commerciaux, plutôt que sur l’aide au développement. Avec la création du conseil sur son sol, l’Afrique du Sud entérine son ambition d’être la porte d’entrée des BRICS en Afrique.
52Ainsi, l’économiste Simon Freemantle, de la banque sud-africaine Standard Bank, qui a bénéficié en 2008 d’une prise de participation de 20 % de l’Industrial and Commercial Bank of China (ICBC), conclut que le sommet a été un succès dès lors que des objectifs réalistes lui ont été fixés et souligne que de nombreux accords ont été signés montrant la capacité des BRICS à prendre leur envol sur les bases du commerce et de l’investissement.
Conclusion
53La volonté de s’inscrire comme un acteur de développement influent en Afrique et posant les échanges économiques et les investissements au cœur du développement a été signifiée lors du sommet de Durban.
54Il reste à savoir quelle sera la capacité du groupe des BRICS à mettre en œuvre les déclarations faites et à dépasser les divergences et les concurrences entre ses membres. De même, en quoi le modèle proposé par les BRICS peut-il différer du modèle des institutions de Bretton Woods ?
55Pour les BRICS, le commerce et les investissements, plus que l’aide au développement, sont les puissants facteurs d’une croissance économique rapide. L’Afrique a réagi de manière particulièrement vigoureuse aux liens commerciaux et aux investissements des BRICS. Cet accent mis sur le commerce aura un impact positif sur le développement économique et social de l’Afrique si les BRICS n’accentuent pas la spécialisation des pays africains dans un rôle de fournisseurs de matières premières. Par ailleurs, l’étude de la Commission économique pour l’Afrique des Nations unies indique dans son rapport de mai 2013, « Coopération entre les BRICS et l’Afrique », que le partenariat Afrique-BRICS doit s’inscrire dans un effort plus vaste de promotion du développement, afin d’éviter le risque qu’une croissance non inclusive exacerbant les inégalités socio-économiques. Aussi, les leviers des relations économiques BRICS-Afrique pour appuyer le développement de l’Afrique doivent reposer sur trois points.
56Les pays d’Afrique subsaharienne doivent développer une relation plus équilibrée avec les BRICS, dans un engagement de long terme pour le développement du continent. Cela exige le développement des capacités de négociation des États africains. Les programmes de Aid for Trade et Trade Capacity Building Programme for Sub-Saharan African Countries de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED) ou de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) appuient les pays africains. Le nouveau fonds lancé par la Banque mondiale à l’occasion du quarantième anniversaire des accords de coopération monétaire de la zone franc CFA en 2012 fait la même chose. Ce défi semble être par ailleurs de mieux en mieux pris en compte par les dirigeants africains. Simon Freemantle a d’ailleurs indiqué que les représentants africains ont l’intention de négocier plus « justement » ce qu’ils possèdent en échange des investissements extérieurs nécessaires à leur développement.
57Le rapport de la Banque mondiale de février 2012, « La défragmentation de l’Afrique : approfondissement de l’intégration du commerce régional des biens et services », sous la direction de Paul Brenton et Gozde Isik, constate que l’Afrique demeure le continent le plus fragmenté avec cinquante-quatre pays. Ainsi, la part des échanges interrégionaux dans le total des échanges est d’environ 11 % pour l’Afrique du Sud (Standard Bank Research, Department Trade and Industry, 2011). La part du commerce de marchandises intrarégional dans le total des importations de marchandises est de l’ordre de 5 % pour le COMESA (Marché commun pour l’Afrique de l’Est et du Sud) et de 10 % pour la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest). En comparaison, cette part dépasse les 60 % dans l’Union européenne, les 20 % au sein de l’ANASE (Association des nations de l’Asie) et les 35 % au sein de l’ALENA (Accord de libre échange nord-américain) (Brenton, Isik, 2012).
58Par conséquent, le rapport de la Banque mondiale recommande aux États africains des modifications dans trois domaines clés : améliorer le commerce transfrontalier, éliminer divers obstacles autres que tarifaires au commerce (règles d’origine restrictives, interdictions d’exportation et d’importation, etc.), réformer les réglementations et les règles relatives à l’immigration qui limitent le potentiel considérable d’échanges commerciaux transfrontaliers et d’investissements dans les services.
59Cet enjeu est essentiel pour l’Afrique du Sud qui a beaucoup à gagner en pénétrant mieux les marchés limitrophes. Malgré son positionnement géographique avantageux, les investisseurs sud-africains sont pessimistes sur les capacités de leur pays à maintenir sa position continentale, étant donné l’émergence d’autres zones économiques plus attractives comme le Nigeria ou le Kenya (Draper, 2012), et les difficultés récurrentes de leur gouvernement à mettre en place des outils efficaces d’appui à l’intégration régionale, à l’exportation et d’encouragement aux investissements privés dans la région.
60Jean-François Bayart, dans son article « L’Afrique, vers quel gouvernement politique ? », reprend les propos de Jane Guyer selon laquelle l’Afrique est marketable, mais n’est pas pour autant bankable. L’enjeu est de mettre en place un environnement des affaires dans lequel les investisseurs et les financiers ont confiance pour y investir à long terme et pour que les retombées profitent aux populations de manière inclusive. Les nombreux rapports doing business de la Banque mondiale et de la SFI démontrent à quel point l’environnement africain des affaires reste peu propice aux investissements étrangers. Une rencontre des chefs d’États d’Afrique avec les chefs d’États des BRICS a été organisée dans la foulée du sommet de Durban. Elle s’intitulait « Comment faire décoller l’Afrique à travers une coopération entre l’Afrique et les BRICS sur les infrastructures ? ». Les discussions ont porté sur cet enjeu. Une amélioration de la gouvernance, y compris dans sa relation avec les BRICS, est indispensable pour développer le continent africain sur le long terme.
Bibliographie
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Mots-clés éditeurs : Brésil, BRICS, Sommet de Durban, Russie, Inde, Afrique du Sud, Chine
Date de mise en ligne : 25/06/2014
https://doi.org/10.3917/afco.248.0013Notes
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[1]
Le premier sommet des BRICS a eu lieu le 16 juin 2009 à Ekaterinbourg, en Russie. Le second sommet a eu lieu le 16 avril 2010 à Brasília, au Brésil. Ces deux rencontres témoignent d’une institutionnalisation des sommets des BRICS et participent ainsi à la formation d’une « nouvelle réalité géopolitique ». Le 14 avril 2011, le troisième sommet des BRICS, qui a eu lieu à Sanya (Hainan), en Chine, est aussi le premier sommet du groupe des BRICS, avec l’adhésion officielle de l’Afrique du Sud. Le quatrième sommet des pays BRICS a eu lieu le 29 mars 2012 à New Delhi, en Inde. Le sixième sommet des BRICS est attendu au mois en juillet prochain à Fortaleza, au Brésil.
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[2]
Voir la déclaration finale du sommet de Durban, 27 mars 2013. Traduction des auteures.
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[3]
Ibid.
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[4]
La politique du going global, go out ou encore Zou ChuQu, c’est-à-dire l’encouragement à la sortie d’investissements chinois, a été promue par les autorités chinoises depuis 1999.
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[5]
Traduction des auteures.
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[6]
Sous la pression de la Chine, l’Afrique du Sud avait refusé le visa d’entrée au chef spirituel tibétain, le dalaï-lama, en 2011.