Couverture de AFCO_247

Article de revue

La CPI, Dieu et les élections kényanes de 2013

De la pentecôtisation de la vie politique à une démocratie autoritaire

Pages 33 à 51

Notes

  • [1]
    Durant la campagne électorale, les journalistes ont inventé le terme de « UhuRuto » pour parler du ticket à la communication bien huilée.
  • [2]
    Peter Opiyo, “Why Kenya-AU Plot against ICC May Stall”, The Standard, 17 juillet 2012.
  • [3]
    Bernard Namunane, “AG Wants Uhuru, Muthaura Cases Moved to Arusha”, Daily Nation, 1er décembre 2012.
  • [4]
    Dans le cadre de la sortie de crise de 2008, les acteurs internationaux ont parrainé plusieurs rapports d’enquête, dont le Waki Report, chargé notamment de préciser les responsabilités des leaders dans les violences postélectorales.
  • [5]
    Lors des élections générales de 2013, deux camps se sont opposés : Cord, dirigé par Raila Odinga, et Jubilee, dont Uhuru Kenyatta et William Ruto sont les leaders.
  • [6]
    Olivier Mathenge, “Uhuru and Ruto under ICC Watch over Rules”, Daily Nation, 27 juillet 2012, p. 10.
  • [7]
    Cela rend les journalistes ironiques : Otieno Otieno, “ICC Case is Turning Uhuru into the New Dedan Kimathi”, Sunday Nation, 17 février 2013.
  • [8]
    Peu après leur victoire électorale, à l’occasion de leur premier discours, UhuRuto ont annoncé qu’ils étaient prêts à lancer la « transformation digitale du pays », Daily Nation, 10 mars 2013.
  • [9]
    “Amounts Range from Sh20,000 to Sh100,000 Depending on your Seniority and Influence”, Daily Nation, 7 avril 2012, “MPs milking the ICC Cases Dry”.
  • [10]
    « Emeritus », c’est-à-dire qu’ils ne sont plus en activité.
  • [11]
    L’Église catholique et sa commission « Justice et Paix » sont très impliquées dans les discussions visant à réguler les tensions entre les communautés de Uasin Gishu, et la venue de Mgr Korir a beaucoup surpris.
  • [12]
    “Clerics on the Spot over Role in Tribal Groupings”, Daily Nation, 14 avril 2012.
  • [13]
    “The Kenya Election and Militarisation of ‘Peace’”, The East African, 9-15 mars 2013.
  • [14]
    Uhuru Kenyatta est catholique et William Ruto fait partie de l’Africa Inland Church, tout comme le président Moi. Leur flirt avec les structures et l’identité pentecôtistes ne les empêchent pas de mettre en avant et d’user de leur appartenance à ces Églises anciennes, d’origine missionnaire.
  • [15]
    La mère de Ruto pense que le verset préféré de son fils est Jeremiah 33 :3 : “Call to me and I will answer you and tell you great and unsearchable things that you do not nos”, in Titus Too, “Ruto’s Mother Attributes Son’s Leadership Fame to Fear of God”, The Standard, 10 avril 2013.
  • [16]
    Jubilee est l’alliance électorale qui réunit Kenyatta et Ruto.
  • [17]
    Emeka-Makaya Gekara, “Clergy Differ on Stand Towards Elections”, Sunday Nation, 3 février 2013, p. 22.
  • [18]
    Lukoye Atwoli, “Involvement of Religious Groups in Education”, Daily Nation, 11 novembre 2012 ; “Don’t Assent to Education Bill, Churches Urge Kibaki”, Daily Nation, 1er janvier 2013. Cette nouvelle loi amènerait un contrôle beaucoup plus étroit de l’État sur les écoles chrétiennes bénéficiant de fonds publics.
  • [19]
    Les Églises « historiques » sont les Églises anciennement missionnaires qui ne sont ni pentecôtistes ni évangéliques.
  • [20]
    Paradoxalement, le clergé était, jusqu’à la fin des années 1990, fortement influencé par la théologie et le mode d’énonciation pentecôtiste, car il appartenait bien souvent au réveil est-africain (Peterson, 2012). Mais la génération actuellement en activité dans ces Églises ne participe plus de ce mouvement.
  • [21]
    Dave Opiyo, Justus Wanga, “Kenyans Pray for Peaceful Elections”, Daily Nation, 25 février 2013 ; Paul Ogemba, “Behind the Scenes in Run-Up to Prayers”, Daily Nation, 26 février 2013.
  • [22]
    On distingue couramment, dans la justice transitionnelle, les procédures de justice criminelle (les procès permettant de juger les responsables de crimes liés à la crise politique) des autres mécanismes non judiciaires visant à traiter des violences de ces moments de crise (Brown, Sriram, 2012).
  • [23]
    Son nom a été cité dans l’organisation du massacre de plusieurs centaines de Somali à Wagalla en 1984.
  • [24]
    “Spare President the Truth, it is too Hard to Handle”, Saturday Nation, 4 mai 2013, p. 13.
  • [25]
    The East African, 4-10 mai 2013, p. 16.
  • [26]
    “Ruto Explains Kiambaa – Wikileaks”, The Star, 7 mars 2011 ; voir, également, “ICC gets New Witnesses on Kiambaa Killings”, The Standard, 8 janvier 2013.
  • [27]
    Andrew Cawthorne, “Jackson Kibor Denies Masterminding Violence”, www.kalenjin.net.
  • [28]
    P. Mayoyo, D. Opiyo, “Kenya Asks UN to End Trial of Uhuru, Ruto”, Daily Nation, 9 mai 2013, p. 1 et 6.
  • [29]
    Pour une théorisation des ambiguïtés de ces programmes, voir Marchal (2003).
  • [30]
    Bernard Namunane, “Annan Warns over ICC Suspects’ Bis”, Daily Nation, 12 octobre 2012.
  • [31]
    “US Restates Stance on Uhuru and Ruto”, Daily Nation, 8 février 2013. La position américaine fut affaiblie par les déclarations des leaders républicains qui restent fondamentalement opposés au système de la CPI. Les interventions de Jendayi Frazer (en charge des Affaires africaines de 2005 à 2009) ont été largement reprises dans les médias kényans : par exemple, J. Frazer, “ICC has Fallen from High Ideals of Global Justice, Accountability”, Sunday Nation, 17 mars 2013.
  • [32]
    “More Embassies Join Push against Hague Suspects”, Saturday Nation, 9 février 2013.
  • [33]
    Voir, par exemple, Tim Wanyonyi, Patrick Mayoyo, “Kenya Diplomatic Isolation Might Lead to Less Financial Aid and Trade”, Daily Nation, 11 mars 2013, p. 10.
  • [34]
    “Botswana Minister in U-turn on Uhuru Ban”, Daily Nation, 14 mars 2013 ; “West yet to Speak on Election Winners”, Daily Nation, 11 mars 2013 ; “Bitter-Sweet Victory for Uhuru and Ruto”, Sunday Nation, 10 mars 2013.
  • [35]
    Ally Jamah, “Museveni Hails Kenyans for Rejecting ICC ‘Blackmail’”, The Standard, 10 avril 2013.
  • [36]
    Il aurait participé au financement de sa campagne électorale, selon les journalistes du East African (“Uhuru Banks on Friends in East Africa for Support”, The East African, 6-12 avril 2013).
  • [37]
    Depuis plusieurs années, il est sous le coup d’une inculpation de la CPI. Il se livre à un moment où le Rwanda s’est vu retirer l’aide de plusieurs pays occidentaux du fait de son implication dans les tensions du Nord-Kivu.
  • [38]
    “Kenya’s Quest to End Cases at the Hague Enter”, The East African, 25-31 mai 2013.
  • [39]
    Isaac Ongiri, “British PM Invites Uhuru for Visite”, Saturday Nation, 4 mai 2013 ; Peter Kagwanja, “Why UK Ate Humble Pie after Uhuru Win”, Daily Nation, 12 mai 2013.
  • [40]
    “UK Says Sorry for Mau Crimes”, Daily Nation, 7 juin 2013.
  • [41]
    “Kenya’s New Assertive, Pan-African Foreign Policy”, Sunday Nation, 14 avril 2013, p. 26-27 ; “Inside Kenyatta’s Emerging, Assertive Policy in East Africa”, The East African, 13-19 avril 2013, p. 11.
  • [42]
    “Uhuru Kenyatta – Inauguration. My Pledge to Kenyans, International Community”, The Standard, 10 avril 2013, p. 15.
  • [43]
    Selon des sondages effectués durant la campagne électorale, seulement 40 % des Kényans estiment que Kenyatta et Ruto doivent être poursuivis par la CPI (Long, Kanyinga, Ferree, Gibson, 2013, p. 147).

1Les élections kényanes de 2013 sont des élections post-crise. Elles se sont déroulées dans un cadre institutionnel étroitement lié aux compromis obtenus pour mettre fin aux violences post-électorales de 2008 qui ont provoqué plus d’un millier de morts et plusieurs centaines de milliers de déplacés.

2En 2008, les acteurs internationaux ont négocié auprès des parties prenantes un ensemble de solutions de paix très caractéristiques des années 2000. L’industrie du peace-building a une longue histoire mais elle s’est essentiellement constituée dans le contexte des années 1990 marquées par l’évolution des pratiques de guerres (multiplication des guerres civiles et diminution des conflits interétatiques) et une grande vague de démocratisations. Les technocrates du peace-building ont proposé des sorties de crise par la promotion de pratiques démocratiques (libéralisation dans le domaine politique et économique). Mais il est vite apparu que l’organisation trop rapide d’élections s’accompagnait de pathologies de la liberté. Dès lors, dans les années 2000, de nouvelles stratégies de peace-building de type « Institutionalization Before Liberalization » se sont imposées (Paris, 2004). Elles visaient à consolider les institutions avant d’organiser les élections. Dans le cas du Kenya, une nouvelle constitution adoptée en 2010 cherchait à équilibrer les rapports entre les différents pouvoirs et à garantir l’indépendance de certaines structures (notamment la commission électorale) afin d’assurer un scrutin libre. Dans ce paquet de réformes, un volet visait à mettre fin à la culture d’impunité des élites. Ainsi, la Cour pénale internationale fut amenée à inculper plusieurs leaders politiques.

3L’intervention de la CPI a conduit deux dirigeants des communautés qui s’étaient opposées en 2008 à s’allier lors des élections de 2013. Uhuru Kenyatta et William Ruto, tous les deux inculpés par la CPI, ont formé un ticket et ont été élus comme président et vice-président du Kenya. Bien sûr, la CPI est apparue comme la statue du commandeur omniprésente durant tout le processus électoral. Comment ces inculpations par un tribunal international sont devenues l’un des facteurs principaux de cette campagne électorale ? Est-ce que l’élection d’UhuRuto [1] révèle certains effets pervers des stratégies de peace-building actuellement en vigueur ? Est-ce que la CPI n’est qu’une statue du commandeur en papier ?

4Étudier la CPI et les élections de 2013 permet de faire la chronique de la judiciarisation de la vie politique kényane à un moment crucial où des membres de la haute élite sont pour la première fois menacés de poursuites pénales crédibles. Ils déploient des stratégies pour échapper à ce couperet qui vont avoir des effets durables sur la crédibilité des institutions judiciaires et plus globalement sur la qualité de la démocratisation en cours.

5Pour adapter le cadre institutionnel, les hommes politiques se sont livrés à un intense travail de justification et de légitimation qui a conduit à faire évoluer la culture politique. Ainsi, les leaders qui ont gagné la joute électorale sont ceux qui ont mis Dieu de leur côté en créant ce que nous dénommerons une dynamique de « pentecôtisation de la vie politique ».

Impunité des élites et ethnicisation

6Les programmes de peace-building visant à mettre fin à un conflit sont constitués d’une série de mesures plus ou moins importantes. Du point de vue de l’élite kényane, la composante la plus décisive du programme de sortie de crise de 2008 fut la constitution d’un gouvernement d’unité nationale permettant de partager le pouvoir. De nombreux politistes ont souligné les dangers de ces arrangements qui donnent des marges de man œuvres à des politiciens impliqués dans les tensions et dont les ambitions ne sont pas sincèrement démocratiques (Sriram, Zahar, 2009). Ces procédures tendent à fragiliser, sinon à condamner, les dynamiques de justice transitionnelle. Du moins, ces deux formules obéissent à des logiques contradictoires : dès lors que les leaders des différentes factions du conflit participent à un même gouvernement, ils acceptent provisoirement de renoncer aux poursuites pénales de leurs collègues. On se trouve alors dans une situation où le coût politique de l’inculpation pénale de ces dirigeants serait trop élevé. Dans ce type de gouvernement, les différentes factions se protègent mutuellement. L’attitude des élites politiques kényanes à l’égard de l’action de la CPI illustre parfaitement ces logiques institutionnelles. « The big fishes won’t fry themselves », comme l’expliquent Brown et Sriram (2012). Ces deux politistes retracent les étapes et les tactiques de ces leaders pour échapper à toute responsabilité pénale concernant leur implication dans les violences post-électorales de 2008. Ils expliquent que les parlementaires kényans ont rejeté à plusieurs reprises la constitution d’un tribunal hybride chargé de juger leurs leaders. Ces débats parlementaires ont révélé des positions très différentes sur le sujet mais qui convergent toutes vers l’organisation de l’impunité de leur élite, toutes les factions en présence craignant de se trouver impliquées dans ce processus.

7Les politiciens kényans ne souhaitant pas un tribunal hybride, la CPI a pris le relais. Dès lors, le gouvernement de Kibaki s’est livré à une intense activité diplomatique afin que la cour de La Haye soit dessaisie. Il a tenté d’obtenir une résolution de l’Union africaine demandant que les procès des Kényans soient confiés à une cour africaine [2]. Devant l’échec de cette stratégie, l’Attorney General a demandé à la CPI de transférer ces procès auprès de l’East African Court of Justice, alors même que cette cour n’a pas compétence à traiter de ces crimes [3]. Dans un même temps, l’élite kényane a tenté de vider la procédure de la CPI de sa substance en faisant pression sur les témoins à charge (pressions sur leurs familles ou assassinat de personnages clés). L’État lui-même a transmis les pièces demandées par la cour avec retard, sinon avec réticence. La collaboration entre ces institutions a été difficile.

8Devant l’échec des tactiques diplomatiques, la question s’est déplacée au niveau national. Et, pour se protéger des poursuites pénales, les leaders kényans ont appelé Dieu à la rescousse.

9À la fin 2010, quand la CPI a fait savoir que Kenyatta et Ruto faisaient partie des leaders que le Waki Report [4] préconisait de juger, leur carrière politique paraissait compromise. Pour reprendre la main, ces politiciens en ont appelé à l’opinion publique. Ils ont joué le pouvoir du peuple contre celui des juges. Ils ont misé sur la légitimité populaire pour contrer la légitimité de l’État de droit. Ainsi, ils ont fait de l’élection du 4 mars 2013 un référendum sur la CPI. Cette stratégie électorale gagnante s’est exprimée dans un populisme efficace qui a usé et amplifié la pentecôtisation de la vie politique. Ce camp politique a réussi à vendre deux idées improbables. Il a convaincu un grand nombre de Kényans (sinon la majorité) de l’irresponsabilité pénale de leurs leaders concernant les violences post-électorales de 2008 et de la nécessité d’une entente électorale entre les deux principales communautés ethniques qui s’étaient violemment opposé lors des précédents scrutins, les Kalenjin et les Kikuyu.

10En utilisant habilement l’inculpation de la CPI, Uhuru Kenyatta et William Ruto sont devenus les héros de leur propre groupe ethnique (mais pas de celui de leur colistier), ce qui a permis d’unifier leur communauté le temps de l’élection.

11Le populisme d’UhuRuto vise à détourner l’attention des causes effectives de leurs inculpations et des raisons profondes des violences de 2008 afin de mettre l’accent sur des arguments permettant d’unifier des électorats hétéroclites et de faire oublier les antagonismes anciens qui les opposent.

12Il n’y a pas un électorat kalenjin, ou un ensemble de votants kikuyu homogène, « naturellement » disponibles. Ces deux identités sont très divisées. Les Kalenjin nourrissent une « identité gigogne » (Médard, 2008). Les Kalenjin, comme les Luhya, ont développé leur identité essentiellement après la Seconde Guerre mondiale, en fédérant des ethnicités voisines qui restent aujourd’hui encore fortes. À l’intérieur de ces dernières, des clivages et des divisions s’opèrent en fonction des clans et parfois de systèmes générationnels. Claire Médard (2013) montre qu’en fonction des circonstances et des besoins, les Kalenjin usent ou revendiquent l’une ou l’autre de leur identité. Et donc les tensions entre les différents groupes qui composent les Kalenjin peuvent être importantes.

13Il est tout aussi difficile d’unifier les Kikuyu qui se divisent selon des clivages régionaux, de genre (les tensions hommes-femmes sont plus fortes que chez les Kalenjin), de générations et surtout de classes sociales.

14Pour autant, Kalenjin comme Kikuyu ont développé de forts nationalismes ethniques constamment réactualisés, ce qui facilite leur mobilisation en période électorale. D’autant que chacune de ces deux communautés détient lors de chaque élection générale des leaders capables de prendre les sommets de l’État ou de faire pression sur le nouveau chef de l’État (si les Kalenjin n’ont pas proposé de candidats en 2002, 2007 et 2013, ils se présentent à chaque fois comme les faiseurs de rois).

15Pour rassembler ces électorats, nos inculpés devant la CPI usent de la théorie du complot qui est, on le sait, l’un des grands classiques des populismes (Taguieff, 2013). Deux acteurs sociaux sont présentés à la vindicte du public : d’une part, Raila Odinga [5] et plus généralement les Luo, son groupe ethnique d’origine et, d’autre part, les Occidentaux.

16Lors des élections de 2007, la grande majorité des Kalenjin avaient voté en faveur de Raila et sa popularité était incontestable. Le divorce a été progressif. Il a d’abord concerné les élites kalenjin. Dans le gouvernement de Grand Coalition, Ruto a obtenu le ministère qu’il souhaitait, celui de l’Agriculture. Mais, en 2010, il a fait campagne contre le texte constitutionnel proposé à référendum, alors que Raila appelait à voter en faveur de ce texte. Depuis 2009, et notamment en 2011, les parlementaires kalenjin s’opposent à Raila sur la gestion de la Mau Forest. Ce vaste massif est l’une des principaux châteaux d’eau du Kenya et la déforestation continue menée par des occupants plus ou moins légitimes du foncier menace l’approvisionnement en eau de régions entières. Raila est accusé d’avoir géré ce dossier en privilégiant le respect du droit et de l’environnement aux dépens des populations, notamment kalenjin, qui vivent là. En fait, la Mau Forest est depuis plus de deux décennies l’une des zones de tensions récurrentes de la vallée du Rift. On y retrouve les grandes dynamiques héritées de l’ère du président Moi : nettoyages ethniques, distribution illégale de terres publiques dans le cadre du patronage des sommets de l’État (qui laissent de nombreux Kalenjin frustrés), sans parler des tensions entre sous-groupes kalenjin. Dans ce contexte, les députés kalenjin ont choisi de s’unir contre un leader extérieur d’autant que Ruto, impliqué dans une affaire de corruption dans des secteurs liés à son ministère, est contraint de démissionner … à la demande de Raila, disent-ils. Progressivement, la plupart des parlementaires kalenjin se retrouvent derrière Ruto qui apparaît plus que jamais comme le leader de la vallée du Rift.

17Après l’inculpation de Ruto par la CPI, les élites kalenjin accusent Raila d’être à l’origine de ce coup fourré. Ces orateurs jouent de la corde sensible du sentiment de persécution des Kalenjin particulièrement vivace depuis que le président Moi a quitté le pouvoir en 2002. Selon Gabrielle Lynch (2011), le renouveau du nationalisme kalenjin s’est construit sur le profond sentiment d’injustice que ces populations ressentiraient. Dans ce contexte, les discours sont virulents et les attaques contre les Luo se font haineuses. Fin juillet 2012, la CPI avertit Kenyatta et Ruto que la cour vérifie qu’ils ne se livrent pas à des discours de violence (hate speech) ou qu’ils n’incitent pas à la violence [6].

18Les Occidentaux sont également dénoncés comme les agents de l’inculpation des deux leaders. Ils soutiendraient la candidature de Raila à la présidence et manipuleraient la justice internationale afin de faire élire leur poulain. La CPI est décrite comme une justice néocoloniale qui n’inculperait jusqu’à présent que des leaders africains et qui viserait à garantir la domination du Nord sur les pays du Sud. Ainsi, la CPI constituerait une atteinte à la souveraineté du pays. Elle serait une menace grave pour la sécurité du pays et suppose donc une résistance de tous contre cette attaque. Cette rhétorique en appelle également au passé et à une relecture de l’histoire des Kalenjin et des Kikuyu. Ainsi, le combat de Ruto fait écho à celui de Koitalel Samoei, le leader Nandi qui a résisté contre les Britanniques au début duxxe siècle, et la lutte d’Uhuru rappelle celle de son père, Jomo Kenyatta, emprisonné à la suite d’un infamant procès truqué (1952-1953). Plus que jamais le récit de (des) histoire(s) du Kenya sont des enjeux politiques cruciaux.

19La figure de Koitalel Samoei reste aujourd’hui très populaire car les radios vernaculaires, et notamment Kass FM, ont fait de nombreuses émissions sur son histoire. Le nationalisme kalenjin contemporain utilise son héroïsme et sa résistance au colonialisme comme l’une de ses grandes références. L’État lui-même a, ces dernières années, souligné son rôle en construisant un mausolée national sur le site de son emprisonnement (Simatei, 2010, p. 427). Ruto revendique d’autant plus cet héritage que son propre père se dénommait Daniel Cheruiyot Samoei et que Ruto lui-même se fait couramment appeler William Samoei Ruto.

20Uhuru Kenyatta n’a pas de mal à jouer de la corde sensible du procès de Kapenguria qui avait condamné son père sur la foi de témoignages truqués. Ce procès avait sauvé la carrière de Jomo Kenyatta, très menacé par une élite plus radicale que lui. Après son emprisonnement dans le nord du pays et au cours duquel Uhuru a été conçu, Jomo Kenyatta est apparu comme le leader incontesté du pays et le Père de la Nation. De nos jours, la perfidie britannique est d’autant plus dans les esprits que les médias rappellent régulièrement les difficultés des anciens Mau Mau pour obtenir par la voie judiciaire une compensation pour leurs souffrances. Mais la référence à Jomo est somme toute assez discrète car les discours rapprochent plutôt le sort d’Uhuru de celui de Dedan Kimathi, le leader Mau Mau, mort tragiquement entre les mains des Britanniques. Cette figure parle davantage aux jeunes qu’il s’agit de séduire prioritairement. Qui aurait imaginé que l’héritier, né avec une cuillère d’argent, serait un jour considéré comme le Kimathi des temps modernes ? Kimathi était jusque-là le symbole des exclus, des sous-prolétaires et surtout des paysans en demande de terres [7].

21Ainsi, les récits de victimisation et la référence à un passé mythifié permettent de construire Uhuru et Ruto en héros, des figures relevant de la légende et destinées à guider leurs peuples. À travers ces héros, il s’agit de faire rêver les populations d’un destin collectif prospère et prestigieux, cela dans des périodes de crise et de doute. UhuRuto proposent des récits, différents dans chacune de leur communauté, qui relient un passé mythifié à un futur tout aussi improbable mais fait de jours meilleurs. Ils leur proposent un futur de modernité : à eux de devenir la « génération digitale » contre les autres communautés qui resteraient dans la « génération analogique », selon les images constamment martelées par William Ruto [8]. Ce travail de propagande fonctionne plus particulièrement en période électorale nécessairement perçue comme moment propice au changement.

22Le procès en victimisation et la stratégie d’héroïsation d’UhuRuto tirent leur efficacité du registre religieux que ces politiciens usent pour l’énoncer et mobiliser.

La CPI et la pentecôtisation de la vie politique

23Début 2011, ces deux politiciens sillonnent le pays et se livrent à des prayer meetings. Ils sont accompagnés de prélats qui dirigent les prières et de nombreux parlementaires qui lancent les attaques les plus violentes et préparent ainsi la perspective d’un ticket Uhuru-Ruto. Peu à peu, la plupart des parlementaires de l’ethnie des deux leaders se rendent à ces cessions de prayer meeting-cum rally. Il ne faut pas apparaître comme pro-CPI si l’on souhaite se faire réélire. De plus, ils sont payés pour leurs frais de déplacement [9]. Des leaders d’autres ethnies participent activement dès lors qu’ils s’opposent à Raila. En 2011, ces élus viennent plutôt de l’ensemble ethnique KKK (Kikuyu, Kalenjin, Kamba) et en 2012, avec la G7 Alliance, le front s’ouvre notamment aux Luhya à travers Eugène Wamalwa (Saboti MP) et aux Kisii, par Omingo Magara (South Mugirango MP).

24En 2012, les cérémonies lançant les campagnes électorales de Kenyatta et de Ruto se font également dans un cadre religieux. Le meeting du vice-Premier ministre Kenyatta, au cours duquel celui-ci annonce sa candidature, se déroule à Limuru dans des locaux de NCCK (National Council of Churches of Kenya), la principale fédération d’églises protestantes. Deux évêques Emeritus [10], Peter Njenga, un anglican, et Lwai Imathiu, un méthodiste, en appellent à l’unité des populations Gema (Gikuyu, Embu, Meru) contre les « fausses accusations des ennemis de l’intérieur et de l’extérieur ». Le meeting de Ruto se situe au Catholic Pastoral Centre et l’évêque Korir a accueilli lui-même les invités [11]. De nombreux pasteurs ont pris la parole, dont le révérend Murupus, qui a déclaré que les Kalenjin n’ont jamais prémédité les violences de 2008 et que la responsabilité des heurts revient tout entière à Raila Odinga qui a refusé le résultat des élections [12].

25Cette imbrication du politique et du religieux fait constater à un éditorialiste, Keguro Macharia, une « reconsolidation du christianisme comme religion d’État [13] ». En réalité, les prayer meetings participent d’une dynamique plus vaste de pentecôtisation de la vie politique et sociale.

26Tout au long duxxe siècle, et aujourd’hui plus que jamais, le christianisme reste le socle de l’identité nationale kényane. Dans un contexte de forte polarisation ethnique, cette identité chrétienne peut ponctuellement dépasser les autres clivages. Mais cela s’opère dans des limites étroites car les Églises ont constamment participé de la cristallisation des ethnies et, depuis une décennie, elles se sont tribalisées au sens que leur clergé dérape couramment dans des positions communautaristes (Droz, Maupeu, 2013). Lors de la campagne électorale, UhuRuto usent d’une approche particulière du christianisme. Ils s’efforcent de pentecôtiser l’idéologie chrétienne nationale. Le Kenya, comme les autres pays africains, a subi la vague pentecôtiste et, de nos jours, près d’un tiers des Kényans se dit pentecôtiste (Barrett, Kurian et al., 2001). Mais, depuis les années 1930, tout le mouvement protestant est influencé par la théologie et les rituels pentecôtistes du fait de l’extraordinaire succès du East African Revival Fellowship (Peterson, 2012). UhuRuto usent particulièrement de l’idéologie et des structures pentecôtistes alors même qu’ils ne sont pas issus de ces Églises [14]. Ces politiciens s’associent à de vrais big men dotés de systèmes de patronage et de moyens de communication conséquents. Au contraire, les églises historiques ont des leaders mais pas de big men. Le pouvoir y est souvent décentralisé avec une large autonomie des paroisses et au niveau des diocèses et du pays, les services sociaux des églises sont bureaucratisés et ne participent pas d’un clientélisme.

27UhuRuto retiennent surtout du pentecôtisme une théologie qui met l’accent sur l’action du Saint-Esprit, le privilège d’être « sauvé », le pardon de Dieu, dès lors qu’on se repent, la vraie justice étant celle de Dieu, et qui estime que tout bien vient de Dieu [15]. Les rituels à coloration pentecôtiste participent également des prayer meetings sous forme de confessions, de longs témoignages. L’émotion est toujours exacerbée et ainsi les messages idéologiques se veulent plus convaincants.

28Cette approche manichéenne du christianisme permet de dénoncer devant Dieu les coupables des malheurs des Kényans (Raila Odinga et les Occidentaux), puis de prier pour la paix du pays.

29La communication politique des inculpés de la CPI, devenus candidats à la présidentielle, a été habile dans la gestion du temps. Durant l’automne 2012, dès que la campagne électorale a officiellement commencé avec les primaires des différentes élections (gouverneurs, députés, sénateurs), Jubilee a délaissé les attaques qui ont permis d’unifier Kikuyu et Kalenjin. Ils sont alors devenus les pèlerins de la paix promettant la fin des tensions avec les communautés qui avaient subi les violences post-électorales de 2008. Il s’agissait de séduire Au-delà de la Province centrale et de la vallée du Rift. Pendant ce temps, Raila promettait que, s’il était élu, il rapatrierait les procès des inculpés de la CPI. Mais ces efforts en faisaient un hypocrite, sinon un menteur. Quant aux Occidentaux, ils ont clairement pris parti contre la candidature des inculpés et leurs interventions sont apparues comme la confirmation du complot dénoncé par Jubilee et comme des atteintes à la souveraineté kényane. Leurs mises en garde ont ranimé le patriotisme et ont validé la position de victime de leurs leaders.

figure im1
La paix, clé de la campagne électorale 2013. Quatre jours après le vote, la majorité des résultats électoraux est déjà annoncée, et Uhuru Kenyatta semble l’emporter, vu qu’un second tour n’aura finalement pas lieu. Sur cette photographie, des partisans du parti The National Alliance (TNA), dont le leader est Uhuru Kenyatta, se rassemblent au siège de la coalition Jubilee. L’un d’entre eux porte sur les épaules un tissu imprimé rouge et blanc aux couleurs du parti TNA, un tissu imprimé de type kanga, porté généralement par les femmes qui comporte habituellement des messages religieux, moraux ou amoureux. Une colombe, symbole de paix universellement reconnue, y figure. Mot d’ordre de cette élection générale de mars 2013, la paix est l’élément discursif central des leaders de Jubilee. Ces derniers se présentent comme de véritables pèlerins de la paix, promettant la fin des tensions entre les communautés qui avaient subi les violences post-électorales de 2008.
Photo de Phil Moore, Nairobi, Kenya, 2013.

30Les prayer meetings ont ainsi unifié des Kalenjin très divisés par les multiples ethnicités qui constituent ce groupe. Les Kikuyu ont également dépassé les clivages sociaux qui les fragmentent et les sous-prolétaires, notamment de Mungiki, se sont retrouvés politiquement aphones. En se victimisant, les leaders ont provisoirement enterré la hache de guerre entre leurs communautés, mais aucun d’entre eux n’a renoncé à l’idéologie de l’autochtonie qui justifiait les violences de la vallée du Rift lors des cycles électoraux précédents et notamment en 2008 (Boas & Dunn, 2013).

31Avec les prayer meetings, UhuRuto inventent un nouveau langage du politique qui allie prophétisme et rédemption. Kalenjin, comme Kikuyu, ont des cultures à prophétisme (Anderson & Johnson, 1995). En période d’incertitude et d’insécurité (spirituelle), des figures de prophètes se dégagent pour expliquer les nouveaux enjeux, les règles et les principes à respecter pour s’en sortir. Ces prophétismes peuvent aisément s’exprimer à travers le registre pentecôtiste (Droz, 1999). En l’occurrence, nos leaders politiques ont puisé dans le stock de références pentecôtistes et évangéliques l’idée de rédemption politique « Born Again ». Cette forme de discours a séduit car, en demandant à Dieu de sauver les leaders injustement inculpés, les citoyens se trouvent sauvés, ce qui répond sur le moment à leur insécurité matérielle, sociale et morale. Comme le rappelle Ruth Marshall (2009, p. 10), ces « spiritualités politiques » correspondent à des régimes de pratiques pentecôtistes qui mettent l’accent sur le travail que l’individu doit faire sur lui-même. La conversion Born Again suppose une conduite personnelle exemplaire sinon ascétique qui correspond bien à un pays où la morale individuelle (plus que la morale publique) et le contrôle social sont de plus en plus pesants (surtout sur les femmes). UhuRuto ont su expliquer que la réussite du pays repose sur la moralité des individus et dès lors sur leur capacité à réussir économiquement. L’État n’a d’autre fonction que d’offrir un cadre où la volonté de Dieu et des individus agissant sous le regard de Dieu puisse s’exprimer. La campagne électorale de Jubilee [16] se voulait un prophétisme où la rédemption des leaders et de leur peuple devait conduire à une prospérité, sinon un âge d’or, que les évangélistes de la prospérité n’ont cessé de promettre depuis les débuts de la grande vague évangélique.

32Les politiciens ont d’autant mieux contrôlé ces spiritualités politiques que les Églises n’ont pas eu de message clair. L’appareil catholique a diffusé au mois de novembre 2012 une déclaration appelant à ne pas voter pour des candidats manquant d’intégrité. Certains ont interprété ce message comme visant la candidature d’Uhuru, mais, au niveau local, le clergé catholique de la Province centrale a clairement fait campagne pour Jubilee. Il ressort de la campagne des positions très disparates selon les leaders religieux [17]. Le clergé est apparu plus concerné par son lobbying pour le nouvel Education Bill que par les élections générales [18]. Il est vrai qu’il est sorti sonné (et déconsidéré) de la campagne électorale de 2007 où des acteurs religieux avaient alimenté les haines qui ont contribué aux violences post-électorales. Lors du référendum constitutionnel de 2010, les Églises ont été les fers de lance de l’opposition à ce texte que les Kényans ont adopté à une large majorité (Osur, 2011).

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Ferveurs religieuses et grands-messes de paix. La veille des élections générales, le dimanche 3 mars 2013, le candidat à la présidentielle Uhuru Kenyatta (à gauche) et son colistier William Ruto (à droite), tous deux à genoux, prient publiquement lors d’une grand-messe interconfessionnelle à Kiambu.
Les deux coalitions ont usé de ce mode de communication politique. Raila Odinga s’est fortement appuyé sur le prophète David Owuor et son organisation. Ainsi, l’un des moments forts de la campagne fut le vaste meeting de national repentance d’Uhuru Park, à la fin février 2013, mené par ce leader religieux au nom de Cord. À cette occasion, tous les leaders politiques ont parlé de la repentance du pays après les violences post-électorales de 2008. Ils ont annoncé que les élections se dérouleraient sans recours à la force, quelle qu’en soit l’issue.
Photo de John Muchuchaafp, AFP Photo, Kiambu, Kenya, 2013.

33Paradoxalement, les Églises « historiques [19] » se sont retrouvées en dehors d’une campagne électorale s’énonçant sur le registre chrétien. Le message des anciennes Églises missionnaires était inaudible, car la formulation des arguments se faisait sur un mode pentecôtiste qui n’est pas celui des églises « historiques [20] ». Même Cord a usé de ce mode de communication. Raila Odinga s’est fortement appuyé sur le prophète David Owuor et son organisation. Ainsi, l’un des moments forts de la campagne fut le vaste meeting de national repentance d’Uhuru Park, à la fin février 2013, mené par ce leader religieux au nom de Cord. À cette occasion, tous les leaders politiques ont parlé de la repentance du pays après les violences post-électorales de 2008. Ils ont annoncé que les élections se dérouleraient sans recours à la force, quelle qu’en soit l’issue [21].

34Ainsi, tout le monde se repent et espère que le scrutin de mars permettra de tourner la page. Est-ce que cela signifie que les Kényans renoncent à toute forme de justice transitionnelle ?

Une impossible justice transitionnelle ?

35L’élection à la présidence du ticket Kenyatta-Ruto fragilise plus encore les procédures en cours de justice transitionnelle [22]. Dorénavant, l’État kényan est vent debout pour contrer la CPI qui s’apprête à juger ses leaders. Quant aux procédures de réconciliation, elles ne paraissent plus intéresser grand monde. Le temps de la justice et des commissions n’est pas le même que celui de la démocratie électorale, ce qui amène des disfonctionnements que les hommes politiques exploitent habilement.

36Dans le cadre de la négociation de paix en 2008, une Truth, Justice and Reconciliation Commission (TJRC) a été mise en place. Elle se situe dans la lignée des nombreuses commissions chargées d’étudier des épisodes de violence politique (l’Akiwumi Commission et la Mutua Commission, par exemple) et qui sont restées lettre morte. Cette TJRC a d’emblée été marquée par de profondes divisions entre les commissaires, notamment entre ceux désirant la démission de leur président, Bethuel Kiplagat [23], et les autres. Son mandat a été dilué puisqu’elle examine les violations des droits de l’homme commises par les pouvoirs publics de 1963 au 28 février 2008. Instaurée en 2009, elle devait livrer son rapport au bout de deux ans mais, à la suite de plusieurs reports, ses travaux n’ont pris fin qu’après le scrutin de 2013, rendant son intérêt plutôt limité : après l’élection, il faut d’abord traiter les frustrations provoquées par la campagne, par l’organisation du processus et par les résultats officiels qui ne satisfont pas l’ensemble des Kényans. Dès lors, tous les éditorialistes se déchaînent contre cette commission. Avant même de connaître ses conclusions, ils estimaient tous qu’elle n’avait pas rempli son rôle. « In the spirit of moving on, the TJRC should just edit its report to two pages and send it to the Museum to give Kenyans a chance to embrace peace under the Jubilee government », estime Kwamchetsi Makokha [24]. Même les représentants des ONG des droits de l’homme, à l’instar de L. Muthoni Wanyeki, pensent : « Dialogue ? Reconciliation ? Forget that stuff, move on [25]. » Le rapport de la TJRC a été publié au mois de mai. Il met en cause de nombreux leaders et demande notamment des poursuites pénales contre plus d’une trentaine d’élus. Les médias ont correctement relayé l’information mais, jusqu’à présent, le système judiciaire n’a pas pris le relais et les politiciens sembler passer à autre chose. D’autres commissions doivent poursuivre ce travail de dévoilement des violences et des dérives politiques. Ainsi, dans le courant de l’année 2013, une commission sur le foncier doit être mise en œuvre, mais il est probable qu’elle connaisse le même sort que les précédents rapports sur ce thème (Ndungu Report, Njonjo Land Report).

37En réalité, ces commissions sont aujourd’hui rejetées par une grande partie de l’élite politique kikuyu et kalenjin car elles sont occupées à imposer leur propre lecture de l’histoire du pays et particulièrement de la crise de 2008. Ce révisionnisme est important quand il faut rapprocher politiquement des populations qui s’opposent depuis des décennies. L’exercice est périlleux car ce sont les mêmes leaders qui parlaient hier de différences irréconciliables et qui plaident aujourd’hui pour une collaboration étroite. Ils doivent expliquer pourquoi les contentieux d’hier ne sont plus d’actualité, cela dans des régions où le sang a été versé à plusieurs reprises. Ainsi, Ruto défend l’idée que le massacre de Kiambaa (janvier 2008), au cours duquel une trentaine de personnes sont mortes dans l’incendie d’une église assiégée par des bandes de Kalenjin, serait le résultat d’un accident : « The cause of the incident was an accidental kitchen fire during preparations for lunch [26]. » Dès lors, la tuerie la plus fameuse des violences post-électorales de 2008 ne serait pas le fait des jeunes Kalenjin. À ce titre, les leaders d’ODM ont boycotté l’enterrement officiel des victimes de Kiambaa en 2011, ainsi que l’inauguration des plaques de commémoration. Ils refusent une mémorialisation qui dénoncerait les exactions kalenjin en oubliant les massacres perpétrés par l’autre camp, celui des Kikuyu. Dans le même esprit, de nombreux leaders kalenjin ont refusé de témoigner devant la TJRC, mais ils se sont justifiés dans les médias (souvent ethniques). Ainsi, Jackson Kibor, un homme d’affaires qui, selon le Waki Report (2008), aurait financé certains groupes armés, préfère s’expliquer auprès des journalistes de Reuters et sur le site www.kalenjin.net, plutôt que de répondre à la convocation de la TJRC [27].

38La TJRC a semblé perdre son efficacité sociale, dès lors qu’elle livrait ses travaux après le scrutin. De la même façon, les procès de la CPI auraient eu un effet bien différent s’ils étaient intervenus avant les élections. Dorénavant, l’État kényan s’emploie à sortir le président et le vice-président du piège de la CPI. Ainsi, au mois d’avril 2013, le Kenya a demandé au Conseil de sécurité de l’ONU le rapatriement de ces procès dans le cadre d’une cour pénale kényane. Les avocats des inculpés ont sollicité la possibilité d’assister aux séances de la cour depuis le Kenya, grâce à des communications Internet. Ruto a même souhaité être jugé in absentia. Début mai 2013, le Kenya fait savoir au Conseil de sécurité qu’il souhaite qu’il soit mis fin aux procès de Kenyatta, Ruto et Sang, au motif qu’ils menacent la stabilité de toute la région, alors que les électeurs ont tranché la situation [28].

39Durant la campagne électorale, UhuRuto se sont révélés de bons communicants politiques, adressant des messages différents selon les audiences : aux chancelleries occidentales, ils ont promis qu’ils respecteraient les procédures de la CPI et, au peuple, ils ont expliqué que le citoyen est le vrai juge des événements de 2008, au nom des principes de la démocratie et de la souveraineté que les acteurs internationaux ne peuvent dénier. Dès lors que le peuple a élu UhuRuto, les représentants de la communauté internationale se trouvent bien démunis : « Ils nous ont pris par les couilles », explique un diplomate. Les sociologues des opérations de maintien de paix ont bien expliqué ces dynamiques. Si l’on considère ces procédures de structuration de la paix comme un processus de négociations continues entre les élites locales et les acteurs internationaux, ces derniers perdent constamment de leur influence au fur et à mesure que le temps s’écoule après la crise. L’« empreinte » de la solution de paix adoptée pour sortir du conflit s’efface peu à peu et les intérêts divergents des « ingénieurs de paix » et des élites domestiques sont de plus en plus apparents (Zürcher et al., 2013). Dans le cas du Kenya, les élus tentent de faire prévaloir la logique démocratique aux dépens de la logique judiciaire et leur coup de force peut réussir dans un pays où l’État de droit est pour le moins fragile.

40Ainsi, les élites politiques s’efforcent de faire prévaloir leurs intérêts aux dépens de principes qu’une communauté internationale peu affirmée tente de faire prévaloir. Cela peut provoquer des tensions dans le domaine des relations internationales.

Vers une diplomatie postcoloniale ?

41Les procédures de la CPI ne sont jamais des affaires « simplement » nationales. Elles mettent en jeu une vision de la communauté internationale et de sa responsabilité, notamment pour protéger les populations persécutées. Dans le cas du Kenya, son intervention se fait à la suite de l’engagement de représentants de la communauté internationale lors des négociations de sortie de crise en 2008. Dès lors, les procès d’UhuRuto deviennent une affaire éminemment internationale dans la mesure où ces politiciens ont été élus à la tête de leur État. Et les Kényans ont bien conscience que des solutions doivent être trouvées au niveau international.

42Afin de contrer leur inculpation par une cour internationale, UhuRuto, ou du moins leurs soutiens dans l’État kenyan, ont usé des armes de la diplomatie depuis 2011 et ils continuent de le faire après le scrutin de 2013, ce qui peut avoir de vastes effets. D’abord, l’élection à la tête de l’État de deux politiciens inculpés par la CPI va conduire à un infléchissement des relations que le Kenya entretient avec les autres acteurs des relations internationales. Certains analystes prédisent la mise en place d’une diplomatie postcoloniale qui consoliderait les liens entre les pays est-africains autour d’une commune prise de distance à l’égard des Occidentaux, pour mettre l’accent sur les relations avec les nouvelles puissances émergentes, essentiellement asiatiques, qui respecteraient mieux la souveraineté des acteurs africains. De leurs côtés, les Occidentaux se retrouvent empêtrés dans les contradictions du programme de retour à la paix (peace-building) qu’ils ont parrainé lors de la crise de 2008 [29] et, après le scrutin de 2013, ils semblent adopter une position attentiste.

43Les acteurs internationaux impliqués dans la résolution de la crise de 2008 se sont clairement exprimés contre la candidature de Kenyatta et de Ruto à la présidentielle. En octobre 2012, Kofi Annan, de passage à Nairobi dans le cadre du suivi du programme de sortie de crise sous la houlette du Panel des éminentes personnalités africaines, fait savoir que l’élection de deux inculpés de la CPI aurait des incidences sur les relations du Kenya avec les autres pays [30]. Début février 2013, Johnnie Carson, l’US Assistant Secretary of State, rappelle la position américaine selon laquelle l’élection à la présidence d’un pays d’un inculpé auprès de la CPI pourrait être reçue négativement par les États-Unis [31]. La Grande-Bretagne et la France annoncent qu’en pareille éventualité leurs ambassades entretiendraient des « contacts minima » avec ce dirigeant [32]. Les journaux ont interrogé de nombreux universitaires qui ont disserté sur les risques d’isolement diplomatique, sur l’aide occidentale qui pourrait se tarir et sur les échanges économiques qui pourraient en pâtir [33].

44Dans ce contexte, le programme de Kenyatta annonçait des infléchissements significatifs de la politique étrangère kényane qui reposerait moins sur les relations avec l’Occident et regarderait davantage vers l’est (shift east), du côté des puissances émergentes, les BRICS, notamment l’Inde et la Chine. Il ne s’agissait toutefois pas d’une rupture dans la politique étrangère du pays puisque le régime de Kibaki a déjà mis en œuvre ces principes. Depuis l’adoption de Kenya Vision 2030, le développement économique s’appuie sur des grands travaux et la construction d’infrastructures, le plus souvent en PPP (partenariat public-privé), qui conduisent généralement à travailler avec des entreprises asiatiques. Jusqu’à présent, ce tropisme asiatique était justifié par des contingences économiques, dorénavant, il s’appuie également sur des raisons idéologiques, ou du moins au nom d’une conception de la souveraineté.

45Après l’élection de Kenyatta, les pays occidentaux ont salué le caractère pacifique du scrutin et ils ont majoritairement attendu la décision de la Cour suprême pour saluer les élus. Le Botswana a d’abord annoncé qu’il ne recevrait pas Uhuru, puis est revenu sur sa décision [34]. Les autres pays africains n’ont guère commenté le fait que les nouveaux élus sont inculpés par la CPI, à une exception notable, celle de Museveni. Lors de la cérémonie d’investiture de Kenyatta, Museveni, qui représentait les pays de la Communauté est-africaine, a félicité les Kényans d’avoir rejeté le « chantage » de la CPI. En outre, il a accusé la cour d’arrogance et d’ignorance. Elle ne permettrait pas de résoudre les problèmes liés aux violences post-électorales de 2007-2008 : « An external and legalistic process cannot address those events. Events of this nature first and foremost need an ideological solution by discerning why they happened [35]. »

46Cette prise de position constitue un sérieux appui à la nouvelle équipe dirigeante du Kenya. Elle a étonné certains analystes car Museveni entretient des liens plus étroits avec Raila Odinga [36]. Dorénavant, il se présente comme un partenaire privilégié pour aider les nouveaux élus à lever l’hypothèque de la CPI. Il apparaît ainsi comme le parrain, sinon le leader, de l’Afrique de l’Est, ce qui lui permet de compenser la contestation qu’il subit en Ouganda, dans son propre camp. Les Kényans, pour leur part, misent sur le soutien des pays voisins pour éviter l’isolement diplomatique que les chancelleries occidentales leur promettaient. De fait, les gouvernants est-africains sont tous relativement méfiants à l’égard du système de la CPI. On sait que les Rwandais ont instrumentalisé la justice internationale et se sont parfois opposés au TPIR d’Arusha (Guichaoua, 2011). Les Burundais ont habilement manipulé les plans internationaux de gestion de paix (peace-building) et les politiques de justice transitionnelle (Curtis, 2012). Les Tanzaniens se sont prononcés pour un rapatriement des procès de la CPI en Afrique de l’Est (et notamment à Arusha). Et les Ougandais conçoivent la CPI comme un outil pour lutter contre la LRA, mais certainement pas comme un tribunal appelé à juger des gouvernants. Le Kenya peut bénéficier d’un front informel de méfiance à l’égard de la CPI qui va de la corne de l’Afrique à l’Afrique des Grands Lacs, en passant par le Soudan. Toutes les puissances régionales vont appuyer un Kenya dont ils apprécient qu’il se trouve sensiblement fragilisé dans le domaine international. Pourtant, aucun pays de la zone n’a intérêt à ce que le Kenya soit déstabilisé et mis au ban des nations. Mais les leaders est-africains ne vont pas se livrer à une vive offensive anti-Occident. Ces anciens leaders de guérillas ne sont plus dans leur phase idéologique. Ils se veulent avant tout pragmatiques, à l’image du Rwanda qui laisse Bosco Ntaganda rejoindre La Haye (avril 2013) [37], tout en soutenant au sein du Conseil de sécurité les initiatives du Kenya contre la CPI. Durant le mois de mai 2013, les États est-africains ont fait front commun pour utiliser les cérémonies du 50e anniversaire de l’Union africaine et obtenir un vote quasi-unanime pour condamner les poursuites de la CPI contre les inculpés kényans et pour demander le rapatriement de ces procès dans des cours nationales [38].

47La nouvelle ministre des Affaires étrangères du Kenya, Amina Mohamed, est avant tout chargée de renouer les liens avec les Occidentaux, ne serait-ce que parce que les échanges économiques se font d’abord avec ces pays, beaucoup plus qu’avec l’Asie. Cette diplomate de haut vol va mobiliser cette administration toujours très performante (mais minée par de nombreuses affaires de corruption) pour rassurer tous ses partenaires. La tâche ne devrait pas être insurmontable car les Occidentaux savent que la région a besoin d’un Kenya correctement gouverné. Ainsi, début mai 2013, la Grande-Bretagne s’est employée à normaliser ses relations avec le Kenya en invitant Kenyatta à participer à Londres à une réunion sur la Somalie [39]. Au mois de juin 2013, elle calme également le jeu en demandant pardon pour les crimes commis lors de la crise Mau Mau [40]. Début juillet, les Français ont invité le président Kenyatta à se rendre à Paris pour le sommet France-Afrique du mois de décembre.

48Doit-on penser, à l’instar de Peter Kagwanja [41], que la politique étrangère kényane est en train de connaître un virage de grande ampleur ? Il annonce une diplomatie plus nationaliste et davantage impliquée dans la construction de l’Afrique de l’Est. Il discerne une vision panafricaine affirmée qui conduirait à un ordre mondial plus juste et plus équitable. Au regard de ces principes, on doit comprendre l’affirmation du président Kenyatta lors de son investiture et qui fait vraisemblablement allusion à la CPI : « No one country or group of countries should have control or monopoly on international institutions or interpretation of treaties [42]. » Il est vraisemblable que sauver la peau du président et du vice-président est devenue la priorité de la diplomatie kényane et cette épée de Damoclès va peser sur les autres domaines d’intervention du ministère des Affaires étrangères. À l’évidence, l’État kényan est un appareil au service d’une élite gouvernante : une organisation du pouvoir de type « néopatrimonialiste » diraient les politistes, à l’instar de Médard. C’est également une bureaucratie et une structure existant de par sa reconnaissance internationale. Est-ce que son instrumentalisation par UhuRuto va changer l’ADN diplomatique du Kenya ? Probablement pas, car les Occidentaux ne veulent pas d’une crise avec le Kenya, même s’il faut avaler des couleuvres pour sauvegarder les apparences.

Conclusion

49La justice transitionnelle est habituellement étudiée par les juristes ou les spécialistes des relations internationales. Ils mettent l’accent sur le fonctionnement et les interactions entre les institutions. En complément de ces démarches classiques, notre étude a privilégié une approche de sociologie politique soulignant l’importance de la culture politique et du jeu des identités pour comprendre la façon dont les Kényans appréhendent les procédures de justice transitionnelle. Ainsi, nous avons montré que les deux inculpés de la CPI ont, à l’occasion de la campagne électorale de 2012-2013, habilement recristallisé l’identité de leur ethnie respective en diffusant des discours de victimisation et en formulant une relecture de l’histoire de leur communauté faisant d’eux des héros. Cette stratégie, somme toute classique, a particulièrement bien fonctionné car ils ont usé d’un registre religieux, de type néo-pentecôtiste, donnant une grande force à leur message de repentance et d’autojustification. Ils se sont fabriqués une nouvelle virginité et l’impunité des élites kényanes se trouve ainsi renouvelée [43]. Ce faisant, ils ont également infléchi la culture politique du pays en développant une véritable pentecôtisation de la vie politique.

50Néanmoins, les inculpations par la CPI de deux leaders majeurs ont contraint l’élite politique à ne pas user de violence durant la campagne électorale. Mais cela ne signifie pas que les prochains scrutins seront pacifiques.

51Certes, le cadre institutionnel a changé et certains facteurs de violence électorale se sont dès lors émoussés (sans disparaître). Avec la nouvelle constitution de 2010, qui institue une forte décentralisation, l’élection présidentielle devient moins décisive. La fameuse règle du « winner takes all » pollue moins le jeu politique, puisque les perdants au niveau national peuvent contrôler des régions entières et ainsi accéder aux mannes de l’État. Encore faut-il que la décentralisation soit correctement mise en place. L’élection de 2013 a mis aux sommets de l’État un tandem composé d’un président plutôt hostile à la nouvelle constitution et un vice-président qui a toujours plaidé pour une forte décentralisation (de type majimbo, selon le jargon politique kenyan). Le sort des collectivités territoriales dépend étroitement de la qualité de leur association concurrentielle.

52Un autre facteur institutionnel a contribué à la pacification des élections de 2013 : l’existence d’une Cour suprême, recours judiciaire accepté par la classe politique pour résoudre les contentieux électoraux. Mais sa décision de 2013, qui a validé l’élection présidentielle, a été très contestée et a déjà miné sa légitimité. La commission électorale a plutôt correctement fonctionné tout au long de la campagne électorale, mais son travail est particulièrement critiqué depuis le scrutin. Deux mois après, elle n’a toujours pas livré l’ensemble des résultats de l’élection et il semble de plus en plus évident que les chiffres de l’élection présidentielle ne sont pas en cohérence avec ceux des autres élections. Si cette commission n’est pas drastiquement réformée, l’opposition aura la conviction qu’il est impossible de gagner sincèrement la présidentielle du fait des manipulations des sortants.

53Plus généralement, le système institutionnel semble aujourd’hui particulièrement instable. Depuis l’élection, les différents pouvoirs cherchent à préciser leurs rôles et les relations entre eux : la chambre des députés s’affirme par rapport au Sénat ; les gouverneurs définissent leur place par rapport à l’administration provinciale et aux députés ; le pouvoir judiciaire consolide avec difficulté son indépendance nouvellement acquise et la présidence bicéphale tente d’imposer sa centralité. Ainsi, le cadre institutionnel se cherche, ce qui crée une situation de grande instabilité politique. Pour reprendre la distinction de Bailey, à un moment où les « règles normatives » ne sont pas claires, les « règles pragmatiques » s’affirment et visent à imposer leur interprétation des normes.

54Depuis le scrutin de 2013, l’État kenyan s’est donné pour priorité absolue d’assurer l’impunité de ses dirigeants. Toutes les institutions doivent donc se plier à cet impératif catégorique. Cela crée des conditions idéales pour instaurer de façon durable une démocratie autoritaire.

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Mots-clés éditeurs : coalitions politiques, ethnicisation de la vie politique, impunité des élites politiques, Kenya, CPI

Date de mise en ligne : 20/02/2014.

https://doi.org/10.3917/afco.247.0033

Notes

  • [1]
    Durant la campagne électorale, les journalistes ont inventé le terme de « UhuRuto » pour parler du ticket à la communication bien huilée.
  • [2]
    Peter Opiyo, “Why Kenya-AU Plot against ICC May Stall”, The Standard, 17 juillet 2012.
  • [3]
    Bernard Namunane, “AG Wants Uhuru, Muthaura Cases Moved to Arusha”, Daily Nation, 1er décembre 2012.
  • [4]
    Dans le cadre de la sortie de crise de 2008, les acteurs internationaux ont parrainé plusieurs rapports d’enquête, dont le Waki Report, chargé notamment de préciser les responsabilités des leaders dans les violences postélectorales.
  • [5]
    Lors des élections générales de 2013, deux camps se sont opposés : Cord, dirigé par Raila Odinga, et Jubilee, dont Uhuru Kenyatta et William Ruto sont les leaders.
  • [6]
    Olivier Mathenge, “Uhuru and Ruto under ICC Watch over Rules”, Daily Nation, 27 juillet 2012, p. 10.
  • [7]
    Cela rend les journalistes ironiques : Otieno Otieno, “ICC Case is Turning Uhuru into the New Dedan Kimathi”, Sunday Nation, 17 février 2013.
  • [8]
    Peu après leur victoire électorale, à l’occasion de leur premier discours, UhuRuto ont annoncé qu’ils étaient prêts à lancer la « transformation digitale du pays », Daily Nation, 10 mars 2013.
  • [9]
    “Amounts Range from Sh20,000 to Sh100,000 Depending on your Seniority and Influence”, Daily Nation, 7 avril 2012, “MPs milking the ICC Cases Dry”.
  • [10]
    « Emeritus », c’est-à-dire qu’ils ne sont plus en activité.
  • [11]
    L’Église catholique et sa commission « Justice et Paix » sont très impliquées dans les discussions visant à réguler les tensions entre les communautés de Uasin Gishu, et la venue de Mgr Korir a beaucoup surpris.
  • [12]
    “Clerics on the Spot over Role in Tribal Groupings”, Daily Nation, 14 avril 2012.
  • [13]
    “The Kenya Election and Militarisation of ‘Peace’”, The East African, 9-15 mars 2013.
  • [14]
    Uhuru Kenyatta est catholique et William Ruto fait partie de l’Africa Inland Church, tout comme le président Moi. Leur flirt avec les structures et l’identité pentecôtistes ne les empêchent pas de mettre en avant et d’user de leur appartenance à ces Églises anciennes, d’origine missionnaire.
  • [15]
    La mère de Ruto pense que le verset préféré de son fils est Jeremiah 33 :3 : “Call to me and I will answer you and tell you great and unsearchable things that you do not nos”, in Titus Too, “Ruto’s Mother Attributes Son’s Leadership Fame to Fear of God”, The Standard, 10 avril 2013.
  • [16]
    Jubilee est l’alliance électorale qui réunit Kenyatta et Ruto.
  • [17]
    Emeka-Makaya Gekara, “Clergy Differ on Stand Towards Elections”, Sunday Nation, 3 février 2013, p. 22.
  • [18]
    Lukoye Atwoli, “Involvement of Religious Groups in Education”, Daily Nation, 11 novembre 2012 ; “Don’t Assent to Education Bill, Churches Urge Kibaki”, Daily Nation, 1er janvier 2013. Cette nouvelle loi amènerait un contrôle beaucoup plus étroit de l’État sur les écoles chrétiennes bénéficiant de fonds publics.
  • [19]
    Les Églises « historiques » sont les Églises anciennement missionnaires qui ne sont ni pentecôtistes ni évangéliques.
  • [20]
    Paradoxalement, le clergé était, jusqu’à la fin des années 1990, fortement influencé par la théologie et le mode d’énonciation pentecôtiste, car il appartenait bien souvent au réveil est-africain (Peterson, 2012). Mais la génération actuellement en activité dans ces Églises ne participe plus de ce mouvement.
  • [21]
    Dave Opiyo, Justus Wanga, “Kenyans Pray for Peaceful Elections”, Daily Nation, 25 février 2013 ; Paul Ogemba, “Behind the Scenes in Run-Up to Prayers”, Daily Nation, 26 février 2013.
  • [22]
    On distingue couramment, dans la justice transitionnelle, les procédures de justice criminelle (les procès permettant de juger les responsables de crimes liés à la crise politique) des autres mécanismes non judiciaires visant à traiter des violences de ces moments de crise (Brown, Sriram, 2012).
  • [23]
    Son nom a été cité dans l’organisation du massacre de plusieurs centaines de Somali à Wagalla en 1984.
  • [24]
    “Spare President the Truth, it is too Hard to Handle”, Saturday Nation, 4 mai 2013, p. 13.
  • [25]
    The East African, 4-10 mai 2013, p. 16.
  • [26]
    “Ruto Explains Kiambaa – Wikileaks”, The Star, 7 mars 2011 ; voir, également, “ICC gets New Witnesses on Kiambaa Killings”, The Standard, 8 janvier 2013.
  • [27]
    Andrew Cawthorne, “Jackson Kibor Denies Masterminding Violence”, www.kalenjin.net.
  • [28]
    P. Mayoyo, D. Opiyo, “Kenya Asks UN to End Trial of Uhuru, Ruto”, Daily Nation, 9 mai 2013, p. 1 et 6.
  • [29]
    Pour une théorisation des ambiguïtés de ces programmes, voir Marchal (2003).
  • [30]
    Bernard Namunane, “Annan Warns over ICC Suspects’ Bis”, Daily Nation, 12 octobre 2012.
  • [31]
    “US Restates Stance on Uhuru and Ruto”, Daily Nation, 8 février 2013. La position américaine fut affaiblie par les déclarations des leaders républicains qui restent fondamentalement opposés au système de la CPI. Les interventions de Jendayi Frazer (en charge des Affaires africaines de 2005 à 2009) ont été largement reprises dans les médias kényans : par exemple, J. Frazer, “ICC has Fallen from High Ideals of Global Justice, Accountability”, Sunday Nation, 17 mars 2013.
  • [32]
    “More Embassies Join Push against Hague Suspects”, Saturday Nation, 9 février 2013.
  • [33]
    Voir, par exemple, Tim Wanyonyi, Patrick Mayoyo, “Kenya Diplomatic Isolation Might Lead to Less Financial Aid and Trade”, Daily Nation, 11 mars 2013, p. 10.
  • [34]
    “Botswana Minister in U-turn on Uhuru Ban”, Daily Nation, 14 mars 2013 ; “West yet to Speak on Election Winners”, Daily Nation, 11 mars 2013 ; “Bitter-Sweet Victory for Uhuru and Ruto”, Sunday Nation, 10 mars 2013.
  • [35]
    Ally Jamah, “Museveni Hails Kenyans for Rejecting ICC ‘Blackmail’”, The Standard, 10 avril 2013.
  • [36]
    Il aurait participé au financement de sa campagne électorale, selon les journalistes du East African (“Uhuru Banks on Friends in East Africa for Support”, The East African, 6-12 avril 2013).
  • [37]
    Depuis plusieurs années, il est sous le coup d’une inculpation de la CPI. Il se livre à un moment où le Rwanda s’est vu retirer l’aide de plusieurs pays occidentaux du fait de son implication dans les tensions du Nord-Kivu.
  • [38]
    “Kenya’s Quest to End Cases at the Hague Enter”, The East African, 25-31 mai 2013.
  • [39]
    Isaac Ongiri, “British PM Invites Uhuru for Visite”, Saturday Nation, 4 mai 2013 ; Peter Kagwanja, “Why UK Ate Humble Pie after Uhuru Win”, Daily Nation, 12 mai 2013.
  • [40]
    “UK Says Sorry for Mau Crimes”, Daily Nation, 7 juin 2013.
  • [41]
    “Kenya’s New Assertive, Pan-African Foreign Policy”, Sunday Nation, 14 avril 2013, p. 26-27 ; “Inside Kenyatta’s Emerging, Assertive Policy in East Africa”, The East African, 13-19 avril 2013, p. 11.
  • [42]
    “Uhuru Kenyatta – Inauguration. My Pledge to Kenyans, International Community”, The Standard, 10 avril 2013, p. 15.
  • [43]
    Selon des sondages effectués durant la campagne électorale, seulement 40 % des Kényans estiment que Kenyatta et Ruto doivent être poursuivis par la CPI (Long, Kanyinga, Ferree, Gibson, 2013, p. 147).
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