Notes
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[1]
Le colloque international a été or- ganisé à Dijon du 19 au 21 octobre 2011 par Jacques Poirier, professeur de littérature française à l’université de Bourgogne, pour le Centre pluridisciplinaire « Textes et cultures », et Abdoulaye Imorou, docteur de l’université de Cergy-Pontoise, pour l’association Autour de l’Afrique.
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[2]
Voir par exemple Mouralis (2007), p. 215-245.
-
[3]
« Tant que l’Afrique écrira, l’Afrique vivra », Le Monde diplomatique, décembre 2004. Voir aussi Waberi (1998).
-
[4]
Le Monde, 16 mars 2007.
-
[5]
Le manifeste a attiré l’attention sur des dynamiques déjà en cours particulièrement dans le monde anglo-saxons.
-
[6]
« Pour une “littérature-monde” en français », Le Monde, 16 mars 2007.
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[7]
Cet article a été rédigé par Nicolas Courtin sur la base d’entretiens avec Abdoulaye Imorou. Nicolas Courtin est responsable de la section « repères » de la revue Afrique contemporaine - (ncnicolascourtin@ gmail.com).
1Conséquence culturelle de la mondialisation et des mutations du champ du savoir, le champ littéraire contemporain tend à se reconfigurer au travers de profonds changements d’approches du fait littéraire. L’Afrique n’est ni absente ni laissée à la marge de ce processus.
2Au contraire, en tant qu’objet et sujet de discours, « l’Afrique y occupe une place de plus en plus affirmée », selon Jacques Poirier et Abdoulaye Imorou, les organisateurs du colloque « L’Afrique francophone dans le jeu littéraire mondial. Modalités et enjeux des stratégies de la norme et de l’écart [1] » dans leur appel à contribution. Comment « l’Afrique est passée, en l’espace d’un siècle, du statut d’un continent “hors littérature” à celui d’un continent en position de dire ce que doit être la littérature » s’interrogent-ils ?
Une Afrique « hors de la littérature » ?
3D’une part, l’Afrique a longtemps été considérée comme un objet marginal des études littéraires et, d’autre part, « la fonction auctoriale n’a pas toujours été reconnue aux Africains [2] ». Cette vision de l’Afrique « hors de la littérature » correspondrait à un regard passé plus global sur le continent, d’une Afrique hors du monde, hors de l’histoire. L’évolution de la littérature africaine dément ce type de vision et ce d’autant plus que les auteurs s’adressent de plus en plus explicitement au monde et non pas seulement à L’Afrique : « Longtemps marquée par la Négritude et l’engagement politique, la littérature africaine semble opérer une mutation radicale. Des auteurs, nés après les indépendances, revendiquent l’universalité d’un art qui ne dit plus seulement l’Afrique mais le monde. Leurs œuvres, écrites à la première personne révèlent de nouveaux combats [3] », affirme le journaliste littéraire Tirthankar Chanda.
Pour une « littérature-monde »
4L’une des manifestations de ces changements de paradigme prit forme lors de la publication d’un manifeste littéraire intitulé « Pour une “littérature-monde” en français », rédigé et signé par quarante-quatre auteurs [4], dont un grand nombre d’auteurs africains de langue française : Koffi Kwahulé, Alain Mabanckou, Nimrod ou encore Abdourahman A. Waberi [5]. Pour les défenseurs de ce manifeste, le texte marque un moment historique, une « révolution copernicienne » dans le champ littéraire mondial ; révolution dont atteste le fait que le Goncourt, le Grand Prix du roman de l’Académie française, le Renaudot, le Femina, le Goncourt des lycéens, ont été décernés le même automne à des écrivains dits francophones. Le manifeste est soutenu par la publication, peu de temps après, d’un ouvrage collectif qui accorde une large place aux auteurs africains (Le Bris, Rouaud, 2007).
5S’appuyant sur le capital littéraire que représentent ces prix et, d’une manière générale, sur la notoriété grandissante des auteurs dits francophones, les tenants de la littérature-monde remettent en cause la hiérarchisation implicite entre les catégorisations de littérature française et de littérature francophone. Ils récusent la vision traditionnelle selon laquelle la première, produite dans le centre traditionnel qu’est Paris, représente la norme, tandis que la seconde, reléguée à la périphérie, serait mineure. Dans ce sens, ils peuvent donner l’impression de s’inscrire dans un vieux combat consistant pour les littératures francophones à demander à Paris, reconnue comme étant la capitale littéraire mondiale (Casanova, 1999), de leur ouvrir ses portes, de leur montrer davantage de -considération. -Cependant, comme le rappelle Imorou (2012), ils inversent les termes de la revendication. Cette fois-ci c’est la littérature française qui est déclarée d’un intérêt moindre et à laquelle on demande de prouver qu’elle mérite d’intégrer la littérature-monde, élevée en nouvelle norme littéraire.
6Les tenants de la littérature-monde appellent à sortir d’une vision trop souvent ethno-centrée et néocoloniale du champ littéraire. Leur mouvement destitue Paris et consacre les anciennes périphéries, dont l’Afrique. L’ancienne classification de littérature francophone n’est plus ! Vive celle de littérature de langue française de par le monde.
Le basculement
7Ce retournement ou ce basculement des perspectives s’inscrit dans un réinvestissement de la périphérie dans le centre (MacDonald, Suleiman, 2010), une périphérie qui semble désormais donner le « la » de la norme littéraire. Dans cette perspective, l’Afrique s’affirme en imposant de nouvelles règles littéraires différentes de la norme occidentale et parisienne qui auparavant était hégémonique. Il se dessine une nouvelle manière de voir la littérature africaine dans le champ littéraire, émancipée du dogme parisien et français, et surtout ouverte au monde, partie prenante du champ littéraire mondial. Ce décloisonnement des littératures francophones s’explique par le fait que, dans leurs écrits, les auteurs s’ouvrent vers d’autres horizons littéraires, d’autres narrations et s’affirment dans des formes d’écriture relativement -différentes de celle valorisées dans l’espace occidental. D’après les tenants de la littérature-monde, ces littératures seraient plus colorées, métissées et mêleraient les cultures de tous les continents contrairement à une littérature française plus nombriliste [6].
8Cette récente prise de conscience pourrait être l’aboutissement d’un long processus qui depuis les années d’indépendances tendrait à l’autonomisation du champ littéraire africain (Mouralis, 1975), une décolonisation progressive des esprits transfigurée dans les formes d’écriture et les formes narratives, dans les récits et les multiples genres pratiqués par les auteurs. Cette réappropriation par les auteurs africains de leur objet et de leur sujet est également visible dans leur discours sur l’Afrique. Elle n’est certes pas récente. Les écrivains, issus des espaces encore dominés, et rangés dans la catégorie analytique de littérature négro-africaine, s’étaient déjà réappropriés en réaction à la situation coloniale l’histoire de l’Afrique à leur manière, manière qui avait été trop rapidement qualifiée d’afrocentrisme, notamment par rapport aux écrits de Cheikh Anta Diop.
9Chez les auteurs africains qui se réclament de la littérature-monde aujourd’hui, les visions proches de Cheikh Anta Diop ne prévalent pas. Au contraire, les afrocentristes d’aujourd’hui sont plutôt pour une littérature plus centrée sur l’Afrique. La réappropriation a bien eu lieu mais dans des perspectives différentes chez Diop et Senghor qui lui-même est contesté à partir de la fin des années 1960. Les auteurs africains, après les indépendances, se sont réappropriés l’histoire de l’Afrique mais de manière plus critique que leurs ainés, en n’hésitant pas par exemple à en dénoncer les travers, notamment les dictatures, comme Ahmadou Kourouma.
L’autonomisation
10L’autonomisation des littératures africaines, par rapport à des référents culturels importés, se lit également dans les stratégies éditoriales des auteurs qui n’hésitent pas à solliciter des éditeurs étrangers afin « d’échapper à un contexte régional africain et entrer dans le champ de l’édition international », pour finalement accéder à la renommée internationale (Mouralis, 2007, p. 73). D’un autre côté, ces stratégies éditoriales peuvent mettre en lumière les travers d’une autonomie qui n’est qu’apparente, car l’écrivain est néanmoins contraint de publier dans les maisons d’édition situées en Europe pour être diffuser de part le monde (voir le repère pages 120-121). Les auteurs africains, dans leur recherche d’autonomie, dépendent encore largement du circuit français (et des prix français). Cela a amené certains des intervenants au colloque, déjà cité, à se demander si la place de l’Afrique a réellement changé. Cependant, de nouvelles maisons d’édition apparaissent (Ifrikya, Odette Maganga) en Afrique et des anciennes affirment leur position (CLE). Mais ces maisons ont encore du mal à concurrencer les grandes maisons françaises et peuvent difficilement attirer les auteurs de premier plan comme Alain Mabanckou. Cette dépendance éditoriale indique que la situation reste encore ambiguë comme en attestent également les prix littéraires qui couronnent les auteurs africains (voir le repère page 126). Les prix littéraires sont importants dans la perspective du Manifeste pour une littérature-monde. C’est parce que les auteurs francophones ont été consacrés par ces prix qu’ils peuvent revendiquer un statut central et prétendre détenir la nouvelle norme. Ces prix sont la preuve que ces auteurs produisent de la littérature de qualité.
Bibliographie
- Appadurai, A. (2000), Après le colonialisme. Les conséquences culturelles de la globalisation, Paris, Payot.
- Casanova, P. (1999), La République mondiale des lettres, Paris, Seuil.
- Forsdick, C., Hargreaves, A.G., Murphy D. (2010), Transnational French Studies. Postcolonialism and Littérature-monde, Liverpool, Liverpool University Press, “Francophone Postcolonial Studies”, vol. I.
- Imorou, A. (2012), « La littérature-monde dans l’évolution des french studies. Vers des transnational french studies ? », COnTEXTES, notes de lecture, 5 avril, http://contextes.revues.org/4862.
- Le Bris, M., Rouaud, J. (2007), Pour une littérature-monde, Paris, Gallimard.
- McDonald, C., Suleiman, S. (2010), French Global. A New Approach to Literary History, New York et Londres, Columbia University Press.
- Mongo-Mboussa, B. (2002), Désir d’Afrique, Paris, Gallimard.
- Mouralis, B. (2007), L’Illusion de l’altérité. Études de littérature africaine, Paris, Honoré Champion.
- Mouralis, B. (2011), Les Contre-littératures (1975), Paris, Hermann, coll. « Fictions pensantes ».
- N’goran, D. (2009), Le Champ littéraire africain. Essai pour une théorie, Paris, L’Harmattan, coll. « Critiques littéraires ».
- Paravy, F. (2011), Littératures africaines et comparatisme, Metz, université de Lorraine, Centre de recherches « Écritures ».
- Waberi, A.A. (1998), « Les enfants de la postcolonie. Esquisse d’une nouvelle génération d’écrivains francophones d’Afrique noire », Notre librairie, n° 135, septembre-décembre, p. 8-15.
Notes
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[1]
Le colloque international a été or- ganisé à Dijon du 19 au 21 octobre 2011 par Jacques Poirier, professeur de littérature française à l’université de Bourgogne, pour le Centre pluridisciplinaire « Textes et cultures », et Abdoulaye Imorou, docteur de l’université de Cergy-Pontoise, pour l’association Autour de l’Afrique.
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[2]
Voir par exemple Mouralis (2007), p. 215-245.
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[3]
« Tant que l’Afrique écrira, l’Afrique vivra », Le Monde diplomatique, décembre 2004. Voir aussi Waberi (1998).
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[4]
Le Monde, 16 mars 2007.
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[5]
Le manifeste a attiré l’attention sur des dynamiques déjà en cours particulièrement dans le monde anglo-saxons.
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[6]
« Pour une “littérature-monde” en français », Le Monde, 16 mars 2007.
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[7]
Cet article a été rédigé par Nicolas Courtin sur la base d’entretiens avec Abdoulaye Imorou. Nicolas Courtin est responsable de la section « repères » de la revue Afrique contemporaine - (ncnicolascourtin@ gmail.com).