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Article de revue

Modernisme vernaculaire et diversité des modes de production dans le cinéma sud-africain

Page 132

Notes

  • [1]
    In memoriam Miriam Hansen (1949-2011).
  • [2]
    M. Hansen Bratu, « The Mass Production of the Senses. Classical Cinema as Vernacular Modernism », Modernism/Modernity, vol. VII, n° 2, 1999.
  • [3]
    C. Morris Rosalind, « Black and White in Noir. Cinematic Criminality in South African History », Cinema as Vernacular Modernism, conférence, université de Chicago, 17-18 mai 2002.
  • [4]
    Chercheur associé au laboratoire « Politique et communication » du CNRS (Paris).
English version

1Le cinéma sud-africain a assimilé le fait qu’un film est construit à l’attention d’un public donné et que les modes de production sont déterminés par ces questions de réception. Il convient ici de prendre en compte le concept de « modernisme vernaculaire » forgé par Miriam Hansen [2].

2L’analyse d’Hansen s’appuie sur une reconception de l’historicité même d’Hollywood et sur une critique du concept de « cinéma classique » et de ses présupposés théoriques. Un des fondements de cette analyse est de se situer sur le plan des expériences sensorielles et des affects liés aux processus d’identification mimétique engagés dans la réception des films hollywoodiens, plutôt que sur le seul niveau (cognitif) d’une compréhension de leur fonctionnement narratif. Hollywood a eu une influence sur d’autres cinémas du monde en raison de cet impact sensoriel et affectif, et non pas comme « modèle universel ». De cette façon, Hansen a pu appréhender plus justement d’autres cinémas du monde, notamment en Asie.

3L’anthropologue Rosalind C. Morris a étendu cette perspective aux pratiques sud-africaines – des films de gangster des années 1940 à la série télévisée Yizo Yizo dans les années 1990 et 2000 [3] – qui relèvent à la fois du cinéma de genre (film noir) et d’une forme audiovisuelle développée, dans le cas de Yizo Yizo, par la SABC afin de répondre à une demande spécifique. Plus récemment, Tsotsi (2005) de Gavin Hood entre très directement dans le cadre de ce « modernisme vernaculaire » tel que repéré par Morris en Afrique du Sud. Cette perspective nous permet d’appréhender plus justement un cinéma sud-africain contemporain en évitant d’instituer un fossé infranchissable entre l’histoire de l’apartheid et l’ère post-apartheid.

4La ségrégation des publics dans les salles de cinéma a été abolie en 1985, mais un décloisonnement des publics sud-africains est, d’une certaine façon, toujours en cours. Refuser le fait que le cinéma sud-africain actuel ne soit pas complètement sorti des conséquences du « cinéma de l’apartheid » sur le plan de la réception pourrait conduire à considérer les films de Schuster comme le symbole d’un cinéma sud-africain contemporain comme ce sont les films qui obtiennent le plus de succès : peu de commentateurs se risqueraient à aller jusque-là. Cette contradiction a conduit, de manière quelque peu schizophrénique, à se situer sur deux plans à la fois, en considérant, à côté d’une tradition « comique » allant de The Gods Must Be Crazy (1979) de Jamie Uys à Schucks Tshabalala’s Survival Guide to South Africa (2010) de Leon Schuster, une tradition plus « politique » qui irait de Mapantsula (1987) d’Oliver Schmitz à State of violence (2010) de Khalo Matabane.

5Mais comment comprendre la situation de l’industrie cinématographique sud-africaine sans englober ces deux traditions ? Pour éviter cette aporie, il est nécessaire de sortir à la fois d’un déterminisme économique – lequel n’appréhenderait le cinéma sud-africain qu’à l’aune d’une logique monopolistique qui a déterminé le « cinéma de l’apartheid » – et d’un déterminisme historique – c’est-à-dire d’une conception téléologique de l’histoire écrite à partir de ce que nous savons déjà de l’histoire politique et sociale de ce pays. Il s’agit de ré-appréhender l’historicité propre de ce cinéma sud-africain.

6Selon cette perspective, il convient aussi d’appréhender la « fragmentation » de l’industrie sud-africaine sur un plan ontologique – un fait lié à l’histoire du cinéma sud-africain –, et non pas seulement sur un plan idéologique – la conséquence négative du système monopolistique du « cinéma de l’apartheid ». Fragmentée, cette industrie a aussi engendré une démultiplication des pratiques, à stimuler la créativité des producteurs et réalisateurs, a créé une dynamique. Le cinéma sud-africain se caractérise fondamentalement par cette diversité des modes de production. Mais un autre mode de production est apparu, dès les années 1920, qui voudrait se dégager des nécessités d’une rentabilité économique et qui a contribué à la mise en place d’un interventionnisme d’État – un « modèle nationaliste » qui a toujours été latent via la culture afrikaans.

7Des approches à cheval entre le « modernisme vernaculaire » et un « modèle nationaliste » – lequel a aussi ouvert sur une conception « auteuriste » du cinéma – sont apparues au cours de l’ère post-apartheid. Finalement, d’autres pratiques minoritaires se sont développées depuis quelques années, comme conséquence à la fois de la fragmentation de l’industrie dominante et d’une liberté d’expression plus complète : « cinéma indépendant » et « cinéma engagé ».

Notes

  • [1]
    In memoriam Miriam Hansen (1949-2011).
  • [2]
    M. Hansen Bratu, « The Mass Production of the Senses. Classical Cinema as Vernacular Modernism », Modernism/Modernity, vol. VII, n° 2, 1999.
  • [3]
    C. Morris Rosalind, « Black and White in Noir. Cinematic Criminality in South African History », Cinema as Vernacular Modernism, conférence, université de Chicago, 17-18 mai 2002.
  • [4]
    Chercheur associé au laboratoire « Politique et communication » du CNRS (Paris).
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