Notes
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[1]
Par exemple, les marchands dont les étals se trouvent à proximité du commerce, les passants et les badauds qui viennent se reposer quelques instants pour profiter de l’air frais, boire un verre d’eau tiré de l’estagnon ou discuter avec le gérant.
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[2]
En anthropologie de la parenté, Ego sert de sujet de référence lors de l’élaboration des arbres généalogiques.
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[3]
Ces auteurs exhortent les internautes à ne pas divulguer leur mot de passe. Comme l’indiquent les conditions d’utilisation de service de l’opérateur Yahoo : « Ce compte Yahoo vous est strictement personnel et vous vous interdisez de le partager ou le céder à qui que ce soit. Cela constitue une obligation essentielle de ce contrat. » Pour éviter qu’une personne malveillante ne devine le cryptogramme et, par ce biais, n’accède à sa boîte aux lettres, il est recommandé d’en changer régulièrement, de ne l’inscrire nulle part et de ne le révéler à personne (Maniez, 2001, p. 272).
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[4]
Chez les Bambaras, Ego entretient des relations de plaisanterie avec ses cousins croisés paternels et maternels, ses petits-enfants et ses grands-parents, les frères et sœurs cadets de son époux (se) et avec les époux (ses) de ses frères et sœurs aînés. Il peut plaisanter de façon limitée avec ses frères et sœurs cadets (germains et classificatoires), avec son oncle maternel et sa tante paternelle. En revanche, il doit manifester son respect à ses frères et sœurs aînés, à son père et sa mère, à ses oncles paternels et ses tantes maternelles ainsi qu’à son époux (se). Enfin, il est tenu d’éviter, entre autres, le père et la mère de son époux (se), les frères et sœurs aînés de son époux (se) et les époux (se) de ses frères et sœurs cadets.
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[5]
À cela s’ajoute la variable de l’abondance : entre deux s?n?kun, le flot de parole est important, les mots ne sont pas comptés. Ce flot fait partie intégrante de la conversation et notamment de sa dimension humoristique.
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[6]
Dans ce contexte, avoir honte signifie « être discret, rester à sa place et s’interdire de faire ou de dire tout ce qui peut ternir l’image personnelle et nuire à autrui » (Doumbia, 2001, p. 175). Les Touaregs parlent de takärakit (Casajus, 2000, p. 47). Les notions de maloya et de takärakit vont bien au-delà du terme français de « honte » que les auteurs du Petit Robert décrivent comme un « déshonneur humiliant ». Casajus évoque la vergogne, au sens de prudence et de pudeur, Doumbia la considère comme un synonyme de « discrétion » et de « maîtrise de soi ». Dans ces deux cas, la « honte » a une connotation positive : elle exprime à la fois le respect d’Ego à l’égard du parent en question et son souci de ne pas lui nuire.
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[7]
Pour préserver l’anonymat de mes informateurs, leur prénom et nom de famille ont été modifiés.
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[8]
Son frère qui est en France se sert du compte bancaire d’un de ses amis à Bamako pour envoyer de l’argent à sa famille.
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[9]
Amadou Tangara, client de cybercafé, 28 ans, célibataire sans enfant, employé dans un magasin de location de voitures.
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[10]
Younoussa Ballo, client de cybercafé, 25 ans, célibataire sans enfant, comptable, à la recherche d’un emploi.
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[11]
Alassane Camara, gérant de cybercafé, 25 ans, célibataire sans enfant, étudiant en médecine, responsable d’une association de vulgarisation informatique.
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[12]
Boucary Traoré, gérant de cybercafé, 23 ans, étudiant à l’université.
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[13]
Moussa Maiga, gérant, 28 ans, célibataire sans enfant.
-
[14]
Bokoum Maiga, client, 20 ans, célibataire sans enfant, lycéen.
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[15]
Djoukou Diarra, client, 17 ans, célibataire sans enfant, lycéen.
1En fin d’après-midi, cela « bruisse » dans les cybercafés de Bamako : de nombreux jeunes s’agglutinent autour des écrans des ordinateurs, pressés de communiquer avec leurs correspondants, de consulter leur horoscope et de chercher les résultats des derniers matchs de football. Certains d’entre eux commentent à haute voix les informations dénichées sur la Toile, ce qui déclenche les rires de leurs voisins et le courroux du gérant qui craint que les autres clients plus âgés ne soient dérangés par les éclats de voix. Malgré les apparences, ce « bruissement » ne résulte pas seulement du nombre de clients présents et de leur gesticulation dans l’espace : il est aussi lié à la multitude des personnages qui évoluent dans ces commerces et à la complexité de leurs interactions. On peut évoquer, à ce propos, les liens qui se tissent entre les utilisateurs, ceux qui font intervenir le gérant ou les badauds, c’est-à-dire les personnes qui fréquentent ces boutiques sans se connecter à Internet [1] et bien d’autres encore que l’on ne perçoit qu’à condition de se rapprocher d’Ego.
2Qui est Ego [2] ? C’est le protagoniste de l’histoire. À première vue, il ne joue pas un rôle extraordinaire puisqu’il incarne un simple client. En revanche, le nombre de personnages qu’il côtoie – physiquement ou symboliquement – quand il se rend dans ce commerce est intéressant. Tour à tour, il donne la réplique à l’initiant (la personne qui l’a formé à l’informatique), aux mandants (les femmes et les hommes qui lui demandent de se rendre à leur place au cybercafé), aux confidents (les personnes auxquelles il a confié son mot de passe ou qui lui ont confié le leur), aux accompagnants (ceux avec lesquels il se rend au cybercafé), aux muses (les personnes dont il s’inspire du nom pour construire son adresse électronique ou son mot de passe) et bien sûr aux correspondants courriels et chats (Steiner, 2009). Cette nébuleuse forme ce qu’Erving Goffman appelle une « équipe de représentation », c’est-à-dire « un ensemble de personnes coopérant à la mise en scène d’une routine particulière » (Goffman, 1973 [1956], p. 81). En l’occurrence, la routine est la pratique numérique d’Ego dans le cybercafé.
3Plusieurs membres de cette « équipe de représentation » sont des intermédiaires, car ils se tiennent entre les internautes et la machine ou encore entre eux et leurs correspondants. A priori, l’existence de ces truchements n’est guère étonnante. Que l’on pense seulement au long cheminement parcouru par une lettre entre le moment de sa rédaction et celui où le destinataire décachette l’enveloppe et prend connaissance du message. La missive a passé entre de nombreuses mains, d’autant plus nombreuses que les Maliens font peu confiance au système postal officiel et qu’ils tendent à privilégier les canaux de transmission informels. On pourrait également évoquer le téléphone fixe qui requiert, lui aussi, l’intervention de relais humains dans certains cas. En revanche, sur la Toile, la présence de ces intermédiaires est plus surprenante parce que cette communication médiatisée contredit l’usage prescrit du courriel.
La médiation, un détournement de l’usage prescrit du courriel
4Que nous apprend l’observation du dispositif technique du courriel sur le modèle organisationnel et plus particulièrement communicationnel prôné par les concepteurs de ce média ? Si l’on se réfère aux auteurs des « discours d’accompagnement » (Breton, 2002, p. 7) – c’est-à-dire les sites Internet et autres ouvrages de vulgarisation rédigés par des passionnés de l’informatique désireux de faire découvrir ce média et d’en enseigner les premiers rudiments ainsi que les « Netiquettes », ces codes de bonne conduite sur la Toile – on s’aperçoit que ce média a été conçu pour un usage individuel [3] et, partant, pour une communication directe, de personne à personne. Sur la Toile, la communication se passe théoriquement de toute médiation humaine, comme l’explique Kennedy, l’auteur d’un de ces « discours d’accompagnement » : « Vous n’avez pas besoin de coordonner les appels, de patienter en ligne, de parler à un répondeur ou à une standardiste. Vous n’avez pas non plus à décliner votre identité à une secrétaire indiscrète. Avec l’email, on vous déroule le tapis rouge jusqu’au bureau du patron » (Kennedy, 1996, p. 44). Sans entrave humaine, les messages électroniques sont censés circuler librement et rapidement.
5Dans les cybercafés de Bamako, la situation est bien différente. En effet, les intermédiaires, éconduits par les auteurs des « discours d’accompagnement », réapparaissent à la demande des internautes. Ces truchements ont plusieurs visages. Celui du confident tout d’abord, du mandant, mais aussi des muses. Autant d’acteurs qui prennent place – physiquement ou symboliquement – entre l’internaute et la machine ou encore entre lui et ses correspondants. La présence de ces médiateurs rappelle que les praticiens ne se moulent pas sans réagir dans un modèle médiatique ; ils détournent le média de son usage prescrit et deviennent à leur tour des « producteurs ». Cette autre production, remarque Michel de Certeau, ne se signale pas forcément par des produits propres, mais par des manières d’employer les produits imposés par un ordre dominant (de Certeau, 1990, p. XXXVII). Bref, par des manières de faire.
6Dans cet article, je me concentrerai sur les personnes qui font le lien entre les Maliens de l’extérieur et ceux de l’intérieur. On constate, en effet, que les émigrés maliens font souvent appel à un tiers pour transmettre les messages et les biens qu’ils destinent à leurs parents et à leurs amis. Dans certains cas, cette triangulation s’explique par un problème d’accès : les parents du migrant n’ont pas les moyens de se connecter à Internet ou ne disposent pas des connaissances nécessaires pour utiliser un ordinateur (analphabétisme, illétrisme numérique), ce qui conduit l’expatrié à mandater un tiers qui, lui, est connecté à Internet. Cependant, il arrive que les parents en question aient une adresse électronique, qu’ils sachent, de surcroît, parfaitement manier Internet, mais que le migrant décide, malgré tout, de recourir à un tiers. Dans ce cas, le média est détourné parce que le type de relation qu’il privilégie ne correspond pas au lien entretenu par les correspondants. Il faut dire que la proximité sociale (informalité) et physique (vitesse) instaurée par le courriel – qui est généralement présentée comme un aspect positif de la communication électronique – s’avère parfois dangereuse : en se rapprochant socialement et physiquement de son interlocuteur, on risque de lui faire perdre la face ou de la perdre soi-même en se plaçant implicitement dans une position de domination vis-à-vis de lui. Faire appel à un tiers revient ainsi à réintroduire implicitement une distance – géographique mais surtout sociale – entre les correspondants. Dans ce cas, le recours à un intermédiaire n’est pas lié à la seule utilisation d’un artefact technique (lettre, téléphone, radio, ordinateur), mais participe plus généralement des codes qui régissent les comportements – en particulier la parole – au Mali. Pour comprendre le rôle joué par ces truchements, un bref détour par l’anthropologie de la parenté s’impose.
La médiation, une pratique très courante au Mali
7Les relations de consanguinité et d’alliance sont régies par deux attitudes antagonistes au Mali : la plaisanterie et l’évitement. Pour celui qui se rend pour la première fois dans ce pays, la parenté à plaisanterie (s?n?kunya, en bambara) est certainement la plus surprenante des deux. Quoi de plus étonnant que d’entendre un individu rire aux éclats alors qu’il est en train de se faire traiter de tous les noms ? « Esclave » ( j?n), « mangeur de haricots » (sý?unnawu), « arrière-arrière petit-fils » ( fufafu, « trois fois rien ») : ces moqueries doivent provoquer le rire, car la plaisanterie a force, dans ce cadre, d’obligation sociale et la refuser « est un manque d’éducation grave. On ne joue pas le jeu social » (Landes, in Radcliffe-Brown, 1972 [1952], p. 125). L’évitement est à la boutade ce que la nuit est au jour. En effet, autant les protagonistes des relations à plaisanterie sont spontanés et leur parole libre, autant les individus unis par un lien d’évitement sont distants et réservés. Cette extrême retenue qu’une personne doit manifester à l’égard d’une autre peut revêtir plusieurs formes et porter, par exemple, sur « le fait de prononcer son nom, d’avoir un contact physique avec elle, de se trouver sous le même toit qu’elle, de la croiser sur la route » (Ghasarian, 1996, p. 190). Simple pratique cérémonieuse à l’égard de certains, cette manifestation respectueuse va jusqu’à l’évitement total avec d’autres. Entre ces pôles antagonistes s’inscrivent deux autres attitudes moins tranchées. La première est empreinte d’un grand respect, la seconde, bien qu’également déférente, est plus détendue et admet la plaisanterie dans certains cas [4].
8Les relations à plaisanterie et d’évitement sont régies par un rapport à la parole très différent. La plaisanterie fait partie intégrante du s?n?kunya, puisque tout peut être dit à un cousin (s?n?kun) sans qu’il doive en prendre ombrage : « Entre deux personnes qui sont liées par une relation à plaisanterie, il n’existe pas de tabou. Les offenses, les injures en font partie et ne peuvent pas blesser, parce que la relation est réciproque » ; « sur un ton taquin, tout peut être dit – même la vérité » (Sanogo, 1987, in Roth, 1996, p. 47 et p. 192). Dans les relations à plaisanterie, la parole se caractérise donc par une expression très libre, par la réciprocité qui unit ses protagonistes, par une légèreté potentielle ainsi que par une expression directe, sans intermédiaire [5]. En revanche, entre deux personnes unies par une relation d’évitement, la communication est retenue, sérieuse et surtout indirecte. La personne dépendante ne s’adresse pas directement à la personne d’autorité, notamment en cas de conflit, car ces dernières ont toujours raison. Ce mode de transmission médiatisé est une façon de manifester son respect aux aînés. En effet, si les parents à plaisanterie peuvent communiquer « les yeux dans les yeux » – la « honte » n’ayant pas sa place – cette formule directe pose problème dans les relations d’évitement et de respect parce qu’elle contrevient à l’impératif de distance. Par conséquent, Ego sollicite des intermédiaires pour s’adresser à ses aînés, en particulier lorsqu’il doit aborder des sujets sensibles avec eux. Au sein de sa famille, Ego a le choix entre deux types de relais : il peut faire appel à un aîné du parent en question (son père, sa mère, un de ses frères et sœurs plus âgés) ou à un de ses cousins à plaisanterie (cousin, beau-frère, petit-fils, etc.). Ces derniers, grâce à la liberté de ton et de comportement qui prévaut entre eux et le parent d’Ego, le narguent, « lui offrant ainsi l’occasion de faire comprendre la raison du conflit en plaisantant » (Roth, 1996, p. 192-193).
9Les amis intimes sont aussi souvent sollicités comme intermédiaires. En bambara, ces amitiés sont qualifiées de sérieuse, s?b?. Avec le teric? s?b? (ami sérieux) et la terimuso s?b? (amie sérieuse), on peut se confier sans crainte, explique Jacky Bouju : « Cette confiance totale est elle-même construite sur le partage des intimités respectives qui fonde la fidélité et qui fait que les “vrais” amis n’ont aucun secret pour l’autre. C’est cette qualité de confiance qui distingue avant tout l’amitié des autres catégories de liens extra-familiaux (voisins, collègues, compagnons de sport, camarades de classe et connaissances diverses) avec lesquelles les relations sont plus superficielles et la proximité affective moindre. En effet, avec ces derniers, l’éthique sociale de l’honneur et de la honte empêche d’exposer ses problèmes intimes ou ses difficultés domestiques » (Bouju, 1999, p. 334). Lorsque la confiance est totale entre eux, les amis troquent leur statut de s?b? contre celui de dakawuli. Littéralement, le dakawuli est la personne auprès de laquelle on se couche le soir et l’on se lève le matin, celle dont la main plonge dans le même plat de nourriture. À ce niveau relationnel, la frontière entre l’amitié et la parenté disparaît puisque, à force de passer d’un foyer à l’autre, l’ami acquiert progressivement le statut de « frère » symbolique et donc de « fils » et de « filles » des parents de son ami.
10Ces liens d’amitié sont complexes parce qu’ils combinent respect, confiance et liberté de ton. Contrairement à la famille où la « honte » (maloya [6] en bambara) structure la plupart des relations, entre les amis intimes, ce sentiment n’a pas sa place si bien qu’ils peuvent se confier aussi bien leurs histoires sentimentales – réservées aux pairs à cause de l’intimité du propos – que leurs problèmes de famille qui ne doivent normalement pas sortir du clan par crainte de les voir arriver aux oreilles d’une personne malveillante. Empreintes de déférence, de confiance et de liberté, ces relations amicales sont aussi symétriques : chacun connaît les secrets de l’autre, ce qui n’est pas le cas des germains où la parole ne circule que dans un sens, l’aîné se confiant à son cadet qui lui-même se livre à son plus jeune frère. C’est précisément grâce à la multiplicité des codes qui régissent ces relations que les teric? s?b? et les terimuso s?b? représentent des intermédiaires si appréciés. Ego sait, en effet, que, lorsqu’il s’adresse à l’un de ses parents par l’intermédiaire de l’ami intime de ce même parent, il peut aborder avec lui des sujets – intimes ou potentiellement conflictuels – dont il ne pourrait discuter s’il se trouvait en face de lui. Enfin, dans la mesure où les teric? s?b? et les terimuso s?b? ne peuvent rien se refuser, on est sûr d’arriver à ses fins quand on passe par eux. Leurs parents respectifs le savent et profitent de cet engagement réciproque pour obtenir ce qu’eux-mêmes désirent.
11Les cadets – les frères et sœurs plus jeunes, les neveux-nièces, les enfants, etc. – participent aussi à cette communication médiatisée. Toutefois, ils sont cantonnés aux « basses besognes », si l’on peut dire. Loin de faire circuler des nouvelles étonnantes, potentiellement conflictuelles ou gênantes comme le font les cousins à plaisanterie, les aînés ou les amis intimes, les jeunes ont la responsabilité de faire transiter les nouvelles du quotidien – donc peu engageantes – et surtout les biens. Au Mali, les plus jeunes sont, en effet, ceux que l’on « commissionne » : les aînés les chargent de leur rendre de menus services et les envoient à leur place effectuer des achats, poster leur courrier ou encore chercher des boissons à la boutique du coin. Les jeunes qui disposent d’une moto se voient confier les courses plus longues et sillonnent les rues de la ville pour rapporter tantôt six mètres de bazin à leur tante, tantôt une pièce détachée pour l’automobile de leur père ou pour retirer un colis à la place de leur frère à la poste centrale. Il n’y a qu’à demander ! Ce dont les aînés ne se privent d’ailleurs pas, particulièrement lorsqu’ils ont contribué financièrement et moralement à l’éducation du cadet (mères et pères biologiques et classificatoires, oncles maternels, frères et sœurs aînés) parce qu’ils estiment que celui-ci leur est redevable.
Les amis et les germains, des intermédiaires sollicités sur la Toile
12L’arrivée d’Internet au Mali a-t-elle changé les règles du jeu et marqué l’apparition de nouvelles figures d’intermédiaire ? Cela ne semble pas le cas puisque, sur la Toile comme ailleurs, les frères et les sœurs cadets ainsi que les amis intimes restent les acteurs les plus fréquemment sollicités.
13L’ami intime est souvent chargé de faire transiter de l’argent – directement ou par le biais d’un réseau bancaire, officiel ou officieux – de part et d’autre de la frontière. Les teric? s?b? et les terimuso s?b? sont des intermédiaires financiers très appréciés, car si la somme confiée vient à disparaître, le fait qu’ils n’appartiennent pas à la famille évite de nombreux désagréments [7] : lorsque le migrant s’aperçoit que l’argent confié à un ami n’est pas arrivé comme prévu, il peut l’injurier et intenter une action en justice contre lui. Or, quand il est « bouffé » par son germain – pour utiliser une expression familière au Mali – l’aîné doit se faire une raison, il ne le reverra jamais. Non seulement il ne peut pas insulter son cadet, puisque leur relation est retenue, mais surtout, leurs liens de sang l’empêchent d’entreprendre quoi que ce soit contre lui, explique [8] Amadou Tangara [9] : « En général, ils se disent que s’ils envoient de l’argent à quelqu’un de la famille et que ce dernier bouffe cet argent, tu ne peux pas le lui réclamer. Tu ne peux pas l’affamer, tu ne peux pas l’insulter, c’est ton petit frère. Par exemple, moi s’il m’envoie cet argent et que je le bouffe, je n’ai pas fait ce qu’il a demandé, il ne peut pas me mettre en prison. » Lorsqu’elle est partie étudier à Cuba, Aissatou Diarra a ainsi confié à Younoussa Ballo [10], un de ses amis, la responsabilité de demander de l’argent à ses propres parents en cas de besoin. Elle aurait aussi pu s’adresser à ses frères qui, eux aussi, fréquentent le cybercafé. Néanmoins, elle a préféré solliciter un ancien camarade de classe par mesure de précaution. Alassane Camara [11] est impliqué dans une transaction semblable, le mari d’une ancienne promotionnaire d’école l’ayant chargé d’envoyer de sa part de l’argent à son épouse, actuellement au Bénin.
14Les teric? s?b? et terimuso s?b? interviennent également auprès des parents de leur ami pour plaider sa cause en cas de conflits ou pour négocier une affaire délicate. Parfois, les rôles s’inversent et ce sont le père ou la mère de l’ami en question – ou encore ses frères et ses sœurs – qui demandent à l’ami de leur enfant ou de leur germain d’intercéder auprès de leurs propres fils/filles ou de leurs frères/sœurs germains, comme dans le cas de Boucary Traoré [12]. Ce jeune homme de 23 ans « prête sa plume » à la mère d’un de ses amis intimes qui étudie à Paris et il écrit sous la dictée les courriels que cette mère destine à son fils, qui est aussi son propre teric? s?b?. Quand son enfant lui envoie trop peu d’argent, la femme se fâche, outrée par ce qu’elle considère comme de l’ingratitude. Boucary écoute silencieusement ses arguments. Néanmoins, lorsqu’il estime que ses propos sont trop virulents et injustifiés, il intervient et lui explique les difficultés que rencontre son fils en France : « Je le représente [son ami]. Il n’y a jamais de différence entre nous. On se respecte beaucoup et l’on respecte nos mères. [Si un problème se présente] qu’il faut obligatoirement lui faire part, je vais dire à maman : “Vraiment, là, le contexte, il faut qu’on modère un peu”. Elle me dit “Non, pourquoi ?” Je dis “Oui, parce que c’est un étudiant, il est censé avoir un esprit clair [libre] en toutes choses, car les matières qu’il fait [étudie] là-bas sont toujours à ses trousses [il a l’esprit très pris par ses études]”. Ses matières ne le lâchent pas d’un coup, donc c’est déjà un problème. Si tu rajoutes à cela d’autres problèmes … » Si la femme refuse de tempérer ses propos, Boucary prend alors la liberté de les réinterpréter en rédigeant le message, afin d’éviter d’inquiéter inutilement son ami : « Je les lui envoie comme cela, mais j’essaie un peu de jouer la psychologie [d’être psychologue]. Je dis à mon ami “Bon, ta maman dit de te dire cela, il faut bien [que je le fasse], mais il ne faut pas te mettre dans un tel état, c’est comme cela”. »
15Les cadets sont aussi sollicités, leurs frères et sœurs aînés passant par eux pour savoir ce qui se passe au pays, en particulier au sein de leur famille. Les jeunes internautes représentent donc les « yeux et les oreilles » de leurs aînés à l’étranger, mais aussi leurs « pieds » puisque, même quand ils se trouvent à des milliers de kilomètres, les plus âgés continuent de commissionner leurs cadets. Tantôt les expatriés leur demandent d’aller chercher de l’argent à la banque et de le remettre à un parent, tantôt ils les chargent de photocopier des documents officiels pour les leur envoyer. Les d?g?nin – terme classificatoire pour désigner ses jeunes frères et sœurs – transmettent également à leurs aînés les demandes matérielles que leur adressent leurs proches. Le courriel – tout comme la lettre par ailleurs – se prête bien à ces demandes. En effet, l’aspect asynchrone de cette communication – les protagonistes ne se voient pas – permet à Ego d’éviter de perdre la face au cas où son interlocuteur viendrait à refuser sa demande. Ces requêtes ne circulent d’ailleurs pas dans un seul sens puisque les émigrés utilisent, eux aussi, le courriel et le téléphone portable pour demander à leurs parents de leur faire parvenir certains biens. Il faut dire que les Maliens de l’extérieur sont particulièrement friands des aliments, des vêtements et des produits de beauté made in Mali grâce auxquels ils retrouvent l’odeur, le goût et les couleurs du pays pour quelques instants.
16Parfois, ces échanges se déroulent entre deux pays limitrophes, comme dans le cas de la famille Maiga. Moussa [13] habite à Bamako dans sa famille paternelle tandis que sa mère réside au Burkina Faso avec ses sœurs. Comme le prix des produits varie entre ces deux capitales, ses parents procèdent à des échanges afin d’obtenir toutes sortes de biens au moindre coût. Entre Ouagadougou et Bamako, les trocs de tomates, d’oignons et de tissus vont bon train : « Comme il y a des choses ici qui sont moins chères au Mali qu’au Burkina Faso, et il y a des choses au Burkina Faso qui sont moins chères qu’ici donc ce qu’on envoie à partir d’ici ce sont les bazins, qui sont moins chers ici, par exemple, le téléphone, c’est moins cher ici. Bon, au Burkina Faso, ce sont les condiments, les tomates, les choux, les oignons qui sont moins chers. » Ces transactions électroniques sont administrées par Moussa et ses cousins qui servent ainsi de relais à leurs mères biologiques et classificatoires respectives qui décident du contenu et de la fréquence des biens échangés.
Une répartition des rôles inchangée
17Quels sont les « capitaux » que cette fonction d’intermédiaire confère aux jeunes germains et aux amis intimes ? Pour les uns comme pour les autres, le gain est d’abord économique : par courriel et par téléphone portable, ils accèdent directement à leurs parents ou amis à l’étranger si bien qu’ils peuvent facilement leur faire part de leurs demandes matérielles. D’autant plus aisément, cela a été dit, que, par courriel et par téléphone portable, les interlocuteurs ne risquent pas de perdre la face en cas de refus puisqu’ils ne se voient pas. De surcroît, du fait de l’aspect direct de cette communication, le migrant peine à se soustraire aux demandes qui lui sont faites. En effet, alors que la lettre et le téléphone fixe instituent des espaces temporels et spatiaux plus ou moins importants entre le moment où l’information est envoyée et celui où elle rejoint le destinataire – zones d’ombre à l’intérieur desquelles les acteurs sociaux ont la possibilité de « jouer » avec les demandes de leur interlocuteur qu’ils parviennent parfois à déjouer – ces espaces de protection diminuent avec les médias électroniques. Une personne qui possède un téléphone portable ou une adresse électronique est très rapidement atteignable et, comme le numéro de téléphone/l’adresse électronique de son correspondant s’affiche sur son écran, elle peut difficilement dire qu’elle n’a pas reçu son appel/message. Refuser de lui répondre signifie implicitement qu’elle ne souhaite pas lui parler, ce qui est considéré comme un grave manque de respect.
18Qu’en est-il des capitaux sociaux ? Le rôle d’intermédiaire permet-il à ceux qui l’interprètent de renforcer leur position sociale ? Cette question est particulièrement d’actualité pour les cadets, car on peut se demander si la dépendance des aînés à l’égard des jeunes ne leur conférerait pas une certaine influence au sein de leur famille. Dans leur article consacré à l’appropriation des TIC par les diasporas et à l’analyse des répercussions potentielles dans les pays d’origine, Jonathan Stebig et Yveline Deverin estiment que c’est effectivement le cas puisque « par l’intermédiaire des emails et autres moyens de communication sur l’Internet, le migrant va exposer ses exigences et discuter avec “le médiateur” des meilleurs usages possibles de cet argent entre les mains de la famille. Ainsi, la répartition de l’argent entre les membres de la famille, le placement de l’argent, l’achat de matériaux, de terres, la construction d’une maison ou encore le développement d’un commerce, sont au centre des discussions entre ces deux interlocuteurs » (Stebig et Deverin, 2008, p. 135).
19S’il est indéniable que les cadets sont des acteurs incontournables des réseaux transnationaux, il faut cependant se garder d’assertions trop rapides : non seulement les jeunes ne communiquent pas toutes les informations – une partie d’entre elles est transférée par les amis intimes – mais surtout, ils ne prennent pas forcément part aux décisions relatives à ces mêmes informations, comme l’illustre la situation de Bokoum Maiga [14] et de Djoukou Diarra [15]. Bien que tous les deux soient mandatés par un de leurs parents vivant à Paris – le père pour Bokoum, la sœur aînée pour Djoukou – d’aller retirer de l’argent au bureau de la Western Union, ils ne représentent qu’un rouage parmi d’autres dans la mesure où ces transferts sont orchestrés par les aînés. Dans le cas de Bokoum, la répartition financière est décidée en France par son père. Lorsque cette décision autorise une certaine marge de manœuvre, l’arbitrage est alors confié au frère aîné de Bokoum, qui est le représentant paternel à Bamako. Dans la famille Diarra, c’est le père qui procède au partage dès que Djoukou lui a transmis l’argent envoyé par sa sœur aînée. Par conséquent, ni Bokoum ni Djoukou, pour ne citer que ces deux exemples, ne décide quoi que ce soit par rapport à l’argent envoyé : ils se contentent de faire la navette entre le domicile familial et la banque et remettent ensuite la somme reçue à un aîné qui décide de son affectation.
Des relations plus symétriques entre les aînés et les cadets
20Si ces va-et-vient, qui ressemblent étrangement aux traditionnelles « commissions » entre les aînés et les cadets, peuvent donner l’impression que le rôle de passeur ne renforce pas la situation des cadets dans leur famille, il ne faudrait pas en déduire pour autant que les plus jeunes n’en tirent aucun avantage. En l’occurrence, le gain obtenu – symbolique – se rapporte à la parole. En effet, le courriel autorise une liberté de ton qui, en d’autres circonstances, serait impossible. Traditionnellement, on l’a dit, la retenue est de rigueur entre les aînés et les cadets et les plus jeunes font appel à un intermédiaire pour aborder certains sujets délicats avec leurs aînés afin d’éviter que ces derniers ne perdent la face. En revanche, l’aspect asynchrone du courriel, qui est celui de l’écrit en général, permet au cadet de s’adresser directement à son aîné malgré l’asymétrie de leur lien. Sur la Toile, les cadets n’ont donc plus besoin d’emprunter la voix d’un tiers pour « régler leurs comptes » avec les aînés, il leur suffit de se cacher derrière l’écran de leur ordinateur. Ainsi, lorsqu’Amadou Tangaré apprit que son frère aîné s’était marié en France et qu’il avait eu un enfant en secret, il fut à la fois peiné et rempli de colère : comment son germain avait-il pu lui cacher un épisode aussi important de sa vie ? « Mon frère, il s’est marié et il ne m’a pas parlé de cela. Il a fait son mariage, il a eu un garçon et il ne m’en a pas parlé. Je l’ai appris par une autre personne, qui n’est même pas de la famille. » Oralement, Amadou aurait difficilement pu exprimer son ressentiment. En revanche, par courriel, c’était possible. Il utilisa donc ce média pour expliquer à son aîné combien son comportement l’avait blessé : « [Par téléphone], je ne peux pas m’énerver, quoi. Donc, la meilleure des choses, j’écris un e-mail, je l’envoie, [je lui dis] “Tu as fait ceci, tu as fait cela, j’étais vraiment mécontent, mais j’essaie de m’y faire.” Cela, tu peux seulement le faire par e-mail et là, après, il [son frère] m’a répondu calmement, “Je suis vraiment désolé, je sais que j’ai eu tort.” »
21Bokoum Maiga prend, lui aussi, certaines libertés avec son père, à Paris. Parfois, ses sœurs viennent se plaindre auprès de lui de la dureté du comportement de leur père à leur égard. Lorsque Bokoum estime que celui-ci a effectivement eu un comportement injuste, il lui fait part de son mécontentement par écrit – « C’est pour lui dire : “Ah ! ce que tu as fait, cela ne m’a pas plu” » –, ce qu’il ne pourrait jamais faire s’il se trouvait en face de lui : « Il y a des choses que tu peux dire sur le Net, en cachette. Il y a certaines choses que tu peux lui dire [que tu ne pourrais pas dire oralement]. » Tout se passe donc comme si la machine jouait le rôle d’un « tiers symbolique » qui, en brisant le face-à-face, faisait disparaître celui-ci : « Par e-mail, tu peux écrire ton mécontentement [à ton aîné], lui expliquer la manière dont vous pouvez vous entendre le mieux et il lit, il peut comprendre et il peut se calmer parce qu’il a déjà lu la partie qui n’est pas bonne et la partie qui est bonne, donc il y aura un calme absolu » (Amadou Tangara). Il n’en reste pas moins que l’intermédiaire change de nature. D’humain, il devient symbolique, ce qui introduit un rapport plus direct et plus symétrique entre les protagonistes des relations d’évitement et de respect. Les cadets voient ainsi leur marge de manœuvre se renforcer.
Conclusion
22Les quelques exemples évoqués ci-dessus montrent qu’on est loin d’assister à un usage déterritorialisé d’Internet dans les cybercafés de Bamako. La pratique numérique des internautes est régie par des codes bien établis, territorialement ancrés qui, de surcroît, préexistent très largement à ce média. Ainsi, dans ces établissements, le courriel ne circule pas directement d’une personne à l’autre, comme le recommandent des auteurs des « discours d’accompagnement », mais il est enchâssé dans un système compliqué d’intermédiaires où les cousins, les amis intimes et les cadets interviennent tour à tour. On observe également que les personnes qui appartiennent à un même clan familial préfèrent se rendre dans des cybercafés différents, car le rapprochement – physique, social – qui caractérise ces commerces et leur atmosphère « légère » se prêtent mal aux relations familiales, en particulier à celles de consanguinité, fondées sur le respect. Enfin, nous aurions également pu évoquer le fait que si les jeunes femmes sont autorisées à fréquenter cet établissement, il est, en revanche, plus difficile pour une femme mariée de s’y rendre. En effet, l’atmosphère ludique et légère qui y règne est difficilement compatible avec son statut matrimonial qui suppose qu’elle se tienne à distance respectable des célibataires de l’autre sexe afin d’éviter tout malentendu. En ce sens, le cybercafé s’inscrit complètement dans la société malienne où la séparation des sexes, le respect des cadets dû aux aînés, la distinction sociale entre célibataires et mariés et la communication médiatisée constituent des principes essentiels.
23Faut-il en déduire qu’Internet se « plie » aux exigences de l’organisation sociale ? Dans les faits, la situation est plus complexe puisque ce média contribue à transformer ce même cadre normatif qui le structure. Ainsi, même si Ego ne convie pas tout le monde sur la Toile et qu’il n’utilise pas le courriel pour correspondre avec n’importe qui, la façon dont certaines relations se nouent dans le cyberespace laisse présager des transformations importantes. Par Internet, les cadets osent s’exprimer de façon relativement libre avec leurs aînés, si bien que la traditionnelle distance qui les sépare diminue. La parole entre les hommes et les femmes est également beaucoup moins retenue. Enfin, les contraintes de plus en plus importantes auxquelles sont soumis les pourvoyeurs financiers de la famille ne doivent pas être négligées. Sur la Toile, les migrants – sociaux et géographiques – peuvent difficilement contourner les demandes financières qui leur sont faites. Acculés, ceux-ci ne vont-ils pas être contraints de répondre plus frontalement à leurs débiteurs, instaurant de cette façon des relations plus directes entre eux ? Le média favorise, on le voit, des relations plus directes, informelles, mais aussi plus individuelles. Car, dès lors qu’un internaute décide de ne pas confier le mot de passe de sa boîte aux lettres électronique, il dispose d’un espace privé de communication : il peut discuter en toute intimité avec qui il le souhaite et contourner les membres de son réseau social. Cette situation est particulièrement profitable pour les cadets – en âge et en genre – qui, loin du regard de leurs aînés, peuvent s’émanciper. Des transformations similaires s’observent dans le cybercafé. Certes, dans ces établissements, les aînés et les cadets font tout pour s’éviter (Steiner, 2010) et pour maintenir une distance sociale et symbolique entre eux, afin de sauver la face des plus âgés. Toutefois, concrètement, ils évoluent dans le même lieu et, alors que, traditionnellement, les espaces ludiques sont fréquentés par groupes d’âge, le cybercafé, tel qu’il est pensé et géré, ouvre un nouveau champ des pensables, celui d’un endroit où les aînés et les cadets s’amusent côte à côte.
Bibliographie
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Mots-clés éditeurs : intermédiaire, parenté, Mali, capitaux, cadets
Date de mise en ligne : 22/09/2010
https://doi.org/10.3917/afco.234.0141Notes
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[1]
Par exemple, les marchands dont les étals se trouvent à proximité du commerce, les passants et les badauds qui viennent se reposer quelques instants pour profiter de l’air frais, boire un verre d’eau tiré de l’estagnon ou discuter avec le gérant.
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[2]
En anthropologie de la parenté, Ego sert de sujet de référence lors de l’élaboration des arbres généalogiques.
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[3]
Ces auteurs exhortent les internautes à ne pas divulguer leur mot de passe. Comme l’indiquent les conditions d’utilisation de service de l’opérateur Yahoo : « Ce compte Yahoo vous est strictement personnel et vous vous interdisez de le partager ou le céder à qui que ce soit. Cela constitue une obligation essentielle de ce contrat. » Pour éviter qu’une personne malveillante ne devine le cryptogramme et, par ce biais, n’accède à sa boîte aux lettres, il est recommandé d’en changer régulièrement, de ne l’inscrire nulle part et de ne le révéler à personne (Maniez, 2001, p. 272).
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[4]
Chez les Bambaras, Ego entretient des relations de plaisanterie avec ses cousins croisés paternels et maternels, ses petits-enfants et ses grands-parents, les frères et sœurs cadets de son époux (se) et avec les époux (ses) de ses frères et sœurs aînés. Il peut plaisanter de façon limitée avec ses frères et sœurs cadets (germains et classificatoires), avec son oncle maternel et sa tante paternelle. En revanche, il doit manifester son respect à ses frères et sœurs aînés, à son père et sa mère, à ses oncles paternels et ses tantes maternelles ainsi qu’à son époux (se). Enfin, il est tenu d’éviter, entre autres, le père et la mère de son époux (se), les frères et sœurs aînés de son époux (se) et les époux (se) de ses frères et sœurs cadets.
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[5]
À cela s’ajoute la variable de l’abondance : entre deux s?n?kun, le flot de parole est important, les mots ne sont pas comptés. Ce flot fait partie intégrante de la conversation et notamment de sa dimension humoristique.
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[6]
Dans ce contexte, avoir honte signifie « être discret, rester à sa place et s’interdire de faire ou de dire tout ce qui peut ternir l’image personnelle et nuire à autrui » (Doumbia, 2001, p. 175). Les Touaregs parlent de takärakit (Casajus, 2000, p. 47). Les notions de maloya et de takärakit vont bien au-delà du terme français de « honte » que les auteurs du Petit Robert décrivent comme un « déshonneur humiliant ». Casajus évoque la vergogne, au sens de prudence et de pudeur, Doumbia la considère comme un synonyme de « discrétion » et de « maîtrise de soi ». Dans ces deux cas, la « honte » a une connotation positive : elle exprime à la fois le respect d’Ego à l’égard du parent en question et son souci de ne pas lui nuire.
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[7]
Pour préserver l’anonymat de mes informateurs, leur prénom et nom de famille ont été modifiés.
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[8]
Son frère qui est en France se sert du compte bancaire d’un de ses amis à Bamako pour envoyer de l’argent à sa famille.
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[9]
Amadou Tangara, client de cybercafé, 28 ans, célibataire sans enfant, employé dans un magasin de location de voitures.
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[10]
Younoussa Ballo, client de cybercafé, 25 ans, célibataire sans enfant, comptable, à la recherche d’un emploi.
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[11]
Alassane Camara, gérant de cybercafé, 25 ans, célibataire sans enfant, étudiant en médecine, responsable d’une association de vulgarisation informatique.
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[12]
Boucary Traoré, gérant de cybercafé, 23 ans, étudiant à l’université.
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[13]
Moussa Maiga, gérant, 28 ans, célibataire sans enfant.
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[14]
Bokoum Maiga, client, 20 ans, célibataire sans enfant, lycéen.
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[15]
Djoukou Diarra, client, 17 ans, célibataire sans enfant, lycéen.