Couverture de AFCO_230

Article de revue

La réforme des douanes camerounaises : entre les contraintes locales et internationales

Pages 101 à 113

Notes

  • [*]
    Inspecteur principal des douanes de nationalité camerounaise, il prépare une thèse d’économie à l’université de Toulouse 1 sur le thème de la facilitation des échanges et du transit vers les pays enclavés de l’Afrique centrale. Il accumule 14 ans d’expérience opérationnelle et conceptuelle sur les problématiques ayant trait au commerce international et se trouve depuis plus de six ans au cœur de la réforme des douanes camerounaises à travers le pilotage des projets novateurs à l’instar de la mise en œuvre du Sydonia au port de Douala en janvier 2007. Il a signé, avec son directeur général et un collègue, un Working Paper publié en janvier 2009 par la Banque mondiale sur l’expérience camerounaise en matière de contrôle de l’exécution du service (http:// siteresources. worldbank. org/ EXTAFRSUBSAHTRA/ Resources/ DP08-Cameroon-Full. pdf). Il est actuellement chef du projet Gestion des risques et conduit la mise en œuvre d’un système automatisé de production des indicateurs de contrôle de l’exécution du service au sein de l’administration des douanes camerounaises.
  • [1]
    Déclaration de Paris sur l’efficacité de l’aide, adoptée en 2005 par les donateurs et les bénéficiaires, qui énonce 56 engagements pour une meilleure prestation et gestion de l’aide.
  • [2]
    « Le lien entre la qualité des institutions et la prospérité n’est pas toujours linéaire ou direct, mais, à l’évidence, la faiblesse des institutions limite la volonté politique ou les moyens nécessaires à l’adoption de politiques judicieuses ou à l’exécution des réformes-clés », Masood Ahmed, Finances et Développement, 2008.
  • [3]
    Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale qui regroupe le Cameroun, la Congo, le Gabon, la Guinée équatoriale, la République centrafricaine et le Tchad. Ces deux derniers pays sont enclavés.
  • [4]
    Cette tendance pourrait connaître une réduction suite aux APE ACP-UE dont il a signé un accord intérimaire.
  • [5]
    Il se distingue en cela des pays enclavés, comme, par exemple, la République centrafricaine dont la dissolution récente de l’administration a provoqué une grande instabilité institutionnelle.
  • [6]
    Système douanier automatisé.
  • [7]
    Il était, en 2005, directeur général de l’Agence française de développement (AFD) et professeur associé au CERDI (université d’Auvergne).
  • [8]
    Il était, en 2005, chargé de mission auprès du directeur général et du chef économiste de l’AFD.

Introduction

1Le présent article ambitionne de cerner deux thématiques principales. La première est la complexité de la coordination des partenaires du développement, dans l’esprit de la Déclaration de Paris [1], autour de la problématique de la réforme des douanes, du fait d’un problème de synchronicité entre la durée de séjour des directeurs généraux des douanes et celle des projets de développement. La seconde concerne l’administration des réformes, avec l’idée de la mise en place d’une centrale des acquisitions publiques qui se chargerait des approvisionnements pour les douanes camerounaises [2] et qui constituerait une formule alternative à la pratique des approvisionnements par la voie des marchés publics.

2Ces deux thématiques concernent l’ensemble des pays africains. Nous considérons ici uniquement le Cameroun, pays exemplaire pour notre problématique. Pays membre de la Cemac [3], le Cameroun est limitrophe de deux pays sans littoral et de par sa position géographique, avec une façade sur l’océan atlantique, il sert au passage des marchandises à destination de ces deux pays enclavés. Il se présente donc comme un exemple typique de pays en développement concerné par les enjeux de la facilitation des échanges. Son budget national est financé à près de 20 % par les recettes douanières [4], ce qui place les douanes dans une position déterminante pour la politique économique.

3Sa position de pays de transit, son ouverture sur le marché international sur le front océanique et le poids des recettes douanières dans le budget national expliquent l’effort mené par le gouvernement pour assurer un fonctionnement efficace du système douanier. Cette politique est fortement appuyée par les organisations internationales. Cette stabilité institutionnelle est par conséquent un critère important de prévisibilité du commerce et crée un bon « climat des affaires » au Cameroun [5]. Il faut ajouter enfin que dans le cadre de ces réformes, les douanes camerounaises sont soutenues par certains pays développés (la France notamment) et les partenaires au développement au titre desquels la Banque mondiale, l’Union européenne, la Banque africaine de développement, le Fonds monétaire international, etc.

4Avant d’engager cette réflexion, nous ferons une brève présentation des réformes actuelles de l’administration des douanes camerounaises. Puis, nous expliquerons à quelles contraintes sont confrontés les bailleurs de fonds locaux et internationaux. Nous donnerons enfin les solutions envisageables pour être efficace et améliorer la mise en œuvre de la réforme des douanes au Cameroun.

Présentation des réformes

5Nous faisons un état des lieux en présentant les réformes réalisées et celles en cours financées par les bailleurs de fonds internationaux, à travers un appui au Cameroun, à la République centrafricaine (RCA) et au Tchad d’une part, et d’autres appuis multiformes de l’Union européenne et d’autres bailleurs, d’autre part.

Le système Sydonia

Installé dans plus de 80 pays sur tous les continents, Sydonia (système douanier automatisé, Asycuda dans sa version anglophone) est un logiciel de la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement (Cnuced) qui gère la chaîne de dédouanement depuis l’arrivée des cargaisons, par voies terrestre, maritime ou aérienne, jusqu’à leur libération du contrôle douanier. Sydonia traite les manifestes, les déclarations en douane, le paiement, la sortie des marchandises, suivant un système modulaire qui permet aux pays de n’automatiser que quelques segments de la procédure ou son intégralité comme au Cameroun notamment.
Sydonia en est à sa quatrième version. À l’origine de ce développement, en 1981, le secrétariat de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) a sollicité la Cnuced pour la production de statistiques du commerce extérieur. Il s’est avéré que la production de statistiques fiables passait par leur saisie directe au moment du passage en douane. Par la suite, à la demande des pays, la Cnuced a développé plus spécifiquement les fonctionnalités douanières. Actuellement, la plupart des pays utilisent Sydonia++ (la troisième version) qui supporte une architecture client/serveur sous Oracle et Linux notamment. La dernière version, Sydonia World, propose une plate-forme utilisant des outils récents tels que Java et améliore des fonctionnalités dont le transit des marchandises.
Parmi les administrations fiscales, les douanes sont les seules à bénéficier d’un outil informatique aussi répandu et normalisé, ce qui fait l’un des intérêts principaux du logiciel pour mener une réforme. En effet, l’installation de Sydonia favorise la communication entre tous les acteurs (douanes, professionnels du dédouanement, compagnies maritimes et aériennes, Trésor, banques) en même temps qu’il leur propose des procédures normalisées au niveau international.
Sources : www. asycuda. org et communications personnelles.

6La direction générale des douanes camerounaises a engagé, depuis plus d’une décennie, des réformes importantes dans le but d’accroître les recettes douanières et lutter efficacement contre la corruption. Ces réformes concilient notamment les impératifs de facilitation et de contrôle des opérations du commerce extérieur. Cette démarche est le résultat d’un constat d’inadaptation des méthodes et procédures de travail des douanes camerounaises aux standards internationaux. Il en a découlé une réflexion profonde dans le cadre d’un comité de réflexion qui comportait des membres de l’administration des douanes et les partenaires du privé et du public impliqués dans les opérations du commerce international. Le CRAD (Comité de réforme de l’administration des douanes) a rendu son rapport en 2003 et ce dernier est le support des réformes entreprises actuellement dans cette administration.

7Entre autres objectifs, cette réforme visait à simplifier les procédures, à rationaliser les contrôles et moderniser les services et systèmes informatiques. Au titre de cette modernisation, les douanes camerounaises ont déployé au port et à l’aéroport de Douala le Sydonia [6], un logiciel conçu sous l’égide de la Cnuced, dont la version ++ est utilisée par le Cameroun depuis janvier 2007. Cette installation a provoqué une « révolution » qui a couplé la réforme de l’outil à une véritable réforme administrative. Celle-ci s’est faite sur la base d’une méthodologie ayant introduit, dans les douanes camerounaises, le projet comme un concept de gestion. Il est aisé de constater que plusieurs axes de cette réforme sont à engager et bénéficient de l’appui des bailleurs.

8Les réformes en cours visent essentiellement le renforcement de la facilitation des échanges et l’amélioration de la gouvernance. L’un des pans est consacré au transit et est soutenu par les bailleurs. Ainsi, le Cameroun est bénéficiaire d’un prêt de la Banque mondiale d’un montant de 147 millions de dollars USD qui lui permet d’engager une réforme des procédures et des pratiques sur le transit. Il s’agit d’aménager des bureaux des douanes, d’interconnecter les différents sites et de construire trois centres de formation sur les deux principaux corridors de transit. Il est attendu de cette réforme une plus grande fiabilité des services, une diminution des coûts de transport et, sur le long terme, une amélioration de l’accès aux marchés mondiaux et un développement des échanges commerciaux entre les trois pays. Dans le cadre de cet appui, la Banque mondiale a fait deux dons à la République centrafricaine (RCA) et au Tchad et un prêt au Cameroun.

9Une partie du financement servira à la lutte contre la fraude par le biais du développement d’une application de gestion des risques sur le dédouanement et le transit qui appuiera aussi la politique de contrôle de l’exécution du service dans les douanes camerounaises (Cantens, 2008 ; Libom Li Keng, Cantens et Bilangna, 2009). Pour la mise en œuvre de ce logiciel de gestion des risques, les douanes camerounaises avaient également reçu un accord de financement de la coopération française dans le cadre du projet TER (transparence-efficacité-rigueur) et pour des raisons d’incompatibilité dans la programmation, ce financement n’a pas pu être débloqué.

10L’Union européenne, dans le cadre du 10e FED (Fonds européen de développement) a consenti, en faveur de la réforme des douanes camerounaises, un appui dont les modalités et les procédures sont en train d’être finalisées. Une partie importante de ce financement sera orientée vers l’informatisation des procédures, opération qui sera complémentaire des actions engagées par la Banque mondiale. Une mission d’experts a procédé au mois de mars 2009 à l’identification des projets. L’évaluation finale de cette mission devrait permettre, à l’horizon 2010, de connaître avec précision les domaines d’intervention de cet appui.

11La commission de la Cemac a entrepris avec l’Union européenne un projet d’interconnexion des douanes de la Cemac avec pour points d’ancrage la mise à niveau des versions de Sydonia actuellement utilisées dans les États membres, la création d’une base de données centrale au niveau de Bangui, l’installation du Sydonia ou la réactivation de cette application à l’École inter-États des douanes de Bangui et la mise en place d’un système de transit régional s’appuyant principalement sur les corridors Douala-Bangui et Douala-N’djamena. Ce projet consiste en un financement de l’Union européenne à la commission de la Cemac, avec pour agence d’exécution du projet la Cnuced qui se propose de déployer dans ce cadre le Sydonia World. A priori, les douanes camerounaises, comme les autres douanes de la Cemac, seraient bénéficiaires de cette nouvelle infrastructure.

12De plus, le projet Fastrac, suivi au niveau de la délégation régionale de l’Union européenne à Bangui, siège de la Cemac, a pour ambition affichée de sécuriser le transit sur l’ensemble de la sous-région par la généralisation du Sydonia et la construction de bureaux juxtaposés. De même, la Banque africaine de développement (BAD) étudie un projet régional qui vise à doter les moyens de transport d’un système de communication pour alerter un observatoire des « mauvaises pratiques » en cas d’interception et pillage du chargement. La Banque mondiale étudie, parallèlement, en liaison avec le ministère des Transports, un projet de suivi satellitaire des envois en transit, à l’échelle Cemac. Indiquons, pour finir, que dans le cadre du 9e FED, l’idée de la construction des bureaux-frontières à contrôle juxtaposé (BFCJ) a fait du chemin et à ce jour cette idée n’est pas totalement mise à l’écart.

13Ces appuis des différents bailleurs visent la réforme des douanes camerounaises et la facilitation du transit en faveur des pays enclavés. C’est en droite ligne de l’article 5 du GATT (Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce) et des pertinentes recommandations de la conférence ministérielle internationale des pays en développement sans littoral et de transit et des pays donateurs et organismes internationaux de financement et de développement sur la coopération en matière de transport en transit. Cette conférence qui a eu lieu les 28 et 29 août 2003 à Almaty au Kazakhstan a été sanctionnée par une déclaration qui a réaffirmé l’engagement des parties prenantes à faciliter un développement plus poussé des pays en développement sans littoral.

14Nous pensons qu’une réforme des douanes se fait principalement au niveau national et la facilitation du transit passe nécessairement par un soutien plus accru au pays de traversée. Il faut les appuyer davantage car non seulement ils connaissent les mêmes difficultés, mais ils courent aussi le plus gros risque en termes de pertes éventuelles des recettes douanières, dans le cas où des marchandises en transit seraient versées à l’intérieur de leur territoire.

15Les bailleurs de fonds se bousculent aux portes du Cameroun dans le cadre de l’aide multiforme au développement, ce qui correspond au constat fait par Jean-Michel Severino [7] et Olivier Charnoz [8] dans le cadre d’un état des lieux fait sur l’aide au développement en 2005. Ces derniers pensent notamment qu’il y a un regain de l’aide en faveur des pays en développement ces derniers temps. Partant du constat que tous ces programmes visent le même objectif, moderniser l’administration des douanes camerounaises, il apparaît que les approches diffèrent et imposent quelques contraintes à cette administration. Une coordination ou une adaptation des douanes camerounaises, via une unité autonome de gestion, s’impose.

Organiser l’aide internationale

16Dans quelle mesure toutes les actions menées par les bailleurs peuvent se mettre en cohérence pour être plus efficace ? Cette mise en cohérence, à défaut d’être le fait des bailleurs eux-mêmes, pourrait être impulsée par les autorités camerounaises soit dans le sens d’une orientation à donner aux bailleurs, soit en adaptant les structures aux contraintes qui pèsent sur ces derniers.

Coordonner les actions des bailleurs

17Cette problématique n’est pas nouvelle et a déjà fait l’objet d’une réflexion qui a donné lieu en 2005 à la Déclaration de Paris sur l’efficacité de l’aide, ou plus récemment encore en septembre 2008 à Accra au Ghana dans le cadre du forum de haut niveau sur la question. Malgré ces rencontres et réflexions, quelques préoccupations demeurent, au-delà des difficultés qu’a le Cameroun à mettre en place un mode de fonctionnement ou une culture en cohésion avec les contraintes des bailleurs.

18Ici se pose le problème de la complexité des procédures de passation des marchés. Depuis que ces procédures sont mises en œuvre par les pays bénéficiaires, des problèmes connexes sont apparus : connaissance approximative desdites procédures, manque de diligence de la part de la cellule de gestion quand il s’agit des dossiers de la direction générale des douanes et également manque de diligence de la part de la commission des marchés. Cette situation pourrait s’expliquer par la mise en place tardive de la commission spéciale des marchés, nécessaire pour la conduite d’un projet de cette envergure.

19Ce sont les procédures de passation des marchés des bailleurs, telles que définis par le Code camerounais des marchés, qui s’appliquent. Cela débouche souvent sur une superposition des procédures provoquant ainsi une contrainte longue et difficile à assimiler. On peut l’observer actuellement sur le projet de facilitation des transports et du transit en zone Cemac, où les dossiers avancent assez lentement, en impliquant l’Agence de régulation des marchés publics (ARMP), la cellule de gestion rattachée au ministère des Travaux publics et la Banque mondiale. C’est notamment problématique pour des tâches de consultant avec des compétences techniques définies. En somme, la première difficulté est celle de l’imbrication des procédures des bailleurs de fonds entre eux. À cette difficulté vient donc se superposer celle de l’assimilation de ces contraintes par les pays récipiendaires et la difficulté de coordination de celles-ci avec les contraintes nationales. À côté de cette contrainte liée à la difficile coordination des procédures, il y a la durée des cycles de projet qui est parfois incompatible avec la durée de séjour des responsables au poste.

Cycle de projet versus turn-over des douaniers

20Une des contraintes, à la fois interne et provenant des bailleurs de fonds, est certainement la durée du cycle de projet qui est parfois longue. Elle se trouve, de ce fait, incompatible avec la durée de séjour d’un responsable à la tête de l’administration des douanes camerounaises. À titre d’exemple, le cycle de projet de la Banque mondiale est constitué de huit principales étapes qui vont de la stratégie d’assistance au pays (SAP) à l’évaluation, en passant notamment par l’approbation du conseil d’administration. Ce cycle peut durer plusieurs années et donc ne pas correspondre à la durée de séjour d’un responsable à la tête de la direction générale des douanes.

21En d’autres termes, est-ce qu’un directeur général des douanes a personnellement intérêt à s’engager dans une réforme avec les bailleurs sans être sûr que les délais, parfois longs, et la maîtrise des procédures des marchés des bailleurs de fonds lui permettront de conduire cette réforme à son terme ? Il est évident qu’un responsable nommé à un poste a toujours le souci du bilan et souhaite marquer son passage.

22Depuis 1976, les douanes camerounaises ont vu passer pas moins de 15 responsables à leur tête. Un tel turn-over donne une durée moyenne de séjour d’un responsable à la tête de l’administration des douanes camerounaises de deux ans et demi. Quelle pourrait être l’explication de ce turn-over ? La question serait plus compliquée si on observait que dans le même temps, l’administration fiscale du Cameroun n’a connu que cinq responsables dans le même intervalle. Pour un directeur général, le problème posé est celui du terme des projets qu’il aura engagé. Cette peur de ne pas voir l’aboutissement d’un projet peut, à un moment donné, être une source d’hésitation pour le directeur général qui privilégierait alors des options de très court terme ou de court terme.

23À titre d’illustration, les négociations pour le projet de facilitation du transit et des transports en Afrique centrale ont commencé en 2006. Le conseil d’administration de la Banque mondiale a approuvé le projet le 26 juin 2007 (à ce moment, il y avait un responsable à la tête des douanes camerounaises). Cette approbation s’est concrétisée par la signature d’une convention de prêt en 2008 entre le gouvernement du Cameroun et la Banque mondiale, assortie des conditions de mise en œuvre et de premier décaissement. En passant outre les autres péripéties, on constate qu’en mars 2009, aucun décaissement n’a encore été effectué et entre-temps, le responsable a changé à la tête des douanes camerounaises. L’actuel responsable de cette administration pourrait donc, à tort ou raison, penser que l’aboutissement de ce projet interviendra plus tard et s’investir donc dans d’autres projets sans pour autant abandonner ledit projet eu égard aux engagements du gouvernement de la République.

24Face à ces contraintes, quelles pourraient être les solutions ? Selon nous, la solution avait déjà été esquissée par la Déclaration de Paris et cette esquisse pourrait être complétée par d’autres axes que nous présentons ici.

Quelques solutions pour plus d’efficacité

25« La Déclaration de Paris de 2005 a cristallisé les évolutions du système d’aide des dix dernières années au travers des concepts d’harmonisation, d’alignement et d’appropriation » (Amprou et al., 2007). En clair, les partenaires au développement doivent aligner leurs appuis sur les procédures des pays récipiendaires.

Utiliser les procédures des pays récipiendaires

26Si chaque bailleur des fonds doit déployer ses procédures à l’occasion de son appui, la coordination devient difficile au regard de la rigidité caractérisée de certaines procédures. À cela, il faut ajouter un contexte de faible capacité des administrations récipiendaires à assurer une telle coordination.

27Selon nous, le point de rencontre de toutes ces procédures devrait donc être les procédures du pays récipiendaire. Même si c’est le cas, il y a nécessairement un problème d’appropriation de l’imbrication de ces procédures qui demeure. C’est généralement source de délai et donc de retard dans l’exécution des projets. Par conséquent, la coordination des bailleurs ne pourrait être envisagée qu’à travers l’application des procédures du pays récipiendaire. En effet, celles-ci ne garantissent pas toujours l’efficacité de l’aide au regard des pratiques de corruption. Évidemment, la corruption et l’absence de transparence représentent un obstacle à l’affectation efficace des ressources et, là où elle existe, la corruption empêche les donneurs de s’appuyer sur les systèmes et procédures des pays récipiendaires. C’est là que pourrait se trouver le dilemme alors que ce sont ces systèmes et procédures qui pourraient servir de socle commun aux bailleurs. Cela serait conforme à l’un des engagements de la Déclaration de Paris qui parle de l’alignement de l’aide au développement et qui recommande que les donneurs fassent reposer leur soutien sur, entre autres, les procédures des pays partenaires, entendus ici comme les pays récipiendaires.

28Bien plus, toujours dans le cadre de la Déclaration de Paris, les pays partenaires se sont engagés à assurer la coordination de l’aide en consultation avec les donneurs. Sur ce point, le Cameroun pourrait donc assurer cette coordination en mettant en place une véritable gestion unique des appuis des bailleurs. Ce qui devrait se faire au travers d’une structure transversale comportant toutes les parties prenantes. Cette structure pourrait donc imposer la coordination des actions et des procédures aux bailleurs, sous réserve que la procédure actuelle des marchés publics soit profondément revue. En clair, il est indiqué que l’on s’affranchisse des règles actuelles de marchés publics en mettant en place un dispositif qui réduise les risques de corruption.

29Actuellement, toutes les acquisitions dans le cadre des programmes et projets, qu’ils soient financés par les bailleurs ou sur fonds nationaux, sont faites par le biais des marchés publics. Est-il possible que, dans le cadre de cette réforme ou d’une manière générale, les acquisitions et toutes les autres interventions, dans le cadre de ces projets, soient faites autrement que par le biais des marchés publics ?

30Le modèle de dépenses publiques actuel au Cameroun est axé sur le Code des marchés publics du 24 septembre 2004 qui fixe les règles applicables à la passation, à l’exécution et au contrôle des marchés publics. Ledit Code, s’il est déjà une bonne base pour la gestion des marchés publics, en ce sens qu’il encadre bien la procédure, comporte quand même une grosse lacune qui est l’institutionnalisation des mercuriales comme référence des prix des fournitures et autres travaux. Dans la pratique, on observe que cette mercuriale comporte des prix qui n’ont aucun rapport avec les règles du marché. Sinon, comment admettre qu’un ordinateur de base, dont le prix varie actuellement entre 1 000 et 1 500 euros sur le marché camerounais, puisse être vendu à l’État au prix de 4 500 euros et parfois plus, en restant conforme aux termes de la mercuriale ? Cet état de choses doit être revu à défaut pour l’État d’envisager, pour ses acquisitions, une solution qui est expérimentée au Cameroun avec la Centrale nationale d’approvisionnement en médicaments et consommables médicaux essentiels (Cename) qui achète et distribue les produits pharmaceutiques et consommables médicaux essentiels.

31La direction générale des douanes pourrait donc obtenir, directement auprès des fournisseurs (même à l’étranger), plusieurs factures pro forma et négocier avec les moins-disants. Cela éviterait d’utiliser des prestataires de services dont la marge est souvent au-dessus du prix d’achat ou du coût réel de la prestation. Cette approche pourrait être une alternative au Code des marchés publics, dans la mesure où l’administration des douanes pourrait donc avoir en son sein une véritable centrale d’acquisitions qui serait chargée de l’approvisionnement de cette administration. Par ce biais, la marge des prestataires pourrait au moins servir à d’autres acquisitions, l’administration traitant directement avec les fournisseurs réels plutôt qu’avec des intermédiaires. Cette approche pourrait donc être appliquée dans le cadre des projets soutenus par les bailleurs de fonds pour garantir l’efficacité de l’aide.

32Au-delà de cette solution, on pourrait orienter le pays vers une adaptation de ses structures aux contraintes « positives » des bailleurs.

S’adapter aux contraintes des bailleurs

33Il faut entendre ici par contraintes positives, celles qui peuvent permettre de garantir l’efficacité de l’aide. À ce titre, la surveillance des bailleurs se présentent comme le moindre mal et il est indiqué que les pays récipiendaires puissent faire des ajustements qualitatifs. Il est possible d’envisager une alternative à deux pendants.

34Le premier pendant est une adaptation des cycles de projet des bailleurs de fonds au turn-over de l’administration des douanes. Cette solution passe par un diagnostic profond de la situation de l’administration à appuyer. Pour le cas des douanes camerounaises, il est recommandé de séquencer le projet de manière à permettre certaines réalisations dans des délais très courts. L’autre possibilité serait d’amener les gouvernements à adapter le turn-over aux contraintes normales des projets d’une certaine ampleur et transposer à la direction générale des douanes (DGD) l’expérience de la direction générale des impôts en termes de longévité des responsables. À titre d’illustration, dans le cadre de l’appui que le Cameroun est en train de finaliser actuellement avec l’Union européenne pour la réforme des douanes camerounaises, il est clair que le projet porte sur un financement de 10 millions d’euros sur quatre années. Cette indication devrait permettre soit de décomposer le projet en plusieurs mini-projets de court terme, soit garantir au responsable une durée de vie d’au moins quatre années pour mener à son terme ce projet.

35Le second pendant est de mettre en place, dans le cadre de l’organigramme de la direction générale des douanes du Cameroun, une structure spécifique orientée sur la mise en place des réformes. Cette structure serait calquée sur le modèle des directions « recherche et développement » présente dans les organigrammes des entreprises du privé. En réalité, il s’agit de mettre en place un pool de rénovateurs chargé de réfléchir sur la douane du futur et de conduire tous les projets novateurs. L’avantage d’une telle structure est qu’elle pourrait survivre aux responsables qui passent, en les laissant se consacrer aux tâches quotidiennes de la conduite de la politique douanière. De plus, elle pourrait être constituée de personnels motivés qui régiraient les projets selon le modèle du privé en ayant à leur disposition toutes les ressources. Enfin, elle pourrait aider à la coordination des interventions des bailleurs de fonds internationaux.

36Au-delà des contraintes, la réflexion devrait s’orienter vers une véritable adaptation des procédures et systèmes nationaux aux standards des bailleurs. Il pourrait s’agir de la mise en œuvre d’un Code des marchés publics favorisant un environnement de bonne gouvernance et du déploiement de véritables centrales d’acquisitions qui pourraient servir d’alternative au Code des marchés publics actuel.

Conclusion

37La réforme des douanes camerounaises ne doit pas simplement s’arrêter à une réforme technique. Une mise en cohésion des interventions des bailleurs de fonds est donc indispensable pour une plus grande efficacité. Elle consiste en une meilleure coordination des interventions des bailleurs et sur ce point, les autorités nationales doivent fortement s’impliquer en imposant la coordination à travers une gestion unique ou centralisée des projets soutenus par les bailleurs. Cette mise en cohésion doit nécessairement s’accompagner d’une volonté politique qui s’exprimerait à travers la mise en place d’outils plus efficaces. De plus, il est nécessaire que la réforme touche aussi les procédures d’acquisitions en changeant véritablement de paradigme. En cela, la solution de la mise en place d’une centrale des acquisitions publiques nous semble pertinente dans la mesure où elle réduirait les coûts des ouvrages et divers projets et accélérerait les réformes.

38L’autre alternative est l’adaptation des contraintes des bailleurs de fonds aux contraintes des pays bénéficiaires des appuis pour une harmonisation, une action commune en vue des résultats dans le sillage de la Déclaration de Paris.

Bibliographie

Bibliographie

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  • Déclaration d’Almaty (2003), à l’occasion de la Conférence ministérielle internationale des pays en développement sans littoral et de transit et des pays donateurs et organismes internationaux de financement et de développement sur la coopération en matière de transport en transit, Kazakhstan.
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  • Masood, A. (2008), « Nouvelles frontières. Les pays à faible revenu se mondialisent, mais restent confrontés à d’importants défis », Finances et Développement, FMI.
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  • Severino, J.-M. et Charnoz, O. (2005), « Les mutations impromptues : état des lieux de l’aide publique au développement », Afrique contemporaine, n° 213, p. 13-131.

Notes

  • [*]
    Inspecteur principal des douanes de nationalité camerounaise, il prépare une thèse d’économie à l’université de Toulouse 1 sur le thème de la facilitation des échanges et du transit vers les pays enclavés de l’Afrique centrale. Il accumule 14 ans d’expérience opérationnelle et conceptuelle sur les problématiques ayant trait au commerce international et se trouve depuis plus de six ans au cœur de la réforme des douanes camerounaises à travers le pilotage des projets novateurs à l’instar de la mise en œuvre du Sydonia au port de Douala en janvier 2007. Il a signé, avec son directeur général et un collègue, un Working Paper publié en janvier 2009 par la Banque mondiale sur l’expérience camerounaise en matière de contrôle de l’exécution du service (http:// siteresources. worldbank. org/ EXTAFRSUBSAHTRA/ Resources/ DP08-Cameroon-Full. pdf). Il est actuellement chef du projet Gestion des risques et conduit la mise en œuvre d’un système automatisé de production des indicateurs de contrôle de l’exécution du service au sein de l’administration des douanes camerounaises.
  • [1]
    Déclaration de Paris sur l’efficacité de l’aide, adoptée en 2005 par les donateurs et les bénéficiaires, qui énonce 56 engagements pour une meilleure prestation et gestion de l’aide.
  • [2]
    « Le lien entre la qualité des institutions et la prospérité n’est pas toujours linéaire ou direct, mais, à l’évidence, la faiblesse des institutions limite la volonté politique ou les moyens nécessaires à l’adoption de politiques judicieuses ou à l’exécution des réformes-clés », Masood Ahmed, Finances et Développement, 2008.
  • [3]
    Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale qui regroupe le Cameroun, la Congo, le Gabon, la Guinée équatoriale, la République centrafricaine et le Tchad. Ces deux derniers pays sont enclavés.
  • [4]
    Cette tendance pourrait connaître une réduction suite aux APE ACP-UE dont il a signé un accord intérimaire.
  • [5]
    Il se distingue en cela des pays enclavés, comme, par exemple, la République centrafricaine dont la dissolution récente de l’administration a provoqué une grande instabilité institutionnelle.
  • [6]
    Système douanier automatisé.
  • [7]
    Il était, en 2005, directeur général de l’Agence française de développement (AFD) et professeur associé au CERDI (université d’Auvergne).
  • [8]
    Il était, en 2005, chargé de mission auprès du directeur général et du chef économiste de l’AFD.
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