Notes
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[1]
Médecin, assistant de recherche au LASDEL.
-
[2]
Les données ont été collectées par l’auteur assisté par Ibrahim Saadou. Tous deux connaissaient bien la région, où ils avaient effectué de nombreuses enquêtes.
-
[3]
Cf. Braillard, 1941.
-
[4]
Cf. Mohamadou et al., 2006, p. 8.
-
[5]
Cf. Mahamadou, 2004, p. 16.
-
[6]
Cf. Houssais, 1933.
-
[7]
Ce terme signifie littéralement « manger la saison sèche » et, de façon plus exacte, trouver de quoi manger pendant la saison sèche. Ceci s’applique aussi bien aux animaux qu’aux personnes qui les accompagnent. Pour ces derniers, cin rani implique la recherche d’un emploi rémunérateur, mais aussi la vente d’animaux ou produits d’élevage (lait, beurre, etc.), et le ravitaillement en céréales.
-
[8]
Cf. Houssais, 1933.
-
[9]
D’une part, les puits sont saturés du fait d’une forte population d’animaux de toutes espèces. D’autre part, les cordes servant à l’exhaure ramènent dans les puits des matières fécales d’animaux, d’où une recrudescence des maladies diarrhéiques pendant cette période.
-
[10]
Le korsali est une longue corde, implantée dans le sol aux deux extrémités et qui sert à attacher les animaux en série à des intervalles réguliers.
-
[11]
Le chef de village de la zone de Roumbou.
-
[12]
Le chef de village de la zone de Roumbou.
-
[13]
S.T.
-
[14]
Djigo Dangaladima.
-
[15]
Un éleveur de la zone d’Agadès.
-
[16]
Un éleveur.
-
[17]
Cf. Mahamadou et Oumarou, 2002.
-
[18]
A. D. cultivateur à Sakabal.
-
[19]
Une mère de Roumbou-Sakabal.
-
[20]
Le chef de village de Roumbou-Sakabal.
-
[21]
Le secrétaire permanant du CAPONG.
-
[22]
Cette expression signifie que Dieu fasse qu’on ne revive plus jamais une telle situation.
-
[23]
ST, un cultivateur, chef des intermédiaires de vente d’animaux.
-
[24]
Le directeur d’école de Roumbou.
-
[25]
Un chef de village.
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[26]
Le chef de village de Maigochi Saboua.
-
[27]
La forte mortalité des asins est le symptôme de la sévérité de la crise pastorale. En effet, cet animal est sobre, et se contente de très peu d’aliments et souvent de basse qualité.
-
[28]
DDRA.
-
[29]
El Ousmane, éleveur Kel Tamerkest.
-
[30]
DDRA.
-
[31]
Le secrétaire permanant du CAPONG.
-
[32]
Le secrétaire permanant du CAPONG.
-
[33]
Le préfet.
-
[34]
Le secrétaire permanent du CAPONG.
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[35]
La pratique du boucanage, est une technique de conservation, de la viande du gibier empruntée aux chasseurs. Elle fut pratiquée déjà lors des famines de 1974 et 1984.
-
[36]
« Ceux qui font la boucherie ».
-
[37]
Un chef de village de Sakabal.
-
[38]
Un chef de village de Sakabal.
-
[39]
Un chef de village de Sakabal.
-
[40]
DDRA.
-
[41]
Un administrateur d’Oxfam GB.
-
[42]
Il s’agit d’appuis alimentaires octroyés à des personnes dont la vulnérabilité n’avait pas été prise en compte par les différentes institutions d’aide.
-
[43]
Un administrateur d’Oxfam.
-
[44]
Un paysan de Roumbou.
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[45]
Un chef de village.
-
[46]
Le maire de Roumbou.
-
[47]
Un administrateur d’Oxfam.
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[48]
Un administrateur d’Oxfam.
-
[49]
Le chef de village de Maigochi Saboua.
Introduction
1Le département de Dakoro a une superficie de 16 000 kilomètres carrés. C’est le plus grand des cinq départements de la région de Maradi. Il se caractérise par la diversité de ses composantes physiques et humaines, liées à de multiples facteurs : écologiques, démographiques, économiques, historiques, culturels. C’est en quelque sorte « un Niger en miniature ». Le village de Roumbou-Sakabal est le chef-lieu de la commune de Roumbou, l’une des quatorze communes de Dakoro, située entre la zone agropastorale et la zone pastorale du département. C’est une zone de transition où la sécurité alimentaire des ménages est des plus précaires, puisque, selon Care-Niger, « une année sur deux est jugée déficitaire ». Bon an mal an, il y a un manque de 4 à 5 mois de nourriture dans les greniers familiaux [2].
2Située dans la vallée de la Tarka, Roumbou-Sakabal, couloir de passage et espace de pâturage pour de nombreux troupeaux quittant le Sud (agricole) pour le Nord (pastoral), est « le prolongement vers le 15° Nord des zones de cultures de Tessaoua et de Maradi. […] Les pluies y sont relativement abondantes, la végétation est plus riche et présente de beaux arbres à feuillage. Les cultures vivrières y tiennent bien, tout particulièrement dans la partie Ouest de la vallée, et de grandes zones de pâturages permettent de vivre à de nombreux troupeaux. Les puits sont nombreux et permanents [3].». Toujours selon cet auteur, la région est peuplée de Haoussa et de Béri-Béri sédentaires venus de Tessaoua, Maradi, Madaoua ; c’est une zone de transhumance où les Peulhs Borordjis, Tchilaouan, Farfaroua, Oudawas mènent leurs troupeaux de moutons ou de bœufs, une contrée où les Mouzgou, les Kelgress et les Kel Ferwan exerçaient leur domination. Ainsi, cette vallée de la Tarka offre un mélange curieux de tribus et de races…
Zones climatiques du Niger
Zones climatiques du Niger
3De ce fait, cette zone agro-écologique, fortement convoitée par les uns comme par les autres, est le lieu d’« une forte compétition entre agriculteurs et éleveurs […]. Cette compétition se dédouble d’une rivalité entre chefs de cantons et chefs de groupements nomades. Les conflits étaient très fréquents et souvent meurtriers entre les agriculteurs et les transhumants [4] ». Quant à la commune de Roumbou, accueillant de manière saisonnière de nombreux transhumants en provenance des départements voisins, elle constitue une sorte de porte d’entrée dans la zone pastorale, et son chef-lieu, avec son marché hebdomadaire, est devenu un lieu où cohabitent les différentes communautés de la sous-région. Aux Touaregs Tegama sont venus s’ajouter des Katsinawa, des Gobirawa, des Mélawa (Béri-Béri hausaphones), des Peuls, des Koransobawa, pour ne citer que ceux-ci. De ce fait, l’arrivée et l’installation de ces populations ont généré toutes sortes d’activités faisant du marché et du village de Roumbou-Sakabal un centre prospère et cosmopolite.
4Hormis l’école traditionnelle, la médersa, le CSI (centre de santé intégré) et la mini-adduction d’eau potable créée par le projet de développement de la zone pastorale (PROZOPAS), le village de Roumbou-Sakabal ne dispose d’aucune autre infrastructure de type moderne. Quant à l’animation de la vie publique, il existe quelques organisations de type comités de gestion (COGES), pour le centre de santé intégré, la banque céréalière, le dépôt de médicaments vétérinaires et intrants zootechniques, l’école, ainsi qu’une association de parents d’élèves et des groupements de femmes. Ces organisations conduisent des activités comme le stockage de mil, l’entraide lors des travaux champêtres, l’octroi de crédits, etc.
5Nous voulons faire un diagnostic des relations entre les éleveurs et les agriculteurs pendant la crise alimentaire 2004-2005, « vue d’en bas », à partir des discours et observations recueillis minutieusement sur le terrain. Au cours des différentes phases de cette enquête réalisée entre le 31 mai et 16 juin 2006, puis du 28 novembre au 10 décembre 2006, nous avons effectué 60 entretiens totalisant environ 79 heures d’enregistrements.
6Cet article est structuré en quatre grandes parties. La première partie décrit les relations entre agriculteurs et éleveurs en dehors de la période de crise. La deuxième relève les manifestations de la crise alimentaire 2004-2005 à Roumbou-Sakabal. La troisième essaie de décrire quelques stratégies, utilisées par les ménages de Roumbou-Sakabal pour survivre. Enfin, en conclusion, on analyse le rôle des ONG de développement dans la prévention esquissée et la gestion des conflits entre agriculteurs et éleveurs.
Les relations agriculteurs et éleveurs hors période de crise
7Les relations entre agriculteurs et éleveurs, dans ce milieu écologique fortement contraignant, varient selon le cycle des activités agropastorales. Elles sont le plus souvent complémentaires en saison sèche (pacage et fumure des champs par les troupeaux), mais peuvent être conflictuelles en périodes de cultures. Ces conflits, en année normale, sont surtout liés à l’accès des éleveurs aux ressources qui leur sont nécessaires en milieu agricole (résidus de cultures, eau, etc.). Il y a des périodes de pointes pour ce genre de conflits, liées aux cycles agricoles : après les premières pluies, et donc les premiers semis, et lors des récoltes, les troupeaux des éleveurs en transhumance vers la zone pastorale ou de retour dans la zone agricole peuvent pénétrer dans les champs et causer des dégâts, d’ou des rixes parfois violentes entre agriculteurs et éleveurs [5].
8À Roumbou-Sakabal, comme dans tout le département de Dakoro, il existe des relations de complémentarité et des relations de conflits.
Les relations de complémentarité
9Lorsque la saison des pluies s’annonce, les nomades (éleveurs) quittent le Sud et reviennent chez eux, accompagnant les animaux qui séjournent quelque temps sur les terres qui doivent être prochainement mises en culture, afin qu’elles soient convenablement fumées [6]. Pendant cette période (dite de libération des champs de la fin décembre aux premières pluies, fin mai début juin), les éleveurs circulent librement dans les champs. Ils ont depuis longtemps tissé des relations étroites avec des agriculteurs chez lesquels ils descendent. Ils parquent leurs troupeaux sur les champs de ces agriculteurs. Ces derniers profitent de la fumure organique. En compensation, les éleveurs reçoivent de ceux-ci protection, mais aussi récompense sous forme de son pour le bétail. Plusieurs types de relations complémentaires se sont construites à travers le temps entre les éleveurs et les agriculteurs : le pacage, l’abreuvage d’animaux, le commerce de bétail, le ravitaillement en céréales, la cession d’animaux de sédentaires aux éleveurs pour le gardiennage (asako), etc.
Le pacage (ayi taki)
10Après l’assèchement des mares d’hivernage dans la zone pastorale, les nomades descendent vers le Sud et s’installent dans les champs. « Cette nécessité de se déplacer s’appelle en hausa : cin rani [7] » [8]. Ainsi, généralement, dans les villages de la Tarka, chaque chef de famille a « son » éleveur (peul ou touareg), avec lequel sa famille a tissé depuis fort longtemps des relations mutuellement avantageuses. Chaque éleveur campe dans le champ de son allié sédentaire.
L’abreuvement des animaux (ban ruwa), l’exhaure (elawa) et l’exploitation des points d’eau pendant la saison sèche
11Un des problèmes pour les éleveurs pendant la saison sèche est l’abreuvement des animaux. Les puits pastoraux dans la commune de Roumbou sont presque inexistants, malgré la forte concentration d’éleveurs dans cette zone. L’abreuvement se pratique sur les puits villageois. Pour cela, l’éleveur doit avoir une autorisation du chef de village, qui reçoit en compensation un petit animal. Les éleveurs abreuvent leurs animaux tous les deux jours pour les gros ruminants, selon un ordre de préséance. Pendant les périodes de pointe (avril, mai, juin), on observe une surexploitation des puits villageois, de sorte que les puits s’assèchent et l’eau se trouve polluée [9].
La vente d’animaux et l’achat des céréales
12Dans la zone de Roumbou-Sakabal, le marché de bétail est à son paroxysme pendant deux périodes de l’année :
- la descente des éleveurs vers le Sud, après les récoltes (sabka korsali) [10] ;
- la remontée des éleveurs vers le Nord, après les semis (hayewa korsali).
13Pendant la descente vers le Sud, les éleveurs vendent généralement des animaux pour se ravitailler en céréales. Les animaux sont disponibles sur les marchés de la zone en grand nombre, mais le prix des animaux est plus élevé que pendant la saison froide, car c’est la période où les cultivateurs ont de l’argent, ayant vendu une partie de la récolte. La grande demande d’animaux sur le marché est en réalité due à un double besoin :
« C’est le moment pendant lequel les éleveurs achètent les animaux de reproduction (en vendant les plus vieux). Avec une partie de l’argent, ils achètent des vivres et avec le reste ils se procurent des jeunes animaux, généralement des femelles pour la reproduction [11]. »
« C’est aussi le moment pendant lequel les agriculteurs vendent une partie de leurs récoltes aux éleveurs ou aux collecteurs de mil “en katsare”, pour régler les dépenses sociales (cérémonies, impôts, mariages, etc.) et se procurer les animaux qui constituent leurs épargnes pendant la soudure [12]. »
15Ainsi une vache peut se vendre alors entre 140 000 et 170 000 FCFA. Par contre, pendant la saison froide dari, les stocks des agriculteurs commencent à s’épuiser, et ils ne vendent les céréales que pour les dépenses d’extrême priorité (soins médicaux par exemple), alors que l’offre de bétail demeure encore forte. Les prix des animaux baissent. Avec la mousson, la situation des prix se détériore en défaveur des éleveurs. Les agriculteurs qui avaient acheté des animaux vendent, tout autant que les éleveurs, avec l’épuisement des ressources pastorales et des céréales. Seuls les commerçants achètent. Tous les autres approvisionnent le marché.
16Et enfin, pendant l’hivernage, les animaux sont ramenés au Nord en zone pastorale. On ne trouve pas de gros ruminants (camelins, bovins) en zone agropastorale. Sur le marché on trouve principalement les petits ruminants (ovins, caprins).
17Dans ces transactions, deux acteurs nouent des relations particulières avec les éleveurs. Il s’agit de l’intermédiaire de vente d’animaux « dilali’n bisashe » et du collecteur de céréales « dan katsare ».
L’intermédiaire de vente d’animaux (dilanci bisashe)
18La profession d’intermédiaire de vente d’animaux (dilanci bisashe) est une activité qui consiste dans le témoignage (shaydu) que l’intermédiaire (dilali) fait lors d’une transaction de vente ou d’achat d’animaux (bisashe). Cette profession s’apprend dans une relation de compagnonnage avec des intermédiaires confirmés.
« C’est celui chez qui tu fais l’apprentissage (baranci) qui te montre comment se passent les choses. Quelle commission (laada) prendre pour telle ou telle catégorie d’animaux ? Puis ils mettent l’apprenti en contact avec les éleveurs (Peuls, Touaregs) et parfois même les Hausa (acheteurs comme vendeurs). »
20L’intermédiation dans la vente ou l’achat d’animaux comporte un certain nombre de principes et de règles. Il faut être vigilant, prudent, car c’est un métier à risque à cause de la fréquence des vols de bétail et des multiples escrocs qui fréquentent les marchés. Un dilali bisashe doit savoir démasquer les escrocs, qui ont plusieurs astuces, dont la plus usitée consiste à se faire passer aux yeux de l’éleveur comme un apprenti de l’intermédiaire, et aux yeux de celui-ci comme un compagnon de l’éleveur. La confusion étant créée, ils s’arrangent toujours pour devancer l’éleveur auprès du dilali afin de recueillir les fruits de la vente :
« L’année dernière, j’en ai attrapé un comme ça. J’avais vendu un mouton à 17 500 FCFA. Ce qui m’a sauvé, c’est qu’au moment où je suis allé informer l’éleveur, ce dernier m’a fait comprendre qu’il ne le connaît pas. C’est ainsi que je suis parti à sa recherche et j’ai pu l’attraper puisqu’il n’est pas allé loin. J’ai retiré mon argent seulement et je l’ai laissé [13]. »
22Une autre astuce consiste à se faire passer pour un ami des commerçants, les « in jula » :
« Lorsque les in jula viennent pour acheter les animaux, ils sont avec eux. Ils se mettent à marchander au profil des commerçants comme s’ils étaient leurs assistants. Lorsqu’ils ont obtenu le meilleur prix, ils disent aux commerçants de payer l’argent. Ces derniers payent. Puis ces imposteurs reviennent pour retirer les animaux avec lesquels ils s’enfuient. »
24Les escrocs vendent généralement les animaux aux bouchers qui les égorgent immédiatement.
25La dernière difficulté vient des percepteurs de taxes :
« Ils te font payer 200 FCFA pour le petit ruminant et 500 FCFA pour le gros ruminant. Le problème c’est que, lorsqu’ils remplissent le carnet, le percepteur ne fait pas figurer ton nom sur le carnet. »
27Les recettes de l’intermédiaire de vente sont aléatoires, car fonction du nombre et du montant des transactions faites :
« Quand le marché devient difficile, on peut même revenir bredouille et il faudra s’endetter pour acheter la cola. »
29Néanmoins, cette activité permet à ceux qui la pratiquent de survivre après l’épuisement des stocks céréaliers de la famille :
« Si ça marche, tu peux t’en tirer avec 6 000 FCFA et plus. C’est avec ça que j’achète les céréales [14]… »
Les collecteurs de céréales sur les marchés (in katsare)
31Ils constituent des acteurs incontournables dans la commercialisation des céréales sur les marchés ruraux. Généralement, les collecteurs de céréales ne disposent pas de capitaux propres pour exercer leurs activités. Ils ont des relations avec les gros commerçants de céréales de Dakoro et Maradi. Ceux-ci sont les fournisseurs des projets et ONG ; ils sont à la fois importateurs et exportateurs des céréales entre le Niger et Nord Nigéria (Jibia, Katsina, et Kano) ; ils acheminent les céréales de la région de Maradi sur l’Ouest et le Nord du Niger (régions de Dosso, Niamey, Tillabéri, Tahoua et Agadès), et constituent des stocks à la récolte qu’ils revendent pendant les périodes difficiles. Quant aux collecteurs de céréales de Roumbou, outre leurs relations avec les gros commerçants, ils sont généralement en relation avec les éleveurs pour lesquels ils collectent les céréales, qu’ils stockent dans des entrepôts jusqu’au retour des transhumants, au moment de la remontée vers le Nord en zone pastorale. Cette transaction entre éleveurs et agriculteurs n’est pas sans difficultés. En effet, il arrive que les collecteurs de céréales achètent les céréales et les revendent avant le retour des éleveurs.
« Pendant notre descente vers le Sud, où nous avons fait le cin rani (manger la saison sèche), j’ai laissé mon argent à S.I., un dan katsare, pour qu’il m’achète 10 sacs de mil. C’est 90 000 FCFA que je lui ai donné, à raison de 9 000 FCFA par sac. À mon retour j’ai trouvé qu’il avait vendu le mil qu’il m’avait acheté. Ne pouvant pas me rembourser, nous sommes partis voir le chef de village qui a tenté de régler le litige [15]. »
Les relations conflictuelles
33À Roumbou-Sakabal, comme dans tout le Sahel, les conflits entre agriculteurs et éleveurs portent essentiellement sur la gestion des ressources naturelles. Cette situation est devenue plus critique au cours des trois dernières décennies, caractérisées par la raréfaction des ressources naturelles (pâturages, eau), poussant les éleveurs à se déplacer, de plus en plus vers le Sud (zone de cultures). Ces déplacements du bétail nécessitent de vastes espaces : couloirs de passage, aires de pâturage ou de repos, points d’eau, etc.
34Pendant ces parcours, plusieurs situations de conflits peuvent se présenter :
- Dégâts sur les champs des agriculteurs, lors des semis (période pendant laquelle les éleveurs remontent vers le Nord en zone pastorale), mais surtout au retour des transhumants avant la libre pâture dans les champs (sakuwa gonakki).
- Dégâts causés par les animaux qui ne vont pas en transhumance pendant la période de culture (généralement petits ruminants), sur les cultures proches des aires de pâturages ou des agglomérations d’agro-pasteurs (campements touaregs zango, campements peuls rugga).
- Occupations des alentours des mares en saison froide par des cultures de contre-saisons de calebassier (duma), de manioc (roggo), etc.
- Surexploitation des puits villageois par les éleveurs.
- Extension des champs d’agriculteurs sur l’espace pastoral réduisant ainsi l’espace vital pour les éleveurs. Selon Mahamadou et Oumarou (2002 : 196) : « Dans certains cas, ce sont les agriculteurs qui provoquent en installant des champs “pièges” dans des couloirs de passage afin d’obtenir des amendes dont les montants élevés dépassent la valeur monétaire de la récolte de l’année » :« Vous voyez, tous ces villageois, comme ceux de Maigochi Jackou, de Roumbou II, ils ont leurs champs dans le lit de la Tarka. Or la Tarka est un couloir de passage pour nous les éleveurs. Si par hasard un enfant qui fait paître des animaux par inattention rentre dans leurs champs, ces sédentaires (Kado) vont aller se plaindre chez le chef pour nous amender [16]. »
- Collecte, stockage et vente du fourrage (ciyawa) à des prix élevés pour les éleveurs. Pour des besoins de commerce, ou bien « pour des besoins de l’élevage domestique et de l’embouche, ils (les agriculteurs) ramassent les fourrages de brousse et les résidus de récolte qu’ils stockent dans les concessions [17]. » Cette pratique existait déjà dans le Sud Maradi (Madarounfa) en période hors crise. Elle s’est imposée avec la « famine » (yunwa) de 2005 à Roumbou Sakabal.
- Vols d’animaux que les sédentaires reprochent aux éleveurs.
Les manifestations de la crise à Roumbou Sakabal
35La crise 2004-2005, au Nord de la vallée de la Tarka a, selon la majorité des interlocuteurs, touché tout le monde. Cependant, elle a plus durement frappé les éleveurs :
Pour S. T., agriculteur, intermédiaire de vente d’animaux sur les marchés locaux : « Les éleveurs ont plus souffert. Ils ont perdu beaucoup d’animaux. C’est surtout dû au manque de pâturage. Tu peux voir un éleveur, malgré les liens qui l’unissent à son troupeau, abandonner quelques têtes parce qu’elles sont terrassées par la faim. »
El Ousmane, un éleveur touareg du groupement Kel Tamerkest d’Efferet, même s’il déclare n’avoir rien perdu, reconnaît qu’en 2004-2005 les animaux ont trop souffert : « Nos gens qui sont restés au Nord dans la brousse ont beaucoup perdu, celui qui a cent têtes de bovins se retrouve avec deux, celui qui a cent têtes de camelins se retrouve avec huit ; celui qui avait deux cent têtes d’ovins ou caprins se retrouve avec six seulement. »
37Cet état de choses est reconnu par les différents acteurs, que ce soit les services de l’État, les ONG, la société civile ou le pouvoir traditionnel.
Selon le directeur départemental des ressources animales (DDRA) de Dakoro : « Déjà au mois de février, vous avez envie de mettre la main sur la tête et pleurer. Vous allez trouver les animaux sous les arbres, devant un espace dénudé et avec une chaleur ardente. »
Quant à l’administrateur d’Oxfam GB, il estime qu’« en 2005, la situation était mauvaise. Il y a eu des éleveurs qui ont perdu presque l’intégralité de leurs animaux. On a vu même des gens se jeter dans des puits puisqu’ils ont tout perdu. »
Pour le secrétaire permanant du Collectif des Associations et ONG pastorales (CAPONG) : « Même maintenant l’éleveur est en crise : il ne produit pas de mil, il lui faut vendre un mouton ou un bœuf pour acheter des céréales, et il n’en a plus. Ce qui fait qu’en termes de crise, si chez l’agriculteur, elle passe après une ou au pire deux années de bonnes récoltes, chez les éleveurs elle peut durer cinq à dix ans. La reconstitution du cheptel est très lente. »
Pour le chef de canton de Birni’n Lallé : « Le bétail a beaucoup souffert ici dans le canton, surtout dans la zone Nord. Agriculteurs comme éleveurs ont perdu leurs animaux, puisque les agriculteurs achètent les animaux et les donnent aux bergers peuls pour leur garder, les agriculteurs ont même vendu la paille de leurs vieux greniers vides de céréales aux éleveurs. C’est dire que la situation pastorale était catastrophique. »
Une crise fourragère sévère sur fond de crise alimentaire modérée
39En parlant de la crise alimentaire de 2004-2005 dans la région de Roumbou-Sakabal, femmes et hommes, agriculteurs et éleveurs, parlent du fourrage (ciyawa) avant de parler de la nourriture (cimaka). Du coup, cette crise a même été surnommée kowa ciyawa (« tout le monde à la recherche du fourrage ») :
« Pendant deux mois, nous allons en brousse à la recherche du fourrage (ciyawa) pour vendre aux Peuls. Par jour, il est possible de faire pour 1 000 FCFA, 1 500 FCFA et même 2 000 FCFA pour les plus débrouillards. C’est avec ça qu’on a tenu jusqu’à l’arrivée des différentes aides [18]. »
41En 2004-2005, à la différence des années normales, le fourrage n’était pas disponible aux alentours des villages. Les gens sont obligés de se réveiller à cinq heures du matin après la prière de l’aurore (sala’ subahin) pour aller à la recherche du fourrage. Il fallait parcourir 10 à 15 kilomètres pour le trouver :
« Quand tu quittes à 5 heures du matin, tu ne reviendras qu’à midi ou treize heures [19]. »
43Mais ce fourrage était rare et de très mauvaise qualité.
« Tu sais quand il n’a pas plu beaucoup, le fourrage (ciyawa) qui est produit est rare et de très mauvaise qualité. Il est léger, cassable et avec un coup de vent, une bonne partie est emportée et le reste enterré par le sable [20]. »
45Ainsi, la rareté du fourrage a créé la spéculation sur cet aliment pour le bétail.
« Dès le mois de novembre, le fagot de fourrage se vendait à 1 500 FCFA à Dakoro contre 150 FCFA dans les villages. Pendant la crise, il a été vendu jusqu’à 6 000 FCFA. Ce manque de fourrage a fait que, pendant la soudure, les tiges des enclos de maison, les vieux greniers, les toits de cases, en un mot tout ce qui est paille quelle que soit sa qualité, a été vendu aux éleveurs et consommé par les animaux [21]. »
« Les éleveurs achetaient les rumbu (greniers) pour les donner aux animaux. Un fagot de fourrage de 1 000 FCFA, quand on force quelqu’un, il peut le manger tellement que c’est devenu très cher. J’ai vu un fagot de 10 000 FCFA. Le spectacle n’était pas beau à voir. Comme disent les Hausa : Allah gar ya maida saw baya (« qu’Allah ne ramène pas les traces de pieds derrière ») [22]. Il y a eu beaucoup de pertes d’animaux, c’était catastrophique [23]. »
« Pendant cette famine, vous allez voir les femmes défaire leurs matelas pour vendre la paille. Cette paille, les femmes faisaient des tas qu’elles vendaient à 500-1 000 FCFA. Le matelas entier pouvait coûter 7 000 FCFA [24]. »
47Ainsi, une nouvelle activité est née : la vente et l’achat de fourrage, qui devient l’occupation principale de certains commerçants de la zone, allant l’acheter à Kornaka, Sabon Machi et même Maradi (soit respectivement 95, 120, 150 kilomètres de distance), pour venir le revendre à des prix défiant toute concurrence.
« Il y avait un Touareg qui a fait un stock de fourrage très important, dans ce CSI, il a vendu plus de 500 000 FCFA de paille, il y a un autre qui s’appelle El A. il a vendu pour plus de 1 000 000 FCFA de paille. Une fois devant moi, il a vendu pour 700 000 FCFA. […] Ici à Roumbou, il y a un jeune, avec le ramassage de la paille, il a acheté une charrette, un âne, et des vaches, il y a beaucoup de ces cas [25]. »
Une forte mortalité du bétail
49Pendant la crise, les pertes en bétail ont été très importantes dans la période juin et de juillet 2005 en raison du manque de pâturages, des pathologies, et de la forte décapitalisation nécessaire pour accéder aux céréales. Comme le souligne un rapport du ministère des Ressources animales de juillet 2005 : « La situation pastorale est très critique actuellement. La végétation est au stade de levée, à peine préhensible par les animaux, ce qui occasionne l’ingestion de grandes quantités de sable lors de la pâture. Ainsi d’énormes mortalités sont enregistrées. La vallée de la Tarka au Nord de Dakoro peut être qualifiée actuellement de charnier de bovins. »
50Les éleveurs et agro-pasteurs ont ainsi perdu leur capital bétail, certains en totalité :
« Il y en a qu’on a égorgés, d’autres sont morts tout simplement. Un jour de marché, depuis la gare jusqu’à l’abattoir (environ 500 mètres), ce sont des animaux égorgés, on avait même peur que certains ne pourrissent ; les voitures, les charrettes (amalanke) ramenaient à longueur de journée les animaux malnutris (guzame)… C’est la catastrophe. Personnellement, sur une soixantaine de têtes, il ne me reste plus que quatre [26]. »
52Selon la majorité de nos interlocuteurs, les pertes sont allées de 30 à 40 % par ménage selon les sites ; mais plus de 25 % des ménages pastoraux ont perdu la presque totalité de leur capital bétail.
53La spécificité de la mortalité du bétail dans la région de Roumbou Sakabal pendant cette crise, c’est la disparition de l’animal de trait qu’est l’âne [27]. Les asins ont connu une mortalité sans précédent. Chez les nomades, l’âne est un animal très prisé pour la facilité de son élevage et son endurance. C’est un moyen d’exhaure, de transport, de locomotion, services essentiels en milieu pastoral.
« L’âne est ancré dans les mœurs des populations nomades, si bien qu’une forte mortalité affectant cette espèce conduit à une perturbation du mode de vie [28]. »
Détérioration des termes de l’échange
55La détérioration des termes de l’échange bétail/céréales ou bétail/fourrage a constitué une des conséquences de la crise agropastorale. Sur tous les marchés de la région, Sakabal, Kombaki, Bermo, Oly, Dakoro, etc., les animaux se vendaient à vil prix :
Cette dépréciation du prix des animaux est liée à trois facteurs importants : un déficit très élevé en fourrage dans la zone (dont la conséquence est la hausse du prix de la botte de paille) ; la pénurie en céréales, faisant grimper le prix de la tiya de 350 FCFA en novembre à 1 000 FCFA en juillet-août ; et enfin le besoin des éleveurs de déstocker massivement afin de protéger le noyau reproducteur et de se ravitailler en céréales.« Les animaux ont maigri, il n’y a pas de pâturage, une vache qui devait coûter 100 000 FCFA est vendue à 3 000 FCFA. Pour acheter le mil, la mesure (tiya) qui était à 350 FCFA est vendue à 900 FCFA, tu vois donc l’argent de vente d’une vache ne peut rien résoudre [29]. »
La désorganisation sociale des pasteurs
56La crise agropastorale 2004-2005 a eu des conséquences très graves sur l’élevage. Plusieurs éleveurs dans la zone enquêtée ont perdu complètement leurs animaux. Les conséquences de ces pertes vont certainement affecter pendant de nombreuses années les populations les plus touchées. C’est ainsi que des éleveurs transhumants se sont sédentarisés dans la vallée, perdant ainsi leur mode de vie pastoral. Au niveau individuel les pertes ont été si sévèrement ressenties que cela s’est accompagné de perte de repères socio-psychologiques :
« Nous avons vu ceux qui ont essayé de se suicider, d’autres se poignarder. Il y a eu tous les cas de figures. Imaginez-vous quelqu’un qui avait une cinquantaine de têtes de bovins, qui se retrouve aujourd’hui sans aucune vache [30]. »
L’accentuation des conflits autour de la gestion des ressources naturelles
58L’arrêt précoce des pluies dans le Nord oblige généralement les pasteurs à déplacer leurs animaux le long des parcours de retour vers le Sud avant que les champs ne soient libérés. Ainsi, selon le directeur départemental des ressources animales, « cette année, nous avons observé un mouvement de migration vers le Sud très précoce. Cela est dû au manque d’eau dans les mares et de pâturage en zone pastorale, alors que les agriculteurs n’ont pas encore fini de récolter. »
59La rareté des ressources naturelles a rendu encore plus aigus les conflits latents relatifs à leur gestion. D’abord, les conflits autour des points d’eau : d’un côté entre éleveurs et éleveurs (qui va abreuver le premier ?) et de l’autre côté, entre éleveurs et villageois, par rapport à la redevance à payer pour abreuver le bétail, ou du fait des coupes d’arbres pour alimenter le bétail par manque d’herbe (« l’arbre se trouve dans le champ de mon Kado »). Ce dernier aspect, outre les conflits qu’il génère, a des répercussions néfastes sur les ressources ligneuses qui ont été surexploitées en 2004-2005.
60S’agissant de l’abreuvement des animaux, durant la période la plus cruciale (mai-juin), il est arrivé que les éleveurs payent jusqu’à 5 000 FCFA par tête de camelin ou de bovin. Il a fallu l’intervention des autorités pour que cela s’attenue.
Quelques relations entre éleveurs et agriculteurs : stratégies de survie à Roumbou-Sakabal
La transhumance
61La transhumance vers le Sud a ses conditionnalités, à savoir : l’entente avec les agriculteurs dans les champs desquels pâturent les troupeaux ; la circulation de l’information sur le calendrier de libération des champs ainsi que sur l’état des ressources fourragères et hydrauliques ; enfin la sécurité des hommes comme des animaux.
62Malheureusement, avec la crise alimentaire de 2004-2005, les conditions d’une bonne transhumance n’étaient pas réunies :
64Ceci aggravant cela, le département de Dakoro a été un pôle d’attraction des éleveurs des régions de Tahoua, d’Agades, et même de Zinder, à la recherche de pâturages.
« À Dakoro, il y a deux espaces protégés, le ranch de Fako et la réserve de Gadabédji. C’est dans ces endroits qu’il y a un reliquat de pâturage convoité par les éleveurs [33]. »
La décapitalisation
66En 2005, les différentes stratégies agropastorales ou extra-agropastorales n’ont pas évité aux populations d’éleveurs et d’agriculteurs de décapitaliser le cheptel. Toutes les couches sociales et tous les groupes d’activités ont vendu beaucoup d’animaux. Les éleveurs, surtout les transhumants, ont été les principales victimes. Les agriculteurs ont vendu principalement les petits ruminants, et les éleveurs le gros bétail. Cela fut l’objet d’une dépréciation sans précédent des prix des animaux :
Nous avons identifié deux types de décapitalisation du bétail : la vente d’animaux sur les marchés, et l’achat d’animaux sur les parcours d’éleveurs pour la pratique du boucanage « banda » [35].« Rien qu’au mois de décembre 2004, le bétail a perdu sa valeur de plus de 70 %. Un animal qui fait 150 000 FCFA est vendu à 1 500 FCFA […], on ne vendait plus, on n’achetait plus les animaux [34]. »
La vente d’animaux sur les marchés
67Au début de la crise, avant que les animaux ne commencent à mourir, il y a eu beaucoup de commerçants qui ont acheté le bétail sur pied pour l’exporter au Nigéria. Mais cette activité a été interrompue à cause de l’état de dénutrition sévère des animaux. Ceux qui ont bon gré, mal gré continué cette activité se sont vus obligés de « retaper » les animaux avant de les conduire au Nigeria.
La pratique de la viande boucanée « banda » en 2005 : la mutation d’une profession
68Le banda, ou boucanage de la viande, est pratiqué à Dakoro depuis la famine de 1974. Il a pris de l’ampleur au moment de la famine el Bohari (1984). Au départ, cette activité d’achat et d’abattage d’animaux dans un état de malnutrition sévère, appelés guzame, était dévolue exclusivement aux bouchers ma fawta [36], un groupe social bien défini. Au moment de la famine de 1984 (el Bohari), cette activité est devenue une activité lucrative. Elle a donc été vite pratiquée par de nombreux commerçants de Dakoro, ce qui a permis à plusieurs d’entre eux de s’enrichir.
« Au début de la crise, ce sont les commerçants, ce ne sont même pas les bouchers, qui pratiquaient le boucanage de la viande (banda). Ce sont ceux qui ont l’argent (les riches) qui pratiquent cette activité [37]. »
70La pratique du boucanage de la viande a mobilisé beaucoup plus de commerçants et de capitaux en 2004-2005. Dans la commune de Roumbou-Sakabal, les commerçants locaux se sont engouffrés dans cette activité fort rentable.
« Tout celui que tu vois qui est riche à Dakoro, c’est avec le boucanage de la viande (banda) qu’il l’est devenu. Cette année, même nos voisins de Maigochi Jackou l’ont pratiqué et ont fait fortune [38]. »
72Les bouchers de Roumbou-Sakabal ont été utilisés comme main-d’œuvre par les commerçants :
« Les bouchers (rumdji) sont utilisés par les commerçants pour acheter les animaux en brousse, les abattre, les dépecer, couper la viande en morceaux, la faire bouillir, sécher et emballer dans les sacs. Ils livrent enfin la viande aux commerçants à un prix négocié à l’avance [39]. »
74La vallée de la Tarka a été une hécatombe pour le bétail, pris au piège pendant les mois de juin-juillet, parce que les semis avaient déjà été faits au Sud, alors que le fourrage et les points d’eau manquaient au Nord. C’est pourquoi toute la zone agropastorale et pastorale, allant du bord méridional de la vallée de la Tarka jusqu’à Tchintaborak dans le département de Tchirozérine (région d’Agadès), était envahie par des bouchers et autres profiteurs :
« La vache est achetée de 2 000 à 3 000 FCFA et il fallait trois à quatre vaches pour remplir un sac, que les bouchers, revendaient aux commerçants à 40 000 FCFA. Quant à ces derniers, ils revendaient le même sac au Nigéria à 90 000 FCFA ; alors que pendant les récoltes “kaka”, lorsque les animaux ont arrêté de mourir, le prix allait jusqu’à 120 000 FCFA. Quant à la peau remise aux bouchers, elle valait entre 3 500 et 10 000 FCFA en fonction de sa taille et de sa qualité. »
« Un animal qui ne peut pas avancer, qui est comateux, dans tous les cas les Peuls ne pouvaient même pas égorger leurs animaux. Même s’ils ont égorgé, ils ne peuvent que les laisser sur place […]. Ils ne pouvaient pas les dépouiller, les bouchers qui étaient sur place les achetaient à crédit. Ils sont obligés de vendre une vache à 5 000 FCFA, car à cette époque le tas de paille était à 5 000 FCFA et ça ne peut même pas nourrir une vache, […] le sac de mil coûtant 25 000 FCFA [40]. »
Conclusion. Les interventions extérieures
76De nombreux acteurs « développeurs » ou « humanitaires » sont intervenus à Roumbou-Sakabal. Des ONG menaient déjà des activités sur le terrain avant la crise : c’est le cas de VSF-Belgique qui était venu pour un projet de mise en œuvre d’un réseau de santé animale et de conseils de proximité en élevage (PROXEL). D’autres sont venus en raison de la crise, en particulier les « humanitaires ». Parmi eux, Oxfam Grande-Bretagne, qui « est arrivé au Niger dans le département de Dakoro avec la crise et a décidé de s’installer pour une plus longue durée et de passer de l’urgence au développement » [41].
Encadré 1 – Les 9 types d’interventions ont été menés dans la région de Roumbou Sakabal
- Ventes à prix modéré (VPM) par la CCA/CS-PGCA, PROSECAL.
(VSF-Belgique, Karkara) et OXFAM-GB-AREN. - Déstockages d’animaux (OXFAM-GB, AREN).
- Food for work et cash for work (OXFAM-GB, AREN).
- Prise en charge ou récupération nutritionnelle pour les malnutris sévères.
(CRENI de Dakoro : MSF-France), ou modérés (CRENA de Roumbou Sakabal : ACF) - Distributions gratuites généralisées (DGG), par le PAM via World Vision.
- Aides « de consolation » [ 42].
- Aide arabo-islamique (Agence des musulmans d’Afrique).
- Crédit féminin (Programme spécial du Président de la République).
- Aide des ressortissants.
Dans le domaine des relations entre éleveurs et agriculteurs, la principale activité liée à la crise à été le fait d’Oxfam.
Afin de valoriser les animaux, qui autrement mouraient, Oxfam a racheté plus de 600 animaux au prix de vente d’une année normale, soit 30 000 FCFA par tête. Ces animaux ont été abattus, découpés, puis la viande a été transformée en viande séchée par les communautés elles-mêmes. La collecte, l’abattage, la découpe des animaux, l’enterrement des carcasses ainsi que la cuisson (incluant la mise à disposition du bois et d’eau) et le séchage de la viande a généré de nombreuses activités qui ont été rémunérées en bons.
« On a commencé par les activités de déstockage. Ca correspond à un prix juste des animaux en piteux état. Nous avons transformé la viande en la faisant boucaner et en la séchant de façon à ce qu’elle puisse être utilisée dans le cadre du food for work [43] »
78Chaque éleveur ne peut vendre qu’une seule tête de bovin.
« Mais il y a des personnes qui partent acheter chez les Peuls dans la brousse. Parce que ceux-ci ne peuvent pas quitter leurs troupeaux, pour venir revendre ici [44]. »
« J’avais neuf bœufs, j’ai récupéré difficilement un bœuf. Les deux premières vaches qui allaient mourir, j’ai appelé un boucher pour les lui vendre, Il les a achetées 3 000 FCFA chacune. Il a fait du banda avec la viande. Il y a un projet qui était venu ici pour aider les éleveurs, j’ai vendu les six autres à 30 000 FCFA l’unité. Les deux vaches que j’ai vendues au boucher pouvaient coûter normalement 200 000 FCFA chacune [45]. »
80Pendant la crise agropastorale, Oxfam et son partenaire AREN, ont abattu sur la zone 600 animaux, ce qui a permis de préparer plus de 4 tonnes de viande séchée. Cette viande, dont les qualités nutritionnelles ont été vérifiées par les services vétérinaires de PROXEL, a été distribuée à 2 000 bénéficiaires très vulnérables, à raison d’environ 2 kilogrammes chacun.
81À Roumbou-Sakabal, Oxfam GB est venu pour créer un site de déstockage :
« Ils ont acheté des animaux aux éleveurs à un prix un peu plus élevé que ce que les bouchers proposent. Les bouchers achètent à 5 000 FCFA, alors qu’Oxfam achète à 30 000 FCFA. Malheureusement Oxfam achète une tête par éleveur ; même quand un éleveur a 2 ou 3 vaches qui vont mourir, c’est une seule tête qu’ils achètent. Ils ont engagé des femmes qui font frire la viande, ils ont travaillé ici deux fois et ils sont partis dans d’autres villages en zone pastorale [46]. »
83Après la crise agropastorale, Oxfam et l’AREN ont distribué des animaux à travers un système de rotation aux éleveurs qui avaient perdu leurs troupeaux. Cette pratique se réfère à la pratique locale peule habbanaye qui consiste à prêter des femelles à des familles qui les rendent après la mise à bas, ou qui donnent les petits à d’autres bénéficiaires. Ce programme appelé restockage a pour but de nantir les foyers qui ont perdu la quasi-totalité de leur bétail en noyau reproducteur. Les bénéficiaires de ce programme sont choisis par les communautés elles-mêmes, parmi les personnes qu’elles considèrent comme très pauvres. Des bons, équivalents à l’argent, sont distribués aux bénéficiaires.
« Au début de cette année, nous avons organisé huit foires où les vendeurs se présentaient avec leurs animaux. Les animaux étaient auscultés à l’entrée par les services vétérinaires de PROXEL, pour qu’on puisse vérifier leur état de santé. Ils pouvaient être admis ou rejetés. Les acheteurs se présentaient à la foire avec leurs bons et négociaient les différents animaux présentés. À la fin de la foire, nous faisons la situation par vendeur, les bons étaient récupérés et un reçu remis au vendeur, et il venait se faire payer par chèque. Pour être sûr que les bénéficiaires ne vont pas déstocker très vite les animaux distribués, puisque l’objectif, est de reconstituer un capital collectif, on a distribué de l’argent en trois phases, 10 000 FCFA au moment de chaque foire, 10 000 FCFA un mois et demi à deux mois plus tard et en dernier 15 000 FCFA ; au total chaque bénéficiaire a reçu 35 000 FCFA [47]. »
85Toujours dans le cadre du restockage, Oxfam GB a mis en place, avec la collaboration de PROXEL, un suivi sanitaire et zootechnique sur les performances des animaux, et quatre cycles de formation destinés aux bénéficiaires ayant pour thèmes la complémentation, la gestion du troupeau et la santé animale :
L’objectif est « de faire passer les éleveurs d’une pratique d’élevage contemplatif à une pratique vraiment capitaliste qui soit productive, qui s’auto-entretienne, pour que chaque fois le produit en plus puisse produire de l’argent pour faire face aux besoins primordiaux sans toucher le capital de départ [48]. »
87Le déstockage et le restockage d’animaux ont été des activités appréciées mais relativement peu utilisées dans la commune de Roumbou Sakabal :
« Partout où il y a eu l’abattage (yanka), c’est là bas qu’ils ont organisé la distribution des animaux, au départ ils étaient dans notre village, ils ont fait l’abattage deux semaines et ils ont arrêté, nous ignorons la cause. Dans notre commune, c’est seulement à Farin Kala, un village hausa mélangé aux Peuls, qu’ils ont profité pour avoir quelques brebis [49]. »
89Les autres projets intervenant depuis longtemps dans la région en matière d’élevage (coopération suisse et Care) n’ont pas mené d’activité de crise particulière dans ce domaine.
90L’essentiel de la crise a donc été surmonté par le recours aux stratégies locales, et ce sont les éleveurs qui en ont supporté le poids principal.
Bibliographie
Bibliographie
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- Brachet (1946), Les tribus touaregs de la subdivision de Birni’n Lallé, Archives Nationales du Niger, document dactylographié.
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- Riou (1945), Monographie du cercle de Tanout, Archives Nationales du Niger, Document dactylographié.
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- Vilmin, M. (1955), Monographie humaine et économique de la subdivision de Dakoro, Archives Nationales du Niger, document dactylographié.
Notes
-
[1]
Médecin, assistant de recherche au LASDEL.
-
[2]
Les données ont été collectées par l’auteur assisté par Ibrahim Saadou. Tous deux connaissaient bien la région, où ils avaient effectué de nombreuses enquêtes.
-
[3]
Cf. Braillard, 1941.
-
[4]
Cf. Mohamadou et al., 2006, p. 8.
-
[5]
Cf. Mahamadou, 2004, p. 16.
-
[6]
Cf. Houssais, 1933.
-
[7]
Ce terme signifie littéralement « manger la saison sèche » et, de façon plus exacte, trouver de quoi manger pendant la saison sèche. Ceci s’applique aussi bien aux animaux qu’aux personnes qui les accompagnent. Pour ces derniers, cin rani implique la recherche d’un emploi rémunérateur, mais aussi la vente d’animaux ou produits d’élevage (lait, beurre, etc.), et le ravitaillement en céréales.
-
[8]
Cf. Houssais, 1933.
-
[9]
D’une part, les puits sont saturés du fait d’une forte population d’animaux de toutes espèces. D’autre part, les cordes servant à l’exhaure ramènent dans les puits des matières fécales d’animaux, d’où une recrudescence des maladies diarrhéiques pendant cette période.
-
[10]
Le korsali est une longue corde, implantée dans le sol aux deux extrémités et qui sert à attacher les animaux en série à des intervalles réguliers.
-
[11]
Le chef de village de la zone de Roumbou.
-
[12]
Le chef de village de la zone de Roumbou.
-
[13]
S.T.
-
[14]
Djigo Dangaladima.
-
[15]
Un éleveur de la zone d’Agadès.
-
[16]
Un éleveur.
-
[17]
Cf. Mahamadou et Oumarou, 2002.
-
[18]
A. D. cultivateur à Sakabal.
-
[19]
Une mère de Roumbou-Sakabal.
-
[20]
Le chef de village de Roumbou-Sakabal.
-
[21]
Le secrétaire permanant du CAPONG.
-
[22]
Cette expression signifie que Dieu fasse qu’on ne revive plus jamais une telle situation.
-
[23]
ST, un cultivateur, chef des intermédiaires de vente d’animaux.
-
[24]
Le directeur d’école de Roumbou.
-
[25]
Un chef de village.
-
[26]
Le chef de village de Maigochi Saboua.
-
[27]
La forte mortalité des asins est le symptôme de la sévérité de la crise pastorale. En effet, cet animal est sobre, et se contente de très peu d’aliments et souvent de basse qualité.
-
[28]
DDRA.
-
[29]
El Ousmane, éleveur Kel Tamerkest.
-
[30]
DDRA.
-
[31]
Le secrétaire permanant du CAPONG.
-
[32]
Le secrétaire permanant du CAPONG.
-
[33]
Le préfet.
-
[34]
Le secrétaire permanent du CAPONG.
-
[35]
La pratique du boucanage, est une technique de conservation, de la viande du gibier empruntée aux chasseurs. Elle fut pratiquée déjà lors des famines de 1974 et 1984.
-
[36]
« Ceux qui font la boucherie ».
-
[37]
Un chef de village de Sakabal.
-
[38]
Un chef de village de Sakabal.
-
[39]
Un chef de village de Sakabal.
-
[40]
DDRA.
-
[41]
Un administrateur d’Oxfam GB.
-
[42]
Il s’agit d’appuis alimentaires octroyés à des personnes dont la vulnérabilité n’avait pas été prise en compte par les différentes institutions d’aide.
-
[43]
Un administrateur d’Oxfam.
-
[44]
Un paysan de Roumbou.
-
[45]
Un chef de village.
-
[46]
Le maire de Roumbou.
-
[47]
Un administrateur d’Oxfam.
-
[48]
Un administrateur d’Oxfam.
-
[49]
Le chef de village de Maigochi Saboua.