Couverture de AFCO_225

Article de revue

La crise alimentaire de 2005 vue par les médias

Pages 39 à 74

Notes

  • [1]
    Chercheur au LASDEL, enseignant chercheur à l’Université Abdou Moumouni, Niamey.
  • [2]
    Octobre 2004 : 1 ; février 2005 : 6 ; mars 2005 : 6 ; avril 2005 : 12 ; mai 2005 : 34 ; juin 2005 : 96 : juillet 2005 : 88 ; août 2005 : 179 ; septembre 2005 : 61 ; Octobre 2005 : 34 ; novembre 2005 : 17.
  • [3]
    Il aurait été intéressant de savoir comment la presse de la sous-région a traité de la crise alimentaire au Niger, notamment au Burkina Faso, au Mali ou au Nigeria.
  • [4]
    Les organes que nous avons consultés sont : AFP, Africom, Afrique verte, Air info, Alternative, Associative Press, BBC News, Courrier internationial, Daily Telegraph, Éclairage, Fews.net, France Soir, El Watan, Info Sud, Médecins Sans Frontières (MSF), Integrated Regional, information Network (IRIN), Jeune Afrique, La Croix, La Différence, La Griffe, La Hache, La Voix du Peuple, L’Action, L’autre Observateur, Le Canard Déchaîné, Le Constat, Le Démocrate, Le Figaro, Le Monde, Le Nouvel Observateur, Le Potentiel, Le Républicain, Le Sahel, Le Soleil, Le Témoin, Le Temps, Le Visionnaire, L’Écho des Continents, l’Enquêteur, L’Événement, L’Express, L’Expansion, L’Humanité, Libération, L’Opinion, Newsweek, Notre Cause, Papier d’angle, Paris Match, Radio Suisse Romande, Reportage, Reuters, RFI, Roue de l’Histoire, RTF, Sahel Dimanche, Sahel Horizon, Swiss Info, Syfia Niger, The Guardian, The Times, Tribune de Genève, Washington Post.
  • [5]
    « Le processus de sélection de l’information, de “gatekeeper”, traditionnellement assumé par les journalistes, est troublé par la prolifération de nouveaux médias – site Web, blog, ONG – qui sont capables non seulement de révéler les choix et donc les oublis des médias mais aussi de les contourner et de créer une médiasphère alternative » (Marthoz, 2005, La famine et le poisson rouge. communication présentée au colloque organisé par l’IUED de Genève, le 26 octobre 2005 sur : Niger 2005 : quelles leçons pour le Sahel ?).
  • [6]
    Il s’agit d’un problème récurrent qu’avait soulevé déjà le rapport Mac Bride dans le cadre du débat sur le Nouvel Ordre Mondial de l’Information et de la Communication (NOMIC) à l’UNESCO au début des années 1980.
  • [7]
    Cf. Egg. J. et al., 2006.
  • [8]
    Cf. Olivier de Sardan dans ce numéro.
  • [9]
    Depuis 2005, de nouvelles télévisions privées émettent à Niamey : Dounia TV, Canal 3, Bonferey.
  • [10]
    Le nombre de radios privées va croissant sur la bande FM.
  • [11]
    Il existe des dizaines de journaux privés. Certains paraissent à un rythme régulier depuis la création ; d’autres paraissent au rythme des opportunités offertes en termes de sponsoring. Cf. Boluvi, 2001.
  • [12]
    Integrated Regional Information Network.
  • [13]
    Cf. Crombé, 2008, p. 105-111.
  • [14]
    Il s’est engagé, notamment dans les médias français, un vrai débat sur la situation alimentaire au Niger, où intellectuels et journalistes s’interrogent sur les raisons de la crise et les moyens d’en sortir de manière durable. Cf. P. Bernard, « Niger : les leçons d’une “famine” annoncée », Le Monde, 5 août 2005 ; N. Funès, « Niger : les raisons d’un désastre », Le Nouvel Observateur, 11 août 2005 ; F. Koller, « Niger, les origines d’un désastre annoncé », Libération, 12 août 2005 ; J.-H. Jézéquel, « Niger : cruel développement », Libération, 16 août 2005 ; J.-P. Guengant, « Niger : Combien de famines encore ? », Le Monde, 18 août 2005 ; K. Annan, « La famine au Niger : nous sommes tous responsables », Le Monde, 23 août 2005 ; J. Morris, « Le Niger se meurt et le monde est sourd », Tribune de Genève, 10 août 2005.
  • [15]
    On sait aussi le Premier ministre a écrit aux chancelleries et représentations diplomatiques pour leur faire part de ses inquiétudes sur les risques de famine. Cf. La Roue de l’Histoire, 29 mai 2005, p. 5.
  • [16]
    Il s’agit d’un regroupement de diverses associations pour lutter contre les hausses de prix décidées par le gouvernement.
  • [17]
    Tidjani Alou, 2006.
  • [18]
    Cellule de Coordination du Système d’Alerte Précoce.
  • [19]
    Cf. l’analyse que fait Mamoudou Gazibo (2007) de la signification politique de cette controverse.
  • [20]
    Article publié sur le site du journal Le Monde le 1er août et mis à jour le 2 août.
  • [21]
    Crainte d’un coup d’État militaire rappelant le contexte de la prise du pouvoir par les militaires en 1974.
  • [22]
    Cf. infra, l’article mis en ligne par Libération le 12 septembre 2005.
  • [23]
    Action Contre la Faim.
  • [24]
    Cf. Delesalle, N., « La famine n’intéressait pas le JT », Télérama, n° 2907, 28 septembre 2005.

1En 2005, la crise alimentaire grave qui a frappé le Niger a eu pour conséquence de mettre ce pays au centre de l’actualité internationale. En effet, les médias ont très abondamment traité du Niger au cours de cette crise, et les formules ne manquent pas pour qualifier cet intérêt subit : « rush médiatique », « emballement médiatique », « débordement médiatique ». C’est à ce pays dont on parle peu, qu’on confond facilement avec le Nigéria voisin, ou dont l’image stigmatisante la plus répandue est d’être le « pays le plus pauvre du monde », auquel les médias les plus prestigieux se sont subitement intéressés, fournissant images et papiers alarmants, et cherchant à provoquer indignation et émotion. La presse nationale et africaine n’est pas restée indifférente face à cet activisme qu’elle a également alimenté de manière abondante...

2Ce texte cherche à décrire la dynamique de cet engouement médiatique, ainsi que son ampleur. Quels médias se sont intéressés à la crise alimentaire et à partir de quel moment ? Par quels canaux sont-ils intervenus et quels effets ont-ils provoqués ? Les réponses à ces questions vont s’appuyer essentiellement sur le contenu de la presse écrite, principalement nigérienne et française, sur une douzaine de mois environ à partir d’octobre 2004. Par ailleurs, les publications en ligne ont été abondamment mises à profit quand elles étaient disponibles. Il n’a pas été possible de travailler de façon systématique sur les médias audio-visuels en raison des difficultés liées à leur collecte depuis le Niger. Un tel travail serait d’un grand intérêt, quand on sait le rôle joué par la radio et la télévision, surtout hors du Niger, dans le traitement de la crise.

3La production de la presse écrite, notre principale source de données, frappe d’abord par sa quantité. Nous avons examiné plus de 600 articles de factures différentes [2]. Et nous sommes loin d’avoir pu les identifier dans leur intégralité [3]. Cette production médiatique frappe aussi par la diversité et le nombre des supports de publication [4]. Par ailleurs, les auteurs qui sont intervenus constituent une autre dimension de cette production médiatique. Au Niger, ce sont surtout les journalistes qui ont lancé les débats. Mais les syndicalistes, les hommes politiques et les leaders associatifs s’y sont aussi impliqués par la suite, à travers leurs communiqués que la presse publiait régulièrement. On repère également plusieurs conférences organisées sur le sujet par des associations ou par des syndicats. À l’échelle internationale, les débats dans la presse écrite ont été menés par des journalistes de renom, mais aussi par des intellectuels et des hommes politiques. Cependant, force est de reconnaître que les prises de position dans la presse écrite, les appels et autres encarts publiés, quels qu’auraient pu être leurs intérêts et leur pertinence, ne sont pas comparables, du point de vue de leurs effets, avec les images d’enfants malnutris et décharnés que les télévisions ont largement diffusées. Il convient aussi de relever l’importance qu’a prise la presse numérique [5]. Beaucoup d’articles publiés sont accessibles sur Internet, nouveau support incontournable. Certains, à son propos, n’hésitent pas à parler de médiasphère alternative. Tous les grands organes de presse, écrite ou audio-visuelle, y compris en Afrique, possèdent leurs sites qui sont régulièrement tenus à jour. Ils y publient de l’information en continu sans attendre la parution des supports papier. Il en est de même pour les grandes organisations non gouvernementales comme MSF, qui produisent elles-mêmes leurs informations, sans passer nécessairement par les grands médias, pour qui ces sites constituent des sources de première main. L’AFP et les autres grandes agences de presse à vocation internationale ont également été de grands producteurs d’information sur la crise alimentaire au Niger. Beaucoup d’organes de presse se contentent de relayer les communiqués publiés régulièrement par les correspondants ou les envoyés spéciaux de ces agences, favorisant ainsi la faible diversité des sources de l’information et le caractère répétitif de l’information qui circule [6].

4Loin d’être des sphères séparées, presse écrite nationale et presse écrite étrangère interfèrent, s’influencent, traitent simultanément ou en différé de sujets identiques, souvent à partir de mêmes données et de mêmes sources. Certains débats se déroulent dans la presse nigérienne, mais ils sont alimentés par des informations diffusées par les médias étrangers. On peut donner en exemple le tollé provoqué, tant à l’étranger qu’au Niger, par l’intervention du Président Tandja à la BBC le 9 août 2005. La mise en scène publique de la crise alimentaire au Niger découle de l’activisme des médias étrangers qui ont joué un rôle important, obligeant les pouvoirs publics et les médias nigériens à s’impliquer dans les débats enclenchés depuis l’extérieur.

5Collectée et analysée sur une année, cette masse d’informations publiées par la presse écrite porte les marques de ses contextes mouvants de production. Il est aujourd’hui largement admis que les médias ont joué un rôle important dans la mobilisation de l’aide au cours de la crise. Comme l’observent Egg et al., « la forte médiatisation renforce l’efficacité de l’appel à l’aide, mais, simultanément, elle présente l’inconvénient de donner la prééminence au plaidoyer, au détriment d’une information et d’une analyse les plus objectives possibles » [7]. Les documents que nous avons analysés ne donnent pas nécessairement une idée précise de ce qui s’est passé au Niger au cours de cette crise. Beaucoup de sujets ressortis de nos enquêtes de terrain sur la crise alimentaire [8] ne se retrouvent pas dans les journaux. Certes, la presse donne un certain reflet de la réalité, mais elle montre surtout les stratégies déployées par les principaux acteurs impliqués, les plus visibles.

6Les médias publics nigériens sont le quotidien Le Sahel et l’hebdomadaire Sahel Dimanche, la télévision nationale, Télé Sahel, et la radio publique, La Voix du Sahel. Une deuxième chaîne, Tal TV, complète le dispositif public. Ces médias diffusent des informations liées à l’activité gouvernementale. Tout au long de la crise alimentaire, ils ont surtout relayé des informations émises par les acteurs publics : audiences des hautes autorités, signatures de conventions, distributions de vivres, ventes de céréales à prix modéré, accueil et visite au Niger de personnalités étrangères. Ces médias participent de la politique gouvernementale. Une journaliste de Sahel Dimanche a été suspendue pour avoir commis un reportage sur la situation alimentaire à Tanout, région emblématique au Niger. Les opinions dissidentes n’ont pas de place. Cette information ignore aussi le plus souvent les réactions des populations face à la crise dans leur vécu quotidien. Quant aux médias privés nigériens, ils comprenaient, en 2005, une télévision privée Radio Télévision Ténéré (RTT) [9], des radios privées [10] et de nombreux journaux [11]. Ces organes sont de factures différentes et n’apparaissent pas avec la même régularité. Ils n’ont pas non plus le même poids financier. La presse écrite privée a diffusé beaucoup d’articles au cours de la crise alimentaire. Le volume des articles varie d’un organe à l’autre. Il est difficile de catégoriser leur production. Certains organes ont fait l’effort de produire des informations autonomes, en collectant des données sur le terrain, en publiant des reportages inédits sur la situation alimentaire. D’autres se sont contentés de répercuter des informations déjà publiées par des agences de presse étrangères ou par certaines ONG, comme MSF ou IRIN [12]. Pour les journaux de l’opposition, la crise est aussi une opportunité pour critiquer la politique gouvernementale et pour montrer et dénoncer l’incapacité des dirigeants en place à gérer le pays. Dans ce sens, la crise alimentaire offre des ressources pour la lutte politique dans le cadre des compétitions pour la conquête du pouvoir. Pour les autres organes de la presse privée qui accompagnent la politique gouvernementale, les informations se limitent à des interviews diverses d’hommes politiques, ou encore à des comptes rendus des activités du gouvernement et des bailleurs de fonds de la place déjà rapportées par les agences de presse internationales ou par la presse gouvernementale. On relève la publication de nombreux publi-reportages commandés par des sponsors.

7Les médias étrangers pour leur part sont multiformes. Bien qu’étant intervenue tardivement dans la médiatisation de la crise alimentaire au Niger, la télévision a joué un rôle déterminant dans cette mobilisation [13]. Les organes de la presse écrite, pour leur part, ont permis d’engager un véritable plaidoyer, d’abord en faveur d’une aide massive au Niger, puis pour une meilleure allocation de l’aide mobilisée, en rendant compte des débats occasionnés par les stratégies de distribution adoptées par le gouvernement nigérien. Il est intéressant de relever que cette presse a engagé de vrais débats sur la situation nigérienne, débats qui, à bien des égards, ont été relayés par la presse nigérienne et ont influencé largement l’action du gouvernement nigérien dans les stratégies qu’il a déployées face à la crise alimentaire. Ces débats donnent à voir des champs sociopolitiques imbriqués, s’influençant réciproquement. Ils permettent aussi de mesurer le poids des médias dans le processus décisionnel des États et des organisations internationales. Enfin, ils constituent un terrain propice pour comprendre les stratégies déployées par les acteurs impliqués en vue de la diffusion de leurs vues. L’action médiatique de MSF est à cet égard très significative.

8Le récit commenté qui va suivre, loin d’être exhaustif, essaie de suivre le cheminement de la crise alimentaire dans les médias en pointant les grandes thématiques qui ont progressivement émergé. Au fil des mois, on passe de l’indifférence à la mobilisation générale des médias en faveur de l’aide au Niger, et on observe les réactions extraordinaires provoquées par cette mobilisation au niveau des États, des organisations internationales, des ONG et de personnalités de renom à l’échelle internationale [14].

9Ce récit s’articule autour de quatre axes : l’émergence progressive de la crise alimentaire dans les médias ; le plaidoyer des médias pour une aide alimentaire massive ; la gestion de l’aide dans les médias et enfin le bilan dans les médias.

L’émergence progressive de la crise alimentaire dans les médias

10La fin de l’année 2004 a été marquée par les élections législatives et présidentielles. Ce contexte a largement influencé la mise en scène publique de la crise alimentaire. On repère très tôt des articles de presse lançant des cris d’alarme à propos de la mauvaise campagne agricole et de l’invasion acridienne. Est également mis en cause le laxisme du gouvernement. Des appels à l’aide sont lancés dans la perspective très probable d’une crise alimentaire. En fait, les appels à l’aide sont des pratiques coutumières du gouvernement nigérien en cette période de l’année, au cours de laquelle s’effectue l’évaluation de la campagne agricole. Cependant, les campagnes électorales en cours ont plus attiré l’attention des journalistes que les balbutiements d’une crise alimentaire à venir. Même si on repère un communiqué de l’AFP dès le 4 octobre 2004, faisant état de la situation de la campagne agricole, on peut remarquer qu’il s’agit d’une agence de presse étrangère, travaillant dans le cadre d’une actualité ordinaire [15]. De même, la presse nationale traite cette actualité avec la plus grande banalité, rivée qu’elle est sur les événements liés à la campagne électorale en vue des élections législatives et présidentielles.

11En fait, jusqu’au mois de mai 2005, la presse n’est guère prolixe sur le sujet. Après le processus électoral de la fin de l’année 2004, les informations sur la mise en place du nouveau gouvernement intéressent davantage la presse écrite nationale. Par la suite, l’éclosion puis le développement du mouvement social porté par la coalition « Qualité-équité contre la vie chère » [16] vont largement occuper l’attention des médias qui lui consacrent alors une grande part de leur attention [17]. On peut dès lors comprendre le faible intérêt accordé à la situation alimentaire. En janvier 2005, la presse ne fait état d’aucune information sérieuse sur la situation alimentaire du pays. Le même silence persiste de manière générale tout au long du mois de février, à l’exception notable de quelques rares articles consacrés à la région Nord de Tahoua et au Damergou.

12C’est progressivement que les médias prennent en charge la crise alimentaire, au fil des informations qu’ils collectent et diffusent.

Traitement timide d’un problème pourtant réel

13Ainsi, Le Républicain, dans sa livraison du 3 février, publie deux articles. Le premier est consacré à l’insécurité alimentaire dans le Nord Tahoua et le second est un reportage au titre évocateur : « Voyage au cœur de la famine : hommes et animaux meurent dans l’indifférence ». Le 14 février, Le Sahel publie un article sur la vente à prix modéré, thème que reprend le journal Libération dans sa livraison du 23 février. Dans ces deux articles, il est question de la mise à disposition par l’État de vivres à prix modérés aux ménages. Le plus souvent, ce type d’articles s’apparente d’ailleurs à des publi-reportages commandés par les services étatiques.

14En mars, la tendance observée en février se maintient, mais les sujets traités par la presse abordent plus explicitement la question de la crise alimentaire. Un article dans Le Sahel du 1er mars rapporte la cérémonie de signature par le Premier ministre d’une convention entre le Niger et ses partenaires sur la gestion de la crise alimentaire. Toujours en date du 1er mars, L’Événement rapporte que « La famine menace le Niger : “l’invasion acridienne risque de provoquer de graves problèmes alimentaires au Niger” ». Dans la même foulée, Le Canard déchaîné, dans la livraison du 2 mars, revient à travers deux articles sur, d’une part, la prévention et la gestion des crises alimentaires, et, d’autre part, l’accord-cadre que le Niger et ses partenaires viennent de signer relativement au renforcement du dispositif de sécurité alimentaire. Le Républicain, pour sa part, revient à la charge dès le 3 mars, dans un papier dont le titre entre de plain-pied dans la thématique de la crise alimentaire : « La famine, encore et toujours ». Pour l’auteur de l’article, « la famine gagne du terrain ». Il appelle le gouvernement à redoubler de vigilance dans la gestion de l’insécurité alimentaire. Il faut attendre la fin du mois de mars, pour que la presse revienne sur le sujet. Rappelons que le mois de mars 2005 a été marqué par les nombreuses manifestations urbaines organisées par la coalition « Qualité-équité contre la vie chère ». La Roue de l’Histoire, dans sa livraison du 30 mars, parle de la vente à prix modéré. L’auteur de l’article fustige le gouvernement : « Les autorités acheminent les vivres en fonction de la coloration politique des zones et non en fonction des besoins de la population ».

15Les médias traitent de plus en plus de la crise alimentaire, mais les registres d’attaque ne sont pas les mêmes. En avril, le tempo est donné en France par Médecins Sans Frontières (MSF), à travers le problème de la malnutrition. Le ton est donné dans un communiqué publié sur Internet. L’organisation s’alarme sur l’importance prise par la malnutrition infantile. Il est rapporté que MSF est débordé dans son travail de prise en charge de la malnutrition qui ne fait que s’accroître dans le pays.

16Mais en ce mois d’avril 2005, la presse publique (Le Sahel, 7 avril 2005) rapporte aussi le contenu d’une déclaration de l’Assemblée nationale sur la crise alimentaire. Après une analyse de la situation alimentaire, celle-ci appelle les pays donateurs à soutenir le Niger. Cet engagement de l’Assemblée nationale marque une étape vers la reconnaissance de la gravité de cette crise.

17Le Démocrate, pour sa part, rapporte des témoignages de populations concernant les affres de la famine. Ces témoignages rendent compte de toute la gravité de la crise alimentaire (18 avril 2005). Le Sahel, dans sa livraison du 20 avril, relate les activités du Comité consultatif de gestion des aides dans le cadre de la distribution du riz japonais.

18À partir du 26 avril, MSF revient à la charge dans un communiqué Internet. La crise nutritionnelle est considérée comme une situation d’urgence et justifie par conséquent que l’organisation se mobilise dans ses différents centres. Les communiqués fournissent de nombreuses données quantitatives qui attirent l’attention sur la gravité de la situation. Dans un autre communiqué publié le même jour, MSF appelle les agences humanitaires à se mobiliser davantage pour lutter contre la malnutrition infantile. Pour elle, le Niger fait face à une urgence nutritionnelle. Le mot est lancé. Parallèlement, Le Monde publie également un article sur cette situation : « Au Niger, chronique d’une crise alimentaire annoncée ». L’auteur de l’article pointe lui aussi le regard vers les enfants : « Au Niger, les enfants sont victimes de l’indifférence des pays riches qui pouvaient pourtant prévenir la crise ».

19Au Niger, Sahel Dimanche, l’hebdomadaire gouvernemental, entre en jeu sur un autre front en publiant à sa une un dossier sur la situation alimentaire au Damergou, région fort symbolique de la famine de 1985 : « Crise alimentaire aiguë à Tanout. Le Damergou à la diète ». Dans les pages intérieures du journal, on trouve, en encadré, une interview du préfet dudit département. Celui-ci fait le point sur la situation alimentaire dans sa localité. Il évoque le départ de familles entières de certains villages, mais il observe que, jusque-là, il n’y a pas de villages entièrement désertés. Dans un autre encadré, le chef de canton de Tanout s’alarme : « Si rien n’est fait, le Damergou va disparaître ». Par ailleurs, dans la même livraison, un reportage pathétique rend compte des stratégies de survie des populations de cette région affectée par la crise alimentaire. On peut lire ainsi, images à l’appui, que, « dans le Damergou, les populations sont sérieusement menacées par la famine et font recours à des herbes sauvages pour survivre ». Là encore, les titres sont évocateurs : « Famine au Damergou » ; « “Anza” et “jiga”, le recours » ; « Des feuilles et des fruits comme nourriture ».

Un problème préoccupant pour les médias

20Au cours du mois de mai, la famine, son ampleur et les thérapies préconisées constituent les sujets de prédilection traités par la presse écrite. Dès la première semaine du mois (du 2 au 8 mai), plusieurs organes de presse abordent le sujet.

21L’Événement continue de rapporter des informations sur la crise alimentaire (3 mai). À sa une, un titre dramatique : « Les populations font recours aux feuilles et fruits sauvages » et la photo d’une vieille femme décharnée devant une aire d’églumage. Dans son contenu, l’article évoque « le déficit céréalier et de fourrages enregistré pendant la campagne agricole 2004-2005 à cause de la mauvaise pluviométrie et de l’invasion acridienne ». Tout en déplorant l’ampleur de la crise, il considère que la stratégie gouvernementale de ventes de céréales à prix modéré est insuffisante. L’article décrit les stratégies utilisées par les populations les plus pauvres face à la crise. Il appelle le gouvernement à changer de politique et la communauté internationale à faire montre de solidarité envers les populations sahéliennes, comme cela a été le cas à la suite du tsunami en Asie du Sud-Est.

22Alternative, pour sa part, aborde le sujet de la crise alimentaire à travers sa dimension juridique (6 mai). En première page, une photo où des sacs de céréales sont entreposés avec un titre fortement dénonciateur : « Le droit à la nourriture bafoué ». En outre, un éditorial à l’accent très militant appelle à une action rapide face à la crise. En pages intérieures, un dossier est consacré « à l’insécurité alimentaire sous l’angle du droit à l’alimentation ». La fin de l’éditorial situe bien le sujet : « Nous croyons fermement que cette famine qui contraint des familles entières à l’exode est une violation du droit à la nourriture qui ne doit pas rester impunie ».

23Le Démocrate du 5 mai 2005 reprend localement la thématique de MSF au sujet de la malnutrition : « L’enfance en péril au Niger ». En fait, il s’agit de la présentation d’une étude commandée par le PAM avec la collaboration d’Helen Keller International (HKI) sur la malnutrition au Niger. « Selon les résultats de l’étude, environ 350000 enfants de moins de cinq ans souffrent de la malnutrition, dont 63 400 sous la forme la plus sévère. La malnutrition est devenue au Niger un phénomène endémique en raison de la précarité économique et sociale et des caprices pluviométriques ».

24Le quotidien public Le Sahel, s’attache, lui, à rendre compte des activités des pouvoirs publics face à la situation (3 et 5 mai 2005). Il rapporte que le ministre du Commerce fait le point de l’opération de ventes de céréales à prix modéré. L’article est détaillé et fournit deux tableaux sur la répartition des ventes selon les départements du pays. Par ailleurs, le journal fait état de la signature d’un accord entre le Programme Alimentaire Mondiale (PAM) et le Programme Cadre de Lutte contre la Pauvreté, Projet d’Appui au Développement Local (PCLCP/PADL). Il s’agit d’un accord portant sur la fourniture de 7845 tonnes de vivres destinées aux populations nigériennes.

25Au cours de la semaine suivante (9-15 mai 2005), la vente de céréales à prix modéré continue de préoccuper la presse écrite. Sur ce thème, Le Sahel publie cette fois, comme pour prendre le contrepied de la livraison du Sahel Dimanche de la dernière semaine d’avril mentionné précédemment, une interview du maire de Tanout (Damergou). Pour lui, « les marchés sont normalement approvisionnés et les moyens de communication permettent de les ravitailler en vivres ». Mais ces propos ne semblent pas convaincre puisque des cris fusent des organes de la presse privée. Le bilan présenté par le ministre du Commerce la semaine précédente est diversement mis en cause. « Les chiffres du ministre Habi ne résolvent pas le problème de la famine » (L’Événement, 10 mai) ; « Le Damergou en difficulté » (La Griffe, 9 mai) ; « La famine frappe dans le pays : les dirigeants vaquent indifféremment à leurs affaires » (La Roue de l’Histoire, 11 mai).

26Le Démocrate, pour sa part, revient à nouveau sur le sujet de la malnutrition. À la une, en gros titre : « Plus de 60 000 enfants en danger », avec la photo d’un enfant malnutri (grosse tête, corps malingre). En page intérieure, l’article revient sur l’étude du PAM et de HKI. Pour le journal, « la sonnette d’alarme est tirée. Il faut sauver les enfants ».

27Dans la foulée de cette poussée médiatique locale tendant à montrer l’ampleur de la crise, Le Républicain, dans sa livraison du 12 mai, publie un dossier sur la crise alimentaire où il n’hésite pas à parler de famine : « Voyage au cœur de la famine : hommes et animaux meurent dans l’indifférence », tel est son titre. Une photo illustre l’article publié à la une du journal. Il s’agit d’une femme déterrant des racines dans la région de Madaoua. Une photo plus petite montre une femme assise, souriante, nourrissant un enfant chétif. L’article rapporte la situation de la crise alimentaire, en orientant l’attention sur les départements de Tillabéry, Dakoro, Mayahi, Tessaoua et Tanout. Par ailleurs, le journal publie l’interview d’un agriculteur, chef de village de Tacha (Tanout). Celui-ci dépeint une situation catastrophique : « La situation est plus grave que vous ne pouvez l’imaginer. Ici, il n’y a plus rien à manger. Il n’y a pas d’eau. C’est fréquent de passer toute une journée sans boire de l’eau. Pour trouver un seau d’eau, il faut aller jusqu’à Tanout et attendre deux jours, voire plus ». Mettant en cause l’efficacité de l’action gouvernementale de vente de céréales à prix modéré, Le Républicain interroge le chef de village :

28

« Est-ce que les autorités sont au courant de cette situation ? »
« Les autorités sont bel et bien au courant. Seulement, elles préfèrent fermer les yeux là-dessus… »
« Il y a pourtant des opérations de vente de céréales à prix modéré ? »
« Nous en avons entendu parler à la radio. Selon les informations qui nous sont parvenues, l’opération s’est déroulée une seule fois à Tanout. Mais les populations des villages environnants n’ont jamais vu la couleur de ces céréales. Celles de notre village qui se sont rendues à Tanout pour se procurer lesdites céréales sont revenues plus frustrées que jamais. Le sac de mil se vendait à 10 000 FCFA. Vous pouvez mettre ce village sens dessus dessous, il sera impossible de réunir la somme de 500 FCFA. La vérité, c’est qu’ils savent à qui sont destinés ces sacs. Car les pauvres se sont vus dans l’obligation de faire la queue une journée pour 3 tia (3 mesures), pas plus. Et on les vendait uniquement aux chefs de famille, peu importe le nombre de femmes et d’enfants que vous avez. Nous gardons un très mauvais souvenir de cette opération qui n’a fait qu’accentuer notre frustration. C’est pourquoi nous sommes revenus aux aliments de pénurie qui nous ont permis de rester en vie jusqu’ici. »

29Enfin, dans le même dossier, une page entière est consacrée à un reportage photo : « La famine en image », qui met en évidence une situation plus qu’alarmante. Enfin, l’action de MSF est relatée dans un encadré titré : « MSF prend le taureau par les cornes », en écho à l’article mis en ligne par MSF le 11 mai 2005.

30Au cours de la semaine suivante, Le Républicain revient à la charge en consacrant une page entière au sujet, avec le compte rendu d’un bulletin « flash » du CCSAP [18] sur le suivi des zones vulnérables, où l’auteur constate que la situation alimentaire est de plus en plus tendue, et des textes sur la situation du bétail. L’interview d’un éleveur est publié : « Nous avons abandonné notre village parce que les animaux mouraient. Il n’y a pas de pâturage. Il n’y a pas d’eau. La seule solution était de partir au plus vite pour sauver ce qui pouvait l’être ».

31L’Événement (17 mai 2005) rapporte l’appel lancé par la FAO sur la nécessité de mobiliser « 11,4 millions de dollars pour limiter la catastrophe ». L’Action, pour sa part, rapporte qu’à Gouré, « le mil vendu à prix modéré ne profite qu’aux privilégiés ».

32Il est intéressant de relever qu’il n’est fait aucun écho dans la presse nigérienne, de l’appel lancé par l’ONU à Genève pour « une demande d’urgence de 16 millions de dollars pour l’aide alimentaire en faveur du Niger, frappé par une crise alimentaire due aux invasions de criquets pèlerins et à la sécheresse » (communiqué du 19 mai 2005).

Les réponses des pouvoirs publics en question dans les médias

33La dernière semaine de mai, les activités du tout nouveau Comité de Coordination et de Supervision de l’opération de vente de céréales à prix modéré sont diversement rapportées par la presse. La Griffe du 23 mai 2005 publie une interview du ministre du Commerce, président dudit comité, qui insiste sur le succès de l’opération et défend le principe de la vente à prix modéré : « Si on distribuait gratuitement ces vivres, peut-être les personnes qui ont plus de force vont venir les récupérer et les vendre à un prix cher sur les marchés. Mais aujourd’hui, avec l’installation des comités dans les régions, les départements et les communes, tout se passe normalement ; les céréales sont vendues aux plus démunies… ». Il termine son interview en annonçant que « le gouvernement entend mettre à la disposition des populations au moins 67 000 tonnes de vivres ».

34Le Sahel, pour sa part, rapporte, dans sa livraison du 25 mai 2005, le compte rendu d’une réunion du comité de coordination et de supervision de l’opération vente de céréales à prix modéré, qui appelle au « renforcement des conditions d’efficacité de l’opération ». La Roue de l’Histoire, dans sa parution du même jour, évoque la mise en place du comité, qui répond à la méfiance suscitée par la vente de céréales à prix modéré.

35Dans une déclaration en date du 25 mai, le Parti Nigérien pour la Démocratie et le Socialisme (PNDS) se prononce sur la crise. Plusieurs journaux publient la totalité de la déclaration du président du parti : Le Républicain, le 26 mai, Alternative le 27 mai, et Le Démocrate le 30 mai. Selon le PNDS, rapporte Alternative, « les mesures d’urgence préconisées par le gouvernement sont inefficaces, sa politique d’approvisionnement est un échec… La situation de famine dont le gouvernement s’évertue à nier l’existence est une réalité véritable dans plusieurs localités du pays ». Le PNDS demande la distribution gratuite des vivres dans les zones sinistrées. Cette déclaration intervient dans un contexte marqué par de nombreuses controverses quant à la qualification de la situation alimentaire (« famine » ou non ?). Par ailleurs, en toile de fond, planent aussi la mise à l’écart de la journaliste de Sahel Dimanche, auteur d’un reportage sur le Damergou, ainsi que l’interruption de la mission d’une journaliste de RFI fortement prise à partie par la radio et la télévision nationales pour ses reportages. Selon La Griffe, « pour avoir réalisé des reportages sur la famine, RFI fâche le régime de Tandja » (30 mai). Alternative fait écho de ces controverses dans son édition du 27 mai : « Famine et négationnisme ». Le Canard Déchaîné du 26 mai reconnaît la gravité de la situation mais considère que le Niger n’est pas encore dans une situation de famine : « Pour qu’on parle de famine dans un pays, il faut, selon les experts, qu’une proportion de la population, de l’ordre de 75 à 80 %, soit atteinte. Or nous n’en sommes pas encore là ». Pour l’auteur de l’article, « la vente des céréales à prix modéré doit se transformer purement et simplement en distribution gratuite des vivres parce qu’on ne peut, a priori, demander à un paysan qui ne peut même pas s’acheter 10 FCFA de sel d’acheter un sac de mil à 10 000 FCFA ».

Le plaidoyer des médias pour une aide alimentaire massive

36Ce plaidoyer prend diverses formes. Les médias s’impliquent avec force d’abord dans les débats sur la qualification de la situation alimentaire, s’attachent ensuite à démontrer la gravité de la situation, puis s’engagent pour une distribution gratuite de l’aide.

Controverse autour de la reconnaissance de la gravité de la situation alimentaire

37Certains organes de presse se font l’écho de l’aide internationale reçue par le Niger dans le cadre de la crise alimentaire : une aide exceptionnelle de la France, d’un montant de 250 millions de francs CFA, est accordée au PAM pour ses programmes d’alimentation scolaire (Le Républicain du 26 mai) ; le riz japonais arrivé à Niamey est en attente d’être distribué ; les commerçants candidats à son achat s’affairent.

38À Dakar, Jan Egeland, le secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires et coordonnateur des secours d’urgence, qualifie la crise nigérienne d’« urgence humanitaire la plus oubliée et la plus négligée ». Ses déclarations, publiées par IRIN sur Internet s’appuient sur les résultats préliminaires d’une enquête effectuée par MSF. Le même communiqué rapporte les propos de Johanne Sekkens, chef de mission MSF au Niger : « Le taux de malnutrition global est alarmant. On est inquiet pour tous les enfants malnutris modérés qui, s’ils n’ont pas à manger, tomberont dans la malnutrition sévère ».

39Dans sa déclaration de politique générale, le Premier ministre Hama Amadou le 28 mai lance « un appel angoissé à l’aide internationale pour nourrir plus de trois millions de personnes victimes de la faim dans plusieurs zones du pays » (communiqué Internet de l’AFP en date du 29 mai). Cet appel est largement commenté par la presse privée (L’Événement du 31 mai). Il marque la reconnaissance par le gouvernement nigérien d’une situation de famine, dénoncée par la presse tout au long du mois de mai, mais que le porte-parole du gouvernement, sur les écrans de la télévision, avait nié en vantant l’efficacité de la stratégie gouvernementale de vente de céréales à prix modéré.

40La société civile, à l’initiative de la Coordination Démocratique de la Société Civile Nigérienne (CDSCN), se mobilise à travers l’organisation de plusieurs manifestations rapportées par la presse. Alternative du 27 mai annonce « l’organisation d’une manifestation le 2 juin pour exiger du gouvernement la distribution gratuite des vivres aux populations affamées ». Un éditorial d’Oumarou Keita du journal Le Républicain, le 2 juin, affirme : « Le pouvoir nie la famine ». Est mise en exergue la colère du Président Tandja contre le chef de canton de Tanout qui, dans une interview au Sahel Dimanche, s’est plaint de la situation de son canton. L’article parle aussi « d’une cabale contre tous ceux qui parlent de l’existence de la famine ».

41Nous sommes au cœur d’un débat qui va focaliser l’attention tout au long du mois de juin. Le clivage, y compris au sein du pouvoir, oppose ceux qui considèrent qu’il y a bel et bien une famine au Niger et ceux qui minimisent la situation [19]. Au rang des premiers figure le Premier ministre. La Roue de l’Histoire du 1er juin considère que « le Premier ministre, très pragmatique, a reconnu à haute voie, l’existence d’une famine endémique, marquant ainsi sa rupture avec l’idéalisme du Président de la République Tandja Mamadou. ». Cette position marque un virage par rapport au discours antérieur du gouvernement. De l’autre côté, la position de déni portée par le Président de la République se maintient, la presse publique lui donne un large écho, à travers les commentaires du porte-parole du gouvernement, largement diffusés à la radio et la télévision.

Au-delà des controverses, la gravité de la situation mise en exergue par la presse

42Tout au long du mois de juin, la presse écrite locale, ainsi que les communiqués de l’AFP et de MSF, ont travaillé à sensibiliser leur public respectif sur la gravité de la situation : « une malnutrition cachée mais pourtant bien réelle », titre un communiqué mis en ligne par MSF le 1er juin 2005. Le 2 juin, dans une interview donnée en direct à la Radio suisse romande, Cissé Souleymane Mahamane lance des cris d’alarme sur la gravité de la situation.

43Dans la presse, c’est de famine qu’il est de plus en plus question. On parle de « la famine qui sévit au Niger » (Le Démocrate du 16 juin), ou de la « famine qui gagne du terrain dans plusieurs régions » (Le Témoin du 2 juin). « La famine est une réalité au Niger » (Le Républicain du 9 juin). Un communiqué de l’AFP du 9 juin évoque « des victimes de la famine ». MSF, dans ses communiqués en ligne, évoque l’existence de victimes parmi les nourrissons nigériens (10 juin).

Les médias s’engagent pour la distribution gratuite de l’aide

44Les réactions se multiplient. C’est d’abord la société civile nigérienne qui se mobilise. L’AFP rapporte dans un communiqué du 10 juin 2005 que « les Nigériens manifestent à Niamey pour une distribution gratuite des vivres ». La journaliste indique, en s’appuyant sur des chiffres de la FAO, que « près de 3,6 millions de Nigériens sont actuellement confrontés à de graves pénuries alimentaires provoquées par la faiblesse des récoltes de 2004 ». Le communiqué rapporte les propos de manifestants sur la vente de céréales à prix modérés : « Il faut cesser les ventes de céréales à prix modérés qui ne profitent qu’aux commerçants véreux ». Cette marche organisée par la CDSCN est fustigée par La Hache dans sa livraison du 10 juin qui considère dans un éditorial très polémique, signé d’Aguelasse, que « la faim ne doit jamais être brandie comme arme de combat politique ». Une caricature de l’auteur illustre le papier. Elle montre un balourd avalant un gros sandwich pendant qu’un enfant demande à manger. Le Républicain fait également écho d’« émeutes » à Tamaské (Tahoua), le 28 mai. Celles-ci sont provoquées par la répartition inique de céréales reçues dans la ville. L’article explique les raisons de l’émeute et l’intervention des forces de l’ordre qui ont tiré sur la foule avec des balles réelles, occasionnant plusieurs blessés. Le Républicain de la semaine suivante (9 juin) revient sur « les bavures des gardes à Tamaské », en publiant une interview du frère de l’un des blessés. Celui-ci relate le déroulement des événements : « Les gardes ont ouvert le feu sur des pauvres gens désarmés dans une mosquée, tout simplement parce que nous avons dénoncé une injustice dans la distribution du mil… ». Il fustige aussi l’implication du chef de canton dans la gestion de l’aide alimentaire et envisage de porter plainte devant la justice.

45La stratégie gouvernementale de vente de céréales à prix modéré est mise en cause. Déjà, lors la manifestation organisée le 28 mai par la Coordination Nationale de la Société Civile Nigérienne, certains slogans appelaient à une distribution gratuite des vivres. Le gouvernement, par la voix de son porte-parole, n’a pas tardé à réagir, comme l’indique le communiqué de l’AFP du 3 juin : « Ce que demande la société civile est irréfléchi et irrationnel […]. L’État du Niger ne peut pas s’engager dans cette aventure […]. Comment voulez-vous que nous distribuions gratuitement le peu que nous avons dans le stock de sécurité ? ». Cette position est confirmée par le Premier ministre dans Le Sahel du 7 juin dans le compte-rendu qu’il fait de la cérémonie de signature d’un accord entre le gouvernement nigérien et le délégué de la Commission européenne relatif à un appui à la sécurité alimentaire : « L’État continuera son opération de vente de vivres à prix modérés au profit des populations des zones vulnérables. Quant à la distribution gratuite des vivres, comme le suggèrent certains, elle ne pourra jamais se faire, l’État n’ayant pas les moyens… »

46On trouve dans Le Témoin du 2 juin une remise en cause sans appel de la position gouvernementale : « D’abord l’opération “ventes de céréales à prix modéré” n’est que poudre aux yeux car, dédiée aux plus démunis, elle ne profite en réalité qu’aux plus nantis qui ont la possibilité de se payer la quantité de vivres qu’ils veulent pour constituer des stocks. L’argent manque dans les villages, c’est une réalité […] Dans beaucoup de villages, la population n’a de choix que de cueillir du “anza” ou déterrer les termitières ».

47L’Événement rapporte le 8 juin que « le gouvernement reconnaît l’inefficacité de l’opération » vente à modéré des céréales », et explique qu’un nouveau dispositif est mis en place sous le nom d’avance de campagne. « Il s’agit à travers cette opération d’accorder des prêts de céréales aux populations démunies pour qu’elles restent travailler leur champ. Elles rembourseront ces prêts après les récoltes et cela servira à reconstituer le stock de sécurité ». Cet article est illustré par une photo du ministre du Commerce : sous la photo, il est écrit en petits caractères gras : « Salah Habi impliqué dans l’affaire “Riz japonais”, aujourd’hui il s’occupe de l’opération “vente des céréales à prix modérés” ». Cette ambivalence met en exergue un problème de détournement de l’aide alimentaire japonaise dans lequel le Ministre serait en cause.

48Le 9 juin, de Paris, MSF publie un communiqué où il appelle à des distributions gratuites de nourriture aux populations touchées par une grave malnutrition au Niger : « Plus de quatre mois avant les nouvelles récoltes, tous les indicateurs sont au rouge alors qu’on entre dans la période la plus critique. Entre juin et octobre, le pic de paludisme et de diarrhées conjugué à l’épuisement des réserves alimentaires pourrait être fatal aux enfants déjà affaiblis par la malnutrition. Or, malgré la gravité de cette crise, les soins et la nourriture sont payants, inabordables pour les plus vulnérables. Pour éviter une surmortalité dans les semaines à venir, des mesures exceptionnelles doivent être prises en urgence. C’est pourquoi MSF appelle à des distributions de nourriture dans les villages les plus frappées par la malnutrition ». Le contenu de ce communiqué est relayé le même jour par l’AFP sur son site. La gravité de la situation est encore mise en exergue dans un communiqué de l’IRIN.

49Les informations rapportées s’appuient largement sur les activités de MSF. Le Figaro du 21 juin annonce que « le Niger est menacé par la famine ». Tout en reprenant le cri d’alarme lancé par MSF sur la nécessité d’une distribution gratuite de vivres, il rapporte la position défendue par le PAM et l’ambassade de France qui considèrent que le dispositif mis en place par le gouvernement nigérien est fonctionnel. Dans un article mis en ligne le 22 juin MSF insiste, arguments à l’appui, sur la nécessité des distributions gratuites de nourriture. Le débat sur la distribution gratuite est relancé au Niger même par Le Démocrate du 20 juin. Le Républicain du 23 juin, pour sa part, décrit la situation de malnutrition sévère des enfants à Tahoua. Le Témoin du 24 juin lui emboîte le pas : « En somme, si l’aide alimentaire internationale n’arrive pas à temps et si des dispositions rapides, efficaces et conséquentes ne sont pas prises, notamment par les autorités nigériennes, de 50 000 à 150 000 enfants considérés comme malnutris pourraient périr d’ici octobre ». L’AFP publie à nouveau le 24 juin les éléments d’un communiqué de MSF qui « dénonce l’aveuglement volontaire face à cette crise » et « appelle le gouvernement du Niger, les bailleurs de fonds et les ONG à fournir de toute urgence des soins médicaux et de la nourriture gratuite dans les villages touchés par la malnutrition ».

La presse rend compte de l’aide qui arrive au Niger (2005)

50C’est au cours de ce mois de juin que l’aide commence à affluer. La presse rend compte des dons reçus par le gouvernement nigérien. L’aide émane d’abord des Nigériens. Le Sahel a publié tout au long du mois de juin les contributions financières des Nigériens à « la résolution des problèmes alimentaires », suite à l’appel à la solidarité nationale lancé par le gouvernement (Le Sahel des 6, 9, 13, 15-16, 20, 22, 27, 30 juin ; La Hache nouvelle du 10 juin). Pour sa part, la presse privée critique surtout les contributions des plus hautes personnalités de l’État. La Griffe juge, comme un geste insignifiant pour quatre millions d’affamés, les contributions du Président de la République, du Premier ministre et du Président de l’Assemblée nationale au Fonds national de solidarité contre la famine. Et pour L’Évènement du 11 juin, les contributions du Président de la République et du Premier ministre sont décevantes. Le Soleil va dans le même sens dans sa livraison du 14 juin, de même que L’Opinion du 15 juin. Même les dirigeants de l’opposition n’échappent pas à ces critiques émanant de la presse privée (La Griffe, 22 juin).

51Mais c’est surtout à l’aide internationale qui commence timidement à affluer que la presse écrite nigérienne donne un large écho. L’action de MSF est régulièrement rapportée dans ses communiqués en ligne, qui sont ensuite relayés dans les médias en France pour mobiliser l’opinion et le gouvernement français. Puis, dans le cadre de la coopération bilatérale, les contributions des États partenaires du Niger sont publiées : l’Union européenne (Le Sahel, 7 juin ; L’Événement, 8 juin ; communiqué de l’AFP, 8 juin), la Libye (Le Sahel, 13, 15, 20 juin, La Griffe, 20 juin, Le Républicain, 23 juin), l’UNICEF (Le Sahel, 14 juin), Les États-Unis (L’Événement, 21 juin), le royaume d’Arabie saoudite (Le Sahel, 27 juin). Cette aide est jugée faible au regard des montants nécessaires pour faire face à la situation (Le Républicain, 9 juin). D’où les nombreux appels qui se font entendre, en plus de ceux, récurrents, lancés par MSF. C’est ainsi que le Groupe d’Amitié France-Afrique de l’Ouest a lancé « un appel au secours en faveur du Niger, menacé par la faim après la sécheresse et la destruction quasi totale de la récolte céréalière par une invasion de criquets pèlerins » (communiqué de l’AFP, 17 juin).

52Bernard Kouchner, présenté comme le fondateur de MSF, « a lancé un vibrant appel aux dirigeants mondiaux de l’industrie alimentaire et de la grande distribution réunis à Budapest pour qu’ils apportent une aide alimentaire d’urgence au Niger où 30 000 enfants meurent de faim ou de maladies curables chaque jour… C’est bien pire que le tsunami, mais il n’y a pas de touristes blancs pour attirer les télévisions… » (communiqué de l’AFP, 22 juin). Enfin, le PAM fait de même quand il « invite les pays membres du G7 à aider le Mali et le Niger, deux pays d’Afrique de l’Ouest confrontés à une pénurie alimentaire du fait de la sécheresse et d’invasion de criquets » (communiqué de l’AFP, 22 juin).

53En cette fin du mois de juin, les débats sur les stratégies à mettre en œuvre battent leur plein par presse interposée. Après une mission de deux semaines au Niger, Jean-Hervé Jezequel publie un article mis en ligne par MSF le 28 juin où il dénonce les stratégies du dispositif national de sécurité alimentaire : « Pour résumer, la sécurité alimentaire, telle qu’elle est appliquée au Niger, privilégie le long terme sur le court terme, le développement sur l’assistance, le marché sur le service public. Elle fait le choix d’abandonner les populations du temps présent en prétendant préparer la protection des générations futures […] Au vu de la gestion de la sécurité alimentaire par les institutions internationales et le gouvernement, on peut se demander qui aujourd’hui néglige réellement le sort des enfants nigériens ».

Après la pression médiatique, le gouvernement se lance dans la distribution gratuite ciblée

54Toutes ces controverses finissent par convaincre le gouvernement du Niger qui se lance, non sans hésitation, dans la distribution gratuite. Le lancement d’une première distribution gratuite des vivres aux femmes et aux enfants est effectué par la ministre de la Promotion de la Femme et de la Protection de l’Enfant (Le Sahel, 27 juin ; communiqué de l’AFP, 27 juin). Le 26 juin, Télé Sahel organise un débat sur la situation alimentaire. Au cours de ce débat, de nombreuses questions sont abordées : l’état des lieux et les stratégies mises en œuvre par le gouvernement.

Les alertes médiatiques sur la situation alimentaire et la nécessité de distributions gratuites généralisées

55Au même moment, à Paris, MSF continue à diffuser ses alertes : « Des dizaines de milliers de jeunes enfants souffrent de malnutrition au Niger. Des milliers d’enfants sont dans un état sévère de malnutrition, avec danger de mort sans soins médicaux. Le taux de mortalité des enfants de moins de cinq ans a dépassé le seuil d’urgence, qui est de 2/10000/jour, depuis plus de deux mois dans des villages au nord de Maradi et de Tahoua selon une enquête de MSF/Épicentre… Ce n’est pas une catastrophe naturelle, cette grave crise alimentaire était prévisible et prévue de longue date. Malgré cela, les secours tardent toujours. Il est encore temps d’agir » (communiqué de presse du 28 juin 2005). L’AFP, à son tour, amplifie les informations de MSF en les diffusant dans un communiqué en date du 28 juin. Ces mêmes informations sont reprises dans le journal parisien gratuit, Métro, puis dans Libération en date de 30 juin. Même écho dans Le Soir en Belgique et communiqué similaire à Genève par l’agence Xinhuanet ainsi que depuis Maradi par l’agence Reuters. L’Humanité publie une interview avec Emmanuel Drouhin, un des responsables de MSF.

56Pendant ce temps, à Niamey, la presse locale fait état d’une polémique qui éclate entre le gouvernement nigérien et MSF. Une ministre aurait été empêchée de visiter un CRENI à Maradi par une infirmière de MSF. Celle-ci est expulsée ou renvoyée à Paris selon les sources. Le gouvernement fait un point de presse pour fustiger l’attitude de l’organisation. Il en profite pour contredire les propos de Bernard Kouchner rapportés dans un communiqué de l’AFP du 22 juin (cf. le dossier publié par Le Démocrate du 29 juin et Le Républicain du 30 juin).

57Par ailleurs, d’autres sujets sont traités par la presse fin juin. D’abord, la question de la hausse des prix est évoqué par le biais d’un communiqué de presse de l’agence Reuters en date du 29 juin : « Niger : le prix du mil au dessus du salaire minimum ». Ensuite, la question du détournement des dons par des commerçants et un élu du parti au pouvoir est rapportée par Le Républicain du 30 juin.

58Au cours du mois de juillet, la presse continue d’apporter des informations sur l’aggravation de la situation alimentaire et sur la question de la distribution gratuite. Les agences de presse, de même que la presse française, jouent à cet égard un rôle déterminant. France Soir, reprenant les propos de MSF, annonce que l’ONU est opposée à la distribution gratuite alors que « des dizaines de milliers d’enfants de moins de trois ans vont mourir de faim ». L’agence Reuters observe : « Too poor to live : poverty kills Niger’s hungry » (communiqué du 2 juillet). L’AFP rapporte que « des Nigériens fuient au Nigeria pour échapper à la pénurie alimentaire » (communiqué du 4 juillet). L’AFP rapporte, dans un communiqué du 13 juillet, un extrait de la déclaration de Jean Ziegler depuis Genève : « Les plus vulnérables sont en voie de liquidation au Niger, où la sécheresse et les criquets ont plongé le pays une situation de famine ». Libération du 27 juillet publie un dossier sur la situation alimentaire au Niger qualifiée de « famine endémique » : « pluviométrie en baisse, invasion de criquets et tergiversations à Niamey ont précipité la crise ».

59La presse privée nigérienne, à travers L’Événement, se fait écho de l’inquiétude des populations sinistrées, « prises entre deux feux : il y a d’une part la famine qui sévit et de l’autre la crainte de détournement de l’aide alimentaire par certains responsables et protégés du régime » (L’Événement, 6 juillet). Le journal gouvernemental Le Sahel du 10 juillet fait un bilan de la situation agropastorale plutôt inquiétant : « Si la situation pluviométrique du mois du juin 2005 est excédentaire par rapport à la normale sur la majeure partie du pays, celle des stocks de céréales chez les grossistes se trouve, elle, en baisse drastique pendant que le niveau du stock national de sécurité est nul ». L’Événement du 13 juillet continue sa croisade contre la politique gouvernementale de ventes de céréales à prix modéré. « Le peuple nigérien meurtri par la pauvreté, se trouve dans les labyrinthes de la mal-gouvernance et de la famine. » Il fait état de mouvements de la population vers le Nigeria, à tel point que les services de l’immigration et les médias nigérians s’en alarment. Il rapporte les éléments d’un communiqué de l’Association Nigérienne de Défense des Droits de l’Homme (ANDDH). Celle-ci « exige des autorités administratives et coutumières le respect strict des principes de l’opération de vente à prix modéré des céréales ». Le Républicain du 14 juillet décrit la situation des prix des céréales et donne des informations sur un détournement de vivres à Agadez.

Les réactions de la communauté internationale dans la presse

60La presse commente abondamment l’aide marocaine, mais aussi toutes les autres aides qui commencent à déferler sur le Niger, et rapporte toutes les controverses qui éclatent autour de celles-ci.

L’aide marocaine en 2005

61Dès le 4 juillet, une dépêche de l’AFP annonce une aide alimentaire d’urgence du Maroc : « L’aide marocaine consiste en une dizaine de différents produits comme le lait en poudre, le riz, les conserves de légumes et de poissons… ». On apprend aussi qu’« un hôpital militaire de campagne, avec 50 médecins et des personnels paramédicaux sera également mis à la disposition des autorités nigériennes pour une action rapide sur le terrain ». La même agence annonce le 6 juillet que le roi du Maroc a lancé auprès du secrétaire général des Nations unies « un appel à la solidarité internationale pour aider le Niger à surmonter la famine qui le frappe ». Cet appel est répercuté localement par Le Sahel (7 juillet) et L’Événement (13 juillet). Le roi du Maroc, Mohammed VI, arrive au Niger le 19 juillet. Cette visite est abondamment commentée par les médias locaux (presse écrite, radio et télévision). L’Événement annonce que Mohammed VI est « au chevet des populations nigériennes victimes de la famine » (19 juillet). La fin de la visite du roi est également commentée par Le Républicain du 21 juillet qui considère que « l’un des avantages de cette visite royale, c’est qu’elle permettra au président Mamadou Tandja de prendre la mesure de la gravité de la crise alimentaire que connaissent ses concitoyens. Il se rendra compte de lui-même que la famine n’est pas virtuelle : elle existe bel et bien et fait des dégâts ».

Les autres aides et les appels à l’aide

62Cette aide du Maroc semble avoir sorti la communauté internationale de sa torpeur. L’Algérie se dit prête à « envoyer une quarantaine d’équipes au Mali et au Niger pour renforcer la lutte antiacridienne engagée depuis l’année précédente dans ces deux pays » (L’Événement du 6 juillet), et le 10 juillet envoie trente tonnes de denrées alimentaires et de médicaments (communiqué de l’AFP du 10 juillet ; Le Sahel du 12 juillet). Le PAM, pour sa part, « demande aux donateurs de débloquer urgemment des fonds suffisants » (L’Événement du 6 juillet). Cette information est relayée par l’AFP dans un communiqué du 7 juillet qui rapporte que « les pays riches sont suppliés de donner plus ». Dans deux autres communiqués en date du 12 juillet, l’agence affiche d’une part que « la lenteur des aides alimentaires est largement critiquée » ; elle annonce que pour la section MSF/Niger, « il y a un déni d’urgence ». D’autre part, elle rapporte que le PAM triple le montant de l’aide pour le Niger. Pendant ce temps, Sahel Dimanche, dans sa livraison du 12 juillet, annonce une aide de 40 tonnes de vivres des Émirats Arabes Unis. Cette aide acheminée par le biais du Croissant Rouge comprend 2800 cartons de dattes, 200 cartons de lait et 50 cartons de vêtements (22 juillet). L’AFP annonce une aide supplémentaire de 1,5 million d’euros de la France (communiqué du 14 juillet). Elle rapporte des extraits d’un appel de la FAO pour environ 4 millions de dollars afin de financer des interventions agricoles d’urgence au Niger (communiqué du 18 juillet). Ces déclarations font suite à celles de Jean Ziegler qui, après une visite au Niger, parle d’une « non-assistance au peuple en danger… » et invite les donateurs à contribuer sans crainte : « Il n’y a ni détournement, ni corruption, ni prévarication au Niger » (L’Événement du 19 juillet). À New York, l’AFP publie un communiqué rapportant que « l’ONU appelle à une aide de 30 millions de dollars » (19 juillet), et rapporte l’acheminement d’une aide française « comprenant 18 tonnes d’aide composée de 6 tonnes d’huile d’arachide, 5 tonnes de sucre et 7 tonnes de Plumpy’nut, un nutriment spécial ne nécessitant ni eau, ni cuisson, fabriqué par une entreprise normande » (communiqué du 21 juillet).

Les médias rapportent les controverses relatives à l’efficacité des réponses apportées

63L’aide arrive enfin, mais elle est, selon la presse, lente, insuffisante et inefficace. MSF met un communiqué en ligne le 22 juillet, dans lequel son président Jean-Hervé Bradol, de retour d’une mission au Niger, donne son évaluation de la situation. Il doute de l’efficacité du système mis en place : « Le système d’aide s’est emballé. Il se structure plus que jamais autour d’enjeux économiques et géopolitiques. Il se conditionne aussi autour de pseudo-facteurs socioculturels. Les gens pensent finalement qu’au Sahel, la malnutrition aiguë est quelque chose de normal. Que les peuples s’adaptent à l’extrême pauvreté. Que les Nigériennes ont le plus grand taux de natalité parce que le taux de mortalité infantile est élevé. Que les explications malthusiennes et /ou culturalistes expliquent beaucoup de choses… ». Pour le président de MSF : « En Asie, on débat à l’infini pour savoir comment on va dépenser l’argent engrangé après le tsunami. Au Niger, on vend l’aide d’urgence à des populations qui n’ont pas les moyens de l’acheter… Il y a une inégalité criarde, même dans l’humanitaire. Et beaucoup d’opérateurs institutionnels d’aide préfèrent être sur la photo en Indonésie plutôt que d’aller ramer au Niger. Cela fait des mois qu’on tente d’alerter, le grand cirque de la mobilisation ne se met en place qu’aujourd’hui. Totalement décalé, en retard par rapport aux besoins. La nourriture n’arrivera au mieux qu’en septembre. Après le pic le plus dur de la soudure, en août juste avant la récolte ».

64Pendant ce temps, au Niger, Sahel Dimanche publie une interview du coordonnateur de la Cellule Crise Alimentaire (CCA). Celui-ci expose les dispositions prises par le gouvernement pour améliorer la situation. Il évoque l’échec du plan d’urgence en raison de la montée inattendue du prix des céréales sur le marché et du changement de stratégie orientée vers l’achat de riz. Il fait le bilan des aides reçues et explique la nouvelle option des aides gratuites pour les populations vulnérables afin de leur permettre de traverser la période de soudure. Quant au crédit de campagne, autre stratégie du gouvernement, il explique qu’il ne sera organisé que dans les zones moins vulnérables (Sahel Dimanche du 22 juillet).

65Derrière ce discours plutôt optimiste des pouvoirs publics, les médias continuent de s’interroger sur l’efficacité des réponses apportées. Certes l’aide alimentaire arrive, mais sa distribution ne va pas sans problème. Dans un de ses communiqués du 25 juillet, l’AFP constate que « l’aide internationale s’accélère au Niger mais le pire est à craindre ». Le communiqué rapporte l’inquiétude du PAM et de plusieurs ONG sur les difficultés liées à l’acheminement de l’aide. Dans les jours qui suivent, les informations rapportées par la presse restent toujours préoccupantes. Libération, dans sa livraison du 27 juillet, fustige « l’indécence des pays riches ». Il parle d’un scandale patent, « car cette “catastrophe silencieuse” qui frappe des millions de Nigériens était non seulement prévisible, mais prévue et annoncée depuis près d’un an par les ONG et l’ONU. Il n’était ni très compliqué, ni très coûteux de l’empêcher. La non-assistance à peuple en danger n’est bien sûr pas un crime contre l’humanité au regard des lois internationales ». En France, L’Humanité de la même date parle d’une réponse tardive et inadaptée.

66Du côté du Niger, Sahel Dimanche du 22 juillet publie la liste des contributions arrivées au cabinet du Premier ministre, et Le Républicain annonce une aide de 2 millions de FCFA aux victimes de la famine de la part du PNDS. Il publie dans le même numéro un dossier de deux pages qui rend compte de l’amélioration de la situation : « une bouffée d’oxygène pour le secteur de l’élevage ». On trouve aussi dans Le Sahel du 27 juillet un compte rendu de la visite du directeur adjoint de l’USAID, venu à Niamey annoncer une aide additionnelle de 3,4 milliards de FCFA au Niger.

La gestion de l’aide en question dans les médias

67Malgré tout, la situation alimentaire s’améliore. Plusieurs articles de la presse française se réjouissent de ce que l’aide arrive enfin au Niger (Le Monde du 28 juillet). Cependant, la question de la malnutrition refait surface (communiqué AFP du 28 juillet). On parle alors d’urgence. Le Monde rapporte que « les organisations internationales estiment qu’un million d’enfants souffrent cette année de malnutrition et que 150 000 d’entre eux risquent de mourir sans une intervention rapide » (Le Monde du 28 juillet).

Une situation précaire malgré tout

68En août, les médias se sont surtout focalisés autour de l’aide alimentaire qui afflue au Niger. Pour L’Express, « les pluies torrentielles qui s’abattent sur le Niger promettent de meilleurs récoltes pour l’avenir mais ralentissent l’acheminement de l’aide au million de Nigériens frappés par la famine » (1er août). L’idée que les donateurs ont agi trop tard est mise en avant. Le Monde du 2 août [20] publie l’intégralité d’un débat avec Stéphanie Bunker, porte-parole du Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (UNOCHA). Il est intéressant de relever certains aspects de ses analyses : « Il faut comprendre qu’il y a beaucoup de crises dans le monde et que la réponse à ces crises est vraiment un jeu de hasard. Et tout le monde ne gagne pas à ce jeu. Le Niger, 176e sur 177 en matière de développement humain, a perdu à ce jeu de hasard. Les Nations unies ont attiré l’attention sur la situation au Niger qui était prévisible l’année dernière. Mais il faut, malheureusement, dans certains cas, avoir des photos horribles pour que le monde bouge ».

69Des images d’enfants ont fait le tour du monde, et la presse écrite s’intéresse aux actions entreprises contre la malnutrition infantile. Ainsi, dans un communiqué en date du 1er août, l’AFP rend compte de la mission à Maradi le 30 juillet de Bernard Kouchner, venu apporter 18 tonnes d’aide alimentaire, destinés aux enfants souffrant de malnutrition aiguë. Le même communiqué décrit la nouvelle « diplomatie de l’humanitaire » initié par l’État français, à travers la descente à Niamey à la même date du ministre français des Affaires étrangères à bord d’un Boeing 747 cargo « chargé de 35,4 tonnes de vivres pour les enfants menacés de mort au Niger ».

70La Roue de l’Histoire du 2 août fait état d’une aide de 1450 tonnes de riz apportée par Plan-Niger au profit de la région de Tillabéry, l’une des zones d’intervention de l’ONG. Le Républicain du 4 août fait écho de la même information, ainsi que Le Démocrate du 4 août.

71En France, pendant la même période, Le Monde publie un reportage sur Djan Toudou dans le département d’Aguié. L’article montre le travail au jour le jour des humanitaires. Le titre de l’article est évocateur : « Au Niger, les humanitaires luttent pour sauver les “enfants de la faim” » (Le Monde du 4 août). Dans un autre article mis en ligne le même jour, le journal attire l’attention sur l’étendue du phénomène : « La famine touche le Niger, mais également le Burkina Faso, la Mauritanie et le Mali… ». L’Humanité dénonce les paradoxes de la situation alimentaire à Maradi : « Les ventres sont vides, les marchés sont pleins ». RFI publie sur son site un dossier illustré, en date du 8 août, sur la famine au Niger, dans lequel la radio fait état d’une « catastrophe silencieuse », affirmant que « parmi les enfants de moins de cinq ans, 50 à 150 000 d’entre eux risquent de tomber dans la malnutrition sévère avant la fin de la période de soudure, c’est-à-dire d’ici au mois d’octobre ».

72Parallèlement, le département d’État des États-Unis met en ligne le 5 août un communiqué, faisant état de l’organisation imminente d’« un pont aérien pour livrer des vivres au Niger ». « Il s’agit notamment d’aider les enfants menacés de famine ». Le communiqué rapporte les propos d’Andrew Natsios, administrateur de l’USAID : « Les États-Unis affrètent deux avions-cargos afin d’acheminer 206 tonnes d’aliments à forte valeur énergétique vers Niamey, la capitale du Niger… D’un montant de 427 500 dollars, cette aide sera fournie par l’intermédiaire de l’agence des États-Unis pour le développement international. (USAID)… Le pont aérien permettra d’aider à alimenter immédiatement des dizaines de milliers des enfants les plus en danger. De concert avec ses partenaires, notamment l’UNICEF, le gouvernement des États-Unis tente de sauver la vie d’habitants des pays les plus pauvres de l’Afrique ». À relever également dans la presse l’aide de 1002 tonnes d’engrais octroyée au Niger par le Royaume du Maroc (Le Sahel du 8 août), ainsi que celle octroyée par la France suite à la visite au Niger du ministre français des Affaires étrangères, Philippe Douste-Blazy, en réponse à l’appel lancé par l’UNICEF, qui concerne le transport par voie aérienne de 100 tonnes de produits de récupération nutritionnelle (unimix) pour un montant de 218 900 euros, soit 143,6 millions de FCFA (Le Sahel du 8 août). Même démarche aussi de la part de l’association Raoul Follereau (AFRF) au Niger (Le Sahel du 8 août).

Tandja lance un pavé dans la mare

73C’est dans ce contexte de mobilisation internationale tous azimuts qu’éclate une controverse autour d’une déclaration du Président Tandja à l’occasion d’une interview donnée le 9 août à la BBC dans son journal en langue hausa. Les phrases clés de cette interview sont largement commentées par la presse, tant écrite qu’audio-visuelle. Sur le site de la BBC, on relève en titre une citation évocatrice : « Mamadou Tandja : il n’y a pas de famine au Niger ». L’article rapporte la substance de l’interview : « Le Président Tandja a reconnu qu’il y avait une situation de pénurie alimentaire dans certaines régions, suite à faible pluviométrie, et à l’invasion de criquets, tout en ajoutant que son pays était habitué à cette situation. Selon Tandja, l’idée de famine est exploitée à des fins politiques et économiques par les partis politiques et les organisations du système des Nations unies… Tandja considère que, si la situation avait été grave, des bidonvilles se seraient formés autour des grandes villes, les populations auraient fui vers les pays voisins et les mendiants seraient plus visibles dans les rues. Selon le Président, ce ne fut pas le cas. Nous subissons comme tous les pays du Sahel, une crise alimentaire due aux faibles récoltes et aux invasions acridiennes de 2004, a déclaré le président Tandja. Mais pour le président nigérien, les informations faisant état de famine relèvent de la pure propagande, orchestrée par les hommes politiques de l’opposition et les agences des Nations unies, dans leur propre intérêt. Le Président Tandja a ensuite déclaré que sur les 45 millions de dollars promis à son pays pour l’aider à faire face à la crise alimentaire, seulement 2,5 millions ont été perçus par son gouvernement ».

74L’article rapporte la réaction du porte-parole du PAM, Greg Barrow : « Nous n’avons pas parlé de famine mais de poches graves de malnutrition… Le PAM rend compte de l’utilisation de ses fonds aux donateurs, mais la totalité des subventions reçues n’est pas convoyée vers des circuits financiers des gouvernements des pays récipiendaires ». Les médias anglo-saxons commentent très largement ces propos du président Tandja rapporté par la BBC à travers de nombreux articles dans lesquels les journalistes s’indignent de la position du président nigérien.

75L’AFP, dans un communiqué du 10 août publié sur Internet, revient également sur le sujet en reprenant les propos rapportés par la BBC. En contrepoint, elle rapporte la réaction de Kassoum Issa, responsable la Coordination Démocratique de la Société Civile Nigérienne (CDSN) qui s’est déclaré scandalisé par les propos de Mamadou Tandja : « Le droit à l’alimentation est un droit fondamental. Cette famine, et c’est bel et bien une véritable hécatombe, démontre tout simplement l’échec du programme de lutte contre la pauvreté géré par le Président… Les Nigériens sont en train de mourir de faim ». Des extraits de la réaction du PNDS sont également rapportés par le communiqué. Celui-ci accuse le pouvoir d’avoir camouflé pour des « raisons superstitieuses » la réalité de la famine au Niger [21]. Enfin, l’AFP fait état des propos d’Alain Darthenucq, conseiller à la délégation de Commission européenne à Niamey, qui va dans le sens des propos du Président Tandja : « Ce n’est pas une famine. Les enfants de moins de cinq ans sont pour l’instant les seuls gravement atteints, et malgré les quelques rumeurs d’exode au Nigéria, un départ massif des campagnes n’a pas été constaté ». Les propos du Président Tandja sont également commentés par le journal Libération du 10 août : « Avez-vous vu des gens mendier dans les rues ?… Vous nous avez vu. Nos corps portent-ils les marques de la faim ? ».

Jeux de mots

76Ces déclarations du Président Tandja relancent le débat sur la situation alimentaire du Niger, mais cette fois autour des questions de mots, et divisent le gouvernement sur la qualification de la situation. On se souvient qu’en juin, la presse avait rapporté le cri d’alarme lancé par le Premier Ministre à travers sa Déclaration de politique générale, affirmant l’existence d’une famine au Niger. Du coup, Le Républicain relève cette contradiction : « Que veut Tandja ? Que veut Ben Omar ? À quelle sauce veulent-ils nous manger ? L’un crie qu’il n’y a pas de famine au Niger et que ceux qui en parlent ne sont que des ennemis à abattre. L’autre fait une gymnastique verbale délirante et absconse pour démontrer l’équation de son maître… L’un nie grossièrement une situation si évidente qu’elle est devenue une calamité nationale dévastatrice, observée, suivie et gérée par la communauté nationale et internationale. L’autre s’excite et s’engage dans la voie mensongère tracée par l’un dans la béance sombre et inacceptable ouverte dans l’inaliénable réalité du Niger pour donner une forme biaisée… À coup sûr, ni l’un ni l’autre ne travaillent véritablement pour l’intérêt général, du moins pour l’avenir paisible et prospère du Niger… » (Le Républicain du 18 août). Pourtant, la position du Président Tandja est confortée par une campagne médiatique vigoureuse à l’intérieur du pays. Cette campagne est conduite les gouverneurs qui multiplient les meetings populaires et les conférences de cadres pour expliquer la position du Président de la République (L’Événement du 23 août).

77Pendant ce temps, la presse continue de rapporter le déploiement de l’aide internationale au Niger, mais aussi les visites sur place de personnalités étrangères des plus éminentes qui continuent de visiter le pays.

Des personnalités arrivent au Niger

78À propos des personnalités qui arrivent au Niger, Le Sahel du 8 août rapporte la visite au Niger de la directrice générale de l’UNICEF, Madame Rima Sahah. Elle visite plusieurs villages de la région de Maradi et de Tillabéry. La Griffe rapporte la visite du coordonnateur de l’aide humanitaire d’urgence au département de la santé de l’OMS « qui séjourne depuis quelques semaines au Niger » (La Grille du 24 août).

79Autre personnalité marquante qui arrive au Niger, Koffi Annan, secrétaire général des Nations unies. Les medias se mobilisent pour rapporter l’événement, puisque c’est la première fois qu’il visite le pays. Pour Le Républicain (18 août), « il n’y a pas de doute que les corps décharnés des enfants diffusés par les médias ont incité Koffi à bousculer son calendrier et peut-être même ses vacances pour venir voir de visu ce que certains irresponsables tentent vainement de nier ». Ce journal saisit cette occasion pour fustiger l’attitude du Président Tandja face à la situation. Le Sahel du 22 août se contente de publier l’intégralité du message lu par le représentant-résident du PNUD à Niamey dans lequel celui-ci annonce que « le secrétaire général des Nations unies, S.E.M. Koffi Annan accompagné de son épouse Nane, séjournera dans notre pays du 23 au 24 août dans le cadre d’une visite officielle. Pendant son séjour au Niger, il sera l’hôte du gouvernement de la République du Niger et du système des Nations unies ». Selon Le Monde, dans un article mis en ligne le 23 août, « Koffi Annan a entamé, mardi 23 août, une visite de deux jours au Niger pour faire le point sur la crise alimentaire dont souffre le pays. Il s’est d’abord rendu à l’hôpital de Zinder, dont il a visité le service pédiatrique qui accueille les enfants souffrant de malnutrition, avant de se rendre dans un centre de “renutrition” de MSF-Suisse ».

Les controverses entre MSF et ONU

80Saisissant l’occasion de la visite au Niger de Koffi Annan, MSF publie un article mis en ligne le 22 août : « MSF appelle le Secrétaire général des Nations unies à prendre des mesures pour que les agences humanitaires des Nations unies (PAM et UNICEF) distribuent l’aide en fonction des besoins réels des populations… À ce jour, les distributions de nourriture organisées par le PAM ne répondent ni en quantité, ni en qualité à la gravité de l’épidémie de malnutrition aiguë que les équipes de MSF prennent en charge, en particulier aux besoins des enfants souffrant de malnutrition aiguë ». Dans le même communiqué, MSF constate que « la qualité de la nourriture distribuée n’est pas adaptée à l’alimentation des enfants en bas âge, qui sont pourtant les principales victimes de la malnutrition ». Pour guérir de la malnutrition, affirme MSF : « Les enfants ont besoin d’aliments spécialisés (farines enrichies). Or ceux-ci ne sont pas présents dans les rations alimentaires distribuées par le PAM ». MSF considère que « le ciblage s’effectue une fois de plus à partir du système d’alerte précoce, basé sur la surveillance des récoltes, mais ne prend pas du tout en compte l’état nutritionnel réel des populations. Or, depuis novembre 2004, cette méthode a fait la preuve de son inefficacité ». Pour MSF, « les Nations unies ont déjà répondu tardivement à l’épidémie de malnutrition aiguë qui sévit au Niger et persistent dans l’erreur. Ainsi, elles ont imputé la crise nutritionnelle à la seule combinaison de la sécheresse et de l’invasion de criquets. Puis, en novembre 2004, elles ont soutenu le gouvernement nigérien dans son choix de répondre à cette situation d’urgence par une aide payante, à laquelle les plus démunies, c’est-à-dire ceux qui en avaient le plus besoin, n’ont pas eu accès ». MSF « appelle donc les “agences humanitaires” des Nations unies, à respecter le principe humanitaire de l’impartialité qui veut que l’aide soit distribuée à ceux qui en ont le plus besoin ». MSF « demande que les distributions de nourriture viennent effectivement en appui de son intervention auprès des enfants souffrant de malnutrition aiguë dans les régions où ces derniers meurent de faim ». Dans une interview mise en ligne le 24 août, Jean-Hervé Bradol, président de MSF, revient le même sujet. Il fustige l’action de l’ONU : « Au Niger, l’ONU fournit des rations inadaptées, et au mauvais endroit ». Le président du MSF se livre à une attaque sans complaisance de l’action de l’ONU au Niger : « Dans un premier temps, l’ONU a soutenu une réponse qui consistait à vendre l’aide d’urgence aux destinataires, en des quantités largement insuffisantes et dans les mauvais endroits. Et quand la décision a enfin été prise de distribuer l’aide gratuitement, mi-juillet, l’ONU a fourni des rations inadaptées, toujours aux mauvais endroits. Il faut comprendre qu’au Niger, ne meurent que des bébés de six mois à trois ans. À cet âge, les enfants ont besoin de farines spécialisées. Or, aujourd’hui comme hier, l’UNICEF n’en a pas un gramme en stock ». Il s’attaque ensuite aux donateurs de l’aide alimentaire au Niger : « Les distributeurs de l’aide actuels forment une sorte de “club”. On y trouve l’ONU et ses agences exécutrices telles que le PAM et l’UNICEF, de même que le gouvernement nigérien, le France, la Belgique et l’Union européenne. Les uns et les autres jugent de la vulnérabilité des populations aux résultats de l’agriculture. Or la pénurie alimentaire au Niger, comme tous les épisodes de ce genre survenus depuis le XXe siècle, tient au système de distribution plutôt que de la production. La carte des besoins humains ne se superpose pas à la carte de la production agricole. Et pourtant, l’ONU continue de planifier les distributions d’urgence en fonction des déficits agricoles enregistrés en octobre 2004. Elle ne tient pas compte des départements qui enregistrent le plus de cas de malnutrition sévère. Elle persiste dans l’erreur… ».

81Au-delà de ces polémiques lancées par MSF, auquel le PAM n’apportera de réponse qu’en septembre [22], l’aide alimentaire arrive progressivement au Niger, comme le rapporte la presse. Mais il pointe à l’horizon un autre problème, celui de l’accès à cette aide en raison de la pauvreté de la population. IRIN, dans un communiqué du 10 août, s’inquiète du manque d’argent des populations ou encore de la hausse des prix qui accentue selon ce réseau la précarité des Nigériens. Au cours de la même période, dans un article mis en ligne, le 9 août, Libération dénonce la flambée des prix : « Les étals sont correctement achalandés au Niger… mais inaccessibles aux plus pauvres ».

Le bilan à l’ordre du jour dans les médias

82Le mois de septembre, mais aussi ceux d’octobre et de novembre, prolonge d’une certaine manière le mois d’août. Les sujets traités par les médias sont moins nombreux. Les polémiques s’estompent. Le rush médiatique s’étiole progressivement. L’heure est au bilan des actions entreprises en juillet et en août, ainsi qu’aux perspectives envisageables pour l’avenir.

Le dispositif national au cœur des débats

83Dans Le Sahel du 1er septembre, Mala Ari, président du Comité National de Gestion et de Prévention des Crises Alimentaires, fait « le point des besoins en vivres et céréales pour faire face au déficit alimentaire avant les récoltes » ; « Les besoins en céréales pour les deux prochains mois sont estimés à 70 000 tonnes… Le stock tampon de 30 000 tonnes est à constituer d’ici septembre 2005 destiné à faire face à toute éventualité qui pourrait surgir si la campagne agropastorale connaît une évolution anormale. Les coûts d’acquisition et de distribution de ces quantités sont estimés à 24,5 milliards FCFA… Après la crise, la reconstitution du Stock National de Sécurité (SNS) devient un impératif pour le gouvernement, avec les actions engagées, le dispositif est désormais complètement décapitalisé et se trouvera à un niveau zéro ». Le Républicain du 1er septembre livre les grandes lignes d’une conférence de presse du Représentant Résident du PNUD et coordonnateur de l’aide humanitaire, Michel Falavigna : « Les chiffres sont parlants : 2 700 000 personnes sont dans une situation préoccupante parmi lesquelles 850 000 dans une situation extrêmement critique, 90 000 sont dans une position difficile ; pour le reste, il est recommandé une vigilance de tous les instants. La malnutrition est elle aussi présente. On note que 93 000 enfants ont été prises en charge par 760 centres de récupération nutritionnelle installés sur l’ensemble du pays. On note aussi que 85 % de ces enfants s’en sortent très bien, 5 % perdent leur vie, et 10 % sont référés vers des structures plus adaptées pour leur prise en charge ». Le Sahel Dimanche du 2 septembre rend compte des résultats de la réunion hebdomadaire du Comité de gestion de la crise alimentaire, en présence du PAM, de l’UNICEF, de la FAO, de l’ACMAD, mais aussi des organisations humanitaires présentes sur le terrain : « Il ressort des interventions que malgré la perspective d’une bonne campagne agricole, les efforts de distribution gratuite des vivres doivent se poursuivre. Ces efforts doivent être accélérés, car certains participants à la réunion ont parlé de lenteur dans le rythme de distribution dans certaines régions, alors même que la quantité de vivres planifiée est sur place. Plus grave, de nouvelles localités et régions qui n’étaient pas dans le plan initial de distribution sont déclarées nécessiteuses au point que certains participants n’ont pas hésité à critiquer les indicateurs sur lesquels sont fixés les signes de vulnérabilités ; d’aucuns ont même proposé qu’il y soit intégré des aspects comme l’endettement des ménages et autres contraintes ».

84L’heure est aussi au bilan dans les villages. Dans une dépêche de l’AFP en date du 6 septembre, une journaliste de l’agence examine les stratégies paysannes à la veille des récoltes dans le village de Fala. Tout au long du mois de septembre, les journaux nigériens publient régulièrement des comptes rendus de ces réunions bilans (La Voix du Peuple du 7 septembre ; Sahel Dimanche du 9 septembre ; Le Canard Déchaîné du 12 septembre ; Le Démocrate du 12 septembre ; La Griffe du 12 septembre ; Le Sahel du 14 septembre ; Le Témoin du 21 septembre). La presse rapporte également et de manière régulière le bilan de la campagne agricole qui s’achève. En plus des réunions du Comité de Gestion de la Crise Alimentaire déjà relevées plus haut, La Voix du Peuple en date du 7 septembre publie un texte de Saidou Bakary, coordonnateur de la Cellule Crise Alimentaire sur la situation alimentaire à la fin du mois d’août. Il s’agit d’un bilan exhaustif faisant le point sur le dispositif national de prévention et de gestion des crises alimentaires (stock national de réserve, fonds commun des donateurs) à partir d’un examen de l’opération « vente de céréales à prix modéré », du « programme d’atténuation des crises », du programme « semences d’urgence », du programme « distribution d’intrants zootechniques » et des programmes de « distribution gratuite ». Le bilan fait un état des ressources mobilisées pour le financement du plan d’urgence et des autres assistances alimentaires reçues par le gouvernement nigérien, à savoir les contributions de solidarité mobilisées au Niger même et les dons apportés par la communauté internationale.

85Du côté des partenaires techniques et financiers (PTF) du Niger, Le Sahel du 19 septembre rapporte le lancement par l’UNICEF d’une Enquête Nationale sur la Situation Nutritionnelle : « Des données fiables pour une solution durable », tel est le titre de l’article publié, qui met en évidence la nécessité de « disposer pour l’avenir des indicateurs fiables sur l’état nutritionnel des enfants du Niger ».

La gestion de l’aide en question

86La situation alimentaire demeure malgré tout préoccupante. La presse nigérienne fait écho de difficultés persistantes, liées à la gestion de l’aide dans certaines régions. Ainsi, plusieurs journaux reviennent sur les questions de détournement de vivres (L’ Événement, 6 septembre ; L’ Autre Observateur, 13 septembre ; Aïr Info, 16 septembre ; Le Canard Déchaîné, 12 septembre), mais aussi sur la question de la vie chère (L’Événement, 6 septembre).

87Certains journaux s’interrogent sur les stratégies à mettre en œuvre : « Comment procéder pour éviter des crises de ce genre à l’avenir ? Pour l’instant, la stratégie de gestion préventive de la crise alimentaire proposée par le comité ad hoc est l’état de veille sur tous les fronts. » (Le Démocrate, 12 septembre).

88D’autres observateurs restent braqués sur les indices de vulnérabilité et critiquent les stratégies des autorités et leur choix de zones prioritaires, qui ne fait pas l’unanimité. Selon le quotidien français Libération dans un article mis en ligne le 12 septembre : « Le plan de distribution se fonde sur des listes établies par le système d’alerte précoce du gouvernement, d’après un indice de vulnérabilité qui prend en compte la production céréalière, mais aussi d’autres critères comme la pluviométrie et le nombre d’enfants par foyer ». Ce journal rapporte les propos de Boubacar Gaoh Illiassou, Directeur Régional du développement agricole au titre de la région de Maradi qui estime qu’« il est difficile d’avoir des statistiques fiables, le dernier recensement agricole date de 1974 ». Libération cite les propos d’un chef de canton qui s’inquiète de ce que « les paysans utilisent déjà leurs récoltes pour rembourser leurs dettes. Il estime qu’ils n’auront plus de stocks du tout dans huit mois ». Enfin, Libération signale que « le PAM s’inquiète des contributions insuffisantes pour atteindre toutes les populations vulnérables, mais aussi pour reconstituer le stock de sécurité de l’État censé prévenir ce genre de drame ».

89Un autre article est mis en ligne le même jour par Libération. Il rapporte les éléments d’un regain de la polémique entre le MSF et le PAM. Cette fois, c’est Isabelle Defourny, coordinatrice d’aide d’urgence à MSF France, qui porte la position de MSF : « Les distributions gratuites sont trop lentes, mal réparties. Je n’ai jamais vu une aide aussi inadaptée… Les distributions de nourriture ne répondent ni en quantité ni en qualité à la gravité de la malnutrition… ». La réaction du PAM, déjà mis en cause par le président de MSF lors de la visite de Koffi Annan, ne s’est pas fait attendre selon Libération. Pour Giancarlo Cirri, représentant du PAM au Niger « MSF tente de soigner son image au détriment de ses propres partenaires, tout en risquant de compromettre des contributions financières en semant le doute sur leurs actions… Le coup médiatique de MSF avec ces images terribles d’enfants souffrant de malnutrition est fondé sur des amplifications outrancières… MSF confond la malnutrition aiguë des enfants, un problème structurel, avec la crise alimentaire conjoncturelle de cette année, due à la sécheresse et à l’invasion acridienne. Alors que les deux n’ont qu’une faible corrélation… L’aide alimentaire seule, et surtout sous forme de distribution gratuite généralisée, ne résoudra pas les questions de l’accès aux soins ou d’une démographie galopante ». Cette polémique est considérée comme artificielle par Olivier Longué de l’ACF [23], qui estime que « chacun est dans son rôle. MSF a réveillé la communauté internationale, mais on ne peut pas tout reprocher au PAM, qui est soumis au bon vouloir des donateurs. Et il ne pouvait pas intervenir sans que le Niger l’y invite. De plus, ça prend du temps de mettre en place une distribution pour 3 millions de personnes… La réponse de la communauté internationale a été satisfaisante à 80 % ».

90En tout état de cause, au-delà de ces polémiques, MSF estime que les distributions de céréales doivent se poursuivre au Niger, où les populations les plus vulnérables continuent de souffrir de malnutrition alors que les récoltes de mil ont démarré dans le Sud-Est (communiqué de MSF à Niamey du 16 septembre ; voir aussi dans le même sens, le communiqué mis en ligne le 27 septembre). MSF revient à la charge dans un communiqué mis en ligne le 20 septembre : « la crise est loin d’être résolue ».

91Ces inquiétudes rapportées par la presse ne vont pas dans le sens des appréciations émises par la CCA pour qui « il n’y a plus de crise alimentaire au Niger, en raison de l’arrivée du nouveau mil sur les marchés des zones les plus sévèrement éprouvées par les pénuries alimentaires » (Communiqué de l’AFP en date du 22 septembre).

92Au cours du mois de septembre, l’aide alimentaire a continué d’affluer. Mais elle provient surtout de certaines ONG internationales comme l’Eglise évangélique internationale (Le Sahel, 1er septembre), l’Organisation islamique internationale (Le Sahel, 2 septembre) ou le groupe Impérial Tobacco (Le Sahel, 6 septembre). Cette aide est aussi le fait de structures associatives locales à l’instar de Nestlé-Niger (Le Sahel, 6 septembre), de l’Union des Syndicats des Travailleurs du Niger (Le Sahel, 8 septembre), de la Coalition Qualité/Équité contre la vie chère et de l’Association Nigérienne de Défense des Droits de l’Homme (La Roue de l’Histoire, 27 septembre).

93On relève aussi l’arrivée au Niger de nouvelles personnalités étrangères : Mme Kathryn F. Wolford, Présidente de l’organisation non gouvernementale américaine Lutherian World Relief (Le Républicain, 1er septembre ; Le Républicain, 8 septembre) ; Mme Brigitte Girardin, ministre française déléguée à la Coopération, au Développement et à la Francophonie (Communiqué de l’AFP, 2 septembre) ; Mme Viviane Wade, première dame du Sénégal (Le Sahel du 6 septembre).

94En octobre, la tendance observée en septembre dans la presse, marqué les discours-bilan, se maintient. Il n’y a pas de rebondissement particulier. On relève des cérémonies de réception de dons de la firme Coca-Cola (Le Sahel, 3 octobre), du British American Tobacco (Le Sahel, 10 octobre). Les comptes-rendus des réunions régulières du Comité ad hoc de coordination et de supervision de l’aide d’urgence sont également rapportés (Le Démocrate, 4 octobre ; Sahel Dimanche, 7 octobre ; Le Républicain, 13 octobre ; Le Visionnaire, 14 octobre ; La Voix du Peuple, 20 octobre ; Le Républicain, 27 octobre). Par ailleurs, L’Événement, 4 octobre considère que « la crise alimentaire est résolue, mais le problème de la malnutrition demeure ». Le même journal revient sur le détournement de vivres fournis par le PAM à Agadez (voir aussi sur les détournements, L’Enquêteur du 10 et du 24 octobre et Le Républicain du 20 et du 27 octobre).

95Le porte-parole du gouvernement persiste à affirmer qu’il n’y a pas de famine au Niger mais une crise alimentaire, dans une interview qu’il accorde à Afrik.com (interview mise en ligne le 5 octobre sur le site d’Afrik.com). Il déplore qu’il y ait eu « beaucoup d’effets d’annonce et c’est dommage ». Il annonce que 42 milliards de FCFA ont été promis par la communauté internationale, dont 24 milliards des différentes organisations du système des Nations unies. Or, dit-il, à la date d’aujourd’hui, « le dispositif national de prévention et de gestion de crise alimentaire n’a reçu que 4 milliards, sur les 24 milliards onusiens ».

96Le Témoin du 6 octobre publie un communiqué du PAM qui annonce que « la distribution de l’aide alimentaire se poursuit pour des milliers de Nigériens vulnérables ». Pour l’AFP, « près de 2000 villages nigériens sont exposés à des déficits en 2005 » (communiqué mis en ligne le 6 octobre). Le Républicain du 6 octobre publie un article dans lequel l’auteur considère que « malgré la bonne pluviométrie, le spectre de la famine plane toujours ». Dans un autre article, le même journal dénonce les discriminations opérées dans la distribution des vivres de l’État qui priorise les militants du parti. Pour L’Enquêteur, dans sa livraison du 10 octobre, « l’assistance aux populations doit se poursuivre ». Le Canard Libéré du 14 octobre estime que l’urgence au Niger, c’est la reconstitution du stock de sécurité.

97En France, la presse débat autour du rapport Charasse et Gouteyron, sénateurs français ayant effectué une mission d’évaluation et de contrôle du soutien français au dispositif nigérien de gestion de la crise alimentaire au cours du mois d’août. Libération publie un compte rendu du contenu de leur rapport qui, selon le journal, passe sous silence les défaillances du gouvernement nigérien.

98Mais progressivement, la crise alimentaire du Niger déserte les médias étrangers. Au niveau local aussi, elle n’est plus un sujet de préoccupation important. Le soufflet s’est affaissé.

Conclusion

99Peut-on conclure ce récit, sinon en mettant en exergue la forte capacité d’influence acquise par les médias dans ce monde largement globalisé, où les images diffusées par la télévision à longueur de journée se révèlent comme des outils d’action redoutables dans les stratégies de mobilisation ? La crise alimentaire de 2005 au Niger le montre de façon indiscutable [24]. Ce sont les médias qui ont attiré l’attention sur la gravité de la situation qui prévalait au Niger par un plaidoyer sur tous les fronts, gênant ou activant parfois les gouvernants et leurs administrations.

100Même si la presse écrite demeure la principale source de ce travail, la télévision a été omniprésente dans des données traitées, car ses reportages alimentent aussi, au-delà de l’information du public, le travail des journalistes de la presse écrite. Ce média mériterait une étude spécifique. Elle mettrait à jour d’autres dimensions.

101Quoi qu’il en soit, la presse écrite est apparue comme un site particulièrement intéressant pour comprendre certains aspects de cette crise alimentaire à travers sa mise en scène publique. On découvre quels ont été les aspects privilégiés par les média et comment ils ont déclenché des actions publiques. Chacun des espaces médiatiques identifiés au cours de cette recherche révèle des stratégies différenciées. Même si la presse étrangère, notamment française, destine son information à l’attention de son lectorat habituel, l’affirmation de l’Internet permet une ouverture vers un public plus large de par le monde. Par ailleurs, cette information électronique se prête à une réutilisation facile par les autres médias qui, à leur tour, la répercutent, parfois sans indiquer sa source initiale.

102À l’étranger, l’information sur la crise alimentaire du Niger en 2005 a été massive et omniprésente. Mais elle diffusait « en boucle » une information peu variée. Elle s’agitait contre l’indifférence du monde dit « riche ». Elle s’apitoyait principalement sur le sort des enfants, incriminait la sécheresse et les criquets pèlerins et mobilisait pour une aide massive.

103Au Niger, la presse étrangère a certes permis d’alimenter le débat public et a provoqué des réactions multiformes au niveau des pouvoirs publics et de la société civile. Mais la presse nigérienne a des spécificités thématiques et éditoriales bien identifiables. Certes, le positionnement politique des organes joue un grand rôle, et ceux-ci ont orienté l’information selon qu’ils se situaient dans la mouvance politique au pouvoir ou dans l’opposition : certains médias locaux sont les porte-parole des pouvoirs publics, alors que pour d’autres, la crise alimentaire est un élément qui montre l’incapacité du pouvoir en place à gérer le pays.

104Mais il apparaît en tout cas que la presse nigérienne a traité de nombreux thèmes non couverts par la presse internationale. Il s’agit par exemple des contributions arabes et maghrébines, de la collecte d’un fonds de solidarité au niveau national, des personnalités qui sont venues au Niger, du favoritisme politique dans la vente des céréales à prix modérés, des détournements, et de bien d’autres thèmes encore, qui n’ont par contre pas intéressé la presse internationale au cours de cette crise.

Bibliographie

  • Boluvi, G.-M. (2001), « L’état des médias au Niger », Document de synthèse réalisé pour le compte du réseau de partenaires des médias africains, GRET, Paris.
  • Crombé, X. (2007), « Médecins sans frontière ou la politique de la crise », in Crombé et Jézéquel (éds).
  • Crombé, X. et J.-H. Jézéquel (éds) (2007), Niger 2005, Une catastrophe si naturelle, Paris, Karthala.
  • Egg, J. et al., (2006), « Évaluation du dispositif de prévention et de gestion des crises alimentaires du Niger », Rapport principal, IRAM, Paris.
  • Gazibo, M. (2007), « L’espace politique nigérien de la crise alimentaire », in Crombé et Jézéquel (éds).
  • Marthoz (2005), « La famine et le poisson rouge », communication présentée au colloque organisé par l’IUED de Genève, le 26 octobre 2005 sur : Niger 2005 : quelles leçons pour le Sahel ?
  • Tidjani Alou, M. (2007), « Niger : mutation du politique et émergence d’un nouvel acteur social », in État des résistances dans le Sud, Paris, Syllepse.

Date de mise en ligne : 01/09/2008

https://doi.org/10.3917/afco.225.0039

Notes

  • [1]
    Chercheur au LASDEL, enseignant chercheur à l’Université Abdou Moumouni, Niamey.
  • [2]
    Octobre 2004 : 1 ; février 2005 : 6 ; mars 2005 : 6 ; avril 2005 : 12 ; mai 2005 : 34 ; juin 2005 : 96 : juillet 2005 : 88 ; août 2005 : 179 ; septembre 2005 : 61 ; Octobre 2005 : 34 ; novembre 2005 : 17.
  • [3]
    Il aurait été intéressant de savoir comment la presse de la sous-région a traité de la crise alimentaire au Niger, notamment au Burkina Faso, au Mali ou au Nigeria.
  • [4]
    Les organes que nous avons consultés sont : AFP, Africom, Afrique verte, Air info, Alternative, Associative Press, BBC News, Courrier internationial, Daily Telegraph, Éclairage, Fews.net, France Soir, El Watan, Info Sud, Médecins Sans Frontières (MSF), Integrated Regional, information Network (IRIN), Jeune Afrique, La Croix, La Différence, La Griffe, La Hache, La Voix du Peuple, L’Action, L’autre Observateur, Le Canard Déchaîné, Le Constat, Le Démocrate, Le Figaro, Le Monde, Le Nouvel Observateur, Le Potentiel, Le Républicain, Le Sahel, Le Soleil, Le Témoin, Le Temps, Le Visionnaire, L’Écho des Continents, l’Enquêteur, L’Événement, L’Express, L’Expansion, L’Humanité, Libération, L’Opinion, Newsweek, Notre Cause, Papier d’angle, Paris Match, Radio Suisse Romande, Reportage, Reuters, RFI, Roue de l’Histoire, RTF, Sahel Dimanche, Sahel Horizon, Swiss Info, Syfia Niger, The Guardian, The Times, Tribune de Genève, Washington Post.
  • [5]
    « Le processus de sélection de l’information, de “gatekeeper”, traditionnellement assumé par les journalistes, est troublé par la prolifération de nouveaux médias – site Web, blog, ONG – qui sont capables non seulement de révéler les choix et donc les oublis des médias mais aussi de les contourner et de créer une médiasphère alternative » (Marthoz, 2005, La famine et le poisson rouge. communication présentée au colloque organisé par l’IUED de Genève, le 26 octobre 2005 sur : Niger 2005 : quelles leçons pour le Sahel ?).
  • [6]
    Il s’agit d’un problème récurrent qu’avait soulevé déjà le rapport Mac Bride dans le cadre du débat sur le Nouvel Ordre Mondial de l’Information et de la Communication (NOMIC) à l’UNESCO au début des années 1980.
  • [7]
    Cf. Egg. J. et al., 2006.
  • [8]
    Cf. Olivier de Sardan dans ce numéro.
  • [9]
    Depuis 2005, de nouvelles télévisions privées émettent à Niamey : Dounia TV, Canal 3, Bonferey.
  • [10]
    Le nombre de radios privées va croissant sur la bande FM.
  • [11]
    Il existe des dizaines de journaux privés. Certains paraissent à un rythme régulier depuis la création ; d’autres paraissent au rythme des opportunités offertes en termes de sponsoring. Cf. Boluvi, 2001.
  • [12]
    Integrated Regional Information Network.
  • [13]
    Cf. Crombé, 2008, p. 105-111.
  • [14]
    Il s’est engagé, notamment dans les médias français, un vrai débat sur la situation alimentaire au Niger, où intellectuels et journalistes s’interrogent sur les raisons de la crise et les moyens d’en sortir de manière durable. Cf. P. Bernard, « Niger : les leçons d’une “famine” annoncée », Le Monde, 5 août 2005 ; N. Funès, « Niger : les raisons d’un désastre », Le Nouvel Observateur, 11 août 2005 ; F. Koller, « Niger, les origines d’un désastre annoncé », Libération, 12 août 2005 ; J.-H. Jézéquel, « Niger : cruel développement », Libération, 16 août 2005 ; J.-P. Guengant, « Niger : Combien de famines encore ? », Le Monde, 18 août 2005 ; K. Annan, « La famine au Niger : nous sommes tous responsables », Le Monde, 23 août 2005 ; J. Morris, « Le Niger se meurt et le monde est sourd », Tribune de Genève, 10 août 2005.
  • [15]
    On sait aussi le Premier ministre a écrit aux chancelleries et représentations diplomatiques pour leur faire part de ses inquiétudes sur les risques de famine. Cf. La Roue de l’Histoire, 29 mai 2005, p. 5.
  • [16]
    Il s’agit d’un regroupement de diverses associations pour lutter contre les hausses de prix décidées par le gouvernement.
  • [17]
    Tidjani Alou, 2006.
  • [18]
    Cellule de Coordination du Système d’Alerte Précoce.
  • [19]
    Cf. l’analyse que fait Mamoudou Gazibo (2007) de la signification politique de cette controverse.
  • [20]
    Article publié sur le site du journal Le Monde le 1er août et mis à jour le 2 août.
  • [21]
    Crainte d’un coup d’État militaire rappelant le contexte de la prise du pouvoir par les militaires en 1974.
  • [22]
    Cf. infra, l’article mis en ligne par Libération le 12 septembre 2005.
  • [23]
    Action Contre la Faim.
  • [24]
    Cf. Delesalle, N., « La famine n’intéressait pas le JT », Télérama, n° 2907, 28 septembre 2005.

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