Notes
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[1]
Article rédigé à la suite du colloque GECOREV « Des instruments de gestion entre le hasard écologique et la nécessité politique », qui a eu lieu à Saint-Quentin-en-Yvelines du 26 au 30 juin 2006, bboutinot@ cirad. fr.
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[2]
Programme de gestion durable et participative des énergies traditionnelles et de substitution (PROGEDE). Financements : Crédits de la Banque mondiale, Fonds mondial pour l’environnement et Pays-Bas.
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[3]
Les forêts communautaires, d’après nos calculs à partir des données disponibles, représentent plus de la moitié (55 %) de l’espace forestier, au moins pour la région de Tambacounda (IREF Tambacounda, 2005, Gestion du domaine forestier, ch. 1, p. 28). La proportion est sensiblement la même dans la région de Kolda.
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[4]
Les surgahs sont des Peuls castés venant de Guinée qui ont une tradition de charbonniers.
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[5]
Une partie de cette étude a contribué à l’évaluation de la participation villageoise à l’aménagement forestier et de l’intégration du Progede à la politique de décentralisation, sur un financement de la Banque mondiale / Pays Bas (Boutinot, 2004, Contrat Progede-Cirad 001-04. Rapport final, Décembre 2004, Direction des Eaux et Forêts, Dakar. 151 p.).
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[6]
Cette réflexion entre dans le cadre de deux programmes de recherche sur la gestion décentralisée des ressources naturelles : l’un spécifiquement lié à l’économie politique de la filière charbon de bois au Sénégal : WRI-CIRAD-CODESRIA, 2004-2006, « Pour une gestion décentralisée et démocratique des ressources forestières au Sénégal », sur financement de l’Ambassade du Royaume des Pays-Bas ; l’autre dans une dimension comparative avec le Niger et le Mali, Action thématique programmée (ATP) 2004-2006, « Étude des transferts de gestion des ressources naturelles de l’État aux collectivités locales en Afrique de l’Ouest : Niger, Mali, Sénégal », sur financement de la Direction scientifique du CIRAD.
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[7]
Le Niger présente un taux d’urbanisation (y compris les centres urbains secondaires et les grands centres ruraux) de 21,2 % en 1994 mais néanmoins avec un taux d’accroissement annuel pour Niamey de 6 % (RPTES 1994, cité par Minvielle, 1999, p. 112).
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[8]
Un dixième domaine de compétence a été attribué et concerne la publicité (2003).
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[9]
Même si au Niger l’expérience antérieure de gestion des ressources ligneuses initiée par la coopération danoise dès 1989, évoquait en termes de gestion décentralisée une gestion du bois qui en fait s’organisait à l’échelle villageoise.
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[10]
Boutinot, 2002. Il faut prendre avec précaution ces pourcentages, bien qu’ils émanent de la DEFCCS, à travers le Progede. Ils ne comptent pas les zones de forêts claires et des reliques de forêts denses situées dans le sud du pays, en Casamance (Ribot, 1990, p. 145).
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[11]
Article 23.
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[12]
Les premières orientations spatiales des exploitants ont toutefois été expérimentées en 1979 dans la forêt de Koupentoum (région de Tambacounda). Mais sans réel inventaire écologique, elles ont donné lieu à des dégradations massives autour des villages (cf. Ribot, 1990, p. 154).
-
[13]
Ba (2006).
-
[14]
65-078 du 10 février 1965.
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[15]
Article D 38 et 39.
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[16]
Article D 42.
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[17]
Article D 43.
-
[18]
Article L 74-46 du 18 juillet 1974, Article L 28.
-
[19]
Le transport est encore un phénomène spécifique au système oligopolistique des patrons charbonniers sénégalais. Il est, semble-t-il, intégré aux entreprises d’exploitants et relève de fait d’un autre monopole associé aux patrons les plus influents.
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[20]
Le nombre de patrons actifs a été évalué à 600 en 2006 par Ribot (à paraître). 4 800 surgahs, environ 120 contremaîtres et intermédiaires informels, 300 coxeurs et 850 détaillants.
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[21]
Les quotas d’encouragements distribués ne sont pas systématiquement ni nominativement spécifiés dans les arrêtés annuels portant organisation de la campagne d’exploitation. Mais quand ils le sont (arrêtés de 2000 et de 2002), ce sont toujours les huit plus importants qui reviennent.
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[22]
Plan de gestion de la ZPC de Missirah, avril 2005, IREF de Tambacounda.
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[23]
Article 45 du code de la décentralisation.
-
[24]
Les relations de clientèles qui structurent la filière du charbon de bois structurent également, sinon principalement, la distribution des quotas.
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[25]
Ce plan peut être un plan simple, mais dès lors qu’il s’agit de zones de production de charbon, ce sont des plans complexes qu’imposent les services forestiers, à partir de l’article R 14 du code forestier de 1998. « Pour les forêts relevant de leur compétence, les collectivités locales élaborent ou font élaborer des plans d’aménagement. Elles peuvent en assurer directement la réalisation ou bien confier, par contrat à des tiers, l’exécution du plan de gestion. »
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[26]
Depuis les textes de lois de la décentralisation et le nouveau code forestier, le service des Eaux et Forêts au Sénégal a engagé de nombreuses activités de formation pour tous ses agents aux approches participatives (Boutinot, 2002). Sur l’analyse de ces approches, cf. Boutinot et Diouf (2006).
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[27]
Entretien avec un chef d’une brigade forestière d’une région productrice de charbon de bois (décembre 2005).
-
[28]
Ibid.
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[29]
Nous présentons ici le cas d’une des quatre forêts dont les plans d’aménagements ont été opérationnels en 2004.
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[30]
Rapport mensuel de Saré Gardi (juillet 2002), Progede Kolda.
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[31]
D’après l’animateur du Progede, les villageois ont vendu une partie de leur bétail pour financer le transport de leur production jusqu’à Dakar.
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[32]
Pour la ZPC de Missirah (région de Tambacounda) l’argent du Fonds est géré par le chef de brigade des E&F. USAID, Programme Agriculture-Gestion des ressources naturelles « Wula Nafa », Rapport sur la tenue du Forum communautaire sur la ZPC de Missirah, 5 mars 2006, p. 5.
-
[33]
Entretien avec un fonctionnaire de l’IREF de Tambacounda, 2005.
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[34]
Dont deux dans la région de Kolda et deux dans la région de Tambacounda (bien qu’une seule ait réellement fait l’objet d’un protocole de gestion). Elles couvrent, pour l’heure, des superficies de 2 700 hectares et de 3 000 hectares dans la région de Kolda et de 1 904 hectares dans la région de Tambacounda.
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[35]
Appui budgétaire des Pays-Bas au Sénégal. Document final avril 2005, C.2 b « Critères de bonne gouvernance dans le secteur de l’environnement », p. 47.
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[36]
Entretien avec un représentant du Progede, décembre 2005.
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[37]
Le coût moyen d’aménagement d’une ZPC est estimé à 805 000 francs CFA par parcelle. La parcelle s’élevant en moyenne à 639,66 hectares. Le calcul des superficies moyennes d’une parcelle est effectué par l’auteur à partir du document de l’IREF de Tambacounda, 2005 « Plan de gestion de la ZPCde Missirah » p. 15.
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[38]
Cf. Procès verbal n° 04 du Conseil rural de Missirah lors de sa séance du 29 juin 2006 : 20 élus présents sur 32. Accord pour la ZPC à 13 voix sur 20. Au demeurant, les signatures des présidents des Conseils ruraux d’une des forêts aménagées du Progede ont également fait l’objet de délibérations diligentées organisées par les services forestiers (Boutinot, 2004).
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[39]
« Plan de gestion de la ZPC de Missirah », op. cit., p. 14.
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[40]
Selon les termes d’un cadre des services forestiers, Atelier national sur la gestion décentralisée des ressources forestières au Sénégal organisé par le programme WRI-CIRAD-CODESRIA le 8 mai 2006 à Dakar.
-
[41]
D’après un cadre de la DEFCCS à Dakar.
Introduction
1Depuis le début des années 1970 (Conférence de Stockholm, 1972) les questions environnementales ont fait leur apparition dans les préoccupations internationales, tant dans les pays du Nord que dans ceux du Sud. Ces préoccupations ont été réaffirmées à travers la diffusion de la notion de « développement durable » au cours de la Conférence des Nations unies sur le développement et l’environnement qui s’est tenue à Rio de Janeiro en 1992 puis lors du sommet de Johannesbourg en 2002. Les interventions des institutions de Bretton Woods se sont affirmées depuis la décennie 1990 dans le domaine de l’environnement en même temps qu’évoluaient le contexte de l’aide au développement, la gestion des crises post ajustement structurel, et les réformes mêmes dont faisaient l’objet ces institutions (Froger et Andriamahefazafy, 2003, p. 3). Institutions qui ont affirmé de plus en plus leur plein pouvoir au niveau international (Tidjani Alou, 2001).
2Toutefois, dans la plupart des pays, notamment sahéliens, ce sont les sécheresses des années 1970, mais également les crises pétrolières qui ont invité les États à se préoccuper de l’environnement. Ainsi, à la même époque apparaissent les premières politiques énergétiques (Minvielle, 1999, p. 60). Si elles avaient surtout pour objectif de chercher des équilibres macro-économiques suite à l’augmentation du prix du pétrole, elles se sont par la suite intégrées dans les préoccupations environnementales.
3Les premières formes d’intervention de la Banque mondiale dans le domaine de l’environnement ont ainsi concerné les politiques énergétiques, à travers les programmes conjoints PNUD / Banque mondiale d’aide à la gestion du secteur énergétique (ESMAP) à partir de 1983. Ces programmes ont permis d’accumuler des données d’information sur l’évolution du secteur de l’énergie et des différents acteurs économiques concernés, mais ils n’ont guère favorisé, en dépit des financements investis, « la mise en place de politiques, de stratégies et de programmes énergétiques bien définis et bien exécutés » (résumé du projet, nd, cité par Minvielle, 1999, p. 68).
4Considérant l’importance de la part (90 % d’après Minvielle, 1999, p. 115) des énergies domestiques (bois et charbon de bois) dans la consommation des ménages en Afrique sahélienne et au Sénégal, les programmes d’appui se sont tournés, dix ans après, vers une évaluation spécifique de ces formes d’énergie afin d’améliorer le secteur. C’est ainsi que le programme RPTES (Revue des politiques et stratégies dans le secteur des énergies traditionnelles) a été mené par la Banque mondiale entre 1993 et 1995 dans cinq pays du Sahel. Il a conduit à l’élaboration d’un programme pour « la gestion durable et participative des énergies traditionnelles et de substitution ». Appelés Projet Énergie II au Niger et Projet Energie domestique au Mali et Progede [2] au Sénégal, ces projets forestiers étaient prévus sur 7 ans et leur coût était estimé à 9 milliards de francs CFA (Minvielle 1999, p. 64).
5Construits sur les mêmes principes, ces projets avaient pour objectif d’aménager les espaces forestiers susceptibles de produire du bois et/ou du charbon pour les besoins nationaux, notamment urbains, dans l’optique d’une gestion rationalisée et durable des ressources ligneuses. Ils ont été adoptés, appropriés et adaptés aux contextes nationaux, notamment dans le cadre des politiques de la décentralisation.
6La particularité du système de production forestier au Sénégal s’illustre dans l’oligopole que forment les grands exploitants charbonniers traditionnels, qui s’accommodent mal de la restriction des espaces et du transfert d’autorité sur la gestion des ressources naturelles dévolues aux collectivités locales.
7Dans l’ajustement difficile entre les politiques sectorielles et les textes de lois de 1996 sur la décentralisation, le code forestier de 1998 invite désormais aux communautés rurales des plans de gestion pour que celles-ci puissent assumer leur compétence sur les forêts qui relèvent de leur autorité. Ainsi quatre plans d’aménagement ont été finalisés en 2004 et trois autres sont en cours de finalisation. L’ensemble de ces forêts aménagées couvrira environ 300 000 hectares de forêt, soit une superficie d’environ 20 % des forêts communautaires [3].
8Si ces espaces aménagés ne représentent pas tout l’espace potentiel de production de charbon de bois, ils concernent toutefois des lieux facilement accessibles et bien desservis par la route Kaolack-Tambacounda-Kolda-Ziguinchor et les pistes adjacentes, et surtout, ils entament, dans leur principe, le monopole de la filière jusque-là jalousement détenu par les exploitants urbains.
9En effet, non seulement les plans d’aménagement et leur formalisation juridique et institutionnelle donnent aux conseils ruraux l’opportunité de prélever pour la première fois une taxe sur les sacs de charbon produits à la base, mais ils comportent également le risque de voir les villageois, désormais formés à la production de charbon, concurrencer les exploitants traditionnels et leurs employés appelés sourgahs [4], et investir la filière jusqu’à la commercialisation des produits en zone urbaine. Ce mouvement de fond, initié dès la mise en œuvre des premiers plans d’aménagement, a donné à voir un vacillement du rapport de force ancien entre les exploitants privés, les communautés rurales, les villageois et les services forestiers. Dès lors, les ZPC ou « zones de production contrôlée » dont les normes de gestion sont allégées en regard des plans d’aménagement, apparaissent alors tel un modus vivendi entre les communautés rurales et les exploitants traditionnels dans le contexte actuel de la décentralisation. Notre article n’abordera pas l’analyse de l’efficacité de tels aménagements en termes écologiques, qu’ils soient ou non d’une réelle complexité technique, pas plus qu’elle ne se prononcera sur leur bien-fondé, voire sur leur actualité en 2006 après avoir été l’option prioritaire des bailleurs de fonds au début des années 1990 (Noppen et al., 2003, p. 9).
10Nous nous attacherons plus particulièrement aux réformes du système de gestion des forêts dans leur processus de mise en œuvre, c’est-à-dire « aux actions en train de se faire », dans une approche des politiques publiques qui rend compte des interactions entre la base et les décideurs et « qui rompt avec la vision hiérarchique de l’action publique » et l’idée d’une faible pénétration des préoccupations nationales au niveau local (Duran, 2004). Et nous montrerons, dans le champ politique de la gestion des ressources naturelles, les luttes entre les acteurs dont « il faut chaque fois rechercher les formes spécifiques entre le nouvel entrant qui essaie de faire sauter les verrous du droit d’entrée et le dominant qui essaie de défendre le monopole et d’exclure la concurrence » (Bourdieu, [1984], 2002, p. 113).
11Notre étude relève d’investigations qui se sont étendues entre 2003 et 2005 et qui se sont basées sur des observations participantes lors des réunions relatives à la mise en place des contrats de gestion dans le cadre de l’aménagement des forêts communautaires par le Progede, dans la région de Kolda, mais aussi de Tambacounda, lors de l’évaluation du Progede par une délégation de la Banque mondiale, et lors des séances de délibération des conseils ruraux.
12Elle a aussi été le lieu d’entretiens réalisés tant auprès des villageois, charbonniers ou non, des surgahs et des patrons charbonniers, des représentants des comités villageois de gestion, des présidents et conseillers ruraux, régionaux, auprès des agents forestiers et des représentants du Progede, de la Direction des Eaux et Forêts et des bailleurs de fonds [5]. Elle puise également ses données dans un grand nombre de rapports rédigés par les animateurs de terrain jusqu’aux concepteurs du projet, ainsi que dans les textes de lois. Elle s’appuie ainsi sur une proximité prolongée, aussi bien dans les villages riverains, et plus spécifiquement dans ceux de l’une des forêts aménagées par le Progede, qu’auprès des services forestiers [6].
13Choisissant de rendre compte des actions dans l’articulation de leurs dimensions hétérogènes, c’est-à-dire ici dans leurs dimensions concrètes et les registres de justification dans lesquels elles s’inscrivent, notre propos s’attache à montrer la complexité d’une réforme imposée en grande partie par les bailleurs de fonds où les résistances qu’elle engendre proviennent aussi bien des acteurs « à la base » que de la sphère des décideurs politiques.
14Notre article se scindera en trois parties. La première partie présentera les principaux instruments des politiques de gestion du système forestier au Sénégal, notamment les aménagements forestiers et le système de quota.
15Il ne s’agit pas de « plaquer les structures objectives extérieures », décrites dans la première partie, sur les pratiques des individus qui apparaissent dans la seconde, mais bien de montrer, en retraçant la démarche de mise en œuvre des projets d’aménagement forestier de la Banque mondiale dans le contexte de la décentralisation au Sénégal, les « actions au quotidien qui s’inscrivent dans un champ de force » (Alvarez-Pereyre, 2001, p. 20) et qui concourent au vacillement des rapports de pouvoir entre les acteurs de la filière dans une dynamique d’interaction entre le local et le national, voire l’international.
16La troisième partie s’attachera plus particulièrement à décrire, mais aussi à interpréter à partir de la conception des aménagements forestiers, la nature du compromis. Plus qu’un modus vivendi, les Zones de production contrôlée (ZPC) apparaissent davantage comme une alternative, voire comme un anditode aux aménagements si l’on considère ces derniers en tant que découpages de zones de production selon des tarifs fiscaux différents et dans les changements institutionnels de la décentralisation, remettant en question la cohérence du système d’action dans lequel elles trouvaient à l’origine leur sens.
Les instruments des politiques de gestion forestière
17Le Sénégal se distingue de ses voisins pour le moins sur deux aspects essentiels. D’une part, un taux d’urbanisation fort important et en croissance rapide. Estimée à 25 % de la population en 1987 (Ribot, 1990, p. 140), la population urbaine est évaluée en 1998 à 41 %, Dakar connaissant un taux d’accroissement annuel de l’ordre de 4,2 % (PNUD, 1996, cité par Minvielle, 1999, p. 58-59) [7]. D’autre part, une préférence de la part des ménages urbains, de l’ordre de 80 % à 90 % d’entre eux, pour la consommation de charbon de bois, tandis que les zones rurales sénégalaises, comme l’ensemble des pays comme le Niger et le Mali, consomment des combustibles sous la forme de bois de feu.
18Mais les différences du Sénégal tiennent également au fait de l’ancienneté relative des processus de décentralisation administrative et politique, où depuis 1996 les collectivités locales (communes rurales) sont dotées d’organes autonomes pourvus de neuf domaines de compétences légales transférées [8], dont celui de la gestion des ressources naturelles et d’un conseil élu au suffrage universel. Au Mali et au Niger, les processus de décentralisation sont plus récents et les compétences transférées aux collectivités locales nouvellement élues n’ont pas fait l’objet de décret d’application jusque-là [9]. Mais ce n’est pas la seule distinction car, contrairement au Niger et au Mali, la filière de charbon de bois au Sénégal connaît une structuration fort ancienne et concentrée dans les mains d’un oligopole puissant, « disposant de redoutables moyens de pression sur les pouvoirs publics » (Ngom, 1996, p. 9-10, cité par Minvielle, 1999, p. 116 ; Ribot, 1990).
19Le Sénégal était considéré comme un pays boisé jusque dans les années 1950, bien que comprenant surtout des savanes arbustives et arborées, excepté en Casamance. Les préoccupations environnementales relatives à l’exploitation forestière pour les combustibles ligneux ont peu à peu grandi au constat des superficies déboisées annuellement. En 1978, le couvert forestier au Sénégal était estimé à 71 % de la superficie totale du pays » (Minvielle, 1999, p. 113), ce taux diminue environ de 1,2 % par an (Banque mondiale 1983, p. 22, cité par Ribot, 1990, p. 145) Ces chiffres représentent une déforestation annuelle approximative de 165 000 hectares en 1990 (Ribot).
20Aujourd’hui, les ressources forestières, qui ne s’étendraient plus que sur 25 % [10] de la superficie du Sénégal, évoquent une nette régression du fait de la conjugaison de nombreux facteurs (sécheresse, feux de brousse, défrichements agricoles et approvisionnement en combustibles ligneux). On estime à 80 000 hectares les superficies déboisées annuellement. Jusqu’en 1990, les zones de production de charbon incluaient Saint Louis, Louga, Kaolack en plus des régions de Kolda et Tambacounda situées respectivement à 500 et 750 kilomètres au Sud du pays. Jusqu’en 1997, elles intégraient encore Kaolack, dans de faibles proportions, et ne comprennent plus que les deux dernières depuis la campagne de 1998.
21À partir de ce constat conjugué aux nouvelles lois sur la décentralisation, les bailleurs de fonds ont invité les États à réformer les systèmes de production forestière en intégrant l’idée d’une gestion rationalisée basée sur l’aménagement des forêts dans un souci de durabilité.
La logique de l’aménagement forestier
22Ainsi, les aménagements des espaces forestiers réalisés par le Progede dans les régions ouvertes à la production de charbon suivaient une logique d’ensemble qui, à l’instar des expériences du Niger et du Mali, devaient former un système dans lequel les zones aménagées ne prenaient leur sens que par rapport aux zones non aménagées, à partir d’un système de taxation différentielle auquel sont soumis les transporteurs au Niger et au Mali, et les grands patrons au Sénégal.
23Au Niger, la logique d’ensemble prévoyait des zones contrôlées (c’est-à-dire aménagées et gérées par les SLG, les structures locales de gestion villageoises), des zones orientées, en voie d’aménagement et gérées par les services forestiers, et des zones non aménagées. À la différence du Sénégal, le Niger produit et consomme essentiellement du bois mort et la filière n’est pas structurée au-delà d’un circuit de transporteurs et de commerçants. Les producteurs à la base sont les villageois résidents dans les zones d’approvisionnement.
24Ainsi, dans le contexte nigérien, « il s’agissait surtout d’encourager les commerçants de bois à s’approvisionner sur les marchés ruraux contrôlés et, ce faisant, de les amener à s’approvisionner dans des zones forestières où les ressources encore existantes devaient absolument faire l’objet d’une gestion mesurée et durable » (Noppen et al., op. cit.). Selon un tarif dégressif, les taxes sont moins élevées quand les ressources sont prélevées dans les marchés contrôlés et en fonction de la distance de ces marchés par rapport à la capitale ou au centre urbain concerné. Quant aux zones non contrôlées, non seulement la taxe y est trois fois plus chère mais elle demeure la même quelle que soit la distance entre le lieu de coupe et le centre urbain de consommation (Noppen et al., 2003, p. 7).
25Au Sénégal, la structuration n’inflige pas les taxes au transporteur et, partant, ne distingue pas les lieux de coupe selon la distance avec les centres urbains. Elle renvoie cependant à d’autres interrogations.
26Fixés par décrets et non par la loi de l’offre et de la demande, les prix, les taxes et les redevances forestières n’ont pour ainsi dire pas subi des modifications jusqu’en 1996. En lien avec les réformes de la décentralisation, la première taxe différentielle a été instituée par un décret datant du 9 juillet 1996, réitéré dans l’arrêté portant organisation de la campagne d’exploitation forestière de 1998. Une taxe de 700 francs CFA par quintal [11] était ainsi prévue pour les productions réalisées dans les forêts dont l’aménagement est simplifié. Mais ces mesures sont restées sans suite du fait qu’il n’existait pas d’espaces aménagés [12].
27En 2001, cependant, et faisant suite au nouveau code forestier de 1998 en vigueur, une réévaluation des taxes apparaît dans un nouveau décret, discriminant précisément les zones de production selon leur aménagement, bien que toujours inexistants dans la réalité.
28La nouvelle catégorie de zone de production contrôlée (ZPC) et la taxe associée apparaissent en 2004 à la faveur des premiers plans d’aménagement forestiers mis en œuvre par le Progede dans quatre communautés rurales des régions de Kolda et de Tambacounda.
Zones de production de charbon de bois
Zones de production de charbon de bois
29Avant le décret de 1996, le montant des taxes était minime, les lieux de production n’étaient pas limités et peu contrôlés. La taxe ne structurait pas le système de production. De fait, et en conformité avec la loi, la nouvelle taxation axée sur la différenciation des zones de production avait l’objectif sous-jacent de remplacer l’ancien système basé sur la distribution de quotas de charbon de bois aux entreprises et aux coopératives des grands patrons charbonniers.
30L’article 66 du code forestier de 1998 stipule : « Afin de permettre la continuité dans l’approvisionnement en charbon de bois des villes du Sénégal, l’exploitation sous sa forme consistant à allouer des quantités de charbon de bois par exploitant ou par organismes d’exploitation, reste possible dans les forêts non aménagées relevant de la compétence des collectivités locales pour une période de trois ans à partir de l’entrée en vigueur du présent code. » Autant dire que, en 2006, le système du quota est depuis 5 ans dans l’illégalité [13].
Le système de quota
31Depuis les indépendances dans les pays francophones d’Afrique de l’Ouest et du Centre, les dispositifs de gestion des ressources naturelles étaient caractérisés par une centralisation, une gestion directe et répressive de la part des services forestiers nationaux, poursuivant la politique coloniale d’exclusion des usagers de l’exploitation de la ressource et limitant ces derniers à l’usufruit pour les usages domestiques (Bertrand, 1998 ; Ribot, 1990, 1999, 2001).
32L’exploitation de la ressource forestière proprement dite et l’histoire de la production du charbon de bois au Sénégal nous rappellent ainsi leur lien étroit avec la mise en valeur économique du pays à l’époque coloniale. Le premier charbonnier était alors apparu à la faveur de la construction du chemin de fer Dakar-Bamako. La main-d’œuvre réquisitionnée à l’époque venait de la Guinée voisine, les Peuls du Fouta Jalon, employés au Sénégal par les Peuls de caste noble (Ribot, 1999).
33Ensuite, la politique de l’État post-colonial a commencé à réglementer l’exploitation à partir d’un décret de loi de 1965 [14] instituant l’obtention d’un permis de coupe [15], d’un permis de circulation [16] et d’un permis de dépôt [17] pour toute activité commerciale d’exploitation des ressources ligneuses. La loi de 1974 oblige ensuite l’exploitant forestier à se munir d’une carte professionnelle [18].
34Dès 1980, un système de quota est explicitement institué par la Direction des Eaux et Forêts afin de réguler la production entre le nombre grandissant des patrons charbonniers. L’union nationale des exploitants forestiers (UNEF) fut créée en 1982 et dès 1983, les patrons charbonniers durent se regrouper en coopératives. Elles venaient s’ajouter, sans les faire disparaître, aux premières sociétés dont les modes de constitution et de reproduction avaient relevé de mécanismes politiques historiquement légitimés et de la capacité des patrons charbonniers à s’acquitter des droits d’exploitation.
35Dans la démarche classique, l’exploitant paie une redevance de 500 francs CFA pour renouveler annuellement sa licence d’exploitation. Cette taxe était de 3 000 francs CFA en 1987 (Ribot, 1990, p. 152). Ensuite, il est notifié à l’exploitant une quantité de charbon (quota) qu’il est autorisé à produire et pour laquelle il s’acquitte d’une taxe de 150/quintal (avant la distinction des zones aménagées) eu égard au nombre de surgahs déclarés. Ensuite, il fidélise par des avances en nature que ceux-ci doivent rembourser sur la production. Les autres charges du patron concernent l’intéressement du contremaître et le transport [19].
36En 1987, le Sénégal comptait 83 coopératives ou GIE et 8 entreprises privées (République de Sénégal, 1987 cité par Ribot, 1990, p. 159). En 2004, le nombre d’organismes d’exploitation de charbon de bois s’élevait à 146 se répartissant en 53 GIE, 85 coopératives et 8 sociétés (République du Sénégal, 2005). De moins de 100 organismes en 1987, le Sénégal en comptait à peine 20 de plus en 2005 dont essentiellement des GIE [20]. La différence entre ces trois structures tient au fait que les redevances ne s’engagent pas au même moment de la production. Les sociétés et les GIE doivent payer au moment de leur création une redevance de l’ordre de 100 000 francs CFA, quel que soit le nombre de surgahs employés. En revanche, les coopératives paient d’emblée une taxe de 500 francs CFA pour chaque membre et partant pour chaque surgahs qui sont ainsi fichés et la capacité de production d’une coopérative se trouve ainsi calculée en fonction du nombre de membres. Sachant qu’un surgah est en mesure de produire 300 quintaux, il est donc indirectement l’indice de mesure de la capacité de production de la coopérative, et, partant du montant du quota alloué. Cette forme d’organisme avait bien été créée en 1983 dans le but de mieux contrôler la production. Les créations de GIE ont progressivement augmenté entre la fin des années 1980 (2 en 1989) et la période de l’alternance (2000-2007). Estimé à 9 en 1997, le nombre de GIE est passé à 29 en 2000, 35 en 2002 et 56 en 2005. Cette évolution témoigne de la tendance de l’oligopole à s’opposer à l’élimination du système du quota [21].
37Le système de quota autorise une certaine forme de fraude que les documents de la Direction des Eaux et Forêts de la Chasse et de la Conservation des sols (DEFCCS), bien qu’ayant fait preuve d’une réelle amélioration en termes d’information depuis les 5 dernières années, ne parviennent pas à masquer totalement. Ces documents donnent à voir certaines imprécisions qui peuvent être justifiées, en partie, par la complexité des procédures. Quelques-unes de ces imprécisions sont lisibles à travers des écarts, d’une part, entre les quotas de production alloués chaque année et leurs taux réels d’exécution et, d’autre part, entre les quotas alloués et le niveau de la consommation nationale de charbon de bois.
38Les taux d’exécution des quotas que nous avons pu relever dans les documents de bilan de campagne forestière de 2000 et 2004 nous indiquent de fortes variations. Ainsi, en 2000, le taux d’exécution des 800 000 quintaux alloués, s’élève à 58 %. Tandis qu’en 2001, ce taux d’exécution s’élèvent à 96 % pour un quota de 500 000 quintaux.
39La réduction du quota annuel justifie-t-elle les meilleurs résultats ou bien donne-t-elle à voir une tentative pour masquer les fraudes en jouant, en amont, sur la quantité de quotas alloués annuellement de manière officielle ? Nous pouvons supposer que les justifications des performances environnementales demandées par les bailleurs de fonds en termes de résultats et non en termes de moyens mis en œuvre pour les atteindre (Froger et al., 2001), ne sont pas sans lien avec cette situation.
40La complexité des procédures explique sans doute une partie des écarts car les taux d’exécution d’une campagne de production dépendent de plusieurs facteurs. N’étant pas calculés sur l’année civile, ils dépendent de la date de démarrage de la campagne, et, partant, de la date du calcul des taux d’exécution (juillet ou décembre). Ils dépendent également des financements que peuvent avancer les exploitants. En 2003, par exemple, un cadre de l’inspection forestière nous indiquait qu’à peine 50 % de la production avait été réalisée dans la région de Tambacounda et il attribuait cette maigre performance à la faible capacité financière des exploitants en début de campagne.
41Pourtant les taux d’exécution en 2000 ont été précisés dans un document datant du mois de décembre de la même année, avec arrêté portant organisation de la campagne d’exploitation notifié le 21 mars 2000. Ce qui ne préjuge pas d’un retard exceptionnel par rapport à d’autres campagnes. Mais la conclusion du document qui relève les indices de la fraude et nous explique que le faible taux d’exécution n’empêche pas le ravitaillement normal du marché national en charbon de bois, est ainsi formulée « les quantités importantes de permis de coupe non circulés et non déposés en début de chaque campagne d’exploitation forestière explique la non-incidence du faible taux d’exécution réel sur le ravitaillement correct du marché en charbon de bois. La maîtrise de cette situation s’impose pour un meilleur assainissement de l’exploitation forestière. Elle passe par l’affectation, aux organismes, de quotas réellement exploitables au cours de la période retenue pour chaque campagne » (RdS, 2000, p. 17).
Écarts entre les quotas alloués, produits officiellement et l’évaluation de la consommation nationale
Écarts entre les quotas alloués, produits officiellement et l’évaluation de la consommation nationale
Note : les années 1, 2 et 3 correspondent respectivement aux années 1995, 2000, 2005.42Les niveaux de consommation ont été évalués en 1995 à 330 000 tonnes de charbon et 1,5 M de tonnes de bois (Minvielle, 1999, p. 115). D’après un cadre de la direction des Eaux et Forêts, ces chiffres « n’ont pas été réactualisés. Il y a un système d’information qui n’est pas au point, Il n’existe pas de bon système de collecte, il y a des problèmes de remontée de l’information, dans le traitement des données et dans leurs diffusion ». Ce sont en effet les mêmes chiffres qui sont avancés en 2005 dans les documents des services forestiers [22].
43Mais en se référant au taux d’accroissement annuel de la population urbaine au Sénégal, le niveau de consommation nationale peut d’autant plus aisément être revu à la hausse que les efforts réalisés au niveau de la demande, sur la diffusion des combustibles de substitution, n’ont pas produits les effets attendus du fait du prix compétitif maintenu sur le charbon et la faible part des ménages urbains à utiliser le gaz (Djigo, 2003, p. 45). Même si ce dernier produit apparaît dans les usages domestiques des catégories sociales les plus aisées de Dakar, et bien qu’il soit subventionné, il n’y entre qu’en substitution partielle du charbon utilisé quotidiennement.
44Il est intéressant de noter que le montant des quotas alloués aux exploitants suit ainsi une courbe inverse à la consommation nationale de charbon de bois. Si la baisse du montant des quotas est justifiée au sein des services forestiers par le besoin de réduire la production dans le souci de la préservation du potentiel forestier (Ba, 2006), force est de constater que la relation de cause à effet n’est pas évidente et que le différentiel laisse supposer une production illégale de charbon importante et en augmentation. En effet, la pertinence de tels écarts est à lire dans la différence entre le quota alloué annuellement et le niveau de consommation. « La non-application des règlements peut, en soi, constituer un aspect important du contrôle des ressources », nous rappelle Ribot (1995, p. 17). D’autant plus que chaque année une part de quota appelé « quota d’encouragement » laisse une marge de manœuvre supplémentaire au service forestier dans ses modes d’attribution. Moyen de pression politique pour les uns, moyen de capter des rentes pour les autres, les écarts constatés entre le montant des quotas et les niveaux de consommation indiquent les formes sélectives d’accès au marché et participent du système clientéliste structurant la filière.
45Cette marge de fraude potentielle nous donne également à comprendre pourquoi le quota ne s’oppose pas uniquement à la logique de l’aménagement des zones de production mais aussi aux lois sur la décentralisation, puisque l’aménagement est lié au territoire, et par conséquent aux autorités qui en ont la charge. En effet, l’augmentation de l’écart entre le montant des quotas annuels et la consommation urbaine n’est pas sans lien avec l’obligation légale [23] de respecter la compétence des Conseils ruraux dans la gestion des ressources naturelles. Et l’article 46 du même code stipule que « le président du Conseil rural a pour compétence de délivrer les autorisations préalables à toute coupe d’arbres dans le périmètre de la communauté rurale en dehors du domaine forestier de l’État » (RdS 1998).
46On comprend qu’avec la survivance du système de quota, les taxes différentielles des zones aménagées sont amenées à rencontrer des difficultés dans leur objectif de restructurer la filière de production. Officiellement [24], seuls les résultats de la campagne en cours permettent aux exploitants d’obtenir le même quota ou plus l’année suivante. Cependant, même lié à un système de patronage et de mise au travail d’employés contraints dans des relations de « crédit-travail » (Bardhan, 1980, cité par Ribot, 1990, p. 155), le quota se trouve désormais mis en question à travers les processus de transfert de gestion aux collectivités locales élues.
Les aménagements forestiers et la décentralisation
47Les quotas sont des quantités de stères de bois ou de charbon autorisés à la vente quels que soient les lieux de coupe et les superficies d’exploitation nécessaires pour les obtenir (Ribot, 1990). En cela ils s’opposent à l’aménagement forestier basé sur les superficies de production qui ont fait l’objet, au préalable, d’un inventaire des ressources, des essences et de leur potentiel de reproduction. Les aménagements sont, de fait, associés à la délimitation d’une zone d’exploitation et partant à l’identification d’un territoire et de l’autorité qui en a la charge. Dans le dispositif de la décentralisation, les aménagements forestiers se réalisent en dehors des forêts classées, gérées par les services forestiers, sur les terres communautaires. Ils permettent aux collectivités locales, de percevoir une part des taxes sur la production. Dès lors que les premiers aménagements forestiers ont été mis en œuvre, en donnant lieu à des formes contractuelles de gestion au niveau local, ils ont modifié les rapports de force entre les acteurs, et ont donné à voir les premières formes de résistance.
L’intégration des aménagements dans les processus de gestion décentralisés : de nouvelles clés de répartition des recettes forestières
48Si les forêts communautaires relèvent depuis les lois de la décentralisation de l’autorité des Collectivités locales élues, un décret (R 14) du code forestier datant de 1998 stipule toutefois qu’elles ne peuvent gérer leurs forêts que si ces dernières ont fait l’objet d’un plan de gestion [25]. Cependant, la rencontre des politiques sectorielles avec celles de la décentralisation, de la bonne gouvernance et de la promotion de la participation des populations à la gestion des affaires publiques locales, présente des ajustements délicats que le statut de projet de développement autorise.
49Le Progede est un projet de développement qui, dans les faits, autorise les agents forestiers à maintenir leur autorité sur les forêts communautaires tout en répondant aux exigences de la promotion participative [26]. Ainsi, le Progede a organisé les populations en comités de gestion (CVGD) à l’échelle des villages riverains du massif forestier délimité pour l’aménagement. Le choix de l’échelle villageoise renvoie à plusieurs ordres de justification. De manière patente, elle est considérée comme une base d’intervention à dimension humaine, et dans la vulgate du monde développementaliste, elle est l’expression d’une idéologie communautariste notamment lorsqu’il s’agit de gestion des ressources naturelles (Bako Arifari et Le Meur, 1998) et apparaît, de manière récurrente, comme le lieu idéal de la démocratie.
50Mais en dehors de cet affichage idéologique, ce choix n’est pas sans lien avec le système de production de charbon de bois. Historiquement, la distribution des quotas suivait directement l’accord des chefs de village avec lesquels les services forestiers font depuis longtemps « les salutations d’usage » [27] qui conviennent en pareille circonstance et qui sont « la moindre des choses […] avant de venir installer les employés (surgahs) des grands patrons […]. Depuis que je suis là, je n’ai pas rencontré de village qui ait refusé, car il y a un travail de rapprochement de la part de l’agent qui se fait avant l’installation des surgahs » [28]. L’ancienneté des relations entre les patrons charbonniers, les agents forestiers et les chefs de village, peut expliquer ainsi que le choix de l’échelle villageoise reste étroitement lié aux stratégies d’accès à la ressource. Cependant, la création des comités villageois de gestion (CVGD), fédérés dans un comité inter-villageois (CIV) dans le cadre du projet d’aménagement forestier avait pour buts, d’une part, de sensibiliser et d’organiser les populations villageoises dans des activités de surveillance et d’entretien de leurs espaces forestiers selon les modalités prévues dans le plan d’aménagement et, d’autre part, de les faire participer à la production du charbon de bois et de les inviter à bénéficier des retombées financières de la production à travers la captation des taxes domaniales mais également à partir de la vente de leur production.
51Dans ce contexte, quelque peu en marge des nouvelles lois sur la décentralisation, les protocoles d’aménagement ont fait l’objet de négociations au cours de plusieurs réunions au village [29] afin d’ajuster progressivement une clé de répartition des recettes potentielles respectant les différents groupes d’acteurs. Suite à de nombreuses négociations, parfois conflictuelles, au cours desquelles les présidents des Communautés rurales concernées et les producteurs charbonniers villageois ont fait valoir leurs droits, le code local de gestion de la forêt aménagée a finalement institué une clé de répartition des recettes comme suit :
Clé de répartition des recettes d’exploitation forestières
Clé de répartition des recettes d’exploitation forestières
52Les producteurs locaux sont les villageois qui participent à l’entretien et la surveillance des forêts de leur communauté rurale en même temps que, formés à la production de charbon de bois, ils sont devenus des producteurs. Les contractuels sont les patrons charbonniers qui continuent à installer leurs surgahs dans la forêt aménagée, étant entendu que les villageois ne sont pas encore assez nombreux à produire. Une taxe 25 % du prix du sac de charbon est ainsi prélevée sur la production des patrons charbonniers au bénéfice des institutions locales.
La libéralisation et l’intégration des villageois dans la filière de charbon de bois
53Mais la gestion participative sollicitée à travers la mise en aménagement des forêts communautaires impliquait, à terme, la possibilité d’intégrer des villageois dans la filière de charbon de bois, en lieu et place des surgahs, employés par les grands patrons, accusés de détruire les forêts « sous l’œil impuissant » des populations riveraines qui ne jouissaient jusque-là que de l’usufruit des produits forestiers, sans bénéficier des retombées financières. Toutefois, la menace que ces aménagements commençaient à faire peser sur les patrons charbonniers a engendré quelques blocages.
54Afin de compenser les efforts déployés par les villageois dans l’aménagement des espaces forestiers, l’entretien des pare-feux, le reboisement, la surveillance et la lutte contre les feux de brousse, le prix des sacs de 50 kilos de charbon produit par les villageois était fixé par le Progede à 1 000 francs CFA dès la première campagne de production en 2002.
55Les villageois restaient cependant soumis, comme par le passé, au monopole des patrons charbonniers qui seuls sont légalement autorisés à commercialiser la production. En effet, le statut des CVGD n’autorise pas leurs membres à obtenir une licence d’exploitation.
56Il est apparu, au cours de ces deux années (2003-2004), que l’écoulement du charbon de bois produit par les villageois posait de sérieux problèmes dus à la difficulté du Progede à trouver des acheteurs à un prix rémunérateur (1 000 francs CFA par sac).
57Les limites du Progede dans son appui à la commercialisation ont fortement démobilisé les producteurs villageois. Les expériences déconcertantes de gâchis de certaines quantités produites qui ont été volées ou détériorées par les pluies durant l’hivernage de 2002 n’ont pas satisfait les villageois. À ce propos, le rapport d’un animateur précise de manière éloquente : « Ce qui a ralenti le travail de ramassage [de bois mort], c’est le fait que les premières meules défournées depuis juin n’ont pas pu être écoulées. […] C’est l’éternel problème de mévente du charbon. Actuellement, on ne sait plus que dire aux comités qui ont déjà leur charbon exposé. Des fois, on a des problèmes de s’y rendre même si on s’efforce de le faire tout en se bouchant les oreilles [30]. »
58Au vrai, l’écoulement d’une certaine partie de la production n’a été possible qu’avec l’intervention du ministre de l’Environnement en mission dans la région en 2003 qui a invité le président de l’Union des coopératives à acheter en partie les produits invendus du Progede et lui a dégagé également un quota supplémentaire de 400 permis de 150 quintaux chacun. Mais il s’agissait là d’une mesure sporadique.
59Dans le rapport de la mission d’évaluation du Progede réalisé par la Banque mondiale en juin 2003, il est apparu de nouvelles conditionnalités pour assainir la situation des producteurs villageois du Progede. Dans le souci de la libéralisation économique de la filière, les CVGD étaient invités à se constituer en GIE de manière à obtenir une licence d’exploitation et à intégrer la filière jusqu’au commerce de détail en zone urbaine.
60Force est de constater que non seulement ceux qui se sont constitués en GIE n’ont pas pu obtenir de licence, mais paradoxalement, les villageois d’un massif aménagé voisin, n’ont pas attendu d’être constitués en GIE pour aller vendre, à leurs propres frais [31], leur production à Dakar. Ainsi, ces derniers ont-ils pu vendre en 2004, jusqu’à 50 camions de charbon de bois, équivalents à 10 tonnes chacun, soit 1 000 sacs de 50 kilos vendus entre 3 500 et 4 500 francs CFA par sac. Ainsi que nous le commente un agent du Progede, « ils ont goûté et c’était bon ».
61Fort de ce mouvement, il convenait d’attribuer des quotas de production spécifiques aux villageois désormais formés à la carbonisation et devenus producteurs directs. Dès lors un quota de 160 000 quintaux a été alloué aux zones aménagées du Progede, sur les 500 000 du quota national.
Les Zones de Production Contrôlée entre le hasard écologique et la nécessité politique
62Les ZPC apparaissent tardivement au Sénégal et seulement après la mise en œuvre des premiers plans d’aménagement du Progede. Dès lors, elles ne trouvent plus leur justification au sein même de la logique d’aménagement et de ses taxations différentielles. Conséquemment, il n’est pas aisé pour les services forestiers de justifier leur mise en œuvre à partir d’un argumentaire écologique. Et les ZPC révèlent, si besoin était, l’enjeu économique et politique de la gestion de la filière.
Les ZPC en dehors de la logique des aménagements forestiers : éléments de négociation pour l’accès aux ressources
63Suite aux effets des aménagements menaçant les intérêts des exploitants forestiers, il n’est qu’en apparence paradoxal de noter que les ZPC sont advenues comme une formule d’alternative, voire d’antidote aux dispositifs mis en place par le Progede. En effet, il n’est pas irréaliste de penser que si les ZPC avaient été constituées en même temps que les aménagements forestiers du Progede, autrement dit en tant que partie prenante d’une logique d’ensemble basée sur les taxes différentielles, elles auraient été vécues comme des entraves directes à la production des exploitants traditionnels les contraignant à payer des taxes que le dispositif précédent leur permettait de contourner, voire d’ignorer.
64En prenant l’initiative, avec les services forestiers, d’installer ces ZPC après la création des Zones aménagées du Progede et après les négociations avec les villageois, les patrons charbonniers ont pu saisir une opportunité de maintenir leur contrôle sur une partie des forêts communautaires sans se retrouver contraints d’exploiter dans les seules zones traditionnelles (ou non aménagées) désormais soumises aux taxes les plus importantes.
65Bien que les ZPC ne soient pas exemptes de taxes, celles-ci deviennent cependant un élément de négociation contrôlé par les patrons charbonniers. Si en apparence les procédures de contractualisation semblent les mêmes que dans les zones du Progede, elles présentent quelques nuances en ZPC. Les taxes en vigueur dans les ZPC restent les mêmes que celles des ZA : soit 700 francs CFA par quintal. Mais le prix du sac de 50 kilos de charbon acheté au producteur villageois d’une ZPC est fixé par les patrons charbonniers à 800 francs CFA. Et si les institutions locales (CVGD, CIVGD et CR) retiennent 25 % du prix du sac vendu aux exploitants pour le financement du développement local et la gestion de l’environnement, dans les ZPC, c’est un prélèvement fixe de 200 francs CFA par sac qui revient à la Communauté rurale, et qui est géré conjointement par les services des E&F et l’Union des exploitants forestiers [32].
66Dans un document datant d’avril 2005, l’Inspection régionale des Eaux et Forêts de Tambacounda, précise que c’est dans le contexte de la mise en place des plans d’aménagement participatif du Progede que les ZPC sont constituées. « Le service des Eaux et Forêts a pris l’initiative de rationaliser la production de charbon, en plus des actions menées par le Progede dans les différentes forêts communautaires en association avec les collectivités locales concernées, par la mise en place de Zones de production contrôlées en partenariat avec les exploitants traditionnels » (IREF, 2005, p. 3).
67Les arguments généralement avancés pour justifier la mise en œuvre des ZPC sont liés à l’incapacité des villageois encadrés par le Progede à produire suffisamment de charbon pour alimenter les villes du Sénégal [33]. Les pénuries de charbon dans les villes et notamment dans la capitale, sont présentées comme le risque majeur. Mais ce sont également la durée, la cherté et la complexité des aménagements réalisés, qui du fait du peu de moyens matériels et financiers dont disposent les services forestiers, ne permettent pas, selon certains agents rencontrés, d’envisager la multiplication de telles procédures sur tout le territoire
68Les ZPC au nombre de 4 en 2005 [34], sont amenées à s’étendre puisqu’elles entrent désormais dans les performances environnementales fixées par la DEFCCS dans les critères et indicateurs de gestion qui forment les conditionnalités de l’appui budgétaire des Pays Bas. Ainsi, les productions de charbon en Zones aménagées et en ZPC devraient augmenter de 12 % en 2005 à 40 % en 2007 du quota national alloué aux organismes forestiers [35].
69Créés de manière diligentée et considérées en dehors de la logique d’aménagement, les ZPC ont pu faire l’objet de définitions pour le moins variées du point de vue de certains agents forestiers notamment ceux qui ont œuvré dans le dispositif du Progede. Les ZPC paraissent quelque peu incongrues. Ce que nous révèle le langage commun lorsqu’elles sont appelées tantôt ZPTA ou littéralement « Zones pas trop aménagées », ou bien ZPTT, « Zones pas très traditionnelles ». D’un point de vue plus optimiste : « s’il y a des ZPC, c’est parce que les moyens manquent, sinon tout serait en Zone aménagée et les villageois produiront » [36]. Mais également du côté du service forestier traditionnel, et de la part des agents qui en ont la charge, les ZPC restent des zones dont l’aménagement est « sommaire », « simplifié » ou relevant d’une « expérience ». Les informations dont disposent les brigades et les secteurs apparaissent assez hétérogènes et parfois incomplètes. Mais ainsi que nous le présentait un chef de secteur « la direction des Eaux et Forêts nous demande de faire des ZPC, alors nous y allons ».
Les ZPC détachées de l’argumentaire écologique ?
70Les ZPC sont devenues un instrument politique de compromis entre les exigences de la décentralisation, le mouvement amorcé par le projet d’aménagement de la Banque mondiale (Progede) et le monopole des grands patrons charbonniers. De fait, elles apparaissent comme des instruments de gestion dont les justifications naviguent entre le hasard écologique et la nécessité politique. En cela elles remettent en question le bien-fondé écologique des aménagements forestiers en même temps qu’elles révèlent les rapports de force entre les acteurs, tant au niveau local que national.
71Les ZPC ont, en effet, été soutenues par les bailleurs de fonds pour étendre le principe d’aménagement à toutes les forêts communautaires productrices de charbon de bois, précisément à partir d’un plan simplifié et non dans les formes complexes du Progede, dont le coût à l’hectare a été évalué à 4 722 francs CFA (Djigo, 2003, p. 51). Le coût de l’aménagement à l’hectare en ZPC peut être évalué, d’après les documents de l’inspection forestière [37] à 1 258, 48 francs CFA. Ce dernier est ainsi trois fois inférieur à celui d’une Zone aménagée du Progede.
72Mais afin de justifier la taxation préférentielle dont bénéficient les ZPC au même titre que les Zones aménagées, nombre de cadres des services forestiers soutiennent que celles-ci font l’objet d’un plan d’aménagement aussi rigoureux et respectueux des normes environnementales que celles établies dans le Progede. Et seul le fait que les aménagements du Progede soient intégrés, c’est-à-dire qu’ils incluent des « séries » ou des subdivisions de l’espace pour réglementer les autres activités de production : agriculture et élevage, les distinguerait des ZPC qui, elles, sont focalisées sur le charbon de bois.
73Pourtant, même si les critères minimaux sont stipulés dans les textes instituant les ZPC (utilisation de la meule casamançaise, technique de carbonisation améliorée, diamètre des arbres à respecter, 50 % des essences forestières coupées), des points notables les éloignent de la rigueur d’un plan d’aménagement.
74D’une part, les inventaires forestiers des ZPC ont été calculés par extrapolation des données construites par le Progede, dans d’autres sites forestiers qui, s’ils sont sous la même latitude et sont composés approximativement des mêmes essences, ils ne présentent pas le même passé de production. Les ZPC sont créées sur les terres de jachères ou espaces de brousse communautaires, réduisant en cela l’espace potentiel de terres agricoles D’autre part, les parcelles de coupe ont été délimitées par les services forestiers sans faire l’objet de délibération systématique et préalable au niveau du conseil rural concerné ou bien dans des procédures rapides [38]. Enfin, le contrôle de l’exploitation dans les ZPC relève du service traditionnel des forestiers qui dispose de peu de moyens humains et matériels. Chaque parcelle de coupe étant attribuée à un organisme, le martelage des arbres à couper (signalement par une marque à la peinture sur le tronc) est fait par ceux là même qui doivent produire et c’est à la charge de ces derniers qu’incombent en définitive la surveillance et le contrôle des critères environnementaux de la production. Ainsi, selon un agent technique, avec des outils de mesure ad hoc confectionnés pour éviter aux villageois de faire le calcul des diamètres des arbres à signaliser, « la tricherie est possible ».
75Ainsi, la différence de procédure entre les deux types de zone est sensible. Et il apparaît une contradiction entre les justifications selon lesquelles les ZPC sont créées pour remplacer les pratiques compliquées, longues et surtout trop coûteuses des aménagements du Progede, et le fait de justifier a posteriori ces ZPC sur le respect des critères d’aménagement les plus complexes.
76Les ZPC sont-elles alors des zones en transition ? Elles sont, en définitive, justifiées pour « assainir » la production et mieux la contrôler [39]. Un responsable de la DEFCCS nous précisait ainsi que, dans les ZA et ZPC, il y a un aspect « sécurisation de l’exploitation ». « Le surgah ne peut pas disparaître avec le produit, l’argent, etc., il est contraint et contrôlé par parcelles, par zones. Et il y a une « traçabilité » du produit qui sort des ZA et des ZPC. L’origine du produit est marqué au stylo sur le titre d’exploitation. » Une telle sécurisation ne peut que rassurer les grands exploitants.
Conclusion
77Ce n’est pas tant dans les critères écologiques que dans le bien-fondé de la création des ZPC que les enjeux se donnent à voir. Dans la représentation des agents du Progede, les ZPC ressemblent à un déni du travail d’aménagement réalisé depuis 10 ans. Mais c’est également parce qu’elles freinent l’élan amorcé par les villageois pour intégrer la filière de charbon de bois jusqu’au commerce de détail, tel que le prévoyait la Banque mondiale dans son objectif de libéralisation de la filière, qu’elles contrarient les réformes en cours. Et sous l’apparente réappropriation participative des forêts par les conseils ruraux et les villageois, ces derniers se retrouvent en concurrence avec ces entités nouvelles (ZPC) qui n’ont plus à internaliser leurs coûts de production. C’est alors à une autre forme de mise au travail à laquelle on assiste et qui autorise la reproduction et la concentration des bénéfices de la filière entre les mains de quelques-uns.
78N’était-ce pas sous-estimer le poids politique réel des grands patrons charbonniers et la difficulté ou l’appréhension des décideurs politiques et des services forestiers à assainir un tel système de production ? Le discours de ces derniers reste prudent, « si le quota est mort, alors vive le quota »… Il ne reste qu’à lui trouver un autre nom [40]. C’est à l’aide de tels glissements sémantiques que les services forestiers maintiennent un statu quo dans le système de production car « il n’est pas intéressant de batailler à visage découvert » [41].
79En tant qu’expression d’un modus vivendi entre les exploitants, les villageois et les élus des collectivités rurales, on est en droit de se demander si les ZPC n’ouvrent pas aussi la voie à des formes futures de privatisation des ressources forestières au Sénégal, tel que s’oriente le choix de la Banque mondiale au Mali après les échecs des marchés ruraux.
80Les forêts apparaissent de plus en plus comme des espaces en voie de privatisation. Et cela ne se voit jamais aussi bien que dans le contexte de la décentralisation. En vérité, si les enjeux autour de la décentralisation permettent ces formes d’appropriation privative, bien qu’encore masquées, celles ci ont quelque peu du mal à se maintenir dans une paix sociale, dans un contexte de crise économique, politique où les ressources naturelles sont des enjeux fondamentaux.
81Sans doute, le caractère transitoire de cette situation ne nous permet pas de l’analyser comme un élément de structuration du système de gestion forestière au Sénégal. Les réformes en cours ne sont, en effet, pas linéaires et relèvent d’un certain pragmatisme dont la fragilité est liée au contexte de la décentralisation que certains journalistes n’hésitent pas à caractériser au Sénégal comme « un pont jeté dans le vide » (Thiam, sd) dans une métaphore peu optimiste.
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- RPTES (1994), Examen des politiques, stratégies et programmes du sous-secteur énergétique traditionnel, Banque Mondiale, février, Ouagadougou.
Notes
-
[1]
Article rédigé à la suite du colloque GECOREV « Des instruments de gestion entre le hasard écologique et la nécessité politique », qui a eu lieu à Saint-Quentin-en-Yvelines du 26 au 30 juin 2006, bboutinot@ cirad. fr.
-
[2]
Programme de gestion durable et participative des énergies traditionnelles et de substitution (PROGEDE). Financements : Crédits de la Banque mondiale, Fonds mondial pour l’environnement et Pays-Bas.
-
[3]
Les forêts communautaires, d’après nos calculs à partir des données disponibles, représentent plus de la moitié (55 %) de l’espace forestier, au moins pour la région de Tambacounda (IREF Tambacounda, 2005, Gestion du domaine forestier, ch. 1, p. 28). La proportion est sensiblement la même dans la région de Kolda.
-
[4]
Les surgahs sont des Peuls castés venant de Guinée qui ont une tradition de charbonniers.
-
[5]
Une partie de cette étude a contribué à l’évaluation de la participation villageoise à l’aménagement forestier et de l’intégration du Progede à la politique de décentralisation, sur un financement de la Banque mondiale / Pays Bas (Boutinot, 2004, Contrat Progede-Cirad 001-04. Rapport final, Décembre 2004, Direction des Eaux et Forêts, Dakar. 151 p.).
-
[6]
Cette réflexion entre dans le cadre de deux programmes de recherche sur la gestion décentralisée des ressources naturelles : l’un spécifiquement lié à l’économie politique de la filière charbon de bois au Sénégal : WRI-CIRAD-CODESRIA, 2004-2006, « Pour une gestion décentralisée et démocratique des ressources forestières au Sénégal », sur financement de l’Ambassade du Royaume des Pays-Bas ; l’autre dans une dimension comparative avec le Niger et le Mali, Action thématique programmée (ATP) 2004-2006, « Étude des transferts de gestion des ressources naturelles de l’État aux collectivités locales en Afrique de l’Ouest : Niger, Mali, Sénégal », sur financement de la Direction scientifique du CIRAD.
-
[7]
Le Niger présente un taux d’urbanisation (y compris les centres urbains secondaires et les grands centres ruraux) de 21,2 % en 1994 mais néanmoins avec un taux d’accroissement annuel pour Niamey de 6 % (RPTES 1994, cité par Minvielle, 1999, p. 112).
-
[8]
Un dixième domaine de compétence a été attribué et concerne la publicité (2003).
-
[9]
Même si au Niger l’expérience antérieure de gestion des ressources ligneuses initiée par la coopération danoise dès 1989, évoquait en termes de gestion décentralisée une gestion du bois qui en fait s’organisait à l’échelle villageoise.
-
[10]
Boutinot, 2002. Il faut prendre avec précaution ces pourcentages, bien qu’ils émanent de la DEFCCS, à travers le Progede. Ils ne comptent pas les zones de forêts claires et des reliques de forêts denses situées dans le sud du pays, en Casamance (Ribot, 1990, p. 145).
-
[11]
Article 23.
-
[12]
Les premières orientations spatiales des exploitants ont toutefois été expérimentées en 1979 dans la forêt de Koupentoum (région de Tambacounda). Mais sans réel inventaire écologique, elles ont donné lieu à des dégradations massives autour des villages (cf. Ribot, 1990, p. 154).
-
[13]
Ba (2006).
-
[14]
65-078 du 10 février 1965.
-
[15]
Article D 38 et 39.
-
[16]
Article D 42.
-
[17]
Article D 43.
-
[18]
Article L 74-46 du 18 juillet 1974, Article L 28.
-
[19]
Le transport est encore un phénomène spécifique au système oligopolistique des patrons charbonniers sénégalais. Il est, semble-t-il, intégré aux entreprises d’exploitants et relève de fait d’un autre monopole associé aux patrons les plus influents.
-
[20]
Le nombre de patrons actifs a été évalué à 600 en 2006 par Ribot (à paraître). 4 800 surgahs, environ 120 contremaîtres et intermédiaires informels, 300 coxeurs et 850 détaillants.
-
[21]
Les quotas d’encouragements distribués ne sont pas systématiquement ni nominativement spécifiés dans les arrêtés annuels portant organisation de la campagne d’exploitation. Mais quand ils le sont (arrêtés de 2000 et de 2002), ce sont toujours les huit plus importants qui reviennent.
-
[22]
Plan de gestion de la ZPC de Missirah, avril 2005, IREF de Tambacounda.
-
[23]
Article 45 du code de la décentralisation.
-
[24]
Les relations de clientèles qui structurent la filière du charbon de bois structurent également, sinon principalement, la distribution des quotas.
-
[25]
Ce plan peut être un plan simple, mais dès lors qu’il s’agit de zones de production de charbon, ce sont des plans complexes qu’imposent les services forestiers, à partir de l’article R 14 du code forestier de 1998. « Pour les forêts relevant de leur compétence, les collectivités locales élaborent ou font élaborer des plans d’aménagement. Elles peuvent en assurer directement la réalisation ou bien confier, par contrat à des tiers, l’exécution du plan de gestion. »
-
[26]
Depuis les textes de lois de la décentralisation et le nouveau code forestier, le service des Eaux et Forêts au Sénégal a engagé de nombreuses activités de formation pour tous ses agents aux approches participatives (Boutinot, 2002). Sur l’analyse de ces approches, cf. Boutinot et Diouf (2006).
-
[27]
Entretien avec un chef d’une brigade forestière d’une région productrice de charbon de bois (décembre 2005).
-
[28]
Ibid.
-
[29]
Nous présentons ici le cas d’une des quatre forêts dont les plans d’aménagements ont été opérationnels en 2004.
-
[30]
Rapport mensuel de Saré Gardi (juillet 2002), Progede Kolda.
-
[31]
D’après l’animateur du Progede, les villageois ont vendu une partie de leur bétail pour financer le transport de leur production jusqu’à Dakar.
-
[32]
Pour la ZPC de Missirah (région de Tambacounda) l’argent du Fonds est géré par le chef de brigade des E&F. USAID, Programme Agriculture-Gestion des ressources naturelles « Wula Nafa », Rapport sur la tenue du Forum communautaire sur la ZPC de Missirah, 5 mars 2006, p. 5.
-
[33]
Entretien avec un fonctionnaire de l’IREF de Tambacounda, 2005.
-
[34]
Dont deux dans la région de Kolda et deux dans la région de Tambacounda (bien qu’une seule ait réellement fait l’objet d’un protocole de gestion). Elles couvrent, pour l’heure, des superficies de 2 700 hectares et de 3 000 hectares dans la région de Kolda et de 1 904 hectares dans la région de Tambacounda.
-
[35]
Appui budgétaire des Pays-Bas au Sénégal. Document final avril 2005, C.2 b « Critères de bonne gouvernance dans le secteur de l’environnement », p. 47.
-
[36]
Entretien avec un représentant du Progede, décembre 2005.
-
[37]
Le coût moyen d’aménagement d’une ZPC est estimé à 805 000 francs CFA par parcelle. La parcelle s’élevant en moyenne à 639,66 hectares. Le calcul des superficies moyennes d’une parcelle est effectué par l’auteur à partir du document de l’IREF de Tambacounda, 2005 « Plan de gestion de la ZPCde Missirah » p. 15.
-
[38]
Cf. Procès verbal n° 04 du Conseil rural de Missirah lors de sa séance du 29 juin 2006 : 20 élus présents sur 32. Accord pour la ZPC à 13 voix sur 20. Au demeurant, les signatures des présidents des Conseils ruraux d’une des forêts aménagées du Progede ont également fait l’objet de délibérations diligentées organisées par les services forestiers (Boutinot, 2004).
-
[39]
« Plan de gestion de la ZPC de Missirah », op. cit., p. 14.
-
[40]
Selon les termes d’un cadre des services forestiers, Atelier national sur la gestion décentralisée des ressources forestières au Sénégal organisé par le programme WRI-CIRAD-CODESRIA le 8 mai 2006 à Dakar.
-
[41]
D’après un cadre de la DEFCCS à Dakar.