Couverture de AFCO_221

Article de revue

Le diamant dans la géopolitique africaine

Pages 173 à 203

Notes

  • [1]
    Cet article a été rédigé par trois chercheurs au Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), établissement public de référence dans le domaine des sciences de la terre pour gérer les ressources et les risques du sol et du sous-sol. Des missions de recherche scientifique sont confiées à cet établissement autour d’appuis politiques publiques et de coopération internationale et d’aide au développement. Les trois auteurs de cet article font partie de l’unité « Économie, intelligence et développement durable » de la division des Ressources minérales.
  • [2]
    Jean-François Orru est docteur en géographie humaine (Paris-Sorbonne), diplomé d’un DEA de géographie et géopolitique (Paris III) et d’un Master (Développement des régions tropicales, Paris VII). Il est socio-économiste au BRGM et spécialisé dans la politique du développement durable et les aspects socio-économiques de l’aménagement territorial.
  • [3]
    Rémi Pelon est ingénieur des Mines. Économiste minier au BRGM, il est spécialiste en politique et économie minières et développement durable.
  • [4]
    Philippe Gentilhomme est docteur d’État ès sciences (Nancy), ingénieur ENSG (Nancy), diplômé d’un DEA de géologie et minéralogie appliquées (Orléans), auditeur de l’Institut des Hautes Études de Défense nationale. Économiste minier au BRGM, il est spécialisé dans les domaines des marchés de minerais et métaux, de l’intelligence industrielle et des statistiques du commerce extérieur.
  • [5]
    Ceci renvoie au concept de Resource Curse ou « malédiction » des ressources, exprimé face à ce constat paradoxal que les pays bien dotés en ressources naturelles connaissent parfois un taux de croissance inférieur aux autres. Ceci s’explique par plusieurs raisons, notamment une compétitivité inférieure dans les autres secteurs de l’économie, un sous-investissement éducatif ou une mauvaise gestion des revenus issus de l’exploitation de ces ressources. Nous insistons ici sur le fait que la « malédiction » (apparente) ne vient pas des ressources naturelles elles-mêmes mais de la mauvaise gestion de la rente minière associée.
  • [6]
    Administrateur colonial britannique et homme d’affaires, il organisa la conquête de la « Rhodésie » (scindée aujourd’hui entre Zambie, Malawi et Zimbabwe). Il fut notamment Premier ministre de la colonie du Cap de 1890 à 1895. Sa politique fut l’une des causes cardinales de la « guerre des Boers ».
  • [7]
    Le Black Economic Empowerment (BEE), issu des politiques anti-apartheid, tend à faire mieux respecter la place de la communauté noire dans l’économie et marque en particulier l’activité minière.
  • [8]
    1 carat (ct) = 0,2 g. Mct = million de carats.
  • [9]
    Une telle joint-venture à 50/50 entre une major issue d’une histoire coloniale et un État nouvellement indépendant est un cas historique, probablement unique.
  • [10]
    United States Geological Survey, hhttp:// minerals. usgs. gov/
  • [11]
    Diamant gemme : pierre pure ou très pure, destinée à la bijouterie-joaillerie ; diamant industriel : diamant très impur, en général opaque, destiné à la fabrication d’outils industriels de forage (ex. : forage pétrolier, sondage minier) ou de découpage (ex. : perçage des bétons armés, sciage de pierres dures, polissage de divers matériaux).
  • [12]
    Le secteur informel désigne les productions non officiellement déclarées, le plus souvent illégales. Elles sont essentiellement d’origine artisanale et pour la plupart d’origine africaine.
  • [13]
    En particulier le Raw Material Group (RDM), Stockholm.
  • [14]
    Selon les estimations, le secteur compterait, toutes substances confondues (diamant, or, « coltan », étain, cobalt, etc., selon l’évolution des prix), 4 à 6 millions d’artisans mineurs, permanents ou temporaires, sur le continent africain.
  • [15]
    Les placers sont des dépôts sédimentaires alluviaux. Les paléoplacers sont des alluvions fossiles. Cas du Brésil notamment et aussi de plusieurs gisements historiques de l’Inde. L’Inde a exploité dès l’Antiquité des conglomérats diamantifères fossiles très durs. Le Brésil au XVIIIe siècle a exploité des remaniements meubles de conglomérats diamantifères fossiles. Les paléoplacers peuvent être intercontinentaux.
  • [16]
    En moyenne, mais Argyle produit la quasi-totalité des « fancies » du monde, lesquelles se vendent fort cher.
  • [17]
    L’attractivité du diamant comme placement ou valeur refuge n’est vraie que pour les gros diamants. Les « lentilles » (inférieures à 1 carat) se revendent en général assez mal, voire pas du tout…
  • [18]
    Première mine historique au Canada, exploitée par BHP-Billiton, Ekati serait en passe d’être dépassée en caratage par la seconde, Diavik (Rio Tinto).
  • [19]
    Argyle n’en était qu’un exemple incomplet.
  • [20]
    L’exploration se développe de manière extrêmement dynamique. La réouverture du Cadastre minier en RDC, par exemple, a permis un début de négociations entre la MIBA, l’exploitant étatique, et des partenaires étrangers comme De Beers et BHP Billiton. Chacune de ces deux majors réclame 20 000 km2 de permis d’exploration, surface maximale allouée sous le régime du nouveau Code minier (2002). Alrosa a aussi manifesté son intérêt. Plusieurs juniors, en particulier canadiennes (SouthernEra, BRC Diamond Corp), ont repris de vastes travaux de prospection depuis 2003.
  • [21]
    Personne ne sait quelle quantité réelle vont livrer les futures mines. Mais le fait que De Beers ne régule plus le marché mondial accentue ce risque de surproduction, ou plus exactement, d’absence de régulation des surproducteurs. Car De Beers n’a jamais joué la lutte contre les surproducteurs mais l’absorption des excédents, en achetant et stockant quand la demande était devenue inférieure à l’offre mondiale. Voir plus loin, cette « révolution » que connaît le marché depuis 2000.
  • [22]
    Rapport du groupe d’experts créé par le Comité du Conseil de Sécurité concernant la situation en Angola, février 1999.
  • [23]
    Dès 1961, la guerre de décolonisation qui embrase cette ancienne colonie portugaise met en scène trois mouvements nationalistes : le MPLA (Mouvement Populaire de Libération de l’Angola), le FNLA (Front National de Libération de l’Angola), puis, en 1966, l’UNITA (Union Nationale pour l’Indépendance Totale de l’Angola). Ces trois courants politiques, plutôt que de créer une union sacrée contre les troupes portugaises, s’opposent dès leur origine.
  • [24]
    Savimbi est membre de l’ethnie Ovimbundu, un peuple d’agriculteurs établis dans le centre du pays, qui représente 40 % de la population angolaise.
  • [25]
    Cubains par exemple.
  • [26]
    Les responsabilités sont pourtant partagées : en octobre 1992, après les élections, les sympathisants de l’UNITA restés dans la capitale sont massacrés ; Savimbi, qui avait fui, en réchappe. En 1995, Savimbi déclarera néanmoins accepter le résultat des élections de septembre 1992.
  • [27]
    La RDC n’a qu’une infime façade maritime : fort peu de pétrole en mer, à la différence de l’Angola. Et fort peu de potentiel à terre, en outre.
  • [28]
    En 1966, l’Union minière du Haut Katanga, l’entreprise étatique exploitant le cuivre et le cobalt notamment, est nationalisée et devient la Gécamines.
  • [29]
    L’industrie « lourde » du cuivre (qui exige des investissements) commence à s’effondrer ; d’où le recours au diamant, plus simple, avec peu d’investissements et plus de profits…
  • [30]
    Ainsi, de 898 millions USD en 1990, l’aide versée tombe à 132 millions de dollars en 1999.
  • [31]
    Guerre dite de libération.
  • [32]
    Hutus et Tutsis.
  • [33]
    Interahamwe et ex-FAR (Forces Armées Rwandaises) pour le Rwanda, CND-FDD pour le Burundi et ADF (Allied Democratic Forces) pour l’Ouganda.
  • [34]
    Le Zimbabwe avait envoyé au Congo un corps expéditionnaire de 12 000 hommes pour sécuriser les zones minières du Kasaï. En échange de ce soutien militaire, le régime en place à Kinshasa avait abandonné l’exploitation de ces mines aux dirigeants de Harare. Kabila fit également cadeau de propriétés minières à l’Angola et à la Namibie. L’affaire qui est apparue la plus scandaleuse à l’opinion internationale, en raison de la mauvaise réputation du président Mugabe et de son pays, a été la cession d’une fraction des gisements de diamants de Mbuji-Mayi aux militaires du Zimbabwe, par une série d’accords en cascade aboutissant, par la société Sengamines, aux généraux et à l’entourage de Robert Mugabe.
  • [35]
    Rapport du Sierra Leone Working Group, le cœur du problème : la Sierra Leone, les diamants et la sécurité humaine, janvier 2000.
  • [36]
    National Patriotic Front of Liberia.
  • [37]
    Celui-ci avait pris le pouvoir à l’issue d’un coup d’État militaire en 1980. En 1985, il est lui-même victime d’un coup d’État qui échoue ; la répression s’exerça dans une grande violence, notamment à l’encontre des communautés Gio et Mano.
  • [38]
    Sans compter une certaine bienveillance des puissances occidentales.
  • [39]
    F. Sankoh a été formé aux techniques de guérilla avec C. Taylor et B. Compaoré dans le camp d’entraînement militaire de Benghazi en Libye.
  • [40]
    Revolutionary United Front.
  • [41]
    Auxquels il faut ajouter le trafic de drogues.
  • [42]
    Un groupe de cessez-le-feu de la CEDEAO (Communauté de Défense de l’Afrique Occidentale) dirigé par le Nigeria.
  • [43]
    La SWAPO (South-west African People’s Organisation) a son sanctuaire de l’autre côté de la frontière, soit en Angola.
  • [44]
    De Beers n’a pas été le premier à synthétiser le diamant, mais le groupe rattrapera vite son retard et deviendra le second producteur mondial après la General Electrics. Ces diamants de synthèse sont alors tous (et restent aujourd’hui en très grande majorité) destinés à l’industrie ; depuis quelques années, on sait synthétiser des diamants gemmes de caratage assez notable, qui commencent à entrer dans le marché de la bijouterie.
  • [45]
    Depuis les origines, De Beers achetait tous les diamants du marché et avait stocké, sans pouvoir tout commercialiser, la production sud-africaine pendant la « crise » du début du XXe siècle. À un moment, De Beers avait près de deux ans de production en stock invendable, mais continuait ainsi de réguler le marché mondial.
  • [46]
    Surtout pour les petits diamants, pour lesquels le coût du facettage est critique.
  • [47]
    À partir de 1993.
  • [48]
    Un peu plus tard, l’ouvrage Blood from Stones de Douglas Farah en sera un exemple remarquable.
  • [49]
    Lien hypothétique toutefois, les sources de financement d’Al Qaida étant complexes et diversifiées. Il paraît établi que l’or, certaines pierres précieuses d’Asie centrale et surtout les dérivés du pavot ont plus compté que le diamant dans la logistique financière d’Al Qaida.
  • [50]
    Faut-il par exemple exploiter une ressource du sous-sol ou laisser les exploitants agricoles ou forestiers disposer de la surface ? Question aiguë quand les zones minières sont aussi d’indispensables zones d’agriculture vivrière.
  • [51]
    Contrairement à une idée reçue bien ancrée, la cherté du diamant n’est pas la conséquence de sa rareté ou de son coût élevé de production, mais découle d’une stratégie commerciale entretenue depuis des décennies par les tailleurs et les distributeurs. Le diamant est l’une des pierres précieuses les plus communes et paradoxalement l’une des plus chères.
  • [52]
    Pour le diamant, le coût de production minier est en moyenne d’un quart du prix de vente sur mine.
  • [53]
    Risqué au sens financier, on n’est jamais sûr de « trouver » un gisement, et parfois au sens politique, quand le « risque-pays » est élevé.
  • [54]
    Terme traduisant la garantie légale que réclament les prospecteurs notamment pour sécuriser leur droit d’exploiter leurs découvertes.
  • [55]
    Le cacao, principale commodité d’exportation de Côte d’Ivoire, rapporte plus de 100 fois (avec environ 2 milliards de dollars) les revenus du diamant (estimés par comparaison aux années antérieures au conflit de l’ordre de grandeur de 25 millions de dollars).
  • [56]
    La capitale officielle étant Yamassoukro.
  • [57]
    Résolution 1643 de décembre 2005.
  • [58]
    Il y a des exceptions, mais qui ne font pas l’objet d’un commerce aussi important.
  • [59]
    Pour plusieurs raisons au moins : le diamant est une des plus anciennes pierres précieuses connues, la plus dure (la plus utile dans l’Antiquité), la plus abondante quoique chère.
  • [60]
    On entend par consommateur ici les pays acheteurs, soit de diamant brut en vue de leur taille (Inde, Israël, Belgique…), soit de diamant poli pour utilisation en bijouterie. On estime à 40 % en poids la production mondiale de diamant « naturel », constituée des diamants de moins bonne qualité, qui est destinée à l’industrie.
  • [61]
    Le cas du diamant représente à notre avis le cas le plus criant d’un problème de développement commun à toutes les ressources minérales, problème dont l’artisanat minier est le dénominateur visible.
  • [62]
    Il est vrai qu’elles doivent souvent contrer une longue tradition d’économie primaire, vivrière pour les ruraux, exportatrice pour les élites politiques locales et les groupes industriels occidentaux.
  • [63]
    Dont la Diamond Development Initiative (DDI, voir hhttp:// www. pacweb. org ), ou, plus largement, le CASM (Community and Small-sale Mining) qui rassemble un grand nombre d’acteurs internationaux impliqués dans le soutien au secteur de l’artisanat minier. Le CASM est hébergé et cofinancé par la Banque Mondiale, le BRGM, qui met sa connaissance des ressources minérales au service d’initiatives politiques ou opérationnelles en faveur du développement durable, en fait partie.
  • [64]
    Des audits, tels ceux commandités au BRGM au Congo et bientôt au Cameroun, au Mali et en RCA, sont périodiquement réalisés pour comparer les statistiques publiées au potentiel gîtologique.

Introduction

1 L’expression « diamants du sang » renvoie au rôle majeur qui est attribué au diamant dans les guerres qui ont meurtri l’Angola, le Liberia, la Sierra Leone et la République Démocratique du Congo (RDC), principalement dans les années 1990-2000. Les diamants sont essentiels pour bien des économies africaines et représentent toujours un enjeu majeur dans les luttes de pouvoir, y compris dans des pays qui n’ont pas défrayé la chronique à ce sujet : pays d’Afrique australe, République du Congo, Guinée, République Centrafricaine, Tanzanie, etc.

2 Cela pourrait suffire à faire douter les voix qui relient directement les ressources en diamant au développement des conflits, en suggérant entre les deux un lien de causalité. Mais le financement des conflits par des ressources minérales est de fait une singularité africaine. L’Afghanistan est un des premiers États, hors Afrique, où les « chefs de guerre » se sont financés par le commerce des pierres précieuses.

3 Y a-t-il donc en Afrique une « malédiction » [5] des diamants ? Y a-t-il un déterminisme naturel qui laisserait croire que les diamants conduisent « fatalement » à des conflits ? On ne peut s’affranchir d’une analyse contextuelle pour compléter le panorama factuel. Si l’expression de « diamants du sang » a fait florès, grâce au lobbying efficace de certaines ONG, c’est dans un moment particulier de la politique internationale et à l’heure d’une véritable révolution du marché. L’analyse économique et géographique doit être complétée par une analyse géopolitique. C’est ce que nous tenterons de faire ici : après avoir exposé les faits concernant le rôle des diamants dans les trois principaux conflits mentionnés, nous étudierons les éléments contextuels et conjoncturels qui expliquent le lien entre diamants et conflits. Enfin, nous verrons que s’il y a effectivement des raisons structurelles (naturelles et culturelles) qui font du diamant une « ressource conflictuelle », il existe aussi des moyens d’agir ou de réagir face aux risques ou aux situations de crise.

Les pays africains producteurs de diamants

Afrique du Sud, Botswana, Namibie

4 Tout d’abord, il faut rappeler la place que tient le diamant dans l’économie africaine et par la même occasion le fait simple, mais parfois oublié, qu’il y a des pays où le diamant n’est pas ou n’est plus synonyme de conflit et où il représente un marché prospère et correctement organisé.

5 Historiquement, c’est en Afrique du Sud que le diamant a d’abord été exploité sur le continent. Les premières découvertes de 1869 allaient bouleverser l’économie de la plus convoitée des pierres précieuses, par la découverte d’un nouveau type de gisement : les pipes ou cheminées kimberlitiques. La mise en exploitation des premiers pipes, vite devenue anarchique, va permettre la fondation du groupe De Beers qui va rapidement dominer le marché mondial du diamant et instaurer un des cartels les plus longs de l’histoire récente. Cecil Rhodes, son fondateur, eut un rôle politique de premier plan [6] et la guerre des Boers, au moins la seconde (1899-1902), n’est pas sans rapport avec les ressources précieuses découvertes en territoire Boer (le diamant mais aussi l’or), qui durent attiser les revendications d’indépendance.

6 Mais à partir de la fin de la guerre et de la création de l’Union Sud-Africaine en 1910, sous le contrôle de l’empire britannique, le pays fonda son développement sur cette richesse nationale et devint pour un demi-siècle le pays du diamant par excellence. Aujourd’hui, l’Afrique du Sud est toujours un des principaux pays miniers du monde mais l’économie s’est diversifiée. De Beers exploite toujours de manière industrielle 8 mines kimberlitiques et 3 alluviales mais plusieurs sont en voie d’épuisement. Pour se plier à la politique du Black Empowerment[7], De Beers a dû céder jusqu’à 26 % des parts de certaines mines à des holdings locales. L’exploration demeure cependant active, soit par De Beers elle-même, soit par des juniors australiennes ou canadiennes dont certaines exploitent à petite échelle. La principale mine, Venetia, a produit plus de 8 millions de carats [8] en 2005 sur une production nationale d’environ 15 millions de carats (Mct).

7 L’Afrique du Sud a été cependant dépassée depuis longtemps par un pays voisin souvent donné comme modèle d’un possible développement « pacifique » du diamant : le Botswana. Ce pays, grand comme la France et 30 fois moins peuplé, a su bénéficier des richesses de son sous-sol grâce à une histoire politique favorable et à une gestion minière prudente. La colonisation britannique du peuple Tswana se fit relativement sans heurt et le diamant ne fut découvert à Orapa que juste après l’indépendance en 1966. L’exploitation fut rapidement organisée sous l’égide d’une alliance stratégique entre De Beers et le Gouvernement (Debswana). Cette alliance paritaire [9] fut un succès et assura au pays les recettes fiscales et les rentrées de devises nécessaires à sa croissance.

8 Trois mines sont toujours exploitées à grande échelle : Orapa (14,9 Mct produits en 2005), Jwaneng (15,1 Mct en 2005) et Letlhakane (1,1 Mct en 2005). Elles produisent ensemble plus d’un tiers du diamant africain et un cinquième du diamant naturel mondial. Deuxième producteur mondial (en valeur totale) derrière la Russie, le Botswana est le premier en termes de valeur unitaire grâce à la très bonne qualité de ses diamants (200 à 240 USD/carrat à Letlhakane). Debswana est le seul producteur du pays et représente la plus importante source de revenus du pays.

9 La Namibie pourrait aussi être citée comme un pays où le diamant n’est pas synonyme de conflit meurtrier. Il n’en fut pas de même au début, quand la frontière avec l’Angola fut l’occasion de certaines contaminations conflictuelles, notamment jusqu’à l’indépendance tardive du pays.

Carte 1

Principales productions de diamant, estimation en millions de carats (Mct) pour l’année 2005

Carte 1

Principales productions de diamant, estimation en millions de carats (Mct) pour l’année 2005

Source : BRGM (sur la base de données RDM), 2006.

Place de l’Afrique dans la production mondiale

10 Aujourd’hui la production mondiale de diamants se concentre sur 4 régions principales : Australie, Canada, Russie et le continent africain, qui constitue de loin la première d’entre elles.

11 La production mondiale a crû entre 2002 et 2004 d’environ 12 % par an pour atteindre près de 180 millions de carats en 2004 selon l’USGS [10]. Ce chiffre compte tous les diamants naturels, tant de qualité gemme que de qualité industrielle [ 11]. Toutefois, il repose sur des approximations concernant le secteur informel [12] pour lequel on ne peut avoir de statistiques précises, ce qui explique les différences parfois importantes entre les sources. Les sources industrielles [13] comptabilisent plutôt 143 Mct la même année et 150 Mct en 2005.

Graphique 1

Production de diamants par grandes régions

Graphique 1

Production de diamants par grandes régions

Source : RDM, 2006.

12 L’inconnue liée au secteur informel revêt d’autant plus d’importance en Afrique, où l’artisanat minier n’a fait que croître durant ces dernières décennies [14], que ce continent produit plus de la moitié des diamants du monde.

13 Depuis 2001 et la stabilisation de certains conflits, la production africaine a retrouvé une croissance importante et renforce sa place de premier plan devant les principales régions productrices dans le monde. En valeur, la production annuelle de diamants bruts en 2004 s’est élevée à 10 milliards de dollars (GUSD), le Botswana étant le plus grand producteur (2,32 GUSD), suivi par la Russie (1,98 GUSD), le Canada (1,4 GUSD) et l’Afrique du Sud (1,05 GUSD). En poids, la Russie était le plus gros producteur en 2005 (38 millions de carats) devant le Botswana (31,9 millions de carats) et l’Australie (30,7 millions de carats).

14 L’extraction se fait principalement dans les gisements primaires (pipes kimberlitiques) à ciel ouvert (carrière) ou en souterrain. Les dépôts secondaires (placers ou paléoplacers [15]) peuvent se trouver dans les lits des rivières ou sur les côtes marines (offshore). Les pays qui ont d’importantes productions alluviales, artisanales ou mécanisées, sont surtout en Afrique et représentent quelque 25 à 30 % de la production mondiale (2004) : l’Angola, la RDC, la Namibie, la Sierra Leone, la RCA, la Guinée, la République du Congo, la Tanzanie, etc.

15 Derrière l’Afrique, l’Australie, la Russie et le Canada réalisent ensemble 40 % de la production mondiale. L’Australie possède la plus grande mine du monde en poids : la mine d’Argyle, qui produit de 20 à 30 millions de carats selon les années avec une qualité médiocre [16]. La production devrait diminuer avec le passage en souterrain, qui doit prolonger la vie de la mine jusqu’en 2025 à 20 millions de carats par an. La plupart des autres grandes mines hors Afrique se trouvent en Russie et, depuis 1999, au Canada, dont la montée en puissance est remarquable.

Exploration et perspectives

16 La production africaine bénéficie d’un contexte de marché tout à fait porteur. La demande mondiale de diamant va croître à un rythme de 3 % par an jusqu’en 2012 selon les analystes. Vu ses performances historiques, il est peu probable que soit remis en question l’attrait du diamant de joaillerie [17]. De plus, le pari et les investissements consentis par De Beers pour promouvoir le diamant comme produit de luxe popularisé débouchent concrètement sur une augmentation des ventes.

17 Cela stimule d’une part la production, qui pourrait même être pendant un temps en difficulté d’assurer de tels approvisionnements, et d’autre part l’exploration. Depuis la découverte d’Ekati [18] à la fin des années 1980 et sa mise en production en 1998, les dépenses mondiales d’exploration pour le diamant ont quasi doublé en 10 ans, jusqu’à occuper près de 13 % du total des dépenses en 2005, toutes substances confondues.

18 L’émergence du Canada répond à une nouvelle logique : c’est la première découverte indirecte due à des modèles fiables [19]. Les prospections géophysiques suivies de reconnaissances au sol, au Canada, ont été la clef des découvertes dans une région vierge. Le même modèle conceptuel est à l’origine des découvertes et indices en Russie du Nord-Ouest, en Scandinavie ou en Mauritanie. On est donc passé de découvertes fortuites (Inde, dans l’Antiquité, puis Brésil, Afrique du Sud, etc.) à la recherche raisonnée de cibles propices, partant de modèles géologiques fiables et avérés.

19 Si l’exploration est très dynamique en Russie notamment, c’est toujours au Canada qu’elle est la plus active : on s’attend à ce que le pays devienne un acteur prédominant du monde du diamant (15 à 20 % de la production mondiale à moyen terme). L’Afrique doit donc désormais compter avec ce nouveau grand rival. En 2005, l’Afrique a attiré 265 millions de dollars d’exploration dans le diamant, avec 8 projets au stade de la préfaisabilité contre 226 millions de dollars dépensés au Canada avec 7 projets à ce même stade. Même dans les pays encore en guerre récemment, le climat politique semble permettre de nouvelles opportunités d’investissement : Sierra Leone, Angola, RDC [ 20].

20 Les dépenses d’exploration étant fortement corrélées aux augmentations de production, on peut penser à terme que l’écart entre les nouvelles productions apportées par les projets déjà identifiés et les baisses de productions des mines en fin de vie sera de plus en plus positif. Ce différentiel trouvera-t-il son débouché sur le marché ? Cela ne nous paraît pas évident. Il est vrai que la consommation par des pays importants comme les États-Unis et le Japon restera dépendante du contexte économique général et du taux d’accroissement du niveau de vie.

21 Mais le scénario d’une surproduction dès l’horizon 2008-2015 reste plausible, compte tenu du nombre des projets miniers, du très fort potentiel canadien, de l’arrivée plus que probable de nouveaux intrants (Mauritanie, Arctique européen) et dans l’hypothèse d’un fort redéploiement de l’activité minière en Angola et RDC.

22 En tous les cas, sans le rôle stabilisateur du « gardien du temple » qu’exerçait l’empire De Beers au temps de sa toute-puissance sur le marché [21], le diamant risque de connaître ce qu’il n’avait pas connu jusqu’alors et qui est pourtant le sort de toute commodité : la cyclicité des prix.

Photo 1

Artisanat semi-mécanisé, exploitation de diamant en lit vif, Koidu, Sierra Leone, 2004

Photo 1

Artisanat semi-mécanisé, exploitation de diamant en lit vif, Koidu, Sierra Leone, 2004

Source : J.-F. ORRU, 2004.

Le rôle des diamants dans les trois principaux conflits

23 ANGOLA

Le rôle du diamant dans le conflit

24 C’est en Angola que le phénomène des « diamants du sang » fut d’abord dénoncé. En juin 1999, à la demande du Canada, le Conseil de sécurité de l’ONU décida de frapper d’embargo les diamants angolais.

25 Une mission de l’ONU envoyée en Angola avait révélé comment l’Union Nationale pour l’Indépendance Totale de l’Angola (UNITA), le mouvement d’opposition armée dirigé par Jonas Savimbi, finançait son effort de guerre : « Le diamant joue un rôle particulièrement important dans l’économie politique et militaire de l’UNITA. Premièrement, la capacité de l’UNITA de continuer de vendre des diamants bruts pour des espèces et d’échanger des diamants bruts contre des armes lui donne les moyens de poursuivre ses activités politiques et militaires. Deuxièmement, le diamant a été et continue d’être un élément important de la stratégie de l’UNITA pour se faire des amis et entretenir un appui extérieur. Troisièmement, les caches des diamants bruts plutôt que des dépôts monétaires ou bancaires constituent pour l’UNITA le moyen privilégié de stocker sa fortune [22]. »

26 Car ces sanctions ne s’appliquaient exclusivement qu’aux diamants de l’UNITA. C’était une manière claire de prendre parti. Le Gouvernement en place étant reconnu comme légitime, l’UNITA était de fait déclarée rebelle. La responsabilité du conflit lui incombait désormais au regard de la communauté internationale.

27 Le diamant ne jouait pas un rôle décisif avant que l’UNITA ne soit mise au ban progressivement par la communauté internationale.

28 Si l’ONU agit sur le commerce des diamants en Angola, ce n’est pas tant pour agir sur la cause directe de la guerre que sur une ressource qui permettait à un conflit vieux de 25 ans de perdurer. Avant même l’indépendance (1975), les candidats à la direction du pays étaient déjà engagés dans une lutte fratricide pour le pouvoir [23]. Enracinée dans une division ethnique [24], sur laquelle s’est surimposée une confrontation idéologique, elle-même largement instrumentalisée par les grandes puissances et leurs féaux [25], la guerre civile n’a pas le diamant pour cause, elle en avait fait son moyen. Le diamant a d’ailleurs joué un rôle secondaire dans la première phase du conflit, jusqu’à la fin des années 1980. Dans cette période, en effet, chaque faction bénéficiait de soutiens extérieurs importants. Tant que l’UNITA pouvait compter sur l’appui de l’Afrique du Sud et des services secrets américains, les diamants n’étaient pas au cœur du conflit.

29 En revanche, après les accords de Bicesse (Portugal) en 1991 puis ceux de Lusaka (Zambie) en 1994 et les élections présidentielles de 1992 qui donnent le MPLA vainqueur et amènent E. Dos Santos au pouvoir, l’UNITA perd un à un ses soutiens diplomatiques et logistiques antérieurs. Quand la guerre reprend, le mouvement est déclaré illégitime quasi unanimement [26]. En 1993, l’ONU prend contre l’UNITA une première série de sanctions financières et de mesures interdisant la vente d’armes et les déplacements de certains responsables. L’objectif était d’affaiblir les sources de financement des opérations militaires de ce mouvement.

Encadré 1 – Le rôle du diamant dans le financement de l’UNITA

Le secrétaire général de l’UNITA, Paolo Lukamba « Gato » avoue lui-même en 2000 que le mouvement s’est tourné vers le diamant comme source d’autofinancement : « Nous n’avons pas de problème pour écouler les diamants et financer avec notre effort de guerre. »
En pratique et d’après les enquêtes du Conseil de Sécurité de l’ONU, l’UNITA payait le matériel de guerre avec des diamants bruts provenant des gisements qu’elle contrôlait. Le plus souvent, un trafiquant d’armes et son expert en diamants arrivaient par avion et rencontraient M. Savimbi et l’expert en diamants de l’UNITA. Ils convenaient du nombre de diamants correspondant au prix d’achat. Ces pierres précieuses étaient alors remises au fournisseur, qui les vendait sur le marché international. Dans la plupart des cas, la discrétion traditionnellement observée dans l’industrie des diamants garantissait qu’aucune question ne serait posée concernant l’origine ou les propriétaires des pierres précieuses. Selon les enquêteurs de l’ONU, l’UNITA a utilisé ce type de troc pour assurer à ses forces militaires un approvisionnement régulier en armements, notamment en chars, en missiles et en artillerie (Afrique Relance, 2001).
Après les accords de Lusaka et la très théâtrale rencontre Dos Santos - Savimbi, l’opinion publique s’attendait à un règlement du conflit. Quand les combats reprirent à nouveau en 1997, les ONG par leurs campagnes de sensibilisation et l’ONU par ses sanctions ont suscité une prise de conscience internationale du lien existant entre les diamants et les conflits africains. Le diamant, « mobile » naturel du conflit, tendit dès ce moment à occulter les mobiles politiques.
Mais, l’UNITA réagit en prenant le contrôle de bon nombre des régions diamantifères de l’Angola. Seule cible facile « à portée de main », le diamant lui permet de financer ses opérations par la vente illégale et de se réarmer. L’UNITA devient ainsi le plus grand producteur de diamants de l’Angola. En 2000, la valeur des diamants exportés en contrebande et donc les recettes des « diamants de la guerre » pour les rebelles étaient estimées à 1 million de dollars par jour, soit 5 % de l’offre mondiale de diamants bruts.

La fin de la guerre civile

30 Cela ne suffit pas à Savimbi qui tenta de mettre la main sur les ressources pétrolières. Cela lui fut fatal : pour la CIA, ce sera l’élément décisif. Face à l’enjeu pétrolier, les États-Unis ne peuvent laisser le conflit reprendre de l’ampleur et apportent au MPLA un soutien technologique (imagerie satellite) de première qualité. Le 22 février 2002, Jonas Malheiro Savimbi est tué les armes à la main, dans la province de Moxico. La guerre civile prend fin, elle aura duré 27 ans et causé la mort de plus de 1,5 million de personnes.

31 RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO

Diamants du sang en RDC

32 Contrairement à la situation en Angola, le diamant fut un enjeu permanent en RDC : il joua un rôle majeur à chaque étape du conflit. Parler de diamants du sang en RDC, ce n’est pas prendre parti pour telle ou telle faction, car le diamant représente un enjeu stratégique pour tous les protagonistes. « Scandale géologique », la RDC renferme 50 % des réserves mondiales de cobalt, 10 % des réserves de cuivre et 30 % des réserves de diamant. Mais contrairement à son voisin du sud, elle ne peut compter sur la « manne » pétrolière [27]. Dans cet immense pays, troisième territoire d’Afrique, aussi grand que l’Europe, les diamants sont la principale richesse nationale et y jouent un rôle bien plus stratégique qu’en Angola.

33 Dès l’indépendance et le départ des Européens, la riche province diamantifère du Kasaï, comme celle, cuprifère, du Katanga, chercha à se constituer en État autonome. La Belgique appuya en coulisses ces sécessions, en y voyant un moyen de contrecarrer la politique marxiste du Premier ministre de l’époque, Patrice Lumumba. À l’évidence cependant, il n’y aurait pas eu dans ces territoires de telles velléités séparatistes sans les précieuses richesses naturelles.

De l’État-Diamant de Mobutu à la première guerre du Congo

34 L’importance des ressources minérales dans l’imaginaire collectif est, en RDC, telle qu’elle fut parfois amplifiée de manière outrancière. En plus des effets d’annonce, traditionnels pour les ressources précieuses, la « carte » des ressources et du diamant en particulier fut plus d’une fois jouée sur le plan politique avec exubérance. De 1965 à 1997, l’ère Mobutu et la « zaïrisation » de l’économie [28] correspondent à une période de faste apparent. Les grands projets, souvent des « éléphants blancs », sont financés en hypothéquant les ressources naturelles.

35 Durant les années 1980, la baisse des cours du cuivre met à jour les failles d’un système centralisé, sans limite claire entre les biens de l’État et ceux de son dirigeant [29]. Imitant le modèle de leur chef, les généraux se tournent vers les diamants pour tirer des ressources substantielles qui les affranchissent de la tutelle du maréchal et les transforment en « seigneurs des mines ».

36 Le pays entre dans une période d’hyper-inflation accélérée par l’attitude prédatrice des gouvernants. La dégradation des infrastructures finit par exclure les possibilités d’exportation des produits miniers et précipite l’arrêt de la Gécamines et l’informalisation des activités extractives.

37 En plus de l’effondrement des revenus miniers, la fin de la guerre froide correspond pour le Congo à une très nette diminution de l’appui des puissances occidentales [30]. Cette suspension de l’aide publique au développement va engendrer une réduction drastique du budget de l’État, une pression accrue sur les recettes et l’effondrement du secteur productif formel. Le recours à la violence devient alors un moyen de confiscation et de prise du pouvoir politique et économique par les forces en présence dans le pays.

38 L’oligarchie régionalisée ne peut résister longtemps à l’avancée de l’Alliance des Forces Démocratiques pour la libération du Congo (AFDL) dirigée par Laurent Désiré Kabila. La « première guerre du Congo » [31] commence dans le Kivu en septembre 1996. Elle est déclenchée par un motif ethno-politique : le rejet de Mobutu d’accorder la nationalité zaïroise aux Banyarwanda [32]. Le Burundi, le Rwanda et l’Ouganda vont instrumentaliser ces revendications dans le but de renverser Mobutu, mais surtout de sécuriser la frontière avec le voisin géant qui sert de sanctuaire à des mouvements d’opposition aux pouvoirs en place dans ces trois pays [33]. Kabila acquiert un financement grâce aux contrats sur les concessions diamantifères passés avec des compagnies minières occidentales mais les richesses du Kivu et de l’Ituri intéressent également les « parrains » de l’AFDL qui seront « récompensés » de leur soutien par Kabila une fois la prise de pouvoir effective.

39 Le diamant dans l’histoire congolaise a toujours représenté un trésor monnayable à l’avance, comme un « dépôt de garantie » pour obtenir de l’aide militaire.

Deuxième guerre du Congo

40 En 1997, Kabila devient Président et le Zaïre la République Démocratique du Congo (RDC). Néanmoins, Kabila, qui veut se libérer de la tutelle de ses alliés, les invite à quitter le territoire. Ce désir d’affranchissement lui vaudra une tentative de coup d’État qui déclanchera la seconde guerre en 1998, opposant d’une part le Rwanda, l’Ouganda et le Burundi à la RDC et ses nouveaux alliés : le Zimbabwe, la Namibie et l’Angola, lesquels reçoivent à leur tour pour leur soutien une promesse d’accès aux ressources minières [34].

41 Dans les faits, le pays s’installe dans une économie de guerre et une logique de prédation à laquelle participent les différentes parties en présence. Sur la partie Ouest, les forces pro-gouvernementales contrôlent le Centre et le Sud. Le Rwanda exerce son influence sur le Maniema, le Sud-Kivu, une grande partie du Nord-Kivu et de l’Ituri, le Nord du Shaba et quelques zones du Kasaï oriental, contrôlant ainsi le « coltan », et quelques gisements de diamant. Enfin, les ressources importantes en or et diamant de l’Équateur, du Nord-Kivu et de l’Ituri sont sous contrôle de l’Ouganda. Le diamant va remplacer le cuivre dans les exportations, confirmant la dérive mafieuse avec une baisse significative des métaux dans le total des exportations officielles.

42 En 2001, le groupe d’experts de l’ONU sur l’exploitation illégale des ressources naturelles retenait que : « Les principaux motifs du conflit en RDC sont devenus l’accès à cinq ressources minérales (parmi lesquelles le diamant), ainsi que le contrôle et le commerce de ces matières. La richesse de la RDC suscite une convoitise à laquelle il est difficile de résister du fait de l’anarchie et de la faiblesse de l’autorité centrale. L’exploitation des ressources naturelles de la RDC par les armées étrangères revêt aujourd’hui un caractère aussi bien endogène qu’exogène. Le pillage, l’extorsion et la constitution d’associations de criminels sont devenus choses courantes dans les territoires occupés. Ces organisations, qui ont des ramifications et des liens dans le monde entier, constituent un grave problème de sécurité auquel la région va maintenant devoir faire face. »

43 De nombreuses compagnies minières et diamantaires occidentales, et en particulier originaires des États-Unis, du Canada et d’Israël, soutenaient le gouvernement de Kabila en échange d’accords commerciaux. Ces actions leur valurent de nombreuses critiques des groupes de défense des droits de l’homme.

Aujourd’hui

44 En janvier 2001, Laurent Désiré Kabila est assassiné et son fils Joseph Kabila accède au pouvoir. Même si la RDC est officiellement en paix depuis 2003, des combats continuent dans le nord et le pays est en grande partie détruit par les années de guerre. Le conflit qui s’est déployé entre 1998 et 2003 aurait provoqué près de 4 millions de morts.

45 Le climat politique est encore incertain après les élections de fin 2006 qui ont conforté Joseph Kabila au pouvoir. BHP Billiton, première compagnie minière mondiale, a annoncé en juin 2006 qu’elle allait rouvrir des bureaux à Kinshasa, ce qui a renforcé un certain élan vers le pays. La compagnie dispose de nombreux permis d’exploration dans le pays.

46 LIBERIA ET SIERRA LEONE

Foyer diamantifère

47 Au Liberia et en Sierra Leone plus qu’ailleurs, il est tentant d’établir un lien de cause à effet entre les diamants et le conflit. D’après l’ONG Partenariat Afrique Canada : « L’enjeu de cette guerre n’a probablement pas été la victoire mais plutôt la réalisation de bénéfices provenant d’activités criminelles lucratives menées sous le couvert de la guerre. En fait, les diamants ont été le moteur du conflit en Sierra Leone, qui a déstabilisé le pays durant près de trente ans, dérobé son patrimoine et détruit toute une génération d’enfants [35]. »

48 Dans les conflits qui ont ravagé le Liberia et la Sierra Leone, le diamant a joué un triple rôle.

49 Il a d’abord servi à financer un mouvement d’opposition politique né dans les années 1980 dans les régions diamantifères des monts Nimba, le NPFL [36] dirigé par un ancien ministre du président Samuel Doe [37] : Charles Taylor.

50 Fin 1989, le NPFL lance ses premières attaques contre les autorités gouvernementales. Il bénéficie des revenus de l’exploitation artisanale du diamant mais aussi du soutien plus ou moins indirect de la Côte d’Ivoire, du Burkina Faso et de la Lybie [38].

Extension du conflit aux diamants frontaliers

51 En 1991, le NPFL, qui contrôle 90 % du territoire libérien, va étendre ses actions à la Sierra Leone. Foday Sankoh [39], lieutenant de Taylor, fonde le RUF [40] qui met rapidement sur pied une économie de guerre clandestine fondée sur le contrôle des zones diamantifères de Kono et de Tongo Field. La ressource en diamant, beaucoup plus riche que dans les monts Nimba, devient un levier financier au service de l’action armée. Au Liberia, plusieurs factions dirigées par des seigneurs de guerre apparaissent. Elles se caractérisent par une prédation extrêmement violente à l’encontre des civils, le pillage des ressources naturelles, la généralisation du trafic et de l’usage des armes, essentiellement issues des pays du bloc de l’Est [41].

52 La Sierra Leone entre dans une phase d’instabilité politique qui fera finalement basculer une partie de l’armée aux côtés du RUF et rendra bien illusoire le pouvoir politique de son président Ahmed Tediam Kabah. Dans les faits, Freetown est sous contrôle de l’ECOMOG [42] mais le reste du territoire est aux mains du RUF.

Spirale mafieuse

53 À partir de 1997, le diamant devient le centre d’une spirale mafieuse au service d’un État personnalisé. Selon l’ONG Partenariat Afrique Canada, le Liberia de Charles Taylor serait « devenu un important entrepôt criminel de diamants et d’armes et un centre de blanchiment d’argent, de terreur et d’autres formes de crime organisé ». La filière libérienne était une tradition ancienne mais le fait nouveau était la participation active du Gouvernement lui-même dans la guerre brutale en Sierra Leone, dans une optique de pillage plutôt que dans un but politique.

54 Les civils subissent les méthodes violentes du RUF (mutilations, viols, pillage, enrôlement forcé d’enfants). Les accords de Lomé conclus en juillet 1999 paraissent mettre fin au carnage en amnistiant les combattants et en offrant la vice-présidence et la gestion des ressources stratégiques à Sankoh, mais le règne de la terreur reste présent et les combats reprennent. Ce n’est qu’avec la capture de Sankoh par les Britanniques, qui finissent par prendre la tête d’une intervention musclée préfigurant le déploiement de l’ONU dans la région, que la violence finira par décroître avec le désarmement progressif et la fin officielle du conflit en Sierra Leone en 2002.

55 Au Liberia, après plusieurs accords conduits sous l’égide diplomatique de la CEDEAO, les élections de 1997 avaient porté C. Taylor aux plus hautes fonctions. Le pays est alors sous coupe réglée, mais le camp de ses adversaires se fortifie. Taylor est de plus en plus isolé sur le plan international et se voit imposer en 2001, puis en 2003, des sanctions par l’ONU interdisant l’exportation de bois et de diamant ainsi qu’une interdiction de voyager. Le tribunal spécial de la Sierra Leone l’inculpe pour sa participation dans les crimes de guerre en Sierra Leone. Inculpation qui conduira à son arrestation en 2006 après un exil doré de 3 ans au Nigeria.

Les liens conjoncturels entre diamants et conflits

Géopolitique « idéologique » dans les années 1960-1990

56 Avant de tracer des flèches de causalité trop directes entre les diamants en Afrique et les conflits, il convient de rappeler le contexte géopolitique mondial et son évolution, qui expliquent en grande partie le rôle qu’a pu gagner une ressource certes rare et précieuse, mais pas forcément prédestinée à un rôle si crucial.

57 Depuis la décolonisation et les indépendances, la période entre 1960 et 1990 pourrait être caractérisée schématiquement par une géopolitique idéologique. Elle est en effet déterminée par l’antagonisme Est-Ouest, la tension extrême et la neutralisation respective, non sans coups bas extraterritoriaux, que se livrent les deux super-puissances d’alors : c’est la guerre froide.

58 Il y avait déjà des conflits en Afrique sub-saharienne mais ils n’étaient analysés que comme des phénomènes « collatéraux » : tout affrontement direct étant exclu, les deux grands externalisaient au Sud le théâtre de la conflictualité (Brunet, 2004) et tentaient par tous les moyens de tirer la couverture politique chacun de son côté. Cette situation était assez « confortable » pour les groupes d’opposition aux nouveaux pouvoirs en place en Afrique. Il leur suffisait d’aller chercher soutien politique et financier dans le camp de couleur contraire à leur gouvernement.

59 Quand le MPLA pro-communiste a accédé au pouvoir en Angola, il a été logique pour Savimbi et l’UNITA de prendre les armes en se mettant sous la coupe des Occidentaux. L’Afrique du Sud jouera aussi un rôle majeur au côté de l’UNITA, s’en faisant un allié de choix dans sa lutte contre le mouvement indépendantiste namibien, la SWAPO [43]. Le diamant était toujours bon à prendre, mais il n’était pas une question de survie.

60 Au même moment, le marché du diamant est dominé par l’empire De Beers. Celui-ci a réussi à maintenir sa puissance de manière indéniable bien que de plus en plus contestée. Il a résisté aux « agressions » contre son monopole, telles que l’arrivée sur le marché international du diamant russe et du diamant synthétique [44]. De Beers rate cependant son arrivée en Australie : Argyle est lancée en 1985 par Ashton, un indépendant. De Beers, en revanche, s’installe avec réussite au Botswana dans les années 1970-1980. Le pays lui fournira ses plus belles mines et la prospérité jusqu’à aujourd’hui.

61 Le monopole de De Beers avait l’avantage de réguler le prix en contrôlant l’écoulement des stocks sur le marché et en assurant la stabilité du marché mondial [45]. Cela lui profitait et profitait autant qu’aux acteurs déjà en place. Mais les nouveaux acteurs, les intrants ou les challengers, comme les diamantaires israéliens étaient en plein développement et se trouvaient toujours à court de diamant brut, lequel est trusté par De Beers. C’est donc naturellement qu’ils se tournèrent vers des sources d’approvisionnement alternatives à la très stricte et toute-puissante DTC (Diamond Trading Corporation), filiale commerciale de De Beers. De même, le décollage de l’Inde comme centre mondial du polissage [46] date des années 1980-1990 et le pays se tourne aussi vers de nouvelles provinces. L’Afrique offrait des filières discrètes et multiples, le diamant issu du secteur artisanal y était de bonne qualité. Le système De Beers favorisait donc indirectement l’exploration et la contrebande.

62 À l’idéologie politique, ferment de la guerre froide, avec ses ramifications en guerres larvées au Sud, correspond dans le monde du diamant, l’idéologie monopolistique d’un empire commercial avec ce réseau capillaire de trafics naissants.

Géopolitique « opportuniste » dans les années 1990-2000

63 La chute du mur de Berlin et la fin de la guerre froide bouleversèrent la donne géopolitique sur le plan international et donnèrent plus de champ aux revendications nationales. Les grandes puissances se désintéressent progressivement sinon des pays africains, du moins des mouvements de « libération » qu’elles soutenaient auparavant. Elles délèguent à l’ONU le soin d’initier des processus de paix sans toujours lui accorder les moyens d’agir et d’agir vite. L’antagonisme Hutus-Tutsis de l’Afrique des Grands Lacs dégénère en génocide dans ce climat de passivité voire d’indifférence.

64 C’est à partir de là que, privés du soutien financier garanti au nom d’une « idéologie », les nouveaux rebelles se tournent désormais, de manière opportuniste, vers les ressources minières qui sont à leur portée. Il s’ensuit un processus de privatisation et d’africanisation de la guerre (Misser, 2001).

65 Après avoir contesté les élections de 1992, l’UNITA mène une offensive foudroyante pour mettre la main sur les mines de diamant les plus importantes du pays, le long du fleuve Cuango. L’Afrique du Sud a connu ses propres bouleversements internes et externes. En 1988, elle accepte l’indépendance de la Namibie. Entre 1989 et 1991, sous le contrôle des Nations unies, elle en retire ses troupes. Elle n’a donc plus de raisons de soutenir l’UNITA. La nouvelle administration Clinton aux États-Unis [47] lui étant peu favorable, le mouvement n’a plus le choix, il se tourne vers le diamant pour se doter d’une puissance financière autonome.

66 De même en RDC, les troubles furent nombreux entre 1990 et 1993 et l’armée était mal payée et mal contrôlée par Mobutu. Ne voulant pas donner à l’armée l’occasion de se rebeller, il décida de laisser de la latitude aux unités spéciales et autres militaires pour s’autofinancer et faire des affaires. Ce fut la première logique opportuniste : les militaires contribuant eux-mêmes au développement de la contrebande avec les pays voisins, au trafic d’armes et aux influences étrangères (Vandeburie, 2006).

67 Enfin en Afrique de l’Ouest, Foday Sankoh au Sierra Leone et Charles Taylor au Liberia, ayant « fait leurs armes » dans leurs pays respectifs, engagent la lutte armée pour prendre le pouvoir. De grands stocks d’armes sont disponibles sur le marché à la suite du démantèlement de l’URSS. Le 23 mars 1991, avec une centaine de combattants, Foday Sankoh attaque deux villages à l’est du pays : objectif les mines de diamant.

68 L’affaiblissement de l’autorité de l’État a pour conséquence quasi mécanique la déliquescence des armées nationales et leur remplacement par des prestataires privés. Le mercenariat, logique opportuniste caractéristique de cette époque, s’est ainsi développé dans les trois sous-régions. Des entreprises de guerre, pourtant très officiellement inscrites aux registres du commerce britannique, australien, sud-africain ou autre, se payent en exploitant les concessions diamantifères dont elles assurent par ailleurs la sécurité.

69 Pendant ce temps, l’empire De Beers subit revers sur revers. Il échoue en 2000 dans sa tentative de rachat de l’australien Ashton (soutenu par Rio Tinto). Celui-ci a décidé dès 1996 de se passer de l’omniprésente DTC et de vendre ses propres bruts de manière indépendante. Le cartel au niveau de la vente de brut est définitivement déstabilisé. De Beers rate encore son arrivée au Canada : c’est vers BHP Billiton que les découvreurs d’Ekati se tournent pour le lancement de la première mine canadienne en 1998. L’entreprise mise son va-tout sur l’effet Millenium : l’année 2000 sera excellente ; elle sera pourtant celle de tous les revirements.

Géopolitique « moralisatrice » dans les années 2000-2005

70 Effet induit de l’extraordinaire publicité pour le diamant à l’occasion des festivités du millénaire ? L’effort des ONG entrepris dès la fin des années 1990 porte ses fruits : les projecteurs sont maintenant braqués sur la face obscure des diamants : les « diamants du sang ». Par des campagnes médiatiques parfois « sensationnelles », mais souvent fondées et argumentées, des ONG comme Global Witness, Amnesty International ou PAC dénoncent la commercialisation de diamants ayant servi à financer des conflits meurtriers. À la faveur de la globalisation croissante de l’information, l’opinion publique est sensibilisée à grande échelle.

71 Cette sensibilisation eut un impact déterminant sur la communauté internationale. Comme on l’a vu, le Conseil de Sécurité de l’ONU vote en 2001 des sanctions contre le Liberia. C’est le troisième embargo décrété en moins de deux ans par l’ONU contre les « diamants du sang ».

72 Les campagnes de sensibilisation permirent en outre à leurs porte-voix non gouvernementaux de s’ériger en acteurs incontournables de la diplomatie internationale. Il n’est probablement pas exagéré d’y voir la base d’une nouvelle géopolitique africaine que l’on pourrait appeler « moralisatrice ». En plus des Organisations internationales et des États, des « personnes privées » issues de la société civile, à savoir les multinationales ou les ONG, font désormais partie du jeu politique international. Le consensus n’est pas idéologique, ou au moins pas de manière avouée, il est basé sur des arguments éthiques ou présentés sous cette étiquette. Il s’agit de cesser d’acheter des diamants liés aux conflits en cours, et pour cela d’assainir toute la filière d’approvisionnement. Par la suite, il faudra assainir la « gouvernance » dans tous ces pays où l’État est faible et le processus de démocratisation vulnérable.

73 La place du diamant dans la géopolitique mondiale s’intensifie encore en 2001 : déjà mis à l’index comme pièce maîtresse des conflits africains, le diamant est encore dénoncé comme source de financement du terrorisme international. De nombreuses publications [48] tentèrent de démontrer le lien entre l’exploitation des diamants d’Afrique de l’Ouest et le financement d’Al Qaida [49].

74 On est en effet au lendemain du 11 septembre et celui-ci a généré une véritable dynamique de normalisation. Certains États ont accepté, au moins sur le papier, de nombreuses résolutions de « bonne gouvernance » pour faire bonne figure et ne pas compter parmi les cibles potentielles des États-Unis au moment où ils traçaient sur la carte un « axe du mal ».

75 Sur le marché, De Beers, qui voit sa position même en Afrique menacée de toutes parts (elle s’est fait renvoyer d’Angola et n’est plus très présente en RDC), décide d’emboîter le pas aux ONG. Elle participera activement à la création et à l’animation du « Processus de Kimberley ». Elle y voit en effet une manière de reprendre la main en se plaçant de manière exclusive du côté des diamants « propres » (Botswana, Afrique du Sud, Namibie) et en cherchant à neutraliser du même coup ses nouveaux concurrents, au besoin par embargo interposé.

Les raisons structurelles qui font du diamant une « ressource conflictuelle »

Une ressource tentante

76 Dans la plupart des lois minières africaines, aujourd’hui, la propriété de la ressource est clairement reconnue à l’État. Le Code minier de RDC par exemple, réformé en 2002, stipule dans son article 3 : « Les gîtes des substances minérales, y compris les gîtes artificiels, les eaux souterraines et les gîtes géothermiques se trouvant sur la surface du sol ou renfermés dans le sous-sol ou dans les cours d’eaux du Territoire National sont la propriété exclusive inaliénable et imprescriptible de l’État. »

77 Cela suppose cependant un État capable d’assurer une bonne gestion et de faire respecter son droit à la propriété. L’État doit notamment arbitrer et s’imposer en cas de conflit d’usage auprès des propriétaires du sol en surface [50]. Cela suppose aussi un État suffisamment fort pour réguler et contrôler cette propriété, y compris dans les zones les plus reculées du territoire national.

78 En Afrique, cela est loin d’être évident et la dimension géopolitique des diamants s’exacerbe de manière plus flagrante encore dans le cas des ressources alluviales. Plus accessibles techniquement, elles attisent les rêves de fortune et les tentations d’appropriation. Elles offrent un trésor en terre capable de décupler la force d’un chef sécessionniste, d’une bande criminelle ou d’un mouvement rebelle.

79 Ce risque est d’autant plus important que la ressource se trouve en zone frontalière. Quand Foday Sankoh lance une offensive pour mettre la main sur les diamants de Sierra Leone, c’est sous l’impulsion du mouvement de Charles Taylor au Liberia voisin et avec sa complicité : il s’agit de s’assurer, là encore, d’une puissance financière permettant d’acheter des armes. Le caractère informel de l’exploitation artisanale permet le développement d’une économie obscure dans laquelle prospèrent tous les types de trafics.

Le droit d’exploiter la ressource et le droit d’allouer ce droit

80 D’une manière générale, comme ce n’est plus l’État qui exploite lui-même la ressource, il doit déléguer cette exploitation tout en veillant à récupérer les royalties matérialisant cette propriété. On touche ici au problème délicat du partage de la rente : dans les bénéfices réalisés par l’exploitant, quelle part revient à l’activité de l’entreprise et quelle part revient à l’État en vertu de la concession à un tiers de son droit de propriété ? En plus des impôts commerciaux « normaux » sur les bénéfices et à l’exportation, l’État récupère une partie de la rente minière dont il est propriétaire. Ces taxes représentent à l’évidence des leviers de pouvoir et des instruments politiques déterminants. Le mécanisme de délégation du droit d’exploitation – l’allocation des concessions – est lui-même « riche de conflictualité ».

81 Dans le cas d’une ressource primaire (kimberlite), exploitable seulement de manière industrielle, l’entreprise qui obtient le droit d’exploiter une concession diamantifère s’assure une marge importante : le prix de revient au carat est bien inférieur au prix de vente [51]. Ce droit représente donc une garantie financière éclatante et par suite un puissant levier de pouvoir pour le Gouvernement central ou le potentat local, selon celui qui est en mesure, de droit ou de fait, de l’accorder.

82 Beaucoup de concessions, y compris dans d’autres domaines que les ressources naturelles (lignes électriques, ports, réseaux ferroviaires, etc.) sont ainsi des instruments politiques de premier ordre. Peu offrent en apparence la même marge d’exploitation [52].

83 En apparence seulement car l’allocation d’une concession – et donc l’exercice du pouvoir correspondant – suppose la ressource connue. Or cette connaissance est acquise par un travail d’exploration et de prospection antérieur qui représente un investissement extrêmement lourd et risqué [53]. On comprend donc l’obstination des compagnies minières à obtenir la security of tenure[54], garantie légale de continuité entre l’investissement de prospection et ce droit d’exploitation. Une telle règle suppose cependant une administration efficace et juste et une continuité politique et juridique qui a souvent fait défaut en Afrique. À chaque étape du processus d’allocation des droits d’exploration et d’exploitation du diamant, la « bonne gouvernance » ou, en négatif, le niveau de corruption du pays détermineront les chances de développement de la ressource.

84 L’attrait irrésistible de cet apparent bénéfice facile joue cependant beaucoup et introduit l’effet d’annonce, le bluff et la spéculation, autant de moyens d’exercer une domination par la connaissance ou le mensonge.

Encadré 2 – Diamants de la guerre en Côte d’Ivoire

La Côte d’Ivoire était le pays le plus prospère d’Afrique de l’Ouest jusqu’à la guerre civile déclenchée en septembre 2002. Le diamant est produit depuis les années 1930 mais en quantités faibles qui rapportent bien moins à l’économie nationale que le cacao [55], le bois ou encore le pétrole offshore. Le front de guerre est stabilisé depuis 2003 et assuré par l’ONUCI (corps des Nations unies de 7 000 hommes) accompagné d’un important détachement de Forces françaises (4 000 hommes).
Le diamant est extrait principalement autour de Seguela et de Tortiya, deux villes de la partie Nord, soit sous contrôle des Forces Nouvelles, opposées au Gouvernement du président Gbagbo qui tient le Sud du pays (y compris la capitale économique Abidjan [56]). Par conséquent, le Président a déclaré un ban sur l’exportation des diamants dès novembre 2002. Cette mesure a été suivie par un embargo [57] déclaré par l’ONU sur le diamant brut exporté de Côte d’Ivoire. Le motif invoqué est le lien entre l’exploitation illégale des ressources naturelles telles que le diamant, leur commercialisation illicite, le recrutement de mercenaires et la prolifération des armes qui exacerbent les conflits dans toute l’Afrique de l’Ouest. Les Forces Nouvelles reconnaissent lever la « taxe historique » de 8 % sur la production locale de diamant mais déclarent que cela ne génère que des revenus très limités. D’ailleurs, même si le rapport du groupe d’experts à l’origine de l’enquête s’inquiète du fait que des « diamants de guerre » sont exportés notamment via le Ghana, il est maintenant reconnu que le diamant ne joue qu’un rôle mineur dans le conflit en Côte d’Ivoire en raison des faibles quantités en jeu.

La valeur massique et le symbole

85 Tout ceci peut encore s’appliquer à d’autres ressources minérales, précieuses en particulier. Où est donc ce qui fait la singularité du diamant et de son rôle en géopolitique ? Contrairement à l’eau, au pétrole ou à d’autres ressources minérales, les enjeux géopolitiques ne relèvent pas de la dépendance ou de la sécurité des approvisionnements. Les pierres précieuses en effet ne sont pas des biens vitaux. Elles répondent non pas à des besoins primaires (s’alimenter, se chauffer) ni à des besoins secondaires (se vêtir) mais à des besoins tertiaires (manifester sa richesse). Ce n’est donc pas son usage mais sa valeur et plus précisément sa valeur massique qui fait cette singularité. Le diamant est parmi les pierres précieuses une de celles qui représente la plus grande valeur marchande dans le plus petit volume [58].

86 Quand le diamant est de bonne qualité, un carat soit 0,2 gramme représente 100 USD (parfois beaucoup plus) soit 500 000 USD au kilogramme à la production (mine). Cette très haute valeur massique qui les rend facilement dissimulables a toujours rendu le contrôle de leur suivi extrêmement difficile. De plus, contrairement au cuivre ou au pétrole, que l’on extrait de façon industrielle, donc en mettant en place des investissements substantiels et des installations visibles, les diamants, quand ils sont alluvionnaires, peuvent être exploités très facilement avec des moyens artisanaux même rudimentaires. C’est ainsi que les diamants représentent aujourd’hui une partie essentielle de l’économie parallèle ou informelle dans des pays d’Afrique dont l’économie officielle, de même que l’État de droit, s’est peu à peu délité.

87 Or cette valeur est quasi universellement reconnue [59] et le diamant acquiert une valeur supérieure au fur et à mesure qu’il descend la filière. Comme richesse économique, il devient un enjeu politique non négligeable pour les pays consommateurs [60] dont l’industrie diamantifère est importante (Belgique, Israël, Royaume-Uni, Canada). Chacun d’eux a pris des positions diplomatiques dans les « affaires » des diamants du sang en suivant les intérêts et le lobbying de sa propre industrie.

88 La fascination qu’exerce le diamant dépasse parfois la simple valeur monétaire. Son rôle géopolitique est encore accru par ce qu’on pourrait appeler sa force symbolique. Le diamant exerce un attrait emblématique d’un désir, voire d’une nostalgie de pureté, d’inaltérabilité, bien présent dans les mentalités occidentales. A diamond is forever, le slogan commercial de De Beers, grand maître du marketing depuis la naissance du groupe, illustre bien cette sensibilité des consommateurs finals au caractère « éternel » du diamant.

89 C’est sur cette corde, plus encore que sur la valeur monétaire, que les campagnes contre les diamants du sang ont misé pour faire levier sur l’opinion publique. La juxtaposition du diamant, symbole de pureté et d’éternité, et du sang, symbole de souillure et de mort, réalise un oxymore puissamment agissant pour ranimer un sens de la culpabilité dormant dans l’inconscient collectif occidental, et pour au final exercer une influence déterminante. Le diamant n’aurait pas acquis une telle place dans la géopolitique mondiale sans ce magnétisme symbolique.

Les moyens d’agir ou de réagir face aux risques et aux situations de crise

L’action politique est toujours possible

90 Suggérer que les diamants conduisent nécessairement aux conflits, en Afrique du moins, c’est faire le deuil de toute réaction politique nationale capable de faire face à une situation de crise exacerbée par la présence du diamant. C’est parfois réaliste en certains lieux et temps où l’État de droit se trouve en déliquescence mais, hors de toute circonstance et à l’échelle du continent, c’est une généralisation outrancière. Il n’est probablement pas juste de désespérer ainsi a priori de toute action politique nationale. La corrélation entre diamants et conflits, quoique réelle dans les faits, ne serait élevée au rang de « loi statistique » que par esprit de résignation.

91 Car il existe des moyens d’actions politiques pour enrayer l’engrenage de la pauvreté et de la violence dans lequel l’artisanat minier [61] se trouve pris. On a parlé avec raison de « cercle vicieux » pour décrire le phénomène d’informalisation progressive du secteur qui entraîne une suppression des revenus publics qui permettraient de mieux le gérer, un manque de contrôle institutionnel et par suite une fuite toujours plus grande dans l’économie informelle.

92 C’est un constat empirique auquel il faut bien se résoudre : le secteur de l’artisanat minier en Afrique n’évolue pas spontanément – ou à vitesse trop lente – vers le développement, la formalisation, et tout ce qui pourrait permettre d’améliorer les conditions de vie des citoyens et la gestion des ressources.

93 Cela est indéniablement le signe d’un besoin d’encadrement supérieur ou d’une nécessaire intervention de l’extérieur. Il est de plus en plus admis que des politiques, des législations et des réglementations doivent être élaborées en vue de corriger ces distorsions et de mettre l’économie sur la voie du Développement Durable [62].

Évolution de la politique minière dans le secteur artisanal

94 Dans les années 1960-1970, la mine artisanale était souvent vue comme opposée au développement de la « grande mine » et au principe d’industrialisation en général. Les pays depuis peu indépendants, ayant enfin recouvré la souveraineté sur leurs ressources naturelles, étaient bien décidés à prendre part aux échanges internationaux en jouant de leurs avantages compétitifs propres. L’exportation des matières premières était souvent une priorité politique que rien ne devait entraver. C’est ainsi que l’artisanat minier fut déclaré illégal et l’effort politique consistait à tenter de le bannir.

95 Progressivement, on reconnut que les ressources qui intéressent la « grande mine » d’une part et la mine petite et artisanale d’autre part n’étaient pas forcément les mêmes : des ressources à faible tonnage mais forte teneur peuvent se révéler non économiques pour un investisseur international et faire pourtant une ressource adaptée à l’exploitation à petite échelle. L’économie informelle commençait à être interprétée de manière plus optimiste, comme moteur de développement économique.

96 Cette idée reposait sur le postulat que les entreprises se moderniseraient, se développeraient et finiraient par être enregistrées légalement grâce à une aide fournie éventuellement par l’extérieur et matérialisée par des crédits ou de la formation. Les politiques allaient donc se focaliser sur l’accroissement de la productivité par l’octroi de crédits (achats de biens d’équipements) et l’accroissement de la technicité par la mise en place de programmes de formation (transfert technologique ou assistance technique). Plus pragmatiquement encore, on reconnut désormais qu’il serait vain de tenter d’éradiquer la mine artisanale. Celle-ci est une réalité qui emploie de manière directe des quantités impressionnantes de travailleurs et qui fait vivre des millions de personnes sur la planète. Sans aller jusqu’à encourager sa propagation, il s’agit donc d’encadrer la mine artisanale tout en tentant de la contrôler.

97 D’ailleurs, la pensée de l’économie informelle connut un revirement. Alors que l’emploi formel était en régression et que l’emploi informel augmentait, l’idée d’une possible substitution s’imposa. Si le secteur informel était décidément peu productif, il avait néanmoins un rôle social essentiel : l’économie informelle devait donc avant tout créer des emplois et des revenus, même très faibles et non fiscalisés. Dans cette optique, les politiques de formalisation devaient donc non pas seulement lutter contre les effets pervers de l’informel mais aussi accompagner les communautés concernées.

La bonne gouvernance

98 Dans le secteur minier, la diversité de situations de l’artisanat minier donne tout son sens à une réflexion sur les meilleures politiques de formalisation. Il n’y aura pas de recettes universelles et la pertinence des incitations à la formalisation dépendra de leur caractère adapté à la fois à la finalité politique et à la réalité empirique.

99 Deux grands mouvements orientent les politiques visant à la formalisation : soit l’attraction d’un plus grand nombre de mineurs dans le cadre formel par des mécanismes d’incitation et de répression, soit, à l’opposé, l’élargissement de ce cadre même, à la faveur d’une réforme des lois minières. La politique choisie devra prendre en compte la capacité d’intervention et de contrôle de l’État pour évaluer le degré de tolérance qu’il doit se résigner à accorder aux artisans du secteur.

100 Si les minéraux précieux tels que l’or ou les diamants ont toujours été associés aux conflits, au banditisme et à la violence, ils peuvent améliorer significativement le cadre de vie des populations et jouer un rôle important dans la croissance et la stabilité économique des nations, s’ils sont bien gérés, exploités et valorisés dans l’économie officielle : voilà en tout cas l’hypothèse qui préside à cette quête de la bonne gouvernance préconisée par les initiatives de développement internationales [63].

101 Il existe certes peu d’exemples de réussite dans les projets de développement car ils sont la plupart du temps trop courts pour avoir le temps d’impulser un changement ou d’en mesurer les effets. Hors Afrique, le Pérou offre un exemple encourageant d’une réforme du secteur de l’artisanat minier ayant donné des résultats significatifs en termes de formalisation.

102 Au final, il faut agir politiquement pour améliorer les conditions de vie mais l’ambition de développement du diamant artisanal doit rester modeste. Les pays qui disposent de ressources en diamants alluviaux ne peuvent miser uniquement sur cette forme de développement. L’exploitation artisanale de diamants alluvionnaires ne sera jamais une source de recettes importante pour les gouvernements (Global Witness, 2004).

Embargos et Processus de Kimberley

103 Face aux conflits, le gros effort politique international ne s’est pas concentré sur les questions de développement de la mine artisanale de diamant en Afrique mais sur des questions de commercialisation.

104 La première mesure prise par l’ONU a été l’embargo : en vertu d’un lien évident ou reconnu entre diamants et conflits, un pays se voit refuser tout débouché légal à sa production. L’embargo s’est avéré assez efficace d’un point de vue politique mais il a augmenté mécaniquement, en contrepartie, la contrebande. Ce fut le cas pour l’Angola dès 1998. L’embargo a posé une double difficulté : pour déclarer sales les diamants exportés d’Angola, il fallait certifier qu’ils étaient bien d’origine angolaise d’une part et qu’ils provenaient bien de l’UNITA d’autre part. De la même manière, l’embargo toujours en place sur les diamants du Liberia force toute la production à suivre des canaux clandestins.

105 L’autre type de mesure prise ici par l’ensemble de la communauté internationale, fut le processus de Kimberley. Il s’agit d’un régime international de certification des diamants bruts mis en place officiellement en 2003 à l’issue d’un long processus de réflexion, de consultation et de négociations entre la société civile, le monde de l’industrie, les institutions internationales et les gouvernements et dans le but d’éradiquer les diamants du sang. Le principe est simple : tout pays membre doit émettre des certificats d’origine assurant que tout diamant exporté de chez lui n’est pas issu d’une zone de conflit. En 2006, trois ans après l’entrée en vigueur du processus, les signataires se targuent d’avoir imposé des règles communes à une industrie représentant 99,8 % de la production totale de diamant et un volume financier de 60 milliards de dollars.

106 D’un point de vue pragmatique, le Processus de Kimberley, qui compte aujourd’hui 70 pays membres est considéré comme un succès [64]. Il serait exagéré de lui attribuer la fin du commerce de diamants du sang, puisque sa mise en place est arrivée tardivement et il y a encore des diamants de la guerre en Afrique, mais il est impossible de nier qu’il a joué un rôle dans la fin des conflits en Angola, au Liberia ou en RDC. Le processus de Kimberley existe et opère, comme beaucoup d’initiatives de droit international, par une progression des pratiques de plus en plus contraignantes à mesure qu’elles s’imposent comme consensus. Il ne fait rien ou peu pour le développement local et encore moins pour les problèmes de blanchiment ou de trafics d’armes, il réintroduit une forme de régulation dans le libre jeu de ce marché si particulier, mais il est vrai qu’il existe et qu’il participe d’un changement de mentalités et de comportements.

Conclusion

107 La contrebande de diamants existe en Afrique depuis plus d’un siècle. Au temps des colonies, elle était principalement le fait d’aventuriers qui travaillaient pour leur propre compte. Cela faisait presque partie d’un « folklore » immortalisé par les bandes dessinées ou les productions hollywoodiennes de série B. Avec l’indépendance, ce trafic a pris une dimension politique sans faire disparaître pour autant l’aspect crapuleux.

108 L’analyse des conflits récents montre une modification dans leur nature. Le diamant est non seulement un enjeu parmi d’autres (pétrole, cuivre, cobalt, etc.), il est aussi devenu, par l’argent qu’il procure, le moyen qui permet de continuer à faire la guerre, le « nerf de la guerre ». Des conflits pour le diamant, on est passé aux trafics des diamants pour financer les conflits, avec une dérive mafieuse où les intérêts politiques se mêlent aux intérêts criminels (Barrault, 2001). Vue sous cet angle, la paix en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale ne relève pas uniquement de l’action diplomatique classique. Elle passe aussi par la lutte contre la criminalité internationale.

109 Car il n’y a pas de déterminisme naturel qui n’exonère de toute responsabilité humaine. On l’a vu, les conflits s’expliquent et se distinguent par tout un faisceau de causes historiques, politiques, économiques, comme autant de paramètres géopolitiques à prendre en compte dans l’analyse et dans l’action.

110 On ne peut refaire l’histoire, mais on peut supposer que les guerres africaines n’auraient pas autant duré sans la présence de diamant ; elles auraient éclaté mais n’auraient pas perduré : dix ans de conflits en Sierra Leone, vingt-cinq ans en Angola, pas loin de quarante ans dans le bassin du Congo ! Le bilan se chiffre en millions de morts et autant de personnes déplacées.

111 Aujourd’hui le problème des « diamants du sang » n’est pas terminé : si les guerres en Angola, en RDC et au Sierra Leone semblent contenues, elles peuvent redémarrer, en témoigne la situation précaire du processus électoral en RDC. Par ailleurs, la paix dans ces pays est appuyée par de vastes opérations de maintien de la paix des Nations unies qui font appel à d’énormes moyens (plus de 38 000 militaires pour le Liberia, la Côte d’Ivoire et la RDC).

112 Il est essentiel que les institutions internationales, éclairées par l’histoire récente sur le rôle de démultiplicateur de violence que représentent les ressources minérales précieuses, continuent de promouvoir une action de développement durable dans le secteur. Les liens entre l’économie informelle du diamant, le terrorisme, le trafic d’armes et de drogues et le blanchiment d’argent devraient suffire à déclencher une vigilance redoublée et un effort massif en direction de ce secteur littéralement délaissé de l’aide au développement et où l’essentiel de la valeur ajoutée est obtenu en Occident ou en Asie.

113 Le processus de Kimberley permet de réduire la contrebande et de garantir la prospérité d’un marché vital à l’économie africaine, il ne suffit pas cependant à induire des changements dans le développement de l’activité d’extraction artisanale à l’amont de toute la filière.

Bibliographie

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Date de mise en ligne : 01/06/2007

https://doi.org/10.3917/afco.221.0173

Notes

  • [1]
    Cet article a été rédigé par trois chercheurs au Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), établissement public de référence dans le domaine des sciences de la terre pour gérer les ressources et les risques du sol et du sous-sol. Des missions de recherche scientifique sont confiées à cet établissement autour d’appuis politiques publiques et de coopération internationale et d’aide au développement. Les trois auteurs de cet article font partie de l’unité « Économie, intelligence et développement durable » de la division des Ressources minérales.
  • [2]
    Jean-François Orru est docteur en géographie humaine (Paris-Sorbonne), diplomé d’un DEA de géographie et géopolitique (Paris III) et d’un Master (Développement des régions tropicales, Paris VII). Il est socio-économiste au BRGM et spécialisé dans la politique du développement durable et les aspects socio-économiques de l’aménagement territorial.
  • [3]
    Rémi Pelon est ingénieur des Mines. Économiste minier au BRGM, il est spécialiste en politique et économie minières et développement durable.
  • [4]
    Philippe Gentilhomme est docteur d’État ès sciences (Nancy), ingénieur ENSG (Nancy), diplômé d’un DEA de géologie et minéralogie appliquées (Orléans), auditeur de l’Institut des Hautes Études de Défense nationale. Économiste minier au BRGM, il est spécialisé dans les domaines des marchés de minerais et métaux, de l’intelligence industrielle et des statistiques du commerce extérieur.
  • [5]
    Ceci renvoie au concept de Resource Curse ou « malédiction » des ressources, exprimé face à ce constat paradoxal que les pays bien dotés en ressources naturelles connaissent parfois un taux de croissance inférieur aux autres. Ceci s’explique par plusieurs raisons, notamment une compétitivité inférieure dans les autres secteurs de l’économie, un sous-investissement éducatif ou une mauvaise gestion des revenus issus de l’exploitation de ces ressources. Nous insistons ici sur le fait que la « malédiction » (apparente) ne vient pas des ressources naturelles elles-mêmes mais de la mauvaise gestion de la rente minière associée.
  • [6]
    Administrateur colonial britannique et homme d’affaires, il organisa la conquête de la « Rhodésie » (scindée aujourd’hui entre Zambie, Malawi et Zimbabwe). Il fut notamment Premier ministre de la colonie du Cap de 1890 à 1895. Sa politique fut l’une des causes cardinales de la « guerre des Boers ».
  • [7]
    Le Black Economic Empowerment (BEE), issu des politiques anti-apartheid, tend à faire mieux respecter la place de la communauté noire dans l’économie et marque en particulier l’activité minière.
  • [8]
    1 carat (ct) = 0,2 g. Mct = million de carats.
  • [9]
    Une telle joint-venture à 50/50 entre une major issue d’une histoire coloniale et un État nouvellement indépendant est un cas historique, probablement unique.
  • [10]
    United States Geological Survey, hhttp:// minerals. usgs. gov/
  • [11]
    Diamant gemme : pierre pure ou très pure, destinée à la bijouterie-joaillerie ; diamant industriel : diamant très impur, en général opaque, destiné à la fabrication d’outils industriels de forage (ex. : forage pétrolier, sondage minier) ou de découpage (ex. : perçage des bétons armés, sciage de pierres dures, polissage de divers matériaux).
  • [12]
    Le secteur informel désigne les productions non officiellement déclarées, le plus souvent illégales. Elles sont essentiellement d’origine artisanale et pour la plupart d’origine africaine.
  • [13]
    En particulier le Raw Material Group (RDM), Stockholm.
  • [14]
    Selon les estimations, le secteur compterait, toutes substances confondues (diamant, or, « coltan », étain, cobalt, etc., selon l’évolution des prix), 4 à 6 millions d’artisans mineurs, permanents ou temporaires, sur le continent africain.
  • [15]
    Les placers sont des dépôts sédimentaires alluviaux. Les paléoplacers sont des alluvions fossiles. Cas du Brésil notamment et aussi de plusieurs gisements historiques de l’Inde. L’Inde a exploité dès l’Antiquité des conglomérats diamantifères fossiles très durs. Le Brésil au XVIIIe siècle a exploité des remaniements meubles de conglomérats diamantifères fossiles. Les paléoplacers peuvent être intercontinentaux.
  • [16]
    En moyenne, mais Argyle produit la quasi-totalité des « fancies » du monde, lesquelles se vendent fort cher.
  • [17]
    L’attractivité du diamant comme placement ou valeur refuge n’est vraie que pour les gros diamants. Les « lentilles » (inférieures à 1 carat) se revendent en général assez mal, voire pas du tout…
  • [18]
    Première mine historique au Canada, exploitée par BHP-Billiton, Ekati serait en passe d’être dépassée en caratage par la seconde, Diavik (Rio Tinto).
  • [19]
    Argyle n’en était qu’un exemple incomplet.
  • [20]
    L’exploration se développe de manière extrêmement dynamique. La réouverture du Cadastre minier en RDC, par exemple, a permis un début de négociations entre la MIBA, l’exploitant étatique, et des partenaires étrangers comme De Beers et BHP Billiton. Chacune de ces deux majors réclame 20 000 km2 de permis d’exploration, surface maximale allouée sous le régime du nouveau Code minier (2002). Alrosa a aussi manifesté son intérêt. Plusieurs juniors, en particulier canadiennes (SouthernEra, BRC Diamond Corp), ont repris de vastes travaux de prospection depuis 2003.
  • [21]
    Personne ne sait quelle quantité réelle vont livrer les futures mines. Mais le fait que De Beers ne régule plus le marché mondial accentue ce risque de surproduction, ou plus exactement, d’absence de régulation des surproducteurs. Car De Beers n’a jamais joué la lutte contre les surproducteurs mais l’absorption des excédents, en achetant et stockant quand la demande était devenue inférieure à l’offre mondiale. Voir plus loin, cette « révolution » que connaît le marché depuis 2000.
  • [22]
    Rapport du groupe d’experts créé par le Comité du Conseil de Sécurité concernant la situation en Angola, février 1999.
  • [23]
    Dès 1961, la guerre de décolonisation qui embrase cette ancienne colonie portugaise met en scène trois mouvements nationalistes : le MPLA (Mouvement Populaire de Libération de l’Angola), le FNLA (Front National de Libération de l’Angola), puis, en 1966, l’UNITA (Union Nationale pour l’Indépendance Totale de l’Angola). Ces trois courants politiques, plutôt que de créer une union sacrée contre les troupes portugaises, s’opposent dès leur origine.
  • [24]
    Savimbi est membre de l’ethnie Ovimbundu, un peuple d’agriculteurs établis dans le centre du pays, qui représente 40 % de la population angolaise.
  • [25]
    Cubains par exemple.
  • [26]
    Les responsabilités sont pourtant partagées : en octobre 1992, après les élections, les sympathisants de l’UNITA restés dans la capitale sont massacrés ; Savimbi, qui avait fui, en réchappe. En 1995, Savimbi déclarera néanmoins accepter le résultat des élections de septembre 1992.
  • [27]
    La RDC n’a qu’une infime façade maritime : fort peu de pétrole en mer, à la différence de l’Angola. Et fort peu de potentiel à terre, en outre.
  • [28]
    En 1966, l’Union minière du Haut Katanga, l’entreprise étatique exploitant le cuivre et le cobalt notamment, est nationalisée et devient la Gécamines.
  • [29]
    L’industrie « lourde » du cuivre (qui exige des investissements) commence à s’effondrer ; d’où le recours au diamant, plus simple, avec peu d’investissements et plus de profits…
  • [30]
    Ainsi, de 898 millions USD en 1990, l’aide versée tombe à 132 millions de dollars en 1999.
  • [31]
    Guerre dite de libération.
  • [32]
    Hutus et Tutsis.
  • [33]
    Interahamwe et ex-FAR (Forces Armées Rwandaises) pour le Rwanda, CND-FDD pour le Burundi et ADF (Allied Democratic Forces) pour l’Ouganda.
  • [34]
    Le Zimbabwe avait envoyé au Congo un corps expéditionnaire de 12 000 hommes pour sécuriser les zones minières du Kasaï. En échange de ce soutien militaire, le régime en place à Kinshasa avait abandonné l’exploitation de ces mines aux dirigeants de Harare. Kabila fit également cadeau de propriétés minières à l’Angola et à la Namibie. L’affaire qui est apparue la plus scandaleuse à l’opinion internationale, en raison de la mauvaise réputation du président Mugabe et de son pays, a été la cession d’une fraction des gisements de diamants de Mbuji-Mayi aux militaires du Zimbabwe, par une série d’accords en cascade aboutissant, par la société Sengamines, aux généraux et à l’entourage de Robert Mugabe.
  • [35]
    Rapport du Sierra Leone Working Group, le cœur du problème : la Sierra Leone, les diamants et la sécurité humaine, janvier 2000.
  • [36]
    National Patriotic Front of Liberia.
  • [37]
    Celui-ci avait pris le pouvoir à l’issue d’un coup d’État militaire en 1980. En 1985, il est lui-même victime d’un coup d’État qui échoue ; la répression s’exerça dans une grande violence, notamment à l’encontre des communautés Gio et Mano.
  • [38]
    Sans compter une certaine bienveillance des puissances occidentales.
  • [39]
    F. Sankoh a été formé aux techniques de guérilla avec C. Taylor et B. Compaoré dans le camp d’entraînement militaire de Benghazi en Libye.
  • [40]
    Revolutionary United Front.
  • [41]
    Auxquels il faut ajouter le trafic de drogues.
  • [42]
    Un groupe de cessez-le-feu de la CEDEAO (Communauté de Défense de l’Afrique Occidentale) dirigé par le Nigeria.
  • [43]
    La SWAPO (South-west African People’s Organisation) a son sanctuaire de l’autre côté de la frontière, soit en Angola.
  • [44]
    De Beers n’a pas été le premier à synthétiser le diamant, mais le groupe rattrapera vite son retard et deviendra le second producteur mondial après la General Electrics. Ces diamants de synthèse sont alors tous (et restent aujourd’hui en très grande majorité) destinés à l’industrie ; depuis quelques années, on sait synthétiser des diamants gemmes de caratage assez notable, qui commencent à entrer dans le marché de la bijouterie.
  • [45]
    Depuis les origines, De Beers achetait tous les diamants du marché et avait stocké, sans pouvoir tout commercialiser, la production sud-africaine pendant la « crise » du début du XXe siècle. À un moment, De Beers avait près de deux ans de production en stock invendable, mais continuait ainsi de réguler le marché mondial.
  • [46]
    Surtout pour les petits diamants, pour lesquels le coût du facettage est critique.
  • [47]
    À partir de 1993.
  • [48]
    Un peu plus tard, l’ouvrage Blood from Stones de Douglas Farah en sera un exemple remarquable.
  • [49]
    Lien hypothétique toutefois, les sources de financement d’Al Qaida étant complexes et diversifiées. Il paraît établi que l’or, certaines pierres précieuses d’Asie centrale et surtout les dérivés du pavot ont plus compté que le diamant dans la logistique financière d’Al Qaida.
  • [50]
    Faut-il par exemple exploiter une ressource du sous-sol ou laisser les exploitants agricoles ou forestiers disposer de la surface ? Question aiguë quand les zones minières sont aussi d’indispensables zones d’agriculture vivrière.
  • [51]
    Contrairement à une idée reçue bien ancrée, la cherté du diamant n’est pas la conséquence de sa rareté ou de son coût élevé de production, mais découle d’une stratégie commerciale entretenue depuis des décennies par les tailleurs et les distributeurs. Le diamant est l’une des pierres précieuses les plus communes et paradoxalement l’une des plus chères.
  • [52]
    Pour le diamant, le coût de production minier est en moyenne d’un quart du prix de vente sur mine.
  • [53]
    Risqué au sens financier, on n’est jamais sûr de « trouver » un gisement, et parfois au sens politique, quand le « risque-pays » est élevé.
  • [54]
    Terme traduisant la garantie légale que réclament les prospecteurs notamment pour sécuriser leur droit d’exploiter leurs découvertes.
  • [55]
    Le cacao, principale commodité d’exportation de Côte d’Ivoire, rapporte plus de 100 fois (avec environ 2 milliards de dollars) les revenus du diamant (estimés par comparaison aux années antérieures au conflit de l’ordre de grandeur de 25 millions de dollars).
  • [56]
    La capitale officielle étant Yamassoukro.
  • [57]
    Résolution 1643 de décembre 2005.
  • [58]
    Il y a des exceptions, mais qui ne font pas l’objet d’un commerce aussi important.
  • [59]
    Pour plusieurs raisons au moins : le diamant est une des plus anciennes pierres précieuses connues, la plus dure (la plus utile dans l’Antiquité), la plus abondante quoique chère.
  • [60]
    On entend par consommateur ici les pays acheteurs, soit de diamant brut en vue de leur taille (Inde, Israël, Belgique…), soit de diamant poli pour utilisation en bijouterie. On estime à 40 % en poids la production mondiale de diamant « naturel », constituée des diamants de moins bonne qualité, qui est destinée à l’industrie.
  • [61]
    Le cas du diamant représente à notre avis le cas le plus criant d’un problème de développement commun à toutes les ressources minérales, problème dont l’artisanat minier est le dénominateur visible.
  • [62]
    Il est vrai qu’elles doivent souvent contrer une longue tradition d’économie primaire, vivrière pour les ruraux, exportatrice pour les élites politiques locales et les groupes industriels occidentaux.
  • [63]
    Dont la Diamond Development Initiative (DDI, voir hhttp:// www. pacweb. org ), ou, plus largement, le CASM (Community and Small-sale Mining) qui rassemble un grand nombre d’acteurs internationaux impliqués dans le soutien au secteur de l’artisanat minier. Le CASM est hébergé et cofinancé par la Banque Mondiale, le BRGM, qui met sa connaissance des ressources minérales au service d’initiatives politiques ou opérationnelles en faveur du développement durable, en fait partie.
  • [64]
    Des audits, tels ceux commandités au BRGM au Congo et bientôt au Cameroun, au Mali et en RCA, sont périodiquement réalisés pour comparer les statistiques publiées au potentiel gîtologique.

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