Couverture de AFCO_206

Article de revue

Chronique bibliographique Lire (ou relire) les ouvrages récents sur la Côte d'Ivoire

Pages 223 à 225

Notes

  • [1]
    Jacques Baulin, La Succession d’Houphouët-Boigny, Paris, Karthala, 2000.
  • [2]
    Alice Hellenbogen, La Sucession d’Houphouët-Boigny entre tribalisme et démocratie, Paris, L’Harmattan, 2002.
  • [3]
    Georges Photios Tapinos, Philippe Hugon et Patrice Vimard (dir.), La Côte d’Ivoire à l’aube du XXIe siècle, Paris, Karthala, 2002.
  • [4]
    Marc Le Pape et Claudine Vidal (dir.), Côte d’Ivoire. L’année terrible 1999-2000, Paris, Karthala, 2002.
  • [5]
    Côte d’Ivoire 2025, Abidjan, Éditions Neter, 1997.
English version

1 La guerre en Irak a relégué la Côte d’Ivoire au second plan de l’actualité, faisant un peu oublier que la situation engendrée par le soulèvement d’une partie de l’armée en septembre 2002 n’est toujours pas résolue, et que la paix, qui y est précaire, n’est toujours pas revenue dans certaines parties du pays, notamment vers la frontière sud-ouest. C’est l’occasion de lire ou de relire quelques ouvrages récents pour essayer de mieux comprendre les racines profondes de la crise ou des crises ivoiriennes.

2 Ce n’est pas dans les deux ouvrages qui portent le même titre, La succession d’Houphouët-Boigny, que l’on trouvera beaucoup de matière à réflexion sur ces racines. L’un est dû à un observateur de longue date des affaires ivoiriennes, Jacques Baulin [1], qui fut dès 1963 un collaborateur du Président de la Côte d’Ivoire. L’autre est le travail d’une très jeune étudiante, Alice Ellenbogen [2], qui a vécu à Bouaké et qui s’est prise de passion pour ce pays. L’un et l’autre ne sont cependant pas sans intérêt, car ils décrivent, en remontant au passé colonial, les événements qui se sont enchaînés pour conduire à la situation actuelle, mettant l’accent sur les rivalités ethniques et les rivalités de personnes. Jacques Baulin souligne l’obstination, selon lui étonnante, dont Houphouët-Boigny aurait fait preuve pour être sûr que le dauphin qu’il avait choisi depuis longtemps, Henri Konan Bédié, lui succède en dépit des nombreuses vicissitudes qu’il a eu à affronter. Alice Ellenbogen semble, elle, moins persuadée de la détermination du "père de la nation ivoirienne" : elle met l’accent sur les rivalités qui surgissent dès la mort du "vieux" entre Henri Konan Bédié, Alassane Dramane Ouattara et Laurent Gbagbo. "Les morts n’ont pas droit à la parole" constate un dicton akan que cite cet auteur.

3 Si l’on cherche une réflexion sur les soubassements économiques, écologiques, sociologiques de la crise, c’est plutôt dans deux ouvrages collectifs qu’on la trouvera. L’un, paru en février 2002, La Côte d’Ivoire à l’aube du XXIe siècle[3], est l’œuvre d’universitaires français. Leurs contributions décrivent bien l’évolution démographique et économique du pays au cours des dernières décennies. On signalera en particulier celle de Philippe Hugon (“Rétrospective et perspectives économiques”) et de Ronan Balac (“Dynamiques migratoires et économie de plantation”). L’interdépendance entre la crise socio-politique actuelle d’une part, la crise économique, l’évolution des migrations et les problèmes fonciers d’autre part, est affirmée, mais les liens ne sont pas vraiment explicités si bien qu’en dépit de l’abondance des données rassemblées et de la pertinence des analyses, le lecteur reste un peu sur sa faim.

4 L’autre ouvrage, Côte d’Ivoire. L’année terrible 1999-2000[4] est paru en septembre 2002 et ses différents chapitres ont bien sûr été écrits avant le soulèvement qui a coïncidé avec sa parution. Eût-il paru quelque semaines plus tard que les auteurs auraient sans doute été amenés à le titrer Les années terribles, des années dont on ne voit pas encore bien la fin. C’est un ouvrage essentiellement écrit par des universitaires ivoiriens qui retracent et analysent les événements qui se sont succédés depuis le coup d’Etat qui a détrôné Henri Konan Bédié, à la veille de Noël 1999, jusqu’au Forum pour la réconciliation nationale tenu dans les derniers mois de 2001. Plusieurs contributions analysent les méandres de la politique ivoirienne au cours de cette période et les replacent dans une perspective à plus long terme.

5 On retiendra surtout la contribution d’Ousmane Dembélé ("La construction économique et politique de la catégorie “étranger” en Côte d’Ivoire") particulièrement intéressante pour qui veut comprendre la crise actuelle. Il décrit le sud de la Côte d’Ivoire au cours des années 1960 et 1970 comme une éponge qui absorbe quelques millions de migrants venus d’autres pays d’Afrique de l’Ouest, dont les parties les moins peuplées (le sud-ouest) reçoivent en outre des dizaines de milliers de migrants venus notamment du pays baoulé, et qui a encore suffisamment d’espaces libres pour permettre au gouvernement ivoirien d’établir de grandes plantations industrielles.

6 Au cours de ces années, la conjonction de trois éléments – une vaste zone peu peuplée, favorable à la culture du cacao, du café et de quelques autres produits tropicaux ; une main-d’œuvre sahélienne confrontée à des conditions de vie difficiles, prête à s’expatrier et peu exigeante ; et des marchés mondiaux très favorables – engendre le miracle ivoirien.

7 Mais les miracles n’ont qu’un temps. Dans les années 1980, l’éponge finit par être saturée à peu près au moment où les prix de vente des produits plongent. Ceux-ci se redressent au début des années 1990, laissant croire que le miracle peut se reproduire. Il n’en sera rien : le mieux sera éphémère. Le lien entre cette histoire, l’apparition du problème de l’ivoirité et les années terribles est clairement établi et finement analysé.

8 Enfin, il n’est pas sans intérêt de jeter un coup d’œil sur Côte d’Ivoire 2025[5]. Il s’agit de la synthèse (publiée en 1997) d’une réflexion sur les futurs possibles pour la Côte d’Ivoire, entreprise à la demande du gouvernement d’Henri Konan Bédié par un groupe de hauts fonctionnaires, de chefs d’entreprise, de chercheurs, de représentants d’organisations non gouvernementales (ONG), de syndicalistes, de leaders d’opinion de diverses tendances, tous ivoiriens.

9 Quatre scénarios ont été construits par ce groupe. L’un est intitulé "La chauve-souris étranglée". Les hypothèses de base retenues pour le construire ont été un contexte international défavorable, le blocage du processus démocratique et une mauvaise gouvernance. Ces deux dernières hypothèses sont "induites par : la faiblesse de la culture démocratique dans l’ensemble du pays ; le développement de l’exclusivisme politique ; l’exacerbation des périls tribal et religieux et des revendications identitaires."

10 Les Ivoiriens sont manifestement très lucides sur les causes des périls qu’ils ont à affronter, ce qui n’a pas été suffisant pour les éviter. Est-ce à dire qu’un autre scénario est désormais exclu, celui de "L’éléphant en marche", qui décrit un avenir bien différent, une voie originale de développement, certainement souhaitable et sans doute possible pour la Côte d’Ivoire, un futur dans lequel, en dépit d’un contexte mondial peu favorable, "la cohésion sociale est renforcée, conduisant à l’atténuation des périls tribal et religieux et de la paupérisation" ? Probablement pas, mais sa réalisation risque fort d’être différée d’un bon nombre d’années.


Date de mise en ligne : 01/09/2005

https://doi.org/10.3917/afco.206.0223

Notes

  • [1]
    Jacques Baulin, La Succession d’Houphouët-Boigny, Paris, Karthala, 2000.
  • [2]
    Alice Hellenbogen, La Sucession d’Houphouët-Boigny entre tribalisme et démocratie, Paris, L’Harmattan, 2002.
  • [3]
    Georges Photios Tapinos, Philippe Hugon et Patrice Vimard (dir.), La Côte d’Ivoire à l’aube du XXIe siècle, Paris, Karthala, 2002.
  • [4]
    Marc Le Pape et Claudine Vidal (dir.), Côte d’Ivoire. L’année terrible 1999-2000, Paris, Karthala, 2002.
  • [5]
    Côte d’Ivoire 2025, Abidjan, Éditions Neter, 1997.

Domaines

Sciences Humaines et Sociales

Sciences, techniques et médecine

Droit et Administration

bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Retrouvez Cairn.info sur

Avec le soutien de

18.97.9.175

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions