Notes
-
[*]
Directeur général de l’Agence de l’eau Seine-Normandie, professeur à l’Ecole nationale des Ponts et Chaussées, gouverneur au Conseil mondial de l’eau. Les opinions exprimées ici n’engagent que leur auteur, qui remercie particulièrement MM. Ivan Cheret, Olivier Bommelaer et Alain Henry de leurs commentaires.
-
[1]
L’Afrique, qui comptait 2 fois moins d’habitants que l’Europe au début du XXe siècle, en compterait 2 fois plus au début du XXIe, étant passée de 7,4 % de la population mondiale à 13 % maintenant ; elle pourrait en représenter 18 % en 2025.
-
[2]
Le PIB par habitant de l'Afrique, 4 fois inférieur à celui de l’Europe occidentale en 1950, a stagné, voire décru de 1980 à 1995, pour être aujourd’hui 13 fois plus faible que celui de l’Europe. Sa remontée de 3,5 %/an depuis 1995 est un signe encourageant.
-
[3]
85 % des paludéens vivent en Afrique. Les statistiques disponibles sous-estiment cependant encore le rôle du paludisme dans la mortalité infantile (l’anémie résultant de la malaria est très répandue, mais n’est pas toujours identifiée comme source de mortalité).
-
[4]
Les importations en Afrique sub-saharienne ont été multipliées par 3 et l’aide alimentaire par 4 de 1974 à 1990. Les importations de nourriture représentent plus de 30 % en valeur des importations en Afrique occidentale et centrale.
-
[5]
Pour une présentation détaillée du Nepad, voir le dossier thématique d'Afrique contemporaine, n° 204 (octobre-décembre 2002).
-
[6]
L’Initiative pour le bassin du Nil est un partenariat régional financé et appuyé par la Banque mondiale et d’autres organisations, à l’intérieur duquel les pays riverains du Nil se sont unis pour assurer en commun l’exploitation et la mise en valeur durables du fleuve.
-
[7]
L’Initiative mondiale pour l’environnement et l’assainissement réunit des bailleurs de fonds, des agences des Nations unies, des ONG et des professionnels des pays en développement, dans l’intention d’accélérer la réalisation d’un dispositif d’assainissement pour tous.
-
[8]
Ce fleuve a un débit à son embouchure qui varie de 20 000 à 70 000 m3/s, seulement dépassé par celui de l’Amazone.
-
[9]
C'est-à-dire sans débouché à la mer (notamment le bassin du Tchad où le Logone et le Chari terminent leur cours, et le désert du Kalahari où aboutit l’Okavango).
-
[10]
Au nord du continent, au Maghreb, avec les crues dévastatrices des oueds non permanents ainsi que le remplissage rapide des retenues par le transport des sédiments et, au sud, dans la région du Cap.
-
[11]
A cet égard, on soulignera que la Libye est engagée dans une surexploitation des ressources souterraines par une exploitation "minière" des grands aquifères (Margat et Vallée, 1999), exemple type de stratégie de développement non-durable.
-
[12]
Les localisations peu nombreuses des sites équipables, les économies d’échelle des équipements et la possibilité de transporter l’énergie électrique à longue distance l’expliquent.
-
[13]
Le biseau salé est la partie d'un aquifère côtier envahi par l'eau salée (généralement marine), comprise entre la base de l'aquifère et une interface de séparation eau douce / eau salée : le coin d'eau salée est sous l'eau douce.
-
[14]
Dont 18 des 23 pays comptant plus de 34 % de mal nourris (Banque mondiale, 1999).
-
[15]
Les transports de nourriture sont en fait des transports d’eau : c’est ce que l’on appelle l’”eau virtuelle".
-
[16]
On observe cependant une grande disparité entre les régions. Cultivé principalement dans les marais et bas-fonds, le riz est majoritaire dans les zones humides du golfe de Guinée et de l'Est. Il est également très développé sur les plateaux de Madagascar.
-
[17]
Voir Kuper et al., 2002.
-
[18]
Cette logique du juste suffisant a été contestée, notamment par l’IIMI (International Irrigation Management Institute, voir Seckler, 1996) au nom de la gestion globale du cycle de l’eau, sur le principe que pertes, fuites et débits non utilisés sur le périmètre réalimentant ensuite nappe et cours d’eau étaient ainsi disponibles pour l’aval : finalement, quel mal y aurait-il à faire passer à travers les cultures des flux non utilisés, puisqu’ils ne sont pas définitivement perdus ? Cette approche, que D. Brooks (dans Brooks et al., 1997) qualifie de "contre-révolution", présente le risque de détourner de toute analyse économique et financière des ouvrages, tant en investissement qu’en exploitation et en maintenance. Aujourd’hui les bailleurs internationaux se détournent sensiblement du financement des grands périmètres irrigués, voire même de leur réhabilitation, par manque de crédibilité des projets.
-
[19]
Jusque dans les années 1930, le taux de natalité très élevé était équilibré par une mortalité infantile également très élevée (notamment liée à la brutalité du sevrage du lait maternel). Le taux moyen de natalité pour les années 1990 est de 4,5 % (moyenne mondiale 2,7 %), avec un taux de mortalité ramené à 1,5 %.
-
[20]
Il convient de ne pas mal interpréter cette remarque. Nombre de grandes régies nationales (SONEDE en Tunisie, par exemple), font un travail de très grande qualité et l’on peut comprendre une logique d’économie de moyens qui concentre au niveau national des corps de fonctionnaires dévoués et de bon niveau technique. L’histoire des institutions françaises illustre d’ailleurs tout le bénéfice qui a pu être tiré d'un tel choix. La véritable difficulté est celle de l’obstacle objectif que constitue, malgré ses qualités, ce mode d’organisation pour l’implication politique des acteurs locaux, nécessaire finalement à la prise en charge des services. La décentralisation de ces responsabilités, loin de représenter un luxe a posteriori de pays aux institutions riches, stables et développées est, au contraire, une condition immédiate pour l’émergence de solutions durables.
-
[21]
Un exemple parmi tant d’autres, celui de la ville de Niono au Mali. Au cœur des périmètres de l’Office du Niger, le succès de la culture du riz y a fait affluer près de 50 000 habitants. Ce qui n’était encore récemment qu’un semis de petits villages de migrants devient aujourd’hui, au milieu des canaux, une véritable ville, sans que les infrastructures d’eau et d’assainissement n’aient été développées simultanément : les premiers revenus engrangés passent en médicaments. Au regard des investissements considérables de l’aide internationale et des recettes enfin générées, la faiblesse des efforts de salubrité consentis dans le même temps semble difficile à accepter.
-
[22]
Il convient de saluer ici le Fonds africain de développement (FAD) de la BAD qui a lancé l’initiative pour la micro-finance en Afrique (AMINA).
-
[23]
La Banque mondiale ne peut intervenir qu’auprès d’une autorité souveraine, c’est-à-dire directement d’un Etat ou dans un cadre garanti et encadré par celui-ci. La BAD met aujourd’hui au centre de sa stratégie le soutien aux autorités locales (BAD, 2001), et l’Agence française de développement (AFD), pour sa part, n’a engagé d’opérations directes avec des collectivités que relativement récemment (Tunisie, Afrique du Sud, Cameroun, Mali, etc.).
-
[24]
Les collectivités locales françaises intervenant dans le domaine de la coopération décentralisée, réunies au sein de Cités-Unies France, réfléchissent avec les bailleurs de fonds sur la façon dont elles pourraient apporter, dans le cadre de leurs jumelages, un véritable appui de développement des capacités à leurs homologues africaines dépourvues de moyens.
-
[25]
C’est le cas en quasi-totalité en France par le biais des agences de l’eau, qui apportent d’importantes subventions. Celles-ci, au lieu d’être alimentées par l’impôt, proviennent d’une mutualisation de taxes prélevées elles-mêmes sur la facture d’eau. Il ne faut pas oublier cependant le haut niveau et l’état déjà très stable du patrimoine français en équipements disponibles ainsi que les conditions économiques qui ont permis son développement, ni le fait que la montée en puissance de ce dispositif a malgré tout pris 30 ans avant de se stabiliser à un niveau satisfaisant.
-
[26]
Elle n’est pas exempte de dérives (tourisme humanitaire, clientélisme notamment), devient souvent une proie facile et naïve de professionnels peu scrupuleux et son enthousiasme l’expose également aux risques de l’ignorance de l’apprenti sorcier, sans toujours bien en peser les conséquences humaines. Comme partout.
1 Avant d’être un problème technique, l’eau est d’abord une question sociale, politique, économique et environnementale. C’est aussi en Afrique un enjeu vital dont on peine à apprécier l’ampleur. Empruntons à Michel Camdessus une image simple : d’ici à 2015, chaque jour, pour répondre aux engagements internationaux, il faudra desservir correctement en eau potable et en assainissement près de 100 000 habitants de plus. Les impacts environnementaux sont alors largement occultés par l’urgence de la satisfaction des besoins vitaux immédiats.
2 Bien des enjeux mériteraient d’être mis en avant : pollution industrielle, maintien de la biodiversité, etc. Mais l’évolution démographique donne à la double crise de l’eau potable et, d’une part, de l’assainissement, d’autre part de l’agriculture, une ampleur cruciale qui ne peut qu’occulter les autres dimensions, pourtant essentielles pour un développement durable du continent africain.
L’eau en Afrique : état d’urgence
3 La crise mondiale de l’eau trouve une dimension particulière dans le contexte de l’Afrique, qui devrait accueillir dans les 20 prochaines années une population supplémentaire égale à celle de l’Europe aujourd’hui [1]. Avec la plus forte augmentation démographique prévue dans le monde (+50 % dans les 15 prochaines années) et un puissant mouvement de concentration urbaine, ce continent est donc confronté à une mutation majeure, alors que sa situation actuelle est d’ores et déjà plus que précaire [2] (figure 1).
évolution de la population et du pib de l’Afrique et de l’Europe
évolution de la population et du pib de l’Afrique et de l’Europe
4 Quarante pour cent de la population de l’Afrique sub-saharienne vit en dessous du seuil de pauvreté de 1 dollar/jour. Parmi les 45 pays ayant les plus faibles indicateurs de développement humain, 35 sont en Afrique. La dette globale des pays représente 67,5 % du produit intérieur brut (PIB), avec de grandes variations nationales. La Banque africaine de développement-BAD (Kabbaj, 2001) considère que, pour réduire la pauvreté de moitié d’ici à 2015, soit pour faire passer, chaque année, 4 millions de personnes au-dessus du seuil de pauvreté, il serait nécessaire que les pays à plus faibles revenus connaissent une croissance continue du PIB de 8 % par an.
5 Dans ce contexte de pauvreté, les conditions sanitaires sont particulièrement dégradées, en milieu urbain comme en milieu rural. Depuis les années 1970, on a constaté une reprise spectaculaire des maladies endémiques, notamment celles liées à l’eau comme la malaria (1,5 million de morts par an par défaut d’assainissement ; au moins 1 enfant sur 5 mort avant l’âge de 5 ans le serait de paludisme [3]), le choléra et la dysenterie.
6 L’agriculture, comme le montre le tableau 1, représente aujourd’hui en moyenne 85 % des prélèvements en eau en Afrique (contre 9 % pour les collectivités et 6 % pour l’industrie). Ce taux varie selon les pays : il est d’autant plus fort que le pays est aride, l’irrigation étant alors indispensable à la culture. La gestion intégrée des ressources en eau est donc très étroitement liée à l’avenir de l’agriculture africaine. Quarante pour cent du PIB africain (60 % même en Ethiopie et en Somalie) est à imputer au secteur agricole, qui emploie 60 % de la main d’œuvre. L’Afrique était exportatrice agricole avant 1960, mais son alimentation dépend maintenant pour 17 % de ses importations et de l’aide alimentaire. Ce taux pourrait au moins doubler d’ici à 2010 [4]. La dégradation des sols (qui a affecté 500 millions d’hectares depuis 1950, soit 65 % de la surface cultivée) et la forte variabilité climatique menacent drastiquement les capacités de production agricole : les récoltes pourraient de ce simple fait être divisées par 2 dans les 40 prochaines années (PNUE, 2000).
distribution régionale des prélèvements d'eau en Afrique
distribution régionale des prélèvements d'eau en Afrique
7 Une meilleure gestion des ressources en eau et le développement des services publics d’eau et d’assainissement sont reconnus par la communauté internationale comme l’un des facteurs prioritaires du développement durable de régions entières (CME, 2000 ; PME, 1999 a). Le continent africain figure au premier rang des priorités à cet égard : sécurité, santé, production agricole et énergie y sont en cause (PME, 1998, 1999 b). Les responsables africains ont aujourd’hui, pour la première fois, mis l'eau au centre de leurs préoccupations.
8 Mais résoudre la crise hydraulique que connaît l’Afrique nécessite un effort continu et puissant de construction institutionnelle. S’il y a insuffisance globale des capacités financières et des ressources en eau, il y a tout autant besoin de gouvernance et d’une amélioration significative en matière d’organisation institutionnelle et de gestion du secteur (Banque mondiale, 1999). Le progrès affiché et voulu par le Nouveau partenariat pour le développement africain (New Partnership for Africa’s Development, Nepad [5]) en ce sens se fera par la conjonction de la volonté africaine et d’une assistance internationale soutenue. Les changements significatifs doivent s’opérer dans la durée nécessaire à la pérennité des actions entreprises, en privilégiant le progrès continu et les franchissements d'étapes.
Chronique d’une mobilisation régionale
9 Les objectifs du Millénaire et du plan d’action de Johannesburg engagent la communauté internationale à mettre en œuvre, d’ici à 2005, un plan de gestion intégrée des ressources en eau dans chaque pays, ainsi qu'à réduire de moitié, d’ici à 2015, la part des personnes qui souffrent de la faim, et la part de la population qui n’a pas accès à l’alimentation en eau potable et à l’assainissement.
10 Les dernières années ont vu parallèlement un repositionnement spectaculaire des priorités liées à l’eau dans les objectifs et demandes des acteurs africains.
11 "L’eau : l’affaire de tous" est devenu le message clef du Second forum mondial de l’eau de La Haye en mars 2000, au cours duquel la "Vision africaine de l’eau pour le XXIe siècle" (African Caucus, 1999) a été présentée et débattue. En septembre 2001, sous l’égide de la BAD, est créé le Haut Comité africain de pilotage pour l’eau (African Water Task Force, AWTF), qui adopte à Bonn en décembre 2001, au cours de la Conférence sur les eaux douces, une position commune en ce qui concerne l’eau. Progressivement la mobilisation s’est étendue à toute l’Afrique, par le biais de conférences thématiques entre opérateurs, décideurs et scientifiques. La coopération française, britannique et européenne est présente dans les réunions du Haut Comité de pilotage et à l’écoute de leur débats. Les 43 dirigeants participant à la Conférence des ministres africains de l’eau (African Ministerial Conference on Water, AMCOW), réunis à Abuja en avril 2002 puis à Johannesburg en août 2002, représentent la première mobilisation continentale de niveau politique aussi élevé.
12 Le Nepad cherche également des voies nouvelles pour vaincre la pauvreté et se libérer des "trappes de sous-développement" qui confinent l’Afrique dans les cercles vicieux de la pauvreté et des conflits. L’AMCOW et l’AWTF obtiennent l’inclusion de l’eau dans le programme du Nepad.
13 Dans son document d’octobre 2001, le Nepad propose quatre lignes d’action :
- accélérer le travail sur les projets multi-objectifs d’aménagement de la ressource, tels le programme d’étude du secrétariat de la Communauté de développement de l’Afrique australe (Southern Africa Development Community, SADC) sur l’aménagement du fleuve Congo et l’Initiative pour le bassin du Nil (IBN) [6];
- établir une task-force pour planifier la lutte contre les effets négatifs du changement climatique en Afrique ;
- collaborer avec l’Initiative mondiale pour l’environnement et l’assainissement (Global environmental Sanitation Initiative, GESI) [7] ;
- appliquer le programme des Nations unies pour l’Habitat sur les économies d’eau (Water conservation) dans les villes africaines.
14 Simultanément, l’AWTF mène une réflexion sur la création d’un nouvel instrument appelé "Water facility". Il s’agit de mettre en place une plate-forme de coopération bailleurs/bénéficiaires améliorant les synergies sur l’existant et de dégager des moyens de partage des risques pour attirer des financements supplémentaires.
15 Les propositions du plan d’action du G8 pour l’Afrique issues du sommet de Kananaskis (Canada) de juin 2002, largement en phase avec celles du Nepad, peuvent également être résumées sous trois rubriques : exploitation durable des ressources en eau ; appui pour l’accès à l’eau potable et à l’assainissement ; appui à la gouvernance du secteur de l’eau : décentralisation, recouvrement des coûts, plus grande participation des consommateurs.
16
L’Union européenne, sous l’impulsion de plusieurs Etats membres, a lancé enfin à Johannesburg, lors du Sommet mondial sur le développement durable (SMDD), une initiative au titre des partenariats de type II intitulée "L’eau pour la vie : santé, niveau de vie, développement économique, paix et sécurité", avec le sous-titre : "mettre en œuvre le plan d’action du SMDD". Ce cadre vise à faciliter une coopération renforcée, concertée et cohérente entre bailleurs de fonds européens (sans exclure d’autres bailleurs). Cette initiative comporte cinq composantes, dont les deux premières sont dédiées à l’Afrique. La composante "gestion intégrée des ressources en eau en Afrique", avec un accent sur les bassins fluviaux transfrontaliers est portée par la France.
Les trois priorités de l’Union sont :
- l’accès pour les plus pauvres à une eau potable de qualité et à un assainissement adéquat ;
- une gestion durable et équitable des eaux transfrontalières ;
- une bonne coordination entre les usages concurrents de l’eau pour l’agriculture, l’environnement, l’énergie, l’industrie, etc.
Ressources en eau et gestion intégrée des grands bassins versants
17 Il coule 2 fois moins d’eau en Afrique que sur la moyenne des autres continents. Mais ce continent connaît en outre des disparités internes majeures : le tiers de cet écoulement se produit dans le seul bassin du Congo (aussi nommé Zaïre) [8], couvrant 12 % de la surface du continent. Quarante pour cent de la surface continentale ne connaît pas d’écoulement permanent et 13 % de celle-ci est endoréique [9]. La variabilité inter-annuelle des ressources est considérable : les écoulements de la période 1970-1990 ont ainsi été plus de 2 fois inférieurs à ceux des 20 années précédentes dans le bassin du Sénégal et le Fouta-Djalon (Mahé et Olivry, 1995). Ceci rend la planification des aménagements et la rentabilisation des infrastructures particulièrement difficiles. La variabilité saisonnière est puissamment marquée dans les régions de climat méditerranéen [10], mais aussi bien sûr pour les bassins des fleuves sahéliens (Sénégal ou Niger).
18 La disponibilité de l’eau est un facteur indispensable au peuplement : on associe spontanément la faible densité historique de population de l’Afrique à la rareté hydrique et l'on ne peut ignorer le rôle de la sécheresse dans les grandes migrations internes au continent. Quantitativement, l’enjeu africain actuel de l’eau n’est pas celui de son caractère potable, mais de son usage agricole, qui domine les besoins : rares sont les lieux où l’eau disponible ne supporterait pas, en théorie, des populations beaucoup plus nombreuses, s'il ne s'agissait que d'accès à une eau potable. Neuf des 20 pays dans le monde ne disposant pas de 1000 m3 par habitant se trouvent sur le continent africain (Afrique du Nord et Sahel) (Tien Duc, 1999). Même si un tel indicateur est sujet à débat (Fritsch, 1998), il souligne cependant la disproportion entre les besoins hydrauliques de l’activité agricole avec les ressources en eau disponibles dans cette zone [11].
Une interdépendance sous-régionale très forte
19 Le rôle des grands fleuves est particulièrement essentiel en Afrique : en transférant des ressources en eau des zones à climat humide aux zones plus arides, ils atténuent les contrastes climatiques (Banque mondiale, 1996). Des pays comme le Niger, la Gambie, le Botswana, la Mauritanie, le Soudan, le Tchad ou l’Egypte ont une part prépondérante (dépassant 75 % et atteignant parfois 98 %) de leurs ressources provenant ainsi d’autres pays. Des fleuves comme le Congo, le Nil, le Zambèze, le Niger, la Volta et des lacs comme le Tchad intéressent chacun entre 6 et 10 Etats. La Gambie, le Sénégal, le Limpopo, l'Orange, l’Okavango en concernent 3 ou 4 chacun. Le grand aquifère souterrain du Sahara (décrit comme continental terminal) est partagé par de nombreux pays. La question de la gestion et du partage des eaux internationales est ainsi une clef essentielle de la stabilité du continent africain. Par ce lien physique, les politiques du secteur agricole (irrigation, pêche), de l'énergie (hydroélectricité), des transports (navigation), voire même du tourisme (qualité des écosystèmes, réserves, zones humides) de nombreux pays sont interdépendantes et ceci d’autant plus fortement que la ressource demeure rare et bien souvent majoritairement importée.
Les institutions internationales de bassin
20 Les institutions internationales de bassin prennent, dans ces conditions, une dimension stratégique particulière. Elles sont résumées dans le tableau 2. Que peut-on en attendre ? G. Meublat (2001) interprète ces modes de coopération selon deux approches : en tant qu’outils de travail entre Etats "propriétaires" des ressources, mais aussi comme institutions créatrices d’une dynamique évolutive.
principales institutions internationales de bassin en Afrique
principales institutions internationales de bassin en Afrique
21 Au regard de la "nouvelle économie des institutions" (étudiée par Tocqueville, Coase, North) on considère en effet les Etats riverains comme des "propriétaires" de droits créant une structure d’ordre commun qui contribue à gérer rationnellement les conflits liés à leurs intérêts propres. Le Lesotho obtient ainsi des royalties de l’Afrique du Sud pour la récupération d’une partie du débit du fleuve Orange. Ceci aboutit à un équilibre des stratégies individuelles qui peuvent être finalement coopératives ou non, la coopération n’étant pas un résultat acquis d'avance. La stabilité de l'option coopérative est extrêmement dépendante de la confiance et de la bonne réputation réciproque des acteurs.
22 G. Meublat insiste à cet égard sur le caractère "institutionnalisant" des processus institutionnels, les faisant reposer sur un système partagé de valeur, voire ancrant ce caractère dans une tradition commune (c'est le reinforcement loop de Hodgson). Il distingue alors plusieurs niveaux d’engagement réciproque : la concertation (comme sur le Nil jusqu’à une date récente), la coopération (avec le développement d’outils communs) ou, cas plus rare, l’intégration. La première relève presque d’une logique diplomatique : trouver les voies des arrangements. La deuxième, souvent avec un fort appui international, consiste à dépasser la question du partage plus ou moins équitable des ressources pour constituer ensemble des équipements permettant de "partager les bénéfices du développement" ; les grands aménagements hydrauliques, notamment les barrages hydroélectriques [12], sont logiquement au cœur de ces dispositifs, finalement assez nombreux, car fondés sur une réelle et concrète communauté d’intérêts. L’intégration, enfin, traduit le choix collectif de renoncer à des attributs de souveraineté nationale au profit d’une entité plus légitime pour en assurer la responsabilité.
23 L'on est naturellement tenté de voir un enchaînement de progrès continu dans ces trois étapes, comme le propose l’Académie de l’eau (2002).
24 Mais le cas du fleuve Sénégal, que l'on va résumer d’après O. Bommelaer (dans Roche et al., 2002) et G. Meublat (2001), montre que l’histoire est en réalité faite d’une succession de phases de renforcement et d’affaiblissement du dialogue institutionnel, ce qui traduit bien le temps nécessaire à la maturation d’une construction de type post-colonial. Si donc l’Union européenne et la France en particulier s’engagent dans un appui décisif à de telles structures, cela ne pourra être que pour accompagner celles-ci dans des étapes qui sont autant d’occasions de progrès à saisir et non pas en fonction d’un schéma prédéterminé.
Le cas du fleuve Sénégal
25 Le Sénégal (bassin de 289 000 km2) est largement alimenté par le massif du Fouta Djalon (2200 mm/an de pluie aux sources du Bafing, contre 80 mm/an sur la côte). Son régime est très irrégulier (écoulement de 6 à 40 milliards de m3/an selon les années, débit moyen à Bakel de 867 m3/s de 1951 à 1971 et de 411 m3/s de 1972 à 1999) et ses écoulements concentrés en 1 à 3 mois de saison des pluies (débits moyens mensuels de 3 500 m3/s en septembre et de 10 m3/s en mai). Ses eaux sont partagées par 4 Etats (voir tableau 1).
26 Les crues annuelles permettent la mise en culture traditionnelle (culture de wallos) de 10 000 à 60 000 ha, assurant l’alimentation de 60 000 à 360 000 personnes environ. La population du bassin est aujourd’hui de 2,5 millions d’habitants, malgré un fort flux migratoire vers la France notamment. Les pays riverains consomment de 1,2 millions de tonnes/an de riz et importent plus de la moitié de leurs besoins.
27 L’Organisation des Etats riverains du Sénégal (OERS) est née en 1968 d’une volonté d’intégration politique panafricaine forte, mais s’est immédiatement heurtée aux rivalités entre le Guinéen Sekou Touré et le Sénégalais Léopold Sédar Senghor. La Guinée pratiquant la politique de la chaise vide, les trois autres pays mirent en place en 1972 un Haut-Commissariat et l’Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal (OMVS) pour poursuivre ensemble la coopération technique et diplomatique engagée, avec l’objectif de régulariser le débit du fleuve pour assurer la sécurité en eau et produire de l’électricité. Le partage est organisé sous forme d’une répartition négociée en fonction des disponibilités hydriques. Une règle de répartition des charges en fonction des bénéfices attendus est établie en 1978 et amendée en 1986. Les barrages de Manantali (sur le Bafing au Mali, volume de 11,5 milliards de m3) et de Diama (à l’amont de Saint-Louis dans le delta pour éviter la remontée du biseau salé [13] et permettre l’irrigation) prévus dans un schéma directeur de 1974 sont commencés en 1981-1982, achevés en 1986 et 1988, opérationnels depuis 1990.
28 La répartition (énergie et irrigation) envisagée des développements était la suivante :
Sénégal | 264 GWh | 240 000 ha irrigués |
Mali | 416 GWh | 9 000 ha irrigués |
Mauritanie | 120 GWh | 125 000 ha irrigués |
29 L’OMVS, endettée auprès des bailleurs de fonds sur 45 ans avec 9 ans de différé, devait assurer son équilibre par l’énergie hydroélectrique, le temps que les périmètres irrigués se développent, dans une gestion particulièrement fine (tant que les périmètres irrigués ne se développaient pas, l’agriculture restait dépendante de la submersion en période de crue). De 10 000 t/an de riz-paddy sur 10 000 ha en 1974, la production passe au Sénégal (rive gauche du fleuve) à 75 000 t/an en 1985 sur 16 000 ha irrigués. Mais le coût est élevé (5700 dollars/ha en 1980) et l’exploitation coûteuse car l’eau doit être pompée.
30 Le programme, représentant un quart du PIB des 3 Etats impliqués, ne pouvait vivre qu’avec les aides des bailleurs de fonds. La Banque mondiale était particulièrement sollicitée sur l’équipement hydroélectrique. Elle émet de nombreuses critiques et la controverse sur les impacts écologiques du projet se développent, sous couvert de privatisation générale, rendant suspecte la gestion publique des deux opérateurs hydro-agricoles mis en place, la Société nationale d’aménagement et d’exploitation des terres du delta du fleuve Sénégal et des vallées du fleuve Sénégal et de la Falémé (SAED) et la Société nationale por le développement rural (SONADER). Dans le même temps, alors que les barrages sont construits, mis non équipés pour l’hydroélectricité, les Etats-Unis proposent des centrales thermiques au Sénégal et à la Mauritanie. Fin 1995, au vu des expertises environnementales, l’OMVS ramène son objectif de régularisation des débits de 300 m3/s à 100 m3/s. La production agricole a entre temps connu des fortunes diverses. Atteignant 180 000 t en 1991 en rive sénégalaise, elle connaît une grave crise financière liée à la libéralisation des importations de brisures de riz et à la faillite du crédit agricole sénégalais. En 1994, sous la pression des bailleurs, les opérateurs déposent le bilan et la production chute à 70 000 t/an.
31 En 1995, le gouvernement sénégalais remet au goût du jour le vieux projet colonial de revitalisation des vallées fossiles du Sahel sénégalais. La diversion de cette eau est en contradiction totale avec les objectifs de riziculture du delta. Les bailleurs s’y opposent. Cette confrontation relance les études et l’Institut de recherche pour la développement (IRD) est chargé de rechercher une optimisation de la gestion des ouvrages en maintenant le principe d’une crue permettant la culture de décrue des wallos (60 000 ha), l’alimentation de 50 000 ha de cuvettes par une crue artificielle, au détriment du turbinage (productible ramené à 690 MWh) et de l’irrigation. Le programme d’atténuation et de suivi des impacts sur l’environnement (PASIE), voit le jour en même temps que les sociétés d’exploitation, créées dans une logique de délégation de service publique transparente (SOGED et SOGEM). Le programme énergétique est lancé et la production commence, alimentant la rentabilité du projet, mais avec plus de 10 ans de retard.
32 Les grands bailleurs de la vallée du Sénégal affichaient, ces dernières années, leur déception face au maigre développement constaté et à l'absence de rentabilité de la riziculture irriguée développée à grand frais : de fait, à peine la moitié des quelques 130 000 ha aménagés étaient mis en valeur en riz au moins une fois par an, bien loin des hypothèses de rentabilisation qui reposaient sur une riziculture de 375 000 ha 1,6 fois par an.
33 Pourtant, la vallée ne produisait en moyenne annuelle pas plus de 40 000 tonnes de céréales (décrue) avant la réalisation des ouvrages de l'OMVS, et elle n'en produit pas moins de 350 000 tonnes, auxquelles s'ajoutent le maraîchage, les fourrages pastoraux, les cultures industrielles (sucre, tomates) et le bois d'œuvre, qui n'intéressent pas les mêmes bailleurs.
34 En terme de sécurité alimentaire, les 3 pays de l'OMVS demeuraient en 2000 largement importateurs de céréales (600 000 tonnes de riz importé sur une consommation annuelle de 1,2 million de tonnes), et dépendants de l'aide alimentaire. Avec la grave sécheresse des années 2001-2002, cette situation s'aggrave et rend l'outil de production de la vallée encore plus stratégique : sur la base des productions de l'an 2000, ce sont 1,9 millions d'habitants de la vallée, premier vase d'expansion migratoire vers la France, qui viendraient grossir les rangs des quelques 500 000 mal nourris actuels de la Mauritanie et du Sénégal, si l'investissement hydro-agricole n'avait pas été réalisé.
35 Maintenant, l’OMVS se concentre de nouveau sur ses fonctions de gestion intégrée du fleuve, avec une dynamique forte avec les organisations non gouvernementales (ONG) et de nouveaux principes de gouvernance. Ayant connu et surmonté une histoire lancée sur un axe de politique intégrée, mais au cours de laquelle, en fait, une coopération forte a parfois cédé le pas à une action plus faible, l’organisation, dont les objectifs ont été réévalués après de nouveaux compromis, aborde désormais une phase de maturité que beaucoup d’autres institutions peuvent lui envier.
Eau, agriculture, milieu rural et alimentation
36 Trente des 50 pays comptant plus de 20 % de personnes mal nourries sont africains [14]. Le nombre des mal nourris y est passé de 100 à 200 millions dans les 40 dernières années. Aujourd’hui, les images de famine et d’exode, liés à la sécheresse, en Ethiopie, nous rappellent les catastrophes antérieures gravées dans nos mémoires. En 2002, près de 38 millions de personnes, chiffre en forte augmentation, y souffraient de la famine. Or, la production vivrière, qui est le moyen essentiel de subsistance en milieu rural, conditionne le maintien du peuplement. Ces deux enjeux majeurs, alimentation et ruralité, sont évidemment liés.
La malnutrition en Afrique
37 La question de l’alimentation semble à première vue une question de marché, de circuits de distribution et de revenus des acheteurs. Les analyses d’évolution du marché mondial faites par l’IFPRI (International Food Policy Research Institute) (Rosegrant et al., 1999) concluent à un développement massif du commerce international (triplement pour la viande, doublement pour le soja et augmentation de 2/3 pour les céréales). En effet, la rareté de l’eau comme ressource limitante dans des régions à fort développement démographique - ce qui est le cas de la majeure partie de l’Afrique - conduit à une logique d’importation massive de la nourriture [15], selon un principe de spécialisation mondiale, qui vient privilégier la production de nourriture dans les régions les mieux dotées pour y faire face (ce sont les bread baskets, greniers du monde), plutôt que de s’évertuer à surexploiter des ressources insuffisantes sur place. La limitation du marché se situe alors, bien évidemment, dans la capacité des pays les plus pauvres à supporter la charge des importations en devises étrangères (Seckler et al., 1998), notamment dans une perspective de stabilisation des cours des cultures vivrières (et non pas de poursuite des baisses tendancielles des 30 dernières années). Les mécanismes de solidarité internationale sont essentiels dans cette logique.
Eau et développement rural
38 La question du développement rural semble, symétriquement, une question de filière de production capable d’affronter la concurrence des marchés mondiaux, en apportant des revenus suffisants pour justifier le choix de cette implantation plutôt que celui de l’exode vers la ville, susceptible a priori d’offrir une gamme des services et d’emplois plus riches. Dans cette logique, on se tourne naturellement vers la valorisation des atouts locaux en recherchant des spéculations apportant la meilleure valeur ajoutée : en général des cultures d’exportation à forts besoins de main-d’œuvre. On est alors confronté aux difficiles débats autour de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).
39 Plongée dans un monde dont elle subit les règles, avec un taux de croissance de 1 %/an, l’agriculture africaine ne suit pas l’évolution démographique, et l’Afrique est la seule région au monde où la production per capita diminue. Les conflits, la sécheresse l'expliquent pour une part. Le poids économique du continent s’affaiblit : 17 % du PIB mondial aujourd’hui, pour 2/3 de la main-d’œuvre. Le mot "agriculture" est devenu en Afrique subsaharienne synonyme de pauvreté, de dénuement, d’exode en fin de compte.
40 Une agriculture vivrière autarcique de subsistance, à l’abri des marchés, mais en dépendance totale des fluctuations climatiques, reste dans bien des cas la seule survie rurale. Il ne faudrait cependant pas s’en tenir à cette seule image.
41 La culture africaine la plus répandue est le riz, qui représente à lui seul près d’un tiers des spéculations [16]. L’exemple du périmètre irrigué de l’Office du Niger, au Mali, montre l’ensemble des enjeux qui se lient pour un développement durable d’une production rizicole [17] en Afrique : le marché intérieur et une production moderne, gérée de façon performante à la parcelle, peuvent se rejoindre si les circuits de distribution sont organisés, si chaque acteur se trouve dans une position responsable et si les taux de change assurent une compétitivité sur le marché intérieur. Or, les prélèvements de l’Office du Niger dans le fleuve homonyme sont encore loin d’être optimisés : si la gestion à la parcelle est extrêmement scrupuleuse, il n’en est pas de même de l’ensemble des canaux d’amenée.
42 Les situations de surexploitation des ressources en eau sont directement liées à l’usage agricole sur les cultures principales (d’après FAO, 1994, voir tableau 1 supra), ainsi que les prélèvements de ressources en eau et la diversité des pratiques d’irrigation. L’épuisement des ressources disponibles pose ainsi directement un problème d’autosuffisance alimentaire aux Etats les plus démunis de ce point de vue [16]. Il atteste l’ampleur des efforts qui restent à consentir pour une gestion responsable et maîtrisée des prélèvements agricoles.
Cultures et pratiques de l’irrigation
43 Le nord du continent africain est le terrain privilégié de l’irrigation (tableau 3), où celle-ci peut même être une condition sine qua non de la mise en culture.
principales cultures irriguées (données partielles)
principales cultures irriguées (données partielles)
44 Ailleurs, l'utilisation de l'eau est très variable (tableau 4). En Afrique équatoriale, là où les précipitations sont les plus importantes, l'agriculture pluviale reste dominante. L'irrigation y est pratiquée pour mener à bien les cultures de contre-saison, pour la riziculture, pour sécuriser des spéculations exigeantes en eau, ou sous forme de culture de marais et de bas-fonds. A Madagascar, l'irrigation du riz sur les plateaux est très développée, ce qui explique le fort pourcentage de la superficie avec contrôle de l'eau en fonction de la superficie cultivée, bien que la pluviométrie soit importante dans ce pays. Les cultures de décrue sont pratiquées essentiellement en bordure du Niger et du Sénégal et de leurs affluents, ou encore aux abords du Logone, du Chari, du Congo, du Molopo et de l'Okavango. Les fadamas (zones d’inondation saisonnière) du nord-ouest du Nigeria, représentent 70 % des cultures de décrue. L'irrigation par épandage de crues n'est, quant à elle, présente que dans les pays du Maghreb et la Corne de l'Afrique. Un million d'hectares sont équipés en aspersion, la plus grande partie étant concentrée dans les pays du Nord (Libye, Egypte, Maroc, Tunisie) ainsi qu'au Zimbabwe et en Afrique du Sud et, dans une moindre mesure, au Kenya et en Zambie. C'est en Egypte et en Afrique du Sud que l'on trouve les plus importantes superficies équipées en micro-irrigation.
méthodes de contrôle de l’eau en agriculture en Afrique
méthodes de contrôle de l’eau en agriculture en Afrique
Vers une gestion par la demande
45 Une maîtrise draconienne des consommations agricoles est indispensable. L’objectif d’une très sensible amélioration de l’efficacité hydrique de la production agricole est ainsi l’une des clés d’un développement durable.
46 Est-ce une utopie ? Quelles sont les marges de progrès possibles et les conditions nécessaires (faisabilité technique, économique, et institutionnelle) ?
47 Un objectif techniquement raisonnable (Cosgrove et Rijsberman, 2000, s’appuyant sur les travaux de l’IWMI, 1999) pour les cultures céréalières se situerait autour de 1 kg/m3 (biomasse produite par m3 d’eau évapotranspiré) alors que les résultats actuels ne dépassent parfois pas 0,2 kg/m3.
48 Cela passe aussi par une amélioration des variétés, sur le critère du rapport de productivité poids de récolte/volume évapotranspiré ou plus simplement, dans bien des cas aujourd’hui, par un changement des variétés utilisées parmi celles existantes. Cela implique également des pratiques culturales améliorées (assolements, fertilisation raisonnée, etc.). Cela suppose enfin, mais essentiellement, une gestion correcte des équipements d’irrigation, minimisant les fuites, et délivrant l’eau aux plantes dans les modalités les mieux adaptées, veillant à maîtriser les problèmes de salinisation des sols, qui conduisent à une véritable stérilisation des périmètres mal gérés, par un drainage et des lessivages adaptés. Un débat s’est développé ces dernières années autour de la "gestion par la demande", concept faisant la promotion d’une gestion économe et adaptée à la réalité de la demande du client-agriculteur en situation de responsabilité [18].
49 La valorisation à son véritable niveau de l’eau d’irrigation serait évidemment un moteur puissant d’évolution des pratiques. Mais le plein recouvrement des coûts apparaît aujourd’hui comme une utopie à de nombreux décideurs, qui appuient leur argumentation à la fois sur l’impact socio-économique d’une valorisation du coût de l’eau (impossibilité pour une agriculture fragilisée, bien souvent au niveau de subsistance, d’assumer de tels coûts, inéquité sociale) mais aussi sur des notions culturelles, voire religieuses (l’eau, don du ciel, bien sacré, non appropriable), qui rendraient cette valorisation inacceptable. Faisons plutôt l’hypothèse que le renforcement des contraintes de rareté va entraîner une modification adaptative des comportements. La conférence internationale sur l’eau et l’environnement de Dublin en janvier 1992 avait, pour la première fois, fait reconnaître le principe que l’eau avait un prix sans être pour autant une marchandise. Aucun progrès n’est possible sans une gestion des systèmes impliquant directement ceux qui en sont bénéficiaires, responsabilisés par une politique tarifaire adaptée. Au-delà de ces aspects économiques, on ne saurait trop insister sur l’extraordinaire niveau d’organisation sociale que requiert la gestion collective des périmètres irrigués, où la qualité de celle de la parcelle individuelle ne suffit pas et où les tâches de gestion, de répartition, d’entretien et de maintenance demandent une attention de tous les instants et une discipline collective mettant à l’épreuve les communautés les mieux soudées.
50 Il paraît difficile d’imaginer aujourd’hui que la mosaïque des agricultures africaines parvienne à assurer globalement l’autosuffisance alimentaire d’une population en forte expansion. En contribuant à faire émerger une production locale compétitive sur le marché intérieur, les immenses progrès possibles dans l’amélioration de la gestion de l’eau agricole contribueraient efficacement, en revanche, à la fixation des populations rurales dans des conditions de vie acceptables, allégeant d’autant la charge des pressions urbaines et assurant le maintien d’un tissu de références socio-culturelles et communautaires dont le continent, pas plus que d’autres, ne peut se passer. Le reste, supposant des flux d’échanges commerciaux à l’échelle mondiale, dépendra à la fois de la capacité des marchés à respecter une rémunération décente des cultures d’exportation, bien loin des pratiques actuelles, d’un développement économique permettant de faire face à la charge financière des importations indispensables et d’une stabilité politique globale, rendant acceptable cette situation d’interdépendance de fait.
Eau potable et assainissement
51 La croissance urbaine de l’Afrique est récente, mais massive. Au début du XXe siècle, 95 % de sa population était rurale. Le taux de population urbaine est passé à 18 % au début des années 1960 et il a doublé depuis. Il dépasse désormais 50 % en Afrique du Nord et dans le golfe de Guinée, et atteint 33 à 37 % dans le reste du continent, sauf en Afrique de l’Est où il est plus faible (23 %), malgré une assez forte densité de population. Nairobi, Dar-es-Salaam, Lagos et Kinshasa ont vu leur population multipliée par 7 en 30 ans, essentiellement en raison de puissantes migrations du rural vers l’urbain. Le Caire et Lagos ne resteront pas longtemps les seules villes à avoir une population dépassant 10 millions d’habitants en Afrique. Le taux de croissance de la population urbaine des années 1970-2000, atteignant 4 % par an, y était le plus élevé au monde. Ce taux devrait fléchir progressivement jusqu’en 2025, pour atteindre le chiffre encore très élevé de 3 %.
Une crise urbaine
52 L’urbanisation sauvage qui accueille la majeure partie des nouveaux habitants des mégapoles des pays en développement procède d'un phénomène sensiblement différent de ceux qui ont créé les développements urbains, même très spectaculaires, du XIXe et de la première moitié du XXe siècle, dont le moteur avait été l'attractivité de l'emploi industriel en plein essor. Aujourd'hui, sur fond de disqualification des productions paysannes, cette urbanisation répond à un déséquilibre démographique majeur lié à une baisse relative de la mortalité infantile [19] et se poursuit inexorablement, même en situation de crise économique, ne laissant aucun espoir d'emploi ni de revenus (les taux de chômage dans les mégapoles ont atteint jusqu’à 50 % dans les années 1980 et n’ont pas diminué depuis). Aujourd’hui, la collectivité urbaine, loin d'appeler de ses vœux une telle expansion, y voit une source de troubles et de déséquilibres qu'elle tente d'endiguer tant bien que mal. Certains de ces quartiers progressent de 10 à 20 % par an (PNUE, 2000). Cette urbanisation spontanée, généralement sans support légal, exécutée par auto-construction, se développe dans les pires conditions de site, en occupant en général les territoires les plus ingrats (fonds de vallées marécageux, zones exposées aux inondations, flancs de collines soumis au ruissellement, au ravinement, aux coulées de boues, etc.). De ce fait, ceux-ci sont les plus coûteux à équiper en services publics (longueur de canalisations, instabilités des terrains, profondeur des fondations, importance des voiries nécessaires pour des transports publics, etc.). Dans le même temps, c’est sur ces territoires que les investissements collectifs sont les plus faibles. Etant les lieux d'accueil par défaut de la grande pauvreté, la possibilité de prise en charge par les habitants y est également la plus réduite.
L'état actuel des services d’eau et d’assainissement
53 Les services d’eau potable sont peu développés et peu performants, et l’assainissement quasi inexistant en Afrique, ce qui entraîne une morbidité et une mortalité majeures. La réalité du service effectivement rendu aux populations est très en deçà de la situation officielle résumée dans le tableau 5.
population desservie en eau potable et en assainissement en 2000
Population (millions d’habitants) | Accès à l’eau potable (%) | Accès à l’assainissement (%) | ||
---|---|---|---|---|
Ensemble du monde | Zones urbaines | 2 845 | 94 | 86 |
Zones rurales | 3 210 | 71 | 38 | |
Total | 6 055 | 82 | 60 | |
Afrique | Zones urbaines | 297 | 85 | 64 |
Zones rurales | 487 | 47 | 45 | |
Total | 784 | 62 | 60 |
population desservie en eau potable et en assainissement en 2000
54 La concentration urbaine massive accroît le besoin d’infrastructures d’eau potable et surtout d’assainissement, et celles qui existent souffrent d’un déficit quasi général de gestion et de maintenance. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS, 2001), "l’objectif du plan d’action de Johannesburg implique la nouvelle desserte de 404 millions d’Africains en eau potable et de 410 millions en assainissement. Les investissements réalisés sur la décennie 1990-2000 (45,73 milliards de dollars) ont permis respectivement celle de 135 millions d’Africains (eau potable) et 98 millions d’Africains (assainissement), avec une aide extérieure totale de 31 milliards de US dollars (3,1 milliards/an)". Il faudrait donc au jourd'hui, à première vue, multiplier les rythmes d’investissement du secteur en Afrique par au moins 3 pour l’eau potable et 4 pour l’assainissement. En réalité, l'effort devrait être bien plus considérable encore, car même lorsqu'ils sont considérés comme desservis, la très grande majorité des quartiers des villes africaines ne bénéficient pas, en fait, d’un service digne de ce nom. C'est donc bien souvent l'impasse. L’exemple de Ouagadougou, parmi de nombreux autres (Hessel, 1994 ; UNESCO, 1999 ; Roche, 2001a ; TSM, 2001), montre cependant qu’il est possible, dans des quartiers en pleine extension, d’organiser une desserte en eau, certes minimale mais efficace, et de maîtriser les risques venant des excrétas, des eaux usées et des déchets.
L'exemple de Ouagadougou
55 La capitale du Burkina Faso, qui avait moins de 200 000 habitants il y a 50 ans, dépasse aujourd’hui 1 million. Les ventes d’eau aux gérants de bornes fontaines à des postes autonomes desservent 40 % de la population et seulement 18 % de l’eau distribuée. Les gérants, qui ont été d’abord des particuliers sélectionnés par la Société des eaux, dépendent d’autorités politiques décentralisées au niveau des quartiers, notamment les plus défavorisés. Une autre partie des besoins des 20 % de la population non desservie au robinet ou par ce dispositif est couverte par des reventes-livraisons amenant l’eau aux particuliers. Le système de transport et de revente bien encadré par les autorités, respecte des contrats types évitant une envolée des prix. Parallèlement, les autorités ont mis en place un système de collecte des déchets dans ces quartiers ainsi que des moyens de vidange des excrétas à la parcelle. En 1998, dans les secteurs centraux de l’agglomération, seulement 25 % n’étaient pas vidangés, contre 75 % dans les zones périphériques comme le montre la figure 2.
assainissement dans le centre et la périphérie de Ouagadougou
assainissement dans le centre et la périphérie de Ouagadougou
Les services essentiels et leur tarification
56 Un approvisionnement en eau et une épuration corrects reviennent dans les grands centres urbains des pays développés, à quelques euros par mètre cube. Le principe qui domine aujourd’hui est celui d’une récupération des coûts de services (y compris éventuellement les coûts environnementaux induits) sur les usagers qui en sont les bénéficiaires. Cette logique repose sur la recherche d’une rationalisation des comportements des acteurs (politiques économes et gestion au moindre coût) en limitant la pression des prélèvements obligatoires indifférenciés en contrepartie d’un paiement des services publics. Beaucoup s’accordent aussi à reconnaître le caractère "essentiel" du service public d’eau et d’assainissement. Conditionnant directement la survie, ce dernier participe de fait à une sorte de noyau dur de services publics liés aux besoins vitaux, comme les équipements de santé publique ou d’éducation. L’accès à l’eau est de plus en plus mis en avant comme un droit fondamental : les autorités politiques locales ont donc à créer les conditions d’un accès à une eau de qualité satisfaisante et à instaurer parallèlement un mode de gestion des rejets (assainissement, latrines, etc.) pour l’ensemble de la population, sans condition de ressources. Cela ne signifie bien sûr pas la gratuité de tels services, mais une tarification comportant les péréquations et aides suffisantes pour être assumée par les plus pauvres. La réalité la plus commune est que, les systèmes de tarification imposés étant en décalage avec les ressources financières des usagers, ces services ne sont purement et simplement pas payés par ceux-ci. Une forme tolérée de dégradation des services publics répercute implicitement la charge sur les contribuables et les autres usagers, directement ou indirectement, par une baisse de qualité : gestion, entretien, maintenance et renouvellement insuffisants des infrastructures, fuite et gâchis, absence de gestion de clientèle, fonctionnaires sous-payés et absents de leur travail, petite prévarication au quotidien, passe-droits ; la spirale de la dégradation peut aller très loin. Ainsi, la distribution de l’eau en Algérie, comme dans bien d’autres pays, est entrée il y a quelques années dans ce cercle vicieux dramatique des coupures d’eau plusieurs jours par semaine, accompagnées de consommations non facturées et de fuites massives (Fatiha Chikir Saïdi, dans Meublat et al., 2001). Facile d’y entrer, difficile d’en sortir.
57 Le développement de l’ensemble des service publics dans les quartiers périurbains est une question qui doit se traiter de façon intégrée (comme problème d’urbanisme global, où tous les types de services sont liés) mais aussi sectorielle, pour en assurer efficacité et lisibilité. La gestion commune de plusieurs "utilités", pour reprendre un anglicisme devenu courant, assure des péréquations entre tarifs : mais est-il logique que l’on paye un peu de son eau en payant son électricité, comme c’est bien souvent le cas ? En toute rigueur, on devine tous les biais que ce type de confusion entraîne et on devra donc le proscrire. Il n’empêche que c’est aujourd’hui, dans certains cas, le seul moyen de rendre solvables ces services, le consentement à payer étant à l’évidence différent selon les services et d’autant plus faible que ceux-ci demeurent plus "essentiels" : on peut couper l’électricité, mais il n’est pas tolérable de ne pas distribuer l’eau. Dès lors, on accepte de payer un peu pour l’électricité et beaucoup moins pour l’eau, car, si celle-ci est "publique", elle est due. Cependant, si aucune desserte n’est organisée, il faut bien payer les revendeurs. Inutile de rappeler que le coût et la qualité sont alors bien inférieurs. La relation psychologique du client avec le service public est complexe, le savoir-faire dans la perception des recettes restant l'un des premiers manquements des services d’eau et d’assainissement.
La délégation de services publics en Afrique
58 Dans les modalités particulières de la délégation de services publics, on peut distinguer 4 logiques organisationnelles distinctes et chacune assez bien illustrée, pour faire simple, par la France (gestion déléguée par contrat), la Grande-Bretagne (privatisation avec agence indépendante de régulation), l’Allemagne (économie mixte) et l’Australie (sociétés de statut privé à capital municipal) (Roche, 2000, 2002b). En Afrique, c’est essentiellement la délégation de service à la française qui se développe, comme d’ailleurs dans le reste du monde. Le tableau 6 liste les principales délégations de services publics d’eau et d’assainissement en Afrique.
délégations de services publics en Afrique
délégations de services publics en Afrique
59 Ce tableau n’inclut pas un certain nombre d’opérations ponctuelles de BOT (Build, Operate and Transfer), notamment en Algérie, ni certains contrats limités (intervention de la société des eaux de Marseille sous contrat pour la réhabilitation du réseau d’Alger, rémunérée sur les économies faites en réduisant les fuites, par exemple). Il montre bien, en revanche, que l’autorité qui délègue est plus souvent l’Etat central qu’une collectivité locale. Il fait également apparaître qu’au-delà d’une présence historique des compagnies privées dans quelques pays, le mouvement de privatisation n’a été amorcé que récemment et ne concerne qu’une très faible minorité de la population. La régie nationale reste aujourd’hui le modèle dominant. Les mégapoles connaissent une crise qui ne peut être dominée que par des structures puissantes, s’appuyant sur une connaissance sociologique approfondie, mais capables aussi de mobiliser toutes les ressources de la technologie ainsi que des moyens financiers à l’échelle des besoins. De telles concentrations urbaines restent le domaine privilégié d’intervention des grands acteurs internationaux, publics ou privés.
Le défaut d’autorités locales
60 L’organisation des services publics d’eau et d’assainissement est avant tout un problème d’organisation et de renforcement des pouvoirs locaux, suivant Roche, (2001b) [20]. Dans de nombreux pays, encore aujourd’hui et particulièrement en Afrique, les grands services publics relèvent de l’autorité d’un Etat central ou de grandes régions ou provinces. Comme les transports publics et la gestion des déchets, et à l’opposé de l’électricité ou des télécommunications, les services d’eau sont pourtant essentiellement des services de proximité ; l’échelle de l’agglomération est celle de gestion pertinente du service du "petit cycle de l’eau" (prélèvement dans la ressource, potabilisation, transport, distribution, récupération et traitement des eaux usées avant rejet au milieu naturel). Des autorités locales ayant une responsabilité claire devant les citoyens et consommateurs tout comme le développement d’une véritable culture de la maîtrise d’ouvrage des services publics, trop longtemps confondue et mélangée avec la gestion proprement dite, sont nécessaires. Dans les services en régie aussi bien que dans les délégations de service public, des contrôles externes par des institutions anti-corruption disposant de pouvoirs étendus, de nécessaires structures de concertation avec les usagers et la transparence des comptes sont les passages obligés vers un progrès effectif dans la "gouvernance locale de l’eau". Le travail engagé en ce sens dans quelques pays africains (Afrique du Sud, Ghana, Mali, Maroc, etc.) reste encore isolé et fragile au regard des enjeux. L’Académie de l’eau a mis en évidence le rôle essentiel de l’implication des usagers dans la gestion des eaux, à diverses échelles de territoires et dans tous types de contextes. Il est ressorti de cette analyse une charte sociale pour l’eau en 7 points et un guide des pratiques tiré de l’ensemble des cas recensés. La dimension sociale et institutionnelle, la nécessité d’organiser des instances transparentes permettant l’implication des acteurs apparaissent enfin au premier rang des conditions du succès (Roche et Valiron, 2000). Avec le soutien du gouvernement français, un travail sur cette base a été poursuivi dans le cadre de la préparation du sommet de Johannesburg. Il a abouti à une véritable charte d’engagements collectifs (CFSMDD, 2002). Le succès rencontré auprès des acteurs africains présents à Johannesburg, tant du côté des ONG que des autorités nationales et locales, montre toute l’utilité de ce type de clarifications conceptuelles dans des contextes où la polémique est loin d'être absente (Roche, 2002).
61 On voudrait insister ici tout particulièrement sur les centres urbains secondaires. Ceux-ci sont confrontés à des problèmes d’échelle, pouvant trouver des solutions impliquant un tissu d’acteurs locaux, mais souffrent aujourd’hui dans bien des cas d’un abandon quasi général et d’une pénurie criante de moyens. Au Mali, par exemple, de nombreuses responsabilités ont été décentralisées auprès des nouvelles municipalités, l’Etat ne s’impliquant plus directement que dans les plus grands centres. Avec un budget global de quelques dizaines de milliers d’euros seulement, des municipalités sans moyens humains se trouvent ainsi en charge directe de l’eau, de l’assainissement, de la voirie, des services de santé, etc., pour plusieurs dizaines de milliers d’habitants [21]. Trop petits pour intéresser bailleurs de fonds et opérateurs internationaux, trop lourds pour que la coopération décentralisée, malgré sa bonne volonté, apporte des réponses à cette échelle, ces problèmes, même s’ils sont solubles, sont purement et simplement ignorés.
62 Le maintien du milieu rural, évoqué plus haut dans sa dimension économique, n’est évidemment pas indifférent aux efforts possibles d’amélioration des conditions de vie, notamment sur l’accès à l’eau potable (corvée d’eau, éducation et statut des femmes) et, dans une moindre mesure, l’assainissement. La coopération décentralisée et les grands programmes d’hydraulique villageoise issus de la décennie internationale de l’eau sont très présents dans un tel milieu. Le recours aux compétences locales, l’organisation du micro-crédit [22], les comités d’usagers gérés par les femmes ont acquis leurs références ; les témoignages positifs rempliraient des livres entiers, tout comme les échecs retentissants, généralement liés à un investissement ponctuel sans suivi ni écoute des attentes locales. La juxtaposition d’expériences locales (qui, malheureusement, ont parfois plus de difficultés à obtenir des résultats pérennes que dans d’autres régions) ne constitue cependant pas une réponse globale à l’échelle des enjeux. Les méthodes sont éprouvées, mais la répétition village par village pose un problème de moyens considérable.
La question du financement
63 Cette émergence des autorités publiques locales, outre qu’elle se heurte dans beaucoup de cas à l’hostilité des pouvoirs nationaux, est certes souhaitée par les bailleurs de fonds internationaux, mais encore insuffisamment appuyée par ceux-ci [23].
64 Une large part des populations pour lesquelles les mesures à prendre sont les plus urgentes (celles qui se trouvent dans la situation la plus menacée) vivent en dessous du seuil de pauvreté et ne peuvent à l’évidence pas supporter la charge financière des coûts d’un service assurant une qualité minimale. La recherche de techniques économes, robustes et d’une gestion simplifiée pour assurer la salubrité de la distribution et de l’évacuation des déchets a fait de grands progrès… en remettant au goût du jour et en optimisant des techniques parfois anciennes. Les groupes internationaux, confrontés à ces questions où ils jouent leur crédibilité, ont fortement renforcé leur capacité à s’adapter au contexte local, faisant preuve d'une aptitude nouvelle à s’associer avec des ONG implantées dans les quartiers les plus démunis. La remise sur pied du service public suppose généralement une adaptation des tarifs pour les moins riches. Assurer une prévention des impayés peut se faire, soit par appel à des financements externes (aide internationale, contribuables nationaux), soit par un fonds prélevé sur le service d’eau et d’assainissement lui-même assurant une solidarité entre consommateurs de revenus différents. Des expériences extrêmement positives reposent sur la pratique des contreparties non monétaires, qui peuvent être de tous ordres : les distributeurs d’eau pratiquent des accords de main d’œuvre "eau contre travail" (Mathys et Chambolle, 1999), tandis que des autorités nationales s’engagent parfois dans des accords "eau contre mesures de préservation du milieu naturel".
65 Il faut bien reconnaître aujourd’hui l’impasse du financement du secteur de l'eau en Afrique, où la contraction massive des aides publiques n’a pas su créer les conditions d’un relais privé, laissant Etats et villes seuls et démunis face à des problèmes insolubles (Banque mondiale, 2002). Dans ce genre de situation, chacun écrit l’histoire à sa façon : alors que chacun stigmatise le manque de moyens, il n’est guère possible de rencontrer un grand bailleur sans que celui-ci ne se lamente sur le faible nombre des dossiers qu’il a à traiter et sur les quantités de capitaux qui dorment inemployés. Les opérateurs eux-mêmes disent ne pas rencontrer de difficulté majeure à lever les financements nécessaires, lorsqu’ils considèrent une opération comme saine.
66 La logique institutionnelle s’appuyant sur le renforcement des autorités locales, que nous avons défendue ci-dessus, a un corollaire immédiat : la crédibilisation financière de ces autorités et leur cotation sont un passage obligé. La Water facility (voir supra) n’a d’autre objectif que d’aider les collectivités locales à lever des fonds pour leur permettre de jouer pleinement leur rôle d’autorité publique [24].
67 Une part significative de la demande est solvable à moyen terme, à travers une tarification adéquate. Mais il ne faut pas oublier le caractère très capitalistique des équipements hydrauliques, qui s’amortissent sur 30 à 50 ans, et ne dégagent que des faiblesmarges. La mobilisation de financements privés reste de ce fait extrêmement limitée : la faible rentabilité intrinsèque de ce type de marché fait que l’investissement n’a de sens que dans une sécurité de moyen et long terme suffisante. On bute alors sur l’instabilité des taux de changes et plus fondamentalement sur les questions de confiance dans la stabilité institutionnelle et juridique. La responsabilité des élus devant la population reste, et c’est un bien, entière. Mais le domaine de l’eau est de ce fait très sensible politiquement. Cela introduit des risques de rupture unilatérale des contrats comme des difficultés et des incertitudes sur les évolutions tarifaires qui posent un problème majeur de garanties. La garantie apportée par les Etats vis-à-vis des contrats signés par eux-mêmes et a fortiori par des autorités locales est très fragile : l’exemple de la crise argentine actuelle montre bien les limites de la confiance qu’un investisseur privé peut mettre dans un pays pourtant doté de tous les atouts économiques à moyen terme et qui devrait constituer un marché réputé solvable malgré les difficultés conjoncturelles. Ceux-là mêmes qui s’étaient lancés dans cette aventure il y a quelques années ne trouveraient sans doute pas aujourd’hui un accueil aussi favorable du secteur bancaire pour une opération identique.
68 Les financements de l’aide publique internationale ou des fonds de mutualisation des risques doivent jouer en tout premier lieu un rôle de garantie facilitant l’implication privée. La difficulté est alors d’en maîtriser les risques dits "moraux" : en garantissant l’opérateur contre le non-respect par l’autorité publique d’une clause d’augmentation de tarif dûment justifiée, n’encourage-t-on pas cette autorité à ne pas le faire ? Formuler un dispositif incitatif mais dépourvu de ce type d’effets pervers est évidemment délicat.
69 Les aides publiques internationales peuvent aussi jouer un rôle de transition, hors de portée des acteurs locaux, pour les demandes insolvables, par un mécanisme clair, explicite et décroissant de subvention des tarifs sociaux indispensables. On trouve également nombre d’expériences locales positives de comités d’usagers ayant su, à l’échelle d’un village ou d’un quartier, créer une caisse de gestion qui assure le petit (le plus souvent) ou le grand (parfois) équilibre, et dégage même éventuellement des ressources excédentaires pour financer d’autres équipements sociaux. Ces processus vertueux doivent être généralisés mais ne sont pas exclusifs d’un abondement public et leur exemplarité ne doit pas être exploitée pour justifier la faiblesse des moyens consacrés au secteur par l'Etat. Certes, l’eau peut payer l’eau, mais pas tout de suite et pas en totalité [25].
Coopération décentralisée et aide publique au développement
70
On se tourne parfois vers l’espoir du développement des fonds éthiques (est-ce vraiment à l’échelle du problème ?), mais surtout vers la coopération décentralisée, qui connaît un développement considérable et dégage aujourd’hui des moyens significatifs. La mobilisation de la coopération décentralisée présente une grand intérêt (TSM, 2001 ; CFSMDD, 2002). Aujourd’hui, en France, le lien entre cette dernière et l’Aide publique au développement (APD) n’est généralement pas ou insuffisamment fait. Ce sont deux mondes qui s’ignorent bien souvent et ne sont pas exempts de petites rivalités. Coexistant au mieux sans synergie, ils connaissent pourtant bien souvent les mêmes défauts :
- absence de prise en charge locale de la responsabilité du projet, voire même parfois inadéquation des solutions apportées aux problèmes par défaut d’écoute ;
- faiblesse du suivi et des mécanismes de prise de relais permettant d’assurer la pérennité des opérations.
Changer de rythme tout en changeant de cap
71 Les pays développés, si prompts à donner des leçons, sauraient-ils eux-mêmes faire face à l’avalanche des difficultés qui submergent aujourd’hui le continent africain ? Les moyens manquant, il faudrait accélérer les projets. Mais l’argent ne viendra pas tout seul dans le contexte actuel : les dernières décennies l’ont cruellement montré. Il ne suffira pas demain de quelques expériences positives. Il faudra avoir résolu à grande échelle des problèmes dont l’ampleur est croissante.
72 Comment organiser le développement d’institutions solides et assurer la nécessaire confiance (ce qui demande des générations) et, dans le même temps, trouver dans l’urgence une dynamique suffisante pour multiplier les moyens mobilisés, éviter une aggravation dramatique de la situation et si possible l’améliorer ? L'on ne dispose pas, à l’évidence, de temps pour tergiverser, et pourtant bien des raisons incitent à la plus grande prudence pour assurer le succès et l’efficacité de ce qui est accompli.
73 Les énergies africaines se mobilisent et affichent actuellement une volonté nouvelle de progrès vers une meilleure gouvernance, adaptée à chaque situation, et non pas imposée selon un modèle universel. Les acteurs internationaux reconnaissent eux aussi le caractère crucial de ces enjeux, mais s’inquiètent de la faiblesse institutionnelle de leurs interlocuteurs. La société civile, les collectivités locales débordent de bonne volonté et ne parviennent pas cependant à sortir de l’expérimentation, parfois aventureuse. Trois tendances qui peuvent s’allier pour enrayer les cercles vicieux engagés dans les 20 dernières années.
74 La tâche est excessive et les conditions confortables d’un succès assuré sont loin d’être au rendez-vous. Les réticences compréhensibles, mais lourdes de conséquences, des uns ou des autres peuvent suffire à rater celui-ci. Raisonnablement, il n’y a pourtant pas d’autre choix que de faire confiance ensemble au processus en cours, aussi imparfait soit-il : l’abandon, la désertion, l’inaction, le doute et l’indifférence seraient manifestement suicidaires dans ce genre de circonstances. Accepter les risques, amplifier les moyens mobilisés, travailler en commun au succès, même partiel, deviendra aujourd’hui la plus sage des décisions.
Références bibliographiques
- Académie de l’eau, Proposition de guide stratégique pour aider la constitution de commissions internationales inter-Etats sur les eaux partagées, Paris, Agence de l’eau Seine-Normandie, 2002.
- African Caucus, The Africa Water Vision for 2025 : Equitable & Sustainable Use of Water for Socioeconomic Development, 1999.
- Banque africaine de développement (BAD), African Development Report 2001, Abidjan, African Development Bank (AFD, <http://www.afdb.org.>
- Banque mondiale, Proceedings of the World Bank Sub-Saharian Africa Water Resources Technical Workshop (Dakar), Washington, World Bank, 1996.
- Banque mondiale, World Development Report 1999/2000 : Entering the 21st Century, New-York, Oxford University Press, 1999.
- Banque mondiale : Water Resources Sector Strategy : Strategic Directions for World Bank Engagement, draft for discussion, 2002, World Bank <http//:www.worldbank.org/water.>
- Brooks D.D., E. Rached et M. Saade, Management of Water Demand in Africa and the Middle East, 1997, Ottawa, International Development Research Centre, <http://www.idrc.ca/books/focus/844.>
- Comité officiel français pour la préparation du Sommet mondial du développement durable (CFSMDD), Livre blanc des acteurs français du développement durable, Paris, La Documentation française, 2002.
- Conseil mondial de l’eau (CME), Commission mondiale sur l’eau pour le XXIe siècle, Rapport au forum de La Haye, Marseille, CME, 2000.
- Cosgrove, W.J. et F.R. Rijsberman, World Water Vision. Making Water Everybody's Business, Marseille, Conseil mondial de l'eau, Earthscan, 2000.
- FAO, l’Irrigation en Afrique en chiffres, 1994, Rome, Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, <http://www.fao.org/ag/aquastat>.
- Fritsch J.M., "La ressource en eau - Intérêts et limites d’une vision globale", Revue française de géoéconomie, n°4, hiver 1997-1998.
- Hall D., K. Bayliss et E. Lobina, Water in the Middle-East and North Africa (MENA), Trends in Investment and Privatisation, Londres, PSIRU, University of Greenwich, 2002a.
- Hall D., K. Bayliss et E. Lobina, Water Privatisation in Africa, Londres, PSIRU, University of Greenwich, 2002b.
- Hessel S., L’Eau et la santé dans les quartiers urbains défavorisés, Paris, éditions du GRET, 1994.
- International Water Management Institute (IWMI), Water for Food and Rural Development in 2025, Colombo, IWMI, 1999.
- Kabbaj O., Le défi du développement de l’Afrique au début du 21ème siècle, Agir, printemps 2001.
- Kuper., M., J.P. Tonneau et J.P. Bonneval, L’Office du Niger, grenier à riz du Mali, Paris, CIRAD/Karthala, 2002.
- Maddison A., L’Economie mondiale : une perspective millénaire, Paris, Centre de développement de l’OCDE, 2001.
- Mahé G. et J.C. Olivry, "Variations des précipitations et des écoulements en Afrique de l’Ouest de 1951 à 1989", Sécheresse, vol. 6, 1995.
- Margat J. et D. Vallée, Mediterranean Vision on Water, Population and the Environment for the XXIst Century, Blue Plan, 1999.
- A. Mathys et T. Chambolle, "Améliorer l’accès à l’eau et à l’assainissement des populations pauvres", PCM-Le Pont, n°11, 1999.
- Meublat G. (dir.), "Les nouvelles politiques de l’eau, enjeux urbains, ruraux, régionaux", Tiers Monde, n°166, t. XLII, 2001.
- Organisation mondiale de la santé (OMS), World Health Report, OMS, Genève, 2001.
- Partenariat mondial pour l’eau (PME), Southern Africa Vision for Water, Life and the Environment in the 21st Century and Strategic Framework for Action Statement, Global Water Partnership SATAC Southern Africa Technical Advisory Committee), Stockholm, GWP, 1998.
- Partenariat mondial pour l’eau, Toward Water Security : A Framework for Action, Stockholm, GWP, 1999a.
- Partenariat mondial pour l’eau, West Africa Water Vision, Global Water Partnership, WATAC West Africa Technical Advisory Committee), 1999b.
- Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), Global Environmental Outlook, New York, Owford University Press, <http://www.unep.org/GEO2000>
- Roche P.A., "L’eau au XXIe siècle : enjeux, conflits, marchés", dans RAMSES 2001, Paris, Ifri/Dunod, 2000.
- Roche P.A. et F. Valiron, L’académie de l’eau et la charte sociale "L'Eau au XXIe siècle : de la vision à l'action", Futurible, Paris, 2000.
- Roche P.A., La gestion urbaine de l’eau au XXIe siècle, espoir ou impasse ?, Paris, UNESCO, Presses des Ponts, 200a.
- Roche P.A., "Régulation des services d’eau et d’assainissement", dans E. Cohen et al., Enchères et gestion publique, Paris, Conseil d’analyse économique, La Documentation française, 2001b.
- Roche P.A., J. Margat, O. Bommelaer, N.Tien Duc., B. Barraqué, Gestion intégrée des ressources en eau à l’échelle mondiale, cours de l’Ecole nationale des ponts et chaussées (ENPC), Paris, 2002.
- Roche P.A., L’eau, dans “Johannesburg 2002 : écologie et finance”, Revue d’économie financière, n° 66, 2002a.
- Roche P.A., De Johannesburg à Kyoto, la mobilisation des acteurs français de l’eau, Paris, TSM, 2002b.
- Rosegrant M.W. et C. Ringler, World Water Vision Scenarios, Consequences for Food Supply, Demand, Trade, and Food Security : results from the IMPACT implementation of the world water vision scenario, Washington D.C., International Food Policy Research Institute (IFPRI), 1999.
- Seckler D., The New Era of Water Ressources Management : from “dry” to “wet” water savings, Research report 1, Colombo, International Irrigation Management Institute (IIMI), 1996.
- Seckler D., U. Amarasinghe, D. Molden, R. de Silva et R. Barber, World Water Demand and Supply, 1990 to 2025 : scenarios and issues, Research Report 19, Colombo, International Irrigation Management Institute (IIMI) 1998.
- Tien Duc N., L’Humanité mourra-t-elle de soif ? Paris, Hydrocom éditions, 1999.
- TSM (collectif), "Les initiatives françaises en faveur des populations défavorisées dans le domaine de l’eau", Techniques, sciences et méthodes, n° 10, Paris, 2001.
- UNESCO, Suez-Lyonnaise des eaux, Solutions alternatives à l’approvisionnement en eau et à l’assainissement conventionnels dans les secteurs à faibles revenus, Paris, 1999.
Notes
-
[*]
Directeur général de l’Agence de l’eau Seine-Normandie, professeur à l’Ecole nationale des Ponts et Chaussées, gouverneur au Conseil mondial de l’eau. Les opinions exprimées ici n’engagent que leur auteur, qui remercie particulièrement MM. Ivan Cheret, Olivier Bommelaer et Alain Henry de leurs commentaires.
-
[1]
L’Afrique, qui comptait 2 fois moins d’habitants que l’Europe au début du XXe siècle, en compterait 2 fois plus au début du XXIe, étant passée de 7,4 % de la population mondiale à 13 % maintenant ; elle pourrait en représenter 18 % en 2025.
-
[2]
Le PIB par habitant de l'Afrique, 4 fois inférieur à celui de l’Europe occidentale en 1950, a stagné, voire décru de 1980 à 1995, pour être aujourd’hui 13 fois plus faible que celui de l’Europe. Sa remontée de 3,5 %/an depuis 1995 est un signe encourageant.
-
[3]
85 % des paludéens vivent en Afrique. Les statistiques disponibles sous-estiment cependant encore le rôle du paludisme dans la mortalité infantile (l’anémie résultant de la malaria est très répandue, mais n’est pas toujours identifiée comme source de mortalité).
-
[4]
Les importations en Afrique sub-saharienne ont été multipliées par 3 et l’aide alimentaire par 4 de 1974 à 1990. Les importations de nourriture représentent plus de 30 % en valeur des importations en Afrique occidentale et centrale.
-
[5]
Pour une présentation détaillée du Nepad, voir le dossier thématique d'Afrique contemporaine, n° 204 (octobre-décembre 2002).
-
[6]
L’Initiative pour le bassin du Nil est un partenariat régional financé et appuyé par la Banque mondiale et d’autres organisations, à l’intérieur duquel les pays riverains du Nil se sont unis pour assurer en commun l’exploitation et la mise en valeur durables du fleuve.
-
[7]
L’Initiative mondiale pour l’environnement et l’assainissement réunit des bailleurs de fonds, des agences des Nations unies, des ONG et des professionnels des pays en développement, dans l’intention d’accélérer la réalisation d’un dispositif d’assainissement pour tous.
-
[8]
Ce fleuve a un débit à son embouchure qui varie de 20 000 à 70 000 m3/s, seulement dépassé par celui de l’Amazone.
-
[9]
C'est-à-dire sans débouché à la mer (notamment le bassin du Tchad où le Logone et le Chari terminent leur cours, et le désert du Kalahari où aboutit l’Okavango).
-
[10]
Au nord du continent, au Maghreb, avec les crues dévastatrices des oueds non permanents ainsi que le remplissage rapide des retenues par le transport des sédiments et, au sud, dans la région du Cap.
-
[11]
A cet égard, on soulignera que la Libye est engagée dans une surexploitation des ressources souterraines par une exploitation "minière" des grands aquifères (Margat et Vallée, 1999), exemple type de stratégie de développement non-durable.
-
[12]
Les localisations peu nombreuses des sites équipables, les économies d’échelle des équipements et la possibilité de transporter l’énergie électrique à longue distance l’expliquent.
-
[13]
Le biseau salé est la partie d'un aquifère côtier envahi par l'eau salée (généralement marine), comprise entre la base de l'aquifère et une interface de séparation eau douce / eau salée : le coin d'eau salée est sous l'eau douce.
-
[14]
Dont 18 des 23 pays comptant plus de 34 % de mal nourris (Banque mondiale, 1999).
-
[15]
Les transports de nourriture sont en fait des transports d’eau : c’est ce que l’on appelle l’”eau virtuelle".
-
[16]
On observe cependant une grande disparité entre les régions. Cultivé principalement dans les marais et bas-fonds, le riz est majoritaire dans les zones humides du golfe de Guinée et de l'Est. Il est également très développé sur les plateaux de Madagascar.
-
[17]
Voir Kuper et al., 2002.
-
[18]
Cette logique du juste suffisant a été contestée, notamment par l’IIMI (International Irrigation Management Institute, voir Seckler, 1996) au nom de la gestion globale du cycle de l’eau, sur le principe que pertes, fuites et débits non utilisés sur le périmètre réalimentant ensuite nappe et cours d’eau étaient ainsi disponibles pour l’aval : finalement, quel mal y aurait-il à faire passer à travers les cultures des flux non utilisés, puisqu’ils ne sont pas définitivement perdus ? Cette approche, que D. Brooks (dans Brooks et al., 1997) qualifie de "contre-révolution", présente le risque de détourner de toute analyse économique et financière des ouvrages, tant en investissement qu’en exploitation et en maintenance. Aujourd’hui les bailleurs internationaux se détournent sensiblement du financement des grands périmètres irrigués, voire même de leur réhabilitation, par manque de crédibilité des projets.
-
[19]
Jusque dans les années 1930, le taux de natalité très élevé était équilibré par une mortalité infantile également très élevée (notamment liée à la brutalité du sevrage du lait maternel). Le taux moyen de natalité pour les années 1990 est de 4,5 % (moyenne mondiale 2,7 %), avec un taux de mortalité ramené à 1,5 %.
-
[20]
Il convient de ne pas mal interpréter cette remarque. Nombre de grandes régies nationales (SONEDE en Tunisie, par exemple), font un travail de très grande qualité et l’on peut comprendre une logique d’économie de moyens qui concentre au niveau national des corps de fonctionnaires dévoués et de bon niveau technique. L’histoire des institutions françaises illustre d’ailleurs tout le bénéfice qui a pu être tiré d'un tel choix. La véritable difficulté est celle de l’obstacle objectif que constitue, malgré ses qualités, ce mode d’organisation pour l’implication politique des acteurs locaux, nécessaire finalement à la prise en charge des services. La décentralisation de ces responsabilités, loin de représenter un luxe a posteriori de pays aux institutions riches, stables et développées est, au contraire, une condition immédiate pour l’émergence de solutions durables.
-
[21]
Un exemple parmi tant d’autres, celui de la ville de Niono au Mali. Au cœur des périmètres de l’Office du Niger, le succès de la culture du riz y a fait affluer près de 50 000 habitants. Ce qui n’était encore récemment qu’un semis de petits villages de migrants devient aujourd’hui, au milieu des canaux, une véritable ville, sans que les infrastructures d’eau et d’assainissement n’aient été développées simultanément : les premiers revenus engrangés passent en médicaments. Au regard des investissements considérables de l’aide internationale et des recettes enfin générées, la faiblesse des efforts de salubrité consentis dans le même temps semble difficile à accepter.
-
[22]
Il convient de saluer ici le Fonds africain de développement (FAD) de la BAD qui a lancé l’initiative pour la micro-finance en Afrique (AMINA).
-
[23]
La Banque mondiale ne peut intervenir qu’auprès d’une autorité souveraine, c’est-à-dire directement d’un Etat ou dans un cadre garanti et encadré par celui-ci. La BAD met aujourd’hui au centre de sa stratégie le soutien aux autorités locales (BAD, 2001), et l’Agence française de développement (AFD), pour sa part, n’a engagé d’opérations directes avec des collectivités que relativement récemment (Tunisie, Afrique du Sud, Cameroun, Mali, etc.).
-
[24]
Les collectivités locales françaises intervenant dans le domaine de la coopération décentralisée, réunies au sein de Cités-Unies France, réfléchissent avec les bailleurs de fonds sur la façon dont elles pourraient apporter, dans le cadre de leurs jumelages, un véritable appui de développement des capacités à leurs homologues africaines dépourvues de moyens.
-
[25]
C’est le cas en quasi-totalité en France par le biais des agences de l’eau, qui apportent d’importantes subventions. Celles-ci, au lieu d’être alimentées par l’impôt, proviennent d’une mutualisation de taxes prélevées elles-mêmes sur la facture d’eau. Il ne faut pas oublier cependant le haut niveau et l’état déjà très stable du patrimoine français en équipements disponibles ainsi que les conditions économiques qui ont permis son développement, ni le fait que la montée en puissance de ce dispositif a malgré tout pris 30 ans avant de se stabiliser à un niveau satisfaisant.
-
[26]
Elle n’est pas exempte de dérives (tourisme humanitaire, clientélisme notamment), devient souvent une proie facile et naïve de professionnels peu scrupuleux et son enthousiasme l’expose également aux risques de l’ignorance de l’apprenti sorcier, sans toujours bien en peser les conséquences humaines. Comme partout.