Couverture de AFCO_205

Article de revue

Les conséquences de la crise ivoirienne sur les pays sahéliens enclavés : un premier tour d'horizon

Pages 5 à 16

1 Au lendemain du déclenchement de la crise politique en République de Côte d'Ivoire (RCI), qui a débuté le 19 septembre 2002, les économistes en charge de l'Afrique de l'Ouest francophone n’ont pas manqué de s'inquiéter au sujet des effets induits de cette crise sur l’économie sous-régionale, du fait du poids économique de la RCI au sein de l’Union économique et monétaire de l'Afrique de l'Ouest (UEMOA), qui émet l'un des deux francs CFA. Les pays sahéliens continentaux comme le Niger, le Burkina et le Mali sont les plus affectés par les événements ivoiriens, au niveau tant économique que social. Les importations de ces pays dépendaient en effet à 75 % du port d’Abidjan. Les populations rapatriées de Côte d'Ivoire, ayant souvent tout perdu dans leur exode, souffrent aussi particulièrement de cette crise. Les Etats sahéliens francophones gèrent difficilement cet afflux de réfugiés. Leurs économies nationales ne sont pas non plus épargnées, avec pour conséquence une augmentation du prix de nombreux produits, mais surtout la perte de débouchés importants. On tentera ici de donner un tableau d'ensemble de la situation à la fin de l'année 2002, pour les trois pays concernés, à partir de données empiriques recueillies directement sur le terrain.

Les répercussions au Mali

2 En attendant de trouver une solution définitive, le gouvernement et les opérateurs économiques du Mali, à travers la Chambre de commerce et d’industrie de Bamako, ont rapidement réagi en mettant en place un plan opérationnel relatif aux échanges commerciaux et aux mouvements des populations victimes de la guerre.

Le nouveau plan opérationnel

3 Ce plan repose essentiellement sur :

  • un accès à de nouveaux ports pour l’importation et l’exportation de produits. Ceux d’Accra (au Ghana anglophone), de Lomé (au Togo), de Cotonou (au Bénin), de Conakry (en Guinée) et de Dakar (au Sénégal) sont de plus en plus sollicités pour recevoir les produits à destination et en provenance du Mali. Ce changement d’itinéraire implique une augmentation des coûts de transport, car les pays par lesquels les marchandises transitent appliquent une convention relative au Transit routier inter-Etats (TRIE). Cette convention impose le prélèvement d’une garantie sur les opérations de transit au niveau du cordon douanier. Les formalités de douane et de police se multiplient et les distances sont plus longues que celle de l’axe Abidjan-Bamako. La superposition des prélèvements renchérit mécaniquement les coûts d’approche. C’est dans ce cadre que les opérateurs économiques et le gouvernement malien ont sensibilisé les responsables des Etats respectifs sur la nécessité d’une collaboration plus dynamique dans la gestion des transactions. Ainsi les capacités des entrepôts maliens ont augmenté de 20 à 30 % et leurs conditions d’exploitation ont été révisées : dans certains cas, les frais d’entreposage ont été réduits. Pour l'année 2002, la récolte de coton malien transitera presque exclusivement par le port autonome de Lomé. En décembre, au moins 20 000 balles avaient déjà été expédiées sur Lomé ;
  • la recherche de solutions pour l’évacuation des marchandises stockées à Abidjan, où plus de 8 millions de tonnes de marchandises ont été bloquées. De nouveaux accords ont été signés pour leur transit à travers le Ghana puis le Burkina Faso. Le gouvernement malien, en accord avec ceux de la RCI et du Ghana, a pu ainsi acheminer une bonne partie de ces marchandises. Cependant les plus volumineuses sont restées au port d’Abidjan, du fait de l’augmentation du prix du transport. En conséquence, les stocks de riz et de sucre ont dû être vendus à d’autres opérateurs économiques vers d’autres destinations ;
  • la recherche de nouvelles sources d’approvisionnement en hydrocarbures et matériaux de construction. Le Mali n’ayant pas une grande capacité de stockage d’hydrocarbures, qui sont des produits très sensibles, toute rupture d'approvisionnement en carburant pour les transports ou pour l'éclairage (pétrole lampant) peut très vite être ressentie. De nouveaux fournisseurs se sont présentés, en particulier sur les axes Mali-Sénégal et Mali-Togo. L’approvisionnement en hydrocarbures est désormais assuré sur l’axe Lomé-Ouagadougou, déjà opérationnel avant la crise ivoirienne. Des mesures attractives ont été prises pour inciter les opérateurs à l’utiliser. Par ailleurs, l’axe Dakar-Bamako a été renforcé de sorte que les inquiétudes à ce niveau ont été levées. L’approvisionnement en carburant pour les avions gros porteurs a cependant connu une rupture. Il a été rapidement rétabli par Lomé. Quant à l’axe Guinée-Mali, il reste peu utilisé pour ce type de produits à cause du mauvais état de la route ;
  • le retour des immigrés maliens résidant en RCI, où vivaient plus de 2 millions de nationaux. La situation actuelle étant très difficile à supporter, beaucoup ont décidé de rentrer. L’affluence est énorme. Des villes comme Sikasso, Zégoua et Kadiolo se sont mises à regorger de milliers de réfugiés, de nationalité malienne mais également originaires de toute la sous-région (ivoiriens, guinéens, burkinabè et, dans une moindre mesure, sénégalais et mauritaniens). Tout laisse à croire que ces populations non maliennes sont en transit. Pourtant aucun déplacement organisé vers d’autres pays n’a été observé. Il est donc probable que certains réfugiés trouveront une nouvelle terre d’asile au Mali.

4 Avec le concours de l’Etat malien, d’organisations religieuses musulmanes et chrétiennes, ou d’associations caritatives, et avec l’appui du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et mêmes des populations locales, des cars ont été réquisitionnés pour aider les victimes des récents événements de RCI à rejoindre le Mali. Fin novembre 2002, plus de 2 000 Maliens avaient ainsi pu rejoindre leur région d’origine sur un total de 10 000 inscrits volontaires pour un rapatriement organisé. Il reste maintenant à résoudre la question de leur réinsertion dans la vie économique du Mali.

Les conséquences commerciales

5 Bien que relativement efficaces, ces mesures n’ont pas empêché la montée des prix de certains produits comme le ciment ou les fruits et légumes tropicaux sur les marchés maliens. Le prix du riz importé a également subi une augmentation liée à la hausse du coût de transport. Par ailleurs, le manque crucial de véhicules pour son acheminement constitue un problème non négligeable dans la livraison de cette céréale.

6 L'exportation vers la RCI de tous les produits maliens, que ce soit pour la consommation ivoirienne ou en transit vers le port d’Abidjan, a été également confrontée à des difficultés. Les principales exportations du Mali vers la Côte d’Ivoire sont le coton et le bétail. Les exportations maliennes de bétail sur pied ont chuté de plus de 60 %, mais les consommateurs s’en réjouissent car le prix du bœuf et des petits ruminants (moutons et chèvres) a chuté de 40 % (le bœuf, qui était vendu à 100 000 francs CFA avant la crise, coûte aujourd’hui 60 000 francs CFA). Les quantités destinées à l’exportation, qui ne peuvent être écoulées et s’ajoutent donc à l’offre locale, entraînent cette baisse des prix. Cependant, en décembre 2002, celle-ci ne s'était pas répercutée sur le prix de la viande au kilo pour le consommateur. Il est clair que cette situation perturbe grandement les éleveurs, majoritairement originaires de la région nord du Mali. De plus, un problème n’arrivant jamais seul, la campagne agricole a été mauvaise en 2002 et cette région accuse un déficit céréalier important, qui présage une augmentation du prix des céréales de base.

7 En attendant de trouver une solution définitive, la maîtrise des prix reste difficile. Pour le seul mois d’octobre 2002, les recettes douanières maliennes ont connu un manque à gagner de plus de 3 milliards de francs CFA, sur une prévision de 15 milliards ! L’intervention dynamique de l’Etat face à la crise ivoirienne a pu éviter certaines ruptures d'approvisionnement. Néanmoins, il faut déplorer un ralentissement du trafic et un manque à gagner pour l’Etat, du fait de la réorientation du trafic par Lomé, dont la fiscalité est plus faible que celui de l’axe ivoirien.

Le Burkina Faso sous le poids de la crise ivoirienne

8 La crise ivoirienne provoque également des secousses importantes sur l’économie du Burkina Faso.

Les prémices d’un marasme ?

9 L’impact de cette crise s’y est d’abord fait sentir sur le secteur du transport. En effet, avant la crise ivoirienne, le port d'Abidjan constituait le plus important point de transit des marchandises à destination du Burkina Faso. La RCI est en effet le seul pays côtier et frontalier à disposer d'un axe ferroviaire reliant la mer à Ouagadougou, la capitale. Comme il n'existe pas de substitution possible, il en est résulté une relative dépendance des opérateurs économiques burkinabè vis-à-vis du port autonome d’Abidjan. En effet, le chemin de fer reste très compétitif en terme de coût de revient par marchandise transportée. De plus, le délabrement du réseau routier ralentit l’acheminement des produits et met à rude épreuve le parc automobile.

10 La fermeture des frontières entre le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire est donc une contrainte majeure pour les opérateurs économiques burkinabè qui se sont orientés néanmoins très rapidement vers d'autres pays côtiers comme le Ghana, le Togo et le Bénin. Cette situation a cependant occasionné une augmentation de leurs frais de transport. La déviation d’une partie du fret malien, nigérien et burkinabè sur Lomé au Togo et Cotonou au Bénin a aussi eu pour effet d'intensifier le trafic routier sur l’axe Koupéla-Ouagadougou, dont le bitume avait été refait en août et septembre 2002. A peine quelques semaines plus tard, le revêtement commençait à subir des dégradations importantes dues à la surcharge des camions, alors même que ces travaux de réfection n’étaient pas encore réceptionnés.

11 Outre l’augmentation des frais de transport, et donc du prix des marchandises, de la dégradation des routes et du parc automobile, la crise ivoirienne a eu des répercutions sur l’emploi au Burkina Faso. La Société des chemins de fer Abidjan-Ouagadougou (Sitarail) connaît d’énormes pertes sur ses recettes et ses bénéfices. Son manque à gagner s’élevant à 60 millions de francs CFA de bénéfice mensuel, elle a dû mettre au chômage technique une partie de son personnel d’exploitation. Les personnes concernées vont réduire leur consommation, ce qui aura un impact négatif sur l’économie nationale.

12 De même, la diminution des recettes est évidente pour le Trésor public du Burkina Faso. Contrairement à l'habitude, les agents des douanes à la frontière Burkina/Côte d’Ivoire et ceux du Bureau principal des douanes à Ouagadougou (terminal ferroviaire) sont, eux aussi, quasiment dans une situation de chômage technique. Ce bureau central, déserté alors qu’avant les événements de RCI, il était surchargé d'une foule accomplissant les formalités douanières liées aux importations de marchandises par la voie ferrée, engrangeait pour le Trésor public la notable somme de 1,6 milliard de francs CFA de recettes douanières chaque mois. Depuis le déclenchement de la crise, les seules opérations en cours dans les bureaux de ce service consistent en l’apurement des entrepôts.

13 Bobo-Dioulasso, capitale économique du Burkina Faso, est située sur l’axe routier Côte d’Ivoire-Ouagadougou. Dans cette ville, la crise ivoirienne a un impact considérable sur l’activité économique avec, à court terme, des répercussions sur l’emploi et les revenus des populations. En effet, la plupart des unités industrielles importent leurs matières premières et leurs pièces de rechange par le port d'Abidjan. Diverses commandes y restaient encore bloquées à la fin de 2002, ce qui risquait d’entraîner la fermeture ou le ralentissement des activités de nombreuses unités industrielles.

14 La crise ivoirienne pèse donc sérieusement sur l’activité économique du Burkina Faso et, en décembre 2002, aucune solution négociée ne paraissait en vue. Il est alors légitime de s’interroger sur les conséquences sociales qui pourraient découler de cette crise, à moyen et long terme.

Quelles conséquences sociales faut-il prévoir ?

15 Dès le départ boucs émissaires dans une crise dont les causes profondes leurs échappent, les ressortissants sahéliens vivant en Côte d’Ivoire, burkinabè et maliens en particulier, subissent des exactions de toutes sortes : expropriation de leurs biens patiemment acquis, humiliations diverses allant de violences corporelles à des viols des femmes ou pire, assassinats, etc.

16 Face à cette situation, le gouvernement burkinabè a lancé l’"opération Bayiri", terme qui signifie "retour au pays natal". Elle vise à faciliter le rapatriement des Burkinabè de Côte d’Ivoire (où l'on rappellera qu'ils sont, selon des statistiques officieuses, environ 3 millions et vivent souvent dans ce pays depuis plusieurs générations). Essentiellement financée par les pouvoirs publics, elle a recueilli aussi des contributions diverses (individus, sociétés privées, institutions internationales, organisations non gouvernementales, etc.). Les dons se composent non seulement de liquidités, mais aussi de nattes, médicaments, nourriture, vêtements, etc. L'opération, depuis son démarrage le 13 novembre 2002, avait déjà permis, début décembre, le rapatriement d’environ 4 000 personnes, volontaires pour un retour dans leur patrie. Ce sont pour la plupart des femmes, des enfants et des jeunes de 17 à 20 ans.

17 De tels rapatriements vont poser de nombreux problèmes sanitaires, alimentaires et de réinsertion sociale. Certes, la production céréalière prévisionnelle 2002-2003 du Burkina Faso, évaluée par le dispositif d'enquête permanente agricole, est estimée à 3,276 millions de tonnes par des sources proches du ministère de l’Agriculture. Cette production est en augmentation de 5 % comparée à la campagne 2001-2002 et de 22 % au regard de la moyenne des 5 dernières campagnes. Un bilan céréalier prévisionnel excédentaire de 672 900 tonnes se dégage. Cependant, il ne faut pas perdre de vue que les populations du Burkina tirent l’essentiel de leurs revenus de l’agriculture. La solidarité familiale aidant, les rapatriés dépouillés de leurs biens vont constituer un poids énorme pour les familles d’accueil au village en terme de prise en charge alimentaire, vestimentaire et de santé.

18 En l’absence d’autre source de revenu, les excédents des récoltes céréalières risquent d’être ainsi très rapidement engloutis. En décembre 2002, s’il est vrai que la crise ivoirienne n’avait pas encore eu de répercussion sur le cours des céréales, il restait à craindre qu’une augmentation significative de la demande ne soit prochainement à l’origine d’une tension sur les prix. A la même date, des hausses de l’ordre de 10 à 15 % du prix des produits alimentaires importés n'étaient encore que la conséquence mécanique de la déviation du trafic de fret, entraînant des coûts supplémentaires de transport.

Les effets de la crise ivoirienne sur l’économie du Niger

19 Les événements de Côte d’Ivoire sont également préjudiciables à l’économie du Niger dont les principaux secteurs ne sont pas épargnés, bien que ce pays soit situé très à l'est de la RCI.

Les manifestations locales de la crise

20 L’impact de la crise sur le Niger est différent de ce que l'on constate au Mali et au Burkina Faso. Contrairement à ces Etats et en raison de sa position géographique, le Niger utilise moins qu'eux les ports ivoiriens pour le transit des marchandises. L’importance des relations commerciales entre la Côte d’Ivoire et le Niger ne se situe pas au niveau du transit portuaire, mais principalement dans les échanges directs de produits manufacturés ivoiriens et de produits issus du secteur primaire nigérien. Tout dysfonctionnement dans le tissu industriel ivoirien a donc des répercussions directes sur les importations nigériennes. Même si la part de celles qui proviennent directement de RCI reste faible dans l'ensemble des importations nigériennes, il convient de souligner ici que la Côte d’Ivoire jouit au Niger d’une exclusivité relative sur certains produits. Ce sont principalement l’huile végétale, les matériaux de construction, l’acide oléique, le gaz butane, les savons et les articles en plastique. Pour cette gamme de produits, la part de la Côte d’Ivoire dans les importations nigériennes va de 75 à 100 %.

21 Quant aux productions du secteur primaire nigérien, même si les céréales de base (mil, sorgho, riz) sont peu concernées par la crise, la Côte d’Ivoire constituait jusqu'à présent l'un de leurs principaux débouchés. Au cours des deux premiers trimestres de l’année 2002, les exportations du Niger vers la Côte d’Ivoire représentaient en effet 27,8 % du total, plaçant ainsi ce pays au 2e rang des pays destinataires des produits nigériens. Le marché ivoirien constitue notamment un débouché très important pour les filières nigériennes de l’oignon et du bétail, qui risquent d’être durement affectées par la crise. Environ 30 % des exportations d’oignons du Niger (soit 13 000 tonnes) sont destinées à la RCI. Dès le mois de décembre, la nouvelle production commence à inonder les marchés. L’arrêt des exportations vers la Côte d’Ivoire occasionnera donc en 2003 des pertes considérables pour les producteurs car, en dépit des efforts accomplis dans le domaine de sa conservation, l’oignon reste un produit hautement périssable. Le moindre ralentissement de son écoulement pourrait engendrer des conséquences économiques graves au Niger, tant pour les négociants que pour les producteurs. Un problème identique se posera dans la filière viande.

22 L'économie secondaire, notamment les industries manufacturières et le secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP), n'est pas épargnée non plus au Niger par l'impact de la crise ivoirienne, puisque, par exemple, l’acide oléique utilisé par la Société nigérienne des produits chimiques (SPCN) comme matière première dans la fabrication du savon est exclusivement importé de Côte d’Ivoire. De même, le volume des matériaux de construction importés de la RCI représentent 73,4 % des importations nigériennes totales de cette catégorie de marchandises. Si, pour l’instant, les industries nationales n’ont pas connu de rupture de stocks, c’est grâce au détournement du trafic routier par le Ghana.

23 Au niveau des transports, la situation est également critique. Pays enclavé, sans voie ferrée, situé à plus 1 000 km du port le plus proche (Cotonou), le Niger achemine plus de 95 % de ses importations par voie terrestre. Les voies d'acheminement possibles sont assez diverses et passent, outre la RCI, par le Togo, le Bénin, le Ghana, le Nigeria, le Burkina Faso et le Mali. Avant l’éclatement de la crise en Côte d’Ivoire, les transports des marchandises se faisaient normalement du port d’Abidjan à Niamey, en passant par le Burkina Faso. Aujourd’hui les transporteurs sont obligés de passer par le Ghana pour accéder à la mer, ce qui engendre des coûts supplémentaires. Cependant, à l’exception de l’huile végétale dont le prix a légèrement augmenté, le surcoût de transport reste sans incidence sur les prix à la consommation des autres produits importés. On en déduit facilement que les marges des intermédiaires ont dû diminuer. Si cette situation devait se prolonger, les opérateurs économiques ne tarderaient pas à répercuter l’augmentation du prix de transport sur le consommateur.

24 Selon le Syndicat national des transporteurs de marchandises du Niger (SNTMN), les produits manufacturés à Abidjan n’avaient pas connu, en décembre 2002, de rupture d'approvisionnement et continuaient d’être acheminés jusqu’à Niamey via le Ghana. En revanche, les productions traitées par des usines de l’intérieur du territoire ivoirien n'étaient plus commercialisées au Niger. Il s’agissait principalement de café, d'huile végétale, de peinture et de fer. Une prolongation de la crise entraînera certainement une pénurie, suivie d’une flambée des prix de ces produits, à moins d’y remédier par une rapide réorientation des importations à partir d’autres pays.

Les effets à court terme sur l’économie nigérienne

25 Etant donné l’évolution de la crise politique en Côte d’Ivoire, notamment la multiplication des groupes rebelles, il était permis, dès décembre 2002, d’anticiper quelques effets induits sur l’économie nigérienne :

  • un ralentissement, voire un arrêt total, de l’exportation du bétail et de l’oignon, ce qui aura pour corollaire une baisse des recettes d’exportation et des revenus des producteurs et éleveurs avec une forte incidence sur leur sécurité alimentaire ;
  • une pénurie, suivie d’une flambée des prix de certains produits (huile végétale, bois, etc.) ;
  • une baisse de la productivité de certaines entreprises ou industries nigériennes, en particulier celles opérant dans le secteur du bâtiment ou la SPCN, importateur exclusif de l’acide oléique ;
  • une baisse des recettes douanières et de certains organismes étatiques tels que le Conseil nigérien des utilisateurs de transports (CNUT), la Niger Transit (Nitra), la Chambre de commerce ;
  • un ralentissement, voire un arrêt, des activités de certains transitaires et transporteurs opérant en RCI ou sur l’axe Côte d’Ivoire-Niger.

26 Toutefois, les effets induits par la crise en Côte d’Ivoire ne sont pas tous négatifs pour l’économie nigérienne. Cette situation pourrait avoir des conséquences positives sur quelques unités de production locales qui étaient antérieurement en farouche concurrence avec les producteurs ivoiriens. Par exemple, la SPCN et la Olga Oil produisent du savon et de l’huile d’arachide, qui peuvent se substituer aux importations et acquérir ainsi de nouveaux marchés. Mais, pour ce faire, la première devra trouver d'abord un nouveau fournisseur d’acide oléique.

27 La crise ivoirienne n’a pas que des effets économiques, elle entraîne également des effets sociaux difficilement évaluables. Au vu de son durcissement, on assiste à un retour de ressortissants nigériens de Côte d'Ivoire, totalement dépourvus de leurs biens. On estimait à plus de 800 000 le nombre de ceux qui vivaient sur le territoire ivoirien. Leur retour massif poserait de véritables problèmes de réinsertion.

Quelles solutions envisager ?

28 Afin de limiter les conséquences néfastes pour le Niger d'une situation de crise qui s'est installée dans la durée, certaines mesures alternatives sont à envisager comme l’encouragement de la production locale de produits substituables aux importations (le savon et l’huile), par des incitations fiscales et des concours financiers, ainsi que le recours éventuel aux importations d’huile de coton du Burkina Faso, produite à Bobo Dioulasso, ou encore la réorientation des importations et la recherche de nouveaux débouchés pour l’oignon et le bétail nigériens en direction d’autres pays côtiers comme le Bénin, le Togo, le Ghana et le Nigeria – Etats qui tous entretiennent déjà de solides relations commerciales avec le Niger.

Les premières leçons de la crise ivoirienne pour le Sahel

29 Par ses conséquences négatives sur les économies du Mali, du Burkina Faso et du Niger, la crise en Côte d'Ivoire est aussi révélatrice de la fragilité intrinsèque des pays de la sous-région dans leur ensemble, en raison d'une interdépendance et d'une intégration économique particulièrement visible dans les Etats francophones regroupés au sein de l'UEMOA et solidaires sur le plan monétaire autour du franc CFA.

30 Elle est également révélatrice d'une certaine imprévoyance des opérateurs économiques des pays francophones enclavés du Sahel qui, jusqu'à son début et en dépit de signes politiques annonciateurs, n'avaient jamais songé à rechercher une diversification de leurs sources d’approvisionnement. Mais la crise ivoirienne a aussi, et surtout dira-t-on, révélé en même temps la capacité de réaction de ces opérateurs économiques à s’adapter très rapidement à de nouvelles situations et à trouver des solutions de substitution face à des difficultés que personne n’aurait imaginées il y a seulement 6 mois.


Date de mise en ligne : 01/10/2005

https://doi.org/10.3917/afco.205.0005

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