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Article de revue

« L’amour est aveugle » : parcours erratique d’un adolescent adopté

Pages 753 à 762

1 Afin d’aborder la question de l’impact d’une filiation adoptive à l’adolescence, mon choix s’est porté sur le suivi d’un jeune en situation de placement judiciaire. Durant cette période, il est fréquemment observé un ensemble de manifestations symptomatiques et de troubles liés à l’adoption (Harf, Taïeb, Moro, 2007). En ce sens, plusieurs entrées cliniques seraient possibles afin d’aborder la prise en charge d’un adolescent adopté. Sans être exclusif de l’identité du sujet, ce mode de filiation reste une articulation essentielle à sa formation (Lamotte et coll., 2007). Les vécus antérieurs à l’abandon, ainsi que la capacité ultérieure des institutions et des parents adoptifs à s’occuper de l’enfant, sont indissociables. Mon parti pris est de témoigner d’une clinique adolescente en institution éducative qui certainement ressemble au quotidien de nombreux psychologues de la protection de l’enfance. L’étude de cas d’Elias traduit la sédimentation de théories en actes. Je n’emprunterai pas le chemin inverse, laissant à chacun la possibilité de traduire une pratique à partir de ses référentiels.

Elias est orienté en Maison d’enfants à caractère social (MECS) à la suite à d’une accusation d’agression sexuelle le concernant. En parallèle, la dégradation des relations familiales et la multiplication des exclusions scolaires rendent incontournable une mesure de protection ordonnée par le juge des enfants. Le Conseil Départemental ainsi que les services de la Protection Judiciaire sont mandatés. Il faudra moins d’une année pour que l’environnement d’Elias s’en trouve radicalement bouleversé et que sa famille implose. C’est dans ce cadre que je suis amené à le rencontrer. La MECS qui l’accueille a comme spécificité de proposer une prise en charge globale alliant internat éducatif et activités de journée autour de modules de remobilisation scolaire. Comme à tous les jeunes entre douze et seize ans admis dans ce service, il est expliqué à Elias lors de son admission qu’il devra me rencontrer. Les trois premiers entretiens se font sur ma sollicitation, les suivants à sa demande s’il le souhaite.
Avant même de le croiser, les équipes éducatives commencent à m’interpeller. Son attitude décomplexée et ses allusions sexuelles inquiètent. Je sais alors d’Elias qu’il a quatorze ans et qu’il a été adopté à l’étranger à l’âge de cinq ans. Cette caractéristique m’est familière à plus d’un titre. Ces dernières années, j’ai été amené à suivre plusieurs adolescents avec une filiation adoptive, placés en MECS. Avant cela, mon parcours professionnel m’avait conduit à travailler un temps dans une cellule Adoption du Conseil Départemental, ainsi qu’à titre bénévole à la Mission Adoption Internationale d’une antenne régionale de Médecins du Monde. L’attitude provocante qui m’est décrite, les scarifications, risques suicidaires, fugues à répétition et hospitalisations qui sont consignées dans le dossier d’admission, résonnent en moi. En un sens clinique, je connais déjà ce profil, pour l’avoir rencontré à plusieurs reprises ces dernières années. A posteriori, je pense que cette connaissance a été une des conditions du transfert et de la thérapie d’Elias. Ce dernier ne pouvait parler qu’à celui qui savait déjà.
Je suis le quatrième psychologue qu’il rencontre. Le suivi le plus long a duré presque quatre ans, en libéral, à l’initiative de ses parents. Elias a joué le jeu tout en gardant pour lui « l’essentiel ». Il ne veut pas évoquer son vécu antérieur à l’adoption, une frontière doit se maintenir. Le premier entretien est l’occasion d’aborder son parcours et les relations familiales. Elias me dit être bien en internat. Il a déjà connu cette situation avant son adoption, entre quatre et cinq ans, dans ce qu’il décrira comme un orphelinat dans son pays d’origine. Assez rapidement, la discussion s’oriente vers la figure de sa meilleure amie. Il m’explique que cette jeune fille est comme une petite sœur. Cela fait presque une année qu’il ne l’a pas revue ; depuis son placement, elle lui manque terriblement, il faut absolument qu’il reprenne contact avec elle. Il pensait initialement sortir avec elle, mais un évènement a tout bouleversé. Elias serait intervenu pour protéger Emma d’une agression à caractère sexuel qu’elle aurait été sur le point de subir dans l’enceinte du collège. Dès lors, il s’assigne la mission de la protéger comme une petite sœur et de veiller sur elle. Emma ignore que depuis, il a lui-même été accusé d’une agression. Il craint lorsqu’il reprendra contact avec elle qu’elle ne le rejette.

2 L’importance de la fratrie m’était déjà apparue en situation d’adoption. C’est la partie de la famille la plus sujette aux identifications de l’enfant. Cette composante à laquelle il peut s’identifier et se sentir solidaire concentre l’empathie qu’Elias peut exprimer sur sa condition d’origine. Les expressions de perte et d’attachement trouvent une représentation alternative à celle des figures parentales. Le rapport peut même s’inverser chez l’enfant par le sentiment d’avoir abandonné plus vulnérable que lui. Dans le processus thérapeutique, la fratrie permet de façon médiate d’exprimer un vécu qui reste sinon difficilement abordable. Lorsqu’il me parle d’Emma, je sais alors qu’Elias évoque en arrière-plan une autre scène qui nous mènera aux vécus infantiles.

Les composantes de la prise en charge

3 La situation d’Elias recoupe plusieurs caractéristiques qui pourraient, chacune, orienter la prise en charge. Elias est un adolescent en danger, auteur présumé d’une agression sexuelle, placé au titre de la protection de l’enfance. Il est aussi un jeune adopté en international dont je suppose en début de suivi qu’il a été victime d’abus, hypothèse qui se confirmera sous la forme plus précise d’abus incestueux sur l’ensemble de la fratrie. Ses traits de personnalité s’inscrivent de façon saillante dans le registre des pathologies limites (Golse, 2015). Chacune de ces particularités constitue un paramètre avec lequel je dois composer. En fonction des séances, certaines occupent le devant de la scène et me mobilisent particulièrement. Néanmoins, il me semble aussi improbable de tirer toutes les « ficelles » simultanément, que d’en isoler une plutôt que d’autres.

4 Le premier opérateur thérapeutique auprès d’adolescents limites est d’abord l’instauration d’une relation sécure. C’est sur cette base transférentielle que se potentialise l’ensemble du travail et les différents aspects diffractés des imagos que je peux représenter pour le jeune. Au fil des séances, en fonction de ce qui est déposé en moi, j’observe les étapes du travail thérapeutique avec Elias. Le transfert inaugural, sur la base d’une idéalisation primitive opérée par le sujet limite sur le thérapeute (Kernberg, 1979) se doit, pour rester efficient, de respecter une dimension narcissique. En parallèle, j’acquiers la conviction de la justesse de la parole d’Elias. Cela m’engage aussi à respecter ses silences comme un compromis entre l’impossibilité de dire et le refus de mentir. À ses parents comme aux éducateurs, il affirme être accusé à tort d’agression sexuelle. Il me dira juste ne pas vouloir en parler, ce qui de façon tacite, pose son implication sans l’accuser.

Presque tous nos entretiens, une à deux fois par semaine, abordent son lien avec Emma. Simultanément, d’autres chaines associatives nous conduisent à des thématiques connexes : le sentiment que sa mère adoptive préfère sa grande sœur, la peur d’être rejeté, la déception qu’il inflige aux autres, sa volonté de reconquérir leur estime et de (se) prouver qu’il est quelqu’un de bien, etc. Les premières semaines de prise en charge laissent émerger des angoisses abandonniques massives. Elias doute de l’implication de sa famille à son égard, en même temps qu’il m’explique qu’ils ignorent ce qu’il a vécu. De façon tacite, un accord familial de méconnaissance réciproque renforce la base insécure de la relation. Je perçois qu’Elias doute de la capacité de ses parents, s’ils savaient tout, à s’occuper de lui. Il aimerait leur parler sans que cela n’altère la représentation qu’ils ont de lui.
Plusieurs semaines après qu’Elias m’ait expliqué son histoire, il demande à ce que nous rencontrions son père ensemble. Il souhaite que je médiatise la rencontre afin que son père le comprenne mieux. Nous faisons le choix pour cette première séance de ne pas intégrer sa mère, au regard de son attitude et des conflits qui les opposent. Toutefois, malgré son absence, la règle d’inclusion est celle de pouvoir lui communiquer l’ensemble de ce qui s’échangera entre nous. J’interroge le père sur l’adoption et ce qui lui a été transmis sur la famille d’Elias. Il ne sait rien et m’explique que le pays lui a affirmé ne pas avoir retrouvé les parents d’Elias. Je doute de la version du pays, mais je perçois que le père y est fortement attaché. Au fil de notre échange, je lui demande ce que lui et son épouse ont pu imaginer du vécu de leur fils avant l’adoption. Le père me fournit quelques exemples qui les ont conduits à penser qu’Elias avait pu subir des violences et peut-être des abus sexuels. Je constate alors que les parents, sans jamais pouvoir l’évoquer avec leur enfant, savaient exactement ce que lui-même redoutait de leur dire. C’est sur leur demande qu’Elias a consulté plusieurs années une psychologue et je comprends la manœuvre des parents de déplacer la parole d’Elias vers une professionnelle. En parallèle, eux-mêmes ont lutté pour ne pas savoir.
Durant cet entretien, Elias parlera d’Emma avec son père. Ce dernier lui dira qu’il pensait qu’elle était sa petite copine. Elias lui expliquera qu’elle est comme sa petite sœur et qu’il doit la protéger. Je perçois la difficulté de son père à l’écouter, il occupe l’espace de la parole jusqu’à ce qu’Elias lui déclare avoir une sœur jumelle dont il a été séparé. Emma vient représenter cette sœur. Le père ne sait plus comment réagir et tout en confirmant avoir eu cette hypothèse d’une sœur, répète en boucle : « Je ne sais pas, ce n’était pas écrit dans le dossier. » Le père d’Elias, sous une modalité du déni, laisse émerger son conflit à accepter l’histoire de son fils. Elias est alors obligé de se satisfaire d’avoir réussi à dire plus que d’être entendu.

La sœur jumelle comme membre fantôme

5 Devant l’importance que prend Emma pour Elias me vient cette idée qu’elle représente un membre fantôme, à l’image d’un organe qui, bien qu’amputé, continue de produire la sensation de sa présence. Cette jumelle est là, de façon obsessive dans les préoccupations d’Elias. Il peut en parler des heures et la moindre attention de sa part le comble. L’identification d’Emma comme sa sœur, date de l’épisode de l’agression sexuelle. Comme sa jumelle, Elias a subi un abus sexuel. Il n’a pas de récit mais des images de ce qu’il a vécu pendant l’enfance. Le père violentait davantage sa sœur. Dans un mouvement identificatoire à l’agresseur, il croit se souvenir que lui-même l’aurait pénétrée. Cette scène fantasmatique, pour improbable qu’elle soit chez un enfant de quatre ans, vient condenser l’interrogation de l’inceste chez ce jeune : de quel côté de la famille se situe-t-il ?

L’évocation de la première enfance découlera d’une séance où nous parlons d’Emma. Elias m’explique que tout en se voulant le protecteur d’Emma, il a peur de rester tétanisé si elle était agressée devant lui. Peut-être ne pourrait-il que pleurer en regardant la maltraitance… Cette chaîne associative nous conduit à sa position d’impuissance lorsque son père violentait et abusait sa sœur. Sur plusieurs séances, nous évoquerons ces vécus jusque-là inabordables. Elias est fier de pouvoir dire et d’avoir dépassé sa peur. Je lui explique que l’énergie qu’il mettait à contenir ce passé pour s’en protéger n’est plus nécessaire. La construction de sa personnalité sur un « clivage » ne pouvait que le rendre fragile. Il nous faut maintenant y travailler et reconnaître que cette frontière protectrice et séparatrice du trauma l’a aussi isolé. En contenant le trauma dans une zone atemporelle de silence, celui-ci a pu garder toute sa charge menaçante. Elias est très engagé dans le suivi et se satisfait à chaque séance du temps que nous passons ensemble.
En énonçant l’inceste, je constate qu’Elias n’a qu’une représentation déformée de l’interdit, associé pour lui à un risque diffus de mort et de maladie. La frontière de l’inceste n’est pas acquise et le perturbe. Alors qu’Emma est comme sa petite sœur, il a rêvé à plusieurs reprises qu’ils s’embrassaient. Cette scène le trouble, il ne la comprend pas…

L’amour est aveugle…

6 À la suite des séances où le trauma infantile a été abordé, Elias passe par une période d’errance où il fugue et évite nos entretiens. Les changements qui opèrent en lui le bouleversent et passent par un effondrement autant éprouvé que mis en scène (nous devons en être les témoins). Au bout de quelques semaines, nous reprenons le suivi. Les relations amoureuses occupent beaucoup d’espace. Les altercations et les bagarres aussi. Je perçois dans l’ensemble du discours adolescent d’Elias que les angoisses abandonniques, qui primaient, s’estompent. La problématique de ce jeune a davantage pris une tournure de questionnement autour de la loi. Il est impliqué dans plusieurs bagarres avec des adultes, et active à chaque occasion un schéma d’enfant menacé : il se sent en danger face à l’adulte qu’il attaque. Je ressens chez Elias une satisfaction à se mesurer à des adultes et à ne pas se laisser faire. Tout en saisissant la trame inconsciente qui se joue, j’adopte une posture intransigeante à son égard. Un dernier évènement est décisif : Elias, lors d’une altercation avec un éducateur, lui met un coup de tête. Informé de ce fait et ne pouvant le revoir avant le milieu de la semaine suivante, je décide de lui écrire :

« Nous nous verrons ce jeudi mais avant cela, je commence le dialogue avec toi. La violence de vendredi dernier est très grave. Ce n’est pas un acte isolé. Ces dernières semaines tu as eu d’autres occasions de te confronter à des adultes. Quelque chose se répète… Comme un disque rayé qui n’arrive pas à avancer… Tu reviens aux mêmes situations. Il faudra te convaincre que l’enfant vulnérable que tu as été n’a pas besoin de se défendre des adultes par la violence. L’image de force que tu recherches pour toi-même n’est pas là où tu le penses. Tu as beaucoup changé et cela va continuer, mais il faut que tu réfléchisses…Tu as deux possibilités : ou tu arrives à ne pas être en accord avec toi-même lorsque tu es violent, et alors tu es prêt à faire autrement ; ou tu justifies tes actes et affirmes par-là que tu as raison et que tu ne changeras rien ». Ce courrier va le toucher. En prenant une position surmoïque, j’encourais pourtant le risque de précariser le lien auprès d’Elias. Durant quelques semaines, il évite à nouveau de me rencontrer tout en montrant qu’il va mieux. Une fois l’émoi collectif passé et alors que plus personne n’exige de lui qu’il répare son geste, Elias va s’excuser auprès de l’éducateur.
À la suite à cet épisode, un autre interdit vient s’immiscer entre nous. Elias me montre une photo d’Emma qu’il a sur son téléphone. Il s’inquiète car elle est en Angleterre avec sa classe et qu’un attentat pourrait se produire. Avec une copine, il a parlé d’elle de 23h à 4h du matin. Son attachement à Emma a amené cette copine à penser qu’il en était amoureux. Cette affirmation trouble Elias qui ne veut pas être amoureux d’Emma… « Elle est comme ma sœur », répète-t-il. Ses sentiments sont confus, il doute. Il me dit alors que si Emma voulait, il ne pourrait pas résister, que cela serait plus fort que lui. Afin de justifier sa position, il m’affirme que « L’amour est aveugle ». Cette assertion résonne alors de façon inédite. Dans ce contexte, je fais le rapprochement avec l’inceste : L’amour est aveugle et ne connaît pas d’interdit ; l’objet est indifférent face à la pulsion : si elle veut, je ne pourrais pas résister.
Au cours de l’entretien, Elias connecte son affirmation à la scène du trauma. Il est désorienté par ce qu’il comprend. Je lui affirme alors que l’amour n’est pas aveugle, qu’il ne peut pas tout mélanger et qu’il doit décider du statut d’Emma. La filiation inconsciente avec sa famille d’origine le méduse. Il ne veut pas leur ressembler et commettre à son tour les mêmes confusions. Une nouvelle étape se profile dans l’identité d’Elias, autour de sa filiation et de l’orientation de son désir. Comme pour chaque étape décisive de la prise en charge, un temps de mise à distance est nécessaire. Toutefois, Elias ne passe pas par un effondrement. Après quelques semaines, il m’interpelle. Il veut me voir et ne peut attendre. Il me montre les messages qu’une copine d’Emma lui a envoyés sur son téléphone. Cette dernière parle fréquemment d’Elias et dit à tout le monde qu’il est comme un frère. Elias est resplendissant. Je lui dis alors que les choses sont claires et qu’il peut être tranquille. Cette étape précédera son retour en entretien.

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8 Cette vignette, pour illustrative qu’elle soit, n’est pas conclusive dans la mesure où le suivi est toujours en cours. Mon dernier entretien signe une nouvelle étape. Elias fréquente une jeune fille rejetée par sa mère. Celle-ci ne voulait pas lui expliquer son vécu car cela aurait pu le faire fuir… De son côté, Elias ne supporte plus sa mère et voudrait qu’elle parte. À défaut, c’est lui qui reste placé. Elias me demande pourquoi j’étais absent pour le spectacle institutionnel de fin d’année. Il est déçu mais son père était là, fier de lui et les larmes aux yeux. Il m’explique alors, non sans satisfaction, qu’on lui a dit qu’il devrait être psychologue. Je suppose que c’est sa copine. Je lui réponds que c’est normal car il en a une longue fréquentation. Il a suffisamment introjecté la posture thérapeutique exercée à son égard pour la reproduire. Je pense alors que sa copine représente un peu un double de lui-même dont il faut prendre soin. La relation spéculaire à l’autre amoureux demeure, mais s’est délestée au passage de ses composantes incestueuse et protectrice.

Commentaires

9 Au fil de cette étude, j’ai tenté de déplier de façon chronologique le suivi d’Elias. Il est important de saisir que les composantes du suivi ont toujours été conjointes tout en se hiérarchisant différemment en fonction de l’évolution de la prise en charge. Ainsi, l’angoisse abandonnique, le vécu traumatique, la filiation et l’inceste, l’interdit, etc., ont tenu différentes places. Dans la mesure où une demande de suivi vient signifier une demande d’introjection (Kammerer, 2014), l’affirmation d’Elias qu’il devrait être psychologue me confirme l’efficience de la relation thérapeutique. La position de témoin que j’ai pu occuper face au trauma a eu plusieurs effets. Face à la position de défausse des parents adoptifs d’Elias qui, tout en ayant compris, n’ont jamais voulu assumer cette position, Elias est resté pris au piège de la répétition traumatique. La posture que j’ai alors adoptée, en opposition avec la compulsion de répétition, est venue du même coup entraver les dérivés pervers du trauma. De façon symbolique, j’ai posé le double interdit de la violence et de l’inceste.

10 Je suis d’accord avec P. Kammerer (2014) lorsqu’il soutient que le thérapeute, dans la clinique du trauma, prend la place de l’absent, de celui qui a fermé les yeux alors qu’il aurait dû empêcher le trauma. Cette place est peut-être même surdéterminée dans le cas des troubles limites de la personnalité. Dans la situation d’Elias, il y a une double défaillance de la fonction de témoin, de la part des parents biologiques et des parents adoptifs. Étant moi-même assigné à cette place transférentielle, je me retrouve dans la position de voir et d’empêcher la répétition du trauma.

11 Afin d’illustrer la conscience qu’Elias manifeste à l’égard du travail engagé, il est notable de rapporter qu’il s’est énamouré de ma stagiaire. Sa fantasmatisation nous assimilait à un couple et, contre toute vraisemblance, nous devions être ensemble. J’ai décidé de jouer l’interdit œdipien, refusant qu’Elias la rencontre seul ou qu’elle participe à nos entretiens. Son attitude était théâtrale et attendait ma réponse. Cette situation est devenue un jeu, Elias pouvant exprimer qu’en dernière instance, il recherchait ma réaction.

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13 Ce suivi d’un adolescent abandonné-adopté-placé illustre le chemin erratique entre filiation, trauma et déni. À l’amour incestueux de sa famille d’origine, répondait le déni de sa famille d’adoption. La volonté de ses parents de ne pas savoir interrogeait Elias sur leur capacité à l’aimer s’ils savaient. La filiation adoptive a été précarisée de ce fait tout en conduisant Elias à remettre en cause le lien d’adoption par la compulsion de répétition. Le tiers témoin que j’ai pu être était alors indispensable, afin de mettre un terme à cette destructivité et de poser des repères jusque-là incertains, conditions requises à la restauration filiale d’un lien d’amour… qui ne soit plus aveugle.

Bibliographie

Bibliographie

  • golse b. (2015). Les états-limites chez l’enfant et l’adolescent. Adolescence, 33 : 771-778.
  • harf a, taïeb o, moro m. r. (2007). Troubles du comportement externalisés à l’adolescence et adoptions internationales : revue de la littérature. L’Encéphale, 33 : 270-276.
  • kammerer p. (2014). L’enfant et ses meurtriers. Psychanalyse de la haine et de l’aveuglement. Paris : Gallimard.
  • kernberg o. (1979). Les troubles limites de la personnalité. Paris : Dunod, 2016.
  • lamotte f., tourbez g., faure k., duverger ph. (2007). Les achoppements de la construction identitaire dans les adoptions internationales. Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence, 55 : 381-388.

Mots-clés éditeurs : Placement, Troubles limites, Psychothérapie, Adoption

Mise en ligne 15/02/2017

https://doi.org/10.3917/ado.098.0753

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