Notes
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Communication au colloque « Corps blessé, corps malade, corps menacé à l’adolescence » organisé par la revue Adolescence, la Société Française pour la Santé de l’Adolescent, Médecine et Psychanalyse, les 9 et 10 octobre 2015 à Paris.
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[1]
Le sociologue réfléchit aux handicaps et plus généralement aux stigmates en termes d’interactions entre stigmatisés et « normaux ». Du point de vue des « normaux », le stigmate est « une différence fâcheuse d’avec ce à quoi nous nous attendions », qui tend à exclure la personne qui en est porteuse du « cercle des rapports sociaux ordinaires ». Les normaux sont « ceux qui ne divergent pas négativement de ces attentes particulières » et qui élaborent une « idéologie du stigmate », visant à justifier la place laissée aux personnes stigmatisées [Goffman E. (1963). Stigmate. Les usages sociaux du handicap. Paris : Les Éditions de Minuit, 1975, p. 15].
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[2]
Winnicott, 1971, p. 46.
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[3]
L’étude de cas de Gabriel avait été longuement développée dans notre article « Déficits sensoriels, identité et filiation » (Bernard, 2001).
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[4]
Freud, 1914, p. 103.
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[5]
Cahn, 1998, p. 51.
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[6]
Ibid., p. 52.
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[7]
Rey, 1990, p. 68.
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[8]
Kaës, 1998, p. 13.
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[9]
Mottez, 1987, p. 43.
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[10]
Ibid.
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[11]
Cahn, 1998, p. 52.
Le handicap, un obstacle au processus adolescent ?
1 Nombre d’auteurs soulignent comment l’adolescence actualise la prise de conscience du handicap et confronte l’enfant à son inéluctabilité (Baubelet, 2010). Si la prise en charge souvent soutenue de l’enfant lui laisse l’espoir, parfois secret, d’une guérison ou au moins d’une réparation (Korff-Sausse, 1996), l’adolescence le confronte à des limites, à l’impossibilité de devenir comme les autres (Chicaud, 1991, Gérard, 1991). La situation de handicap, comme la maladie grave d’ailleurs, peut accentuer la dépendance de l’enfant envers ses parents, « faire perdurer une relation symbiotique » avec la mère (Ciccone, 2007) ou prolonger un « fantasme d’unité narcissique » (Slama, 1987). Cette situation interfèrerait dans les processus d’individuation et de symbolisation (Schulman, Rubinroit, 1987 ; Poumeyrol, Chagnon, 2009). Le risque existe que le corps malade ou déficient soit surinvesti par l’enfant, ses parents et plus largement l’environnement, venant ainsi redoubler la difficulté – inhérente à l’adolescence – à se séparer de la famille (Gutton, Slama, 1987 ; Korff-Sausse, 1996) et faire obstacle au processus adolescens (Gutton, 1996). Pourtant, l’avènement du corps pubère mobilise une dynamique intrapsychique et intersubjective propice aux remaniements (Scelles et coll., 2005 ; Slama, 1987). Cette force offre l’opportunité d’investir de nouveaux objets ou liens et de se mettre en quête d’un nouvel équilibre libidinal. Dans les situations que nous évoquerons, nous verrons qu’il n’est alors pas tant question de corps déficient que de corps désirant, et qu’une telle ouverture paraît possible dans la mesure où elle est soutenue par l’environnement.
Le handicap, manière d’être au monde et différence sociale ?
2 Une expérience conséquente de psychothérapeute auprès de personnes handicapées (la plupart du temps présentant une déficience sensorielle) m’a conduite à m’appuyer sur certains postulats et à formuler différentes hypothèses. Le handicap peut être pensé comme une « modalité de l’être », une manière d’être au monde spécifique, qui mobilise des ressources créatives permettant de réagir aux contraintes générées par la déficience (Sacks, 1995). Ce point de vue incite à être attentif aux expériences existentielles et relationnelles, plutôt qu’à penser la situation des personnes handicapées du côté d’un manque du corps, comme ont souvent tendance à faire « les normaux » [1], au sens ou l’entend E. Goffman. Le handicap peut aussi être pensé comme une différence sociale ou culturelle, dans le sens proposé par R. Kaës (1998) lorsqu’il évoque une troisième différence, distincte des deux premières différences anthropologiquement structurantes, celle qui permet aux humains de se définir en opposition aux non humains et celle des sexes et des générations. Cette différence d’un troisième type introduit le sujet à un « nous » et apporte repères identificatoires et « identités partagées ». Il nous est apparu que, pour l’enfant, la différence existentielle et « sociale » représentée par un handicap ne pouvait être connue d’emblée – du moins lorsqu’il est de naissance ou acquis précocement. « Le petit enfant a tendance à supposer que ce qui existe est normal » [2], remarque D. W. Winnicott au sujet de jeunes patients présentant une anomalie. L’enfant prendrait conscience de sa disparité progressivement, dans les liens aux autres, parce qu’il perçoit des faits inexpliqués dans l’attitude de son entourage (son inquiétude par exemple) ou parce qu’il expérimente des situations dans lesquelles il s’éprouve différent. Cette découverte opère souvent dans l’après-coup ou à certains moments décisifs. Il en est ainsi de la puberté. À travers l’évocation de l’adolescence de deux patients, Gabriel et Marine, ce texte propose d’approfondir comment, à la faveur de la découverte de leurs désirs et des rencontres que ceux-ci favorisent, ils ont pu « s’approprier » cette différence existentielle et sociale, dans le mouvement même où ils se confrontaient à la différence des sexes ou à celle des générations. Nous réfléchirons au déroulement de ce processus de subjectivation (Cahn, 1998) et aux conditions qui le favorisent.
Gabriel
Rencontre d’un objet de désir, (re)découverte du handicap
4 La différence entre sourds et entendants s’incarne dans des corps sexués. Il est frappant qu’au moment où Gabriel découvre son désir, il semble également « découvrir » qu’il est sourd. La poussée pubertaire et la rencontre d’un nouvel objet d’amour le confrontent simultanément à cette double différence. Cette découverte se fait de la même manière que celle de la différence des sexes par le petit garçon, qui commence à la percevoir dans une relative indifférence, avant de lui accorder de l’importance après-coup (Freud, 1923). Il est frappant également, qu’après ce mouvement de désir, la réaction de Gabriel ait été de réagir par un retrait. Il ne pourrait aimer, dit-il, car il est sourd. Plusieurs hypothèses, non exclusives, peuvent donner sens à ce mouvement. La première correspond à un aménagement défensif face à la réactivation du complexe d’Œdipe. La névrose se sert de l’infériorité d’organe ou des atrophies comme prétexte, remarque Freud, « comme elle se sert de tout autre facteur disponible » [4]. Gabriel pourrait ainsi mettre en avant la différence représentée par le handicap pour éviter l’angoisse de castration et tenter d’échapper aux incertitudes du développement pubertaire. Cette solution, proposée un moment, fige le désir, entrave la filiation (il ne pourrait pas avoir d’enfant). Gabriel ne pourrait aimer parce qu’il ne pourrait s’attendre à être aimé, étant sourd. Se pose la question de sa valeur pour l’autre. Pendant plusieurs années, sa surdité n’a pas été connue et ses parents ne pouvaient identifier ce qu’il ressentait. La déficience a rendu à son tour l’environnement défaillant. La confusion dans laquelle fut Gabriel, ainsi que son écholalie et sa distractivité, peuvent s’entendre comme le résultat d’un narcissisme défaillant. Il m’a semblé que ce retrait défensif, exprimé au cours et au sein de la psychothérapie, pouvait être entendu comme une manière d’interroger son environnement. Étant moi-même entendante comme sa mère, Gabriel utilisait le transfert pour poser ces questions : était-on prêt à le laisser désirer une entendante et à l’accepter sourd ? L’aimait-on suffisamment pour le laisser à son tour aimer, bien qu’étant sourd ? Après cette rencontre et cet épisode, Gabriel a changé. Devenu moins décalé, plus présent, ses connaissances se sont rassemblées. J’ai appris par la suite qu’il allait bien et que personne ne soupçonnait ses difficultés antérieures. Cette évolution favorable, peut-être liée en partie à la thérapie, est également imputable à l’attention bienveillante de ses parents. Si ces derniers avaient pu se sentir désorientés lors des premières années de leur fils, ils l’aimaient simplement et tel qu’il était.
Marine
Enquête sur la famille, élaboration d’un roman du handicap
6 Lors de la quête de l’origine de sa surdité auprès de sa famille, Marine se réfère non pas à une objectivation biologique, mais à un lien fantasmatique. De même que son père avait été confronté à un secret de famille, elle lui reproche d’avoir souhaité dénier sa surdité. Ce lien associatif relie un tabou à un autre et souligne la place donnée au handicap dans ses fantasmes. La jeune femme élabore un « roman du handicap » qui rend compte des liens fantasmatiques à ses parents et prend place dans l’histoire et les mythes familiaux. Ce « roman du handicap » est équivalent du « roman de la maladie » décrit par M.-J. Del Volgo et al. (1994) : création par le sujet d’un sens, il n’appartient pas au discours de la science, mais à la réalité psychique du sujet et semble être venu donner du sens aux différentes énigmes rencontrées par Marine – le mystère paternel et celui de sa propre surdité – et en permettre une sorte de résolution conjointe. Cette élaboration rend également compte de la place de Marine : elle n’a pas craint de questionner ses parents, grands-parents, oncles et tantes sur l’histoire familiale et sur celle de sa maladie, ces histoires lui ont été transmises, et elle fait clairement partie de sa famille.
Déroulement du processus de subjectivation du handicap
7 R. Cahn (1998) souligne le caractère continu du processus de subjectivation, qui permettrait tout au long de la vie d’intégrer du nouveau à l’ancien, de se réapproprier ce qui avait pu rester isolé, clivé. Le rôle de ce processus est particulièrement important pour les adolescents, du fait de « la contrainte nouvelle à la fois interne, pulsionnelle, et externe, de l’environnement, des objets », des « angoisses identitaires et de la qualité hyper excitante et hyper menaçante de l’objet » [5], qui les confrontent à la mise en cause de leurs repères antérieurs, notamment leurs identifications et croyances, et à la quête d’un sens à donner à la vie. Ce processus est une démarche créative « de désengagement, de désaliénation du pouvoir de l’autre ou de sa jouissance et, par là-même, de transformation du Surmoi et de constitution de l’idéal du Moi » [6]. Que semble-t-il s’être passé pour Gabriel et Marine ? Le désir pousse Gabriel à la rencontre, qui le confronte à la différence des sexes et à la différence sociale générée par le handicap. De manière indirecte, via le transfert, il interroge son environnement. Est-il aimable ? Est-il autorisé à faire des rencontres ? Une réponse implicitement positive à ces deux questions semble l’aider à métaboliser ces deux différences, qui s’incarnent alors, et l’autoriser à s’engager dans un mouvement motivé par son désir. De son côté, Marine entreprend des recherches sur sa famille et sur l’origine de sa surdité, s’autorise à interroger la place qu’elle y occupe. Sa propre histoire et celle de sa famille lui sont transmises, et elle peut se situer clairement dans une lignée. Soutenue dans son désir de rencontrer des pairs, elle découvre des aspects méconnus d’elle, une nouvelle manière d’être. Dans les deux cas, Gabriel et Marine s’engagent dans de nouvelles rencontres, qui se révèlent heureuses, une fois qu’ils ont acquis la certitude qu’elles étaient possibles pour leur entourage.
Remarques sur la subjectivation des différences
8 M. Rey, pédopsychiatre genevois, s’était étonné de l’évolution favorable à l’adolescence d’enfants sourds qui l’avaient inquiété auparavant. La puberté semblait avoir permis à certains d’entre eux de prendre conscience de leurs différences sociale et culturelle en même temps que de la différence des sexes, et de s’accepter devenant à la fois homme et sourd. Cette observation l’avait amené à postuler que « l’Œdipe comme destin autant que comme structure venait surdéterminer les différences singulières » [7]. Il remarquait que cette « résolution œdipienne » n’était cependant possible que si l’adolescent pouvait renoncer à l’idée de posséder sa mère et à celle d’entendre, et que cela supposait que sa mère l’autorise à « devenir un sourd ». Pour R. Kaës, la « troisième différence » – sociale et culturelle – se prête à la métaphorisation des deux premières – celle des sexes et des générations, et celle entre humains et non humains – « parce qu’elle est infiltrée par les fantasmes qui introduisent [celles-ci] dans la réalité psychique » [8]. Si nous interrogeons plus avant les propos de M. Rey ou ceux de R. Kaës et nous demandons pourquoi ces différences se révèlent simultanément, ou pourquoi elles se prêtent à une métaphorisation réciproque, il nous semble que Gabriel apporte des éléments de réponse : parce que leurs découvertes sont liées à la rencontre de l’objet.
Position de l’environnement : filiation et affiliations
9 Dans cette période de transformation, Gabriel et Marine ont été particulièrement attentifs aux réactions de leurs proches, manière plus ou moins directe de les interroger sur la place qu’ils occupent et peuvent occuper, et sur la capacité de leur entourage à accepter – ou non – leur différence existentielle et sociale. P. Blos (1967) évoque l’adolescence comme un second processus de séparation/individuation. Il souligne la place des expérimentations régressives envers les adultes tutélaires et du respect de ceux-ci pour le désir de l’enfant de s’autonomiser. Il évoque la place des groupes sociaux, qui vont remplacer – souvent littéralement – la famille de l’adolescent. Les contacts perdus avec la famille trouvent des substituts avec les pairs, le groupe, la bande, et apportent appartenance, fidélité, reconnaissance... S. Shulman et C. L. Rubinroit (1987) insistent sur l’importance fondamentale de l’attitude des parents envers le combat de leur enfant handicapé pour s’autonomiser. Cette idée rejoint celle de M. Rey lorsqu’il remarque la nécessité que la mère d’un adolescent sourd autorise celui-ci à « devenir un sourd ». Dans ce combat ou cette nécessité, il nous semble que le groupe de pairs peut alors jouer pour l’adolescent en situation de handicap un rôle décisif et double : celui certes de l’aider à s’éloigner de sa famille, mais aussi l’opportunité de partager des expériences, de trouver et définir un espace social qui lui permette de découvrir des parties de lui jusqu’alors méconnues, de « développer sa personnalité » [9] et, dans le cas de Gabriel et Marine, de pouvoir « se trouver entre autres choses être sourd » [10].
10 Par leurs manières de solliciter leur entourage, Gabriel et Marine confrontés au désir ou à la nécessité de faire des rencontres, ont profité de cette opportunité pour demander dans quelle mesure leur différence est ou a été dévalorisante. La réponse paraît en lien avec la possibilité de se sentir en continuité dans la filiation et celle d’expérimenter son altérité. Si leur différence a pu commencer par procurer temporairement un sentiment d’étrangeté aussi bien à eux-mêmes qu’à leurs proches, elle n’a pas été dégradante. Une fois celle-ci repérée, les parents ont essayé de s’ajuster à leur enfant, de définir un projet pour lui, puis de le réévaluer au fur et à mesure qu’ils ont pris conscience de son altérité. Ils lui laissent la possibilité de découvrir le monde et d’y faire des rencontres, qu’il s’agisse d’objets d’amour ou/et de groupes de pairs. Gabriel et Marine se sentent autorisés à rencontrer des sourds ou des entendants et à appartenir à leurs familles.
Evolution d’un projet initié par les adultes tutélaires
12 Il est probable qu’à la même période, Gabriel et Marine se désengagent du projet « éducatif » tel qu’il avait pu être mis en place pour eux par leur entourage, souvent dans l’urgence. Ils avaient d’abord commencé par y participer comme allant de soi. Le rapport de dépendance propre à l’enfance, le désir de ne pas augmenter l’inquiétude de leurs parents, celui de recueillir leur assentiment, tout s’opposait à une mise en cause. Si Gabriel semblait y avoir été comme absent, en apparence passif, Marine s’y était d’emblée investie activement. La participation à ce type de projet éducatif, défini et mis en œuvre par les adultes, peut contribuer à ce que le handicap soit d’abord vécu par les enfants comme « porté » par les parents (les enseignants, les soignants…) et reste pour eux-mêmes abstrait, étrange ou étranger. Par exemple, pour Marine, la surdité était certes en partie connue, mais essentiellement à travers la manière dont le monde extérieur en parlait ou s’en préoccupait. Les adultes mettaient en œuvre une manière d’y faire face, axée en bonne partie sur la réhabilitation fonctionnelle de la déficience et l’adaptation de l’enfant à son environnement, par l’appareillage auditif, l’apprentissage de la langue orale, l’inclusion en école ordinaire. L’entrée en internat spécialisé lui permet de donner une nouvelle forme à son handicap, à travers une scolarité adaptée, une façon de s’exprimer, de penser, des manières d’appréhender certaines situations auparavant inconnues et qui peuvent être maintenant partagées avec d’autres sourds, telles les incertitudes ou inquiétudes générées par les rapports aux entendants, aux apprentissages, etc. Ces expériences apportent de nouveaux repères et donnent du sens à des expériences passées. Pour Gabriel, accueilli parmi les sourds depuis l’âge de six ans, le projet défini pour lui semble prendre sens à partir du moment où il est heureux de rencontrer la fillette entendante et où il est rassuré par l’attitude de l’environnement.
Processus de subjectivation et de différenciation
13 Le processus de subjectivation est un « processus de différenciation bien davantage qu’un processus d’individuation-séparation » [11], remarque R. Cahn. De manière intuitive, à travers ce qui leur plaît et déplaît, à travers les rencontres, Gabriel et Marine commencent à définir leurs propres projets et identifier leurs désirs. Leurs propos et leurs démarches m’ont paru exemplaires pour saisir ce que pourrait vouloir dire « subjectiver “son” handicap » : un mouvement dans lequel « être sourd » – ou aveugle, handicapé moteur, malade, etc. – commence à prendre sens, dans le rapport à soi-même et aux autres ; une transformation à travers laquelle la surdité est assumée comme partie de leur être et de leur histoire et devient un élément constitutif de leur identité. Cette assomption les aiderait à se situer par rapports aux sourds, aux entendants et plus généralement dans la différence des sexes et des générations. Elle humaniserait, rétablirait une filiation et permettrait – au moins en partie – le dépassement des inquiétudes narcissiques. Il en serait de même pour les autres handicaps.
15 À l’adolescence, ce qui importe n’est pas tant le corps handicapé ou réhabilité que le corps désirant et la perspective de faire des rencontres. La subjectivation du handicap semble étroitement liée à l’attitude de l’environnement. Comment la famille accueille-t-elle le désir d’autonomie de l’adolescent et son altérité ? Lui laisse-t-elle la possibilité de rencontrer de nouveaux objets d’amour et également des pairs ? Plusieurs destins sont possibles. Dans les situations favorables évoquées, on pourrait dire que le handicap « se névrotise ». Non sans confusion ou conflit, au fur et à mesure des rencontres et des événements, Gabriel et Marine se reconnaissent fils ou fille de leurs parents, en train de devenir un homme ou une femme, qui se trouve aussi être sourd (e). Dans d’autres destins, non développés ici, le handicap reste très dévalorisant, fige la famille dans des attentes normatives et inhibe les possibilités de rencontres. Le corps – pensé presque exclusivement dans la concrétude de la réhabilitation et de la réparation – reste au premier plan, avec le risque paradoxal de transformer la déficience physique en « handicap narcissique ».
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Mots-clés éditeurs : Handicap, Rencontres, Environnement, Subjectivation, Puberté, Pairs
Date de mise en ligne : 07/11/2016
https://doi.org/10.3917/ado.097.0499Notes
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[*]
Communication au colloque « Corps blessé, corps malade, corps menacé à l’adolescence » organisé par la revue Adolescence, la Société Française pour la Santé de l’Adolescent, Médecine et Psychanalyse, les 9 et 10 octobre 2015 à Paris.
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[1]
Le sociologue réfléchit aux handicaps et plus généralement aux stigmates en termes d’interactions entre stigmatisés et « normaux ». Du point de vue des « normaux », le stigmate est « une différence fâcheuse d’avec ce à quoi nous nous attendions », qui tend à exclure la personne qui en est porteuse du « cercle des rapports sociaux ordinaires ». Les normaux sont « ceux qui ne divergent pas négativement de ces attentes particulières » et qui élaborent une « idéologie du stigmate », visant à justifier la place laissée aux personnes stigmatisées [Goffman E. (1963). Stigmate. Les usages sociaux du handicap. Paris : Les Éditions de Minuit, 1975, p. 15].
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[2]
Winnicott, 1971, p. 46.
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[3]
L’étude de cas de Gabriel avait été longuement développée dans notre article « Déficits sensoriels, identité et filiation » (Bernard, 2001).
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[4]
Freud, 1914, p. 103.
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[5]
Cahn, 1998, p. 51.
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[6]
Ibid., p. 52.
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[7]
Rey, 1990, p. 68.
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[8]
Kaës, 1998, p. 13.
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[9]
Mottez, 1987, p. 43.
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[10]
Ibid.
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[11]
Cahn, 1998, p. 52.