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Article de revue

Crimes de haine

Première partie : La haine, l’État et le religieux

Pages 613 à 640

Notes

  • [1]
    La personnification du journal est rendue aisée par la seule conservation du premier terme de son intitulé, mais ce sont effectivement des journalistes, des employés et un policier qui ont été tués.
  • [2]
    Panh R. avec Bataille C. (2012). L’élimination. Paris : Grasset, p. 12.
  • [3]
    Par exemple : Comment parler de Charlie Hebdo aux élèves ? Rencontre avec un prof de banlieue, [blogs.mediapart.fr/blog/cyril-berard/100115/comment-parler-de-charlie-hebdo-aux-eleves-rencontre-avec-un-prof-de-banlieue (10/01/2015)] ; ou article Prof d’histoire en banlieue : « pour certains élèves, la liberté d’expression est un accessoire de bourgeois » [www.atlantico.fr/decryptage/prof-histoire-en-banlieue-pour-certains-eleves-liberte-expression-est-accessoire-bourgeois-1948918.html/ (11/01/2015)].
  • [4]
    Par exemple : Charlie Hebdo : au moins 200 incidents signalés à l’école [www.lefigaro.fr/actualite-france/2015/01/14/01016-20150114ARTFIG00461-charlie-hebdo-au-moins-200-incidents-signales-a-l-ecole (14/01/2015)].
  • [5]
    Un seul document d’étude significatif, déjà ancien, sur le fait religieux à l’école est à notre connaissance publiquement disponible : Obin J.-P. Éds. (2004). Les signes et manifestations d’appartenance religieuse dans les établissements scolaires. Rapport au ministre de l’Éducation nationale.
  • [6]
    Il sera dans cette première partie tenu compte exclusivement de la radicalisation religieuse bien que nombre d’énoncés s’appliquent aussi à d’autres formes de radicalisation violente.
  • [7]
    Voir par exemple Sageman M. (2004). Understanding terror networks. Philadeplphia, Pennylvania : University of Pennsylvania Press. Atran S. (2006). The moral logic and growth of suicide terrorism. The Washington Quarterly, 29 : 127-147.
  • [8]
    Castoriadis C. (1999). Figures du pensable, T. 6. Les carrefours du labyrinthe. Paris : Seuil, p. 192.
  • [9]
    Freud S. (1921). Psychologie des foules et analyse du moi. In : Essais de psychanalyse. Paris : Payot, 2001, pp. 129-242 (p. 163).
  • [10]
    Ibid.
  • [11]
    Mc Andrew M., Garnett B., Ledent J., Ungerleider Ch., Adumati-Trache M. et Ait-Said R. (2008). La réussite scolaire des élèves issus de l’immigration : une question de classe sociale, de langue ou de culture ? Éducation et francophonie, 36 : 177-196.
    Caille J.-P., Lemaire S. (2009). Les bacheliers de « première génération » : des trajectoires scolaires et des parcours dans l’enseignement supérieur « bridés » par de moindres ambitions ? France, portrait social. Insee, pp. 171 -193.
  • [12]
    Brinbaum Y. et Primon J.-L. (2013). Transition professionnelle et emploi des descendants d’immigrés en France. Revue européenne des sciences sociales, 51 : 33-63.
  • [13]
    Caille J.-P. (2007). Perception du système éducatif et projets d’avenir des enfants d’immigrés. Éducation & formations, 74 : 117-142.
  • [14]
    Il est question ici surtout des actions spontanées.
  • [15]
    Le terme de donneur de soins ou caregiver, est peu évocateur des relations ordinaires d’une mére à son bébé qui incluent, outre le care, des dimensions affectives et sensuelles en général différentes de celles d’une nourrice et d’un père.
  • [16]
    Leveau R., Mohsen-Finan K., Withtol de Wenden C. Éds. (2001). L’Islam en France et en Allemagne. Identités et citoyennetés. Paris : La Documentation française.
  • [17]
    Freud S. (1927). L’avenir d’une illusion. Paris : PUF, 1971, p. 43.
  • [18]
    Dans le cas de l’assassinat des journalistes, la mort du policier abattu à bout portant a été mise en cause comme un montage audiovisuel, par exemple.
  • [19]
    L’enseignement scolaire de rudiments d’épistémologie se justifierait ainsi.
  • [20]
    Par exemple la théorie darwinienne de l’évolution ne serait pas plus vraie que les assertions retrouvées dans la Bible ou le Coran pour décrire l’apparition des espèces.
  • [21]
    Sartre J.-P. (1943). La mauvaise foi. In : L’être et le néant. Essai d’ontologie phénoménologique. Paris : Gallimard, pp. 81-106.
  • [22]
    Hofstadter R. (1964). The Paranoid Style in American Politics. New-York : Vintage, 2012.
  • [23]
    Elle est assurée à la descendance par identification, assimilation et introjection.
  • [24]
    Klein M. (1952). Quelques conclusions théoriques au sujet de la vie émotionnelle des bébés. In : M. Klein, P. Heimann, S. Isaacs, J. Rivière, Développements de la psychanalyse. Paris : PUF, 1976, pp. 187-222.
  • [25]
    Baranger W. (1999). Position et objet dans l’œuvre de Mélanie Klein. Toulouse : Érès.
  • [26]
    D’en être détaché un court moment n’est pas suffisant pour rompre les liens imaginaires établis.
  • [27]
    La rencontre physique avec les auteurs du discours sectaire peut être retardée.
  • [28]
    Ce thème sera développé dans la seconde partie du texte.
  • [29]
    Legrand du Saulle H. (1871). Le Délire des persécutions. Paris : Plon.
  • [30]
    Bion W. R. (1965). Recherches sur les petits groupes. Paris : PUF, 2002.
  • [31]
    Bossuet J. B. (1689).Troisième avertissement : Le salut dans l’Église romaine, selon ce ministre – Le fanatisme établi dans la réforme par les ministres Claude et Jurieu selon la doctrine des Quakers – Tout le parti protestant exclu du titre d’Église par M. Jurieu. § Avertissements aux protestants. Sur les lettres du ministre Jurieu. In : Œuvres complètes, T. 3, Bar-Le-Duc : Louis Guérin, 1870, pp. 541-564.
  • [32]
    Voltaire (1762). Traité sur la tolérance. Paris : Flammarion, 1989, p. 61.
  • [33]
    On en trouve la trace légale en 313 dans L’Édit de Milan de Constantin et de Licinius.
  • [34]
    Castellion S. (vers 1550). De l’art de douter et de croire, d’ignorer et de savoir. Genève : Jeheber, 1953.
  • [35]
    Locke J. (1667). Lettre sur la tolérance et autres textes. Paris : Flammarion, 2007.
  • [36]
    Ibid., p. 161.
  • [37]
    Ibid, p. 166.
  • [38]
    Ibid, p. 167.
  • [39]
    Voltaire. (1762). Traité sur la tolérance. Paris : Flammarion, 1989, p. 81.
  • [40]
    Ibid., p. 57.
  • [41]
    Diderot D. (1774). Entretien d’un philosophe avec Madame la Maréchale de ***. Paris : Flammarion, 2009, p. 43.
  • [42]
    Ibid.
  • [43]
    Kant E. (1783-1798). Vers la paix perpétuelle. Que signifie s’orienter dans la pensée ? Qu’est-ce que les Lumières ? et autres textes. Paris : Flammarion, 2006.
  • [44]
    Ibid., p. 44.
  • [45]
    Ibid., p. 69.
  • [46]
    Ibid.
  • [47]
    Ibid.
  • [48]
    Full Interview with Charlie Hebdo’s Editor-in-Chief. Meet the Press, 18 Janvier 2015 (www.nbcnews.com/meet-the-press/exclusive-full-interview-charlie-hebdos-editor-chief-n288521).
  • [49]
    Shaftesbury (1699). An Inquiry concerning Virtue, or Merit. Essai sur le mérite et la vertu. Paris : Desray & Deterville, 1798.
  • [50]
    Trivers R. L. (1971). The evolution of reciprocal altruism. The Quarterly Review of Biology, 46 : 35-57.
    Tankersle D., Stowe C. J. & Huettel S. A. (2007). Altruism is associated with an increased neural response to agency. Nature neuroscience, 10 : 150-152.
  • [51]
    Dès huit mois, des expériences en laboratoire suggèrent que les nourrissons favorisent les producteurs d’actes prosociaux. Un nourrisson est tôt spontanément sensible à l’iniquité comme aux émotions d’autrui, suffisamment pour lui apporter spontanément de l’aide. De plus, les comportements « justes », évalués en situation non écologique, dépendent plus – toutes choses égales – de la capacité de s’identifier au point de vue de l’autre (empathie rationnelle ou prise de perspective) qu’aux sentiments d’empathie émotionnelle spontanés.
  • [52]
    Cf. Jaffro L. (2009). Ambiguïtés et difficultés du sens moral. In : S. Laugier & C. Chappe-Gautier (Éds.), Normativités du sens commun. Paris : PUF, pp. 303-318.
  • [53]
    Cf. Larthomas J. P. (1986). Humour et enthousiasme chez Lord Shaftesbury (1671-1713). In : The Age of Enlightenment. Archives de philosophie, 49 : 355-373.
  • [54]
    Leibniz G. W. (1703). Nouveaux essais sur l’entendement humain. Paris : Garnier-Flammarion, 1966, p. 448.
  • [55]
    Cf. Aldridge A. O. (1945). Shaftesbury and the Test of Truth. Publications of the Modern Language Association, 60 : 129-156.
  • [56]
    Rousseau J.-J. (1755). Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes. Paris : L’Harmattan, 2009.
  • [57]
    Freud S. (1930). Le malaise dans la culture. In : OCF. P, T. XVIII. Paris : PUF, 1994, pp. 245-333 (p. 306).
  • [58]
    Canetti E. (1966). Masse et puissance. Paris : Gallimard.
  • [59]
    Sédat J. (1997). La haine de l’objet. Une pulsion a-pulsionnelle. Cliniques méditerranéennes, 53/54 : 135-140.
  • [60]
    Panh R. avec Bataille C. (2012). L’élimination. Op. cit., p. 152.
  • [61]
    Lazreg M. (2008). Torture and the Twilight of Empire : From Algiers to Baghdad. Princeton, N. J./Oxford : Princeton University Press.
    MacCulloch M. J., Snowden P. R., Wood P. J. & Mill H. E. (1983). Sadistic fantasy, sadistic behaviour and offending. The British Journal of Psychiatry, 143 : 20-29.
  • [62]
    Freud S. (1923). Le Moi et le Ça. In : OCF. P, T. XVI. Paris : PUF, 2010, pp. 255-301 (p. 278).
  • [63]
    Freud S. (1921). Psychologie des foules et analyse du moi. In : OCF. P, T. XVI. Paris : PUF, 1991, pp. 5-83 (p. 5).
  • [64]
    Nietzsche F. (1887). Généalogie de la morale. Paris : Garnier-Flammarion, 2002, p. 97.
  • [65]
    Schwan G. (2001). Politics and Guilt. The Destructive Power of Silence. Lincoln, NE : University of Nebraska Press.
  • [66]
    Qui évoque, sans se confondre, la notion « d’hypothèse de base » développée par W. R. Bion.
  • [67]
    Browning Ch.-R. (2007). Des hommes ordinaires. Le 101e bataillon de réserve de la police allemande et la Solution finale en Pologne. Paris : Tallandier.
    Casoni D. & Brunet L. (2007). The Psychodynamics that Lead to Violence. Part 2. The Case of « Ordinary » People Involved. In : Mass Violence. Canadian Journal of Psychoanalysis, 15 : 261-280.
  • [68]
    Aulagnier P. (1975). La violence de l’interprétation. Du pictogramme à l’énoncé. Paris : PUF, p. 189.
  • [69]
    Legendre P. (1989). Le crime du Caporal Lortie. Traité sur le Père. Paris : Fayard.
  • [70]
    Winnicott D. W. (1963). Morale et éducation. In : Processus de maturation chez l’enfant. Développement affectif et environnement. Paris : Payot, 1989, pp. 55-72 (p. 55).
  • [71]
    Ibid., p. 56.
  • [72]
    Même s’il fait appel à la symbolique paternelle et distingue un maternel qui est du côté de l’être et un paternel du côté du faire.
  • [73]
    Il n’existe plus dans le droit francais, sauf en Alsace.
  • [74]
    Fromm E. (1930). L’État éducateur. In : F. Marty (Éds.), Le jeune délinquant. Paris : Payot, 2002, pp. 271-293.
  • [75]
    Toutes les citations de Pascal sont issues de l’édition numérique www.penséesdepascal.fr
  • [76]
    Pascal, Misère, fragment 9.
  • [77]
    Pascal, Raisons des effets, fragment 20.
  • [78]
    Michon H. (1996). L’ordre du cœur. Philosophie, théologie et mystique dans les « Pensées » de Pascal. Paris : Champion, 2007.
  • [79]
    Pascal, Raisons des effets, fragment 20.
  • [80]
    Durkheim É. (1911). Jugements de valeur et jugements de réalité. Revue de Métaphysique et de Morale, 19 : 437-453.
  • [81]
    Durkheim É. (1900-1905). L’État. In : Textes. T. 3 : Fonctions sociales et institutions. Paris : Les Éditions de Minuit, 1975, pp. 172-178 (p. 173).
  • [82]
    Durkheim É. (1900-1905). L’État. In : Textes. T. 3 : Fonctions sociales et institutions. Op. cit., p. 174.
  • [83]
    Ehrenberg A. (2011). La société du malaise. Une présentation pour un dialogue entre clinique et sociologie. Adolescence, 29 : 553-570.
  • [84]
    Martikainen T. & Gauthier F. Ed. (2013). Religion in the Neoliberal Age. Political Economy and Modes of Governance. Surrey, England : Ashgate Publishing Limited, & Burlington, USA : Ashgate Publishing Compagny.

1 En janvier 2015, les journalistes réunis pour le comité de rédaction de l’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo ont été assassinés. Les auteurs des meurtres ont revendiqué avoir « tué Charlie » au nom de la grandeur du Dieu qu’ils prétendent servir. Personnifier les institutions [1] ou les principes et nier l’humanité des personnes assassinées – le « bout de bois » auquel est assimilée toute victime de l’Angkar  [2] –, quand il ne s’agit pas plus simplement encore du déni du crime lui-même, sont des mécanismes récurrents des discours de haine. Ce type d’inversion est aussi associé aux meurtres de masse. Ce crime engendra une réaction massive, de solidarité, de deuil et de colère, nationale et internationale. Toutefois, en France, de nombreux témoignages ont fait état d’adolescents manifestant leur incompréhension [3], leur gêne, voire une franche hostilité [4] à soutenir les victimes. Ceci a été plus particulièrement remarqué en milieu scolaire parmi les enfants habitant les banlieues populaires. Ceux qui s’exprimaient tendaient à faire équivaloir leur indignation devant ce qu’ils considéraient comme un blasphème dans l’islam ou une marque de mépris envers les musulmans, auxquels ils s’identifiaient ou dont ils se réclamaient, et l’indignation collectivement témoignée devant le crime. À notre connaissance, ces faits signalés par des articles de presse n’ont à ce jour fait l’objet d’aucune étude académique, ni d’un rapport officiel [5]. Nous n’avons pas l’illusion qu’une explication psychologique puisse suffire à rendre raison de ces crimes, ni de leurs soutiens. D’ailleurs d’aucune explication exclusive, fût-elle sociologique, anthropologique, culturelle ou géopolitique. Ces crimes sont commis à la confluence d’influences diverses, directes et indirectes, nationales et internationales, dont certains acteurs sont des organisations politiques et religieuses et des États constitués. Ils sont un signe de l’Histoire en marche et, à travers la mondialisation, reflètent l’extension au cœur de l’Europe de conflits éloignés. Ils interrogent les mécanismes d’affiliation, la cohérence sociétale et la notion de justice et de morale. La psychologie, la psychanalyse ou la psychiatrie peuvent-elles apporter un outil à leur compréhension ? Tous les assassins étaient des enfants très gravement carencés, aux parents violents, disparus ou malades, des adolescents délinquants et violents avant de devenir des criminels. Leur parcours est plus démonstratif qu’il n’est exemplaire des engagements des adolescents vers la radicalisation et le fanatisme.

De quelques facteurs de risque sociaux de la radicalisation [6] violente

2 Ces assassinats surviennent dans la suite d’autres meurtres commis en Europe au nom du religieux, en l’occurrence au nom d’une interprétation de l’islam [7]. Tous étaient proches dans leurs mécanismes, dans leurs cibles, comme dans leurs revendications, mais avaient entraîné une moindre réaction sociale. Le retentissement de l’assassinat des journalistes fut exceptionnel par sa portée symbolique mais aussi, en France, par le sentiment de familiarité entretenu avec les victimes par une partie de la population. Nonobstant, ils font aussi écho à des conflits internationaux meurtriers où s’engagent des jeunes européens par centaines et mettent en tension les liens établis en Europe entre l’Église et l’État, la religion et la liberté individuelle. Les enjeux de cette vague de crimes peuvent être analysés selon plusieurs perspectives. Une d’entre elles concerne les relations sociales en lien avec des différences culturelles dans leur dimension psychologique. Dans cette hypothèse, le crime n’est pas expliqué en lui-même, mais un éclairage est apporté par l’ensemble des conditions qui ont pu le favoriser, à la fois enchevêtrées et interagissantes. « […] [La] quasi-nécessité pour l’institution de la société de se clore, de renforcer la position de ses propres lois, valeurs, règles, significations, comme uniques dans leur excellence et les seules vraies, par l’affirmation que les lois, les croyances, les dieux, les normes, les coutumes des autres sont inférieurs, faux, mauvais […] et cela à son tour est en parfaite harmonie avec les besoins de l’organisation identificatoire de la psyché de l’individu » [8]. L’intolérance se renforce quand les cultures sont voisines, cette proximité pouvant être appréhendée en des termes différents. Le rapport de proximité ne peut plus aujourd’hui se résumer en des termes territoriaux, du fait de la mondialisation accélérée et du développement des proximités virtuelles. Surtout si elles sont réunies, certaines conditions favorisent le sentiment d’extranéité, malgré le partage effectif, réel et quotidien des institutions et des droits en France et en Europe : la ségrégation urbaine, l’inégalité d’accès mais aussi d’utilisation des ressources, une moindre visibilité sociale valorisante au travail ou dans les médias, un faible bagage culturel initial des parents, la déculturation des enfants quand elle s’associe à des processus d’acculturation défaillants et l’influence de médias couramment utilisés et dirigés par des états étrangers. Cet écart dans la proximité peut être facteur d’aversions et de répulsions réciproques. Selon Freud, à travers les sentiments hostiles, « […] à l’égard des étrangers qui nous touchent de près, nous pouvons reconnaître l’expression d’un amour de soi » [9]. Le narcissisme, qui aspire à s’affirmer, « […] se comporte comme si l’existence d’un écart par rapport aux formations individuelles qu’il a développées entraînait une critique de ces dernières et une mise en demeure de les remanier » [10]. Les tensions culturelles les plus communes en Europe portent non sur des grands principes mais sur des usages associés à la sociabilité courante, tels l’alimentation ou le port du voile, ou bien sur des procédés qui s’opposent frontalement aux normes communes en matière de conventions sociales, tels le masquage de l’identité dans l’espace public. Ces différences restent objets de transactions sociales ordinaires mutuellement enrichissantes tant qu’elles portent sur des pratiques. Lorsqu’elles sont utilisées pour stigmatiser des individus ou opposer des communautés, elles sont susceptibles d’être le vecteur de la haine.

3 Pour beaucoup d’enfants issus de parents immigrés ou arrivés tôt en France, le processus d’acculturation exige un travail psychique considérable, à l’instar de toutes les immigrations, d’autant plus que l’écart culturel initial est grand et la maîtrise de la langue tardive. La réussite académique est hétérogène, elle dépend de conditions économiques mais non exclusivement [11]. Elle est en France globalement moindre pour les descendants masculins des immigrations nord-africaines et subsahariennes que pour la population d’origine européenne, avec une assez grande dispersion des résultats. Les filles issues de ces mêmes immigrations connaissent un fort taux de réussite comme les enfants issus d’autres immigrations, notamment d’origine asiatique [12]. Ces résultats, singulièrement la différence selon le genre, montrent que des facteurs spécifiques, tels que le rapport individuel à la culture du pays d’accueil, jouent probablement un rôle indépendant dans la réussite académique. L’échec scolaire peut accroître le sentiment de discrimination d’autant qu’il affecte des zones d’exception où les conditions favorisant l’anomie sont rassemblées : elles sont un lieu majeur d’ancrage puis d’expansion des discours clivants et des affirmations identitaires agressives. Le sentiment d’être discriminé commence globalement au collège, bien qu’il puisse être perçu dès l’école élémentaire [13], dû plus à l’échec scolaire qu’à la stigmatisation ethnique. Comme remarqué depuis des décennies, indépendamment d’être ou non immigré, ou enfant d’immigré, le sentiment d’être exclu à l’école du fait de l’échec aux normes requises, produit en retour des sentiments de rejet des valeurs culturelles dominantes et à l’extrême favorise les conduites délinquantes. Les attaques, incendies ou destructions d’écoles maternelles, élémentaires ou de collèges, sont ainsi remarquées depuis de nombreuses années, indépendantes de toute revendication spécifique. La particularité nouvelle consiste en ce que des jeunes, souvent soutenus par leurs parents, tendent à opposer de plus en plus à l’école laïque une nouvelle identité d’essence religieuse. Lorsque cela est le cas, le sujet ne se sent plus responsable de sa déception, n’impute pas non plus son échec à sa situation sociale ou économique, mais à un ensemble de valeurs culturelles dont les représentants sont attaqués d’abord verbalement, puis dans les actes : l’État et ses représentants, les médias d’information, les lieux de culture, les autres religions ou les autres interprétations de la même religion. La mise en cause de l’ordre symbolique à travers l’attaque [14] de l’État ou même de ses représentants éloignés, surtout s’ils portent un uniforme, tels les chauffeurs de bus, les postiers ou les pompiers, est souvent le fait d’enfants déçus, frustrés, remplis d’une rage d’être dédommagés, encore pleins d’espoir selon D. W. Winnicott. Ce clinicien décrit ainsi les effets de la tendance antisociale qui naît, selon lui, de la réponse à la privation d’une relation primaire correctement établie. Un enfant a reçu les premiers soins d’une mère [15] suffisamment bonne, puis celle-ci brutalement l’en a frustré : il réclamera alors sans cesse un dédommagement à l’environnement rendu de plus en plus indifféremment redevable de cette frustration, le cercle des débiteurs s’étendant progressivement de la mère à la famille étendue puis aux représentants de l’ordre social. Le sentiment de frustration tend à s’organiser collectivement dans certains territoires urbains que, par facilité, l’on nomme les banlieues populaires. La perte d’espoir de modifications de la société d’accueil qui permettrait d’y accéder avec succès, ainsi que le sentiment de défiance ou d’exclusion, favorise un repli identitaire. Quand il existe, celui-ci prend bien plus idéalement appui sur une certaine vision du religieux, souvent simpliste et parfois manichéenne, que sur le regret de la nation des parents avec laquelle leurs enfants ont perdu beaucoup de liens. La tentation de souscrire à l’illusion d’appartenir à une communauté idéalisée est alors grande, qui offre de fondre dans l’imaginaire l’aspiration à des origines magnifiées, nation et culture. Cette idéalisation n’est pas exclusive de conditions socio-économiques défavorables, mais plutôt d’un sentiment de frustration individuelle. La religion redécouverte peut devenir le principe identitaire permettant de se constituer en tant que collectif [16]. Elle permet une réparation narcissique face aux dommages de l’adversité. Les idées qui provoquent l’adhésion au religieux « […] ne sont pas le résidu de l’expérience ou le résultat final de la réflexion : elles sont des illusions, la réalisation des désirs les plus anciens, les plus forts, les plus pressants de l’humanité ; le secret de leur force est la force de ces désirs » [17]. L’affirmation du primat du religieux modifie chez les adolescents la relation à l’institution scolaire, particulièrement lorsqu’ils sont en échec, que celui-ci concerne la performance ou la socialisation : l’enseignement, d’abord respecté, peut devenir objet de méfiance, voire être dévalorisé dans son essence. À ce collectif imaginaire peuvent adhérer des jeunes de toute culture qui, indépendamment de toute origine, y trouvent aussi une résolution à leurs conflits identitaires. Le groupe identitaire constitué devient un support du narcissisme : groupe de proximité du quartier ou militant, de face-à-face et de rencontre des corps, groupes virtuels qui à travers les médias tissent des chaînes nationales et internationales d’un discours aux déclinaisons multiples faisant se côtoyer idéaux du bien, héroïsme, plaisirs juvéniles voire infantiles et propagande haineuse. Inversant le fonctionnement fictionnel de l’art et des jeux, où le crime est simulé pour ne pas être commis, la propagande déclinée par Internet permet de faire accroire comme réel ce qui est imaginaire, ou bien, au contraire, parer et présenter comme fictions ou jeux des crimes réels. Les représentations offertes sur le bord (les franges) du réel favorisent les mécanismes de déni et de clivage.

Style paranoïaque et position paranoïaque

4 Des savoirs communs, notamment ceux enseignés à l’école publique, accumulés dans la littérature et plus encore ceux diffusés par les médias, sont régulièrement mis en doute tant par les « théories du complot » [18] que par une idéologie religieuse fondamentaliste pour qui les énoncés scientifiques [19] sont équivalents à de simples opinions [20] et la culture occidentale sujette par principe à suspicion. Par « théories du complot », nous nommons l’éventail des récits entretenus par des rumeurs, nés spontanément et/ou créés à l’instigation d’organisations politiques ou religieuses ou de leurs membres, imputant des faits imaginaires ou réels à l’action secrète d’un groupe ethnique, religieux ou politique. Les « théories du complot » ont pour fondement qu’une part du monde que nous sommes amenés à connaître, plus ou moins étendue, n’est qu’une apparence, résultant de la manipulation d’informations par un groupe accusé d’être à l’origine du (ou des) complot(s). Ces théories peuvent s’étendre à partir d’une interprétation passionnée d’un fait réel particulier, ou bien se développer sous la forme d’une folie raisonnante et interprétative, avec un vécu dominant de persécution et dans tous les cas avec une conviction inébranlable que n’entame ni la logique, ni l’expérience vécue. Dans quelle mesure et avec quelle stabilité le sujet non psychotique y adhère reste assez difficile à cerner, probablement avec une grande variabilité. Parfois, le mécanisme aboutissant à la conscience clivée trouve des formulations commodes dans un registre qui n’appartient pas tout à fait à la psychopathologie : mauvaise foi [21], voire faux-self. Parfois encore peuvent être évoqués la perversion et le clivage. Toutefois, la facilité avec laquelle nombre de sujets peuvent adhérer suggère le renfort de mécanismes qu’une vision solipsiste de la psyché n’autorise pas : les phénomènes groupaux. Le style paranoïaque en politique a été mis en exergue dès les années 60 aux États-Unis [22], mais il n’en est aucunement spécifique, affectant potentiellement toute époque, tout pays et toute structure sociale. Souvent il prend à ses débuts la forme d’un discours affectant l’objectivité ou mimant la science, volontiers ratiocinant. En complément de cette forme de mise en cause du consensus sur un réel partagé qu’elles intègrent parfois, les idéologies fondamentalistes tendent à traiter la science comme une opinion. Le dégagement d’une interprétation infantile, projective et imaginaire des phénomènes naturels et encore plus sociaux par l’expression d’hypothèses, l’expérimentation et l’analyse logique, qui a marqué les progrès de la raison, est rabattu vers une simple option interprétative. Dès lors n’importe quelle opinion vaut la science, voire plus que la science si elle est appuyée par l’autorité du religieux. Le témoignage des sens est aussi inférieur s’il contredit la théorie ou l’idéologie. Dans le processus de radicalisation religieuse (ou d’engagement sectaire), l’incertitude croît progressivement sur les règles communes d’interprétation du monde, pour être finalement et souvent assez brutalement interrompue et substituée, parfois seulement en quelques semaines ou quelques mois, par un discours sans faille ni place pour le doute. Ce basculement du discours répond à un aménagement de style paranoïaque de la personnalité. Celle-ci se structure autour d’une position psychique d’emprunt, dont la stabilité est assurée par la groupalité [23]. Le terme « position » est proposé dans un sens assez proche de celui qu’employait M. Klein quand elle faisait état de position schizo-paranoïde, pour parler des angoisses typiques du premier développement de l’enfant et des défenses pour y faire face. Dans certaines circonstances, le sujet peut se trouver ultérieurement de nouveau confronté à ce type d’angoisses ou recourir à ce type de défenses [24]. Dans le même sens, W. Baranger souligne comment les positions schizo-paranoïde puis dépressive représentent des « pôles idéaux qui permettent d’organiser les expériences et d’orienter les interprétations, même si, la plupart du temps, ils se présentent cliniquement sous une forme combinée » [25].

5 La position psychique d’emprunt évoquée ici prend place chez un sujet généralement indemne de trouble mental. Elle n’est pas une régression à laquelle le sujet est astreint pour lutter contre l’angoisse qui le déborde mais une forme de relation au monde dans laquelle il s’est engagé pour les bénéfices psychiques qu’elle lui apporte. Elle n’est que partielle, laissant persister d’autres modes de rapport au monde ou de structuration de la pensée. Il la conserve tant que les bénéfices psychiques perdurent, à la fois contre le réel et indifférent à autrui, mais il peut aussi s’en départir provisoirement, par utilitarisme. Elle est rendue pérenne par un entourage du sujet lui offrant en miroir sa position [26]. La progression se fait par seuils franchis graduellement, rendant chaque fois plus difficile le retour aux dispositions initiales. Elle le conduit à mettre en doute ses croyances habituelles bien au-delà du religieux (ou de la croyance sectaire) ; ses productions, si elles n’étaient pas partagées pourraient paraître aisément délirantes. Cette progression porte la marque universelle des processus sectaires : si elle est bien le fait d’un sujet, elle est promue par des éléments extérieurs, directement ou par médias interposés [27]. Les engagements progressifs vers la nouvelle croyance sont associés à des gratifications narcissiques, la création d’une dette morale assortie de menaces imaginaires ou réelles et la mise à l’écart graduelle de l’organisation familiale et sociale de base, si elle ne partage pas les mêmes théories. Cette évolution s’accompagne d’une narration répétitive et close sur le monde, assortie de pratiques spécifiques conduisant à un isolement croissant dont l’effet dépressogène est neutralisé par l’intensité des liens réels ou imaginaires avec le groupe et l’inflation narcissique qui l’accompagne. Cette narration rend tolérable, voire souhaitable, au sujet l’aliénation vers laquelle il s’engage. Par le raisonnement, qui prend une place centrale comme dans la paranoïa, il peut nier ou détourner ce que l’expérience des sens lui apporte. Il peut s’affranchir de tout sentiment de culpabilité s’il est amené à connaître des actions haineuses ou destructrices en relation à ses choix. Il est aidé en cela par le clivage du monde en bons et mauvais objets que soutient le discours [28]. Plus encore, il sera protégé de l’angoisse devant ses propres motions pulsionnelles destructrices et aussi de la crainte du talion, le droit étant ouvert vers la destruction de l’objet persécuteur ou ses représentants. Le rapport entretenu avec le réel s’altère, évoquant formellement la modalité la plus minimaliste du délire socio-paranoïaque, le délire à deux [29]. Le résultat chez les sujets vulnérables en est le décrochage et la perte des liens sociaux ordinaires, notamment avec les amis et les parents, pour de nouveaux amis et des subrogés tuteurs. Dès lors, sur ce terrain, la rencontre effective ou même virtuelle avec des propagandistes présentant une religion épurée et magnifiée et permettant l’accès rapide des adeptes, notamment par la mort, aux idéaux revendiqués, conduit à l’adhésion des plus fragiles, surtout chez les adolescents et jeunes adultes.

6 Les discours de la haine ont joué un rôle important dans la préparation des meurtres. Costumes, rituels et formes de la revendication ont été construits pour que l’acte s’organise dans une dimension symbolique, principalement pour ceux qui ont formé les meurtriers, et imaginaire, principalement pour ces derniers. Leur conception du monde a trouvé un semblant d’assomption par le crime lui-même, sa préparation et sa mise en scène, de la même façon que le bourreau Sanson mettait fin aux protestations d’innocence du condamné par le billot. Elle a été défendue dans un théâtre de mort comme durant la Terreur : l’acte joue parole et fait un temps effet de vérité quand personne, d’être détruit, n’a plus rien à répondre. La revendication des auteurs de réparer un sacrilège fait écho aux meurtres de masse, ailleurs dans le monde aujourd’hui ou ici même il y a quelques siècles. Comment comprendre qu’elle ait pu à nouveau prendre racine en France ? Les auteurs des meurtres sont des sujets vulnérables à la propagande, à la fois pour des raisons assez générales, dont certaines ont été exposées précédemment, et pour des motifs particuliers que sont, pour la quasi-totalité d’entre eux, les vécus précoces d’abandon, un environnement infantile insécure et profondément violent, non tempéré par la mère, morte, absente, malade ou imprévisible et une adolescence donnant issue à une violence de moins en moins contrôlée, jamais assortie, quand il fut exploré, du sentiment de culpabilité. La haine de l’autre confondu avec les institutions ou représenté par d’autres confessions, est apparue massive avant comme après les crimes. Elle est cultivée à l’image des petits groupes de W. R. Bion [30], sur le terreau d’un environnement sectaire et groupal, avec la particularité d’inclure souvent plusieurs membres d’une même famille, d’individus regroupés en petites fraternités autour d’une hypothèse de base qui est aussi mode d’organisation d’un fantasme groupal. Dans ce monde clivé, la seule alternative psychique, est l’attaque ou la fuite et l’issue le bien ou le mal. On y entre par « le groupe messianique », tel que le décrit W. R. Bion. Entre les temps de groupalité règnent la dissimulation et le clivage. Ces petits groupes, appuyés par des soutiens extérieurs ayant valeur d’État ou d’institution régalienne aux yeux des membres, ont conduit au fanatisme meurtrier religieux qui, à défaut d’autres fanatismes, depuis plusieurs siècles épargnait l’Europe.

Le fanatisme religieux : un épiphénomène ?

7 Avec l’avènement des Lumières se développe l’esprit de tolérance qui annonce l’élimination en Europe du fanatisme religieux, que Bossuet définit comme la « disposition d’esprit de ceux qui se croient inspirés de la divinité » [31] et dont il dénonce, au-delà des conséquences désastreuses, le ridicule langage. Cette disposition d’esprit naît partout dans le monde et à chaque instant, que les individus adhérent en masse ou se croient individuellement élus. L’enjeu des assassinats des journalistes est apparu à beaucoup comme celui de la liberté d’expression opposée au respect obligé du sacré, la tolérance opposée au fanatisme. Mais ils répondaient aussi à d’autres motivations comme le montre le meurtre associé de Juifs, de policiers, de militaires, et l’attaque des lieux de culture.

8 Entre citoyens, le respect des croyances d’autrui était déjà la règle durant l’Empire romain : la tolérance n’est pas une invention moderne. L’adage était que les offenses faites aux dieux se réglaient par les dieux eux-mêmes (Deorum offensa diis curæ) ; de plus, « Un étranger arrivait-il dans une ville, [qu’] il commençait par adorer les Dieux du pays » [32]. La nécessité de légiférer sur la liberté de culte précèdera d’assez peu l’effondrement de l’Empire [33]. Elle répondait tout d’abord à la nécessité de protéger les chrétiens puis, peu après, les païens. L’expansion du monothéisme chrétien a été favorisée par l’empereur Constantin qui, sans persécuter les païens, déclarait à tout propos le mépris de leurs croyances. La religion monothéiste, prosélyte par surcroît, exigeait encore de se définir par rapport à elle, dans une alternative dichotomique, engageant par avance un manichéisme, dont l’exacerbation deviendra quelques siècles plus tard un facteur de crimes commis dans l’allégresse. Après l’effondrement de Rome pendant des siècles, relégations, massacres, conversions forcées et tortures seront pratiquées au nom de diverses religions monothéistes, dont le christianisme et l’islam. Le combat pour la liberté de conscience reprit vigueur mille ans plus tard. Il est pensé avec S. Castellion [34] avant tout comme un humanisme face à la barbarie, non plus des peuples soi-disant non civilisés, mais de la violence religieuse. Il importait pour l’établissement de cette liberté d’assurer l’autonomie de l’éthique par rapport à la religion, de donner au droit toute son autonomie par rapport à l’Église et d’autoriser le doute scientifique tout en favorisant la diffusion des savoirs. Ces trois mouvements sont indissociables dans l’établissement des Lumières, comme leur déconstruction par le radicalisme religieux l’est aussi, permettant de mieux comprendre l’attaque simultanée des minorités religieuses, de l’État et de la culture. J. Locke [35], qui considérait que seule l’expérience est à l’origine d’une connaissance fondée, fut aussi un des promoteurs de la notion d’État de droit et de la séparation de l’Église et de l’État. Il prônait la liberté de conscience, pour ses formes pratiques dans les limites de la paix civile, et de religion. Il croyait assez peu aux effets de la persécution des fanatiques, sauf pour les moins endurcis, et encore « […] en perdant à la même occasion deux ou trois orthodoxes » [36]. Les liens avec la morale individuelle sont présents dans son œuvre, mais implicites, cachés. Il publie en 1686 une lettre anonyme sur la tolérance dans laquelle il écrit : « J’avoue qu’il me paraît fort étrange (et je ne crois pas être le seul de mon avis), qu’un homme qui souhaite avec ardeur le salut de son semblable, le fasse expirer au milieu des tourments, lors même qu’il n’est pas converti. Mais il n’y a personne, je m’assure, qui puisse croire qu’une telle conduite parte d’un fond de charité, d’amour ou de bienveillance » [37]. Il voit en l’État une garantie contre ces débordements haineux : « […] afin qu’aucun ne se trompe soi-même ou n’abuse les autres […] je crois qu’il est d’une nécessité absolue de distinguer ici, avec toute l’exactitude possible, ce qui regarde le gouvernement civil, de ce qui appartient à la religion, et de marquer les justes bornes qui séparent les droits de l’un et ceux de l’autre » [38]. Voltaire s’élève aussi contre la fureur de l’esprit dogmatique à l’origine d’horreurs sans nom : « Je le dis avec horreur, mais avec vérité : c’est nous chrétiens qui avons été persécuteurs, bourreaux, assassins ! » [39]. Comme Shaftesbury, il fait de la mise en évidence du ridicule de l’enthousiasme fanatique « […] une barrière contre toutes les extravagances de tous les sectaires » [40], citant parmi ces fadaises l’excommunication d’Aristote et des sauterelles. Diderot évoque les « terribles ravages » que la religion « […] a causés dans les temps passés, et qu’elle causera dans les temps à venir […] [qui] perpétue la plus violente antipathie entre les nations […] crée et perpétue dans une même contrée des divisions qui sont rarement éteintes sans effusion de sang »  [41]. Il ne disjoint pas les deux grands monothéismes dans cette propension à la barbarie : « Il n’y a pas un musulman qui n’imaginât faire une action agréable à Dieu et au saint Prophète en exterminant tous les chrétiens, qui, de leur côté, ne sont plus guère tolérants » [42].

9 Les philosophes jouèrent un rôle de premier plan pour contrer la prétention à la vérité universelle du religieux. E. Kant [43] comparait la religiosité à un état infantile imposé à l’homme par des tuteurs (il ne parle pas de prêtres) qui dans leur immense bonté ont aimablement pris sur eux d’exercer une haute direction de l’humanité. De fait, si malgré l’anachronisme, nous reprenons les mots de F. Nietzsche, ces tuteurs kantiens s’emploient à décharger l’humanité de l’effort de penser, non tant par aimable bonté, que par esprit de ressentiment et pour exercer leur volonté de puissance : « Après avoir rendu bien sot leur bétail […] ils les ont enfermés, ils leur montrent les dangers qui les menacent si elles essayent de s’aventurer seules au dehors... »  [44]. Selon E. Kant, la lâcheté entrave la pensée et seul le courage de penser par soi-même permet à l’Homme d’atteindre sa liberté. La liberté d’expression, pour s’appliquer nécessite, en dehors du courage, la garantie d’être protégé : elle est assurée par l’État de droit. Dans les États religieux despotiques, les adeptes des religions minoritaires doivent se cacher ou hériter d’un statut civil inférieur, les incroyants peuvent être conduits à simuler leur foi pour survivre. Ces valeurs culturelles s’opposent à celles pour qui l’humanité de l’Homme exige le droit de douter et son intelligence de communiquer ses doutes : le « pouvoir […] qui dérobe aux hommes la liberté de communiquer en public leurs pensées, leur retire aussi la liberté de penser » [45], qui « […] signifie aussi que la (lente et laborieuse) raison ne se soumette à aucune autre loi qu’à celle qu’elle se donne elle-même » [46] avec le risque sinon de produire balivernes et superstitions. Même ainsi elle reste menacée par « […] des citoyens [qui] s’érigent en tuteurs des autres dans les choses de la religion et, au lieu d’user d’arguments, s’emploient à proscrire, au moyen de formules de foi dictées et assorties de la crainte angoissée du danger d’un examen propre, tout examen de la raison » [47]. La France a trouvé depuis Napoléon, encore renforcé par la loi de 1905, ce compromis de permettre – toutes choses égales – toute forme de religion dans l’espace privé et l’expression discrète de ses signes dans l’espace public. Si reconnaître la liberté de religion est un progrès dans la tolérance, la reconnaître sans reconnaître la liberté de conscience, délégitime toutefois l’agnosticisme, l’athéisme et l’indifférence, et retire une certaine légitimité citoyenne à ceux qui soutiennent une de ces positions. Aux États-Unis, l’absence de prise en compte de ce distinguo a conduit la chaîne NBC [48] à une faute de traduction corrigée ensuite, assurant que les journalistes assassinés défendaient « la liberté de religion » au lieu de « liberté de conscience ».

Psychologie collective, libido et pulsion de mort

10 La prétention est commune aux religions à déterminer ce qui est sacré pour tout homme, ainsi que bon ou mauvais, bien et mal. L’universalité du sacré, présentée comme une exigence morale, unit aujourd’hui la plupart des religions contre le monde laïc, mais les divise entre elles car, comme le relève Spinoza, ce qui est ici sacré est parfois ailleurs sacrilège. La réflexion sur le sens moral s’est, longtemps avec prudence et parcimonie, émancipée progressivement de ses références religieuses. Le sens moral a été attaché, depuis l’Antiquité, diversement selon les courants philosophiques, plus à la raison qu’aux passions, ou inversement. Le « bien » est de définition souvent plus utilitaire, subjective ou fonctionnelle qu’idéal ou dogmatique. Au début du XVIIIe siècle, un précurseur tel Shaftesbury attribue à l’homme une instance naturelle capable de discerner les propriétés morales des comportements. Pour Shaftesbury [49], le sens moral est le sens de l’altruisme. Ces propos sont au centre de certaines conceptions actuelles en biologie et neurosciences [50], notamment celles impliquant l’empathie et les comportements prosociaux [51]. Selon Shaftesbury, l’opposition entre la Nature et la convention morale n’est pas une opposition entre l’inné et l’acquis : le sens moral se développe en relation avec l’expérience, l’innéité ne peut être évoquée, mais plutôt la connaturalité [52]. Shaftesbury développa ses idées en prenant très activement part au débat sur le fanatisme religieux, publiant en 1708 la « Lettre sur l’enthousiasme » [53]. Elle eut un très grand retentissement et fut commentée par G. W. Leibniz. Enthousiasme – ou avoir Dieu en soi – désigne alors le fanatisme de « […] ceux qui croient sans fondement que leurs mouvements viennent de Dieu » [54]. Shaftesbury soutient l’utilité sociale du ridicule. L’argument fut entendu, notamment par Berkeley, comme un test de vérité : ce qui n’y résiste pas doit être tenu pour faux [55]. Plus tardivement, J.-J. Rousseau [56] postulera l’existence d’un sens moral inné qu’il rattachera à une nécessité supérieure à l’intérêt social : l’intérêt de l’espèce. La tendance de cette orientation est d’expliquer le mal, c’est-à-dire souvent le crime, par un défaut de sens moral, et non comme le suggère la psychanalyse par des formations positives poussant directement à l’agression, la haine et à la destructivité.

11 Dans l’œuvre de Freud, l’étude de la civilisation prend une place à part, car moins appuyée sur une réflexion clinique et usant inégalement des concepts opérants dans le champ général de la théorie psychanalytique. L’auteur soulignait que la part d’agression qui caractérise l’homme ordinaire, bien que se révélant sans cesse à travers l’Histoire, reste encore négligée dans le domaine de la psychologie. Il s’étonne que « […] nous ayons pu omettre de voir l’ubiquité de l’agression et de la destruction non érotiques, et négliger de lui accorder la place qui lui revient dans l’interprétation de la vie » [57]. Il postulera une pulsion de mort, que l’on peut interpréter comme l’équivalent d’un instinct de destruction, en relation à l’indéniable existence du mal. Il lui opposera comme Goethe, non la sainteté et l’existence du bien, mais la capacité de création et de multiplication de la vie. Ces deux termes seront intégrés dans la théorie pulsionnelle en pulsions de vie et pulsions de mort, ces dernières ayant pour objet final de tout ramener à l’inanimé. En disciple de T. Hobbes, il souligne combien l’homme est capable, s’il n’y est pas limité, d’agresser son prochain sexuellement et sous toute autre forme, jusqu’à le tuer, particulièrement s’il en tire profit sans en être inquiété, mais aussi et simplement si l’occasion s’en offre avec l’impunité. La capacité d’agir atrocement n’est pas une spécificité du passé, tout progrès dans la civilisation pouvant à chaque instant être détourné à des fins destructrices. Elle n’est pas non plus une spécificité de la pauvreté ou de l’inculture. La religion, si utile à soulager l’homme de son angoisse, joue un rôle variable dans son émergence : elle peut y être un obstacle, comme tout aussi bien le socle sur lequel s’appuie et se développe la barbarie. La fin de l’adolescence en particulier ne se soutient plus beaucoup actuellement des choix de l’intellectualisation et de l’ascétisme : elle y préfère ceux qui lui offrent l’exaltation narcissique, surtout si l’action, la groupalité, l’héroïsme violent pour les garçons et le don de soi pour les filles s’y associent sous le regard bienveillant d’adultes choisis. La violence barbare peut surgir et elle est plus fréquemment le fait dans ces conditions de sujets ordinaires, sans maladie mentale, même si les crimes dont nous évaluons les enjeux l’ont été par des auteurs dont le profil était évocateur de psychopathie. Le périmètre de son expression publique est étroitement dépendant de la force de la Justice, c’est-à-dire de celle de la force de l’État de la contenir, à condition que l’État reste juste. Elle peut s’exercer dans l’excitation débridée, comme dans les mouvements de foule, mais toujours avec un but, fut-il changeant [58]. Elle peut aussi répondre à une méthode, voire se ritualiser, l’excitation semblant pouvoir être contenue par les contraintes conjuguées de la doctrine, des rituels et de la méthode, comme dans les régimes despotiques. La haine peut prendre alors l’aspect d’« une pulsion a-pulsionnelle » [59] : « Le tortionnaire vit dans l’ordre de la doctrine. Il est sans émotion, sans pulsion » [60]. On peut toutefois mettre largement en doute la totale absence de satisfaction libidinale des tortionnaires [61]. En effet la violence agie, a fortiori si elle résulte d’un choix, lorsqu’elle réduit au néant autrui, l’humilie totalement, peut-être par la pulsion d’emprise ou par une satisfaction sadique, tend à transformer l’acte du tortionnaire ou de l’assassin en jouissance, jubilation ou euphorie narcissique, aucun aspect ne semblant toutefois ni exclusif ni nécessaire. Elle n’est arrêtée ni par la loi, ni par l’altruisme, ni par la pitié, ni par la culpabilité. La civilisation serait heureusement d’après Freud érigée pour protéger l’homme contre la Nature et, objet ici de notre discussion, pour réguler les réactions des hommes entre eux. La liberté ne serait pas un produit immédiat de la culture, car elle aurait été maximale avant l’ébauche de la civilisation, bien qu’alors sans valeur. Nombre de luttes au sein de l’humanité auraient pour objets les conflits entre revendications individuelles et exigences culturelles collectives. Freud a développé le rôle de la religion comme institution à valeur civilisatrice, qu’il décrit comme une illusion collective, assimilable à un délire, sauf par les sujets qui y adhérent. L’appropriation de ces idéaux par le sujet prendrait plusieurs voies. Selon Freud, les interdits moraux et les exigences sociétales sont intériorisés par l’enfant à travers l’identification à une « instance morale » des parents, le surmoi, siège de la conscience morale, de l’auto-observation et de la formation d’idéaux. Il accorde aussi à l’éducation une forte influence sur la formation de cette instance allant jusqu’à écrire que « le sur-moi conservera le caractère du père » [62]. Il étend cette proposition de la formation des instances morales à un environnement social plus large car « […] l’autre entre en ligne de compte très régulièrement comme modèle, comme objet, comme aide et comme adversaire, et de ce fait la psychologie individuelle est aussi, d’emblée, simultanément, psychologie sociale » [63]. Mais il fait jouer un autre rôle au monde extérieur : celui d’offrir de l’adversité. Dans le contexte du malheur, le sujet se punit lui-même, s’inflige des pénitences car le sort est considéré comme un substitut de l’instance parentale, comme au stade primitif infantile de la conscience. Au total, Freud propose deux sources à la culpabilité : l’angoisse devant l’autorité externe, typiquement paternelle puis sociale étendue, et l’angoisse devant le surmoi interne. La première pousse au renoncement, la seconde à se punir. Il postule que la civilisation, pour se maintenir, œuvre au renforcement permanent du sentiment de culpabilité – sentiment né de l’angoisse devant le surmoi auquel ne peut être dissimulé la persistance du désir. Il ajoute que « plus un homme maîtrise son agressivité, plus intense devient la tendance agressive de son idéal contre son moi ». Cette tendance agressive serait une des sources fondamentales du sentiment de culpabilité. F. Nietzche tient exactement les mêmes propos : « […] l’hostilité, la cruauté, le plaisir de traquer, d’attaquer, de contrecarrer, de détruire – tout cela se retournant contre les détenteurs de ces instants : voilà l’origine de la mauvaise conscience » [64]. Si cette action du surmoi peut être admise, peut-on exclure l’existence de crimes sans culpabilité ? La création d’un bouc émissaire, la déréliction paranoïaque, le complotisme et tout mécanisme de projection permettent semble-t-il au sujet d’externaliser sa culpabilité et sa rage, et de placer le mal en un autre sujet dont la destruction apaisera sa propre culpabilité, tout en satisfaisant sa haine, conçue alors aussi comme pulsion d’emprise. À la condition du clivage, on peut supposer un sujet meurtrier, y compris dans le crime de masse, indemne de tout sentiment de culpabilité. Le caractère partiel du clivage, résultant d’une forme de dénégation extensive, permet de profiter au mieux de la jouissance de l’emprise et de la destruction, ce qui la différencie par sa nature de celle du paranoïaque ou du schizophrène pour qui le déni reste en principe absolu et garde sa nature psychotique [65]. La forme paranoïaque, nous l’avons signalé, est en germe dans le discours de style paranoïaque. Elle structure sous certaines conditions sociales le rapport au réel dont le sujet, sans maladie mentale, peut se départir contrairement au paranoïaque de structure. À un certain degré d’extension sociale et d’acceptation de cette théorie paranoïaque du monde [66], dans le groupe restreint et a fortiori étendu, elle peut pour l’individu être remplacée par des actions ritualisées sans plus se justifier d’un discours de persécution. L’autorité est seule porteuse du discours, le sujet l’accepte à travers le groupe sans plus nécessairement s’y référer, délégation économiquement bénéfique. D’autres formes de crime sans sentiment de culpabilité (conscient, le seul dont l’absence peut être attesté) et non délirants adviennent chez les personnalités dénuées de sens moral et d’empathie, soit différemment psychopathes et pervers, mais plus fréquemment par des hommes ordinaires agissant par conformisme social. Il suffit que la pression à tuer soit modérément exercée, mais dans un consensus groupal, pour que la majorité des « hommes ordinaires » [67] s’y adonne et dans la répétition y trouve plaisir. Il n’est pas besoin dans ces cas de postuler un idéal groupal mais seulement le respect du contrat narcissique tissé entre l’enfant et le groupe que P. Aulagnier décrit ainsi : « […] le groupe investit l’infans en tant que voix future à laquelle il demandera de répéter les énoncés d’une voix morte et de garantir ainsi la permanence […] d’un corps qui s’auto-régénérerait […]. Quant à l’enfant, il demandera, en contrepartie de son investissement […], qu’on lui assure le droit d’occuper une place indépendante du seul verdict parental, qu’on lui offre un modèle idéal que les autres ne peuvent renier, sans par là même renier les lois de l’ensemble, qu’on lui permette de garder l’illusion d’une persistance atemporelle projetée sur l’ensemble, et, avant tout, sur un projet de l’ensemble que ses successeurs sont supposés reprendre et préserver » [68]. Ainsi l’idéal ou le surmoi n’est pas seulement le pourvoyeur du sentiment de culpabilité mais aussi ce qui peut l’en défausser, soit comme choix dans un conflit de loyauté entre loi groupale actuelle et idéaux personnels, soit au prix fréquent du clivage qui seul permet l’extension sans bornes de l’enflure narcissique, soit dans l’association des deux mécanismes.

12 Nous verrons dans l’analyse du discours de la haine que plusieurs mécanismes sont conjointement à l’œuvre pour rendre aisé le crime et absent le sentiment de culpabilité. P. Legendre souligne, à propos du crime du caporal Lortie [69], que les glossateurs médiévaux jugeaient d’un crime à partir de deux ordres de fautes, le criminel qui agit contre la loi et le pêcheur contre Dieu. Il est tentant de rapprocher les premiers de l’autorité telle que Freud l’évoque et l’autre au surmoi ou à ses représentants culturels, en l’espèce l’institution religieuse. Se proclamer servir un dieu offre en conscience de ne plus répondre du péché tandis que la proclamation d’adhésion à un autre État, offre l’illusion de ne plus répondre d’un crime dans son propre État. La culpabilité ou son sentiment est alors plus facilement abolie. Culpabilité personnelle et rapport à l’État et à la morale, semblent entremêlés comme dimension individuelle et dimension sociale.

13 D. W. Winnicott développe ses idées sur l’éducation morale dans une toute autre direction, mettant surtout l’accent sur les capacités créatrices de l’enfant et de ce que nous pourrions appeler les pulsions de vie, présentes aussi dans la tendance antisociale. Il se rapproche de philosophes comme Shaftesbury et des théoriciens modernes de l’empathie et de l’altruisme qui mettent en avant dans le sens moral les mouvements favorisant la socialisation et les forces de liaison, les possibilités d’identification et la théorie de l’esprit à qui ils donnent en partie une source innée. Pour l’auteur, pédiatre et psychanalyste, la capacité de l’enfant à recevoir une éducation morale serait en relation avec « […] le développement de la capacité d’avoir un sens moral, d’éprouver un sentiment de culpabilité et de construire un idéal » [70]. Ce sont les processus internes qui lui permettent la confiance ainsi que les idées du bien et du mal et la capacité à croire en quelque chose. Ce qui est bon est ce qui s’adapte à lui dans l’environnement. Dans les temps premiers de l’évolution, ce qui est bon se confond avec le self lui-même. La capacité à croire en l’idée d’un dieu personnel, substitut des soins maternels, dépendrait finalement de la sécurité apportée par la mère, soit sa fiabilité. Il souligne toutefois, mais incidemment, la possibilité d’imposer aussi la croyance par la force et l’humiliation, en battant les enfants, la mauvaise « alternative » [71]. Ainsi bien que reconnaissant implicitement une source de croyance associée à la haine, il mettra presque exclusivement en avant dans ses réflexions une autre source, celle initiée par un environnement maternel bienveillant. L’éducation morale, selon l’auteur, devrait suivre et non précéder la maturation de l’enfant et sa propre découverte du sens des valeurs, à travers les soins infantiles. Importer, secondairement donc, à l’enfant suffisamment mûr, des règles morales se justifie toutefois par le fait de limiter la brutalité et la violence des morales primitives au sens du développement, féroces, mutilantes et dominées par la loi du talion. Il faut toutefois, dit-il, se méfier de l’obéissance de l’enfant qui lui apporte des satisfactions immédiates, comme au parent, mais peut conduire à l’établissement d’un faux-self privé d’expérience vivante du bien et du mal. Dans sa conceptualisation de la tendance antisociale, D. W. Winnicott place au centre des comportements, mordre, voler, agresser, l’espoir de l’enfant et de l’adolescent de retrouver une satisfaction qu’il a perdue, un bien auquel il avait le droit et dont il a été privé. Il en demanderait réparation et dédommagement à un cercle de plus en plus élargi autour de la mère, jusqu’à en faire répondre, en l’absence, les représentants de l’État, facteurs, chauffeurs de bus et pompiers avant même de se frotter aux policiers. Dans cette conception, la haine reste encore vivante, elle est une demande de justice : elle reconnaît autrui et lui demande quelque chose qu’il lui doit. D. W. Winnicott n’a jamais adhéré à la notion de pulsion de mort. Il n’a pas non plus étayé ses théories sur la morale à partir des sources de destructivité de l’enfant, ni de l’envie comme l’a développé M. Klein, bien qu’il les reconnaisse. Le père prend relativement peu de place dans ses élaborations [72]. L’État de droit n’est pas considéré directement mais à travers le pouvoir judiciaire, qui exerce selon D. W. Winnicott un obstacle à la violence de la revanche populaire. Les théories de l’auteur, même s’il parle de violence archaïque, permettent d’éclairer la violence antisociale tant qu’elle reste attachée à l’espoir, et d’une certaine façon au primat des pulsions de vie.

La haine de l’État

14 C’est à la religion principalement, et à son Dieu dans le monothéisme, que Freud attribua les qualités du père de l’enfance. Il n’écrit pas tant sur l’État que sur le rôle civilisateur de la culture et n’accorde pas une attention majeure aux institutions en dehors de la famille. C’est surtout à partir des travaux de J. Lacan qu’un auteur tel P. Legendre, spécialiste du droit canon, développa une thèse sur la fonction paternelle de l’État. Le vocabulaire juridique lui offrait un champ sémantique d’intérêt pour appuyer ses travaux, le meurtre du Roi ou régicide s’incluant longtemps dans la catégorie du parricide, qui à défaut d’être le meurtre du père était celui d’un parent. Quand l’État de droit vint épauler, puis remplacer la fonction de gouverner du roi et user, toutes choses égales, des mêmes attributs politiques et moraux, il conserva à sa tête une personne, président ou roi, qui concentrait la fonction représentative noble de l’État, sans pouvoir réel d’intervenir dans les institutions. L’État, s’il représente, reste toujours représenté dans ses attributs moraux et honorifiques par un être en chair et en os. D’autres comme en France conservèrent en un seul homme les deux fonctions. En Europe, l’État ne prétend plus tenir sa puissance de Dieu, ni appuyer sa politique sur la religion. Il ne prétend pas non plus en général servir une idéologie comme dans les régimes totalitaires, mais seulement gouverner par représentation et délégation. Il est en ce sens un père démocratique. Il est le garant de la liberté de penser, de conscience et d’expression.

15 À travers les assassinats récents se révèlent une tendance et une revendication particulière : imposer un ordre de valeurs dont le blasphème est partie intégrante [73]. L’État démocratique peut effectivement s’accommoder de régulations nouvelles à condition qu’il ne se renie pas lui-même. Ce qui est cherché à lui être imposé ici est la soumission de l’État démocratique et non un compromis. La solution la plus simple consiste dans cet ordre d’idées à discréditer conjointement l’État nation, soit les frontières et sa puissance régalienne. Si l’État peut se revêtir des insignes de la puissance du père primordial, il n’a pas cette valeur dans le discours des assassins. Il est tentant, mais bien incertain, de faire l’hypothèse que ces adolescents n’avaient pu devenir adultes – au-delà de la défaillance d’une paternité incarnée, encore aggravée par l’absence maternelle –, se reconnaître ou s’organiser autour de la fonction paternelle de l’État, particulièrement un État démocratique, malgré les interventions de ses institutions [74]. Le père d’un meurtrier, bien qu’ayant abandonné ses propres enfants, s’en prendra aux insuffisances de l’État français. Son fils se vantera d’avoir « mis à genoux la France ». Le meurtre systématique de policiers ou de militaires, mais aussi la revendication d’avoir « mis la France à genoux », produisent des indices sur la relation imaginaire aux institutions étatiques de ceux qui tuent au nom de la religion mais aussi de ceux qui les soutiennent et ceux pour qui le crime est exécuté. Cette haine peut aussi être entendue parfois dans les cités. Le crime est revendiqué comme juste, et l’acte de tuer a pour justification le sacrilège ou par extension toute forme d’atteinte supposée à la religion et à ses dogmes. Le discours, au-delà des frontières, de ceux dont les assassins se revendiquent, est qu’il est interdit de montrer une caricature, mais loisible d’égorger ou violer femmes et enfants. Pascal dans son œuvre posthume [75], les Pensées, rédigées entre 1656-1660, dénie l’existence d’une justice de raison universelle expliquant que « le larcin, l’inceste, le meurtre des enfants et des pères, tout a eu sa place entre les actions vertueuses » [76], ce que nous constatons chaque jour au présent. Il fait de la morale dominante, le résultat du hasard, de l’habitude, de l’histoire et de la géographie, et trouve fort sage de laisser chaque prince faire ses lois et ne pas s’en mêler. La difficulté repose aujourd’hui sur les conséquences culturelles et démographiques de la mondialisation où les lois d’autrui n’ont plus rien d’exotique et peuvent devenir des référentiels concurrentiels, même sans voisinage ni état de guerre. Le rapport entre la force et la justice dans un territoire donnée se pose alors immédiatement : « La justice sans la force est impuissante ; la force sans la justice est tyrannique » [77]. À suivre étroitement Pascal, l’existence d’un droit naturel est une illusion. L’interprétation d’H. Michon des propos de Pascal serait que le peuple obéit à la force en croyant qu’elle est juste, cette duperie n’étant le fait de personne mais le produit de croyances imaginaires collectives [78]. Ces croyances feraient accéder la force au statut de la justice au moment où elle est imposée, relayée ensuite par la coutume. Cette conception assez pessimiste transforme les victimes en leurs propres tyrans. Pourtant Pascal affirme qu’« il est juste que ce qui est juste soit suivi » [79]. À travers une forme de tautologie, bien que ne l’affirmant jamais, il semblerait faire état de deux sortes de sentiment du juste, dont un ne résulterait pas seulement du caprice de l’histoire et de la géographie. J. Locke, philosophe empiriste anglais, débat des relations entre la création d’un État de droit, la liberté de religion et la morale publique. Si avec Machiavel il souhaite soustraire l’action politique des considérations religieuses, il semblerait attribuer à l’État des vertus morales. É. Durkheim [80] abonde aussi dans le sens du relativisme postulant que le crime est une construction sociale. Dans la lignée des Lumières, il fait de l’État un instrument du contrat social, une structure dynamique qui règle le fonctionnement social et joue un rôle prééminent pour déterminer la conscience collective. Il représente « […] l’ensemble des corps sociaux qui ont seuls qualité pour parler et pour agir au nom de la société » [81]. En retour, il a besoin d’être contenu par l’ensemble des forces secondaires qui lui sont subordonnées au risque dans le cas contraire de devenir tyrannique, ce dont le XXe siècle fut largement le témoin et que le XXIe siècle augure de répéter. L’État de droit introduit la réflexion dans la vie sociale : « C’est l’intelligence mise à la place de l’instinct obscur » [82]. Il tient en échec les inégalités qui résultent des castes, sectes mais aussi de la famille. Instrument nécessaire par lequel se réalise l’égalité et, par conséquent, la justice, il joue un rôle moral central. Pour cela, il se doit d’être suffisamment fort. Bien que l’équilibre entre l’État et les forces qu’il organise soit parfois précaire, le développement de l’État en Europe s’est produit, avec le développement progressif de la démocratie. L’individu, dans la conception humaniste qui a accompagné la création de l’État moderne, est pensé comme une unité distincte, pourvue d’une volonté propre et d’une part de liberté, et non le membre non distinguable d’une communauté dont l’identité principale serait celle d’y appartenir. En même temps, l’État règle les conflits et contradictions des institutions qu’il domine. Il a été reproché aux tenants actuels du néolibéralisme de travailler à ce que l’État se départisse d’un ensemble de tâches ayant trait à la régulation sociale, conservant seulement la gestion des crises et, dans l’ordre de la justice, un soutien particulier aux victimes. Ce modèle renouvelle-t-il ou fragilise-t-il le projet des Lumières d’assurer un contrat social ? Il crée en tout cas une crise des valeurs par la dépréciation tout à la fois de l’altruisme et de l’activité singulière du sujet autre que marchande ou en faveur du système marchand. Il participe à modifier les modèles familiaux et à réduire la valeur a priori du discours paternel. Il a pour argument moral de soutenir la liberté des mœurs et surtout de prétendre à la croissance économique, la privation des peuples étant à l’origine des plus grands conflits. Comme l’a montré A. Ehrenberg [83], il pourrait engager davantage l’individu vers des pathologies dites du narcissisme, au lieu de la classique névrose de civilisation décrite par Freud, les liens restant encore confus entre organisation sociétale et conflictualité interne. Il a été aussi accusé de favoriser le retour du religieux par le désintérêt porté aux valeurs morales qui fondent les liens de solidarité [84].

Notes

  • [1]
    La personnification du journal est rendue aisée par la seule conservation du premier terme de son intitulé, mais ce sont effectivement des journalistes, des employés et un policier qui ont été tués.
  • [2]
    Panh R. avec Bataille C. (2012). L’élimination. Paris : Grasset, p. 12.
  • [3]
    Par exemple : Comment parler de Charlie Hebdo aux élèves ? Rencontre avec un prof de banlieue, [blogs.mediapart.fr/blog/cyril-berard/100115/comment-parler-de-charlie-hebdo-aux-eleves-rencontre-avec-un-prof-de-banlieue (10/01/2015)] ; ou article Prof d’histoire en banlieue : « pour certains élèves, la liberté d’expression est un accessoire de bourgeois » [www.atlantico.fr/decryptage/prof-histoire-en-banlieue-pour-certains-eleves-liberte-expression-est-accessoire-bourgeois-1948918.html/ (11/01/2015)].
  • [4]
    Par exemple : Charlie Hebdo : au moins 200 incidents signalés à l’école [www.lefigaro.fr/actualite-france/2015/01/14/01016-20150114ARTFIG00461-charlie-hebdo-au-moins-200-incidents-signales-a-l-ecole (14/01/2015)].
  • [5]
    Un seul document d’étude significatif, déjà ancien, sur le fait religieux à l’école est à notre connaissance publiquement disponible : Obin J.-P. Éds. (2004). Les signes et manifestations d’appartenance religieuse dans les établissements scolaires. Rapport au ministre de l’Éducation nationale.
  • [6]
    Il sera dans cette première partie tenu compte exclusivement de la radicalisation religieuse bien que nombre d’énoncés s’appliquent aussi à d’autres formes de radicalisation violente.
  • [7]
    Voir par exemple Sageman M. (2004). Understanding terror networks. Philadeplphia, Pennylvania : University of Pennsylvania Press. Atran S. (2006). The moral logic and growth of suicide terrorism. The Washington Quarterly, 29 : 127-147.
  • [8]
    Castoriadis C. (1999). Figures du pensable, T. 6. Les carrefours du labyrinthe. Paris : Seuil, p. 192.
  • [9]
    Freud S. (1921). Psychologie des foules et analyse du moi. In : Essais de psychanalyse. Paris : Payot, 2001, pp. 129-242 (p. 163).
  • [10]
    Ibid.
  • [11]
    Mc Andrew M., Garnett B., Ledent J., Ungerleider Ch., Adumati-Trache M. et Ait-Said R. (2008). La réussite scolaire des élèves issus de l’immigration : une question de classe sociale, de langue ou de culture ? Éducation et francophonie, 36 : 177-196.
    Caille J.-P., Lemaire S. (2009). Les bacheliers de « première génération » : des trajectoires scolaires et des parcours dans l’enseignement supérieur « bridés » par de moindres ambitions ? France, portrait social. Insee, pp. 171 -193.
  • [12]
    Brinbaum Y. et Primon J.-L. (2013). Transition professionnelle et emploi des descendants d’immigrés en France. Revue européenne des sciences sociales, 51 : 33-63.
  • [13]
    Caille J.-P. (2007). Perception du système éducatif et projets d’avenir des enfants d’immigrés. Éducation & formations, 74 : 117-142.
  • [14]
    Il est question ici surtout des actions spontanées.
  • [15]
    Le terme de donneur de soins ou caregiver, est peu évocateur des relations ordinaires d’une mére à son bébé qui incluent, outre le care, des dimensions affectives et sensuelles en général différentes de celles d’une nourrice et d’un père.
  • [16]
    Leveau R., Mohsen-Finan K., Withtol de Wenden C. Éds. (2001). L’Islam en France et en Allemagne. Identités et citoyennetés. Paris : La Documentation française.
  • [17]
    Freud S. (1927). L’avenir d’une illusion. Paris : PUF, 1971, p. 43.
  • [18]
    Dans le cas de l’assassinat des journalistes, la mort du policier abattu à bout portant a été mise en cause comme un montage audiovisuel, par exemple.
  • [19]
    L’enseignement scolaire de rudiments d’épistémologie se justifierait ainsi.
  • [20]
    Par exemple la théorie darwinienne de l’évolution ne serait pas plus vraie que les assertions retrouvées dans la Bible ou le Coran pour décrire l’apparition des espèces.
  • [21]
    Sartre J.-P. (1943). La mauvaise foi. In : L’être et le néant. Essai d’ontologie phénoménologique. Paris : Gallimard, pp. 81-106.
  • [22]
    Hofstadter R. (1964). The Paranoid Style in American Politics. New-York : Vintage, 2012.
  • [23]
    Elle est assurée à la descendance par identification, assimilation et introjection.
  • [24]
    Klein M. (1952). Quelques conclusions théoriques au sujet de la vie émotionnelle des bébés. In : M. Klein, P. Heimann, S. Isaacs, J. Rivière, Développements de la psychanalyse. Paris : PUF, 1976, pp. 187-222.
  • [25]
    Baranger W. (1999). Position et objet dans l’œuvre de Mélanie Klein. Toulouse : Érès.
  • [26]
    D’en être détaché un court moment n’est pas suffisant pour rompre les liens imaginaires établis.
  • [27]
    La rencontre physique avec les auteurs du discours sectaire peut être retardée.
  • [28]
    Ce thème sera développé dans la seconde partie du texte.
  • [29]
    Legrand du Saulle H. (1871). Le Délire des persécutions. Paris : Plon.
  • [30]
    Bion W. R. (1965). Recherches sur les petits groupes. Paris : PUF, 2002.
  • [31]
    Bossuet J. B. (1689).Troisième avertissement : Le salut dans l’Église romaine, selon ce ministre – Le fanatisme établi dans la réforme par les ministres Claude et Jurieu selon la doctrine des Quakers – Tout le parti protestant exclu du titre d’Église par M. Jurieu. § Avertissements aux protestants. Sur les lettres du ministre Jurieu. In : Œuvres complètes, T. 3, Bar-Le-Duc : Louis Guérin, 1870, pp. 541-564.
  • [32]
    Voltaire (1762). Traité sur la tolérance. Paris : Flammarion, 1989, p. 61.
  • [33]
    On en trouve la trace légale en 313 dans L’Édit de Milan de Constantin et de Licinius.
  • [34]
    Castellion S. (vers 1550). De l’art de douter et de croire, d’ignorer et de savoir. Genève : Jeheber, 1953.
  • [35]
    Locke J. (1667). Lettre sur la tolérance et autres textes. Paris : Flammarion, 2007.
  • [36]
    Ibid., p. 161.
  • [37]
    Ibid, p. 166.
  • [38]
    Ibid, p. 167.
  • [39]
    Voltaire. (1762). Traité sur la tolérance. Paris : Flammarion, 1989, p. 81.
  • [40]
    Ibid., p. 57.
  • [41]
    Diderot D. (1774). Entretien d’un philosophe avec Madame la Maréchale de ***. Paris : Flammarion, 2009, p. 43.
  • [42]
    Ibid.
  • [43]
    Kant E. (1783-1798). Vers la paix perpétuelle. Que signifie s’orienter dans la pensée ? Qu’est-ce que les Lumières ? et autres textes. Paris : Flammarion, 2006.
  • [44]
    Ibid., p. 44.
  • [45]
    Ibid., p. 69.
  • [46]
    Ibid.
  • [47]
    Ibid.
  • [48]
    Full Interview with Charlie Hebdo’s Editor-in-Chief. Meet the Press, 18 Janvier 2015 (www.nbcnews.com/meet-the-press/exclusive-full-interview-charlie-hebdos-editor-chief-n288521).
  • [49]
    Shaftesbury (1699). An Inquiry concerning Virtue, or Merit. Essai sur le mérite et la vertu. Paris : Desray & Deterville, 1798.
  • [50]
    Trivers R. L. (1971). The evolution of reciprocal altruism. The Quarterly Review of Biology, 46 : 35-57.
    Tankersle D., Stowe C. J. & Huettel S. A. (2007). Altruism is associated with an increased neural response to agency. Nature neuroscience, 10 : 150-152.
  • [51]
    Dès huit mois, des expériences en laboratoire suggèrent que les nourrissons favorisent les producteurs d’actes prosociaux. Un nourrisson est tôt spontanément sensible à l’iniquité comme aux émotions d’autrui, suffisamment pour lui apporter spontanément de l’aide. De plus, les comportements « justes », évalués en situation non écologique, dépendent plus – toutes choses égales – de la capacité de s’identifier au point de vue de l’autre (empathie rationnelle ou prise de perspective) qu’aux sentiments d’empathie émotionnelle spontanés.
  • [52]
    Cf. Jaffro L. (2009). Ambiguïtés et difficultés du sens moral. In : S. Laugier & C. Chappe-Gautier (Éds.), Normativités du sens commun. Paris : PUF, pp. 303-318.
  • [53]
    Cf. Larthomas J. P. (1986). Humour et enthousiasme chez Lord Shaftesbury (1671-1713). In : The Age of Enlightenment. Archives de philosophie, 49 : 355-373.
  • [54]
    Leibniz G. W. (1703). Nouveaux essais sur l’entendement humain. Paris : Garnier-Flammarion, 1966, p. 448.
  • [55]
    Cf. Aldridge A. O. (1945). Shaftesbury and the Test of Truth. Publications of the Modern Language Association, 60 : 129-156.
  • [56]
    Rousseau J.-J. (1755). Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes. Paris : L’Harmattan, 2009.
  • [57]
    Freud S. (1930). Le malaise dans la culture. In : OCF. P, T. XVIII. Paris : PUF, 1994, pp. 245-333 (p. 306).
  • [58]
    Canetti E. (1966). Masse et puissance. Paris : Gallimard.
  • [59]
    Sédat J. (1997). La haine de l’objet. Une pulsion a-pulsionnelle. Cliniques méditerranéennes, 53/54 : 135-140.
  • [60]
    Panh R. avec Bataille C. (2012). L’élimination. Op. cit., p. 152.
  • [61]
    Lazreg M. (2008). Torture and the Twilight of Empire : From Algiers to Baghdad. Princeton, N. J./Oxford : Princeton University Press.
    MacCulloch M. J., Snowden P. R., Wood P. J. & Mill H. E. (1983). Sadistic fantasy, sadistic behaviour and offending. The British Journal of Psychiatry, 143 : 20-29.
  • [62]
    Freud S. (1923). Le Moi et le Ça. In : OCF. P, T. XVI. Paris : PUF, 2010, pp. 255-301 (p. 278).
  • [63]
    Freud S. (1921). Psychologie des foules et analyse du moi. In : OCF. P, T. XVI. Paris : PUF, 1991, pp. 5-83 (p. 5).
  • [64]
    Nietzsche F. (1887). Généalogie de la morale. Paris : Garnier-Flammarion, 2002, p. 97.
  • [65]
    Schwan G. (2001). Politics and Guilt. The Destructive Power of Silence. Lincoln, NE : University of Nebraska Press.
  • [66]
    Qui évoque, sans se confondre, la notion « d’hypothèse de base » développée par W. R. Bion.
  • [67]
    Browning Ch.-R. (2007). Des hommes ordinaires. Le 101e bataillon de réserve de la police allemande et la Solution finale en Pologne. Paris : Tallandier.
    Casoni D. & Brunet L. (2007). The Psychodynamics that Lead to Violence. Part 2. The Case of « Ordinary » People Involved. In : Mass Violence. Canadian Journal of Psychoanalysis, 15 : 261-280.
  • [68]
    Aulagnier P. (1975). La violence de l’interprétation. Du pictogramme à l’énoncé. Paris : PUF, p. 189.
  • [69]
    Legendre P. (1989). Le crime du Caporal Lortie. Traité sur le Père. Paris : Fayard.
  • [70]
    Winnicott D. W. (1963). Morale et éducation. In : Processus de maturation chez l’enfant. Développement affectif et environnement. Paris : Payot, 1989, pp. 55-72 (p. 55).
  • [71]
    Ibid., p. 56.
  • [72]
    Même s’il fait appel à la symbolique paternelle et distingue un maternel qui est du côté de l’être et un paternel du côté du faire.
  • [73]
    Il n’existe plus dans le droit francais, sauf en Alsace.
  • [74]
    Fromm E. (1930). L’État éducateur. In : F. Marty (Éds.), Le jeune délinquant. Paris : Payot, 2002, pp. 271-293.
  • [75]
    Toutes les citations de Pascal sont issues de l’édition numérique www.penséesdepascal.fr
  • [76]
    Pascal, Misère, fragment 9.
  • [77]
    Pascal, Raisons des effets, fragment 20.
  • [78]
    Michon H. (1996). L’ordre du cœur. Philosophie, théologie et mystique dans les « Pensées » de Pascal. Paris : Champion, 2007.
  • [79]
    Pascal, Raisons des effets, fragment 20.
  • [80]
    Durkheim É. (1911). Jugements de valeur et jugements de réalité. Revue de Métaphysique et de Morale, 19 : 437-453.
  • [81]
    Durkheim É. (1900-1905). L’État. In : Textes. T. 3 : Fonctions sociales et institutions. Paris : Les Éditions de Minuit, 1975, pp. 172-178 (p. 173).
  • [82]
    Durkheim É. (1900-1905). L’État. In : Textes. T. 3 : Fonctions sociales et institutions. Op. cit., p. 174.
  • [83]
    Ehrenberg A. (2011). La société du malaise. Une présentation pour un dialogue entre clinique et sociologie. Adolescence, 29 : 553-570.
  • [84]
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