1La vie ne peut se passer de transmission. Un être vivant sans son contexte environnemental n’existe pas. La vie est une co-construction permanente et un long processus indéfini de transmission. Tous les êtres vivants se développent à partir de leurs échanges avec l’environnement. Mais les êtres humains se trouvent confrontés à un paradoxe spécifique du fait de leur accès à la conscience réflexive. Comme tous les êtres vivants, pour devenir eux-mêmes, ils doivent se nourrir des autres mais, en tant qu’êtres conscients, ils doivent se différencier de ceux qui leur ont apporté ce dont ils ont besoin pour se sentir eux-mêmes. Paradoxe qui peut s’énoncer ainsi : « ce dont j’ai besoin et que je dois recevoir des autres pour me sentir fort, c’est ce qui menace mon besoin d’autonomie. »
2L’adolescence se présente comme un remarquable révélateur des contradictions dont l’être humain est porteur. Révélateur des contraintes dont nous héritons de l’enfance, mais révélateur aussi des modèles que le monde adulte offre en réponse aux attentes spécifiques des adolescents, nées des changements induits par la puberté. L’adolescence illustre la mise à l’épreuve des limites et montre combien l’insécurité interne et une trop grande vulnérabilité rendent nécessaire l’étayage sur la réalité externe pour éviter la désorganisation qui guette. De même l’évolution sociale actuelle, avec la liberté d’expression qu’elle permet et son questionnement des limites, agit comme un interrogateur qui met à l’épreuve les ressources personnelles du sujet, et entre ainsi en résonance avec la dynamique de l’adolescence, en en redoublant les effets. Les plus vulnérables de ces adolescents sans limites contenantes suffisantes sont abandonnés à leurs contraintes émotionnelles et leurs passages à l’acte. Les conduites d’emprise deviennent alors la seule façon de retrouver un rôle actif face aux débordements émotionnels et aux personnes qui les suscitent. À ces expressions d’emprise, le recours aux sensations est un des moyens privilégiés. Mais à contraintes et facteurs de risque semblables, le destin de ces adolescents peut être radicalement différent. Après des difficultés plus ou moins importantes, parfois durables, non sans douleur souvent, les uns peuvent faire de leur vulnérabilité une chance qui va les conduire à une reprise d’échanges dont ils peuvent se nourrir. Une chance qui participera au développement de leurs potentialités avec peut-être un plus par rapport à d’autres jeunes, celui d’avoir fait l’expérience du risque d’effondrement, de la tentation de s’abandonner à la destructivité, et de l’avoir surmontée. Les autres, en revanche, s’enferment dans des conduites dont le point commun constant est qu’elles se caractérisent par une amputation plus ou moins grande de leurs capacités et une forme d’appauvrissement de leurs richesses potentielles.
3La puberté est donc un facteur de vulnérabilisation de l’individu. À ce titre, elle peut servir de modèle à l’observation et à la compréhension des réponses aux menaces de désorganisation de la personnalité, en particulier de tout ce qui entre dans le champ de la psychopathologie, mais plus largement de la difficulté à prendre soin de soi. Il existe une communauté d’enjeux qui fait de cet âge une période critique à risques spécifiques. Ces enjeux se situent dans la possibilité de voir ce qui est de l’ordre d’une vulnérabilité dans l’enfance, de faire place (dans l’adolescence et l’immédiate post-adolescence) à des conduites pathogènes car susceptibles de réorganiser la personnalité autour d’elles et de figer le sujet dans la répétition de ces comportements que l’on peut alors qualifier de pathologiques. Le pathologique correspond ici à l’enfermement dans ces conduites pathogènes. C’est cette capacité de fixation et d’organisation, particulièrement active à cet âge, qui en fait tout le risque. Mais elle en fait aussi, à l’opposé, tout l’atout possible. Car l’apparition d’un symptôme ou d’un trouble du comportement ne signe pas nécessairement une pathologie avérée. S’ils ne s’installent pas durablement ni n’entravent le développement de la personnalité, sans empêcher les acquisitions propres à chaque âge, les intériorisations et les identifications, ils peuvent avoir une valeur adaptative et n’auront alors pas d’effets dénarcissisants altérant l’estime de soi et la confiance en soi. Mais s’ils ne sont pas nécessairement pathologiques, ils n’en demeurent pas moins toujours potentiellement pathogènes par leurs capacités d’auto-entretien et même d’auto-renforcement. Pathogènes en ce sens que ces conduites, en faisant accroître la vulnérabilité du sujet, lui font courir des risques excessifs et l’appauvrissent dans ses sources de valorisation dans une ou plusieurs des activités nécessaires à l’épanouissement de chacun : le soin apporté au corps, le développement des apprentissages et des compétences quel qu’en soit le domaine, et tout ce qui relève du champ de la sociabilité. Les contraintes de la puberté sont liées aux conséquences des changements corporels : l’accession à un corps mature, apte à la sexualité et à la procréation, fait de la question de la distance relationnelle avec les adultes un enjeu majeur de l’adolescence. Elle implique une redistribution de l’espace et des rapports de pouvoir au sein du groupe entre les anciens et les jeunes devenus adultes. En cela, la puberté est une menace pour l’homéostasie du groupe. On peut comprendre que, dès l’organisation des sociétés humaines, les êtres humains aient eu peur de la menace de désorganisation que représentaient les jeunes devenus pubères et aient essayé de conjurer ce danger, notamment par les rites d’initiation. Mais ces contraintes sont aussi celles que rencontrent les animaux supérieurs, programmés pour réagir par des émotions primaires destinées à assurer la préservation du territoire contre toute menace et, par là même, à assurer leur survie. Que ces réactions soient de l’ordre de l’agressivité, de la fuite ou de l’offrande et de la soumission, elles ont pour fonction d’éloigner l’insécurité possible et de sauvegarder la vie. Compte tenu de notre génétique commune, il est logique que nous soyons programmés pour mettre en œuvre des réactions aux menaces sur la gestion du territoire générées par la puberté. C’est ce que nous montre l’observation de nos réponses aux dangers de cet ordre. Toute variation brutale de la distance relationnelle avec autrui est susceptible de déclencher des émotions primaires, basiques, dont nous ne choisissons ni la nature, ni l’intensité. Elles s’imposent à nous d’emblée et nous ne pouvons exercer un contrôle a posteriori que si nous en avons les ressources nécessaires, autrement dit si nous gardons suffisamment de sécurité pour réfléchir, choisir et contrôler.
La conscience réflexive de l’humain
4Le territoire humain ne se borne pas à la distance géographique. Il acquiert une dimension spécifique qui est celle de la représentation que le sujet se fait de lui-même et celle qu’il pense que les autres ont de lui. Selon moi, cette dimension est rendue possible par ce qui spécifie l’humain, à savoir sa capacité réflexive. Car si certains animaux sont capables d’une activité anticipatrice, l’être humain est le seul être vivant qui est conscient d’avoir conscience de lui-même. Il le doit au développement extraordinaire des potentialités de son cerveau. Double activité réflexive qui s’auto-développe peu à peu par l’essor d’un langage de plus en plus symbolique et celui d’une civilisation où le sujet en tant que tel s’affirme de plus en plus dans son autonomie par rapport au groupe. D’une progression quantitative des potentialités du cerveau dans l’échelle animale, une rupture qualitative avec cette activité réflexive est apparue. Elle a ouvert un espace potentiel dans le jeu des représentations mentales, autorisant un développement indéfini du champ des possibles, celui de l’imaginaire et de la créativité. C’est ce champ du virtuel qu’on appelle la psyché. Il n’a pas d’existence propre autre que ce jeu de virtualités, mais permet un saut qualitatif qui confère à l’humain un regard sur lui-même. Deux conséquences majeures en découlent. La première, c’est que l’humain est devenu structurellement un être addictif. La conscience qu’il a de lui-même le confronte inéluctablement à sa finitude, à ses limites et au fait qu’il ne peut jamais avoir tout ce qu’il désire. Mais en même temps, il est face au fait qu’il peut avoir toujours plus et qu’il peut se donner à lui-même des satisfactions, à la limite, indéfinies. Il n’aura jamais tout mais peut toujours avoir plus. On retrouve les deux sources de l’addiction – la peur et l’envie –, l’une renforçant l’autre avec la possibilité de se combler dans une interchangeabilité des objets désirés. La deuxième conséquence réside dans la régulation de l’être humain par les valeurs qu’il se donne, notamment par l’intermédiaire de la culture à laquelle il appartient. Cette conscience réflexive lui ouvre une possibilité relative de contrôle de ses émotions, de ses désirs et ses besoins. Mais ce dégagement partiel des contraintes instinctuelles se développe en le rendant dépendant d’un miroir dans lequel il peut se voir et reconnaître sa valeur. C’est d’abord le miroir du regard de la mère et des objets d’attachement. Ce sera progressivement celui des valeurs et des convictions de sa culture et de ses groupes d’appartenance. Nul ne peut se passer de cette interrogation sur ce qu’il vaut, sur ses motivations, sur ce qui est bien, sur ce qui est mal. C’est la boussole qui le guide et qui se substitue pour partie à celle des instincts. Nul n’y échappe, c’est le lien relationnel qui se déplie et se développe à l’infini. Ne pas avoir de valeurs est une valeur qui organise la vie et souvent d’une façon d’autant plus contraignante qu’elle est la seule et que, sans elle, il ne resterait plus rien à quoi s’accrocher et qui puisse faire sens.
5On peut ainsi considérer que l’équilibre du sujet humain et l’homéostasie de son territoire sont assurés par deux voies distinctes mais en étroite relation l’une avec l’autre. D’une part, une régulation émotionnelle basique, très proche de celle à l’œuvre chez l’animal. Cette régulation repose sur les bases chimiques des neuromédiateurs et est liée aux composantes génétiques de son tempérament. Son expressivité est modulée par les expériences et les rencontres du sujet avec l’environnement depuis sa naissance, expériences et rencontres qui s’imposent à lui et dont il ne choisit ni la nature ni l’intensité. La seconde régulation se réalise par le jeu des représentations qui assurent le sentiment de sa valeur à ses yeux et aux yeux des autres. Deux voies d’organisation de la personnalité bien différentes donc : l’une chimique, que l’on peut qualifier de constitutionnelle, purement biologique et reposant sur la chimie des neurotransmetteurs ; l’autre, bien sûr biologique par les supports neuronaux qui la rendent possible, mais qui crée un espace virtuel indéfini de jeux réflexifs de représentations, donnant naissance à la conscience de soi, à l’espace dit psychique, bref une voie virtuelle. Mais ces deux voies se combinent et retentissent fortement l’une sur l’autre. C’est ce qui explique qu’un même événement peut avoir sur chacun un effet radicalement différent, soit en raison du potentiel de réponse émotionnelle dont dispose le sujet, soit en fonction du sens que cet évènement revêt pour lui selon son histoire et sa culture. Les deux possibilités peuvent se potentialiser ou s’atténuer l’une l’autre. Ces deux voies n’existent donc que dans un échange constant avec l’environnement. De cet échange inscrit progressivement dans la mémoire, la conscience réflexive va permettre que naisse le sentiment d’une continuité d’être, matrice du sujet et de l’identité, et que se différencient un dedans et un dehors, un soi et un non-soi. Différenciation fragile, toujours menacée et qui a besoin de se soutenir d’une interaction constante entre le dedans et le dehors. Interaction sensorielle, dont on sait les effets désorganisateurs sur l’identité et les activités hallucinatoires compensatrices qui peuvent surgir du fait de sa disparition. Mais interaction psychique aussi, par le jeu des représentations, tel que le dialogue intérieur ou le travail d’écriture…
6Cet espace virtuel, qui rend possible l’émergence de notre sentiment de continuité, d’une permanence de notre être, repose avant tout sur l’acquisition de la confiance, confiance en soi en miroir de celle accordée à l’environnement habituel, co-construction plus spécifique entre les objets d’attachement et l’individu. L’attachement sécure fonctionne alors comme une sorte de stabilisation du territoire de l’individu, une base de sécurité interne, de repli, qui lui assure une équilibre suffisant et une relative indépendance à l’égard de l’environnement et de ses changements possibles. Cette base de sécurité se renforce des expériences positives et des images gratifiantes que le sujet recevra de l’environnement, comme de sa conformité aux valeurs ambiantes. Mais elle demeure toujours potentiellement vulnérable, notamment quand une déception trop forte vient casser cette confiance : c’est le « traumatisme psychique », souvent lié à la défaillance des adultes censés soutenir cette confiance. À l’inverse, des « rencontres » fortes peuvent recréer les conditions de la confiance, mais souvent au prix d’une dépendance qui traduit l’importance de la fonction réparatrice de cette rencontre dont la nécessité quasi vitale génère les conditions d’une forme d’addiction à cette relation ou à cette conviction salvatrice qui fait fonction de relation.
Les émotions, menace interne potentielle
7Comme l’animal, nous sommes programmés pour réagir à toute menace sur notre territoire. Réagir, c’est-à-dire mettre en œuvre des réponses actives pour préserver notre vie. Ces réactions sont déclenchées sous la contrainte d’émotions primaires dont, encore une fois, nous ne choisissons ni la nature ni l’intensité. Mais ce qui différencie les êtres humains, c’est la complexification considérable des facteurs déclenchants de ces émotions, c’est-à-dire des sources de la menace. Et c’est aussi le fait que la conscience que l’humain en a autorise des possibilités de contrôle et donc de choix de réponse, de réaction. Diversification des sources de la menace donc, parce que celle-ci ne provient plus seulement du monde externe mais de l’intérieur même du sujet. Les émotions suscitées par le seul désir ou besoin de quelqu’un ou de quelque chose peuvent être ressenties comme un pouvoir de l’autre sur nous et donc comme un danger potentiel. Tout objet de désir peut ainsi devenir un facteur de déséquilibre de l’homéostasie de l’individu, une menace pour son autonomie et engendrer un sentiment d’impuissance proportionnel au pouvoir conféré à cet objet. Ceci d’autant plus que les émotions suscitées sont plus fortes. Les émotions humaines ont ainsi cette propriété spécifique de pouvoir être en quelque sorte le cheval de Troie des autres en nous. Toute la vie quotidienne est imprégnée de cette potentialité qui ne prend une tournure dramatique que si la vulnérabilité de l’intéressé est telle que le désir est vécu comme un véritable risque de débordement et de désorganisation. Comme toujours, ce sont les sujets les plus fragiles qui en feront les frais.
8Mais cette potentialité contribue aussi aux charmes de la vie, amoureuse notamment. Selon le contexte, être ému par une pensée, un souvenir, la présence de quelqu’un, ses propos, son attitude à notre égard, peut être source de plaisir intense, d’élation, de gratitude, de bonheur, la liste des sentiments positifs possibles est infinie. Dans ce cas, loin de constituer un danger, les émotions vécues peuvent renforcer la confiance en soi et le sentiment de sécurité. Mais ce qui est possible dans le positif l’est aussi dans le négatif. Cette valeur négative fait alors des émotions un ennemi interne : « si tu me touches, tu me menaces. » Être ému devient alors signe, voire synonyme, de faiblesse. Par l’émotion, l’autre fait intrusion dans l’intimité et met en péril l’image que l’individu veut avoir et donner de lui-même et, au-delà, peut faire craindre un effondrement. Ainsi, du fait de la conscience que l’Homme en a, les émotions qui, à l’origine, sont là pour perpétuer la vie et le protéger des dangers vécus de l’extérieur, peuvent se transformer en un ennemi de l’intérieur. Comme, de façon analogique, les anticorps destinés à nous défendre des agresseurs extérieurs peuvent donner naissance aux maladies auto-immunes.
La quête de sensations, réponse possible à l’impuissance
9Que la menace vienne de l’extérieur ou de l’intérieur, son caractère menaçant est lié au risque d’impuissance face au danger présumé. Un risque que les émotions primaires à but défensif qui surgissent sont censées conjurer par la mise en place de conduites très différentes, voire opposées, dans leurs expressions – de l’agression à la soumission à l’agresseur –, mais qui ont en commun de redonner un rôle actif au sujet menacé. Être actifs face à la menace, y compris en faisant le mort ou l’autruche, voilà ce à quoi sont programmés les êtres vivants. L’Homme n’échappe pas à cette règle. Mais à cette conduite qu’on peut qualifier d’instinctive – en tout cas en lien direct avec les émotions primaires déclenchées par la menace – fait écho, par la conscience réflexive, l’effet de ces conduites sur l’image que l’individu a de lui-même. Or, à partir du moment où elles existent, ces réponses ont un effet positif sur l’image de soi, parce qu’elles donnent au sujet le sentiment de redevenir acteur de sa vie, d’échapper à l’impuissance et de renforcer une identité incertaine, voire mise en péril. Qu’est-ce qui est susceptible de susciter une telle adhésion à ces réponses, quelles qu’elles soient ? À mon sens, le point commun se situe toujours dans le défaut de ressources internes de sécurisation et sa conséquence principale : la nécessité de développer une relation d’emprise et de se cramponner à des éléments perceptivo-moteurs de la réalité externe ou à une conviction interne. La sécurité que le sujet n’a pas, il la trouve dans l’effet de soulagement apporté par le comportement actif qui lui redonne une position d’agent de sa vie.
10La recherche de sensations comme la destructivité sont toujours possibles, à portée de main et se situent hors du temps, qui nous échappe par excellence. Créer, réussir, aimer, c’est aléatoire puisqu’en partie dépendant de la réponse des autres, ceux auxquels on s’adresse, puisque jamais acquis et toujours déterminé dans le temps par une fin qui n’est pas celle qu’on a choisie, mais qui s’impose d’elle-même ou du fait des autres. La déception est toujours possible, sinon certaine. Détruire, à l’inverse, c’est un rendez-vous avec l’éternité, hors de toute contingence liée aux autres. Un instant de toute-puissance. « Que ne sacrifierait-on pas pour se sentir puissant ? Ses potentialités ? Ses plaisirs possibles ? Son avenir et même sa vie ? », nous répondent ces adolescents et tous ceux qui s’abandonnent à la tentation de la destructivité. Mais la destructivité n’est pas seulement physique et matérielle. Elle prend aussi le visage de toutes ces conduites, attitudes et croyances qui consistent à tenter d’effacer ou de renverser les émotions qui pourraient nous rendre dépendants des autres : en se voulant plus fort que la peine en niant la souffrance, plus fort que la déception en revendiquant l’indifférence, à la limite, plus fort que la mort en la choisissant. Cynisme, misanthropie, dénigrement, refus de toutes valeurs sauf celle de la croyance à la justesse de cette position, en sont également des manifestations possibles. Elles sont toujours le fait de sujets sensibles et même hypersensibles. N’est-ce pas alors tenter de retrouver l’attitude de bravade de l’enfance du « même pas mal » ? Comme si, au fond, ce que je risque de perdre, je préfère penser que je n’en ai pas besoin. On ne maîtrise pas le bien-être, il nous échappe toujours, mais on peut penser maîtriser la destructivité quand on en est l’acteur et rechercher le risque, pour ne pas être surpris d’en subir les effets sans l’avoir voulu.
11On est là au cœur de la problématique adolescente et, au-delà, au cœur de ce qui fait une part du tragique de l’Homme. L’être humain peut avoir peur de ce qu’il désire le plus et faire le contraire de ce qui le rendrait heureux par peur du risque de la déception. Est-ce un choix ? Je ne le pense pas. C’est à la fois une contrainte et une tentation de céder à cette contrainte et d’en faire sa force et sa revendication identitaire. Contrainte, parce que c’est le moyen qui s’impose au sujet pour ne pas s’effondrer, pour se sentir exister et avoir encore un pouvoir d’action. La destructivité peut ainsi devenir, plus ou moins insidieusement, la valeur de référence qui peut griser l’être humain, d’autant plus facilement qu’il a l’illusion d’en être le seul maître. Contrairement à la créativité, la destructivité est sans limite, à l’abri de la déception et de toute attente. En somme, la drogue humaine par excellence.
Mots-clés éditeurs : régulation émotionnelle, instincts, destructivité, quête de sensations, capacité réflexive, créativité
Mise en ligne 12/01/2015
https://doi.org/10.3917/ado.090.0695