Couverture de ADO_087

Article de revue

« Bricoleur » du langage

Pages 101 à 110

Notes

  • [1]
    Baranes, 2012, p. 137.
  • [2]
    Gutton, 1999, p. 14.
  • [3]
    Cette définition n’est pas strictement celle de l’anthropologue structuraliste.
  • [4]
    Pour un développement très méthodique de la définition, on pourra se reporter à Marcel Drach, « La musique par-delà le mythe » (Drach, 2008).
  • [5]
    Benyamin, 2013, p. 395.
  • [6]
    On se reportera ici à la Lettre dite « Lettre n°52 » de Freud à Fliess (Freud, 1896).
Pour ces adolescents inventeurs que furent Louis Armstrong, Duke Ellington et tant d’autres ...

1L’adolescent, un candidat au bricolage. Nous annonçons par cette courte formule une proposition, un choix théorique qui articule deux lectures possibles du processus adolescent. Une première voit dans le passage adolescent une requalification dans l’après-coup des données de la sexualité infantile. Nous lui ajoutons celle qui met l’accent sur la construction de ce que l’adolescent invente comme nouvel ajustement subjectif devant l’explosion du sexuel. Cette autre lecture, sans rien contredire, absorber ni résoudre de la précédente, suppose que le savoir-faire de l’adolescent avec le sexuel et la mort est une invention. L’adolescence serait alors le nom d’une métamorphose ou d’un passage qui relève fondamentalement, comme le souligne J.-J. Baranes, « de l’expérience du trouvé-créé winnicottien, et de sa réactualisation » [1]. Un enjeu se dessine ici pour la technique de la cure psychanalytique avec le jeune, qui n’est pas celui d’encourager comme premier mouvement psychique la régression et le retour au passé, mais bien davantage de favoriser l’écoute et l’accueil de ce qui se symbolise et se subjective des événements de corps et de désir actuels. Pour Ph. Gutton, « L’infantile est là, répété sans être remémoré en toute sa violence qu’il est aujourd’hui possible d’agir. Ne le cherchons pas aujourd’hui où il était dans le passé mais où il se répète dans l’actuel » [2]. Dès lors, le pari est que ce qui se joue comme acte à l’adolescence puisse ensuite prendre effet, venir donner assise à la possibilité de liaison de petites représentations et sensations. Un tel point de départ permet aussi de situer les tendances fréquentes au passage à l’acte adolescent, en l’abordant comme stratégie ou du moins comme dynamique d’appropriation chez l’adolescent d’un rapport au temps, au corps et à l’espace venant contrecarrer ces bombardements polysensoriels parfois traumatiques auxquels son corps pulsionnel est livré. L’errance, l’espace brisé, le temps fractionné ..., les termes ne manquent pas pour désigner les aspects tourbillonnants et réactifs de cette phase. Mais l’adolescence n’est pas que tourbillon. Les jeunes peuvent camper leur destin dans une morne résignation loin de cette turbulence. Ils peuvent, dans une apathie massive et destructrice, refuser l’objet et les sensations, au risque alors d’attaquer la psyché et le corps.

2Les adolescents ont un rapport à la mort qui ne se limite pas au fait de se savoir mortel, mais qui atteint l’épaisseur anthropologique de se savoir le descendant de générations qui ont négocié quelque chose du rapport à la mort. Voilà quelle pourrait être la définition de la génération avec laquelle l’anthropologie du contemporain va interroger et prendre soin de la génération suivante [3]. Or, comment se détacher à l’adolescence du vertige de la mort afin de s’inventer un destin ? Comment supporter la condition de vivant ? Là aussi, se profile un entrelacs d’enjeux et de défis pour l’adolescent, surtout lorsque les différents registres du vivant peuvent lui apparaître comme très difficilement supportables. L’obstination de la maturation biologique est souvent perçue comme une intrusion. La nouvelle forme du corps est alors vécue non pas comme un ajout, mais comme une anamorphose. Le corps est distordu. Le monde dans lequel il était situé et bien aimé est tordu. Le jeune ne se distingue plus, il se voit flou, il se voit trop, trop réel, et dans cette nouvelle réalité ne trouve plus cette belle ou du moins supportable enveloppe du corps. L’enforme du corps ne loge plus la forme du corps. Comment l’adolescent peut-il supporter cela ? Comment peut-il supporter l’état d’excitabilité dans lequel il se trouve ? Comment peut-il, encore, traverser ces définitions du vivant qui circulent, incohérentes parfois, rebelles souvent ? Comment peut-il, enfin, inventer sa plasticité ?

3Tentons d’entendre et d’accueillir le fonctionnement mental inédit propre à cet âge. Nous faisons l’hypothèse que ce fonctionnement, qui valorise l’expérience vécue, implique un recours à un langage des plus sensorialisés, faisant de l’acte de parole une occasion de figurabilité là où l’activité représentative connaît des difficultés. L’adolescent invente donc des événements de corps et de langage afin de se constituer un savoir sur son rapport au sexuel et parfois sur son rapport à la mort. C’est cette invention que les théoriciens lacaniens de l’adolescence nomment, avec J.-J. Rassial (1999) et à sa suite, sinthôme : soit cette invention qui vient enrichir la structure langagière lorsqu’il se dévoile, à l’adolescence, que la promesse de l’harmonie sexuelle est vaine et que nous ne disposons pas dans notre psychisme inconscient de représentation qui viendrait faire taire ce qu’a de scandaleux notre condition mortelle. Qu’en est-il pour cette mutation du rapport au langage ? Comment s’opère et que devient cette migration entre le parler enfantin et celui de ce jeune, là où il en est, tentant de renouer autrement la présence physique de sa voix en mutation avec le nouveau fil de sa parole, liée qu’elle est à d’autres interlocuteurs, présents et espérés ? L’enjeu est ici pour l’adolescent d’inventer son rapport au dire à la façon d’un bricoleur. Nous entendons par ce terme celui qui bricole un mode de langage tentant à chaque fois de renouer les rapports entre les structures de la sensorialité et les structures symboliques qui découpent l’expérience du monde. Afin de bien situer la nature et l’enjeu d’un tel bricolage, nous avons à reconsidérer certaines propositions venues de C. Lévi-Strauss (1964). Pour l’anthropologue, l’être humain navigue sans nécessairement errer entre plusieurs qualités de langage. D’abord, mentionnons le langage qui fut, en quelque sorte, le rendez-vous obligé de plusieurs moments structuralistes (Saussure, bien sûr, puis Jakobson – le premier Jakobson). Le langage a été l’objet de spéculations d’allure « linguistique » qui n’ont pas manqué de réduire la représentation de chose et la représentation de mot, d’une part au signifiant et, d’autre part, au signifié. Mais le langage de la double articulation n’est pas le seul dont C. Lévi-Strauss décrit l’organisation. Il mentionne aussi, concernant la façon dont les groupes humains se parlent, l’aspect décisif des strates et des logiques de langages dans sa proposition de langage mythopoétique[4], langage qui repose sur deux niveaux de catégorisation. Le premier est donné par l’activité perceptive du corps, les organes des sens ayant déjà pour l’anthropologue une activité structurante. Cette activité analyse les données du monde catégorisées par le corps, la perception est déjà une construction qui possède des propriétés distinctives. Nous sommes à ce niveau proche de ce que les psychologues de la perception ont pu établir, préfigurant les travaux de M. Merleau-Ponty (1945) (Koehler et Guillaume, 1931). Le second plan, celui du travail de la pensée mythique, intervient sur ces données de la perception pour y isoler des signes et établir des équivalences entre ces découpages de signes, lesquels ne se tiennent jamais trop éloignés des traces laissées par l’expérience de la construction perceptive de la réalité. Ce langage va du corps à la représentation, mais sans nécessiter de solution de continuité entre corps et représentation. Il est pulsionnellement et perceptivement engrammé. Ce langage est honoré et agit dans la mise en acte de ces scansions sociales remarquables que C. Lévi-Strauss appelle la « gesticulation des rites ». Toutefois, si nous opérons un passage de l’anthropologique à la clinique, nous pouvons nous demander si ce langage n’est pas à la fois retrouvé et inventé par le jeune au moment où il remobilise l’ensemble des représentations qui le situe comme sujet d’un corps jouissant et mortel. Si l’on admet alors que ce langage mythopoétique contient des signifiants bricolés à partir de la contingence des sensations et des perceptions, et de concepts dont ces signifiants sont la métaphore, alors l’on pressent qu’un tel langage agence des restes d’événements érigés en rang de scansions mythiques, voire mythopolitiques, d’une histoire. C’est à l’aide de ce langage, babil refondé lors de la puberté, que le jeune interroge ce qu’il perçoit et ressent des lieux où il vit, erre, se replie et rencontre parfois l’épreuve de se sentir inclus dans une communauté composée de presque semblables à lui. Ce langage mythopoétique permet de se tenir dans un hors sens protecteur.

4On peut se montrer tout à fait intrigué par ce qui surgit en cure de qualités inventives de langage chez les adolescents. De temps en temps en effet, à la manière de l’urgence poétique, ils « poussent » la langue vers la poésie, à chaque fois faisant mouche, ils « cherchent » un langage qui ne décrit pas le monde, mais qui continue à pouvoir l’enchanter afin d’y loger de l’énigme. L’évolution de la puissance féconde de son corps fait surgir le réel de la mort et, devant ce réel, l’adolescent bricole son rapport à sa « case départ » et à sa finitude. Et lorsque s’impose la déroute des fictions enfantines et des promesses d’autrefois devant l’incomplétude de ce qui garantirait qu’il y aurait du rapport sexuel, l’adolescent va risquer de traverser les angoisses liées à la sexualité et à la division du corps par la jouissance sexuelle. Il apprend ce qu’a d’attirant et d’angoissant aussi l’altérité de l’autre sexe. Vivre en son nom, avec quelque chose qui serait son langage, c’est une façon pour l’adolescent de s’avancer sous le signe du nouveau, et de payer aussi sa dette au social et à la culture – question qui ne se pose pas avant la résorption de la latence. Ainsi que le définit justement M. Benyamin : « Il s’agit pour l’adolescent d’effectuer un travail interne, par l’intermédiaire du Pcs, pour tenter d’endiguer le pulsionnel en le psychisant. Mais ce travail est déterminant pour le destin pulsionnel. Le réaménagement du Surmoi et de L’idéal du Moi vont contribuer à transformer les buts sexuels en buts culturels, à condition que le sexuel ne soit pas purement et simplement évacué par la répression et le travail du négatif » [5]. Les flux qui tissent sa parole le placent dans un rapport au langage qui ne vise pas à réduire le monde à un objet de connaissance, mais à transmuer le scandale du réel en charme d’une énigme, à faire que le monde puisse encore permettre de rêver le corps. Ce langage adolescent est un langage qui va, par exemple, bricoler, utiliser certains termes dans leur polysémie, parfois dans le sens qu’ils ont, les convoquant à d’autres fois dans la musique qu’ils recèlent, les tordant dans un code musical qui célèbre cette présence au monde codée en termes de sons, et non seulement en termes de sens. N’oublions pas que ce qui est intolérable pour beaucoup d’adolescents, c’est d’entendre dans l’émission de leur voix le ton, l’accent, la prosodie de la voix du père ou celle de la mère. Alors, en contrecoup, ils sont nombreux à vouloir investir la voix en tant que possible surgissement du neuf ; seulement, le neuf radical, il faut bien le référer à quelque chose car ce qui surgit de radicalement sans antécédent avec la voix devient radicalement périlleux.

5Il fut beaucoup traité du rapport de l’adolescent à la musique, dans lequel une prétention n’a pas toujours été entendue et correctement située : celle de faire du langage la rythmicité, la tonicité d’un monde. C’est-à-dire de faire du langage un miroir du corps qui ne se réduit pas à son image visuelle. On pourrait avancer ici, par exemple, que le rap fait voler le continu en éclats précis et qu’il le fait en donnant une valeur au discontinu. On ajouterait que cette valeur du discontinu ne renvoie pas alors seulement à l’immédiate pulsionnalité du corps, mais qu’elle renvoie aussi à ce qui fait brèche dans le compact des énoncés et des énonciations. Y font alors retour des histoires culturelles avec des réémergences de langue refoulée, de langue tue et de langue oubliée. Ce qui est intéressant dans une musique est la façon dont elle accueille le discontinu en créant de l’ouvert. Le rap accueille le discontinu en hébergeant une langue interdite de séjour, dans l’inflexion des voix, du rythme et des corps. Il donne séjour à ce qui serait interdit de séjour. Fonctionne ici, dans ce rapport puissant aux musiques composées de scansions obsessives et de répétitions véhémentes, un appareil de capture et de canalisation des composantes libidinales des pulsions. Y prend corps et figure une traduction du pulsionnel, c’est-à-dire un savoir. Un tel savoir mythopoétique, qui peut se décrire comme mixte de l’« archè » et de l’inédit, résiste à cet abrasement du langage par la logique consumériste qui accable tout discours, tout lien et qui, comme le proposait J. Lacan parlant du discours du capitalisme, endommage les choses de l’amour. Désigner alors l’adolescence comme le nom d’un dispositif permet de reconnaître et d’accueillir ce qu’il fait de ses divisions et permet aussi d’habiter un monde où il peut être possible de s’émanciper des grandes figures tutélaires de l’Autre. Et c’est ainsi : un adolescent a besoin d’être aimé par la langue, d’inventer un point chez l’autre qui organise sa possibilité de métamorphoser son corps et de reprendre corps. L’adolescent est un bricoleur qui balance ce flux tendu de ses expressions et ses ressacs de secours entre les trois niveaux de langage, tels que C. Lévi-Strauss les a distingués et utilisés : le langage musical, le langage mythopoétique et peut-être le langage ordinaire. Ce bricolage soutient et sauve, il garde les traces de ce que le sujet perd à parler, il conserve un peu de la puissance évocatrice de la pensée magique, en même temps qu’il offre un abri pour le sujet en lui permettant de se situer dans une poétique et un efficace de sa parole.

6Ce qui peut nous retenir ici serait ces inventions de langage propres à l’adolescence à la recherche de lieux, de marques de traces. Prenons cela à la manière d’une boussole et venons-en à des réalités peut-être plus concrètes, au vif de la pratique psychanalytique. Il ne nous faut pas faire de l’adolescence ce qui cache et exhibe par effraction l’infantile, ne pas l’envisager sous l’angle de la nostalgie pour la vérité de l’enfance, ne plus s’encombrer, enfin, de ce cliché qui s’obstine à concevoir le traitement après-coup de l’infantile comme un travail de deuil. Certes l’adolescence est une opération de séparation du narcissisme infantile. Parler ici de « deuil de l’enfance » est aisé, pour autant de sentimentalisme conventionnel. On y oublie que l’adolescence est l’occasion d’un exil, d’une reprise et d’une infidélité à ses identifications et à ses idéaux. Le lieu d’une certaine férocité aussi. Que les parents soient eux, amenés, à faire le deuil de l’enfant idéal, c’est une chose. S’ils ont l’intelligence de proposer que c’est sur cette faille de l’idéalisation antérieure que le jeune pourra trouver appui pour se constituer comme suffisamment étranger au folklore familial, alors le devenir adolescent peut sembler plutôt bien engagé. L’adolescent migrant, traducteur, voyageur, nomade …, les qualifications ne manquent pas. Elles charment. Confusément, elles n’en désignent pas moins ceci : l’adolescence met à l’épreuve ce qui, en notre vie psychique, a fonction de lier dans l’actuel, les éclats d’événements, de mémoires dans la vie des mots, soit le préconscient.

7De cette hypothèse selon laquelle l’adolescence est un moment privilégié d’invention d’un rapport mythopoétique au langage, nous pouvons retenir les quelques notations suivantes. Tout d’abord, cette invention se déplie au mieux dans la situation de l’expérience partagée : que ce soit dans ces passions de déchiffrement ou d’invention de langues qui marquent certains liens adolescents, à l’abri de la scène du deux chemine un goût pour autre chose que la langue domestique, un appel vers ce qui affranchit le sujet des marques laissées par les sujétions à la langue commune. Les liens d’une forte amitié nouée entre Freud adolescent et E. Silberstein, signant souvent Cipion et Berganza dans leur correspondance et aimant s’écrire en espagnol, en sont une juste illustration (Freud, 1871-1881). Notons également que notre hypothèse part du renouveau de la référence à la sexualité lors du passage adolescent en son effet sur le désir. La thèse promue par J.-J. Rassial (1999) selon qui ce passage implique la destitution de l’Autre parental au profit de l’Autre de l’autre sexe peut être lue ainsi. Ce qui, à l’adolescence, anime le désir, est un objet de moins en moins saisissable, l’idéal est marqué d’un éclat d’énigme. Cette infinitude de l’objet du désir (que les addictions tentent de fixer) a pour effet que l’adolescent ne trouve plus dans les mots et le discours ordinaires de quoi formuler ce qu’il cherche dans les chemins de son existence. L’invention d’un rapport particulier à une langue qui crée de l’énigme dans le monde, à hauteur de l’incertain de l’objet qui anime son désir, lui permet de se déprendre des idéaux parentaux. Dans la période adolescente, le sujet va tenter de trouver la particularité de son accent de présence au monde et trouver quelque chose à la hauteur de la nouveauté qu’il a dû supporter. Il lui revient alors d’inventer des nouvelles fixations de ses pulsions, chose que l’on peut sans difficulté constater dès que ces fixations sont en échec, en inhibition : errance, « traumatophilie », etc. Nous pouvons enfin ajouter que cette expression mythopoétique n’est pas faite de ce seul mélange entre rupture et innovation. Car si elle sert à doubler l’expérience immédiate du luxe d’une invention de l’inexprimable, invention en laquelle le sujet trouve un abri, le plus souvent à deux, elle est aussi résurgence. Elle se fomente à partir et dans la matérialité de ce que le jeune a de plus intime quant à sa relation au langage. À ce titre, elle peut reprendre les premiers bombardements sonores dont le sujet tente de se faire l’écho. Ce sont ces premières traces et marques qui seront reprises par le nouveau statut des jouissances du corps à l’adolescence. Le langage mythopoétique fait jouer la langue, la manipule, la présente comme un corps traversé par le souffle, la densité, l’erratique. Elle reconstruit un corps de secours à partir des premiers enregistrements sonores au sein desquels est immergée la psyché. Nous proposerions là un schéma très général selon quoi, lorsque le sujet est soumis à une excitation sexuelle que son appareil psychique ne peut cadrer (il s’agit bien d’une véritable explosion sexuelle à l’adolescence), il remodèle son rapport au langage en reprenant à son compte les premiers débordements qu’a connus sa psyché, soit les bombardements d’excitation sonore qui ne sont pas tous liés dans l’inconscient ni refoulés [6]. En conséquence, pour lier ces impressions archaïques, l’adolescent va chercher ce qui, de la vie du langage, s’est perdu lors des opérations de refoulement. Cette recherche semble très nette chez des jeunes issus de la migration, qui vont rechercher ce qui a été mis de côté à la génération précédente, là où les volontés d’intégration par l’assimilation ne sont pas allées sans un escamotage des paroles, des couleurs, des rythmes et des saveurs des parlers d’origine. Souvent l’adolescent va chercher à donner corps à ce que ses parents n’ont pas choisi de prendre en compte comme éléments culturels langagiers dans la construction de leur exil.

8Terminons sur une distinction entre l’adolescence comme âge de la vie et l’adolescence comme travail psychique. Le jeune invente, il bricole, il donne un tremblement plastique à la culture. C’est aussi lors de ces moments que se produit « de l’adolescence » dans les rapports renouvelés du jeune au discours et au semblant. Si nombre de jeunes nous alertent ou nous alarment, la tension propre à l’adolescence n’est pas en soi pathétique ou pathogène, elle peut également être définie comme un moment de résistance plastique aux contraintes contemporaines à l’homogénéisation et à la banalisation marchande de nos existences. Voyageur et traducteur, l’adolescent construit un âge de la vie, fait de ruptures et d’expérimentation, sujet de sa migration, de l’autre parental à l’autre social, de l’infans au pubère. Il peut aussi figurer une modalité de retour du sujet dont le discours courant ne veut rien entendre. En ce sens, le psychanalyste qui œuvre avec la subjectivation adolescente peut s’offrir comme point d’accueil de la création de l’adolescence, entre réponse à l’angoisse et tentative de sublimation, en aidant l’adolescent à se repérer dans un savoir-faire avec les pouvoirs de la parole.

Bibliographie

Bibliographie

  • Baranes J.-J. (2012). Les adolescents au présent. In : Langages et mémoire du corps en psychanalyse. Toulouse : Érès, pp. 135-151.
  • Benyamin M. (2013). Le travail du préconscient à l’épreuve de l’adolescence. Paris : PUF.
  • Drach M. (2008). La musique par-delà le mythe. In : M. Drach, B. Toboul (Éds.), L’anthropologie de Lévi-Strauss et la psychanalyse. D’une structure à l’autre. Paris : La Découverte, pp. 143-176.
  • Freud S. (1896). Lettres à Wilhelm Fliess. Lettre n°52 du 6-12-1896. In : La naissance de la psychanalyse. Paris : PUF, 2009, pp. 153-160.
  • Freud S. (1871-1881). Lettres à Eduard Silberstein. In : Lettres de jeunesse. Paris : Gallimard, 1990, pp. 9-220.
  • Gutton Ph. (1999). Du but de la cure. In : Ph. Gutton (Éds.), Cure en adolescence. Paris : L’Harmattan, pp. 9-20.
  • Koehler W., Guillaume P. (1931). L’intelligence des singes supérieurs. Paris : Félix Alcan.
  • Lévi-Strauss C. (1964). Le Cru et le Cuit. Mythologiques I. Paris : Plon, 2009.
  • Merleau-Ponty M. (1945). Phénoménologie de la perception. Paris : Gallimard.
  • Rassial J.-J. (1999). Le Sujet en état limite. Paris : Denoël.

Mots-clés éditeurs : voix, exil, migration, langage mythopoétique, parole, sonore

Mise en ligne 11/04/2014

https://doi.org/10.3917/ado.087.0101

Notes

  • [1]
    Baranes, 2012, p. 137.
  • [2]
    Gutton, 1999, p. 14.
  • [3]
    Cette définition n’est pas strictement celle de l’anthropologue structuraliste.
  • [4]
    Pour un développement très méthodique de la définition, on pourra se reporter à Marcel Drach, « La musique par-delà le mythe » (Drach, 2008).
  • [5]
    Benyamin, 2013, p. 395.
  • [6]
    On se reportera ici à la Lettre dite « Lettre n°52 » de Freud à Fliess (Freud, 1896).
bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Avec le soutien de

Retrouvez Cairn.info sur

18.97.9.169

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions