Notes
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[1]
Depuis Psychothérapie et adolescence (Paris : PUF, 2000). Je le nommais encore « objet parental de transfert » dans Le pubertaire (Paris : PUF, 1991) et Adolescens (Paris : PUF, 1996).
-
[2]
Utilisé dans de nombreux textes et conférences depuis Laplanche J. (1987). Nouveau fondement de la psychanalyse, la séduction originaire. Paris : PUF et particulièrement examiné in : Laplanche J. (1999). Entre séduction et inspiration : l’homme. Paris : PUF.
-
[3]
Le concept est de J. Laplanche inséré dans le cadre de la séduction originaire [Laplanche J. (1999). Entre séduction et inspiration : l’homme. Op. cit.].
-
[4]
Gutton Ph. (2006). La trace pubertaire. Adolescence. 24 : 787-796 ; Monographie Le savant pubertaire, 2008, pp. 43-52.
-
[5]
Laplanche J. (1999). Entre séduction et inspiration : l’homme. Op. cit.
-
[6]
Gutton Ph. (2013). De la séance. In : R. Cahn, Ph. Gutton, Ph. Robert, S. Tisseron, L’ado et son psy. Nouvelles approches thérapeutiques en psychanalyse. Paris : In Press, pp. 67-146 ; Gutton Ph. (2011). Paradoxes en métamorphose. Adolescence, 29 : 171-189.
-
[7]
La finitude de l’enfance est accomplie par la puberté et son corollaire le pubertaire. Il en reste l’essentiel : l’infantile, la névrose infantile. « La névrose infantile […] est l’élaboration des positions psychotiques archaïques ; ontogénétiquement elle est le fruit des particularités interactionnelles du développement. S’il faut la situer dans le temps, elle est la traduction de la sexualité infantile réorganisée par les positions phalliques et “le formidable investissement du pénis”. » Elle est également « l’avant » de la névrose adolescente. « Elle est en tout cas l’avant de l’éventuelle névrose clinique de l’enfant qui débute avant et pendant la période de latence » [Lebovici S. (1979). L’expérience du psychanalyste chez l’enfant et chez l’adulte devant le modèle de la névrose infantile et de la névrose de transfert. Rapport du XXXIXe Congrès des Psychanalystes de Langue française, Rev. Fr. Psychanal., 1980, 44 (5-6) : 733-857 (pp. 818-819)].
J’ai montré que ce complexe infantile était un ensemble de processus internes et de processus externes (en quelque sorte incarnés par les autres adultes humains), au sein duquel interagissent identification et projection, imitation (incorporation) et défenses paranoïaques constituant « l’infantile élargi ». -
[8]
Sur le modèle de P. Aulagnier (1975). La violence de l’interprétation. Du pictogramme à l’énoncé. Paris : PUF, 1981.
-
[9]
Expression de P. Aulagnier dans La violence de l’interprétation. Ibid.
-
[10]
Aulagnier P. (1984). Telle une « zone sinistrée ». Adolescence, 2 : 9-21.
-
[11]
Ibid., p. 10.
-
[12]
Ibid.
-
[13]
Ibid., p. 11.
-
[14]
Ibid., in : Réponse, p. 90.
-
[15]
L’expression est de E. Kestemberg (1981). Le personnage tiers, sa nature, sa fonction (essai de compréhension métapsychologique). Les Cahiers du Centre de Psychanalyse et Psychothérapie, 3 : 1-155.
-
[16]
Cf. Alléon A.-M., Morvan O., Lebovici S. (1990). Devenir « adulte ». Paris : PUF, pp. 215-220. Commencer sa vie d’adulte. Adolescence, 2000, T. 18, n°2. À propos de « l’adéquation de la névrose de l’adulte et de la névrose infantile » S. Lebovici définit cette dernière comme « le résidu du développement […] lorsque celui-ci se réorganise en même temps que le corps phallicisé donne un sens aux fantasmes concernant la différence des sexes et la différence des générations » [Lebovici S. (1979). L’expérience du psychanalyste chez l’enfant et chez l’adulte devant le modèle de la névrose infantile et de la névrose de transfert. Op. cit., p. 845]
-
[17]
Dans sa post-face à Devenir « adulte ». Op. cit., pp. 215-220 (p. 219).
-
[18]
Gutton Ph. (2009). Pierre Mâle. In : Ph. Givre, A. Tassel (Éds.), Le tourment adolescent. T. 2. Paris : PUF, pp. 175-217.
-
[19]
Le complexe d’Œdipe est une affaire signifiante infantile et à ce titre infiltre le pubertaire (qui en lui-même est une niche sensorielle en quête de significations ai-je dit).
-
[20]
Gutton Ph. (1996). Adolescens. Op. cit.
-
[21]
Lebovici S. (1979). L’expérience du psychanalyste chez l’enfant et chez l’adulte devant le modèle de la névrose infantile et de la névrose de transfert. Op. cit., pp. 79-80.
-
[22]
Rappelons que selon M. Laufer le transfert condenserait le potentiel pathologique de refusement du pubertaire expérimentant « quand même » la possibilité d’y échapper.
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[23]
J’associe sur un vieux débat : « interactions transférentielles » ou « névrose de transfert » chez l’adolescent, débat pour lequel je renvoie à Lebovici S. (1979). L’expérience du psychanalyste chez l’enfant et l’adulte devant le modèle de la névrose infantile et de la névrose de transfert. Op. cit. « La névrose de transfert existe chez l’adolescent » affirme-t-il (p. 800). La névrose infantile est elle-même définie à la fois « comme un moment d’organisation et comme un modèle que reproduira la névrose de transfert » (p. 816) sachant que « la concordance des modèles de la névrose de transfert et de la névrose infantile débouche sur une reconstruction féconde » (p. 848). Notre point de vue aujourd’hui est plutôt centré sur une « construction féconde » à partir du pubertaire dont nous soulignons constamment l’originalité. Cf. Gutton Ph. (2014, sous presse). Interprétations. In : A. Périer (Éds.), Psychothérapies psychanalytiques à l’adolescence. Pratiques et modèles. Paris : Armand Colin pp. 127-162.
-
[24]
Gutton Ph. (2010). Paroles de Séminaire. Adolescence, 28 : 9-26.
-
[25]
À condition qu’ils aient élaboré « leur pubertaire de parents » [Gutton Ph. (1991). Le pubertaire. Op. cit. ; Gutton Ph. (2011). La chambre des amants. La mère, Le père, L’enfant. Paris : Odile Jacob.]. J’y reviens au chapitre suivant.
-
[26]
Je pense également au peintre et à son modèle. Matisse lorsqu’il peint Yvonne Landsberg (1914) et Antoinette (1918) considère que les poses et leurs figurations, les épanouient de façon extraordinaire. Müller K. (2013). Métamorphoses de Matisse. Paris : Barley, pp. 118-126. C’est un thème que j’ai traité dans Gutton Ph. (2014, à paraître). Balthus et les jeunes filles. Paris : EDK.
-
[27]
Mijolla-Mellor S. de (2007). Le séducteur comme passeur. Adolescence, 25 : 431-441,
-
[28]
Disait J.-J. Rousseau à propos d’Émile. « Gouvernement du philosophe » qui toutes contradictions maintenues « ne ferme pas les yeux pour garantir son pouvoir » [Arendt H. (1954). Crise de la culture. Paris : Folio, 1994, pp. 150-151].
-
[29]
Voir les communications avec A. Ehrenberg au colloque « L’adolescent face à la “société du malaise” » organisé par la revue Adolescence, le 3 février 2011 à la Sorbonne, Paris ; retranscrites in : Corps et société. Adolescence, 2009, T. 29, n°3.
-
[30]
Gutton Ph. (2011). Introduction. Adolescence, 29 : 545-551.
-
[31]
Selon l’expression de P. Bourdieu.
-
[32]
Gutton Ph. (2010). Paroles de Séminaire. Op. cit., p. 25.
-
[33]
Rassial J.-J. (1996). Le passage adolescent. Ramonville-Saint-Agne : Érès, 2010.
-
[34]
Lesourd S. (2004). La déconstruction-reconstruction des systèmes référentiels. In : Ph. Gutton, S. Bourcet et al. La naissance pubertaire. L’archaïque génital et son devenir. Paris : Dunod, pp. 99-126 ; Lesourd S. (2005). Traces d’adolescence dans l’histoire. In : La construction adolescente. Toulouse : Érès, pp. 15-24 ; Lesourd S. (2006). Comment taire le sujet ? Des discours aux parlottes, la mutation de la subjectivité. Toulouse : Érès.
-
[35]
Leclaire S., Lévy D. (1974). Le port de Djakarta. In : A. Verdiglione (Éds.), Psychanalyse et politique. Paris : Seuil, pp. 7-13.
-
[36]
Ibid.
-
[37]
Arendt H. (1954). Crise de la culture. Op. cit.
-
[38]
Freud S. (1927). L’avenir d’une illusion. Paris : PUF, 1990.
-
[39]
Laufer M., Laufer E. (1984). Adolescence et rupture du développement. Une perspective psychanalytique. Paris : PUF, 1989.
-
[40]
Lebovici S. (1979). L’expérience du psychanalyste chez l’enfant et l’adulte devant le modèle de la névrose infantile et de la névrose de transfert. Op. cit., p. 849.
-
[41]
Cahn R., Gutton Ph., Robert Ph., Tisseron S. (2013). L’ado et son psy : Nouvelles approches thérapeutiques en psychanalyse. Paris : In Press.
-
[42]
J’oppose régulièrement ce terme à celui d’appartenance.
-
[43]
Révélation du sexe féminin soulignent J. Schaeffer ou S. Lesourd. Schaeffer J. (1998). Le refus du féminin. Paris : PUF ; Lesourd S. (1994). Adolescences… rencontre du féminin. Toulouse : Érès.
-
[44]
Mauvaise appréciation du contemporain par Tony Anatrella.
-
[45]
Je pense au destinataire secret du journal intime. Gutton Ph. (2008). Le Génie adolescent. Paris : Odile Jacob ; Gutton Ph. (2002). Lisible et non lu, l’écriture adolescente ? In : J. -F. Chiantaretto (Éds.), Écriture de soi et narcissisme. Paris : Érès, pp.121-140.
-
[46]
R. Cahn cite à ce propos cette phrase de Cézanne : « réaliser : tout est là ». Cahn R. (1998). La dimension créative dans le processus psychanalytique. In : Créations, psychanalyse. Monographie de la Revue Française de Psychanalyse. Paris : PUF, pp. 93-110.
-
[47]
M. de M’Uzan distingue le public interne qui pour toute l’œuvre (dont l’artiste est saisi) est le destinataire présent « dans » la réalité psychique et le public externe fait des regards anonymes du monde des observateurs [M’Uzan M. de (1977). De l’art à la mort. Paris : Gallimard]. J’en ai fait un examen et un usage approfondi dans Gutton Ph. (2014, à paraître). Balthus et les jeunes filles. Op. cit.
-
[48]
M. de M’Uzan cité par Cahn R. (1998). La dimension créative dans le processus psychanalytique. Op. cit., p. 98.
-
[49]
Gutton Ph. (1997). Le trait, le tracé, l’écart. Adolescence, 15 : 1-18.
-
[50]
Laplanche J. (1999). Entre séduction et inspiration : l’homme. Op. cit.
-
[51]
Cahn R. (1998). La dimension créative dans le processus psychanalytique. Op. cit., p. 98.
-
[52]
Atlan H. (1980). À tort et à raison : intercritique de la science et du mythe. Paris : Seuil, 1986, p. 217.
-
[53]
Green A. (1983). L’idéal : mesure et démesure. Nouvelle Revue de Psychanalyse, 27 : 8-33.
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[54]
Je pense à la distinction bien intéressante de S. Tisseron à propos des jeux vidéo susceptibles de participer aux processus d’adolescence ou de fixer dans la pathologie addictive des « joueurs excessifs » (Fantasmes et réalités du virtuel. Adolescence, 2012, T. 30, n°1).
-
[55]
Marcelli D. (2012). Le règne de la séduction : un pouvoir sans autorité. Paris : Albin Michel.
-
[56]
Aulagnier P. (1975). La violence de l’interprétation. Du pictogramme à l’énoncé. Op. cit.
-
[57]
Cahn R. (1998). L’adolescent dans la psychanalyse. L’aventure de la subjectivation. Paris : PUF.
-
[58]
Bonnefoy Y. (1980). L’improbable. Paris : Gallimard, pp. 319-333.
-
[59]
Ibid., p. 320.
-
[60]
Ibid.
-
[61]
Ibid., p. 323.
-
[62]
Ibid., p. 328.
-
[63]
Le terme « d’arrachement » reflète bien à mon avis la violence de l’interprétation dans le pictogramme pubertaire.
-
[64]
Bonnefoy Y. (1980). L’improbable. Op. cit., p. 329.
-
[65]
Gutton Ph. (2013). De la séance. In : R. Cahn, Ph. Gutton, Ph. Robert, S. Tisseron, L’ado et son psy. Nouvelles approches thérapeutiques en psychanalyse. Op. cit., pp. 67-146.
-
[66]
Le concept de séduction en tant que détournement est par définition ambigu : incitation à la sublimation de l’ordre de l’introjection, l’élaboration et l’identification citée précédemment ou empêchement de ce même processus, de l’ordre de l’incorporation sans élaboration.
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[67]
Gutton Ph. (2014, à paraître). L’adolescence de Lou. Topique.
-
[68]
Gutton Ph. (2006). Adolescence démasquée. Adolescence, 24 : 573-591.
-
[69]
Ainsi la demande en mariage du pasteur Gillot à Lou au bout d’une année de bons et loyaux échanges qui aurait provoqué un épisode tuberculeux et son vagabondage européen.
-
[70]
Et ainsi une capacité à nouer un lien intergénérationnel, sensible à la similitude et à la différence, en toute liberté, égalité disons démocratie [Gutton Ph., Bordet J. (2014, à paraître) Adolescence et démocratie. Paris : In Press].
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[71]
Terme d’A. Green.
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[72]
Lebovici S. (1979). L’expérience du psychanalyste chez l’enfant et l’adulte devant le modèle de la névrose infantile et de la névrose de transfert. Op. cit., p. 849. J’ajouterai deux remarques ouvertes de l’auteur. « Je crois que la névrose infantile se constitue à l’adolescence », « l’adolescence modélise la névrose infantile » (p. 849).
-
[73]
Tel que nous l’avons pensé récemment. Gutton Ph. (2010). Perlaborer dans la cure. Adolescence, 28 : 747-780 ; Gutton Ph. (2013). De la séance. Op. cit. ; Gutton Ph. (2014, sous presse). Interprétations. Op. cit.
-
[74]
Gutton Ph. (2009). Pierre Mâle. Op. cit.
1L’ouverture à l’autre que provoque le pubertaire est possible grâce à une ouverture avec un Autre. Le « Je » ne peut advenir sans « Autre ». Partenaire ou/et tiers ? Petit « a » ou grand « A » ? Sans témoin, cet événement n’aurait pas lieu ; le pubertaire resterait une affaire corporelle, trace qui échoue à être traduite, fantasmée ; inclusion, incorporation, clivée du reste de psychisme (infantile), imposant la sémiologie des attaques du corps (breakdown). Sans Athéna, sans son bouclier, Persée aurait été pétrifié devant la Méduse. Ce grand Autre, je l’ai nommé depuis longtemps « sujet parental de transfert » [1]. Je considère aujourd’hui que cette dénomination est, si ce n’est inexact, assurément de signifiance insuffisante. Plus qualifiant me semble-t-il est ce terme de J. Laplanche « l’autre humain adulte » [2] ; il en permet mieux l’examen.
2Se trouve avec lui définie « la situation anthropologique fondamentale » [3] de l’adolescence. Son modèle originaire est la rencontre entre adulte (mère) et infans : l’une fonctionnant avec un inconscient sexuel et l’autre pas encore. Lors de l’originaire pubertaire [4], cette « dissymétrie structurante » [5] identique est reprise différemment entre adultité et adolescens fonctionnant avec un inconscient sexuel se génitalisant par la biologie.
3Ce texte utilise la distinction [6] qui nous est chère aujourd’hui au sein des processus de création adolescente entre l’infantile « déjà là » (résidu de l’enfance : la névrose infantile) [7] et le pubertaire (niche sensorielle nouvelle). Les deux lignes de force se rencontrent dans ce que j’ai nommé « le pictogramme pubertaire » [8] : l’infantile y « interprète avec violence le pubertaire ». « L’autre humain adulte », du fait qu’il assumerait la complémentarité de ces deux attributs, inspirerait (étayerait) cette procédure fondamentale de la subjectivation ; il serait « un interprète motivé » [9] tel l’artiste, par ce qui commence, s’initie, innove.
Je reprends cette problématique avec le raisonnement par lequel P. Aulagnier [10] décrivait l’adolescence sous forme d’un conflit identificatoire entre les deux composantes du Je : l’identifiant et l’identifié. L’identifiant est le modèle que je nomme « l’autre adulte », insistant sur son pouvoir parental y compris la dimension sociale qu’il représente. L’identifié se situe du côté du désir de l’humain, ici le pubertaire et ses sublimations. Lorsque le conflit oppose et écartèle ces deux composantes c’est-à-dire lorsque l’identifiant exerce « un abus de pouvoir » [11], la potentialité psychotique est forte. « L’adulte humain » serait, du fait justement de sa dualité complémentaire, susceptible de préserver « l’indissociabilité des deux composantes » [12], c’est-à-dire de permettre le « compromis identificatoire », temps historique et d’« historisation » [13].
Voilà cet Autre : le sujet pour l’alliance : « Il assure (l’adolescent) du droit à investir un projet identificatoire qui ne soit pas la simple reprise de celui imposé par le diktat parental » [14]. Il peut être défini comme un identifiant suffisamment bon susceptible de donner des significations innovantes aux mobilisations pubertaires en quête d’identifications.
5Je vais examiner les deux lignes de force de ce « personnage tiers » [15], « identifiant » par l’expérience anthropologique fondamentale qu’il offre ; son adultité a le qualificatif de « l’avoir » (phallique) ; son humanité, celui de « l’être avec ». Sa rencontre, peut-être son exemple, est-elle une occasion quasi nécessaire à la gestion des antinomies de la paradoxalité subjectale adolescente ?
6* * *
7C’est un adulte. L’accent est mis d’emblée sur l’intergénérationnel. La définition en est délicate. J’en retiens deux approches :
81 - Au plan psychanalytique, l’adultité [16] fonctionne selon le modèle freudien de la névrose infantile (deuxième topique) qui l’interprète et qu’il interprète. Son organisation œdipienne, les modèles de la relation d’objet ont construit leur théorie sexuelle infantile phallique (théorie de l’avoir ou de l’emprise : appartenance, hiérarchie…). La référence est l’idéal du moi, messager de l’infantile. L’adultité a grandi en intégrant la paradoxalité adolescente entre l’infantile et le pubertaire. « Son compromis identificatoire » est supposé signé. Entre adolescence et adultité un fond donc de similitude : la génitalité est advenue. Insistons néanmoins sur la dissymétrie des deux réalités psychiques en présence : l’adultité s’est approprié le génital ; l’adolescence est en cours critique de l’appropriation de la métamorphose sexuelle.
9Sa constitution provoque un transfert parental. Si l’adultité se définit selon S. Lebovici [17] par « la capacité de procréation et parentalité » et la « transmission de génération en génération des idéaux conformes à l’évolution de chacun dans sa culture », le transfert parental, dont il est l’objet, est « justifié ». L’adolescent projette implicitement « le roc phallique » de sa névrose infantile, ses dieux de l’enfance sur celui qui n’est pas le parent de l’histoire : « parent sans l’être » disait P. Mâle [18]. Un tel transfert sécurisant et riche en interprétations (au sens pictogrammique) pourrait comporter une dimension antipubertaire, en faveur d’un infantile « seulement » conforme à celui de l’enfance. Or cet adulte inconnu, disons étranger, est capable d’apporter à l’adolescence de la nouveauté, de l’inattendu, de la différence. La relation avec lui, en tant que telle, est source d’identifications au moins d’expériences identitaires neuves. Le transfert parental a tendance à être ouvert à cette nouveauté. Je suis sensible (je l’ai dit plus haut) à cette confrontation mettant en jeu l’écart entre le passé et le possible de l’innovation. Elle est un intermédiaire entre liaison et déliaison (cristallise-t-elle les configurations parentales telles qu’elles sont en cours de remaniement par le fait de l’événement pubertaire de leur enfant, ce que j’ai nommé « le pubertaire des parents » ?). J’insiste sur cette mobilisation qui ne répète pas les représentations du passé mais les construit autrement. L’adolescent peut aspirer à être comme lui. Je dirais plutôt qu’il aurait à ce jour aimé avoir des parents comme lui. Quoi qu’il en soit cet Autre n’est pas une image maternelle ou paternelle projetée, mais une combinaison que l’on peut qualifier de complexe (c’est-à-dire ne pouvant qu’échapper à une explication au sens scientifique du terme). L’organisation œdipienne infantile n’est plus ce qu’elle était avant la puberté [19].
10Ce que j’ai décrit et nommé « névrose adolescente » [20] n’est pas comme S. Lebovici la situe « une reproduction de la névrose infantile obscurcie par la crise du développement » [21] mais une construction fort différente, certes modelée avec cette dernière (ce point mériterait d’être développé). J’ai défini le transfert éventuel à la fois comme résistance subjectale et moteur des processus dont l’inconscient génitalisé a besoin pour se réaliser. Ceci m’a incité à penser que son analyse pouvait être vécue comme une dépendance parentale [22] inquiétante dont il est justement pour l’adolescent question d’échapper : le débat simplement ouvert dépasse le thème du présent texte [23].
112 - Au plan anthropologique, l’adultité témoigne pour l’adolescent de ce que Freud nomma « la névrose universelle » porteuse des idéaux sociétaux. En des termes plus politiques [24], elle représente les pouvoirs phalliques des institutions, des idéologies et des normes sociétales qui forment « l’environnement » de l’adolescence (au sens de D. W. Winnicott, interne-externe). Quel adulte au plan de l’anthropologie sociale ? Au premier chef les parents [25] ; également les grands-parents qui n’auraient pas forcément joué ce rôle avec les parents et susceptibles de le faire dans cette situation ; certains membres de la famille ; souvent des pédagogues, éducateurs, enseignants, directeurs de conscience ; une rencontre au hasard ou par nécessité [26]. Hors de l’intergénérationnel social, des figures intragénérationnelles peuvent assumer cette fonction (fratrie, aînés, amis). Je ne développerai pas ici le thème du groupe des autres avec les particularités d’un transfert groupal. Au fond n’importe quel individu même repéré sur Internet mais pas n’importe qui au plan de la personne. Les conditions pour qu’il soit un personnage tiers doivent pointer (j’y reviens) son originalité identitaire « humaine ».
12Notre Autre ainsi institué serait instituant, un tuteur, « un passeur » [27], « un gouverneur » [28]. Il inspirerait le passage obligé de la subjectalisation à la subjectivation comme je l’ai montré en dialoguant avec A. Ehrenberg [29], trajectoire à interactions permanentes entre l’intime-extime et le social, entre le privé et le public, différence-similitude subjectale face à la hiérarchie-égalité [30].
Cet Autre aurait là un double principe à l’endroit des « systèmes symboliques dominants » [31] (peut-on le qualifier de modérateur ?). Au plan du négatif, il se refuse à toute hégémonie idéale et/ou pulsionnelle (inhérente au roc phallique sociétal), proposant un devoir d’intolérance à l’égard du sectaire (convictions religieuses et savantes). De façon positive, il incite à investir en toute liberté les opinions confrontables. Il cherche à symboliser d’une certaine façon le contrat implicite qui relie les individus au sein de la société selon la place qu’ils y occupent et la fonction qu’ils y assurent. Ce qui caractérise ce lien à tous les niveaux serait un effet de son historicité : nous savons que l’avant engendre l’après, l’anticipe et lui donne une forme où l’adolescent puisera ses repères identificatoires.
Son titre de « simulacre » renvoie assez bien à son statut socio-politique au sens plein de ce terme qu’il a ou qu’il est supposé avoir lorsque l’adolescent le crée là où il se trouve, là où il est prescrit. « Il désigne ce qui serait une certaine conformité (un “comme si”) au titre de la norme reconnue et à reconnaître (l’obligé et le promis) et qui représenterait le partage démocratique avec tous les autres […]. Glissons ainsi (anticipant le chapitre suivant) à l’idéologie de l’altérité sociale, c’est-à-dire au visage humaniste (ce qu’il faut concéder à la norme pour vivre ensemble) et au pacte langagier susceptible d’être conclu entre le sujet et le sujet social, entre le tiers singulier et son lieu dans le collectif » [32].
14J.-J. Rassial [33] et S. Lesourd [34] se sont intéressés à cette capacité de l’adolescent à s’insérer dans le monde, s’y orienter, y trouver la place de son originalité, se loger et se déployer dans l’espace qui lui est réservé par le « discours du lien social dans lequel il s’inscrit » [35], selon les organisations prévues par la civilisation telle qu’elle s’y prend pour initier, cadrer, réguler et normaliser, disais-je subjectiver. Cet imaginaire politique participerait au processus en cours grâce à la fonction paternelle de l’adolescence, de « ce grand Autre ».
15Voilà le travail de notre interprète motivé, entre discours de désirance et discours du maître (ou encore « de bon sens » [36], ou « de sens commun » [37]). Porte-parole d’un discours universel, il autorise et étaye la façon par laquelle l’adolescent accède de façon suffisamment adéquate ou adaptée à la culture contemporaine. L’intérêt des affaires adolescentes et celui d’ailleurs de la société pourraient ainsi se conforter l’un l’autre. Le terme d’assujettissement (utilisé par les anthropologues) comprenant les deux lignes de force de l’aliénation et de l’inspiration reflète précisément à mon avis la mission de cet Adulte particulier : favoriser une intégration qui n’efface pas l’originalité, autoriser sans réprimer.
16Dans ce chapitre est donc esquissé un aspect du personnage tiers dans le face à face de l’adolescence avec l’illusion freudienne [38] : surmoi-idéal du moi personnel et collectif (« morale civilisée ») dans des situations diverses telles que la famille, l’école (compétence, compétitivité dans le savoir)… également la séance de psychothérapie. Ses positions souples à l’endroit des emprises en jeu et des réactions de l’adolescent (soumission, révolte et aménagements) peuvent être pensées comme le cadre externe dans et avec lequel la créativité subjectale peut déployer son originalité et son propre idéal : « que me veulent les autres ? », « qu’est-ce que je leur veux ? » forment les référentiels au sein desquels « le qui suis-je ? » peut être posé. Je pense à ces phrases a posteriori bien connues : « J’ai été bien dirigé pendant mon adolescence par…, son avis a compté pour moi, même si je ne l’ai pas toujours suivi », « lorsque je l’ai rencontré, mon errance a connu un vrai virage ; j’ai trouvé ma voie ». Oui, ce tiers a de l’autorité dans le sens étymologique où il crée de l’auteur (adolescent) lors même que (et parce que) son adultité personnelle modère de façon suffisamment bonne le pouvoir phallique. Ce gestionnaire du cadre autoriserait l’évitement du breakdown [39] entre le Charybde de l’impasse de la subjectalisation et le Scylla du « ban de la civilisation ». « Le hic et nunc ne doit pas être le prétexte pour oublier l’histoire qui l’a fait » [40] et l’histoire qui se fera.
17* * *
18Le concept d’humanité se dit en lien intersubjectal [41] incluant à la fois un désir et une éthique de l’altérité : entre deux vivants, création entre deux présents, communication entre inconscients (avec fantasmes à l’appui, pourquoi pas ?), rencontre avec une transmission (mieux inter-transmission) de messages, investissement réciproque de l’autre et de « l’être pour l’autre » (sans problématique de « l’avoir »), curiosité, tendresse disons amitié… La sublimation pubertaire, mieux la co-sublimation est le maître processus de ces liens (excluant la satisfaction sexuelle, se tenant à l’écart de la conflictualisation) plutôt que le refoulement. « Ce sujet me veut ce que je suis c’est-à-dire un sujet ». La participation [42] est intime-extime entre l’attente interne de l’adolescent et cet être de chair qu’est le personnage tiers (avec sa parole et son corps) : incarnation symbolique et symbolisante du pictogramme pubertaire. Leur lien est-il exclusivement d’ordre identificatoire ? Pas seulement, pensons au travail de l’identification projective. La « communauté intergénérationnelle de confiance » qui s’établit, assimile la dissymétrie des réalités psychiques en présence, précédemment décrites sous l’angle de l’appropriation du génital ; elle témoigne que l’introjection ou l’intégration de la génitalité pubertaire [43] est simplement possible, que le roc phallique (sa catégorie du « genre ») peut être décentré, bref que la révolution copernicienne de l’adolescence peut avoir lieu.
19Notre interprète de l’adolescence a une double motivation qui formule bien, à mon avis, la réponse à cette attente et en fait une intersubjectalisation.
201 - Bien entendu d’abord, une déconstruction de ce que j’ai nommé précédemment l’adultité (tant de l’emprise narcissico-pulsionnelle que de l’idéal surmoïque), une levée ou une faille du refoulement au bénéfice d’une activité sublimatoire. Philosophiquement, disons un certain renoncement au système de pouvoir-savoir, une échappée à la loi du patriarche, dont il veut interroger électivement les excès désavouants. Il ne nie pas pour autant (comme beaucoup) son adultité au bénéfice d’une sorte d’« adolescentisme » [44], « jeunisme » ou « adoluscence » avec alors une confusion des générations. Entre adultité et humanité doit être pensée une conjugaison (porteuse de contradictions), une mesure entre contenance et contenu sachant que la démesure du cadre peut étouffer ce qu’elle limite.
212 - Surtout une construction participative (co-construction). C’est d’ailleurs du fait de sa motivation à créer de l’intersubjectalité qu’il fut par l’adolescent choisi parmi plus d’un autre. Reprenant « l’image de la bouteille à la mer » que J. Laplanche propose concernant l’abord de l’altérité, je dirai que jetée par l’adolescent [45], cet autre humain en ouvre le message. Il en reconnaît la qualité, en prend-t-il connaissance ? Il se positionne comme destinataire. Inspiré par l’entrée en scène nouvelle, « impromptue » de la génitalité et des processus de sublimation qui s’en trouvent produits, l’adolescent demande que son adolescence « se réalise » [46]. « Encore enfant », inféodé à la deuxième topique de sa névrose infantile, soumis à l’automatisme de répétition de la relation d’objet, il veut penser maintenant sa vie en termes d’écart, triangulaire, décalage, distanciation, illusion au sens dérivé de « ludere, jouer », bref de création. Le vécu scénique fantasmatique et réel, jusqu’alors auto-érotique en catharsis œdipienne, peut-il se transformer en scènes adolescentes (que j’ai régulièrement comparées au psychodrame… dont il serait le meneur de jeu) au sein desquelles notre personnage tiers n’est pas figuré, restant « off », comme une diastase peut l’être lors d’une opération catabolique ou anabolique.
22Ce destinataire incarnerait par le lien qu’il entretient avec l’adolescent ce que M. de M’Uzan nomme (dans la création artistique… et dans la vie) « le public interne » [47]. Par lui, ce qui était rumination se trouve exposé, représenté ; non plus répétition mais remémorisation avec son élaboration. « L’éminente fonction de métamorphose qu’il incarne, provoque une expérience en soi indicible à partir d’une autre expérience, également indicible » [48], ainsi de suite. Ce personnage d’une curiosité bienveillante tout regard et écoute, mobilise, invente, transcrit, bref co-sublime. Le public interne crée l’auteur du beau sujet et objet. En termes d’idéalité adolescente « puis-je devenir ce que je suis ? », « puis-je être dans une créativité subjectale suffisamment belle ? ». Le référent esthétique (qui se rapproche du « suffisamment bon » winnicottien) n’est-il pas, depuis le Banquet de Platon l’idée suprême, au plus haut degré de l’échelle des valeurs, conduisant à la vérité ? J’ai depuis longtemps trouvé bien des avantages au rapprochement entre les créations adolescente et artistique [49]. J’insiste à nouveau sur cette véritable révolution copernicienne qui fait que l’adolescence a cette « originalité délicate de devoir » faire vivre ensemble le bien et le beau, le surmoi-idéal du moi et l’acte créateur. Notre grand Interprète donne avec toute sa souplesse une limite suffisamment bonne entre ces deux formants : comme adulte celui du bien, comme humain celui du beau. Le chemin de crête de sa bonne et belle relation avec l’adolescent anime alors le flambeau de l’art de faire son adolescence.
23Allons plus profondément dans l’histoire qui a convoqué cette participation interhumaine. Peut-être y trouverait-elle son dynamisme ? La démarche est inspirée par ce résumé de J. Laplanche [50], « L’autre humain adulte véhicule d’autres énigmes que l’on dit premières… celles des origines ». L’humanité y puiserait sa source et son dynamisme de vivant. La créativité première que décrit D. W. Winnicott, lien archaïque mère-bébé, serait impliquée, vécue (retrouvée autrement ?) dans l’archaïque pubertaire et son exigence innovante grâce à ce grand Interprète. Si « le bébé sans la mère ça n’existe pas », il en serait de même concernant l’adolescent sans lui. La situation anthropologique fondamentale pubertaire renverrait-elle implicitement à cette première, dite du premier âge avec l’objet-source maternel, primo-originaire ? L’autre adulte humain de l’adolescence serait-il en résonance avec l’autre adulte originaire… celui de la fonction paternelle ? La quête des origines est si essentielle dans les interrogations adolescentes. N’en disons pas plus dans ce texte.
24* * *
25R. Cahn [51] ouvre son chapitre sur la création subjectale par une citation de H. Atlan [52] évoquant l’obligation (j’ajouterai la paradoxe) « à aller sans cesse entre sacrifier la rigueur à la richesse et la richesse à la rigueur » ; participation et appartenance, intersubjectalité et emprise. La problématique peut se formuler en retenant le titre d’un célèbre article d’A. Green : « Mesure et démesure » [53]. Je dirai créativité (intégrant bien des emprises) et excès d’emprise [54]. L’adulte humain éduque et n’éduque pas, enseigne et n’enseigne pas, n’impose pas ses convictions, tient un discours de patriarche et ne l’est pas. Son concept n’est pas celui du pouvoir qu’il ne veut pas. Son concept d’élu serait, je l’ai souligné plus haut, celui du pouvoir de l’autorité. Il n’interdit pas, il autorise le vivant ; utilisant la distinction récente de D. Marcelli [55], pas de soumission destructive au pouvoir, mais une obéissance créatrice à l’autorité.
26L’interprétation est violente titre P. Aulagnier [56], oui le lien à l’Interprète comporte une violence sous-jacente (résumant trop le propos), je dis aussi une emprise sous-jacente. Se subjectiver est une affaire forte, héroïque même. Je compare la situation à « l’expérience de l’étranger » (au sens freudien) avec l’angoisse qui l’accompagne dont R. Cahn fait le fondement de la subjectivation [57] ; elle confronte l’identique et l’évocation de son image consciente de soi (éventuellement lourde d’alexithymie) à une image idéalisable inconsciente et cherche le compromis identificatoire à signer. Comment « se familiarise » cet étranger ?
Je lisais récemment le petit texte d’Y. Bonnefoy ayant pour titre « L’étranger de Giacometti » [58], « L’improbable c’est-à-dire ce qui est » [59] est si intense qu’il se vit comme « dénué » comme « accablé », « aveuglé » (acte pur d’exister) devant la montagne étrangère de « l’enfance avec ses plénitudes et certitudes » [60]. « L’étranger se tient immobile sur le seuil » [61] et dit « de façon irréfutable », « tu n’es pas ce que tu vois, ce que tu saisis, ce que tu es ». Or celui-là même qui pourrait perpétuellement terrifier (les pathologies du breakdown en témoignent), « spectre » qui nous guette, se dissipe pour participer lui-même à notre unité » : « il suffit d’aimer » [62]. Il est cet inconnu à partir duquel la création (adolescente) « arrache » [63] à un univers trop suffisant, trop immobile, trop adhésif (… normes surmoïques « aux assauts inouïs ») s’autorisant la liberté créatrice subjectale « ce grand art où il (Giacometti) ne voyait jusqu’alors que l’impuissance et l’échec » [64].
28Le risque de la présence insistante et familière ne doit pas être sous-estimé. Je le situerai lorsque ce lien porte non plus sur la rencontre processuelle entre l’adolescence et l’adultité mais entre les personnes de l’adolescent et cet autre. En formulant les choses ainsi, je reprends, ce que j’ai cherché à montrer à propos de la cure des adolescents [65]. La fécondité de cette dernière est l’effet du « transfert sur la séance » (co-transfert d’ailleurs) ; le risque de rupture du lien ou de violence surgit lors de l’excès d’un transfert personnel (surtout lorsqu’il est interprété). Aux essais échangés de liens se substitue alors la problématique de la personne dont automatiquement l’adolescent se méfie. Il était metteur en scène, le voilà acteur. Il portait certains idéaux, il devient idole. Rappelons que l’invocation ordalique d’une puissance tierce fait partie des conduites à risque de l’adolescence. La relation d’emprise en démesure détruit la qualité créative des liens. On parle non plus d’autorité activante mais de pouvoir passivant. De la co-sublimation, on passe au régime de la perversion. J’y repère deux séméiologies où se conjugent régulièrement les termes de séduction (au sens de détournement des chemins du pubertaire) [66] et de dépendance (processus fondamental du breakdown lauférien). L’emprise narcissique phallique, la « perversion narcissique » pourrait-on dire, devient le fait du prince (que comprend l’image parentale). Le grand Interprète « habite » l’adolescent comme éducateur, pédagogue, maître à penser, prêtre dans une mission évangélique, « Homme dieu » disait Lou Andréas Salomé à propos du pasteur Gillot avec qui elle se lia pour faire son adolescence [67]. La créativité adolescente peut être interprétée comme transgression des idéaux narcissiques de cet adulte. Selon un second scénario, la rencontre s’infiltre (incorporation) d’emprise génitale phallique, éventuellement de part et d’autre fantasmée et/ou agie. Elle peut être de l’ordre de la perversion sexuelle [68] : sous une forme violente ou d’apparence amoureuse [69], celle d’une pédagogie érotique, de séquences d’exhibitionnisme-voyeurisme dans lequel l’autre a place de tiers primaire sur le modèle de J. McDougall.
29* * *
30M’approchant d’une conclusion, je reviens sur la paradoxalité assumée de cet Autre qui en fait son originalité et ici l’inspiration qu’il provoque à s’approprier les processus d’adolescence. Non seulement, il est capable de vivre en confiance selon deux valeurs, celle de l’adultité et celle de l’humanité (esthétique), de la créativité, « sans enclave » de la seconde, mais encore croit-il en la pertinence heureuse de leur paradoxalité et estime le commencement adolescent [70]. Il y croit, parce qu’il est encore porteur de l’« originalité juvénile » (M. Debesse) en tant que « réserves de l’incréable » [71]. Au fond, la créativité idéale, d’adolescence est pour lui un idéal d’humanité avec sa mesure, qui n’enlève pas de précieux moments de démesure. Je me rapproche de S. Lebovici lorsqu’il écrit que « l’adolescence est aussi un modèle » [72]. Le « aussi » renvoie à sa crainte que le lecteur « oublie » qu’elle est d’abord pour lui une période de développement. Mais j’insiste plus que lui sur le fait que non seulement l’organisation de cette période est originale, du fait de ses valeurs esthétiques prévalentes mais que cette originalité peut être (ou demeurer) un modèle de fonctionnement, en particulier chez notre personnage tiers. Peut-être, cette originalité est-elle de façon paradigmatique celle du vivant, celle de la créativité à tous âges mais réservée à quelques-uns (… aux artistes dit M. de M’Uzan) ?
31Last but not least. Le psychanalyste d’adolescence est-il ou doit-il être « un autre humain adulte pour l’adolescent » [73] ? Je répondrai oui mais pas seulement. Je pense de fait que le lien ici décrit reflète bien ce qui constitue le cadre externe (correspondant à mon premier chapitre) et interne (à mon second) ; travail d’alliance, se défaisant autant que faire et dire se peut de l’emprise, autorisant que quelque chose d’intime se passe. P. Mâle [74] et bien d’autres insistaient régulièrement sur le fait que le psychanalyste d’adolescent travaille « avec sa personnalité » avec une « liberté de parole hors du pouvoir parental » (je reprends ses termes) sans préciser davantage. Encore faut-il que la co-construction mise en place ait un objectif : l’appropriation du génital. L’analyste ne saurait être dupe de la seule qualité établie de la séance, il doit s’approcher du pubertaire enfoui par les forces infantiles du refusement. À cette condition élaborative (et avec les résistances qu’elle suscite), l’alliance peut se faire thérapeutique.
Mots-clés éditeurs : humanité, adultité, morale civilisée, infantile, esthétique, breakdown, idéal d'adolescence, pubertaire
Mise en ligne 06/01/2014
https://doi.org/10.3917/ado.086.0949Notes
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[1]
Depuis Psychothérapie et adolescence (Paris : PUF, 2000). Je le nommais encore « objet parental de transfert » dans Le pubertaire (Paris : PUF, 1991) et Adolescens (Paris : PUF, 1996).
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[2]
Utilisé dans de nombreux textes et conférences depuis Laplanche J. (1987). Nouveau fondement de la psychanalyse, la séduction originaire. Paris : PUF et particulièrement examiné in : Laplanche J. (1999). Entre séduction et inspiration : l’homme. Paris : PUF.
-
[3]
Le concept est de J. Laplanche inséré dans le cadre de la séduction originaire [Laplanche J. (1999). Entre séduction et inspiration : l’homme. Op. cit.].
-
[4]
Gutton Ph. (2006). La trace pubertaire. Adolescence. 24 : 787-796 ; Monographie Le savant pubertaire, 2008, pp. 43-52.
-
[5]
Laplanche J. (1999). Entre séduction et inspiration : l’homme. Op. cit.
-
[6]
Gutton Ph. (2013). De la séance. In : R. Cahn, Ph. Gutton, Ph. Robert, S. Tisseron, L’ado et son psy. Nouvelles approches thérapeutiques en psychanalyse. Paris : In Press, pp. 67-146 ; Gutton Ph. (2011). Paradoxes en métamorphose. Adolescence, 29 : 171-189.
-
[7]
La finitude de l’enfance est accomplie par la puberté et son corollaire le pubertaire. Il en reste l’essentiel : l’infantile, la névrose infantile. « La névrose infantile […] est l’élaboration des positions psychotiques archaïques ; ontogénétiquement elle est le fruit des particularités interactionnelles du développement. S’il faut la situer dans le temps, elle est la traduction de la sexualité infantile réorganisée par les positions phalliques et “le formidable investissement du pénis”. » Elle est également « l’avant » de la névrose adolescente. « Elle est en tout cas l’avant de l’éventuelle névrose clinique de l’enfant qui débute avant et pendant la période de latence » [Lebovici S. (1979). L’expérience du psychanalyste chez l’enfant et chez l’adulte devant le modèle de la névrose infantile et de la névrose de transfert. Rapport du XXXIXe Congrès des Psychanalystes de Langue française, Rev. Fr. Psychanal., 1980, 44 (5-6) : 733-857 (pp. 818-819)].
J’ai montré que ce complexe infantile était un ensemble de processus internes et de processus externes (en quelque sorte incarnés par les autres adultes humains), au sein duquel interagissent identification et projection, imitation (incorporation) et défenses paranoïaques constituant « l’infantile élargi ». -
[8]
Sur le modèle de P. Aulagnier (1975). La violence de l’interprétation. Du pictogramme à l’énoncé. Paris : PUF, 1981.
-
[9]
Expression de P. Aulagnier dans La violence de l’interprétation. Ibid.
-
[10]
Aulagnier P. (1984). Telle une « zone sinistrée ». Adolescence, 2 : 9-21.
-
[11]
Ibid., p. 10.
-
[12]
Ibid.
-
[13]
Ibid., p. 11.
-
[14]
Ibid., in : Réponse, p. 90.
-
[15]
L’expression est de E. Kestemberg (1981). Le personnage tiers, sa nature, sa fonction (essai de compréhension métapsychologique). Les Cahiers du Centre de Psychanalyse et Psychothérapie, 3 : 1-155.
-
[16]
Cf. Alléon A.-M., Morvan O., Lebovici S. (1990). Devenir « adulte ». Paris : PUF, pp. 215-220. Commencer sa vie d’adulte. Adolescence, 2000, T. 18, n°2. À propos de « l’adéquation de la névrose de l’adulte et de la névrose infantile » S. Lebovici définit cette dernière comme « le résidu du développement […] lorsque celui-ci se réorganise en même temps que le corps phallicisé donne un sens aux fantasmes concernant la différence des sexes et la différence des générations » [Lebovici S. (1979). L’expérience du psychanalyste chez l’enfant et chez l’adulte devant le modèle de la névrose infantile et de la névrose de transfert. Op. cit., p. 845]
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[17]
Dans sa post-face à Devenir « adulte ». Op. cit., pp. 215-220 (p. 219).
-
[18]
Gutton Ph. (2009). Pierre Mâle. In : Ph. Givre, A. Tassel (Éds.), Le tourment adolescent. T. 2. Paris : PUF, pp. 175-217.
-
[19]
Le complexe d’Œdipe est une affaire signifiante infantile et à ce titre infiltre le pubertaire (qui en lui-même est une niche sensorielle en quête de significations ai-je dit).
-
[20]
Gutton Ph. (1996). Adolescens. Op. cit.
-
[21]
Lebovici S. (1979). L’expérience du psychanalyste chez l’enfant et chez l’adulte devant le modèle de la névrose infantile et de la névrose de transfert. Op. cit., pp. 79-80.
-
[22]
Rappelons que selon M. Laufer le transfert condenserait le potentiel pathologique de refusement du pubertaire expérimentant « quand même » la possibilité d’y échapper.
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[23]
J’associe sur un vieux débat : « interactions transférentielles » ou « névrose de transfert » chez l’adolescent, débat pour lequel je renvoie à Lebovici S. (1979). L’expérience du psychanalyste chez l’enfant et l’adulte devant le modèle de la névrose infantile et de la névrose de transfert. Op. cit. « La névrose de transfert existe chez l’adolescent » affirme-t-il (p. 800). La névrose infantile est elle-même définie à la fois « comme un moment d’organisation et comme un modèle que reproduira la névrose de transfert » (p. 816) sachant que « la concordance des modèles de la névrose de transfert et de la névrose infantile débouche sur une reconstruction féconde » (p. 848). Notre point de vue aujourd’hui est plutôt centré sur une « construction féconde » à partir du pubertaire dont nous soulignons constamment l’originalité. Cf. Gutton Ph. (2014, sous presse). Interprétations. In : A. Périer (Éds.), Psychothérapies psychanalytiques à l’adolescence. Pratiques et modèles. Paris : Armand Colin pp. 127-162.
-
[24]
Gutton Ph. (2010). Paroles de Séminaire. Adolescence, 28 : 9-26.
-
[25]
À condition qu’ils aient élaboré « leur pubertaire de parents » [Gutton Ph. (1991). Le pubertaire. Op. cit. ; Gutton Ph. (2011). La chambre des amants. La mère, Le père, L’enfant. Paris : Odile Jacob.]. J’y reviens au chapitre suivant.
-
[26]
Je pense également au peintre et à son modèle. Matisse lorsqu’il peint Yvonne Landsberg (1914) et Antoinette (1918) considère que les poses et leurs figurations, les épanouient de façon extraordinaire. Müller K. (2013). Métamorphoses de Matisse. Paris : Barley, pp. 118-126. C’est un thème que j’ai traité dans Gutton Ph. (2014, à paraître). Balthus et les jeunes filles. Paris : EDK.
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[27]
Mijolla-Mellor S. de (2007). Le séducteur comme passeur. Adolescence, 25 : 431-441,
-
[28]
Disait J.-J. Rousseau à propos d’Émile. « Gouvernement du philosophe » qui toutes contradictions maintenues « ne ferme pas les yeux pour garantir son pouvoir » [Arendt H. (1954). Crise de la culture. Paris : Folio, 1994, pp. 150-151].
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[29]
Voir les communications avec A. Ehrenberg au colloque « L’adolescent face à la “société du malaise” » organisé par la revue Adolescence, le 3 février 2011 à la Sorbonne, Paris ; retranscrites in : Corps et société. Adolescence, 2009, T. 29, n°3.
-
[30]
Gutton Ph. (2011). Introduction. Adolescence, 29 : 545-551.
-
[31]
Selon l’expression de P. Bourdieu.
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[32]
Gutton Ph. (2010). Paroles de Séminaire. Op. cit., p. 25.
-
[33]
Rassial J.-J. (1996). Le passage adolescent. Ramonville-Saint-Agne : Érès, 2010.
-
[34]
Lesourd S. (2004). La déconstruction-reconstruction des systèmes référentiels. In : Ph. Gutton, S. Bourcet et al. La naissance pubertaire. L’archaïque génital et son devenir. Paris : Dunod, pp. 99-126 ; Lesourd S. (2005). Traces d’adolescence dans l’histoire. In : La construction adolescente. Toulouse : Érès, pp. 15-24 ; Lesourd S. (2006). Comment taire le sujet ? Des discours aux parlottes, la mutation de la subjectivité. Toulouse : Érès.
-
[35]
Leclaire S., Lévy D. (1974). Le port de Djakarta. In : A. Verdiglione (Éds.), Psychanalyse et politique. Paris : Seuil, pp. 7-13.
-
[36]
Ibid.
-
[37]
Arendt H. (1954). Crise de la culture. Op. cit.
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[38]
Freud S. (1927). L’avenir d’une illusion. Paris : PUF, 1990.
-
[39]
Laufer M., Laufer E. (1984). Adolescence et rupture du développement. Une perspective psychanalytique. Paris : PUF, 1989.
-
[40]
Lebovici S. (1979). L’expérience du psychanalyste chez l’enfant et l’adulte devant le modèle de la névrose infantile et de la névrose de transfert. Op. cit., p. 849.
-
[41]
Cahn R., Gutton Ph., Robert Ph., Tisseron S. (2013). L’ado et son psy : Nouvelles approches thérapeutiques en psychanalyse. Paris : In Press.
-
[42]
J’oppose régulièrement ce terme à celui d’appartenance.
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[43]
Révélation du sexe féminin soulignent J. Schaeffer ou S. Lesourd. Schaeffer J. (1998). Le refus du féminin. Paris : PUF ; Lesourd S. (1994). Adolescences… rencontre du féminin. Toulouse : Érès.
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[44]
Mauvaise appréciation du contemporain par Tony Anatrella.
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[45]
Je pense au destinataire secret du journal intime. Gutton Ph. (2008). Le Génie adolescent. Paris : Odile Jacob ; Gutton Ph. (2002). Lisible et non lu, l’écriture adolescente ? In : J. -F. Chiantaretto (Éds.), Écriture de soi et narcissisme. Paris : Érès, pp.121-140.
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[46]
R. Cahn cite à ce propos cette phrase de Cézanne : « réaliser : tout est là ». Cahn R. (1998). La dimension créative dans le processus psychanalytique. In : Créations, psychanalyse. Monographie de la Revue Française de Psychanalyse. Paris : PUF, pp. 93-110.
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[47]
M. de M’Uzan distingue le public interne qui pour toute l’œuvre (dont l’artiste est saisi) est le destinataire présent « dans » la réalité psychique et le public externe fait des regards anonymes du monde des observateurs [M’Uzan M. de (1977). De l’art à la mort. Paris : Gallimard]. J’en ai fait un examen et un usage approfondi dans Gutton Ph. (2014, à paraître). Balthus et les jeunes filles. Op. cit.
-
[48]
M. de M’Uzan cité par Cahn R. (1998). La dimension créative dans le processus psychanalytique. Op. cit., p. 98.
-
[49]
Gutton Ph. (1997). Le trait, le tracé, l’écart. Adolescence, 15 : 1-18.
-
[50]
Laplanche J. (1999). Entre séduction et inspiration : l’homme. Op. cit.
-
[51]
Cahn R. (1998). La dimension créative dans le processus psychanalytique. Op. cit., p. 98.
-
[52]
Atlan H. (1980). À tort et à raison : intercritique de la science et du mythe. Paris : Seuil, 1986, p. 217.
-
[53]
Green A. (1983). L’idéal : mesure et démesure. Nouvelle Revue de Psychanalyse, 27 : 8-33.
-
[54]
Je pense à la distinction bien intéressante de S. Tisseron à propos des jeux vidéo susceptibles de participer aux processus d’adolescence ou de fixer dans la pathologie addictive des « joueurs excessifs » (Fantasmes et réalités du virtuel. Adolescence, 2012, T. 30, n°1).
-
[55]
Marcelli D. (2012). Le règne de la séduction : un pouvoir sans autorité. Paris : Albin Michel.
-
[56]
Aulagnier P. (1975). La violence de l’interprétation. Du pictogramme à l’énoncé. Op. cit.
-
[57]
Cahn R. (1998). L’adolescent dans la psychanalyse. L’aventure de la subjectivation. Paris : PUF.
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[58]
Bonnefoy Y. (1980). L’improbable. Paris : Gallimard, pp. 319-333.
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[59]
Ibid., p. 320.
-
[60]
Ibid.
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[61]
Ibid., p. 323.
-
[62]
Ibid., p. 328.
-
[63]
Le terme « d’arrachement » reflète bien à mon avis la violence de l’interprétation dans le pictogramme pubertaire.
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[64]
Bonnefoy Y. (1980). L’improbable. Op. cit., p. 329.
-
[65]
Gutton Ph. (2013). De la séance. In : R. Cahn, Ph. Gutton, Ph. Robert, S. Tisseron, L’ado et son psy. Nouvelles approches thérapeutiques en psychanalyse. Op. cit., pp. 67-146.
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[66]
Le concept de séduction en tant que détournement est par définition ambigu : incitation à la sublimation de l’ordre de l’introjection, l’élaboration et l’identification citée précédemment ou empêchement de ce même processus, de l’ordre de l’incorporation sans élaboration.
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[67]
Gutton Ph. (2014, à paraître). L’adolescence de Lou. Topique.
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[68]
Gutton Ph. (2006). Adolescence démasquée. Adolescence, 24 : 573-591.
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[69]
Ainsi la demande en mariage du pasteur Gillot à Lou au bout d’une année de bons et loyaux échanges qui aurait provoqué un épisode tuberculeux et son vagabondage européen.
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[70]
Et ainsi une capacité à nouer un lien intergénérationnel, sensible à la similitude et à la différence, en toute liberté, égalité disons démocratie [Gutton Ph., Bordet J. (2014, à paraître) Adolescence et démocratie. Paris : In Press].
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[71]
Terme d’A. Green.
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[72]
Lebovici S. (1979). L’expérience du psychanalyste chez l’enfant et l’adulte devant le modèle de la névrose infantile et de la névrose de transfert. Op. cit., p. 849. J’ajouterai deux remarques ouvertes de l’auteur. « Je crois que la névrose infantile se constitue à l’adolescence », « l’adolescence modélise la névrose infantile » (p. 849).
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[73]
Tel que nous l’avons pensé récemment. Gutton Ph. (2010). Perlaborer dans la cure. Adolescence, 28 : 747-780 ; Gutton Ph. (2013). De la séance. Op. cit. ; Gutton Ph. (2014, sous presse). Interprétations. Op. cit.
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[74]
Gutton Ph. (2009). Pierre Mâle. Op. cit.