Couverture de ADO_080

Article de revue

Escale Ado, une vraie-fausse maison des adolescents

Pages 433 à 446

Notes

  • [1]
    Bellet M. (1989). L’écoute. Paris : Desclée de Brouwer, p. 14.
  • [2]
    Racamier, 2001, p. 49.
  • [3]
    Le centre de psychanalyse Henri Danon-Boileau a vu le jour dans le courant de l’année 2011 au sein de la Clinique, complétant ainsi l’offre de soins du Relais.
  • [4]
    Depuis 1995, le CMP pour adolescents de Sceaux a grandi lui aussi, et s’est donné un nom propre : l’Odyssée.
  • [5]
    Jeammet, 1980, p. 503.
  • [6]
    Donnet, 1983, p. 48.
  • [7]
    Donnet, 1983, pp. 48-49.
  • [8]
    Renard et Péricone, 1999, p. 2.
  • [9]
    Racamier, 2001, p. 47.
  • [10]
    Braconnier, 1992, p. 607.
  • [11]
    Parfois, l’évaluation au Relais est sollicitée par un partenaire psychologue ou psychiatre, avec sous-jacente la demande de la pertinence d’un soin institutionnel.
  • [12]
    Botbol, Papanicolaou, Balkan, 2000, p. 103.
  • [13]
    Dorgelès R. (1926). Partir…, Paris : Albin Michel, p. 25.
  • [14]
    Décret n° 86-602 du 14 mars 1986 relatif à la lutte contre les maladies mentales et à l’organisation de la sectorisation psychiatrique. Journal officiel de la République Française, le 19 mars 1986, Ministère des affaires sociales et de la solidarité nationale, 7393-SP 5 533 : 4612-4613.
  • [15]
    Souffir et al., 1996, p. 443.
  • [16]
    Souffir et al., p. 445.
  • [17]
    Souffir et al., p. 454.
« S’il fallait donner une figure sociale à l’écoute, la meilleure serait sans doute du côté de cette pratique ancienne, perdue voire imprévisible en ce monde : l’hospitalité. [...] L’hôte ne demande rien à celui qu’il reçoit [...]. L’hospitalité est discrète. Elle se borne à donner au voyageur de quoi subsister en la halte nécessaire. »
Maurice Bellet [1]

1L’Escale Ado, avec son pôle évaluatif au Relais et son pôle thérapeutique au CATTP, a vu le jour en 2010. Ce centre bicéphale se ramifie à l’intérieur de la Clinique Dupré à Sceaux, avec des ponts lancés vers le centre de psychanalyse, la scolarité et le service de la Transversalité. À l’extérieur, le secteur s’impose comme un partenaire privilégié, les établissements scolaires des environs sont en lien direct.

2« L’enveloppe n’est pas qu’un sac : elle est une chair ; à cette condition seulement elle est habitable » [2]. L’Escale Ado a pour enveloppe une belle maison en briques rouges. L’entrée principale s’ouvre sur un vaste salon où cohabitent le secrétariat et un « coin fauteuils » pour les patients. Il fut un temps où un grand escalier en bois donnait accès à des espaces plus intimes, les bureaux, où adolescents et parents pouvaient être écoutés. Cet escalier grinçant a été transformé pour un autre moins charmant, mais qui a permis de dégager les combles et la cave. Plus de bureaux et donc d’espaces d’écoute, de vastes salles pour recevoir des groupes, et la cave maintenant aménagée en lieu personnel des adolescents, comme lorsqu’ils se retrouvent entre copains, mais là de manière plus contenue : le CATTP.

3Après l’enveloppe, la chair… Revenons d’abord sur l’origine et les objectifs évaluatif et thérapeutique de cette strucutre, pour ensuite présenter plus précisément les spécificités du Relais et du CATTP avec, en guise d’illustration à ces différentes facettes de l’Escale Ado, les parcours singuliers de deux adolescents, Julien et Mehdi.

La naissance de l’escale Ado

4À l’origine, le Relais comme le CATTP sont deux unités distinctes de la Clinique Dupré. La première, lieu de consultations ouvert sur l’extérieur, a pour mission l’accueil des jeunes de quatorze à vingt-cinq ans, sans rendez-vous et quel que soit leur secteur, dans un but d’évaluation et d’orientation [3]. La seconde, inscrite en réseau avec les associations et structures locales, propose des activités thérapeutiques en fin de journée, son projet étant d’offrir un soin institutionnel compatible avec le maintien d’une scolarité externe à la Clinique. La « transversalité » offre des activités thérapeutiques autour des questions d’orientation professionnelle. Tout patient de la Clinique, quel que soit son service d’origine, peut y accéder.

5L’Escale Ado est née de la réunion de ces différentes structures. Pour que se dessine son identité, il a fallu que chaque unité commence par préciser sa spécificité. Un décloisonnement des structures a ensuite permis d’en valoriser la complémentarité. Enfin, des circulations entre les unes et les autres ont été tracées, afin de fluidifier les passages entre l’accueil et le soin, l’individuel et le groupe, le scolaire et le culturel, la parole et la médiation.

Le relais : accueil, évaluation et orientation

Vers un axe organisateur

6Le Relais de la Clinique Dupré est créé en 1995 avec pour mission de rencontrer des adolescents tout-venant dans un souci d’accès aux soins. Si nécessité de mettre en place un suivi thérapeutique, l’orientation est alors fléchée vers le CMP pour adolescents de la même ville [4]. De part et d’autre, sont proposées des consultations : au Relais, elles sont qualifiées de « consultations d’évaluation », au CMP on parle de « consultations psychothérapiques ».

7Comment entendre ces dénominations ? La pertinence de ces distinctions semble aller de soi. Par psychothérapie, inspirée consensuellement par la psychanalyse, on entend expérience de transfert et élaboration de la répétition agie dans ce transfert, à travers l’émergence d’éprouvés et de souvenirs, dans un cadre de rencontres fixe et prédéfini. Ce travail implique une activité soutenue de remémoration. Or, celle-ci est contrariée par l’adolescence elle-même qui tend vers l’avant, tandis qu’un intense courant de refoulement remanie inconsciemment le passé et charrie parfois quelques dénis massifs. L’interprétation verbale peut aussi avoir l’effet paradoxal d’accentuer les troubles à l’adolescence. « Le domaine de l’intelligible n’exerce plus son effet de médiation sur le sensible » [5]. Si l’expérience du transfert colore rapidement la rencontre avec un adolescent, sa résolution étayée par la remémoration se heurte au processus d’adolescence en marche.

8Le cadre classique d’une psychothérapie analytique est d’autant plus difficile à établir qu’avec ces jeunes, « le temps presse : […] l’adolescent pose assez souvent sa demande de manière précaire, fugitive, à saisir » [6]. Lorsque celle-ci émerge, elle a la fulgurance des brèves et soudaines introspections qu’elle emmène dans son sillage.

9Doser la fréquence des rencontres peut permettre à l’adolescent de réguler son inquiétude quant à l’intensité des émois qu’elles suscitent. Imposer un cadre préétabli de séances paraît cependant moins porteur pour l’adolescent qu’une alliance l’accompagnant dans l’invention de son propre rythme d’entretiens : certains opteront pour une régularité rapprochée, mais virtuellement transitoire, d’autres ne pourront s’apprivoiser que sous condition d’irrégularité. En ne rigidifiant pas le cadre temporel des entretiens, on garde à l’esprit cette nécessité de s’ajuster aux contraintes psychiques et mouvements défensifs du processus d’adolescence.

10« Bien moins qu’avec un enfant ou un adulte peut-on soutenir la fiction d’une séparation entre investigation et traitement » [7]. Que recouvre précisément cette idée d’investigation ? Certainement pas une évaluation psychométrique, ni même psychiatrique. Si l’appréciation clinique du fonctionnement psychodynamique en fait partie, elle ne constitue pas un but en soi. Au Relais, on tente d’évaluer, parmi le flot de questions qui submergent l’adolescent, celle qui parle de lui, comme un axe autour duquel les autres vont pouvoir s’organiser. Les entretiens visent à une meilleure définition des contours de cette question. Leur méthode se fonde sur une qualité d’écoute, de nature psychanalytique, avec ce qu’elle implique de rigueur, d’absence d’a priori, et d’attention portée au processus en cours.

11La particularité de cette écoute dans ce contexte est d’orienter vers le dégagement progressif d’une proposition synthétique qui pourra se déployer ailleurs, dans un autre temps. Car si l’adolescent investit la méthode proposée, il acceptera, sans trop de résistance, de poursuivre dans un lieu dédié aux soins par une psychothérapie conventionnelle.

12Ce temps préparatoire permet d’identifier le statut tiers d’une psychothérapie psychanalytique. Mais l’expérience d’une résolution minimale du transfert fait partie de ce premier palier. Le point de vue qui consisterait à faire court pour limiter le transfert apparaît donc comme un non-sens. On ne se préserve pas du transfert avec un adolescent : éluder cette question, outre la vanité probable des rencontres, aurait pour danger de compromettre l’investissement ultérieur d’une autre figure « psy ». Le transfert se développe dès que la rencontre a lieu.

13Parfois, l’évaluation proposée au Relais aboutit à une question qui cerne suffisamment la problématique de l’adolescent pour qu’il puisse s’en satisfaire et ne pas souhaiter pour le moment poursuivre ailleurs sa recherche. Nous qualifions ces parcours de patients « d’interventions résolutives » dans notre nomenclature propre.

Le dispositif de l’évaluation

14Un accueil sans rendez-vous est proposé comme modalité de premier contact, permettant la venue d’adolescents hésitants qu’une démarche trop formelle rebuterait, ou ceux dont la demande serait trop vélléitaire pour supporter d’être différée. « Sans rendez-vous » suppose toutefois de laisser une part à l’initiative de l’adolescent et d’amener implicitement la question de son désir ou son besoin. Dans certains cas en effet, « une […] forme de contrat, fixant un cadre préétabli à la rencontre, peut protéger l’adolescent de la menace liée à la reconnaissance de cette dépendance et garantir la continuité du projet » [8]. Parler d’évaluation a alors l’avantage de situer la consultation d’accueil dans un champ précis, dans un cadre qui obéit à certaines constantes repérables, comme sa délimitation dans un espace, dans une temporalité, et comme la pluralité du regard porté sur la situation de l’adolescent, que ce soit par les diverses rencontres de professionnels ou simplement à travers les synthèses cliniques de l’équipe.

15La finalité de l’accueil, en cadrant ces rencontres, a donc intérêt à être verbalisée comme le premier temps d’une évaluation. Ce qui n’interdit pas de viser simultanément un objectif plus directement clinique, comme décondenser des problèmes confus en contribuant à leur mise en représentations et en mots dans le « terrain de jeu » [9] que constitue le cadre, combinaison de concret (le dispositif) et de symbolique. En effet, comme le précise A. Braconnier, « dès que le sujet est reçu, c’est-à-dire dès le premier temps de la rencontre, un traitement est institué, la visée thérapeutique est en marche, l’intention d’être thérapeute s’exerce » [10].

16L’évaluation a donc cet avantage de rassurer quant à l’engagement dans un lien thérapeutique, potentiellement effrayant, et structure dans une temporalité qui implique un pont d’un entretien à l’autre, sans questionner à chaque fois la pertinence de se revoir.

17Le cadre de l’accueil s’est établi au fur et à mesure de la croissance du Relais. Actuellement, une psychologue assure la conduite des accueils, elle pose des jalons, balise à minima la prise en charge à venir, et énonce ainsi le système de référence que l’équipe partage. Si les grandes lignes de l’évaluation se tracent dès l’accueil, son cadre sera précisé en cours de route, car il se veut évolutif, vivant, avant tout interactif pour laisser le parcours singulier de chaque adolescent se dessiner au fil des rencontres.

18Un cadre provisoire de rencontre consiste donc à se voir quatre ou cinq fois avant de faire le point et éventuellement de proposer un entretien avec un autre professionnel, un enseignant, un psychiatre, ou de donner un rendez-vous aux parents [11]. L’idée nous est également venue de proposer des groupes à médiation dont le nombre de séances est limité à quatre ou six, dans le même esprit que les consultations. La mobilisation par le groupe a parfois des effets inattendus, elle surprend suffisamment l’adolescent pour lui donner envie de poursuivre cette modalité thérapeutique. Ce cadre favorise un déroulement, inscrit une temporalité, qui en fait un processus qui se raconte et sollicite la narrativité. Il nous est alors apparu la nécessité de s’associer de près à une structure de soins, légère et réactive, susceptible de proposer à l’adolescent une réponse thérapeutique avec un abord groupal dans la durée.

19L’union avec le CATTP facilite ainsi l’orientation d’adolescents venus au Relais, et le contrat qui lie les deux structures permet à chacune de s’y retrouver : l’orientation vers les soins au CATTP gagne en fluidité pour les patients du Relais, et ceux du CATTP peuvent venir faire un tour au Relais, pour l’évaluation d’une question précise (un choix d’orientation scolaire) ou une relance du processus thérapeutique par une mobilisation tierce (participation au psychodrame évaluatif par exemple).

20Un circuit s’est également ouvert l’an dernier entre l’Escale Ado ainsi formée et l’annexe du lycée Lakanal, siège de la scolarité à la Clinique Dupré. Si l’indication se pose médicalement et qu’elle est validée par les pédagogues, les patients de l’Escale Ado ont alors accès à ce dispositif combinant de petits effectifs d’élèves et des cours dispensés par des enseignants de la Clinique, avisés des problématiques psychiatriques. Ce dispositif a pour finalité de remettre le pied à l’étrier de la scolarité, qui peut s’inscrire par exemple dans la suite logique des évaluations pédagogiques du Relais, individuelles et groupales, ou dans les situations d’interruption de la scolarité sous-tendues par une composante phobique plus ou moins prépondérante, avec un investissement des apprentissages préservé.

21Lors d’une première consultation familiale au Relais, Julien, quatorze ans, aborde son symptôme, et le conflit que celui-ci exprime, par cette singulière formule : « Ma tête veut y aller, mais mes jambes font demi-tour et rentrent à la maison ! » L’adolescent ne va plus au lycée depuis sa rentrée en Seconde, trois semaines plus tôt, après de longues années de souffrance dépressive, expression d’un vécu scolaire anxieux lié à de récurrentes vexations de la part de ses pairs.

22Ses parents le décrivent comme ouvert et sociable ses premières années de vie, jusqu’à un événement tragique qui semble constituer un point de bascule – sinon d’arrêt – à son évolution psycho-affective, à l’âge de cinq ans : son père, dont il était très proche, est victime d’un grave accident de moto, entraînant des lésions cervicales et neurologiques sévères. Le pronostic vital a été engagé, après lequel celui de séquelles irréversibles, finalement invalidé après une dizaine d’années de traitement et de rééducation physique et cognitive.

23La tristesse de Julien, son anxiété, son repli sur lui-même, persistants à l’âge de dix ans, ont motivé un suivi psychothérapique en libéral, puis des consultations pédo-psychiatriques indiquées par le psychothérapeute, qui ont conclu à un diagnostic de « phobie scolaire ».

24C’est l’infirmière scolaire du lycée qui a ensuite proposé à Julien et ses parents de prendre contact avec nous. Il est reçu en accueil sans rendez-vous, avant d’être orienté vers un psychiatre du Relais. L’aide demandée est formulée comme ce qui réduirait autant que possible l’antagonisme énoncé entre une tête « qui veut » et des jambes qui fuient. Il s’agira ici, pour l’Escale Ado, de l’accompagner, marcher à ses côtés, soutenir un désir explicite énoncé par « la tête », pour que ses jambes – en une expression corporelle de ce qui cède à ce désir – ne fassent plus demi-tour.

25L’adolescent exprime une pétrification de son corps sur le chemin de l’école : « Mon corps ne répond plus, je n’en ai plus les commandes, mon corps se bloque. » Sa mère remarque d’ailleurs que Julien la dépasse en taille depuis une croissance de 15 cm cette année. Sa voix a mué et son timbre reste incertain. Il évite l’activité physique, préférant lire au lit et ne supportant pas d’y être dérangé. Ses parents décrivent un rideau de doudous qui le protège des regards lorsque l’on rentre dans sa chambre.

26En entretien, Julien semble s’enrouler sur lui-même, mal à l’aise dans un long corps de guingois qui paraît ne jamais avoir pu se déployer. Sa posture a l’éloquence qui manque à ses mots, elle se modifie selon les thèmes de l’échange. L’adolescent se redresse ainsi soudainement lorsqu’en entretien familial l’accident de son père est abordé. La vie sociale de celui-ci est restée suspendue pendant plusieurs années, une longue pause qui n’est pas sans évoquer celle que Julien agit actuellement.

27Au troisième entretien, en présence des parents, le cadre de l’évaluation est posé : rencontre de la psychomotricienne du CATTP pour déterminer l’opportunité d’un travail corporel, et bilan pédagogique individuel et groupal afin d’envisager une reprise de scolarité aménagée au sein de la Clinique Dupré (soit dans un dispositif soins-études, soit indépendamment). Des entretiens psychiatriques avec Julien et parfois ses parents ponctuent les différents temps de l’évaluation.

28Le bilan psychomoteur pointe une hypotonie globale liée à une défaillance de structuration axiale. Ce manque de tonus corporel semble s’étendre psychiquement au maintien dans le temps (celui de la rencontre où il devient rapidement évanescent, celui de la répétition gestuelle qui s’appauvrit dans la durée) et à la tenue du mouvement. Est mis en relief l’impératif psychique de l’immobilisme de Julien, tant corporel que social, figeant un mouvement adolescent auquel il ne peut faire face par manque de fiabilité de ses repères internes. On en déduit l’intérêt d’un étayage sur des relations et des repères externes, tel qu’un soin institutionnel peut le proposer.

29Du côté de la scolarité, les enseignants rapportent qu’en français, bien qu’utilisant une forme narrative enfantine dans ses récits, Julien est très vif dans la discussion. En mathématiques, malgré une certaine lenteur en calcul, il n’a pas de difficulté particulière de raisonnement. Le groupe évaluatif, mené par une enseignante en lettres, utilise comme support des textes littéraires et s’étend sur quatre séances hebdomadaires. Julien ne vient qu’à la deuxième. Il ne s’y exprime que très peu, gigote sur sa chaise, semble ne pas pouvoir se concentrer ni sur son texte, ni sur les échanges entre patients.

30À l’issue de cette période de bilan qui s’étend sur trois mois, le psychiatre du Relais reçoit la famille pour en restituer les grandes lignes et convenir d’un projet thérapeutique, après concertation avec le pédopsychiatre de ville qui continue à suivre Julien : une hospitalisation de jour soins-études est proposée. Julien participera à des médiations thérapeutiques et reprendra les cours à un rythme progressif, avec le soutien d’un enseignant tuteur. Cette formule, à temps partiel, permet de tenir compte de l’investissement par l’adolescent de sa chambre comme d’une tanière dans laquelle il se replie mais se ressource aussi. En attendant son admission, une amorce de reprise scolaire au sein de la Clinique Dupré se met en place sans grand succès, Julien étant rattrapé par la massivité de ses symptômes de phobie scolaire même dans ce contexte très privilégié. L’indication d’hôpital de jour se confirme et les dernières hésitations familiales se lèvent.

31Le parcours de Julien, dont le trouble peut se lire comme une tentative de suspendre le temps en se figeant dans l’espace, témoigne des vertus de mise en mouvement du cadre de l’évaluation et de son cheminement. La pluralité des professionnels impliqués (psychiatre, enseignants, psychomotricienne), des lieux (Relais, CATTP, Études), des modalités de rencontres (individuelles, familiales, groupales), tisse un maillage serré qui soutient ce jeune homme manquant d’un axe autour duquel s’organiser, et l’accompagne vers les soins institutionnels qui s’appuieront sur de semblables leviers thérapeutiques. Le « traitement par l’environnement » qui sous-tend ce type de soins vise à « permettre aux patients auxquels nous le proposons de se réapproprier leur espace psychique élargi grâce au travail élaboratif dont il est l’objet » [12]. Cette modalité thérapeutique a été amorcée à l’Escale Ado.

Le CATTP, un lieu pour soi

« Le voyage pour moi, ce n’est pas arriver, c’est partir. C’est l’imprévu de la prochaine escale, c’est le désir jamais comblé de connaître sans cesse autre chose, c’est demain, éternellement demain. »
Roland Dorgelès [13]

32Lors de la sectorisation [14], les CATTP se sont démarqués des autres lieux de soins par leur inscription en réseau avec les associations et structures locales. Le principe reposait sur la proposition d’activités en séquences par une équipe pluridisciplinaire, le temps partiel sans hébergement et la liberté de fréquentation. Le projet de chaque patient était individuel et tenait compte de paramètres tant psychiques que sociaux. Avec le temps, les CATTP, destinés initialement aux adultes, ont vu le jour tant en psychiatrie infanto-juvénile qu’en psychiatrie de l’adolescent.

33Le CATTP de la Clinique Dupré est une structure née tardivement, en 1999, au sein de cette institution. C’est sur le modèle de l’Unité de Soins Intensifs du Soir (USIS) créée par R. Diatkine en 1971 au Centre Alfred Binet (Diatkine et al., 1995), que G. Papanicolaou a monté ce projet.

34La population reçue, de quinze à vingt-cinq ans, regroupe des jeunes scolarisés en milieu ordinaire ou récemment déscolarisés pour qui un projet doit être remis en place (scolaire, professionnel ou de soins). Les prises en charge s’organisent autour de l’immersion des patients dans un groupe de pairs qui alternent des médiations thérapeutiques, les mobilisant de manière diverse dans leur capacité de régression, de symbolisation, de verbalisation ou d’expression, avec des temps transitionnels encadrés par les soignants.

35La pluridisciplinarité de l’équipe permet des approches différenciées et complémentaires. Les psychologues co-animent les médiations et, en binôme avec un autre membre de l’équipe, sont référents de patients. Ils assurent ainsi un suivi qui permet l’accompagnement des soins institutionnels et parfois le travail préalable à une autre forme de thérapie. L’infirmière a une écoute somatique qui peut être le premier accès à une parole ou une demande passant par le corps. L’enseignante qui co-anime deux médiations peut être investie dans celles-ci sans enjeu scolaire. Elle peut aussi accompagner certains jeunes dans leur projet de reprise scolaire ou faire un travail de guidance. La psychomotricienne propose des évaluations et des suivis, individuels et de groupe, permettant ainsi une approche corporelle spécifique. L’ergothérapeute, quant à elle, donne aux jeunes un espace d’expression et de création qui peut se passer de la parole. V. Souffir et l’équipe de l’ASM 13 (1996) ont décrit l’intérêt d’un tel cadre de soins fait de plusieurs espaces.

36Lorsque Medhi, alors âgé de vingt ans, est reçu en préadmission au CATTP, il énonce une demande de soins-études. Ce projet n’est pas le sien, il s’agit du désir de ses parents, comme eux-mêmes nous le diront. Le jeune homme a arrêté sa scolarité depuis une année, après le début d’une deuxième Terminale générale. La durée de sa déscolarisation, son repli et apragmatisme, ainsi que sa peur liée aux transports indiquaient dans un premier temps une prise en charge uniquement de soins. Il a déjà été hospitalisé trois fois pour des épisodes délirants.

37Au cours des premiers temps de soins au CATTP, Medhi éprouve des difficultés à vivre les bons moments, notamment en groupe, et à prendre du plaisir dans les activités de médiation qui lui sont proposées. Car, selon ses dires, les choses devaient mal se passer pour lui (« attendre la mort en souffrant », « vivre douloureusement le temps qui passe si lentement et qui le rapproche de sa propre fin… »). Durant plusieurs mois, si les choses se passaient différemment, cela créait un grand trouble chez Medhi, peut-être une perte de cohérence de son monde intérieur ?

38Plus tard, au cours de sa prise en charge dans le service, Medhi indique que le chemin serait trop long dans une perspective de reprise d’études, et qu’il pense à une formation professionnelle, sans projet précis pour le moment. Nous nous saisissons alors de cette parole pour lui proposer l’atelier « Orientation professionnelle », mené par une psychologue du Relais qui, le temps de six séances, évalue la question de l’insertion professionnelle, dans ses liens avec la dynamique psychique du patient.

39La période des vacances d’été est marquée par la participation de Medhi à un atelier transversal à l’Unité de Soins Intensifs, afin d’éviter un temps trop long sans l’institution durant la fermeture du CATTP.

40À la rentrée, le jeune homme s’investit également dans un suivi de groupe en psychomotricité, avec une de ses référentes au CATTP, ce qui lui permet d’aborder ce soin paisiblement. Par ailleurs, nous pensons avec Medhi à des expériences en lien avec l’insertion professionnelle dans le cadre de la Clinique, et initions des rencontres avec les deux référents de ce pôle au sein de la Transversalité. Suite aux entretiens préliminaires à sa participation, où il est accompagné par sa référente, Medhi s’investit à l’atelier Entreprise et au Groupe Emploi. En parallèle, pour cette nouvelle année de soins, il découvre et s’inscrit à l’atelier transversal « Théâtre ». Il était temps que ce patient s’expérimente en dehors des murs du CATTP.

41En proposant à Medhi différents temps de rencontres avec d’autres soignants et d’autres patients de la Clinique, pour des temps évaluatifs ou d’accompagnements thérapeutiques et d’insertion, il a été possible de créer des effets de surprise, qui pouvaient être tolérés par le jeune homme, même si cela créait un manque désagréable : celui de l’atelier du CATTP mis entre parenthèses pour sa participation à l’atelier d’orientation professionnelle du Relais, Medhi expérimentant alors une continuité même lorsqu’il s’absente, ou lorsque le CATTP est fermé, le vendredi, bien que Medhi vienne à la Clinique pour le Groupe Emploi. De la même manière, il a été très important pour lui de venir dire bonjour avant ou après une activité hors CATTP dans les murs de la Clinique, pas très loin de son équipe de référence, mais avec de nouveaux visages.

42Medhi intègre progressivement mieux les bons moments vécus dans les soins et les sucite, en entretien, dans les ateliers thérapeutiques, ou dans les temps transitionnels. Il se plaint moins des week-ends qui lui semblaient si longs, il dit repenser de temps en temps à ce qu’il fait à la Clinique Dupré. Il nous emporte avec lui, et les différents temps expérimentés le mettent au travail psychique.

43Quelle a été l’opportunité du projet Escale Ado pour ce jeune homme ? On retient notamment la faveur de la constitution d’un espace tiers, un espace intermédiaire, qui chez lui faisait jusque-là défaut, dans « une spirale infernale, [où] aucun objet externe ne [venait] […] se proposer comme objet à investir et donc comme source de satisfaction et comme instrument d’une transformation psychique, même minime » [15].

44Dans une institution dotée d’un appareil de soins, « les actes, le vécu commun, le perçu, la corporéité, le déroulement du temps, le champ relationnel, la répétition, constituent cette néo-réalité, matière première à la disposition des patients et support d’investissement et de projection» [16]. Sur ces traces, le CATTP se donne pour proposition de dynamiser le patient, par des temps du quotidien partagés ensemble, par la régularité des groupes thérapeutiques, et par des rencontres avec les référents et les autres soignants.

45R. Diatkine (1995) a souligné les vertus du traitement à plusieurs, du maillage en réseau, avec une approche la plus individualisée possible. Afin de rester cohérents dans l’élaboration du projet de soins de Medhi, il a été extrêmement précieux de bénéficier du dialogue entre professionnels au sein de la Clinique, entre professionnels du CATTP, mais aussi entre CATTP et Relais, et entre CATTP et Transversalité, dans un climat de respect pour la parole de l’autre lorsqu’il vient partager quelque chose de sa rencontre avec le patient. « Dans l’institution les objets externes ne répondent jamais unanimement aux investissements dont ils sont l’objet. Qu’un patient, peu à peu, soit à même de solliciter différentes sensibilités de manière conflictuelle est de bon aloi » [17]. L’aspect protéiforme du dispositif contribue sans doute à la grande pertinence de la proposition adaptée au plus près du patient, à la circulation de la parole, comme aussi au partage des éléments de contre-transfert insufflant des forces vives au patient et aux soignants.

« Suivre les adolescents sans les précéder »

46En cherchant la définition du terme « escale », on en trouve au moins deux : en parlant de navigation maritime ou aérienne, faire escale est l’action de s’arrêter pour ravitaillement, embarquement et débarquement, ou pour échapper au mauvais temps. En parlant de déplacement sur terre, il s’agit d’un arrêt momentané dans un parcours. Si les patients nous arrivent bien souvent avec le récit de l’arrêt brutal de ce qui faisait leur quotidien, la proposition est celle de la pause pour se restaurer, et préparer un avenir meilleur.

47Ainsi, au fil des ans nous avons construit le modèle suivant : un Relais comme pôle de consultations pluridisciplinaires, pensé dans l’esprit de faciliter l’accès aux soins. Une évaluation proposée, celle de l’investissement de son propre fonctionnement psychique, selon un processus qui parfois amorce un travail psychothérapique, et d’autres fois se suffit à lui-même. Des soins plus encadrés sur le plan institutionnel proposés à un autre étage de la même maison, au CATTP. Une circulation des patients entre les deux lieux, établie avec une fluidité croissante. Avec l’ouverture à la scolarité, un point d’ancrage possible pour les adolescents qui vont bénéficier de ce dispositif. Un partenariat avec le secteur facilitant le passage de certains de nos patients pour un suivi. De meilleures indications vers des prises en charge spécifiques par l’ouverture du centre de psychanalyse au sein de la Clinique…

48Mais, comme toute escale, le passage à l’Escale Ado ne dure qu’un temps, celui des évaluations et des soins à l’adolescence. Puis les jeunes reprennent leur route, à dix-huit ans ou plus… Ils ont sans doute cent espérances, et mille dégoûts, mais avant tout ils se sont approchés d’eux-mêmes, en acceptant d’être abordés par des professionnels. Ils ont dégagé de nouvelles voies pour continuer leur chemin, par la psychanalyse ou la psychothérapie analytique, ou la poursuite des soins ailleurs pour accompagner leur vie d’adulte, et leur insertion professionnelle, dans tous les cas par l’expérience de nouveaux regards posés sur eux, au cœur même d’un dispositif qui permet d’espérer « suivre les adolescents sans les précéder » (selon l’expresssion heureuse de J. Hochmann). Un principe qui pourrait s’inscrire dans la charte des Maisons des Adolescents !

Bibliographie

Bibliographie

  • BOTBOL M., PAPANICOLAOU G., BALKAN T. (2000). Une « psychothérapie par l’environnement ». Soigner les états limites au quotidien. Enfances et psy, 12 : 96-104.
  • BRACONNIER A. (1992). L’ubiquité de la consultation. Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence, 40 : 606-608.
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Mots-clés éditeurs : pluridisciplinarité, évaluation, maison des Adolescents, décloisonnement, réseau

Mise en ligne 23/07/2012

https://doi.org/10.3917/ado.080.0433

Notes

  • [1]
    Bellet M. (1989). L’écoute. Paris : Desclée de Brouwer, p. 14.
  • [2]
    Racamier, 2001, p. 49.
  • [3]
    Le centre de psychanalyse Henri Danon-Boileau a vu le jour dans le courant de l’année 2011 au sein de la Clinique, complétant ainsi l’offre de soins du Relais.
  • [4]
    Depuis 1995, le CMP pour adolescents de Sceaux a grandi lui aussi, et s’est donné un nom propre : l’Odyssée.
  • [5]
    Jeammet, 1980, p. 503.
  • [6]
    Donnet, 1983, p. 48.
  • [7]
    Donnet, 1983, pp. 48-49.
  • [8]
    Renard et Péricone, 1999, p. 2.
  • [9]
    Racamier, 2001, p. 47.
  • [10]
    Braconnier, 1992, p. 607.
  • [11]
    Parfois, l’évaluation au Relais est sollicitée par un partenaire psychologue ou psychiatre, avec sous-jacente la demande de la pertinence d’un soin institutionnel.
  • [12]
    Botbol, Papanicolaou, Balkan, 2000, p. 103.
  • [13]
    Dorgelès R. (1926). Partir…, Paris : Albin Michel, p. 25.
  • [14]
    Décret n° 86-602 du 14 mars 1986 relatif à la lutte contre les maladies mentales et à l’organisation de la sectorisation psychiatrique. Journal officiel de la République Française, le 19 mars 1986, Ministère des affaires sociales et de la solidarité nationale, 7393-SP 5 533 : 4612-4613.
  • [15]
    Souffir et al., 1996, p. 443.
  • [16]
    Souffir et al., p. 445.
  • [17]
    Souffir et al., p. 454.
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