Notes
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[1]
Centres d’Accueil et de Soins pour Adolescents.
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[2]
Cf. dans ce même numéro l’article d’A. Birraux, L’adolescence face aux préjugés de la société, pp. 297-306.
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[3]
Baudry, 2000, p. 24.
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[4]
Winnicott, 1962, p. 405.
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[5]
Selon Emde, 1990, repris par S. Lebovici, 1994, p. 1558.
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[6]
Lebovici, 1994, p. 1553.
-
[7]
Winnicott, 1962, p. 405.
-
[8]
Ibid., p. 404.
1Les Maisons des Adolescents des Hauts-de-Seine (92) et des Yvelines (78 sud), bien que différentes dans leur conception et statut, ont toutes les deux pris le parti de ne pas accueillir les adolescents ou leurs parents dans un lieu unique, en s’inscrivant dans un ensemble de structures d’accueil et de prise en charge. À partir d’une présentation structurelle et architecturale de ces deux institutions parisiennes, et d’une analyse de leurs conséquences quant aux regards portés sur l’adolescence et aux spécificités de la rencontre clinique avec l’adolescent, nous proposons ici une réflexion transversale sur ces dispositifs, avant tout construits dans le souci d’entrer en synergie avec un réseau de partenaires préexistant sur le territoire, et sur les effets symboliques, chez l’adolescent comme chez le professionnel, de ce travail partenarial.
Présentation structurelle des dispositifs MDA
2Sans dupliquer ce qui préexistait à leur implantation, les MDA proposent avant tout une plateforme d’information et d’orientation pour les adolescents et leurs parents. La pierre angulaire de ces centres ressources concerne principalement des conventions avec des partenaires « de première ligne » (Points Écoute Jeunes, Bureau Information Jeunesse...). Ces conventions, qui ont pour objet de respecter l’existence d’un accueil anonyme, gratuit et confidentiel, assurant écoute, information, orientation et favorisant l’accès à un parcours de soins adaptés, visent à la fois à apporter une réponse de santé globale adaptée aux jeunes et leurs familles et à promouvoir la collaboration avec les collectivités.
3En aval de ce partenariat avec les structures locales, les MDA 78 et 92 proposent également une évaluation plus spécifique, dite « de seconde ligne » (somatique, psychiatrique…), multi-sites. En fonction de la demande de l’adolescent, de sa famille, ou encore à l’issue d’une évaluation MDA (pour le 78) ou CASA [1] (pour le 92), des propositions d’orientation sont formulées.
4Le travail partenarial est essentiel car, au-delà de l’accueil des besoins d’une population, les MDA accueillent aussi ceux des partenaires. Pour apporter une réponse plurielle aux adolescents et aux problématiques rencontrées, l’enjeu est donc de favoriser l’articulation entre tous les professionnels des différents champs de prise en charge (services de l’Éducation nationale, de l’Aide Sociale à l’Enfance, de la Protection Judiciaire de la Jeunesse, services de soins – qu’il s’agisse de la psychiatrie générale et infanto-juvénile, mais aussi de la pédiatrie, de l’addictologie, de la médecine générale…). Il appartient aux MDA de faire vivre un maillage partenarial, en proposant aux professionnels de l’adolescence différentes actions : des aides pour adresser et orienter les adolescents, des synthèses pluri-professionnelles… Autant de rencontres nécessaires pour assurer la cohérence des suivis et décloisonner les différents secteurs. Les MDA sont aussi le lieu d’élaborations interprofessionnelles, lors de groupes d’analyse de la pratique professionnelle par exemple, et elles contribuent à la mise en place d’une culture partagée sur l’adolescence, en assurant notamment diverses formations, conférences, journées d’étude et recherches-action auprès de leurs partenaires.
Analyse critique du dispositif : adolescence et tissu social
5Si ces dispositifs MDA se présentent en apparence généreux, voire idéaux, certains paradoxes viennent rapidement en interroger la création, l’origine même : mettre en place un réseau pour qu’aucun adolescent ne soit en manque de réponse, de rencontre, oui, mais pourquoi une telle volonté politique autour de l’adolescence ? Quelles représentations, quelles peurs aussi de notre société à propos de la jeunesse ? Il est important de repréciser ici que si le processus psychique de l’adolescence a toujours existé, le concept même d’adolescence ne serait qu’une construction sociale en constante évolution (Huerre et al., 1990 ; Galland, 1984) : la manière dont on devient adolescent est infiniment dépendante du contexte socioculturel qui encadre et donne sens à cette transformation et ce passage à l’âge adulte.
6Or, actuellement, et comme le notait à juste titre A. Birraux [2], ce sont surtout des discours connotés négativement qui prévalent autour des adolescents. Rappelons que la population juvénile a de tout temps inquiété les générations aînées en raison du potentiel de force, de vie, mais aussi de violence qu’elle incarne. Bien sûr, il existe des adolescents pathologiques, violents ou délinquants, mais notre tendance à une généralisation hâtive de ces problèmes – excessivement médiatisés – à l’ensemble de la jeunesse participe à véhiculer l’image d’adolescents en souffrance, voire même en décadence. Ainsi P. Baudry écrit : « […] il faut bien se demander s’il existe vraiment une société stable à côté de laquelle se tiendraient des êtres décidément instables : les adolescents comme catégorie spécifique, ou certains adolescents comme spécificités caractéristiques des problèmes de l’adolescence » [3]. Le déploiement de ces moyens vers les adolescents se réalise dans une ambivalence classique, où les adultes misent sur leurs enfants pour mener à bien ce qui leur semble juste et important, à la fois avec bienveillance, mais aussi dans un souci de maîtrise auquel s’ajoute la volonté commune d’un contrôle social et d’un maintien de l’ordre public.
7De la même manière, si la naissance des MDA peut être considérée comme une opportunité pour les jeunes de fortifier leur existence citoyenne, leur ancrage dans le tissu social, on peut cependant se demander pourquoi un bon nombre d’entre elles sont initiées et/ou portées par des psychiatres. Que vient faire et dire la psychiatrie dans ce souci contemporain du bien-être de l’adolescent ? Non pas qu’elle n’ait rien à y voir, mais en quoi y serait-elle prépondérante ? La priorité qui semble donnée aux soins psychiques dans les MDA pourrait être en lien avec certains phénomènes décrits par les sociologues ces vingt dernières années (Erhenberg, 1995, 1998 ; Rechtman, 2004), comme celui, généralisé, d’accueil et d’écoute de la souffrance du sujet : « je souffre donc je suis » devenant la forme moderne caractéristique de l’affirmation de l’individu social et représentant alors une véritable contrainte sociale pour l’adolescent, obligé de décliner son intimité.
8D’où la prudence à avoir quant aux modalités d’accueil et d’écoute proposées aux adolescents. La psychiatrie est de plus en plus souvent convoquée dans les problèmes dits psychosociaux, elle vient de fait recouvrir d’autres types de problèmes tels que les inégalités sociales, la discrimination ou les difficultés économiques. De plus, l’histoire de la psychiatrie nous a suffisamment montré ses rapports étroits avec la question du contrôle social (Foucault, 1976). La tentation de considérer que les MDA puissent constituer une réponse idéale à tous les manques et problèmes existants est bien réelle, confortée par les fortes attentes sociales, partenariales et renforcée par leur mission fédératrice en matière d’adolescence, parfois même dans des fantasmes d’omniscience et de toute-puissance.
9C’est pour l’ensemble de ces raisons que doit être suffisamment pensée l’organisation des MDA. La création d’instances de régulation, qui ne soient pas seulement le fait de pouvoirs politiques ou médicaux, devrait permettre de prioriser les actions, de filtrer les demandes adressées à l’institution et de cibler les besoins essentiels, en comportant dans la mesure du possible des référents scientifiques de différentes obédiences pour garantir une définition éclairée des missions de l’institution. De plus, le principe d’un co-pilotage associant collectivités territoriales et secteurs sanitaires paraît pertinent, afin d’éviter une dérive vers des réalisations univoques là où les besoins sont éminemment pluridisciplinaires. Enfin, l’adoption d’une culture du travail partenarial aboutissant à des collaborations effectives et concrètes semble la condition sine qua non d’un fonctionnement institutionnel cohérent.
Les effets symboliques des architectures en réseau
10Notre propos est de souligner la cohérence qui peut exister entre le fait d’accueillir des adolescents et des familles en souffrance, et le fait d’avoir une connaissance vivante et actualisée des partenaires et de leurs missions. C’est dans ce cadre que nous proposons de concevoir les MDA avant tout comme un lieu de rencontres et d’échanges avec les adolescents et les familles, mais aussi entre professionnels. Ces moments de rencontres avec nos partenaires doivent permettre à chacun d’apporter un savoir dans un champ donné et des compétences qui se complètent mais ne se confondent pas. Quelle que soit la force des attentes extérieures en effet, le travail partenarial ne doit pas nous placer dans une position d’experts, mais bien dans une position de tiers, dans un regard distancié donnant lieu à la mise en œuvre de phénomènes de triangulation entre professionnels et adolescents. Ce n’est qu’une fois définies ces différenciations essentielles que peut prendre place un travail d’équipe au sein de la MDA, puis un fonctionnement en réseau.
11La rencontre entre professionnels et jeunes porte intrinsèquement un caractère asymétrique. Aussi pensons-nous que les relations qui vont être instaurées doivent être fondées sur une logique du respect, très à distance du paternalisme, de l’exercice de vertus morales de la part des professionnels et du don de soi (Pirard, 2006). Entendre dans le discours d’un adolescent certaines difficultés dans sa prise de repères est important. Considérer qu’il possède en revanche certaines expériences que nous n’avons pas, qu’il réfère à des éléments culturels qui ne sont pas les nôtres, permet d’éviter cette illusion adulte du tout savoir, du tout comprendre et de demeurer dans une pensée réflexive qui laisse toujours place au doute. Mettre en place avec lui une relation qui favorise un échange de connaissances et d’expériences, sur le modèle des relations que nous souhaitons avoir entre professionnels, ouvre la possibilité d’une rencontre innovante. En d’autres termes, il ne s’agit pas d’éviter notre responsabilité d’aîné, mais d’être attentif à l’écueil de la complétude ou de l’emprise, la répétition de certaines formes d’aliénation qui enferme l’adolescent. C’est donc de la qualité des liens que nous avons avec nos partenaires et de la qualité de ceux que nous saurons créer avec les jeunes et leurs familles que découlera la justesse clinique des réponses et des orientations que nous proposerons.
12Généralement, la demande de consultation émerge lorsqu’une limite est atteinte dans la tolérance individuelle de l’adolescent, dans celle de sa famille ou dans celle des institutions qui l’accueillent. Les capacités de mise en récit et de différenciation générationnelle au sein de la famille se sont évanouies dans une sorte de fonte, d’effacement de la tiercéité. L’adolescent et sa famille se présentent le plus souvent dans une position « silencieuse » de repli, alors même que les symptômes de l’adolescent se déversent bruyamment dans la réalité externe. On peut également observer au sein du groupe famille une activation des modalités primaires d’attachement, une reprise des fantasmes fusionnels et une régression à des modes antérieurs de fonctionnement. La situation conflictuelle alimente et renforce les blessures narcissiques, tout autant qu’elle altère l’estime de soi (Kestemberg, 1980). Face aux tentatives d’élaboration proposées par le « psy », les parents sont dans une attente extrêmement concrète d’amélioration.
13De leur part, comme de celle des partenaires qui adressent l’adolescent, tous confrontés à « des problèmes urgents de management » [4], l’attente est donc massive et très souvent idéalisée. La réponse institutionnelle, elle, est délicate : le tiers est souvent perçu comme menaçant et disqualifiant. Face à cette contraction des phénomènes transitionnels et des processus de créativité individuelle et/ou familiale, face aussi à l’exigence de solutions dans la réalité externe, le consultant a besoin de mettre en mouvement ses représentations des « autres que lui » et d’articuler ses intuitions thérapeutiques et ses théories du soin avec les dispositifs extérieurs, pour que la consultation d’accueil se transforme progressivement en un véritable espace potentiel dans lequel pourra se penser la question du symptôme, mais aussi celle de la demande et de ses divers soubassements. Le consultant va alors faire des propositions qui auront une valeur organisatrice et symbolisante, qu’elles se situent dans le registre thérapeutique (indication d’une psychothérapie, d’un traitement, d’une hospitalisation) ou socio-éducatif (aménagement scolaire, soutien éducatif, bilan, guidance dans des situations familiales complexes).
14Les tiers partenariaux, dans leur complémentarité, seront donc souvent sollicités ou « prescrits » à cette occasion, et ce d’autant plus dans une consultation d’accueil, d’évaluation, qui a pour mission première d’accueillir rapidement les adolescents. Cependant, le travail en réseau sollicite aussi notre capacité à être seul, hors de l’écueil des fantasmes de dépendance, afin de ne pas aboutir à des confusions de rôles et d’identité. Dans ce donné à voir que constitue souvent la clinique de l’adolescent, il faut pouvoir recréer des limites du côté de l’intime, et savoir aussi être seul en présence des autres, sans créer nécessairement de contiguïté, de porosité. Tous ceux qui travaillent en réseau connaissent par exemple la difficile régulation du secret dit partagé.
Une rencontre dynamique
15D’une façon générale, le psychiatre ou le psychologue qui reçoit dans ces dispositifs d’accueil, de soins et d’orientation, tente de bien connaître les dispositifs dans lesquels l’adolescent vit, investit, projette, pour mieux faciliter les modulations, les articulations qui pourraient avoir un effet de relance. Avoir une représentation vivante et symbolique des différents lieux de l’adolescent et de ce qui s’y déroule, réintroduit en effet quelque chose de la transitionnalité, de l’espace tiers. Ce mouvement accroît notre capacité de rêverie, donc nos capacités d’identifications à l’adolescent, qui ne sont pas prises dans le clivage entre lui et ses parents. Nous voilà donc amenés à penser l’agencement du tiers, avant que de le prescrire.
16À l’inverse, lorsqu’un jeune n’arrive pas à venir jusqu’à nous, recevoir le professionnel en l’absence du jeune est une possibilité : l’effet tiers se joue alors en amont de la rencontre propre avec l’adolescent, du côté d’une relance de la dynamique chez le professionnel grâce à un travail de co-pensée autour d’une situation.
17Le consultant tente aussi de se situer dans sa rencontre avec l’adolescent, au sein d’un parcours (parcours de vie, de soins, de culture, d’apprentissage…). Il peut se dire que ce cheminement sera plus ou moins long, plus ou moins douloureux, mais il garde toujours en tête la question suivante : à quelle(s) condition(s) l’adolescent peut-il supporter une rencontre qui ne peut à elle seule répondre d’une prise en charge dans la durée ? Il s’agit pour le soignant de réfléchir à la manière dont peut se créer, à partir d’un accueil ou d’une consultation, la possibilité d’une rencontre vraie, mais non totalisante, dont on puisse se séparer. La disposition d’esprit est transversale, et se doit d’explorer assez rapidement plusieurs dimensions qui se rattachent à la vie relationnelle de l’adolescent, ainsi qu’aux racines dans lesquelles elle puise et qui remontent à l’enfance. Cette dimension anamnestique n’empêche pas une écoute profonde, de nature analytique, même si le cadre ne l’est pas. Il est essentiel que le consultant perçoive les points de résonance entre réalité interne et externe et il doit, au terme d’une ou plusieurs consultations, accéder à une figuration de la problématique du jeune et pouvoir en restituer quelque chose.
18Le dispositif lui-même n’est d’ailleurs pas sans conséquence chez l’adolescent, en termes de représentations notamment : s’il a conscience d’être reçu rapidement, ce qui va dans le sens de sa demande, il est néanmoins informé d’emblée que cet espace ne constitue pas forcément un point d’ancrage définitif. Ici s’inscrit un autre champ tensionnel à la rencontre, qui interroge le clinicien du côté de l’offre transférentielle : répondre rapidement, mais sans pouvoir s’engager dans un soin sur la durée. D’un point de vue clinique, est-ce une avancée, est-ce une démarche constructive, que de donner la possibilité d’être reçu rapidement, si s’ensuit une orientation ? L’expérience montre à la fois la difficulté de l’exercice et la pertinence de ces dispositifs. Une recherche finlandaise (Laukkanen, Hintikka, Kylmä et al., 2010) a par exemple mis en évidence que des interventions brèves par des équipes de première-deuxième ligne s’avèrent suffisantes pour bon nombre d’adolescents consultant pour des problèmes psychiatriques. Rappelons aussi que le lien avec l’adolescent et sa famille peut se maintenir aussi longtemps que nécessaire, sous forme de consultations très espacées, le CASA ou l’antenne MDA devenant un lieu symbolique de référence, d’où a émergé au sens large une ou des propositions de soin.
19Et il est intéressant d’observer que le dispositif construit aussi quelque chose du côté du consultant, tout en créant une dynamique accrue de la consultation. En effet, le consultant prend soin d’ancrer solidement la consultation du côté de la rencontre, quelles que soient les préconisations thérapeutiques ultérieures, plus ou moins acceptées ou suivies par le patient. Nous pensons que l’essentiel est de répondre de la réalité de cette rencontre, qui dépend avant tout de la disponibilité et de l’accessibilité psychique du consultant, mais aussi de ses capacités d’observation, d’empathie dans son pouvoir métaphorisant [5]. L’adolescent, comme le bébé, est souvent aux prises avec des éprouvés corporels et affectifs qui le débordent, et il est particulièrement sensible en retour, à la présence qu’on a auprès de lui, du côté de nos éprouvés non agis (« l’enactment » décrit par S. Lebovici. La rencontre se situe alors bien dans le registre de la transitionnalité) [6], dans cet espace qui n’appartient ni à la réalité interne, ni à la réalité externe, dans un entre-deux que les adolescents vivent eux-mêmes, « dans la lutte qui est la leur, la lutte pour se sentir réel » [7]. D’où peut-être le besoin pour les professionnels de l’adolescence de renforcer la réalité de leur existence par ces dispositifs de réseaux, qui accentuent la visibilité et l’accessibilité des structures. Il y aurait là quasiment une fonction maternelle de présentation d’objet, de création d’un « déjà là » suffisamment adéquat, qui n’aurait plus qu’à être trouvé par l’adolescent et sa famille.
Un maillage territorial et pluridisciplinaire
20Le dernier point que nous souhaitons souligner a trait avec la question de la spatialité du soin dans ce contexte. En effet, consulter au CASA ou en antenne MDA, au travers de ses adresses vers les tiers institutionnels, et précisément parce que tout n’est pas « sur site », rend possible une certaine forme de réappropriation de l’espace urbain et des ressources existantes comme venant élargir l’espace familial, intime, devenu trop étroit à l’adolescence. Que ce soit l’adresse à une consultation de médecine de l’adolescent, à un bilan au CIO, à un groupe thérapeutique sur le secteur, le consultant se présente donc à l’adolescent comme étant lui-même inscrit dans un maillage socio-géographique, au sein duquel il a une place, et où il montre une ouverture vers les autres. Précisément parce que toutes les ressources ne sont pas au même endroit, et parce qu’il existe une multiplicité de structures, l’effet symbolique de ces adresses repose sur une connaissance intériorisée de ces dispositifs.
21Cependant, pour les adolescents les plus en difficultés, l’effet produit par un dispositif articulé en réseau sur un territoire peut être trop fort, à l’instar d’une fragile dispersion identitaire. D’où la nécessité de préserver et développer des dispositifs sanitaires plus étoffés du côté des structures institutionnalisées de soins (centres d’accueil thérapeutiques à temps partiel, hôpitaux de jour, hospitalisations temps plein, centres de suivis psychothérapiques).
22En tant qu’architectures en réseau, les MDA du 78 et du 92 ont donc pour objet de contribuer à organiser des dispositifs qu’on peut dire séquencés, tant en termes géographiques qu’en termes d’accueil de première ligne, dit « généraliste », que de seconde, dit spécifique. Les structures de ce type, quelles qu’elles soient, ne constituent pas « un » lieu de soin mais un véritable maillage territorial et pluridisciplinaire, qui tient compte de l’appétence identificatoire des adolescents et qui paradoxalement supporte très bien des dispositifs articulés, tiercéisés, du moment qu’ils sont présentés clairement et avec une temporalité suffisamment bonne. Des lieux d’accueil, d’accès rapide à des consultations, où peut se pré-figurer quelque chose d’un espace thérapeutique ou d’un accompagnement éducatif à construire. Des lieux, aussi, de transmission et d’échanges. L’adolescent, plus encore que quiconque, doit pouvoir profiter de ses rencontres et de ses expériences pour se construire et surmonter ses difficultés physiques, psychiques ou sociales. Reste à veiller à ne pas être un professionnel qui « fabrique » de la souffrance psychique. « Un trait caractéristique des adolescents, c’est qu’ils n’acceptent pas de fausses solutions » [8], nous dit encore D. W. Winnicott. Nombre d’entre eux sont prêts à assumer leurs vicissitudes familiales et relationnelles. Encore faut-il les aider à accéder à une certaine narrativité de leur vécu, de leur histoire, pour qu’ils poursuivent leur route.
Bibliographie
Bibliographie
- BAUDRY P. (2000). Conflit, image du corps et rapport à la mort. In : P. Baudry, C. Blaya, M. Choquet, E. Debarbieux, X. Pommereau. Souffrances et violences à l’adolescence. Qu’en penser ? Que faire ? Rapport à Claude Bartolone, ministre délégué de la Ville. Issy-Les-Moulineaux : ESF, pp. 13-38.
- BIRRAUX A. (2012). L’adolescence face aux préjugés de la société. Adolescence, 30 : 297-306.
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- ERHENBERG A. (1995). L’individu incertain. Paris : Calmann-Lévy.
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- LEBOVICI S. (1994). Empathie et « enactment » dans le travail de contre-transfert. Rev. Fr. Psychanal., 58 : 1551-1561.
- PIRARD V. (2006). Qu’est-ce qu’un soin ? Pour une pragmatique non vertueuse des relations de soin. Esprit, 321 : 80-95.
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- WINNICOTT D. W. (1962). L’adolescence. In : De la pédiatrie à la psychanalyse. Paris : Payot, 1969, pp. 398-408.
Mots-clés éditeurs : rencontre, MDA, espace potentiel, réseau partenarial
Mise en ligne 23/07/2012
https://doi.org/10.3917/ado.080.0325Notes
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[1]
Centres d’Accueil et de Soins pour Adolescents.
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[2]
Cf. dans ce même numéro l’article d’A. Birraux, L’adolescence face aux préjugés de la société, pp. 297-306.
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[3]
Baudry, 2000, p. 24.
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[4]
Winnicott, 1962, p. 405.
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[5]
Selon Emde, 1990, repris par S. Lebovici, 1994, p. 1558.
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[6]
Lebovici, 1994, p. 1553.
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[7]
Winnicott, 1962, p. 405.
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[8]
Ibid., p. 404.