Notes
-
[*]
Communication au colloque « L’adolescent face à la “ société du malaise ” » organisé par la revue Adolescence, le 3 février 2011 à la Sorbonne, Paris.
1Un des changements les plus importants dans la psychopathologie consiste dans le fait suivant : du temps de Freud, le désir était coupable mais en revanche le lien social ne se discutait pas. Ceci conduisait la personne à refouler ce désir ressenti comme coupable ou à le réprimer. Dans l’élaboration fantasmatique de chacun, la souffrance résultait de ce désir coupable et refusé. De nos jours, le désir est devenu largement légitime : chacun a le droit d’avoir tel ou tel désir ce qui ne signifie pas que ce désir, dans son expression manifeste, soit « légal ». Si ce désir est toujours légitime pour l’individu, pour autant son expression manifeste n’est pas nécessairement reconnue comme légale. En revanche, le lien social est perçu comme une entrave potentielle au désir, précisément du fait de cet écart entre la légitimité du désir et son éventuelle légalité. Aujourd’hui, la souffrance provient de l’entrave imposée par le lien social. Face à cette entrave, l’individu peut refuser, passer à l’acte ou cliver cette réalité obstinée qui elle-même « refuse ».
2Comment comprendre ce changement ? Incontestablement l’être humain est conditionné par ses croyances qui forment sa religion, c’est-à-dire ce qui le relie aux autres, étymologie du mot religion, « religare », ce qui relie en arrière. La religion est une croyance qui relie entre eux les membres d’un groupe social. Quand la croyance n’est pas partagée par les membres du groupe, qu’elle est l’affaire d’un unique individu, alors il ne s’agit plus d’une religion mais d’une croyance singulière ce qui est à comprendre dans les deux sens de cette expression, la croyance d’une seule personne mais aussi croyance bizarre voire délirante. Les croyances des individus ont donc un impérieux besoin d’être « reliées » les unes aux autres ; à travers ce lien social nécessaire à la croyance communautaire, la religion de ce groupe social édicte et véhicule des valeurs car il n’y a pas de religion sans système de valeurs. Qui dit valeur dit aussitôt échelle de valeurs, c’est-à-dire hiérarchie. Par définition, ce qui ne représente pas une valeur dans le système religieux communautaire est inférieur à ce qui fait valeur. A fortiori, tout ce qui est contraire aux valeurs érigées en religion est « dévalorisé », situé au bas de l’échelle de valeurs. Il n’y a pas de croyance sans religion, il n’y a pas de religion sans échelle de valeurs.
3Le problème fondamental de la sociologie concerne son refus éthique de tout système de valeurs. Pourquoi dis-je « son refus éthique » ? Parce que la sociologie contemporaine, celle qui s’est développée après le cataclysme de la Seconde Guerre mondiale et l’épisode du nazisme, s’est constituée sur le refus de toute hiérarchie entre les diverses sociétés et, par conséquent, le refus de toute échelle de valeurs. La sociologie débutante d’avant la Seconde Guerre mondiale avait en effet cherché à classer les diverses sociétés sur le modèle biologique d’un arbre de développement assez analogue à l’arbre darwinien de développement des espèces animales. Ainsi étaient décrites des sociétés dites primitives, nécessairement inférieures ou archaïques et des sociétés évoluées, supérieures. Bien évidemment ces sociétés évoluées, placées en haut de l’échelle, étaient les sociétés d’appartenance de ces sociologues, c’est-à-dire les sociétés occidentales ! Cette position théorique constitua le ferment idéologique et la caution pseudo-scientifique des théories racistes, en particulier du nazisme. On comprend dans ces conditions que la sociologie contemporaine s’interdit de penser la question de la hiérarchie, ce qui pose un problème difficile pour penser la question des valeurs. Si cette sociologie contemporaine tolère de comparer les valeurs d’une société à une autre, elle refuse énergiquement de les hiérarchiser par crainte de hiérarchiser les sociétés en hiérarchisant ces valeurs. On comprend aisément cette réticence et on a toutes les raisons d’approuver cette position éthique. Mais elle a un prix ! Car se faisant, la sociologie contemporaine a les plus grandes difficultés à penser les conflits liés à la hiérarchie entre les valeurs, non pas tant entre les divers membres d’une même société, cela la sociologie contemporaine le fait sans état d’âme particulier puisqu’elle est dans un terrain sûr, celui de l’analyse d’un fait social, mais bien plutôt entre les diverses sociétés d’un point de vue géographique (d’un territoire à l’autre sur notre planète) comme d’un point de vue historique (d’une époque à une autre, puisque toute idée d’évolution développementale historique est récusée). D’une certaine manière, tout fait social a, pour le sociologue, une valeur identique à un autre et il procède dans son analyse plus par juxtaposition comparative que par dialectique inclusive. Hiérarchiser les valeurs est toujours une entreprise périlleuse si ce n’est iconoclaste ! Mais cette position éthique compréhensible pose à la sociologie de difficiles problèmes, quand elle se penche sur la situation des individus et qu’elle aborde la question de ses conflits internes, conduisant alors à une « sociologie de l’individu ». Car, inéluctablement, pour cet individu particulier se pose la question de la hiérarchie entres ses propres valeurs, hiérarchie qui conditionne non pas tant le type de conflit que les possibilités d’aménagement et la réponse que le sujet peut y donner. Ces réponses interrogent nécessairement son système de croyance, c’est-à-dire sa religion privée.
4Inversement, la psychanalyse fait d’emblée du conflit sa pierre angulaire de compréhension. En effet, le conflit est au centre du modèle métapsychologique du fonctionnement psychique. Ce conflit est très souvent pour ne pas dire constamment subordonné à un problème de hiérarchie, soit entre les pulsions elles-mêmes, soit entre les diverses instances (Moi/Surmoi, Surmoi/Idéal du Moi, etc.) qui animent les valeurs de ce sujet. En revanche, la psychanalyse ignore en général la hiérarchie existant entre monde interne et monde externe, entre les croyances de ce sujet et le cadre social, lequel semble s’imposer comme une évidence. J’en viens à mon propos.
5Beaucoup d’auteurs vulgarisent la thèse de l’individualisme triomphant, y compris d’ailleurs quelques sociologues dont assurément A. Ehrenberg ne fait pas partie ! Cette thèse soulève en général la contestation, si ce n’est la réprobation franche de la majorité des sociologues, lesquels insistent sur l’importance persistante du lien social par-delà cette vulgate de l’individualisme. Je veux dire tout de suite qu’ils ont pleinement raison. Il n’y a pas plus d’individualisme solipsiste qu’il n’y a de beurre en broche ! La théorie de l’individualisme dit solipsiste fond immédiatement à la chaleur du lien social. L’individualisme ne se comprend qu’à l’aune du lien social, ce qui n’est pas sans poser de douloureux problèmes aux « psy », qu’ils soient psychiatre, psychologue ou psychanalyste. L’articulation entre la psyché et le social résiste particulièrement bien à l’analyse, parce que cette articulation ne se fait pas sur un mode linéaire mais sur un mode circulaire de réciprocité et d’interaction hypercomplexe. À partir de là, il me semble que ce qui a changé, ce qu’on ne dit probablement pas assez, c’est l’échelle des valeurs et de leur hiérarchie propre à chaque individu en résonance au système de croyance et de valeurs propre au groupe social dans lequel cet individu évolue. Soit, en d’autres termes, la religion qui relie la croyance interne et intime de chaque individu à la croyance communautaire partagée entre les membres de ce groupe d’appartenance. Ce changement dans l’échelle des valeurs produit des changements, non pas tant dans la nature des conflits auxquels chaque individu doit s’affronter que dans les aménagements, les défenses, les contre-investissements mis en œuvre pour tenter de les résoudre. Résoudre les conflits, c’est l’affaire du Moi, lequel, pour y parvenir commence par en hiérarchiser les termes, de façon généralement inconsciente, puis applique à celui des deux qui est en position basse un traitement défensif. Or, les symptômes dont souffre un individu dépendent plus du type de défense utilisée que du type de conflit impliqué.
6Arrivé à ce point, il est important de bien différencier la cause de l’effet, problématique philosophique on ne peut plus classique. Si la cause produit l’effet, pour autant l’effet n’est pas la cause. Il me semble que, concernant la névrose, la confusion est fréquente entre le refoulement et la névrose, au point que certains auteurs ont tendance à les confondre. La névrose produit « classiquement », pourrait-on dire, le refoulement, c’est son effet principal. Mais peut-on dire que le refoulement, c’est la névrose ? La névrose résulte avant tout d’un conflit intrapsychique entre des instances suffisamment différenciées chez le sujet. Pour qu’il y ait névrose, il y faut du Surmoi, du Moi et des pulsions contenues dans le sac narcissique, autrement dit l’enveloppe contenante du sujet, ce que les auteurs anglo-saxons appellent le Self. La névrose résulte du jeu conflictuel entre ces instances, jeu qui, dans le cas précis des névroses, est arbitré par le Moi, bien qu’il soit lui aussi partie prenante de ce conflit. Le Moi peut en effet être défini comme une instance réfléchissante (non pas au sens conscient de réflexion, mais au sens plus général de réfléchissement, à la manière d’un miroir) et intégrative dont la principale fonction consiste à tenter de trouver des réponses aux conflits psychiques afin de préserver, autant que faire se peut, le sentiment d’unité et de cohérence de ce que les anglo-saxons nomment le Self et de ce que les auteurs francophones nomment plus volontiers le sujet ou le « Je ». Dans cette tâche, le Moi se sert de ses outils, c’est-à-dire les mécanismes de défense psychique, lesquels ne sont pas strictement corrélés à la structure mentale. Et comment procède le Moi pour arbitrer ces conflits ? Bien évidemment par un recours aux arguments qui sont en sa possession, en particulier le système de valeurs de ce sujet, les valeurs auxquelles ce Moi adhère. À l’aube du xxe siècle et durant toute sa première moitié, le Moi gérait les conflits intrapsychiques de chaque individu de deux manières principales. D’une part, il avait la possibilité de s’identifier aux interdicteurs, lesquels ne manquaient pas : la figure du père en premier lieu. D’autre part, ce Moi participait activement à la dévalorisation de ce désir inopportun, parce que celui-ci n’était pas respectueux du lien social. Jadis la croyance majeure, celle qui s’imposait, était tournée du côté de ce lien social qui transcendait l’individu, lequel devait s’y soumettre à défaut d’y obéir ! Le Surmoi étant en position hiérarchique haute par rapport aux pulsions et au contenant narcissique (qu’on le nomme Self ou autrement), le Moi choisissait à l’évidence de réprimer ou de refouler ce désir inopportun, coupable de provoquer une intranquillité chez ce sujet. La religion qui reliait entre eux les membres de la société s’incarnait à travers la figure du Père, qu’il s’agisse de Dieu le Père, du Roi ou du seigneur, ou plus banalement du père de famille ; c’était la valeur suprême, hiérarchiquement haute, la loi du Père, dont beaucoup ont encore la nostalgie sans toujours percevoir quel en était le prix exorbitant au plan psychique.
Dans une société désenchantée comme l’a proposé M. Weber, ce que M. Gauchet a repris plus récemment, dans une société qui ne repose plus sur un partage de croyance faisant de cette figure paternelle et parfois divine le point de référence et d’ancrage, quelle peut être alors la religion qui nous unit ? Car il n’y a pas de société humaine sans religion, c’est-à-dire sans croyance, unissant ses membres entre eux, que cette religion soit explicite ou implicite. Je crois que la croyance implicite que les individus des sociétés démocratiques contemporaines partagent est la suivante : « mon corps et ma pensée m’appartiennent et nul que moi-même n’a de droit sur ce corps et cette pensée. » Telle est la religion qui nous unit les uns les autres, religion qui fait de l’individu la valeur hiérarchiquement haute, la valeur suprême, celle qui s’impose. Il me paraît important de noter que cette religion/croyance n’est pas si répandue sur la planète qu’on pourrait le croire a priori dans la mesure où tous les membres de nos sociétés occidentales sont assez convaincus de son évidence, quand ce n’est pas de son universalité. En effet, si on regarde dans l’espace, bon nombre d’autres sociétés contemporaines ne partagent pas cette croyance et continuent de croire que le lien social, que la figure de Dieu transcende l’individu et s’impose à lui. De même, si on prend un peu de recul et qu’on considère le passé, on reconnaîtra aisément que cette croyance est assez récente : elle s’est forgée lentement, depuis deux siècles environ, pour triompher vers la fin du xxe siècle. Pendant cette période et plus particulièrement dans le cours du dernier siècle, nos sociétés ont profondément changé dans la hiérarchie des valeurs, passant d’une hiérarchie privilégiant la valeur du lien social à une hiérarchie privilégiant la valeur de l’individu. Ce changement bouleverse l’ordre des croyances de chacun, ce que d’aucuns appellent « le désenchantement », car il n’y a plus de croyance religieuse explicite mais une croyance partagée dans une religion implicite, ce qui modifie profondément les arguments dont le Moi peut se servir dans la gestion des conflits intrapsychiques. Désormais le désir du sujet est légitime, ses propres pulsions tout comme ses besoins narcissiques sont en position hiérarchiquement haute, tandis que le lien social est en position hiérarchiquement basse, si ce n’est profondément dévalorisé par rapport à ce désir. Il importe de souligner, élément essentiel, que ce lien social est reconnu, à défaut d’être facilement accepté, par une large majorité de ces individus qui bien évidemment ne sont pas systématiquement psychotiques ni même borderline ! Quoi qu’il en soit, lorsque le Moi doit arbitrer entre le désir ou l’expression d’une pulsion chez le sujet et l’entrave que lui oppose le lien social, c’est bien évidemment à la préservation de ce désir que le Moi travaille en priorité. Le Moi ne condamne donc plus le désir mais cherche aujourd’hui à ruser avec un lien social ou une réalité désobligeante, inopportune. Ce travail porte donc désormais sur l’entrave du lien social et non plus sur la condamnation du désir. Se couper de ce fragment de réalité par clivage, utiliser le clivage pour désinvestir et dévaloriser soudainement celui-ci, puis pour idéaliser et réinvestir celui-là, maintenir côte à côte des attitudes opposées et contradictoires selon la personne, le moment ou le lieu, faire le caméléon pour que tous les possibles restent possibles, telles sont quelques-unes des stratégies habituelles du Moi, dont on perçoit qu’elles portent avant tout sur les aménagements du lien social ou de la réalité pour mieux préserver la légitimité du désir. Certain parlent de la « toute-puissance du désir », c’est même devenu une antienne un peu éculée, mais cette expression cherche insidieusement à rejeter ce sujet dans l’en deçà de la névrose, dans le vaste champ des états dits limites ou narcissiques. Je crois qu’il y a là une grande paresse à penser : ces sujets ne sont pas tous, loin s’en faut, « limites ». Mais il est sûr qu’ils campent aux limites de notre modèle, les limites d’un modèle historiquement daté où le refoulement d’un désir coupable représentait la pierre angulaire, la clé de voûte du modèle psychopathologique.
On le sait, ce sont essentiellement les adolescents qui se scarifient : même si cette conduite concerne aussi de jeunes adultes, elle commence pratiquement toujours à l’adolescence. Or, comment décrit-on l’adolescence aujourd’hui ? Précisément comme l’âge du travail de subjectivation, c’est-à-dire l’appropriation par le sujet de son corps propre, de sa sexualité et de ses pensées : ce travail dit de « subjectivation » n’est rien d’autre que l’exigence sociale d’intérioriser la croyance communautaire, la religion qui nous relie tous : mon corps et ma pensée m’appartiennent et nul autre que moi-même n’a de droit sur ce corps et cette pensée. Car l’adolescent, particulièrement sensible à la dimension communautaire, en est à la fois son propagateur et sa principale cible. En cela, il est un excellent modèle pour comprendre à la fois les phénomènes de société et les évolutions psychopathologiques. Tout adolescent est profondément imprégné de ce système de valeurs contemporain et, par conséquent, de la hiérarchie qui en découle. Devant les inéluctables conflits qu’il rencontre, le Moi de l’adolescent utilise en priorité les défenses qui correspondent ou plutôt qui respectent cette hiérarchie : tous les adolescents qui se scarifient ne sont ni borderline ni narcissiques, mais, à l’acmé du conflit, leur Moi répond en préservant la croyance de base (« mon désir est légitime ») et en clivant ou coupant les branches secondaires du conflit… Il n’y a rien de narcissiquement pathologique là-dedans, il y a, au contraire, une certaine forme de soumission névrotique à l’exigence sociale contemporaine, à notre « religion » laïque.Pour illustrer ce qui vient d’être développé, je prendrai d’abord le cas classique de la paralysie hystérique d’une jeune fille, sémiologie assez banale et courante, il y a trente ou quarante ans, et qui est en voie de relative disparition (quand on en observe encore, c’est souvent dans des familles ou des groupes sociaux qui conservent la croyance dans la prééminence du lien social sur le désir propre du sujet). Qu’observait-on ? Une jeune fille qui éprouvait un désir, un émoi ressenti comme coupable pour un homme ou un garçon dont elle craignait que son propre père réfute précisément le choix. Par sa paralysie, cette jeune fille se sentant coupable de son désir, s’interdisait de marcher vers cet objet : les paralysies touchaient en premier lieu les muscles de l’autonomie motrice. Non seulement elle s’empêchait de marcher vers l’objet de son désir mais, en outre, le résultat le plus immédiat de la paralysie était de renforcer sa dépendance au lien social, ce qu’on nomme « le bénéfice secondaire ». Dans l’ancienne hiérarchie des valeurs où le lien social occupait la position haute au cours de ce combat intrapsychique réglé par le Moi, la jeune fille paralysée restait à la maison, à proximité du père, si ce n’est portée dans ses bras d’une pièce à l’autre. À aucun moment, cette jeune fille ne récusait le lien social ; quant à son désir, elle n’y pensait même plus, du moins consciemment ! Ainsi, le lien social l’emportait haut la main et le désir n’avait qu’à bien se tenir ! Si comme on l’a dit ce modèle existe encore dans quelques familles à la « religion », disons-le brutalement, passablement éculée, reconnaissons qu’il a tendance à disparaître. Au profit de quoi ?
Qu’observe-t-on de nos jours ? Une véritable « épidémie » d’agirs, en particulier de scarifications. À quel moment un adolescent se scarifie-t-il ? Souvent quand il est en colère et plus encore quand il a la « rage ». En général parce que la réalité du monde fait obstacle à quelque chose qui vient de lui. Pour faire court, on dira son désir. Par exemple, il/elle vient d’apprendre (souvent par sms) que sa/son petit(e) ami(e) a décidé d’arrêter leur relation, ou encore ses parents refusent de lui laisser la maison pendant la semaine où ils sont en vacances et exigent de l’emmener avec eux, ou encore il croyait avoir réussi son devoir ou simplement y avait passé un temps plus important qu’habituellement et cet enseignant incroyable lui a attribué une mauvaise note : « j’y crois pas », répète-t-il d’ailleurs en boucle avec une tension ascendante. Ce sujet éprouve alors un affect de souffrance devant ce refus de la réalité et cette souffrance est ressentie comme d’autant plus intolérable, que son désir est, de son point de vue, légitime. Cette souffrance se transforme rapidement en colère et en rage, laquelle pousse le sujet à l’action : quand on « souffre », on supporte, on attend, c’est le sens étymologique de « souffrance » ; quand on est en colère, on agit plus volontiers. Un verre est brisé, un cutter est saisi et la main dominante fend la peau du poignet opposé : se faisant, ce sujet transforme une souffrance subie provenant du refus d’un autre, souffrance indicible et invisible, en une plaie bien visible et éventuellement une douleur bien localisée, puis il va aux urgences hospitalières pour se faire recoudre, en un mot, il demande réparation d’un acte dont il se dit victime tout en maugréant de devoir attendre et de ne pas être suffisamment considéré en tant que victime… du refus des autres. Dans cette séquence, le sujet ressent donc son désir comme légitime, le refus de l’autre comme une intolérable entrave à la satisfaction de ce désir et comme un inacceptable état de dépendance à autrui. Le lien social fait l’objet d’une disqualification par le Moi et la souffrance qui témoigne de ce lien est activement transformée en douleur et en plaie, un état strictement privatif et individuel : la passivité est retournée en activité et la dépendance à l’autre transformée en exigence de réparation…
Mots-clés éditeurs : defenses psychiques, pathologie limite, changement symptomatique
Mise en ligne 17/10/2011
https://doi.org/10.3917/ado.077.0585Notes
-
[*]
Communication au colloque « L’adolescent face à la “ société du malaise ” » organisé par la revue Adolescence, le 3 février 2011 à la Sorbonne, Paris.