Notes
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[1]
Cf. en particulier Droit de cité, Adolescence, 2007, T. 25 n°1 ; et bien des articles dans les numéros des dernières années. Je renvoie à mon introduction d’Originalité et bourgeoisie [Gutton Ph. (2007). Originalité et bourgeoisie. Adolescence, 25 : 19-26].
-
[2]
Laplanche J. (1992). Introduction au collectif international de Montréal. Paris : PUF, 1994.
-
[3]
Musil R. (1906). Les désarrois de l’élève Törless. Paris : Seuil, 1960, p. 23.
-
[4]
Gutton Ph. (2008). Le génie adolescent. Paris : Odile Jacob.
-
[5]
Le GREUPP publiera en septembre aux Éditions de L’Atelier. Protéger l’enfant avec sa famille : Le signalement d’une information préoccupante.
-
[6]
Un travail sur le langage adolescent sera, grâce à J.-P. Goudaillier, un thème de la Revue Adolescence en 2010.
-
[7]
Gutton Ph. (2007). Originalité et bourgeoisie. Adolescence, 25 : 19-26.
-
[8]
Duparc F. (1986). Les paradoxes de l’identité. Psychanalyse à l’Université, 44 : 665-678.
-
[9]
Lesourd S. (2007). La mélancolisation du sujet post-moderne. Cliniques méditerranéennes, 75 : 13-26.
-
[10]
Je lisais récemment la déclaration incroyable de Roselyne Bachelot, ministre de la Santé : « Pas d’alcool pour les mineurs. C’est clair, c’est simple. » Plus qu’une signification, le chercheur que je suis, considère ce propos comme d’une évidente inexactitude (cf. les travaux de Marie Choquet à L’INSERM), et le clinicien comme une provocation contre-productive.
-
[11]
Thiercé A. (1999). Histoire de l’adolescence. Paris : Belin.
-
[12]
Je pense à ce propos que la psychanalyse est un appareil théorique qui a montré sa pertinence pour réfléchir la cure des adolescents… au défi du titre surprenant d’un récent Congrès parisien sous forme d’une interrogation semblant effacer un petit siècle d’expériences cliniques publiques : « La psychanalyse de l’adolescent existe-t-elle ?… en clinique et en théorie ».
-
[13]
Dans la philosophie de l’école, le centre est-il l’adolescence (Lionel Jospin) ou la transmission du savoir (Luc Ferry) ?
-
[14]
Dans le VIIe forum, 29 octobre 1995, Le Mans. Compte rendu dans Le Monde du 2 novembre 1995.
1Le contexte dans lequel les textes de ce numéro ont été réunis est particulier. Les universités, les chercheurs, les étudiants, une partie du corps enseignant sont en grève pour des motifs socio-politiques pluriels ; au centre desquels se situent la négligence, mieux le mépris du président de la République et du gouvernement à l’égard de la recherche française. Dans le champ plus précis des scènes humaines, la colère et l’angoisse s’expriment devant l’idéologie utilitariste régissant un capitalisme cognitif qui se doit d’être toujours plus évalué et performant. Les recherches dites fondamentales ne devraient-elles pas se déployer en une philosophie de l’utilité de l’inutile... une pensée comme sans but ? Les publications en français sont en outre accusées de n’être en cette optique pas suffisamment « visibles » au plan international. La Revue Adolescence publie depuis 1983 une grande part des recherches dans le champ qui la désigne. À ce titre, elle ne peut que se sentir prise à partie dans les redoutables malentendus actuels. Elle prétend néanmoins garder toute son objectivité dans un secteur où se lient et s’opposent interiorisations intersubjectales et interactions sociétales.
2Cette introduction veut marquer et nommer une ouverture de plus en plus sensible et élargie de la Revue Adolescence au socio-politique [1]. Le psychanalyste, clairement, sort des séquences exclusives de son dispositif et donne ses positions de citoyen : « Rétablir la continuité et les différences entre ce qui se passe dans la cure et ce qui, par précédence et de tout temps, se passe dans la vie » [2].
31 - Adolescence et jeunesse deux concepts que nous cherchons à cerner selon leurs différences.
4L’adolescence (le pubertaire en est le fondement avec son travail de sublimation et de conflictualisation seconde) nomme un ensemble processuel inconscient de création subjectale ; tertiaire car au plus près du sensoriel sensuel (en son originaire) et accédant à la signifiance, aux actes de parole. Création qui si elle débute à la puberté se trouvait déjà là. « Une pensée qui peut avoir traversé depuis longtemps notre avenir devient vivante qu’au moment où quelque chose qui n’est plus de la pensée qui ne relève plus de sa logique s’y ajoute : nous éprouvons sa vérité indépendamment de toute preuve comme si elle avait jeté l’ancre dans la chair vivante irriguée de santé […] » [3]. La subjectivation adolescente est d’abord une intersujectivation (R. Kaës), une « humanisation » (Freud) : une originalité partagée et reconnue [4]. L’adolescence possède un statut innovant en son histoire de vie et en sa participation culturelle (dans et hors famille).
5La jeunesse est un concept socio-politique caractérisant une classe d’âge (à dimension variable) entre enfance et adulte dans une société ou une civilisation donnée. Individualisation et interaction y sont les mots clés. L’espace social, la cité faite d’« institutions en particulier pour les jeunes » propose, impose plutôt : gestion et aménagement (sur le modèle foucaldien du savoir-pouvoir), articulation de droits, devoirs, lois (selon un imaginaire social ou idéologie, fondement de la morale), attention prégnante à la situation financière, encadrement selon une hiérarchie adulte (famille, école centres divers, services sociaux publics et privés, systèmes de trafics licites et illicites), lieux de communication et commerces, modes d’habitation et de pensées, etc. [5]. L’institution fondamentale est, bien entendu, le langage [6], sorte de lexique commun et particulier, ordre des signes par et dans lequel s’expriment avec quelques variantes et difficultés les paroles adolescentes : fameuse « dépendance à une poignée de syllabes et de sonorités qui déterminent le destin » selon l’expression de R. Gori. La jeunesse est une minorité intermédiaire, c’est-à-dire une interprète innovante du lien social. On peut adhérer, discuter ou haïr cette phrase harmonieuse d’Alfred de Vigny : « Une belle vie c’est une pensée de la jeunesse réalisée dans l’âge mûr. »
62 - J’insiste aujourd’hui pour situer l’identité comme exemple paradigmatique d’une paradoxalité profonde ne pouvant être élaborée que sous le sigle winnicottien du « créer-trouver » : celle « du sujet assujetti », inhérente aux sciences humaines cliniques (similitude et différence, ressemblance et spécificité, identification et imitation, faux et vrai). Précédemment [7], je parlais d’opposition dialectique pouvant mener à des compromis identificatoires. Entre sujet et société, un raisonnement peut en ce cas se développer en spirale cherchant à maintenir une certaine unicité (à éviter le déchirement). Je considère ici que les deux lignes de force sont en fait de nature différente et dès lors non opposables : dans la logique du paradoxe. Si la première proposition théorique s’inscrit en termes de conflictualité, la seconde est de l’ordre de « l’en soi », d’un inconscient profond que l’on doit « accepter » selon le mot de D. W. Winnicott pour une élaboration ou une sublimation, pour la créativité adolescente. L’identité que l’on qualifie de fondamentale n’est jamais unique : elle est plurielle. Elle n’est pas fluctuante, elle a son style, mais doit gérer de façon nécessaire des oppositions inattendues, requérant la souplesse. Si l’adolescent tel Pygmalion bâtit sa statue encore faut-il que les autres, l’autre, l’animent. Il y a dans ce fondamental de la philosophie (« l’homme est un vivant politique » disait Aristote) un lien des contraires de nature différente, de la sorte inopposables et… indissociables. Le symbole de ce lien paradoxal est entre parole et langage. L’identité bénéficie sous la plume de F. Duparc [8] d’une belle métaphore : elle est l’ombre du sujet ; avec un fond supposé, sa forme varie avec la lumière (orientation, intensité), c’est-à-dire les autres (les parents, les amis, les amants, les institutions).
7Ce qui serait spécifique à l’adolescence (et repéré depuis la Grèce ancienne) réside dans son statut de commencement, précisément en ce qu’elle comporte d’initiative et peut-être d’initiation sociétale (attention au faux départ). Comment y est-elle accueillie, écoutée, répondue… ? Comment ses conduites sont-elles interprétées qualifiées, voire jugées par les autres ? Comment est-elle reçue, disons étayée, selon la valeur jeune ou la conceptualisation de la jeunesse ? Comment fait-elle l’objet d’une reconnaissance sociétale en tant qu’engagement identitaire, de façon respectueuse même bienveillante ? Quel espace privé lui est-il accordé par l’espace public et inversement ? « Adolescence et société » (E. Erikson) seraient un débat classique de la relation contradictoire entre sujet et assujettissement si un engagement à risques dans sa paradoxalité ne s’y expérimentait.
8Dans le numéro présent, sont travaillés les liens sociaux de ces débutants et les aliénations sociétales grossières et raffinées. Sachons que le choix exclusif monoïdéique d’une des deux lignes de force est une injonction paradoxale qui disqualifie l’autre et provoque des clivages identitaires. Empruntons un exemple chez S. Lesourd [9] d’une disqualification subjectale sous l’effet d’intenses pouvoirs sociaux. L’auteur résume le discours d’un jeune des quartiers trois fois aliéné par le nom d’origine étrangère, l’adresse dans la cité et la jeunesse : « Ça ne sert à rien que je cherche du travail. » Au lieu de s’engager dans un travail psychique identificatoire, il est entièrement saisi par la situation ; il est envahi par le « système pourri », ghettoïsé, exclu de sa créativité. Assujetti aux excès d’injonctions paradoxales du pouvoir, il ne peut qu’être victime (objet, déchet) ou/et persécuteur [10].
9Cet adolescent malheureux ne doit néanmoins pas être pris comme exemplaire de la classe d’âge tout entière. Si l’adolescent aujourd’hui a changé de façon intéressante et continue à changer, serait-ce le fait de l’imprégnation par l’évolution sociétale? La plupart d’entre nous le pensent. L’ambiance démocratique avec ses interactions hiérarchiques facilite partage et reconnaissance ; si l’autorité inspire la création intersubjectale, le pouvoir l’assèche douloureusement. Sur tous les thèmes institutionnels ici traités le concept de déconstruction de M. Foucault et surtout de J. Derrida est présent, soupçonné, dirais-je espéré… afin que l’adolescent soit moins un acteur de scenarii imposés et fixés ; qu’ils soient certes appris, mais d’abord s’inventant. Il est assurément plaidé dans ce numéro en faveur d’une démocratie affinée, lieu de confrontations intergénérationnelles.
103 - La Revue Adolescence s’intéresse à cette paradoxalité. Parlons-en…, l’adolescent comme tout être humain vit de se raconter librement des histoires… L’université en fit une discipline nommée « psycho-sociale » d’une épistémologie complexe. Ce qui m’intéresse est le trait, le tiret entre les deux appellations bien différenciées afin que l’interdisciplinarité soit possible entre psychanalyse et institution. Les concepts obligatoirement intermédiaires doivent permettre (au-delà de la description) une analyse des phénomènes en faisant appel (recherche oblige) à deux définitions complémentaires et contradictoires impliquant chacune leurs lignes dynamiques. Procédure qui se méfie, je l’espère, des raisonnements causalistes même pluri causalistes ; affaire de débats, mises en doute, consentements et contradictions : comment une originalité est-elle partageable et se partage-t-elle ? Le constat de lien paradoxal justifie et nécessite la confrontation (non pas la polémique) mais le dialogue, une philosophie de l’écart. L’institution y est étayante et résistante à la fois. L’enjeu n’est-il pas pour l’adolescent de pouvoir « traduire-détraduire » le système des signifiants (de ce que l’on nomme aussi le lien social), système pré-existant ne sachant guère lui-même ce qu’il signifie. Une illusion n’est créatrice que si elle passe par des désillusions (D. W. Winnicott).
11Certaines similitudes hâtives sont porteuses de confusions incessantes dans les médias passés et contemporains et également dans les travaux scientifiques dont la Revue recueille les publications. Ainsi une histoire de l’adolescence se révèle être pour une grande part celle de la jeunesse [11]. « Délinquant » est-il un sigle ? Méfions-nous des rapprochés de facilité, des masques, des métonymies. Il est ainsi utilisé des symboles de géographie humaine : « adolescents en banlieue » (l’injonction paradoxale serait de dire « des » banlieues), en collège, en famille monoparentale, etc. L’institution se théorise à tort comme cadre ou contenant externe individuel ou groupal lorsqu’elle est (tel l’environnement dans la pensée de D. W. Winnicott) à la fois interne et externe ; le Surmoi « des masses » est aussi compétent en interne que le Surmoi individuel. L’adolescent vit, comme plus d’un autre, en division avec cette institution interne que constitue le langage. Un numéro prochain sera consacré au politique dans l’inconscient : précisément comment le psychanalyste en tient grand compte dans la cure des adolescents [12].
124 - Le présent numéro est centré sur le socio-politique contemporain (idéologie et stratégie concernant les jeunes) : injonction porteuse de formidables contradictions ingérables : valorisation et attaque de la jeunesse (destructivité et répression), pacification et lutte des classes d’âge, délinquance ou/et victime, valorisation de la création et exigence de conformité consentante… Les institutions qui seront examinées successivement sont impliquées en raison de leurs fonctions sécurisantes (aujourd’hui si intriquées au socio-judiciaire), leurs fonctions éducatives et pédagogiques [13], leurs pratiques sanitaires enfin. Nous avons à l’esprit les menaces de la disqualification possible de la créativité adolescente ; pire, nous nous demandons si, dans certains secteurs plus moins bannis parce que précaires, « un espace-temps privé jeune pour faire son adolescence » est encore présent, actuel ou se trouve-t-il impossible car méconnu, exclu, dénié, forclos. Dans ces cas extrêmes, l’adolescence désarrimée impose au jeune citoyen un clivage identitaire redoutable le jetant dans la souffrance et la violence, la soumission dépressive et la révolte (à titre individuel ou dans des regroupements).
13La paradoxalité entre adolescence et société incite à des débats concernant les connaissances scientifiques de plus en plus approfondies (avec des ouvertures théorico-cliniques) dans un « espace éthique commun » aux valeurs démocratiques avec une mutualité de confiance bannissant toute affirmation absolue, la méconnaissance du sujet y relevant de ce que Jacques Attali [14] résuma comme « le devoir d’intolérance à l’intolérable ». Je fais le vœu que les projets gouvernementaux actuels tiennent moins compte des idées reçues médiatiques et plus des travaux scientifiques : ainsi à titre d’exemple que le « toujours plus nombreux, plus jeunes et plus violents : tels sont les mineurs délinquants » soit corrigé régulièrement par les statistiques disponibles de la police et de la justice et soumis aux groupes de recherches sur la sécurité.
14« Les faits n’existent pas c’est l’esprit qui pense et construit les faits » disait volontiers Raymond Aron. Parlons des faits en croyant, quand même, aux effets politiques d’une parole.
Notes
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[1]
Cf. en particulier Droit de cité, Adolescence, 2007, T. 25 n°1 ; et bien des articles dans les numéros des dernières années. Je renvoie à mon introduction d’Originalité et bourgeoisie [Gutton Ph. (2007). Originalité et bourgeoisie. Adolescence, 25 : 19-26].
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[2]
Laplanche J. (1992). Introduction au collectif international de Montréal. Paris : PUF, 1994.
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[3]
Musil R. (1906). Les désarrois de l’élève Törless. Paris : Seuil, 1960, p. 23.
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[4]
Gutton Ph. (2008). Le génie adolescent. Paris : Odile Jacob.
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[5]
Le GREUPP publiera en septembre aux Éditions de L’Atelier. Protéger l’enfant avec sa famille : Le signalement d’une information préoccupante.
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[6]
Un travail sur le langage adolescent sera, grâce à J.-P. Goudaillier, un thème de la Revue Adolescence en 2010.
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[7]
Gutton Ph. (2007). Originalité et bourgeoisie. Adolescence, 25 : 19-26.
-
[8]
Duparc F. (1986). Les paradoxes de l’identité. Psychanalyse à l’Université, 44 : 665-678.
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[9]
Lesourd S. (2007). La mélancolisation du sujet post-moderne. Cliniques méditerranéennes, 75 : 13-26.
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[10]
Je lisais récemment la déclaration incroyable de Roselyne Bachelot, ministre de la Santé : « Pas d’alcool pour les mineurs. C’est clair, c’est simple. » Plus qu’une signification, le chercheur que je suis, considère ce propos comme d’une évidente inexactitude (cf. les travaux de Marie Choquet à L’INSERM), et le clinicien comme une provocation contre-productive.
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[11]
Thiercé A. (1999). Histoire de l’adolescence. Paris : Belin.
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[12]
Je pense à ce propos que la psychanalyse est un appareil théorique qui a montré sa pertinence pour réfléchir la cure des adolescents… au défi du titre surprenant d’un récent Congrès parisien sous forme d’une interrogation semblant effacer un petit siècle d’expériences cliniques publiques : « La psychanalyse de l’adolescent existe-t-elle ?… en clinique et en théorie ».
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[13]
Dans la philosophie de l’école, le centre est-il l’adolescence (Lionel Jospin) ou la transmission du savoir (Luc Ferry) ?
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[14]
Dans le VIIe forum, 29 octobre 1995, Le Mans. Compte rendu dans Le Monde du 2 novembre 1995.