Notes
-
[1]
Cf. notamment, les créations artistiques de Charles Gonzalès (Charles Gonzalès devient Camille Claudel, Théâtre du Lucernaire, 2004) ; La Compagnie (Camille Claudel, 1864-1943) ; Bruno Nuytten (Camille Claudel, 1989) ; Marie-Claude Pietragalla (Sakountala, 2002) et Michèle Desbordes (La robe bleue, 2004).
-
[2]
Claudel P. (1951). Ma sœur Camille, cité in : Cassar J. (1987). Dossier Camille Claudel. Paris : Librairie Archimbaud, Séguier, pp. 431-439 (pp. 431-432).
-
[3]
A. Dayot cité in : Cassar J., Dossier Camille Claudel. Op. cit., p. 401.
-
[4]
Ibid., p. 402.
-
[5]
Mirbeau O. (1893), cité in : Cassar J., Dossier Camille Claudel. Op. cit., p. 404.
-
[6]
Camille Claudel semble renouer ici avec un principe de l’art de la Renaissance : Léonard de Vinci a inventé la serpentinata, une construction helicoïdale qu’il a appliquée à ses portraits pour les doter d’une vivacité exceptionnelle. Ses personnages sont comme enroulés dans le temps, la spirale étant la seule forme pouvant assurer à la fois une dynamique stable et une stabilité dynamique.
-
[7]
Claudel P. (1951). Ma sœur Camille, cité in : Cassar J., Dossier Camille Claudel. Op. cit., p. 433.
-
[8]
Cité in : Rivière A., Gaudichon B., Ghanassa D. (1996). Camille Claudel. Catalogue raisonné. Paris : Adam Biro, p. 110.
-
[9]
Ibid.
-
[10]
Cité in : Rivière A., Gaudichon B. (2003). Camille Claudel Correspondance. Paris : Gallimard, Collection Art et artistes, pp. 96-98.
-
[11]
Il s’agit d’un procédé artistique qui est proche de l’assemblage expérimenté par Rodin : l’artiste transpose une figure dont il a déjà éprouvé l’efficacité auparavant, dans un contexte différent qui charge la figure en question d’un sens nouveau. La technique correspond en littérature à l’auto-citation et en peinture au collage ou au transfert.
-
[12]
Danièle Dravet, quant à elle, pose l’hypothèse que cette destruction réitère, de manière pathétique, la mort du frère aîné de Camille Claudel, Charles Henri. Sa disparition, à quinze jours de vie, le 16 août 1863, aurait hâté la conception de Camille, née le 8 décembre 1864, lui conférant le statut délicat d’enfant de remplacement et, portant de surcroît, un prénom bi-sexuel. La mort de ce premier fils aurait abîmé irrémédiablement le psychisme de leur mère dont Paul Claudel souligne à maintes reprises l’impitoyable sens du devoir et l’absence totale de tendresse.
-
[13]
Cité in : Rivière A., Gaudichon B., Ghanassa D., Camille Claudel. Catalogue raisonné. Op. cit., p. 139.
-
[14]
Morhardt M. (1898). Melle Camille Claudel, cité in : Cassar J., Dossier Camille Claudel. Op. cit., pp. 455-501 (p. 479).
-
[15]
Sertat R. (1893), cité in : Rivière A., Gaudichon B., Ghanassa D., Camille Claudel. Catalogue raisonné. Op. cit., p. 96.
-
[16]
Claudel P. (1951). Ma sœur Camille, cité in : Cassar J. Dossier Camille Claudel. Op. cit., p. 436.
-
[17]
Rose Beuret, avec laquelle Rodin vécut pendant cinquante-trois ans en concubinage, devint, le 29 janvier 1917, quelques jours avant sa mort, Madame Rodin. Leur photographie de mariage ressemble fâcheusement à un enterrement. Les deux, grandement âgés, semblent profiter de l’occasion pour s’habituer au fait d’entendre leur nom prononcé par un curé. La légende veut que Rodin aurait regardé un tableau de Van Gogh pendant qu’on lui demandait de dire oui. Le oui qu’il avait fini par prononcer s’adressait-il à l’art ou à celle qui, sur la pierre tombale commune, n’est même pas inscrite, effacée devant l’éternité comme elle l’était toute sa vie par les infidélités nombreuses et l’éloignement artistique d’un homme qu’elle s’obstinait à appeler, jusqu’à la fin, Monsieur Rodin ?
-
[18]
Claudel P. (1951). Ma sœur Camille, cité in : Cassar J., Dossier Camille Claudel. Op. cit., p. 436.
-
[19]
Cette dimension autobiographique est sans doute exacerbée chez les artistes femmes. Mais en même temps, la participation subjective est une loi presque triviale, à laquelle aucun artiste n’échappe (Schauder, 1999a). Aussi Léonard de Vinci disait-il « Ogni dipintore dipinge se » (Tout peintre se peint lui-même). Pratique artistique et pratique de l’autoportrait convergent alors en un seule acte associant la subjectivité de l’artiste et la constellation, ô combien complexe, de son désir.
-
[20]
Claudel P. (1951). Ma sœur Camille, cité in : Cassar J., Dossier Camille Claudel. Op. cit., p. 436.
-
[21]
En sculpture, les études préparatoires, les versions en plâtre, les tirages en bronze, les traductions en marbre d’une seule et même figure interrogent, de manière troublante, la notion même d’original.
-
[22]
Claudel P. (1951). Ma sœur Camille, cité in : Cassar J., Dossier Camille Claudel. Op. cit., p. 435.
-
[23]
Ibid., p.106.
-
[24]
En effet, dans cette version, les équilibres se répartissent de manière à faire de l’homme – dans la rivalité féroce qui oppose les femmes, l’une hargneuse, l’autre suppliante – une sorte de languette qui fera pencher la balance.
-
[25]
Si aucun des protagonistes ne ressemble platement à son modèle, le profil de l’homme rappelle toutefois celui que Camille a donné à son magnifique buste de Rodin (1886-1892) auquel semblent s’appliquer ces mots du maître : « Un beau buste montre le modèle dans sa réalité morale et physique, dit ses pensées secrètes, sonde les recoins de son âme, ses grandeurs, ses faiblesses, tous les masques tombent. […] Par sa sensibilité même, l’artiste devient un révélateur, un devin » [cité in : Pinet H. (1994). Rodin, les mains du génie. Paris : Gallimard, p. 47].
-
[26]
Dans cette première version, la vieille femme semble vociférer, en s’adressant à la jeune : « Laisse-le. Tu ne vois pas qu’il est à moi ? » Dans la deuxième, elle chuchote à l’homme : « Laisse-là. Tu ne vois pas que tu es à moi ? » Ce changement, en apparence infime, constitue toute la révolution de L’Âge mûr et son intelligence cruelle. Avant, Camille avait situé le conflit essentiellement entre les deux femmes, l’homme étant l’objet concurrencé. Dans la deuxième version, l’artiste a déplacé l’action vers le couple formé par la vieille femme et l’homme qui, en faisant bloc, excluent la jeune femme, en une triangulation tristement connue. Les nouages du complexe œdipien sont ici multiples : la mère de Camille et Rodin sont nés la même année ; Camille a deux ans de plus que le fils de Rodin, Auguste Beuret qui lui, est né la même année que Louise, la sœur de Camille…
-
[27]
Claudel P. (1951). Ma sœur Camille, cité in : Cassar J., Dossier Camille Claudel. Op. cit., pp. 435-436.
-
[28]
Notamment quand il s’agit d’un ménage à trois… Pendant les dix ans de leur liaison tumultueuse, Camille Claudel avait espéré la dissolution du couple Rodin-Beuret pour se voir légitimée, elle. Afin de railler la solidité inattendue de ce couple, elle
a réalisé, en 1892, plusieurs dessins à charge dont « Le réveil. Douce remontrance par Beuret », montrant Rose enlaçant Rodin et le disputant comme un enfant désobéissant ; « Le système cellulaire, premier dessin avec légende » : un Rodin au cachot est surveillé par une Rose équipée d’un vrai balai de sorcière et enfin, « Le collage », le dessin le plus féroce : Rodin et Rose nus, à quatre pattes, collés l’un à l’autre par les fesses, avec pour légende « Ah ! ben vrai ! que ça tient », où Rodin essaie, en vain, de se détacher de sa compagne en s’agrippant à un arbre. Autant de sublimations de la déception amère et de la haine provoquées par l’indécision de l’amant de Camille, ou, pire, par sa décision de ne pas se décider… -
[29]
Sur la récurrence de cet instant avant la chute qui est décliné sous différentes formes dans l’œuvre de Camille Claudel, voir le très beau texte d’Arnaud de La Chapelle (1989). L’art de Camille Claudel. In : Paris R.-M., (2000). Camille Claudel re-trouvée. Catalogue raisonné. Paris : Éds. Aittouarès, pp. 113-141 (p. 102).
-
[30]
Dans une lettre au Capitaine Tessier, Camille Claudel donne l’explication suivante : « Les bras de la même figure en plâtre sont […] un peu plus écartés que sur la vôtre parce qu’au dernier moment où mon groupe partait au Salon j’ai fait cette modification qui n’existait pas dans la figure première existante » (Cité in : Rivière A., Gaudichon B., Ghanassa D., Camille Claudel. Catalogue raisonné. Op. cit., p. 115). Ce repentir a sans doute eu pour but d’accentuer la saisie impossible de l’homme qui échappe irrémédiablement à L’Implorante. Il est curieux que Paul Claudel (1951), sensible à l’ogive formée par l’interstice entre la main de l’homme et celles de la jeune femme, n’ait pas commenté le vide, proprement métaphysique, que la jeune femme tient dans ses bras.
-
[31]
Cf. le croquis préparatoire avec l’arbre de la destinée mentionné dans la lettre que Camille a écrit en 1893 à son frère Paul.
-
[32]
Traduisant leur identification exclusive à la jeune fille dont la vieille aurait précipité la perte, tous les commentateurs s’accordent à dire la méchanceté de la mégère, projetant sur elle une fantasmagorie digne d’un conte cruel. Or, il faut tout de même souligner que sa violence essentielle réside dans la douceur avec laquelle elle se penche sur l’homme pour le persuader de la suivre.
-
[33]
Je dois cette belle expression à Roman Polanski qui, lors d’un débat cinématographique au Palais Chaillot, a ainsi répondu à une jeune femme un peu sur le retour, qui espérait visiblement être « découverte » par le maître. Se collant à lui dans la foule, elle lui avait demandé, en écartant deux doigts de sa main, « just two minutes », pour lui parler. Calmement, Roman Polanski a replié les aiguilles formées par ses doigts en lui disant : « Sorry – we are not on the same level of time. »
-
[34]
Pour permettre à un de ses acheteurs, le Capitaine Tessier, d’amener L’Implorante avec lui lors de ses fréquents déplacements, de garnison en garnison, Camille Claudel avait fait réaliser, en 1899, une fonte de cette figure seule, sur sa partie amovible. En 1902, cet amateur d’art allait acquérir les deux autres personnages. Un système de tenons s’adaptant à l’ensemble devait faciliter le transport, séparément, du groupe, et, de manière métaphorique, le transport seul de la jeune fille dont la demande, sans Dieu en face, semble encore plus en souffrance. Ou est-ce que le détachement complet de la jeune fille du groupe des trois permettait au Capitaine de prendre la place de l’homme d’âge mûr, aimé, adulé comme un Dieu ?
-
[35]
Dans une lettre au Capitaine Tessier désireux d’acquérir son groupe mais hésitant quant au prix, Camille écrit : « La Valse, me dites-vous est mise à prix chez Siot 3000 (j’ai toujours cru 4) mais il n y a que deux personnages et les draperies sont loin d’être aussi compliquées, puis il y a la plinthe de L’Âge mûr qui est complètement à jour et dans laquelle il y a autant de travail que dans le groupe » (Cité in : Paris R.-M., Camille Claudel re-trouvée. Op. cit., p. 351. Souligné par moi).
-
[36]
À l’instar des rochers du Geyn qui avaient tant fasciné Camille et Paul enfants, le sol semble modelé par les forces aveugles, peut-être divines, de la Nature. Aussi les pressions que des millénaires d’intempéries ont fait subir aux rochers se confondent-elles, dans L’Âge mûr, avec l’érosion des paysages du cœur.
-
[37]
Une photographie, à la page 122 du Catalogue raisonné établi par Reine-Marie Paris, Camille Claudel re-trouvée. Op. cit., montre un exemplaire de L’Âge mûr exposé sur une stèle en bois qui ne donne appui qu’à la partie gauche de la composition, indiquant sans équivoque que son centre de gravité est bien là. La partie sur laquelle tombe à genoux la jeune femme est, quant à elle, entièrement suspendue dans le vide – cette disposition de la sculpture provoque un effet d’interprétation saisissant et charge le fait d’exposer une œuvre d’un sens tout à fait nouveau. En effet, la jeune femme est exposée – R. M. Rilke (1906-1926) disait « ausgesetzt auf den Bergen des Herzens », « exposée sur les crêtes du cœur » [Rilke R.-M. (1906-1926). Nachgelassene und verstreute Gedichte. In : Gedichte. Frankfurt am Main : Insel Verlag, 1955, p. 862.] – comme si le sol s’était déjà effondrée sous elle et qu’elle continue, le temps d’un instant, à s’appuyer sur une illusion éphémère, sur la mince couche d’une apparence avant de chuter en l’abîme insondable du Réel. Ce Réel étant le fait de la douleur, de la folie, de la mort (Schauder, 2006).
-
[38]
Cf. la photographie dans le Catalogue raisonné de Reine-Marie Paris, Camille Claudel re-trouvée. Op. cit., p. 360.
-
[39]
Comment se fait-il que Rose, malgré les innombrables écarts de Rodin, a réussi, au bout du compte, à le maintenir sous son joug affectif ? En une inversion dialectique du maître et de l’esclave, Rodin était-il soumis à sa soumission ? Infidèle et démultipliant les aventures, était-il asservi à la fidélité de sa servante dont le dévouement absolu semble lui avoir valu une place, à ses côtés, pendant 53 ans ? Ou Rodin ne pouvait-il congédier une ombre, a fortiori s’il s’agissait d’une ombre maternelle ? Ces questions trouveront, peut-être, des éléments de réponse devant leur tombe commune, dans le jardin de Meudon. Sur la pierre tombale, nous déchiffrons : Rodin. L’artiste, seul devant l’Éternel, sans Auguste ni Rose, ayant dépouillé cette femme jusqu’au nom. Rodin est mort le 10 novembre 1916 en suivant, une fois de plus, Rose qui lui avait montré le chemin, le 16 février de la même année. Ou était-il parti se plaindre auprès d’elle pour sa seule infidélité, son premier abandon ?
-
[40]
Selon Judith Cladel [(1936). Rodin, sa vie glorieuse et inconnue. Paris : Grasset.] Rodin, de plus en plus gâteux, aurait demandé à la fin de sa vie après sa femme. Refusant de voir Rose, il se serait inquiété : « … ma femme qui est à Paris, est-ce qu’elle a de
l’argent ? » (Cité in : Cassar J. Dossier Camille Claudel. Op. cit., p. 262). Pensait-il à l’ombre, transférée de Paris à Montdevergues, qui allait passer trente ans de sa vie en asile ? En tout cas, Rodin a continué à soutenir, bien après leur rupture, Camille par l’intermédiaire d’amis communs, chargés de ne rien révéler de ses agissements tant financiers que matériels. -
[41]
Une analyse chronologique des œuvres de Rodin fait apparaître qu’il est peut-être devenu Rodin, en tout cas qu’il n’a jamais été aussi Rodin qu’en travaillant avec Camille comme modèle, assistante, maîtresse. S’il redoutait tant leur séparation alors que la situation était invivable depuis fort longtemps, craignait-il, en perdant Camille, de perdre sa créativité ? En tout cas, après la rupture, Rodin n’allait plus faire que du Rodin, s’auto-plagiant et masquant mal sa dépression créatrice.
-
[42]
Il faut lire et relire les lettres de Rodin à Camille dont l’orthographe, la syntaxe, la sémantique jusqu’à la composition elle-même, sont déformées sous l’assaut de la passion amoureuse (Cf. Catalogue raisonné de Reine-Marie Paris, Camille Claudel re-trouvée. Op. cit., pp. 40-44).
-
[43]
D’aucuns ont rapproché l’homme de L’Âge mûr d’un Ecce homo. L’on pourrait y voir, aussi, une descente de la croix qui fait du couple de Rose et Rodin une métaphore pathétique de Marie et Jésus.
-
[44]
L’on devrait réaliser, un jour, une étude approfondie des têtes inclinées dans l’œuvre de Camille Claudel. La tête délicieusement penchée de la danseuse de la Valse ; la Joueuse de flûte suivant la mélodie sinueuse de son instrument ; les têtes penchées sur leur secret des Causeuses ; la tête de Niobide tombée tragiquement sur sa blessure mortelle ; la tête de la Petite Châtelaine inclinée, incrédule, devant les mystères de la vie ; la tête de Sakountala penchée vers les murmures exquis de Douchmanta ; les Baigneuses levant leurs têtes pour voir s’abattre sur elles la Vague infernale ; les têtes de la vieille, de l’homme, de la jeune fille penchées qui pour chercher le chemin de la vie de L’Âge mûr, qui pour implorer, qui pour persuader l’autre de sa perte ; la tête de Clotho dévisageant, en un ricanement rétrospectif, le parcours heurté de sa vie – que des variations, des transpositions d’une même mélodie dont l’expression subtile permet à l’artiste des modulations à l’infini de cette attitude. Sur le plan technique, l’inclinaison de la tête permet de fixer une attitude qui, du fait de son aspect transitoire, semble saisir le personnage sur le vif, ce procédé apportant une solution satisfaisante au problème qu’est la représentation du mouvement en sculpture. Mais dans son Persée final, Camille Claudel nous confrontera avec une tête terrifiante, puisque définitive et droite (Schauder, 2002).
-
[45]
Cf. Schauder S. (1999b, 2002) et l’article très instructif de Jean-Pierre Armengaud [(1991). Regard/Écoute croisés : Camille Claudel et Claude Debussy. In : Paris R.-M., Camille Claudel re-trouvée. Op. cit., pp.143-154.] montrant une Camille Claudel qui, tout en n’ayant pas donné suite à sa liaison avec Debussy, semble avoir transposé la modernité de ses principes musicaux en sculpture. Dans une très émouvante lettre à Robert Godet, le 13 février 1891, Debussy donne toute la mesure de son amour éconduit pour Camille : « […] Il a bien fallu comprendre depuis, et j’ai laissé beaucoup de moi accroché à ces ronces, et serai longtemps à me remettre à la culture personnelle de l’art qui guérit tout (ce qui est une autre ironie, celui-ci contenant toutes les souffrances ; puis on les connaît, ceux qu’il a guéris !). […] Maintenant reste à savoir si elle contenait tout ce que je cherchais ! si ce n’étais pas le Néant ! Malgré tout, je pleure sur la disparition du rêve de ce rêve ! » (Cité in : Paris R.-M., Camille Claudel re-trouvée. Op. cit., p. 146).
-
[46]
Elle suit et dépasse en cela le grand maître de Rodin, à savoir Michel-Ange (Schauder, 1999b et 2003). Pour mieux saisir le mouvement chez Michel-Ange et Rodin, on lira, avec bonheur, le texte fondamental de G. Simmel [(1911). Michel-Ange et Rodin. Paris : Rivages poche, 1990].
-
[47]
Non seulement les figures de Camille Claudel possèdent une très forte cohérence interne, leur continuité entre elles nous fait les percevoir comme les parties d’une même pièce, un tissage ininterrompu assurant à chaque sculpture, la plupart du temps non signée, son identification immédiate comme « un Claudel ».
-
[48]
La Chapelle A. de (1989). L’art de Camille Claudel. In : Paris R.-M., Camille Claudel re-trouvée. Op. cit., p. 132.
-
[49]
La même figure hante, encore une fois et de manière encore plus troublante, le Persée (1897-1902) qui présente de nombreuses similitudes avec le danseur de La Valse (Schauder, 2002) et, aujourd’hui, avec l’homme de L’Âge mûr. Cette reproduction, à l’infini, des mêmes personnages occupant, seulement en apparence, des places différentes, crée une véritable mise en abîme de leur signification. Métaphore traversant l’œuvre de part en part, fantasme décliné sous différentes masques, l’homme, en fonction de sa position dans l’espace, ou crée l’enivrement érotique ou s’engage avec une ombre en une danse macabre ou projette dans la mort. Et si les trois mouvements étaient, au fond, la même chose, à trois moments différents ?
-
[50]
Lettre citée in : Rivière A., Gaudichon B., Camille Claudel Correspondance. Op. cit., p. 39.
-
[51]
Lettre sans date, probablement écrite en 1886, conservée aux Archives du Musée Rodin, inv. L 1451, citée in : Rivière A., Gaudichon B., Camille Claudel Correspondance. Op. cit., pp. 37-38.
-
[52]
De toute évidence, l’affect de la honte est une récurrence chez Rodin – honte de la profession de son père ; honte de son visage défiguré après un accident qui l’avait fait passer à travers une vitre et motivant son port de la barbe ; honte de Rose qu’il ne présentera à ses parents qu’après la naissance de leur fils ; honte de leur fils Auguste qu’il n’a jamais reconnu ; honte de son concubinage avec Rose qu’il mettra 53 ans à légitimer ; honte, peut-être, de ses chefs-d’œuvre dont il était le seul, avec Camille et Dieu, à percevoir les insuffisances et erreurs…
-
[53]
E. Blot fait ici erreur : il n’y a jamais eu de marbre de l’Implorante.
-
[54]
Cité in : Paris R.-M., Camille Claudel re-trouvée. Op. cit., pp. 151-152.
-
[55]
Claudel P. (1951). Ma sœur Camille, cité in : Cassar J., Dossier Camille Claudel. Op. cit., p. 436.
-
[56]
Bien entendu, ma question n’a qu’une simple fonction rhétorique. On ne verra jamais tout d’un tel chef-d’œuvre dont chaque perspective, chaque profil nécessiterait une nouvelle interprétation.
-
[57]
Notons que Sophie Postolska et Gwen John, après plusieurs années de liaison avec Rodin, sombrèrent, elles aussi, dans la folie. Est-ce à dire que Rodin les a toutes rendu folles ? Afin de mieux comprendre ce qui s’est passé dans cette répétition mortifère,
il convient de dépasser tant le lieu commun du génie-à-la-force-bestiale-qui-broie-tout-sur-son-passage et celui de l’innocence-pure-qui-se-livre-en-pâture-au-gros-ogre-génial-pour-se-faire-manger [cf. le film relativement bien senti, Surviving Picasso (1996), par James Ivory]. On peut plus raisonnablement supposer que premièrement, la fragilité psychique de ces trois femmes a préexisté à leur rencontre avec Rodin, qu’elle en a même été une de ses conditions fondatrices. Deuxièmement, cette fragilité les a fait s’investir corps et âme en une passion dont elles espéraient, à tort, une action galvanisante, salvatrice. Se savoir objet du désir du maître, voilà qui est un fantasme assez commun et narcissiquement confortable. Troisièmement, après le réveil brutal et la destitution inévitable, ces trois femmes ont commis l’erreur de prendre, dans une dernière illusion amoureuse, la perte de Rodin pour la perte d’elles-mêmes. Et du côté de Rodin ? Qu’est-ce qui a pu soutenir cette répétition pathétique, infernale ? Une étude plus appuyée de sa biographie nous apprend qu’il a perdu sa sœur, alors qu’elle n’avait que vingt-quatre ans. De deux ans son aînée, Marie avait subi une déception amoureuse, qui l’avait fait rentrer dans les ordres où elle est morte peu après, sans avoir pu prononcer ses vœux. Ce drame familial ne se réédite-t-il pas de manière sidérante dans le cas de Camille, Sophie et Gwen qui toutes les trois n’ont pas survécu, cette fois psychiquement, à la déception amoureuse que Rodin leur a infligée ? Comme si sa sœur, derrière ces trois visages, ne cessait de mourir…
Citer cet article
- Schauder, S.
- Schauder, Silke.
- SCHAUDER, Silke,
https://doi.org/10.3917/ado.064.0389
Notes
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[1]
Cf. notamment, les créations artistiques de Charles Gonzalès (Charles Gonzalès devient Camille Claudel, Théâtre du Lucernaire, 2004) ; La Compagnie (Camille Claudel, 1864-1943) ; Bruno Nuytten (Camille Claudel, 1989) ; Marie-Claude Pietragalla (Sakountala, 2002) et Michèle Desbordes (La robe bleue, 2004).
-
[2]
Claudel P. (1951). Ma sœur Camille, cité in : Cassar J. (1987). Dossier Camille Claudel. Paris : Librairie Archimbaud, Séguier, pp. 431-439 (pp. 431-432).
-
[3]
A. Dayot cité in : Cassar J., Dossier Camille Claudel. Op. cit., p. 401.
-
[4]
Ibid., p. 402.
-
[5]
Mirbeau O. (1893), cité in : Cassar J., Dossier Camille Claudel. Op. cit., p. 404.
-
[6]
Camille Claudel semble renouer ici avec un principe de l’art de la Renaissance : Léonard de Vinci a inventé la serpentinata, une construction helicoïdale qu’il a appliquée à ses portraits pour les doter d’une vivacité exceptionnelle. Ses personnages sont comme enroulés dans le temps, la spirale étant la seule forme pouvant assurer à la fois une dynamique stable et une stabilité dynamique.
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[7]
Claudel P. (1951). Ma sœur Camille, cité in : Cassar J., Dossier Camille Claudel. Op. cit., p. 433.
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[8]
Cité in : Rivière A., Gaudichon B., Ghanassa D. (1996). Camille Claudel. Catalogue raisonné. Paris : Adam Biro, p. 110.
-
[9]
Ibid.
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[10]
Cité in : Rivière A., Gaudichon B. (2003). Camille Claudel Correspondance. Paris : Gallimard, Collection Art et artistes, pp. 96-98.
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[11]
Il s’agit d’un procédé artistique qui est proche de l’assemblage expérimenté par Rodin : l’artiste transpose une figure dont il a déjà éprouvé l’efficacité auparavant, dans un contexte différent qui charge la figure en question d’un sens nouveau. La technique correspond en littérature à l’auto-citation et en peinture au collage ou au transfert.
-
[12]
Danièle Dravet, quant à elle, pose l’hypothèse que cette destruction réitère, de manière pathétique, la mort du frère aîné de Camille Claudel, Charles Henri. Sa disparition, à quinze jours de vie, le 16 août 1863, aurait hâté la conception de Camille, née le 8 décembre 1864, lui conférant le statut délicat d’enfant de remplacement et, portant de surcroît, un prénom bi-sexuel. La mort de ce premier fils aurait abîmé irrémédiablement le psychisme de leur mère dont Paul Claudel souligne à maintes reprises l’impitoyable sens du devoir et l’absence totale de tendresse.
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[13]
Cité in : Rivière A., Gaudichon B., Ghanassa D., Camille Claudel. Catalogue raisonné. Op. cit., p. 139.
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[14]
Morhardt M. (1898). Melle Camille Claudel, cité in : Cassar J., Dossier Camille Claudel. Op. cit., pp. 455-501 (p. 479).
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[15]
Sertat R. (1893), cité in : Rivière A., Gaudichon B., Ghanassa D., Camille Claudel. Catalogue raisonné. Op. cit., p. 96.
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[16]
Claudel P. (1951). Ma sœur Camille, cité in : Cassar J. Dossier Camille Claudel. Op. cit., p. 436.
-
[17]
Rose Beuret, avec laquelle Rodin vécut pendant cinquante-trois ans en concubinage, devint, le 29 janvier 1917, quelques jours avant sa mort, Madame Rodin. Leur photographie de mariage ressemble fâcheusement à un enterrement. Les deux, grandement âgés, semblent profiter de l’occasion pour s’habituer au fait d’entendre leur nom prononcé par un curé. La légende veut que Rodin aurait regardé un tableau de Van Gogh pendant qu’on lui demandait de dire oui. Le oui qu’il avait fini par prononcer s’adressait-il à l’art ou à celle qui, sur la pierre tombale commune, n’est même pas inscrite, effacée devant l’éternité comme elle l’était toute sa vie par les infidélités nombreuses et l’éloignement artistique d’un homme qu’elle s’obstinait à appeler, jusqu’à la fin, Monsieur Rodin ?
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[18]
Claudel P. (1951). Ma sœur Camille, cité in : Cassar J., Dossier Camille Claudel. Op. cit., p. 436.
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[19]
Cette dimension autobiographique est sans doute exacerbée chez les artistes femmes. Mais en même temps, la participation subjective est une loi presque triviale, à laquelle aucun artiste n’échappe (Schauder, 1999a). Aussi Léonard de Vinci disait-il « Ogni dipintore dipinge se » (Tout peintre se peint lui-même). Pratique artistique et pratique de l’autoportrait convergent alors en un seule acte associant la subjectivité de l’artiste et la constellation, ô combien complexe, de son désir.
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[20]
Claudel P. (1951). Ma sœur Camille, cité in : Cassar J., Dossier Camille Claudel. Op. cit., p. 436.
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[21]
En sculpture, les études préparatoires, les versions en plâtre, les tirages en bronze, les traductions en marbre d’une seule et même figure interrogent, de manière troublante, la notion même d’original.
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[22]
Claudel P. (1951). Ma sœur Camille, cité in : Cassar J., Dossier Camille Claudel. Op. cit., p. 435.
-
[23]
Ibid., p.106.
-
[24]
En effet, dans cette version, les équilibres se répartissent de manière à faire de l’homme – dans la rivalité féroce qui oppose les femmes, l’une hargneuse, l’autre suppliante – une sorte de languette qui fera pencher la balance.
-
[25]
Si aucun des protagonistes ne ressemble platement à son modèle, le profil de l’homme rappelle toutefois celui que Camille a donné à son magnifique buste de Rodin (1886-1892) auquel semblent s’appliquer ces mots du maître : « Un beau buste montre le modèle dans sa réalité morale et physique, dit ses pensées secrètes, sonde les recoins de son âme, ses grandeurs, ses faiblesses, tous les masques tombent. […] Par sa sensibilité même, l’artiste devient un révélateur, un devin » [cité in : Pinet H. (1994). Rodin, les mains du génie. Paris : Gallimard, p. 47].
-
[26]
Dans cette première version, la vieille femme semble vociférer, en s’adressant à la jeune : « Laisse-le. Tu ne vois pas qu’il est à moi ? » Dans la deuxième, elle chuchote à l’homme : « Laisse-là. Tu ne vois pas que tu es à moi ? » Ce changement, en apparence infime, constitue toute la révolution de L’Âge mûr et son intelligence cruelle. Avant, Camille avait situé le conflit essentiellement entre les deux femmes, l’homme étant l’objet concurrencé. Dans la deuxième version, l’artiste a déplacé l’action vers le couple formé par la vieille femme et l’homme qui, en faisant bloc, excluent la jeune femme, en une triangulation tristement connue. Les nouages du complexe œdipien sont ici multiples : la mère de Camille et Rodin sont nés la même année ; Camille a deux ans de plus que le fils de Rodin, Auguste Beuret qui lui, est né la même année que Louise, la sœur de Camille…
-
[27]
Claudel P. (1951). Ma sœur Camille, cité in : Cassar J., Dossier Camille Claudel. Op. cit., pp. 435-436.
-
[28]
Notamment quand il s’agit d’un ménage à trois… Pendant les dix ans de leur liaison tumultueuse, Camille Claudel avait espéré la dissolution du couple Rodin-Beuret pour se voir légitimée, elle. Afin de railler la solidité inattendue de ce couple, elle
a réalisé, en 1892, plusieurs dessins à charge dont « Le réveil. Douce remontrance par Beuret », montrant Rose enlaçant Rodin et le disputant comme un enfant désobéissant ; « Le système cellulaire, premier dessin avec légende » : un Rodin au cachot est surveillé par une Rose équipée d’un vrai balai de sorcière et enfin, « Le collage », le dessin le plus féroce : Rodin et Rose nus, à quatre pattes, collés l’un à l’autre par les fesses, avec pour légende « Ah ! ben vrai ! que ça tient », où Rodin essaie, en vain, de se détacher de sa compagne en s’agrippant à un arbre. Autant de sublimations de la déception amère et de la haine provoquées par l’indécision de l’amant de Camille, ou, pire, par sa décision de ne pas se décider… -
[29]
Sur la récurrence de cet instant avant la chute qui est décliné sous différentes formes dans l’œuvre de Camille Claudel, voir le très beau texte d’Arnaud de La Chapelle (1989). L’art de Camille Claudel. In : Paris R.-M., (2000). Camille Claudel re-trouvée. Catalogue raisonné. Paris : Éds. Aittouarès, pp. 113-141 (p. 102).
-
[30]
Dans une lettre au Capitaine Tessier, Camille Claudel donne l’explication suivante : « Les bras de la même figure en plâtre sont […] un peu plus écartés que sur la vôtre parce qu’au dernier moment où mon groupe partait au Salon j’ai fait cette modification qui n’existait pas dans la figure première existante » (Cité in : Rivière A., Gaudichon B., Ghanassa D., Camille Claudel. Catalogue raisonné. Op. cit., p. 115). Ce repentir a sans doute eu pour but d’accentuer la saisie impossible de l’homme qui échappe irrémédiablement à L’Implorante. Il est curieux que Paul Claudel (1951), sensible à l’ogive formée par l’interstice entre la main de l’homme et celles de la jeune femme, n’ait pas commenté le vide, proprement métaphysique, que la jeune femme tient dans ses bras.
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[31]
Cf. le croquis préparatoire avec l’arbre de la destinée mentionné dans la lettre que Camille a écrit en 1893 à son frère Paul.
-
[32]
Traduisant leur identification exclusive à la jeune fille dont la vieille aurait précipité la perte, tous les commentateurs s’accordent à dire la méchanceté de la mégère, projetant sur elle une fantasmagorie digne d’un conte cruel. Or, il faut tout de même souligner que sa violence essentielle réside dans la douceur avec laquelle elle se penche sur l’homme pour le persuader de la suivre.
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[33]
Je dois cette belle expression à Roman Polanski qui, lors d’un débat cinématographique au Palais Chaillot, a ainsi répondu à une jeune femme un peu sur le retour, qui espérait visiblement être « découverte » par le maître. Se collant à lui dans la foule, elle lui avait demandé, en écartant deux doigts de sa main, « just two minutes », pour lui parler. Calmement, Roman Polanski a replié les aiguilles formées par ses doigts en lui disant : « Sorry – we are not on the same level of time. »
-
[34]
Pour permettre à un de ses acheteurs, le Capitaine Tessier, d’amener L’Implorante avec lui lors de ses fréquents déplacements, de garnison en garnison, Camille Claudel avait fait réaliser, en 1899, une fonte de cette figure seule, sur sa partie amovible. En 1902, cet amateur d’art allait acquérir les deux autres personnages. Un système de tenons s’adaptant à l’ensemble devait faciliter le transport, séparément, du groupe, et, de manière métaphorique, le transport seul de la jeune fille dont la demande, sans Dieu en face, semble encore plus en souffrance. Ou est-ce que le détachement complet de la jeune fille du groupe des trois permettait au Capitaine de prendre la place de l’homme d’âge mûr, aimé, adulé comme un Dieu ?
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[35]
Dans une lettre au Capitaine Tessier désireux d’acquérir son groupe mais hésitant quant au prix, Camille écrit : « La Valse, me dites-vous est mise à prix chez Siot 3000 (j’ai toujours cru 4) mais il n y a que deux personnages et les draperies sont loin d’être aussi compliquées, puis il y a la plinthe de L’Âge mûr qui est complètement à jour et dans laquelle il y a autant de travail que dans le groupe » (Cité in : Paris R.-M., Camille Claudel re-trouvée. Op. cit., p. 351. Souligné par moi).
-
[36]
À l’instar des rochers du Geyn qui avaient tant fasciné Camille et Paul enfants, le sol semble modelé par les forces aveugles, peut-être divines, de la Nature. Aussi les pressions que des millénaires d’intempéries ont fait subir aux rochers se confondent-elles, dans L’Âge mûr, avec l’érosion des paysages du cœur.
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[37]
Une photographie, à la page 122 du Catalogue raisonné établi par Reine-Marie Paris, Camille Claudel re-trouvée. Op. cit., montre un exemplaire de L’Âge mûr exposé sur une stèle en bois qui ne donne appui qu’à la partie gauche de la composition, indiquant sans équivoque que son centre de gravité est bien là. La partie sur laquelle tombe à genoux la jeune femme est, quant à elle, entièrement suspendue dans le vide – cette disposition de la sculpture provoque un effet d’interprétation saisissant et charge le fait d’exposer une œuvre d’un sens tout à fait nouveau. En effet, la jeune femme est exposée – R. M. Rilke (1906-1926) disait « ausgesetzt auf den Bergen des Herzens », « exposée sur les crêtes du cœur » [Rilke R.-M. (1906-1926). Nachgelassene und verstreute Gedichte. In : Gedichte. Frankfurt am Main : Insel Verlag, 1955, p. 862.] – comme si le sol s’était déjà effondrée sous elle et qu’elle continue, le temps d’un instant, à s’appuyer sur une illusion éphémère, sur la mince couche d’une apparence avant de chuter en l’abîme insondable du Réel. Ce Réel étant le fait de la douleur, de la folie, de la mort (Schauder, 2006).
-
[38]
Cf. la photographie dans le Catalogue raisonné de Reine-Marie Paris, Camille Claudel re-trouvée. Op. cit., p. 360.
-
[39]
Comment se fait-il que Rose, malgré les innombrables écarts de Rodin, a réussi, au bout du compte, à le maintenir sous son joug affectif ? En une inversion dialectique du maître et de l’esclave, Rodin était-il soumis à sa soumission ? Infidèle et démultipliant les aventures, était-il asservi à la fidélité de sa servante dont le dévouement absolu semble lui avoir valu une place, à ses côtés, pendant 53 ans ? Ou Rodin ne pouvait-il congédier une ombre, a fortiori s’il s’agissait d’une ombre maternelle ? Ces questions trouveront, peut-être, des éléments de réponse devant leur tombe commune, dans le jardin de Meudon. Sur la pierre tombale, nous déchiffrons : Rodin. L’artiste, seul devant l’Éternel, sans Auguste ni Rose, ayant dépouillé cette femme jusqu’au nom. Rodin est mort le 10 novembre 1916 en suivant, une fois de plus, Rose qui lui avait montré le chemin, le 16 février de la même année. Ou était-il parti se plaindre auprès d’elle pour sa seule infidélité, son premier abandon ?
-
[40]
Selon Judith Cladel [(1936). Rodin, sa vie glorieuse et inconnue. Paris : Grasset.] Rodin, de plus en plus gâteux, aurait demandé à la fin de sa vie après sa femme. Refusant de voir Rose, il se serait inquiété : « … ma femme qui est à Paris, est-ce qu’elle a de
l’argent ? » (Cité in : Cassar J. Dossier Camille Claudel. Op. cit., p. 262). Pensait-il à l’ombre, transférée de Paris à Montdevergues, qui allait passer trente ans de sa vie en asile ? En tout cas, Rodin a continué à soutenir, bien après leur rupture, Camille par l’intermédiaire d’amis communs, chargés de ne rien révéler de ses agissements tant financiers que matériels. -
[41]
Une analyse chronologique des œuvres de Rodin fait apparaître qu’il est peut-être devenu Rodin, en tout cas qu’il n’a jamais été aussi Rodin qu’en travaillant avec Camille comme modèle, assistante, maîtresse. S’il redoutait tant leur séparation alors que la situation était invivable depuis fort longtemps, craignait-il, en perdant Camille, de perdre sa créativité ? En tout cas, après la rupture, Rodin n’allait plus faire que du Rodin, s’auto-plagiant et masquant mal sa dépression créatrice.
-
[42]
Il faut lire et relire les lettres de Rodin à Camille dont l’orthographe, la syntaxe, la sémantique jusqu’à la composition elle-même, sont déformées sous l’assaut de la passion amoureuse (Cf. Catalogue raisonné de Reine-Marie Paris, Camille Claudel re-trouvée. Op. cit., pp. 40-44).
-
[43]
D’aucuns ont rapproché l’homme de L’Âge mûr d’un Ecce homo. L’on pourrait y voir, aussi, une descente de la croix qui fait du couple de Rose et Rodin une métaphore pathétique de Marie et Jésus.
-
[44]
L’on devrait réaliser, un jour, une étude approfondie des têtes inclinées dans l’œuvre de Camille Claudel. La tête délicieusement penchée de la danseuse de la Valse ; la Joueuse de flûte suivant la mélodie sinueuse de son instrument ; les têtes penchées sur leur secret des Causeuses ; la tête de Niobide tombée tragiquement sur sa blessure mortelle ; la tête de la Petite Châtelaine inclinée, incrédule, devant les mystères de la vie ; la tête de Sakountala penchée vers les murmures exquis de Douchmanta ; les Baigneuses levant leurs têtes pour voir s’abattre sur elles la Vague infernale ; les têtes de la vieille, de l’homme, de la jeune fille penchées qui pour chercher le chemin de la vie de L’Âge mûr, qui pour implorer, qui pour persuader l’autre de sa perte ; la tête de Clotho dévisageant, en un ricanement rétrospectif, le parcours heurté de sa vie – que des variations, des transpositions d’une même mélodie dont l’expression subtile permet à l’artiste des modulations à l’infini de cette attitude. Sur le plan technique, l’inclinaison de la tête permet de fixer une attitude qui, du fait de son aspect transitoire, semble saisir le personnage sur le vif, ce procédé apportant une solution satisfaisante au problème qu’est la représentation du mouvement en sculpture. Mais dans son Persée final, Camille Claudel nous confrontera avec une tête terrifiante, puisque définitive et droite (Schauder, 2002).
-
[45]
Cf. Schauder S. (1999b, 2002) et l’article très instructif de Jean-Pierre Armengaud [(1991). Regard/Écoute croisés : Camille Claudel et Claude Debussy. In : Paris R.-M., Camille Claudel re-trouvée. Op. cit., pp.143-154.] montrant une Camille Claudel qui, tout en n’ayant pas donné suite à sa liaison avec Debussy, semble avoir transposé la modernité de ses principes musicaux en sculpture. Dans une très émouvante lettre à Robert Godet, le 13 février 1891, Debussy donne toute la mesure de son amour éconduit pour Camille : « […] Il a bien fallu comprendre depuis, et j’ai laissé beaucoup de moi accroché à ces ronces, et serai longtemps à me remettre à la culture personnelle de l’art qui guérit tout (ce qui est une autre ironie, celui-ci contenant toutes les souffrances ; puis on les connaît, ceux qu’il a guéris !). […] Maintenant reste à savoir si elle contenait tout ce que je cherchais ! si ce n’étais pas le Néant ! Malgré tout, je pleure sur la disparition du rêve de ce rêve ! » (Cité in : Paris R.-M., Camille Claudel re-trouvée. Op. cit., p. 146).
-
[46]
Elle suit et dépasse en cela le grand maître de Rodin, à savoir Michel-Ange (Schauder, 1999b et 2003). Pour mieux saisir le mouvement chez Michel-Ange et Rodin, on lira, avec bonheur, le texte fondamental de G. Simmel [(1911). Michel-Ange et Rodin. Paris : Rivages poche, 1990].
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[47]
Non seulement les figures de Camille Claudel possèdent une très forte cohérence interne, leur continuité entre elles nous fait les percevoir comme les parties d’une même pièce, un tissage ininterrompu assurant à chaque sculpture, la plupart du temps non signée, son identification immédiate comme « un Claudel ».
-
[48]
La Chapelle A. de (1989). L’art de Camille Claudel. In : Paris R.-M., Camille Claudel re-trouvée. Op. cit., p. 132.
-
[49]
La même figure hante, encore une fois et de manière encore plus troublante, le Persée (1897-1902) qui présente de nombreuses similitudes avec le danseur de La Valse (Schauder, 2002) et, aujourd’hui, avec l’homme de L’Âge mûr. Cette reproduction, à l’infini, des mêmes personnages occupant, seulement en apparence, des places différentes, crée une véritable mise en abîme de leur signification. Métaphore traversant l’œuvre de part en part, fantasme décliné sous différentes masques, l’homme, en fonction de sa position dans l’espace, ou crée l’enivrement érotique ou s’engage avec une ombre en une danse macabre ou projette dans la mort. Et si les trois mouvements étaient, au fond, la même chose, à trois moments différents ?
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[50]
Lettre citée in : Rivière A., Gaudichon B., Camille Claudel Correspondance. Op. cit., p. 39.
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[51]
Lettre sans date, probablement écrite en 1886, conservée aux Archives du Musée Rodin, inv. L 1451, citée in : Rivière A., Gaudichon B., Camille Claudel Correspondance. Op. cit., pp. 37-38.
-
[52]
De toute évidence, l’affect de la honte est une récurrence chez Rodin – honte de la profession de son père ; honte de son visage défiguré après un accident qui l’avait fait passer à travers une vitre et motivant son port de la barbe ; honte de Rose qu’il ne présentera à ses parents qu’après la naissance de leur fils ; honte de leur fils Auguste qu’il n’a jamais reconnu ; honte de son concubinage avec Rose qu’il mettra 53 ans à légitimer ; honte, peut-être, de ses chefs-d’œuvre dont il était le seul, avec Camille et Dieu, à percevoir les insuffisances et erreurs…
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[53]
E. Blot fait ici erreur : il n’y a jamais eu de marbre de l’Implorante.
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[54]
Cité in : Paris R.-M., Camille Claudel re-trouvée. Op. cit., pp. 151-152.
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[55]
Claudel P. (1951). Ma sœur Camille, cité in : Cassar J., Dossier Camille Claudel. Op. cit., p. 436.
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[56]
Bien entendu, ma question n’a qu’une simple fonction rhétorique. On ne verra jamais tout d’un tel chef-d’œuvre dont chaque perspective, chaque profil nécessiterait une nouvelle interprétation.
-
[57]
Notons que Sophie Postolska et Gwen John, après plusieurs années de liaison avec Rodin, sombrèrent, elles aussi, dans la folie. Est-ce à dire que Rodin les a toutes rendu folles ? Afin de mieux comprendre ce qui s’est passé dans cette répétition mortifère,
il convient de dépasser tant le lieu commun du génie-à-la-force-bestiale-qui-broie-tout-sur-son-passage et celui de l’innocence-pure-qui-se-livre-en-pâture-au-gros-ogre-génial-pour-se-faire-manger [cf. le film relativement bien senti, Surviving Picasso (1996), par James Ivory]. On peut plus raisonnablement supposer que premièrement, la fragilité psychique de ces trois femmes a préexisté à leur rencontre avec Rodin, qu’elle en a même été une de ses conditions fondatrices. Deuxièmement, cette fragilité les a fait s’investir corps et âme en une passion dont elles espéraient, à tort, une action galvanisante, salvatrice. Se savoir objet du désir du maître, voilà qui est un fantasme assez commun et narcissiquement confortable. Troisièmement, après le réveil brutal et la destitution inévitable, ces trois femmes ont commis l’erreur de prendre, dans une dernière illusion amoureuse, la perte de Rodin pour la perte d’elles-mêmes. Et du côté de Rodin ? Qu’est-ce qui a pu soutenir cette répétition pathétique, infernale ? Une étude plus appuyée de sa biographie nous apprend qu’il a perdu sa sœur, alors qu’elle n’avait que vingt-quatre ans. De deux ans son aînée, Marie avait subi une déception amoureuse, qui l’avait fait rentrer dans les ordres où elle est morte peu après, sans avoir pu prononcer ses vœux. Ce drame familial ne se réédite-t-il pas de manière sidérante dans le cas de Camille, Sophie et Gwen qui toutes les trois n’ont pas survécu, cette fois psychiquement, à la déception amoureuse que Rodin leur a infligée ? Comme si sa sœur, derrière ces trois visages, ne cessait de mourir…
1Dans cet essai, je propose une étude de l’œuvre de Camille Claudel sous l’aspect spécifique du temps. Comment ses sculptures s’inscrivent-elles dans le temps chronologique d’une vie ? Par quel truchement l’artiste résout-elle la difficulté majeure, inhérente à toute sculpture, à savoir la représentation du mouvement ? Comment les sculptures elles-mêmes, par leur thème, leur épaisseur et leur complexité, font-elles apparaître l’œuvre du temps ?
2Afin de réunir des éléments de réponse à ces questions, je vais analyser plus en détail sept sculptures de Camille Claudel : La Valse (1889-1905), Sakountala (1886-1905), Les Causeuses (1896), La Vague (1897-1903), Persée et la Gorgone (1897-1902), Clotho (1893-1897) et enfin, L’Âge mûr (1894-1900) qui est considéré par d’aucuns comme son chef-d’œuvre. Chaque sculpture sera interrogée en ce qui concerne ses rapports subtils au temps, ce dernier me paraissant être une constante dans l’œuvre de Camille Claudel (Schauder, 1999b, 2002). Notamment en approfondissant la lecture de L’Âge mûr, je tenterai de montrer l’intérêt d’une approche génétique de l’œuvre. La comparaison des différentes versions – la première datant de 1894, la dernière de 1900 – nous permet-elle de saisir les modifications tant artistiques que relationnelles qui sont intervenues dans l’intervalle ? En quoi ces différentes étapes peuvent-elles nous renseigner sur la question, essentielle, de la sublimation ? L’Âge mûr (1898) est à Camille Claudel ce qu’est Le partage de Midi à son frère : le zénith irrémédiablement dépassé de sa vie (Arnoux, 2002), le témoignage bouleversant de la rencontre, dévastatrice, avec celui, « qui n’a pas su prendre son âme ». Dans cette sculpture qui sur le plan biographique représente sa rupture avec Rodin, nous pourrons voir, outre son drame personnel, le temps même à l’œuvre qui traverse et façonne cette sculpture de part en part.
3Que l’œuvre d’art naisse de la perte, qu’elle constitue, par les opérations complexes de la sublimation, une métaphore intime et un dépassement possible du deuil : voilà les hypothèses qui seront présentées au débat. Je conclurai sur la folie largement débattue de Camille Claudel : devons-nous la penser, entre autres, comme un échec progressif et irréversible de la sublimation ? Celle-ci semble non pas s’appuyer sur la pulsion de vie, mais constituer davantage un contenant de plus en plus fragilisé, puis détruit par la pulsion de mort…
Préalables théoriques
4Parler d’une œuvre, et plus encore d’une œuvre comme celle de Camille Claudel, est une entreprise risquée, si ce n’est vouée à l’échec. L’œuvre en elle-même ne nous dit-elle pas tout ? Le discours sur l’œuvre n’est-il pas une sorte d’excroissance morbide, une forme de tumeur qui se greffe sur le corps mystérieux et opaque de l’œuvre ? Celle-ci ne se passe-t-elle pas d’un commentaire qui souvent la fait taire plus qu’elle ne la fait parler ? Plusieurs dangers guettent celui qui désire parler d’une œuvre artistique. Entre les fausses promesses de la psychanalyse appliquée et les sirènes de la psycho-biographie, entre les interprétations réductionnistes et les explications à l’emporte-pièce de telle ou telle réalisation artistique, hasardeusement rapprochée de tel ou tel événement biographique, la marge de manœuvre du commentaire est vertigineusement mince.
5Devons-nous lire l’œuvre à la lumière de la vie ou plutôt lire la vie à la lumière de l’œuvre ? Je proposerai ici une lecture simultanée, à l’instar d’une partition musicale, tout en me méfiant des causalités trompeuses, des images d’Épinal de l’artiste maudite et de l’injonction émanant du lieu commun qu’« il faut être malheureux pour créer ». Parce que ces différents risques sont exacerbés dans le cas de Camille Claudel par un parcours qui se prête tout particulièrement à la mythification et à la mystification : sa beauté exceptionnelle, la précocité de son talent, la fulgurance de ses œuvres, sa passion amoureuse, Rodin, la rupture, sa folie et sa déchéance finale sont autant d’éléments dont sont faits, depuis toujours, les romans et les rêves. Autant d’éléments qui se sont particulièrement bien prêtés à la transposition de son histoire au théâtre, au cinéma, en danse et en littérature [1]. Mais qui était Camille Claudel, derrière ces versions et miroirs ?
6C’est dans ces termes que la décrit son frère Paul Claudel : « Je la revois, cette superbe jeune fille, dans l’éclat triomphal de la beauté et du génie et dans l’ascendant, souvent cruel, qu’elle exerça sur mes jeunes années : telle la photo de César au frontispice du numéro fameux de l’Art décoratif […]. Un front superbe, surplombant des yeux magnifiques, de ce bleu si foncé et si rare à rencontrer ailleurs que dans les romans, […] cette grande bouche plus fière encore que sensuelle, cette puissante touffe de cheveux châtains, le vrai châtain que les Anglais nomment auburn, qui lui tombait jusqu’aux reins. Un air impressionnant de courage, de franchise, de supériorité, de gaîté. Quelqu’un qui a reçu beaucoup » [2].
7Afin d’éclairer ce que nous avons reçu d’elle, il convient de discuter ici d’un paradoxe qui est propre au traitement du temps dans la sculpture. La condition de la sculpture n’est-ce pas son immobilité, laquelle est déterminée par son recours, obligé, à la matière inerte ? Pour les amateurs, la pierre est synonyme même de l’insensibilité, de l’inanimé, de la mort. En effet, tant Michel-Ange que Rodin et Camille Claudel ont en commun d’avoir interrogé la sculpture à partir de sa limite : son immuabilité, sur laquelle elle est contrainte de buter. Mais pour ces trois artistes, le défi de la sculpture a consisté à donner corps à la matière en l’inscrivant à la fois dans l’espace et dans le temps. Ainsi, l’exploit suprême a porté chez eux sur la captation du mouvement, laquelle est possible grâce à la présence du temps dans la pierre. Une véritable filiation artistique lie Michel-Ange, Rodin, Camille Claudel : tous trois ont révolutionné non seulement le traitement de l’espace, mais celui du temps qu’ils ont fait participer de manière intime à leurs statues. Processus inexorablement tragique ou court instant jailli du flot des heures, le temps est gravé en leurs sculptures comme la signature indélébile du vivant.
8Mais le paradoxe de la sculpture est qu’elle ne peut, qu’elle ne sait représenter qu’un instant – elle est pour ainsi dire une prise de vue unique d’un événement qui a débuté avant et qui continue après elle. Or, cet instant unique, dans sa sélectivité inévitable, doit être si représentatif de l’événement que la sculpture parvient à le rendre de manière condensée. Dans cette restitution a lieu un nouveau paradoxe : bien que la sculpture soit immobile, elle semble sujette à un mouvement lequel monte continuellement à sa surface au risque de la déchirer. Michel-Ange est incontestablement l’inventeur de cette technique qui sera étudiée en détail par Rodin et appliquée, à la perfection, par Camille Claudel.
9Je pose comme axiome que les sculptures de Camille Claudel participent d’un double mouvement qui les inscrit à la fois dans l’espace illimité de l’Éternité et dans celui, totalement immédiat, de l’instant présent – ce double mouvement signant l’appartenance de l’œuvre au sublime. Par quels mécanismes sont assurés la bouleversante présence et l’appel puissant de ces œuvres plastiques ? Comment la Valse (1889-1905) nous entraîne-t-elle en un tourbillon sans fin ? Comment Sakountala (1886-1905) parvient-elle, à l’instar de la lumière d’une étoile éteinte, à nous émouvoir encore aujourd’hui ? Comment les Causeuses nous incitent-elles à vouloir pénétrer leur secret ? Comment la Vague (1897-1903) ne cesse-t-elle de s’abattre sur les baigneuses terrifiées ? Comment Persée et la Gorgone (1897-1902) figurent-ils à la fois l’instant de l’effroi et une horreur sans fin ? Comment la Clotho (1893-1897) se perd-elle toujours plus dans les méandres du temps ? Le groupe de l’Âge mûr, quant à lui, nous renseignera sur le pouvoir extraordinaire de condensation que possède cette œuvre, « cette forme capitalisée du destin », qui résume et fait culminer des instants successifs en un seul moment a-temporel.
La Valse (1889-1905) ou the time of this waltz
10Regardons La Valse, peut-être l’œuvre la plus heureuse de Camille Claudel qui représente le tourbillon sensuel de deux danseurs que la musique emporte. Comme toutes les sculptures de Camille Claudel, La Valse a une histoire mouvementée tant en ce qui concerne les différentes étapes de sa réalisation que le destin des différentes versions qui existent d’elle. Notons, pour introduire nos réflexions que Debussy, amant éconduit de Camille Claudel, possédait un exemplaire de La Valse qui était installé jusqu’à sa mort sur son piano.
11Une première version, datant de 1889, montre deux danseurs entraînés dans un déséquilibre vertigineux, enroulés dans un voile qui s’élève essentiellement au-dessus d’eux. La danse leur monte littéralement à la tête en volutes voluptueuses. Heureusement, Camille Claudel a abandonné cette transcription trop cérébrale du tourbillon dans lequel le couple est pris pour, dans une deuxième version, faire descendre le voile à un endroit infiniment plus adéquat, à savoir les fesses et les jambes de la belle danseuse. Cette modification importante a une histoire qui mérite, et pas seulement pour ses implications esthétiques, d’être racontée ici. Armand Dayot, inspecteur des Beaux-Arts a, dans un rapport daté du 20 mars 1892, opposé d’abord un refus net à ce groupe : « Pour deux raisons, cette œuvre ne peut pas être acceptée telle qu’elle m’a été présentée. D’abord le violent accent de réalité qui s’en dégage lui interdit, malgré son incontestable valeur, une place dans une galerie ouverte au public. Le rapprochement des sexes est rendu avec une surprenante sensualité d’expression qui exagère considérablement la nudité absolue de tous les détails humains. […] D’un autre côté […] je sais que Jupiter épouvanté de former des androgynes sépara les sexes et que Vénus compatissante leur enseigna la volte, danse tournoyante qui réunissait de nouveau les deux êtres. Mais c’est bien la valse et non la volte dont il serait peut-être difficile de retrouver aujourd’hui le rythme, que Mlle Claudel a voulu peindre […] ce qui convient à la légèreté de la valse, c’est […] l’enroulement rythmique des draperies qui donnent comme des ailes aux danseuses […]. J’ai donc cru bien faire en demandant à Mlle Claudel d’habiller ses personnages » [3].
12Le message du méticuleux inspecteur a été on ne peut plus clair : « Refoulez-moi ça… » ou, en paraphrasant Molière : « Cachez ce rapport sexuel que je ne saurais voir. » L’artiste avise l’inspecteur Dayot le 21 décembre 1892 qu’elle a « fait pendant tout l’été des études de draperie sur le même groupe qui sont maintenant terminées », et qu’elle attend une nouvelle inspection. Dans le deuxième rapport daté du 9 janvier 1893, l’inspecteur note : « Pendant les six mois, Mlle Camille Claudel, avec une persistance vraiment héroïque a cherché à mieux faire, ou plutôt à relever la remarquable plastique de son sujet par une couleur plus franchement symbolique et je dois reconnaître que les efforts consciencieux et ses difficiles recherches ont été couronnés de succès. » Armand Dayot s’autorise, enfin, à voir dans l’œuvre modifiée un « gracieux enlacement de formes superbes balancées dans un rythme harmonieux au milieu de l’enveloppement tournoyant des draperies. Ah ! ces draperies sont bien frêles. Mlle Claudel a voulu sacrifier le moins de nu possible et elle a eu raison. Mais elles suffisent à voiler les détails trop visiblement réalistes et à indiquer en même temps le caractère du sujet. Ce groupe, déjà si beau, d’une originalité si saisissante et d’une si puissante exécution, gagnerait beaucoup à être transcrit en marbre » [4].
13Ce projet, comme tant d’autres, ne verra jamais le jour. Mais retenons que le très scrupuleux Inspecteur, tout en exerçant la censure, a amélioré, sans le vouloir, la Valse de Camille Claudel. Car le fait de voiler les fesses de la danseuse a eu un effet diamétralement opposé à ses souhaits. Maintenant, le groupe est pire : les drapés qui se collent sur les reins en sueur de la danseuse rendent leur chute encore plus visible, leur galbe encore plus saillant – en un mot, elle est plus désirable encore. Armand Dayot a souligné un point essentiel de la Valse qui étaye mon propos – il en a perçu le rythme, qui la rapproche en effet de la volte, de l’effacement voluptueux de la différence sexuelle dans l’acte, de l’abandon entier à la jouissance dont Octave Mirbeau, dans son très juste commentaire de la Valse, disait ne pas savoir si elle appartient à l’amour ou à la mort : « Enlacés l’un à l’autre, la tête de la femme adorablement penchée sur l’épaule de l’homme, voluptueux et chastes, ils s’en vont, ils tournoient lentement, presque soulevés au-dessus du sol, presque aériens, soutenus par cette force mystérieuse qui maintient en équilibre les corps penchés, les corps envolés, comme s’ils étaient conduits par des ailes. Mais où vont-ils, éperdus dans l’ivresse de leur âme et de leur chair si étroitement jointes ? Est-ce à l’amour, est-ce à la mort ? » [5].
14Cette sculpture, tout en exaltant le bonheur fugitif de la danse, exprime en même temps une profonde tristesse : les danseurs de Camille Claudel savent que la valse est vanité, ivresse qui ne dure pas, effusion qui se meurt. Suspendus au même désir, ils cherchent à retenir le temps qui fuit, à l’arrêter totalement pour faire durer cet instant magique, magiquement partagé – mais ils savent en même temps que leur bonheur est le sujet, qu’il est l’esclave du temps. Sans le temps, la valse ne peut avoir lieu. La valse est une des figures du temps, elle en est la mesure : les danseurs sont soumis aux trois temps qui sont le vide, l’arrêt, la fin (Schauder, 1999b). Camille Claudel fait s’incliner son couple en un déséquilibre vertigineux dont seule la vitesse peut encore le sauver.
15Le danseur se penche délicatement sur la danseuse pour toucher, presque, de ses lèvres le creux de son cou. Là est le lieu d’une véritable révolution : Camille Claudel ouvre son groupe à un nouveau sens, jamais représenté en sculpture, à savoir l’odorat. Oui, le danseur hume le parfum de sa danseuse, il s’enivre d’elle, il respire sa peau pour en goûter la chaleur. Sentant son souffle, celle-ci appuie un peu plus sa main droite sur la sienne comme pour le repousser. Le galbe de sa petite main dodue, presque potelée, enfantine, traduit un spasme délicieux. Tourne. Tournons. Je tourne à ton bras. Cette séduction réciproque, ce ravissement, cette extase, Camille Claudel les a obtenus par une technique des plus précises, à savoir la construction en spirale de sa sculpture qu’elle a fait tourner, inlassablement, sur le pivot afin de lui imprimer, par touches et retouches, ce mouvement tournoyant, admirable, sans fin [6]. Lequel se transmet de manière irrésistible au spectateur contraint, par une attraction secrète, de tourner autour de la Valse, toujours et encore, pour tenter de la regarder – en trois temps.
Sakountala (1886-1905) ou « la seconde avant le contact »
16Sakountala ou l’abandon est une de ses plus belles sculptures, sans doute sa plus lumineuse. Pour l’élaborer, Camille Claudel s’est basée sur un mythe hindou relaté dans un poème de Kalidasa dont elle a capté le moment le plus significatif. Séparés pendant leur vie terrestre par un enchantement, les époux se retrouvent enfin au Nirvana. Quiconque a perdu ce qu’il croyait indispensable à sa vie, quiconque a retrouvé ce qu’il pensait perdu pour toujours, sait ce que sentent Sakountala et Douchmanta en ce moment exquis. Camille Claudel les a fait tendre l’un vers l’autre par un jeu subtil d’approche et d’hésitation qui culmine, enfin, dans leur reconnaissance mutuelle. L’angle que composent la tête, le buste et le bras de la femme est le miroir fidèle de son inclination pour l’homme qui, à genoux sur la terre délicieusement promise, enlace celle qu’il craint de chasser comme une pensée. Il est remarquable que le bras gauche de Douchmanta entoure déjà sa bien-aimée, alors que son bras droit reste encore suspendu, sans se poser sur les reins de Sakountala. Il lève sa tête comme vers une étoile, les muscles de son cou sont tendus comme pour boire à une source. Leur contact, pour charnel qu’il est, reste incomplet, timide, comme si, à force de l’avoir rêvé pendant trop longtemps, il ne pouvait plus avoir lieu.
17En 1951, Paul Claudel a donné une comparaison saisissante de Sakountala et du Baiser de Rodin dont il critique la grossièreté pour louer la subtilité de la réalisation de sa sœur : « Dans le groupe de ma sœur, l’esprit est tout, l’homme à genoux, il n’est que désir, le visage levé, aspiré, étreint avant qu’il n’ose le saisir cet être merveilleux, cette chair sacrée, qui, d’un niveau supérieur, lui est échue. Elle cède, aveugle, muette, lourde, elle cède à ce poids qu’est l’amour, l’un des bras détaché, comme une branche terminée par un fruit, l’autre couvre les seins et protège le cœur, suprême asile de la virginité. Il est impossible de voir rien à la fois de plus ardent et de plus chaste. Et comme tout cela, jusqu’aux frissons les plus secrets d’âme et de la peau, frémit d’une vie indicible. La seconde avant le contact » [7].
18Dans ce commentaire, Paul Claudel attire à juste titre l’attention sur la temporalité qui fonde cette sculpture. Elle a pour cœur cet instant unique, qui, après tant d’errances et tant de privations cruelles, sublime plus l’étreinte qu’il ne la réalise. Le désir de Sakountala et de Douchmanta ne cesse de se renouveler dans le mouvement subtil et réciproque de leurs corps. Le couple, porté par un seul et même élan, ne cesse de se retrouver, comme si le temps de leurs retrouvailles se dilatait au point de durer une éternité. Oui, Sakountala s’inscrit dans la série des œuvres de Camille Claudel qui sont portées par le temps, elle en traduit le murmure intime – « C’est toi ? Oui. C’est moi », et ce sont là peut-être les seuls mots qui méritent d’être gravés dans la blancheur secrète d’une pierre.
19Selon notre hypothèse de départ, l’ambiguïté essentielle dans les sculptures de Camille Claudel consiste en ce que le temps, portant la marque du sublime, à la fois s’y étend pour toucher à l’éternité et se contracte en un seul instant. Le même processus se retrouve-t-il dans d’autres de ses œuvres ?
Les causeuses (1893-1905) ou le secret dévoilé
20Pour présenter ce groupe, aussi appelé Les Bavardes ou La confidence, citons d’abord le critique Charles Morice qui en 1905 notait : « Les Bavardes appartiennent en propre à Camille Claudel, personne avant elle n’avait fait cela, personne ne l’a refait après elle : dans des silhouettes aussi réduites matériellement et encore limitées par la recherche des seuls modelés essentiels, qui donc a mis tant d’expression, si intensément vivifié les attitudes et groupé les unités dans un si naturel mouvement de vie ? » [8]. Roger Marx, critique du Salon de 1895, était enthousiasmé de la version en onyx, qui est conservée aujourd’hui au Musée Rodin : « des poses éloquentes, des voussures de dos, des croisements des bras traduisent, dans un groupe minuscule et admirable, le repliement de l’être tout entier absorbé par l’attention aux écoutes » [9].
21De quoi peuvent-elles bien causer, ces causeuses ? En effet, les trois femmes sont toute ouïe, suspendues aux lèvres de la quatrième qui est sur le point de délivrer une nouvelle exceptionnelle. Leurs bouches entr’ouvertes anticipent, avides, la rumeur qu’elles vont aussitôt faire circuler. De quoi s’agit-il ? Dans une lettre de décembre 1893, Camille informe son frère Paul de ses projets artistiques – dont Les Causeuses et L’Âge mûr que nous étudierons plus loin.
22Elle dessine et décrit « trois personnages qui en écoutent un autre derrière un paravent » et, dans le même envoi parle, dessin à l’appui, de « La Faute. Une jeune fille accroupie sur un banc pleure, ses parents la regardent tout étonnés » [10]. La proximité temporelle de ces deux projets nous autorise à en déduire un sens des plus douloureux. Il est difficile de ne pas voir dans le projet de La Faute et des Causeuses l’aveu de la liaison que Camille a entretenu pendant 15 ans avec Rodin, liaison scandaleuse aux yeux de ses parents qui fort probablement a donné lieu à un avortement. Le précieux secret des Causeuses en acquiert une dimension radicalement nouvelle. En effet, une fois la nature des relations entre Camille et Rodin dévoilée, toute sa famille – sauf Paul – allait rejeter l’artiste à jamais. D’aucuns verront dans les Causeuses le premier signe de la paranoïa, se constituant notamment à partir des idées de référence de Camille.
La Vague (1897-1903) ou l’instant d’une vague
23Camille Claudel a travaillé, de 1897 à 1903, à La Vague dans laquelle elle a intégré un marcottage [11], en bronze, de ses Causeuses (1893-1905). Elle a gardé pour sa Vague seulement trois des quatre femmes qui ont composé les Causeuses, celles qui ont écouté parler la quatrième. La Vague est sur le point de s’abattre sur elles avec une force dévastatrice. Il est tout à fait saisissant de constater, alors que les trois figures sont inchangées, à quel point leur expression paraît différente sous la pression du nouveau contexte. Les trois femmes lèvent la tête non plus pour mieux entendre la nouvelle inouïe mais pour recevoir, craintives, le châtiment des éléments déchaînés. Il n’est pas impossible que Camille Claudel, sous couvert d’une scène de baignade qui bascule dans la noyade, ait représenté dans La Vague l’effet foudroyant qu’a eu la révélation du secret des Causeuses sur sa famille. Ou est-ce la Vérité de la psychose qui déferle inexorablement sur ces trois figures minuscules ? En tout cas, la Vague est mue de la même dualité que nous avons relevée dans ses sculptures précédentes : elle montre le ressac incessant, le murmure inlassable, en un mot l’éternité de la Mer qui culmine, le temps d’un instant, en une vague qui va s’effondrer l’instant d’après.
Persée et la Gorgone (1897-1902) ou « celui qui tue sans regarder »
24Ce paradoxe du temps constitue-t-il le propre du chef-d’œuvre ? En tout cas, il se voit porté à son comble dans un travail encore une fois – et encore plus tragiquement – biographique, à savoir Persée et la Gorgone. Dans son groupe L’Âge mûr (1894-1900) que je commenterai plus loin, Camille Claudel avait déjà tendu au monde un miroir de sa rupture dévastatrice avec Rodin. Dans Persée et la Gorgone (1897-1902), ce miroir est devenu plus déformant, plus terrible encore.
25En s’appuyant de nouveau sur un mythe capable de lui fournir une mise en forme de son drame intime, Camille Claudel a prêté ses propres traits à la Gorgone qui est décapitée par Persée, « celui qui tue sans regarder ». Rien n’est plus terrible à regarder que cette tête tranchée qui, effrayée, prend conscience dans le reflet du miroir et de sa folie et de sa mort. La Gorgone nous confronte à un paradoxe dont le propre est d’annuler par l’énonciation l’énoncé : elle nous dit qu’elle est morte. C’est toute l’horreur d’un être qui bascule, de manière irrémédiable, dans le néant. Pour faire « un sacrifice humain » – ce sont ses propres mots –, Camille Claudel a détruit le plâtre de cette œuvre dont nous possédons seulement une photo la montrant elle, en face de sa création aux dimensions plus grandes que nature. L’artiste toise férocement sa sculpture comme pour apprécier si elle lui est supérieure en puissance destructrice. En effet, elle montre, par cette création, la destruction même à l’œuvre. Cette photographie pathétique annonce tristement sa déchéance finale.
26Il faut se rendre à l’évidence – après 1898, ni elle, ni Rodin ne parviendront plus à créer de véritables chefs-d’œuvre. Rodin, mécaniquement, allait faire du Rodin jusqu’à sa mort en 1917. À partir de 1913, internée pendant 30 ans à l’asile de Montfavet, Camille allait garder le silence dont sa Clotho (1893-1897) semble être la triste prémonition. À notre connaissance, Persée et la Gorgone est la première de ses œuvres détruites. Dans le parcours artistique et biographique de Camille Claudel, cette sculpture occupe une position singulière puisqu’elle signe son entrée dans la psychose tout en la représentant avec une véracité bouleversante. Si nous faisons nôtre l’axiome que l’art consiste en une sublimation des pulsions de mort et de vie savamment mélangées, Persée et la Gorgone serait la première œuvre de Camille Claudel incapable de contenir la pulsion de mort qui, désintriquée de la pulsion de vie, finit par se retourner contre l’artiste elle-même. À partir de 1906, chaque été, cet échec de la sublimation allait contraindre Camille à détruire ses plâtres et à les faire enterrer, comme de véritables cadavres, par un charretier. Cette date en été correspond-elle à la date anniversaire de l’avortement qui a contribué à précipiter Camille Claudel dans la folie [12] ? Depuis Freud, nous savons l’intelligence terrible de l’inconscient qui, à travers des actes apparemment incompréhensibles, se souvient à notre place. Ou son autodafé était-il motivé par la crainte que « la bande à Rodin » allait se saisir de ses créations pour les présenter comme celles du maître ? Et pourquoi s’en prendre en premier lieu au Persée et la Gorgone ? Après avoir fait émerger le visage de la Gorgone, dont Camille s’était assurée de la ressemblance terrifiante dans un deuxième miroir, la vérité que l’œuvre lui renvoyait a dû être insoutenable pour elle. Sans doute, la sculpture achevée lui a paru trop vivante, trop ressemblante, trop vraie : la détruire était à la fois reconnaître sa violence fondamentale et tenter de l’annuler en annulant ce qu’elle représente. Aussi Camille écrit-elle dans une lettre à sa cousine Henriette Thierry : « C’est comme ça que je fais quand il m’arrive quelque chose de désagréable, je prends mon marteau et j’écrabouille un bonhomme » [13]. Le geste de Camille Claudel est-il un équivalent suicidaire, s’attaquant à la part la plus vivante en elle, à savoir sa création ? Peut-être est-ce même pire, puisque la destruction retire à l’œuvre sa charge essentielle – celle de nourrir le fantasme d’immortalité de son créateur et de perdurer après sa mort.
27Mais revenons au mythe. Par un subterfuge, Persée a su vaincre la Gorgone dont le terrible regard et les serpents ornant sa tête ont pétrifié de terreur quiconque voulait s’en approcher. Persée lui a simplement opposé son reflet dans un bouclier lui servant de miroir. Effrayée de sa propre vue, la Gorgone est pétrifiée de terreur à son tour. En évitant de croiser son regard, Persée lui tranche la tête tout en contrôlant son geste dans le miroir.
28Camille Claudel nous montre un Persée qui brandit la tête de la Gorgone au-dessus de lui, le miroir dans la main droite. De nouveau, plusieurs temps se superposent dans cette œuvre où l’instant côtoie, nourrit et consomme la durée. Du côté de l’instant, il y a l’effroi de la Gorgone – l’effroi étant la figure de la soudaineté par excellence, la brutalité d’un événement imprévu qui fait effraction dans le sujet. De même, le geste précis et sans appel de Persée appartient-il totalement à l’instant : d’un coup sec, il vient de décapiter la Gorgone. Du côté de la durée, il y a l’horreur de la Gorgone qui, dans et au-delà de sa mort, se déploie à l’infini. Dans cette œuvre, Camille Claudel a su représenter l’irreprésentable – à savoir la conscience que la Gorgone a de sa propre décapitation. J’ai dit plus haut que la Gorgone détient un savoir impossible, car elle a conscience du fait de sa mort. Or, l’horreur de sa pensée le dispute à l’horreur de sa vision. Lorsqu’elle se découvre dans le miroir, elle découvre l’horreur qu’elle a inspirée, à son insu, à autrui. Son visage qui a les traits de Camille Claudel exprime à la fois cette horreur active, infligée à autrui et l’horreur qui l’assaille, elle, quand elle découvre son être pour la première fois dans le miroir – dans la lecture de Camille Claudel, la Gorgone est morte de son image. Sur son visage, paradoxalement, se mêlent la rage d’être morte et la haine d’être soi. S’y croisent de manière inextricable la douleur d’exister – d’être ce qu’elle est – et la douleur de ne plus être.
29Mais si nous soutenons plus longuement le regard de cette Gorgone, nous accédons à un autre aspect de son être, plus intime, plus subtil, en un mot plus humain : celui d’être désolée, totalement, profondément, absolument désolée. Désolée de sa monstruosité, désolée de celle de Persée, désolée de son meurtre abject. Cette désolation, nous la retrouvons encore une fois aux pieds de Persée où gît le corps ailé de la Gorgone. La même conscience paradoxale qui a animé la tête tranchée traverse le corps sans vie – les mains de la Gorgone s’élèvent, confuses, pour chercher, en vain, sa tête. Son corps tout entier se replie comme pour protéger la tête que la Gorgone sait tranchée. Mais sa main gauche ne sait pas encore ce que sa main droite sait, et de cette dissociation, la Gorgone de Camille Claudel tire une horreur indicible. Il n’y a pas d’espace plus terrible en sculpture que ce vide saisi d’une seule main, désolée.
La Clotho (1893-1897) ou le fil du temps
30Avec cette sculpture, nous arrivons à une autre figure du temps dans l’œuvre de Camille Claudel. Parmi les trois Parques qui symbolisent la vie, la destinée et la mort de l’homme, Camille Claudel a choisi de représenter la plus jeune, Clotho, qui est, selon Paul Claudel (1951), la « destinée fileuse de son propre écheveau » ne démêlant plus les fils enchevêtrés du destin. Muette derrière les liasses de ses cheveux, la Clotho distille un silence terrible. Dans cette sculpture, Camille Claudel parvient à matérialiser de manière saisissante le temps dont le cours n’est pas linéaire mais circulaire, emmêlé, pour en faire apparaître ses trajets parallèles, ses croisements multiples, ses nœuds serrés – en un mot, son inextricable complexité. Mathias Morhardt écrit, dans un texte majeur sur Camille Claudel, paru en 1898 au Mercure : « Ainsi, la Clotho, entourée de ces longs fils de marbre qui tombent de tous les côtés autour d’elle est comme emprisonnée sous une voûte formée de leurs innombrables stalactites » [14]. Raoul Sertat, en 1893, avait déjà noté à son sujet : « C’est la vieillesse qui est mise en scène dans toute sa lamentable laideur, la commisération vous prend irrésistiblement devant la dégradation sans remède de ces formes qui furent la beauté, la jeunesse, la force et la grâce – or, qui saurait mieux qu’une femme pleurer sur la déchéance fatale d’un corps de femme ? » [15].
31La tête de la Clotho ressemble à s’y méprendre à la tête de la vieille femme qui, dans l’Âge mûr, a entraîné l’homme loin de l’Implorante. Proche d’une sculpture de Rodin – Celle qui fût la belle Heaulmière (1880-1883), cette œuvre de Camille Claudel est magnifiée par le mythe qui la rend atemporelle tout en lui faisant personnifier le temps et ses ravages sans pitié. Car dans cette œuvre, il n’y a presque plus de mouvement – rien que le battement sourd et monotone du temps qui ne cesse de passer. Tel un phare sur une plage déserte, la Clotho est là pour nous avertir d’un déferlement incessant, catastrophique, des intempéries du temps. Non, la Clotho le sait, le temps ne nous guérira de rien. Pire, il nous blesse de ne plus être. D’être. De ne pas avoir été.
L’Âge mûr (1894-1900) ou la blessure du temps
32De cette blessure féroce du temps, L’Âge mûr est l’expression magistrale. L’Implorante (1894), Le Dieu envolé (1894), La Jeunesse ou la Suppliante (1898), Le chemin de la Vie (1898) – le chef d’œuvre aux titres changeants, aux étapes diverses, L’Âge mûr (1898) est marqué du sceau du temps et en constitue la représentation nécessairement mélancolique. Le temps ne nous devient-il accessible que par le biais de la perte ? Cette expérience de la perte culminant dans la perte de soi. Que L’Âge mûr ne montre rien de moins que cette perte de soi, matérialisée dans la perte d’âme, Paul Claudel a été le premier à le reconnaître : « L’Âge mûr ! Cette forme capitalisée du destin ! […] Ma sœur Camille. Implorante, humiliée, à genoux, cette superbe, cette orgueilleuse, c’est ainsi qu’elle s’est représentée. Implorante, humiliée, à genoux, et nue ! Tout est fini ! C’est ça pour toujours qu’elle nous a laissé à regarder ! Et savez-vous ce qui s’arrache à elle, en ce moment même, sous vos yeux, c’est son âme ! C’est tout à la fois, l’âme, le génie, la raison, la beauté, la vie, le nom lui-même » [16].
33Cet arrachement du nom et de l’âme sera au cœur de nos réflexions sur L’Âge mûr. D’aucuns ont voulu voir dans L’Âge mûr la représentation, somme toute très directe, de la rupture, sous la pression tutélaire de Rose Beuret [17], entre Rodin et Camille. Paul Claudel écrit : « La séparation était inévitable et le moment hâté de la part de ma sœur par une violence effroyable de caractère et par un don féroce de raillerie, ne tarda pas à arriver. Camille ne pouvait pas assurer au grand homme la parfaite sécurité d’habitudes et d’amour-propre qu’il trouvait auprès d’une vieille maîtresse. Et d’autre part, deux génies d’égale puissance et de différent idéal n’auraient su longtemps partager le même atelier et la même clientèle. Le divorce était pour l’homme une nécessité, il fut pour ma sœur la catastrophe totale, profonde, définitive. […] Elle avait tout misé sur Rodin, elle perdit tout avec lui. Le beau vaisseau quelque temps ballotté sur d’amères vagues, s’engloutit corps et biens » [18].
34Certes, comme je l’avais posé en introduction, la dimension autobiographique de l’œuvre de Camille Claudel ne peut être niée [19], il faut au contraire l’intégrer au plus près pour pouvoir saisir la dynamique et les sources secrètes de sa création. Paul Claudel (1951) ne s’y trompe pas en écrivant : « L’œuvre de ma sœur, ce qui lui donne son intérêt unique, c’est que toute entière, elle est l’histoire de sa vie » [20]. Mais il serait abusif de limiter l’œuvre à la seule expression d’une subjectivité blessée. Nous venons de le voir, Camille Claudel nous a livré, de la Valse à Sakountala, des Causeuses à la Vague, de Persée et la Gorgone jusqu’à sa Clotho finale des relevés de son parcours, fulgurant et accidenté, de femme. Une étude de son œuvre s’intéressant à la notation personnelle seule, manquera son objet. À l’envers, une approche de l’œuvre qui ignorerait le contexte personnel, intime, de sa genèse serait tout aussi incomplète. L’œuvre s’inscrit dans les coordonnées, souvent étroites, de la biographie de l’artiste – d’ailleurs elle ne peut pas ne pas s’y inscrire – mais elle est aussi, et surtout, le moyen pour s’en échapper. Afin d’apporter des éléments de réflexion sur la part autobiographique dans l’œuvre de Camille Claudel je vais maintenant étudier en détail L’Âge mûr, en en examinant les différentes versions et études préparatoires. À mon avis, il est essentiel de porter une attention soutenue à la chronologie, à la genèse de cette œuvre dont les différentes étapes sont autant de témoins de l’élaboration de la position subjective de l’artiste.
D’une version à l’autre
35Dans la toute première version datant de 1894 et intitulé « Le Dieu envolé », Camille représente un torse de femme seule, serrant ses mains sur son cœur, en position de demande. Cette implorante semble prisonnière de sa seule subjectivité, elle est comme enchâssée dans les paramètres étroits du vécu subjectif d’une Camille implorant Rodin de rester. Reflet d’une position égocentrique, elle ne voit qu’elle et sa douleur, au point que l’objet de son désir n’est même pas représenté. De ce piège narcissique, l’artiste a cherché une première sortie dans son groupe de trois, datant de 1895, intitulé « Le chemin de la vie », et qui élargit la représentation de son drame aux deux autres protagonistes.
36Quatre ans après, l’artiste définira et cernera son drame de manière définitive dans la troisième version, l’Âge mûr, datée de 1898, que Paul Claudel rattache au cataclysme final de sa sœur [21] : « Deux monuments terribles […]subsistent de cette destinée manquée et de cette espérance trahie. Ils s’appellent l’Âge mûr. Tous les deux d’une telle force, d’une telle sincérité presque terrifiante, à la fois d’amour, de désespoir et de haine, qu’ils outrepassent les limites de l’art où ils ont été réalisés. L’esprit dans un suprême flamboiement qui les a conçus n’avait plus qu’à s’éteindre. […] En réalité, il ne s’agit pas de deux versions d’un même événement, il s’agit de deux chapitres d’un seul drame. […] Comme le dit l’annotation de l’Art décoratif “ tandis que dans le deuxième projet l’Homme vaincu se laisse conduire, dans le premier, il résiste encore” » [22].
37Examinons successivement ces deux plâtres pour mieux en faire apparaître, à l’aide de leur comparaison, leurs sens respectifs. Sur un socle rectangulaire qui supporte uniformément le drame, la première version de L’Âge mûr montre, en une composition assez classique, pyramidale, le « groupe de trois » que Camille avait annoncé, croquis à l’appui, dans sa fameuse lettre de décembre 1893 à son frère Paul. Elle l’informe de ses projets artistiques dont Les Causeuses, La Faute et L’Âge mûr : « Je suis toujours attelée à mon nouveau groupe de trois, je vais mettre un arbre penché qui exprimera la destinée » [23]. Notons que l’arbre initialement prévu ne figure plus dans les deux versions en plâtre, comme si cette matérialisation de la destinée était devenue trop évidente, trop bavarde ou comme si l’œuvre tout entière en était devenue l’emblème mystérieux.
38Penché comme l’arbre initialement prévu, l’homme, au milieu, ne sachant de quel côté pencher [24], laisse son bras droit, immense, à la jeune fille qui le serre sur son cœur, suppliant son Dieu de rester. Elle pèse de tout son corps sur ce bras pour tirer l’homme vers elle. Celui-ci, écartelé, a déjà détourné sa tête, en un mouvement négatif, signifiant confusément ses regrets et refus [25]. Son bras gauche, tout aussi surdimensionné, repose sur la nuque, les épaules et le bras droit de la vieille femme. Mais il pèse plus sur elle qu’il ne l’enlace. Ou est-ce la vieille qui le supporte, l’empêche de tomber en arrière, de succomber à la traction, à l’attraction exercée par la jeune fille ? La vieille se penche vers la jeune fille, la cherche du regard, lui intime l’ordre d’arrêter [26]. Mais son emprise sur l’homme est bien plus incomplète que dans la deuxième version de L’Âge mûr – sa main gauche, par exemple, est seulement sur le point de se poser sur la hanche de l’homme pour mieux le retenir.
39Paul Claudel décrit la sculpture dans ces termes : « L’homme résiste, c’est vrai, de son pilier central, mais la jambe droite s’est engagée et tâte la libération, tandis que le long membre qui part de l’épaule gauche et qui a l’air de s’abandonner à l’implorante, en réalité, c’est l’instrument de la libération, il la repousse ! C’est lui qui crée ce qu’on appellerait en musique le mouvement. Il déchire, la déchirure est là, béante. […] Ce qui nous saute aux yeux en tant que principe de l’œuvre entière, c’est du vide, créé, c’est cette espèce d’ogive tragique, cet espace, cette distance qui crée un bras en fonction déjà de son arrachement à la main […] » [27].
40L’on pourrait faire l’hypothèse que cette première version de L’Âge mûr représente un combat à l’issue incertaine, alors que la deuxième montre toute l’ampleur d’un désastre irrémédiablement arrivé. Dans la première version, les deux femmes se disputent l’homme comme un chiffon. Jouet de l’inconstance de ses choix – « Je l’aime sans vivre avec elle. Je vis avec l’autre sans l’aimer» – l’homme hésite, assailli de demandes contradictoires tant externes qu’internes, formant un dilemme par définition insoluble. Mais la partie, pour ainsi dire, n’est pas encore jouée, ou l’artiste, à ce moment de son élaboration tant psychique qu’artistique n’a encore rien voulu en savoir.
41Dans la deuxième version, par contre, la catastrophe a déjà eu lieu, ou pire encore, elle a lieu sous nos yeux. Impuissants, nous sommes réduits à être témoins de son déroulement implacable, non, de son déferlement infernal. Si la première version montrait une situation figée, inextricable, la deuxième en expose le dénouement par cataclysme. La première version relève plus de la scène de ménage somme toute banale [28], – d’un ménage à trois, s’entend – alors que la deuxième, par sa puissance destructrice, élève la crise au rang d’une tragédie universelle.
42Mais le constat de ces différences ne doit pas nous faire oublier les points communs de ces deux sculptures : dans les deux versions, l’homme est aliéné, subissant l’action de forces qui lui sont extérieures. Dans les deux versions, la jeune fille est à genou et demande. Mais ici, elle penche vertigineusement en avant, sur le point de perdre l’équilibre comme une trapéziste qui s’est jetée imprudemment dans le vide sans attendre les bras sûrs de son partenaire [29]. Son buste penche légèrement vers la droite comme pour retenir le mouvement de l’homme qui vient de se détourner d’elle, comme pour tenter d’en saisir, une dernière fois, les mains.
43Notons que dans la première version, la jeune femme s’était assurée une possession presque enfantine, illusoire de l’homme aimé. En serrant sa main sur son cœur, elle pensait le tenir. Dans la deuxième version, ses mains enserrent le vide [30] en une prière aussi ardente que vaine. L’homme de la deuxième version, au lieu d’être debout comme un arbre [31], s’incline en avant comme quelqu’un qui, pour rentrer chez lui, doit affronter des rafales de vent, une tempête. La vieille, quant à elle, a gagné en hauteur. Perchée en hauteur comme un rapace [32], elle fond sur sa proie docile pour l’emmener, en avant, avec elle. Mais cet avant n’est pas l’avant de l’avenir ni du large. Non. Il s’agit de l’avant de la mort.
« Not on the same level of time » [33]
44Dans la version plus tardive de L’Âge mûr, la position des trois protagonistes a fondamentalement changé, et avec elle, pouvons-nous supposer, la position subjective de l’artiste. Certes, la constellation est restée identique – la vieille à gauche, l’homme au milieu, la jeune femme à droite. Mais le génie de Camille, sa compréhension plus complète du caractère irréversible de la situation, lui a fait faire un choix qui réorganise le champ relationnel de ses personnages de manière inédite.
45Parmi les nombreuses modifications de L’Âge mûr dont nous n’avons retenu que les plus saillantes, la plus radicale, la plus essentielle et la plus porteuse de sens, concerne le sol. Au lieu d’être uniforme comme dans la première version, le sol se divise maintenant en plusieurs parties pour supporter, à des niveaux différents, les trois personnages. La jeune fille est à genoux sur une partie de la terrasse [34] alors que les deux autres personnages partagent le même support qui se soulève, comme secoué d’un tremblement intérieur, à des hauteurs différentes. Comme si ces parties du sol divergentes, se superposant, s’entrechoquant tels des blocs d’un glacier à la dérive, étaient, à elles seules, à l’origine de l’éloignement progressif. De l’homme. De la jeune femme. Des deux. De simple nécessité technique, la plinthe devient acteur du drame [35] : ses aspérités, ses cassures, ses clivages traduisent la dureté de la vie, ses vagues figurent les aléas et revirements imprévisibles du destin. Fractionné comme d’une catastrophe naturelle, divisé comme les personnages dont il assure la stabilité précaire, le sol semble façonné, comme eux, par un courant puissant et invisible [36].
46À y regarder de plus près, on a l’impression que le sol est sur le point de céder et que le support qu’il offre à ses personnages est incertain [37]. Bientôt, l’homme va marcher dans le vide ; encore un peu, et la jeune femme va s’engloutir dans sa douleur. Ces planches tectoniques que Camille Claudel a même fait diverger au niveau de leur orientation, offrent une métaphore grandiose de la déception amoureuse dont la fracture dévoile l’insoutenable vérité : il n’y a de rencontre que manquée.
C’est la perspective qui introduit le sens
47Afin d’approfondir notre lecture de l’œuvre, tâchons d’occuper, successivement, la place qu’occupe chaque protagoniste dans L’Âge mûr pour mieux saisir la complexité de leur constellation et déterminer leurs positions respectives. Que voyons-nous si nous occupons la place de la jeune fille ? De son point de vue à elle [38], un couple qu’elle aurait voulu former, elle, avec cet homme, s’éloigne, marche loin devant, gravit des marches qu’elle-même ne gravira pas. Solennellement uni, le couple semble arriver sur une rive hors d’atteinte pour elle. Sur ce couple formé par la vieille femme et l’homme d’âge mûr, le profil, de dos, a effacé, comme par miséricorde, les marques de l’âge et ses blessures inguérissables. Ce que voit, de dos, la jeune fille, c’est un couple tendrement enlacé, s’élancer en une marche nuptiale, convoler en des noces pleines, s’envoler en un tourbillon passionnel au septième ciel. Comme ses yeux sont embués de larmes, elle ne voit pas les noces lugubres que célèbre, en vérité, la mort.
48La vieille, en se penchant sur l’homme, que voit-elle ? Elle essaie de capter son regard pour l’encourager d’aller de l’avant, pour lui sourire, lui signifier sa victoire. Comme elle veut qu’il soit tout à elle, elle est tout à lui [39]. Avec une attention infinie, elle se penche sur lui pour capter son regard, pour l’attirer loin de cette autre dont elle feint d’ignorer qu’elle est là. À genoux, nue, implorante. Écartée, hors de vue, mais là. Quelque part dans le cerveau, dans le cœur, dans le corps de cet homme, elle est encore, elle sera toujours là [40] – comme un secret terrible, une maladie grave dont il ne parlera pas mais dont, pourtant, il lui faudra guérir.
49L’obstination de la vieille à fixer du regard, et de si près, l’homme qu’elle sait déjà conquis ou, du moins, vaincu fait apparaître, en creux, par omission, celle que, loin derrière eux, elle évite de voir. Croiser le regard de la jeune femme, voir sa douleur à elle serait insupportable pour celle qui a tiré les ficelles du drame. Elle verrait pire : si elle levait la tête, elle serait forcée de reconnaître, loin derrière elle, sa propre angoisse d’être abandonnée, seule, à genoux et nue. Pire, elle verra, en un miroir inversé, ce qu’elle s’est efforcée d’oublier : sa propre jeunesse épave, ses propres espoirs débris. Elle qui a récupéré son homme comme un dû, qui lui murmure à l’oreille comme à un grand malade dont il faut lutter pour le peu de vie qui lui reste, elle verra que certes, elle a recouvert sa propriété, mais au prix d’un sacrifice humain. Qu’en reprenant cet homme, elle a dépossédé cette femme d’elle-même, de sa vie.
50Que voit, que regarde l’homme ? Longtemps, j’ai cru qu’il ne voyait rien. Qu’il avançait, aveuglé de l’avoir vue une dernière fois nue, à genoux, l’implorant de rester. Aveuglé par la nécessité de partir, tête baissée comme un cheval de trait, tirant une charge dont il avait sous-estimé le poids – son absence pour toujours. À y regarder de plus près, si, il voit quand même quelque chose. Il voit ce rien dont sera faite sa route, il voit le sol, dont la matière boueuse, informe, semble contenir, en puissance, tous les chefs-d’œuvre que la terre peut encore lui donner. Médite-t-il sa création à venir et qui, si elle vient, devrait se passer d’elle [41] ? Scrute-t-il un signe secret qui, se cachant au seuil de l’invisible, pourrait le renseigner, lui confirmer que, malgré tout, c’est bien cela son chemin ? Ou regarde-t-il en lui-même, prenant en horreur ce qu’il y voit désormais, à la place de la jeune femme, c’est-à-dire rien ? Ce Rien dont elle était le masque sublime [42], le paravent lumineux sur lequel il avait dessiné ses rêves. Ce regard de l’homme, le plus mystérieux, le plus voilé, est sans doute le plus opaque des trois [43].
51D’une éloquence saisissante, l’inclinaison de la tête [44] de l’homme en dit long sur le vacillement de son désir. Soumis, il semble pencher sa tête pour mieux obéir à la vieille femme l’enjoignant de partir avec elle, pour lui répondre : « Je sais bien que tu as raison. Ma vie n’est pas avec elle. Je te suis. » Pourtant, sa main gauche le contredit. Dans le conflit qui le déchire – entre désir et devoir – il n’y a plus qu’elle, dans tout ce corps massif, noueux, bouleversé, qui ose encore tendre vers la jeune femme : c’est cette main qui la cherche, qui veut retrouver, juste une fois, le galbe de son épaule, une seule fois, la texture de sa peau, une dernière fois, la forme sublime de sa chaleur : c’est cette main qui fait s’incliner la tête de l’homme autrement. Si tout en lui est censé aller de l’avant, cette main et son lâcher impossible nous fait comprendre que l’homme avance à reculons. Non, il avance à regret.
…Chaque œuvre contenant une autre
52Rappelons que le temps sous son aspect moteur, son passage incessant est nécessairement ressenti comme perte et comme enlèvement, animant de nombreuses créations artistiques : Autant en emporte le vent, As time goes by, À la recherche du temps perdu, Avec le temps tout s’en va, L’Âge mûr… cette obsession du temps qui passe rapproche la sculpture de Camille Claudel de l’art suprême du temps, de la musique [45]. Mais si le mouvement est un aspect central dans toute l’œuvre de Camille Claudel [46], la science de son traitement, sa traduction en volumes dynamiques est portée à son acmé dans L’Âge mûr qui nous montre non seulement que le temps passe, mais qu’il se passe, en dernier lieu, des êtres qu’il enlève, qu’il emporte, qu’il broie sur son passage.
53Il est dit souvent qu’un artiste crée toujours la même œuvre à laquelle il fait subir, tout au long de sa vie, des modifications plus ou moins importantes. Or, cette banalité se charge, dans le cas de Camille Claudel, d’un sens tout autre. Comme des figures disposées sur un échiquier, ses sculptures indiquent, par leurs constellations, leurs reprises, leurs jeux en miroir, en écho, des variations toujours plus subtiles, toujours plus complexes, autour du même thème central [47]. La nécessité de lire toutes les sculptures de Camille Claudel en même temps a été perçue très tôt par ses commentateurs dont Mathias Morhardt (1898) et Paul Claudel (1905, 1951) auxquels nous devons des textes fondamentaux. Cette exigence d’une lecture simultanée rapproche l’étude de l’œuvre de Camille d’une partition musicale, avec ses voix distinctes, ses harmonies séparées mais dont le jeu polyphonique, les interactions complexes et les superpositions subtiles concourent à l’impression et à la richesse bouleversante d’un tout.
54Paul Claudel (1951) avait déjà rapproché L’Âge mûr et La Valse. De nombreux auteurs l’ont suivi, dont Arnaud de La Chapelle qui propose une très belle interprétation du lien entre les deux œuvres : « Dans L’Âge mûr apparaît à nouveau la robe à nervures de la valseuse. Mais avec un sens du théâtre prodigieux, Camille l’arrache à la jeune implorante livrée nue, et la cède à sa vieille rivale : la clocharde s’est accaparé la robe de l’amour, devenue haillons, lambeaux criblés d’un trou central, hardes dérisoires de l’ancienne traîne d’une passion défunt » [48].
55En effet, les draperies rattachent les deux œuvres comme deux moitiés d’une même scène, vue à des moments différents. D’autant plus que la première version de La Valse (1892) comportait des voiles qui s’élevaient, comme dans L’Âge mûr, au-dessus des têtes des deux danseurs.
56Mais si nous étendons notre observation aux corps représentés, nous remarquons, effrayés, que l’attitude du danseur, à savoir un léger déhanchement, et celle de l’homme de L’Âge mûr sont pratiquement identiques [49]. Ainsi, nous pouvons voir, notamment dans le couple de dos, une auto-citation de Camille Claudel, une sorte de marcottage partiel, une réminiscence saisissante de la Valse qui, comme une autre œuvre de jeunesse, Sakountala ou l’abandon, avait exalté l’enivrement mutuel du couple amoureux. Ce même couple qui, de manière irréversible, s’éloigne dans L’Âge mûr…
L’œuvre éprouvée, l’œuvre vécue
57Après dix ans de passion amoureuse et artistique, la rupture, donc, avec Rodin, rupture interminable, s’étalant sur plusieurs années, impossible à consommer. Citons, à titre d’exemple, deux lettres de Rodin à Camille, la première exaltant la passion amoureuse :
« Je t’embrasse les mains mon amie, toi qui me donnes des jouissances si élevées si ardentes, près de toi mon âme existe avec force et dans sa fureur d’amour ton respect est toujours au dessus. Le respect que j’ai pour ton caractère pour toi pour toi ma Camille est une cause de ma violente passion […] mon âme a eu sa floraison, tardive hélas. Il a fallu que je te connaisse. Et tout a pris une vie inconnue, ma terne existence a flambé dans un feu de joie. Merci car c’est à toi que je dois tout. la part de ciel que j’ai eu dans ma vie […] tes chères mains laisse les sur ma figure que ma chair soit heureuse que mon cœur sente encore ton divin amour se répandre à nouveau, dans quel ivresse je vis quand je suis auprès de toi […] ma très bonne à deux genoux devant ton beau corps que j’étreins » [50].
59La deuxième lettre exprimant davantage la part destructrice de celle-ci, passion qui allait jusqu’à faire violence au corps du texte, à la syntaxe, à la ponctuation, à l’orthographe de ces lettres :
« Ma féroce amie
[…] Ce soir, j’ai parcouru (des heures) sans te trouver, nos endroits, que la mort me serait douce ! Pourquoi tu ne m’as pas attendu à l’atelier ? […] Camille ma bien aimée, malgré tout, malgré la folie que je sens venir et qui sera votre œuvre, si cela continue, pourquoi ne me crois-tu pas ? J’abandonne mon Dalou, la sculpture ; […] Il y a eu des moments ou franchement je crois que je t’oublierai. Mais en un seul instant, je sens la terrible puissance, aye pitié méchante. Je n’en puis plus, je ne puis plus passer un jour sans te voir. Sinon l’atroce folie. C’est fini, je ne travaille plus, divinité malfaisante, et pourtant je t’aime avec fureur.
Ma Camille sois assurée que j’ai aucune femme en amitié, et toute mon âme t’appartient. Je ne puis te convaincre et mes raisons sont impuissantes, ma souffrance, tu n’y crois pas […] Laisse moi te voir tous les jours […] ne laisse pas prendre à la hideuse et lente maladie mon intelligence, l’amour ardent et si pur que j’ai pour toi enfin pitié ma chérie, et toi même en sera récompensée.
Rodin » [51].
61Rodin qui, devant la folie qu’il sentait arriver autant en elle qu’en lui, s’est cru obligé d’entraver par de multiples moyens l’exposition du plâtre, puis le tirage en bronze de L’Âge mûr. Sans doute, il lui était insupportable de voir porté au grand jour son intimité dévastée, de la voir immortalisée en un cauchemar toujours recommencé [52]. La puissance de la représentation de ce drame, son rôle essentiel dans le parcours artistique de Camille Claudel n’a pas échappé aux contemporains. Ainsi, E. Blot, son galeriste et fondeur écrit dans une lettre datée du 3.9.1932 à Camille à l’asile de Montdevergues : « […] Dans le monde combinard de la sculpture, Rodin, vous, trois ou quatre autres peut-être, aviez introduit l’authenticité, cela ne s’oublie pas. X garde un souvenir encore émerveillé de votre marbre [53] de l’Implorante (fondu par moi en bronze pour le salon de 1904), qu’il considère comme le manifeste de la sculpture moderne. Vous étiez enfin vous-même, totalement libérée de l’influence de Rodin, aussi grande par l’inspiration que par le métier. L’épreuve de premier tirage enrichie de votre signature, est une des pièces maîtresses de ma galerie. Je ne la regarde jamais sans une émotion indicible. Il me semble vous revoir. Les lèvres entr’ouvertes, ces narines palpitantes, cette lumière dans le regard, tout cela crie la vie dans ce qu’elle a de plus mystérieux. Avec vous, on allait quitter le monde des fausses apparences pour celui de la pensée. Quel génie ! Le mot n’est pas trop fort. Comment avez-vous pu nous priver de tant de beauté ?
62Un jour que Rodin me rendait visite, je l’ai vu soudain s’immobiliser devant ce portrait, le contempler, caresser doucement le métal et pleurer. Oui, pleurer. Comme un enfant. Voilà quinze ans qu’il est mort. En réalité, il n’a jamais aimé que vous, Camille, je puis le dire aujourd’hui. Tout le reste – ces aventures pitoyables, cette ridicule vie mondaine, lui qui, dans le fond, restait un homme du peuple – c’était l’exutoire d’une nature excessive. Oh ! Je sais bien, Camille, qu’il vous a abandonnée, je ne cherche pas à le justifier. Vous avez trop souffert par lui. Mais je ne retire rien de ce que je viens d’écrire. Le temps remettra tout en place […] » [54].
63Cette scène bouleversante qu’E. Blot relate avec toute l’intelligence et le tact de l’ami, me semble emblématique à plusieurs titres : sans s’y attendre, Rodin rencontre dans la galerie de E. Blot la femme aimée dans et à travers l’œuvre qu’elle a laissée. Il tombe littéralement sur elle – en voyant sa sculpture, il tombe en même temps sur le leurre de l’oubli qu’il avait échafaudé pour supporter le désastre de leur rupture. Il faut s’imaginer cet homme âgé, fatigué, être littéralement foudroyé par la présence de Camille : cette présence en lui, recouvert péniblement par le silence, lui réapparaît, au dehors, en cette galerie, dans l’œuvre qui présente et représente Camille par la force de son portrait, sa ressemblance bouleversante – « Il me semble vous revoir… ». La puissance d’incarnation que vise toute œuvre d’art le dispute ici à l’effraction par la beauté sublime tant de la femme perdue que de l’œuvre qu’elle a réalisée. En dernier lieu, est-ce cette rencontre de Rodin avec l’œuvre qui lui a rendu présente l’absence de Camille pour toujours ?
64Ce pouvoir de condensation et de mise en espace de la sculpture, en un mot, sa suprématie sur les autres arts, a été soulignée finement par Paul Claudel : « Un moment pétrifié ! un regard pétrifié ! une situation pétrifiée ! Ce qu’il aurait fallu de pages à une partition, des scènes à un drame, des chapitres à un roman, pour nous l’entrer dans le miroir, le miracle de la simultanéité d’un seul coup en plein visage nous le fulgure ! Le corps après tout en sait autant que l’âme, le détail de l’anatomie vaut celui de la psychanalyse, une texture à l’infini, par derrière des formes et des mouvements, de passions et d’idées alimente le choc instantané » [55].
65La rupture, toute la rupture, mais bien plus que la rupture… Tout en la représentant avec une précision hallucinante, Camille Claudel dépasse en L’Âge mûr son drame personnel pour l’inscrire dans le cycle, plus vaste, d’une violence aveugle et sans cesse répétée. L’artiste nous montre un enchaînement fatal, où les places des victimes et des bourreaux sont interchangeables et s’invertissent pour donner lieu à une gavotte brutale, cynique, sans fin. Le bourreau de l’un devient victime de l’autre ; la victime de l’un devient bourreau de l’autre ; de victime, l’homme devient bourreau sans le vouloir ; une autre, se voulant bourreau, est au fond victime. C’est cette circularité infernale, cette régression à l’infini qui rend si poignante, si authentiquement tragique la sculpture de Camille Claudel.
66Entrons une dernière fois dans la danse. Du premier regard, en commençant à lire l’œuvre en bas à droite, la jeune femme est victime de l’homme qui la quitte – pour elle, c’est son bourreau. Or, si nous continuons la lecture de l’œuvre vers sa gauche, ce bourreau est victime à son tour d’un autre bourreau, la vieille femme, qui l’entraîne vers la mort. Mais à y regarder de nouveau, et en changeant le sens de notre regard, nous pourrons reconnaître – et la boucle se boucle – en la vieille la victime de la jeune femme. Défigurée par la jalousie que lui inflige sa jeunesse comme un châtiment, réduite à rien par la beauté que la vieille a perdue à jamais, ne se venge-t-elle pas de l’affront de n’être plus, puisque n’étant plus belle ? N’entraîne-t-elle pas l’homme dans cette danse macabre pour se souvenir, en les pervertissant, des ravissements d’une Valse qu’elle a connus jeune, au bras de quelqu’un qui s’est penché, doucement, sur le creux délicieux de son oreille pour y murmurer des promesses, aujourd’hui oubliées ? Ainsi, il n’y a plus que des vaincus dans L’Âge mûr et un cercle, infini, de violences infligées et reçues.
67Avons-nous tout vu [56]? Non. Nous n’avons pas encore vu que les trois protagonistes sont les victimes d’un quatrième partenaire, invisible, qui porte et traverse la composition de part en part. C’est le Temps qui emporte tout sur son passage, c’est son inlassable travail de sape qui ronge la base de cette œuvre, c’est lui qui fait s’entrechoquer les différents niveaux de la terrasse, qui forme et déforme, en une pression millénaire, les strates successives du sol. C’est le Temps qui, l’instant d’après, va faire tomber la jeune fille, déjà en déséquilibre, en avant, sur ce sol dont elle ne se relèvera plus [57]. C’est le Temps dans lequel l’homme s’enfonce comme dans une fange, c’est le Temps et sa prison des heures qui se referme sur lui. C’est le Temps qui, sous les visages mobiles du vent, soulève comme dans un rêve les draperies de la vieille femme, c’est lui qui fait tourbillonner derrière elle sa traîne comme une vague nuptiale, un maelström voluptueux. C’est lui qui la pare, sous nos yeux, des ailes déployées de la mort.
68Retournons-nous, une dernière fois. Après avoir identifié, à l’origine violentée de l’œuvre, le Temps comme bourreau à la cruauté inégalée, il nous faut inverser, encore une fois, le sens de notre lecture, et basculer, une ultime fois, qui des causes, qui des effets. Voilà. C’est le Temps qui, est vaincu. Vaincu par la création qui a arraché à son flot indifférent, lent, trouble, ce pur moment d’expression qu’est L’Âge mûr, cet instant suspendu, sublime, du trop tard, du plus jamais lesquels sont, depuis toujours, les temps propres de l’art.
Bibliographie
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- schauder s. (1999b). « Son, voix, cri. Pour une étude des sculptures de Camille Claudel sous l’angle du rythme. » Communication lors des Journées d’Automne de la S.F.P.E. (Société Française de Psychopathologie de l’Expression et de l’Art-Thérapie) sur le thème Ligne, espace, rythme. Salpêtrière, Paris (à paraître in : Revue Française de Psychiatrie et de Psychologie Médicale).
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- schauder s. (2006). Exposée sur les crêtes du cœur… Notes sur L’Âge mûr de Camille Claudel (1864-1943). Revue Française de Psychiatrie et de Psychologie Médicale, 91 : 41-46.
Mots-clés éditeurs : créativité, décompensation, sublimation, temporalité
Date de mise en ligne : 01/03/2009
https://doi.org/10.3917/ado.064.0389