1Pierre Fédida – J’ai aujourd’hui à vous présenter une réflexion sur Lolita de Nabokov. Je vous dirai pourquoi j’ai été amené à relire, mais relire – je l’indique très précisément – dans sa nouvelle traduction le roman de Nabokov, toujours chez Gallimard, parue il y a un an. Il faut lire ce texte dans sa nouvelle traduction et pour ceux qui ne sont pas allergiques à la lecture du texte en anglais, il faut avoir à côté si possible le texte anglais – le texte américain – parce que la langue est magnifique.
2Il m’avait été demandé, il y a un an à peu près, d’intervenir dans le cadre d’un colloque qui évoquait la problématique de la pédophilie, et en fait je n’étais pas spontanément disposé à aborder ce sujet. Le colloque, prévu à l’étranger, n’ayant pas eu lieu, cela ne m’a pas empêché de prendre l’initiative d’ouvrir ou de rouvrir ce chantier, j’appelle cela un chantier : relire Nabokov. Lire parce que je n’avais pas tout lu de l’auteur, relire dans certains cas, dont précisément Lolita.
3Je voudrais placer tout de suite mon propos sous le signe de l’étrangeté et en prendre toute la mesure. Ce séminaire s’appelle « Psychanalyse et Littérature » et il faut tenir compte d’une chose, c’est qu’avec Nabokov on est dans une entreprise de fiction qui revendique très explicitement, une position foncièrement antipsychanalytique. On y reviendra, mais que je dise tout de suite pourquoi, ou comment. Il y a là sans doute une façon de dire les choses qui n’est pas si éloignée de Michel Tournier, et qui voit d’une certaine façon dans le freudisme, dans la psychanalyse freudienne, une espèce de machination qui est propre à entamer la survenue des images, la beauté des images, l’esthétique des images. Nabokov dit : « […] ma vieille querelle avec le vaudou freudien […] », il y d’autres citations que je pourrais retrouver et qui vont dans le même sens, c’est-à-dire « […] la bimbeloterie viennoise et ses concepts qui sont absolument inutiles […] » et parfois cependant, dans le texte de Nabokov cela apparaît sur un mode particulièrement drôle – parce qu’il y a une dérision, et une dérision qui est placée généralement dans la bouche du héros Humbert Humbert.
4Alors c’est intéressant que, dans le cadre de ce séminaire « Psychanalyse et Littérature », je choisisse Nabokov : celui qui, sans doute, s’est le plus méfié de la psychanalyse, mais aussi des pédiatres dont il ne voulait absolument pas entendre parler – ce sont tous des charlatans, les psychiatres n’en parlons pas. Ce qui crée un effet assez intéressant chez Nabokov, et plus particulièrement dans Lolita, parce qu’à la limite toute une « idéologie psychiatrico-freudienne » n’est pas loin d’apparaître sur le même plan que les décors américains qu’on traverse tout au cours de ce voyage avec les deux héros, et qui font apparaître la surcharge des images, la surcharge des néons, la surcharge des explications et les paysages déformés. Cette Amérique que l’on traverse en voiture, avec ces motels sordides, en devient d’ailleurs sympathique parce que cette sorte de surcharge équivaut d’une certaine façon à une surcharge idéologique, intellectuelle, comme l’effet que peut produire le vocabulaire psychiatrique ou psychanalytique qui a besoin à ce moment-là de mettre des noms, des catégories, des concepts, sur un certain nombre de comportements ou de phénomènes.
5Ça, c’est une première étrangeté, mais l’effet d’étrangeté va constamment se redoubler, parce que si cette étrangeté est liée au sujet lui-même, c’est-à-dire l’intérêt manifesté par cet homme, apparemment estimable, à l’égard de la nymphette, ce qui est remarquable c’est que toutes les interprétations que l’on peut immédiatement produire : l’inceste, le fait que l’homme finalement ici parfois prend des allures de comportement maternel, on peut parler de la démission du père, comme si Nabokov suscitait en quelque sorte une rhétorique interprétative et nous fait apercevoir en même temps que ce n’est pas cela. Il y a là quelque chose de très énigmatique, c’est-à-dire oui d’accord c’est incestueux, et après ! oui la sexualité, mais comme le dira à un certain moment Lolita, en fait la sexualité devrait être réservée aux enfants et non pas aux adultes, en tout cas elle devrait être réservée aux jeunes, parce que là elle est vraiment sexualité, alors que lorsqu’elle se joue dans les couples pour procréer, elle devient très laide, et ainsi de suite. C’est-à-dire qu’il y a une relance constante, non pas de la critique, mais la lecture de Nabokov nous amène dans un effet absolument virevoltant, à constamment remettre en cause, ou plutôt à constamment introduire un rire à l’intérieur du concept. On peut dire incestueux, on peut dire pédophilique, mais en même temps on n’a certainement pas envie de faire entrer ces qualificatifs dans des pathologies pré-interprétatives.
6Je continue dans ce redoublement d’effet d’étrangeté : le narrateur et l’auteur. On peut toujours supposer, d’ailleurs comme le rappelle le traducteur de Nabokov, Maurice Nadeau, que le jeu de Nabokov laisse penser constamment que l’auteur est bien le narrateur mais en même temps qu’il fait penser cela, il se débrouille pour dégager le narrateur de l’auteur, donc c’est encore un effet assez surprenant. Il y a chez ce narrateur une conscience toujours aiguë de sa monstruosité, qui est révélée par le corps de la nymphette, c’est une monstruosité bien sûr perverse, psychopathique. Voilà un homme qui ne peut pas se passer de la contemplation, des caresses, de l’intérêt extrêmement intense qu’il éprouve pour Lolita – bien sûr monstruosité sous cette forme-là – mais ce n’est pas une auto-représentation. La monstruosité est en fait révélée au narrateur comme la sexualité de l’homme. C’est-à-dire que l’homme prend connaissance de sa propre sexualité comme monstrueuse tandis qu’il s’intéresse à ces corps de jeunes filles, ces corps d’encore enfants et pas encore femmes, entre enfant et femme, et c’est là que lui apparaît, comme un effet de loupe, quelque chose qui pourrait s’appeler la monstruosité du désir sexuel de l’homme. Ce qui apparaît surtout, c’est que lorsqu’il s’agit pour le personnage Humbert du succès qu’il rencontre auprès des femmes, intéressées par ce bel homme, cultivé et intelligent – en premier lieu la mère de Lolita –, le corps des femmes est constamment décrit (il n’y en a pas une qui y échappera) comme un corps absolument répugnant. Dès lors que le féminin prend la forme d’une femme, c’est intolérable, et l’homme, le narrateur, vivant cette expérience avec cette nymphette a l’expression subjective de son propre désir : il se voit constamment dans ce désir pour le corps de Lolita. Là apparaît quelque chose de monstrueux. En ajoutant ceci, cette monstruosité est douloureuse (ce n’est pas simplement de la jalousie) et va évoluer en quelque sorte vers une mélancolie. Il n’y a pas d’issue dans le prisme de Nabokov, il n’y a pas d’issue pour le désir sexuel masculin, car ce désir ne peut être que nostalgique d’un corps de la féminité – je ne dis pas d’un corps féminin – qui n’a pas encore les allures de femme. En somme ce qu’il y a de troublant dans Lolita – je donnerai deux ou trois descriptions dans un instant, dans la nouvelle traduction de Gallimard – c’est ce qu’on pourrait à la limite comparer à un fétichisme désespéré. D’un certain côté le terme de fétichisme conviendrait, dans l’idée – Bataille l’évoquait me semble-t-il ainsi – que seul le fétichiste aurait une intuition pour ainsi dire vitale de l’essence du féminin, il aurait accès à l’essence du féminin au travers d’objets (une chaussure de femme ou un sous-vêtement de femme) qui ont pour avantage, pour lui, d’être en quelque sorte conservables et reproductibles. Avec Lolita, on pourrait parler d’un fétichisme qui donne accès à quelque chose qui est de l’ordre de l’essence du féminin puisque, à la limite, le texte de Nabokov serait presque un texte théologique pour savoir quelle est l’essence de la femme à travers le désir de l’homme. Ce qu’il y a de désespéré chez le personnage de Lolita, c’est que tout va se modifier. Et d’une certaine façon, le récit du narrateur c’est un voyage à travers les États-Unis, ses motels sordides, ces hôtels admirablement décrits, inventés – je ne peux pas vous dispenser de la lecture de la nouvelle traduction de Nabokov – mais c’est surtout ce qui va mener nécessairement vers une fin mélancolique, puisque Lolita, la nymphette, c’est un temps, c’est le temps d’une mue, ou d’avant une mue, si c’est là que précisément apparaît pour ce fétichiste le féminin. Il faut en effet admettre que cette essence du féminin pour la femme elle-même et pour l’homme est éminemment évanescente. Ce qui explique une chose, c’est qu’au fond le récit de Nabokov est un récit étonnant parce qu’il est réminiscent, on peut dire que c’est la mémoire qui agit dans ce texte. La narration des événements est constamment une narration onirique, une mémoire onirique, comme si ce qui nous était raconté c’était un rêve, un rêve absolument fantastique, mais un rêve dont on saurait que c’est une mémoire qui observe, qui décrit, qui regarde ; une mémoire par conséquent qui va vers son propre épuisement. C’est là qu’on pourrait dire qu’il y a un assassinat mélancolique dans Lolita, il y a meurtre mélancolique. Ne nous y trompons pas, si ce fétichiste-là, qui regarde avec tant de sensualité tendre, le cou de la jeune fille, ses jambes, enfin pas ses jambes, ce serait idiot de dire qu’il regarde ses jambes puisqu’il regarde le duvet, mais il ne regarde pas le duvet, c’est d’une certaine façon dans un mouvement de la jambe que le duvet apparaît au soleil, et dans le mouvement de cette jambe, ce peut être le genou, l’attache, le pied, mais c’est déjà pas ça, parce que ce serait trop fétichiste. Ces passages constants, on pourrait dire d’un corps dans un autre, font précisément qu’il s’agit d’un fétichisme tout à fait inattendu, un fétichisme d’une forme qui n’est pas la forme de la mue, comme on le verrait chez Balthus par exemple. Chez Balthus, en effet, il y a une peinture de la mue, ce sont des enfants, des encore-enfants, pas encore des femmes qui ont les gestes qu’une femme pourrait avoir à l’âge adulte alors que la femme se souvient de son corps d’enfant. Mais ce n’est pas cela chez Nabokov, puisqu’il s’agit de l’écriture des passages, on peut dire, de Lolita d’un corps dans un autre et ceci dans les effets de sa propre candeur, sa propre immobilité ingénue, innocente, mais aussi par les effets des mouvements dus au soleil, au bord de l’eau ; tout cela crée précisément chez le personnage homme cette violence douloureuse. Il dit à divers moments combien c’est douloureux car cela ne peut qu’échapper, mais ce n’est pas non plus cela – car il s’en moque lui-même, il n’arrête pas de rire en même temps. On ne peut pas dire que ce soit un récit, c’est un récit qui est fait d’un humour absolument fantastique, portant Nabokov à ménager en effet cette perception de la douleur chez le héros. Il n’y aurait pas précisément Lolita, s’il n’y avait pas la douleur. Or qu’est ce que va nous raconter le texte de Nabokov, il va nous raconter non seulement une déambulation avec toutes les aventures qu’on peut imaginer – je ne peux pas me lancer dans le récit – mais aussi comment dans ce temps extrêmement long du voyage, qui est en même temps le temps du récit de la fiction, il y a une accélération, parce que ça ne va pas durer, ça va finir mal, mais c’est parce que ça va finir mal avec le fantasme d’être arrêté, d’être jugé, etc., que précisément, l’intensité doit apparaître d’autant plus ; en même temps que se dérobe le féminin et que se produit cet effet de consumation, se produit concomitamment le trouble qui nous gagne par les transformations qui interviennent entre l’homme, Humbert, et Lolita, puisque l’un et l’autre se tranforment tout au cours du récit. Ils ne se transforment pas parce que Nabokov en rajouterait dans les descriptions ; non, tandis qu’ils veulent rester toujours dans cette espèce d’ingénuité et d’ingéniosité, d’une rencontre de jeu sexuel, tandis qu’ils veulent toujours et toujours encore produire cela, déjà ils ont vieilli, déjà cela s’est arrêté, il y a là une temporalité qui est absolument fantastique. Ce qui est fantastique, c’est d’avoir à décrire un mouvement, il faut vite que cela se passe parce que cela va passer. Et parce qu’il faut vite que ça passe, que ça vienne, en même temps se produit ce mouvement, on peut dire ce mouvement pesant, lourd, qui commence à gagner les corps et où on voit d’autant plus Lolita s’accrocher encore à quelques expressions de nymphette, mais elle est déjà en train de s’enlaidir, tandis que Humbert est en train de rejoindre une image absolument sordide, même physiquement sordide, alors qu’il était beau. Cette transformation ne vient pas par un jeu d’artifices qui serait produit par le contenu des aventures, elle provient du fait de l’évolution du récit lui-même.
7Qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire que les choses du corps soient vues, observées, décrites depuis la mémoire, une perception par la mémoire, une mémoire qui s’épuise, qui va en s’épuisant… Je crois que ce que j’évoque là ne pourrait pas se dire autrement que par l’effet de jubilation de la langue. C’est pour cela que c’est extrêmement important de savoir quel texte on lit, la langue de Nabokov va créer l’invention linguistique de Nabokov, en tenant compte d’ailleurs du fait qu’en traduisant, enfin en écrivant en américain, il continue, pourrait-on dire, à chanter en russe, il continue à porter en lui une vocalité des corps, une vocalité des situations qui est russe, ce qui donne, dans une certaine mesure, encore plus d’intensité à la langue. Ce qui est tout à fait remarquable chez Nabokov c’est l’effervescence de la langue. C’est pour cela que je ne peux que vous inviter à lire Lolita dans la nouvelle traduction et si vous le pouvez dans le texte anglais.
8Je voudrais prendre un peu de temps pour m’attarder sur quelques points. Un premier point, vous savez sans doute que le texte de Nabokov, paru en 1955, a eu beaucoup de difficultés à sortir, du moins au début, et la censure s’est exercée de façon extrêmement sévère au point qu’on ne savait pas si Lolita pourrait paraître – la censure d’ailleurs s’est remanifestée lorsque de Gaulle est arrivé au pouvoir et qu’un de ses ministres a écarté, a censuré le livre ; cela n’a pas duré longtemps et la passion, notamment les passions négatives qui se sont exprimées lors de la parution de Lolita, ont été suscitées surtout en Angleterre par un article de Graham Greene qui était absolument dithyrambique, de telle sorte que si on peut dire que Nabokov a eu une immense gloire avec ce roman, en fait ce n’était pas du tout évident au départ, même lorsque par exemple des lecteurs aussi fins, aussi remarquables que Maurice Nadeau exprimaient l’étonnement que l’on pouvait éprouver à prendre un tel plaisir à la lecture de ce roman, prendre un tel plaisir et admirer ce qu’il faudrait haïr. Ce qu’il faudrait haïr, disait-on à l’époque c’est l’immoralité perverse, c’est la cruauté du désir, c’est le désir de cruauté, c’est le fait que le personnage – que le narrateur que l’on confond peut-être avec l’auteur – a mis en scène une parodie d’idylle où manque, faisait-on remarquer à l’époque, la sollicitude que l’on pourrait attendre de la part de cet homme à l’égard de Lolita. Ce qui est intéressant, c’est que bien-sûr, d’emblée, on n’a pas fait très attention au thème pédophilique. C’est relativement récent aussi bien aux États-Unis qu’en Europe, mais à l’époque le thème scandaleux était le pervers psychopathe, comme il s’appelle lui-même, qui se prend d’amour pour cette fillette de onze ans – c’est ça qui est en cause, en même temps que la fiction, comme si la fiction de Nabokov était une fiction pornographique. Il y a là quelque chose de particulièrement intéressant, d’abord parce que Nabokov raconte la genèse du texte de façon assez drôle. Si je me souviens bien, le frisson d’inspiration initiale fut provoqué bizarrement par un article paru dans un journal à propos d’un singe du Jardin des Plantes, qui après avoir été cajolé pendant des mois par un chercheur scientifique, finit par produire le premier dessin au fusain jamais réalisé par un animal. Cette esquisse représentait les barreaux de la cage de la pauvre créature. C’est, dit-il dans la genèse du texte, ce qui a été le premier frisson d’inspiration initiale et il y aura un prototype du roman de Lolita sous la forme d’un texte qui a d’abord disparu, puis a été retrouvé : « L’Enchanteur », texte écrit en russe, où le protagoniste est un homme d’Europe centrale, où la nymphette anonyme est française, où l’action se passe à Paris et en Provence. Nabokov dit ceci : « Je m’étais arrangé pour qu’il épousât la mère de la petite fille, une femme malade qui n’allait pas tarder à mourir, et Arthur – car tel était son nom – après avoir tenté sans succès d’abuser de l’orpheline dans une chambre d’hôtel, se jetait sous les roues d’un camion. » Ce thème, qui est un thème très fort là, est le prototype de la version publiée en français aux Éditions Rivages, qui s’intitule L’Enchanteur, très beau texte, le scénario étant bien-sûr le même que dans Lolita puisqu’il s’agit de tuer la mère, enfin de faire en sorte que l’homme se retrouve dans cette situation où le hasard fera que la mère meurt et où cet homme amoureux, passionné plutôt qu’amoureux du corps de la fillette, va donc ensuite avoir la possibilité de jouir de cet objet. On peut faire toute la psychanalyse qu’on veut de Nabokov, pour lui c’est parfaitement clair que c’est un scénario, depuis l’histoire du singe du Jardin des Plantes, scénario qui ne va pas le quitter, au point qu’il en parle comme une sorte de « palpitation constante ». Lolita devient chez Nabokov une palpitation – ce n’est pas simplement Flaubert et Madame Bovary –. Au moment où il cherche à écarter le projet d’écrire ce roman, il s’aperçoit que Lolita le hante. Vivant cela comme une palpitation, même douloureuse dit-il, il s’aperçoit qu’il faut traiter ce thème en anglais, parce que c’est l’anglais qui était la langue de sa première gouvernante à Saint-Pétersbourg vers 1903. Ce qui est aussi, je crois, assez important, c’est qu’en même temps que se met en scène ce voyage de la transformation, c’est l’Amérique qu’il s’agit de découvrir, c’est l’Amérique parce qu’on la traverse comme si précisément la seule possession possible pour le héros était en effet cette possession géographique, comme une projection extérieure d’un corps destiné à disparaître. Je crois précisément que les lieux jouent un rôle absolument fondamental, lieux qui sont chaque fois des marquages du souvenir et de la mémoire.
9Précédemment je signalais la façon dont Nabokov se défend d’avoir écrit un roman pornographique, ceci est très intéressant parce qu’il nous dit au fond que ce qui pourrait arriver de pire à son roman Lolita, c’est que les traductions qui pourraient être faites, tout en moralisant le texte, le rendent pornographique. C’est-à-dire qu’en effet, il se produirait un effet idéologique sur l’angle du texte littéraire et la traduction pourrait renforcer cet effet idéologique – un peu comme Kubrick qui d’ailleurs, à mon avis, a raté la transposition de Lolita au cinéma – : en créant de l’allusion obscène, on va produire, même dans certains détails, des contenus qui perdent toute leur valeur esthétique. L’effet de traduction, l’idéologie de traduction, va en même temps dans le sens du refoulement et de la simplication pornographique. Car c’est un point qu’on devrait ne pas oublier : « Dans les temps modernes – nous dit Nabokov – le terme pornographique est synonyme de médiocrité, de mercantilisme et va de pair avec certains procédés très stricts de narration. » Je vous rappelle que ceci est écrit en 1955-1956. L’obscénité doit se marier à la banalité dans le roman pornographique, parce que chaque forme de plaisir esthétique doit être remplacée en totalité par une stimulation sexuelle élémentaire qui s’exerce directement sur le patient – « Le patient », j’ai vérifié dans le texte anglais, c’est bien le terme qu’il utilise –, et qui exige donc l’emploi du mot traditionnel. Si on emploie le mot traditionnel, y compris dans la traduction, on peut abolir le plaisir esthétique au bénéfice d’une stimulation sexuelle élémentaire qui exige en somme l’emploi stéréotypé de ce mot. Je trouve cela très intéressant que cela puisse s’appliquer à une lecture qui perd le plaisir esthétique de l’objet, car n’oubliez pas qu’en lisant Lolita, vous ne lisez pas l’aventure d’un homme avec cette enfant, cette petite fille, une nymphette en tout cas, parce qu’une nymphette c’est un sexe très particulier, ce n’est pas exactement un sexe féminin – si on avait le temps on lirait des passages là-dessus – donc il s’en faut de peu pour que le mot devienne à un certain moment porteur d’une stimulation sexuelle et fasse disparaître le plaisir esthétique. Le pornographe est tenu de suivre une série de règles éprouvées et immuables s’il veut s’assurer que son « patient » sera comblé dans son attente, comme le sont par exemple les amateurs de romans policiers. Ainsi dans les romans pornographiques, l’action doit-elle être limitée à la copulation des clichés – le style, la structure, l’imagerie ne doivent jamais distraire le lecteur de sa tiède luxure. Le roman doit se réduire à une succession de scènes sexuelles, et de ce point de vue là d’ailleurs Nabokov fait remarquer, je ne sais plus dans quel texte, je crois que c’est dans Lolita, que rien n’est plus proche du roman pornographique que les contes de fées, c’est-à-dire que c’est pratiquement la même structure séquentielle, la même succession de scènes, sauf que ce ne sont pas – apparemment du moins – des scènes sexuelles. De plus les scènes sexuelles du livre doivent aller crescendo, être émaillées de nouvelles variations, de nouvelles combinaisons, de nouveaux sexes, avec un nombre sans cesse croissant de participants – on a l’exemple d’un passage de Sade, où Sade est à court de personnages et fait intervenir le jardinier, de sorte que la fin du livre doit regorger encore plus de folklore obscène que les premiers chapitres.
10Arrêtons-nous quelques instants là-dessus. Si j’ai cité ce passage du texte de Nabokov, c’est que précisément les scènes sexuelles – expression que les psychanalystes connaissent bien – sont en effet dans Lolita pour ainsi dire exclues. Tout y est décrit de façon particulièrement esthétique, d’où la critique de Nabokov à l’égard des psychanalystes et des psychothérapeutes qui transforment tout en scènes sexuelles pornographiques, lesquels mettent tout cela dans la tête des enfants. Or ce qui caractérise les scènes sexuelles, c’est la simplicité des représentations, alors que la sexualité telle qu’elle existe dans Lolita devrait ne pas pouvoir être représentée, d’une certaine façon elle n’est pas représentable, elle n’est pas le contenu d’une angoisse, d’où l’importance de la langue, parce que si la langue doit éviter cette représentation, on pourrait considérer que tout est allusif alors que rien n’est allusif. Il y a donc un effet d’illusion pornographique que peut créer Lolita, alors que précisément c’est de tout autre chose dont il s’agit.
11Pour conclure et ouvrir la discussion, je vais me limiter maintenant à deux ou trois passages. Ce qui est frappant, je l’ai dit tout à l’heure, c’est l’importance de la mémoire, en effet le personnage, le narrateur – Humbert – raconte que pour ainsi dire c’est un amour infantile qui est à l’origine de Lolita : Annabelle. Ce sont des souvenirs visuels, cette Annabelle peut-être d’ailleurs ? D’autant que Humbert se souvient des belles et aimables créatures du père, le père du personnage, et d’autant qu’Annabelle vient pour ainsi dire dans la continuité de la découverte, tout enfant, des photographies de nacre. Je cite : « […] quelques réactions singulières de mon organisme à la vue de certaines photographies toutes de nacre et d’ombres avec des failles de chair infiniment douce dans le somptueux ouvrage de Pichon “ La beauté humaine ” […]. » Il y a dès le départ une indication de ce qui est le contact avec les ombres et la nacre, avec les manifestations de la chair à travers des photographies. C’est en tout cas ce qui reviendrait d’un souvenir d’enfance, et la rencontre avec Annabelle – qui est une petite fille qui mourra ensuite – est associée chez le héros à la douceur et à la fragilité des animaux nouveaux-nés, qui lui inspirent toujours et toujours une douleur insoutenable. Explicitement Lolita commence toute enfant avec Annabelle – ce sont, dit-il, les encres colorées d’une mémoire et c’est une mémoire sensible. Cela va être toujours de façon corporelle les nerfs qui vont être touchés par ce corps, ce ne peut même pas être une image, en un certain sens Lolita ne peut pas être une image parce que si elle devient une image, il la perd, si elle est imprimée, si elle est au contact d’une sensibilité des nerfs, alors là la douleur fera qu’il ne pourra jamais la voir. Tel ce passage, où il s’agit déjà de la réincarnation d’Annabelle dans Lolita : « […] mais ce bosquet de mimosa, cette nuée d’étoiles, ce frisson, ce feu, cette mieillée, et cette lancinante douleur, (toujours cette douleur), tout cela est demeuré en moi et cette fillette avec ses membres de nymphe marine et sa langue ardente n’a cessé de me hanter depuis jusqu’au jour où enfin, 24 ans plus tard, je parvins à rompre son charme en la réincarnant dans une autre. » Lolita c’est une réincarnation, mais une réincarnation au sens fort. C’est là que commencent pratiquement les expressions étonnantes. Ce n’est pas simplement la nympholatrie, il y a une véritable science qui s’appelle la nympholepsie, il faut être connaisseur en nymphe, parce que, en fait, quand on voit passer des fillettes, ce n’est pas si facile que cela de distinguer une nymphette d’une autre fillette étant donné que, lorsqu’on regarde une fillette, il faut savoir si précisément elle a une chance de devenir nymphette comme ces papillons qui vont durer peu de temps, ou si elle n’a pas de chance de devenir nymphette et va devenir ensuite trop vite une femme, ce qui est absolument insupportable. Donc qui peut avoir cette connaissance, étant donné que la connaissance est la connaissance du nymphique et le nymphique c’est le démoniaque ? On ne peut avoir connaissance de cela que si on est du côté d’un démoniaque. « Cette idée que pour entretenir des rapports normaux avec un certain nombre de femmes terrestres dit-il, ayant des citrouilles ou des poires en guise de seins, secrètement j’étais consumé par la fournaise infernale d’une concupiscence restreinte à l’égard de toutes les nymphettes qui passaient, mais poltron respectueux des lois, je ne me permettais pas de les approcher. » Et là, réintervient précisément la mémoire des rêves puisque les sensations éprouvées dans l’acte de copulation ou de fornication au fond sont toutes semblables, tous les grands mâles normaux éprouvent les mêmes sensations dans la fornication, donc il n’y a pas moyen de s’individuer, c’est-à-dire que tous les grands mâles normaux ont au fond une sexualité vulgaire. Pour accéder à une sexualité déjà distinguée, si je puis dire, il faut précisément avoir accès à des rêves car c’est le rêve, d’une certaine façon, qui livre au départ la substance de la nymphette, il faut d’abord avoir rêvé la nymphette avant de la rencontrer. Le corps de ces nymphettes, la substance corporelle dont elles sont faites, l’apparence qui donne leur substance, est dans la matière même de l’onirique, du rêve. « Alors précisément le plus terne de mes rêves libidineux était mille fois plus éblouissant que tous les adultères que pourrait imaginer l’écrivain de génie le plus viril ou l’impuissant le plus talentueux, mon univers était privé, j’avais conscience non pas d’un mais de deux sexes, dont aucun n’était le mien. J’étais étouffé par les tabous, les psychanalystes m’appâtaient par des pseudo-libérations de pseudo-libido, le fait que pour moi les seuls objets qui déclenchaient les frémissements amoureux étaient les sœurs d’Annabelle, ces demoiselles d’honneur, les pages en jupon m’apparaissaient parfois comme un signe précurseur de la démence. » Et en effet, le personnage est constamment dans cette perception que ce qu’il va toucher en quelque sorte dans sa vision, c’est déjà quelque chose de l’ordre d’une folie, d’où d’ailleurs dans le mouvement même du texte lorsque l’on va vers une normalisation – puisque Lolita est finalement enceinte, pas de lui, de quelqu’un d’autre, elle a atteint l’âge adulte et lui est en train de perdre Lolita –, tout se défait, le monde s’écroule, plus rien ne peut exister. Je parlais tout à l’heure d’un vrai destin mélancolique, qui est en quelque sorte indiqué dans ce caractère éphémère de la substance corporelle du temps. Il se représente constamment comme « une araignée blessée », c’est l’expression qu’il utilise, dans la lenteur de sa progression, à un moment où il va tenter d’accéder au corps de Lolita : « J’ai dû mettre des heures pour l’atteindre, j’avais l’impression de la voir par le mauvais bout d’un télescope, le regard fixé sur sa petite croupe tendue, je me traînais tel un paralytique, les membres mous et difformes, avec une concentration terrible. » C’est-à-dire qu’il y a toujours chez Humbert, le personnage masculin, non pas de la dérision mais quelque chose qui est disons très proche d’une réalité kafkaïenne, d’un Kafka dans les Métamorphoses, c’est-à-dire l’autoreprésentation d’un désir qui est nécessairement inadéquat.
12Il y a encore beaucoup, beaucoup de choses à dire, juste une chose tout à fait étonnante pour conclure, qui tient précisément au rapport du personnage de Humbert, du fait qu’il perçoit son désir sexuel dans ce qu’il a de monstrueux, c’est pas parce qu’il serait monstrueux, c’est parce que la sexualité masculine s’exprimant de cette façon est monstrueuse pour lui. Cette monstruosité, sans rapport avec une pureté – ce n’est pas du tout de cela dont il s’agit –, a ceci de particulier de faire apparaître que la seule chose qui puisse sauver l’homme – l’homme aussi douloureux qu’une araignée blessée, l’apparence de ce corps –, ce serait précisément de penser qu’avec Lolita cela ne se répète jamais. Les hommes et les femmes répètent toujours la même chose dans l’acte sexuel, alors que ce qui est une particularité de ce rapport à ce corps de la nymphette, c’est que précisément la sexualité est un jeu, le sexuel est enfantin, et il est créatif s’il est enfantin et précisément il ne se répète jamais – seulement il arrivera un moment où pour Lolita comme pour les autres, s’arrête cela et c’est en quelque sorte l’échéance.
13Marthe Coppel-Batsch – La façon dont Nabokov, le narrateur, décrit avec émotion le corps d’une fillette, évoque une pédophilie que chacun de nous peut ressentir me semble-t-il. Et puis ensuite il y a le passage à l’acte et à ce moment-là je trouve que d’une façon extrêmement subtile, tout en parlant à travers le narrateur, c’est à la vie psychique de Lolita qu’il s’intéresse, et on la voit souffrir. J’ai l’impression que l’auteur se sépare alors du narrateur et s’intéresse émotionnellement et intérieurement à la jeune fille. Par des touches très subtiles on perçoit, on ressent le drame que vit cette petite jeune fille, alors que dans la première partie elle n’existe que de façon très extérieure, comme une fillette attirante. Dans la deuxième partie, l’auteur se sépare du narrateur pour s’identifier à la fillette et je trouve cela très, très bien fait d’ailleurs – réellement Nabokov a compris me semble-t-il ce que peut vivre une jeune fille abusée sexuellement.
14Pierre Fédida – Je suis tout à fait intéressé par votre intervention, qui ne me semble pas en contradiction ou en opposition avec ce que je viens de dire, au contraire cela renforce mon point de vue, parce qu’au moment où l’auteur se sépare du narrateur – là c’est un tour de force chez Nabokov de faire en sorte que ce soit ainsi – apparaît une souffrance chez Lolita, au point même que c’est Lolita qui va se voir de plus en plus putain. Chaque fois chez Nabokov c’est très bizarre : le mot de la prostituée, la désignation de la prostituée, est à la fois un mot grandiose, la prostituée est grandiose, et en même temps elle est misérable. Cette souffrance dont vous parlez, cette souffrance de Lolita tout au cours de la deuxième partie, cette souffrance qui permet dans cette écriture véritablement empathique de suivre – alors ça c’est intéressant parce que dans la première partie, on pourrait dire que l’empathie de la mémoire révèle les plis du corps, les articulations, les mouvements, ce qui est le plus gracieux, ce qui est le plus merveilleusement juvénile mais qui va disparaître, tandis que dans la deuxième partie cette empathie, si je peux garder le même mot, cette empathie va abandonner le corps, c’est un corps de plus en plus lourd à porter chez Lolita tandis que précisément cette empathie va porter du côté du vécu des sentiments de Lolita. Alors je trouve cela en effet tout à fait étonnant, ce serait encore un autre plan de travail. Je crois que l’aboutissement du deuxième mouvement, c’est-à-dire du deuxième chapitre, conduit en effet finalement à cette effroyable mélancolie dont je parlais tout à l’heure, parce que le personnage, le narrateur, Humbert, ne peut pas être quitte – c’est-à-dire ce qui a été, ce qui s’est produit dans le premier mouvement va se transformer en un mouvement mélancolique.
15Marthe Coppel-Batsch – Finalement cela donnerait un roman très moral ?
16Pierre Fédida – J’hésite à acquiescer à l’idée que cela fasse finalement un roman très moral, parce que tout de même – c’est pour cela que j’ai pris soin de lire ce que Nabokov écrit sur la pornographie –, ce qui compte c’est qu’en effet le sentiment esthétique soit toujours dominant, il se passe quelque chose dans la langue ; lorsque l’œuvre, par les jeux de refoulement, devient morale, elle risque de devenir pornographique. Je ne sais pas si vous êtes d’accord ? Si on me décrit une affaire de pédophilie, si on me dit que c’est une affaire de pédophilie, ce sera en effet pornographique nécessairement, en même temps que ce sera moral. Je ne joue pas sur le goût des paradoxes là…
17Maurice Corcos – Marthe Coppel-Batsch dit un peu trop rapidement me semble-t-il qu’il y a une pédophilie normale ou naturelle. C’est peut-être facile à dire pour une femme, mais pour un homme c’est plus compliqué, parce que tout de suite la dimension animale, bestiale, la dimension intrusive, effractive, inhérente à sa sexualité, est là, qui évoque le meurtre. Alors sans vouloir faire une interprétation psychanalytique, puisque en effet Nabokov la récuserait par avance – il a des expressions savoureuses comme « Freud un vieux fou charlatan » et surtout « Essayez d’éviter que la délégation viennoise ait quelques mots à dire » – enfin on va essayer à la fois de l’éviter et le dire, Nabokov me rappelle un autre réfugié suisse, Albert Cohen, qui est aussi un « pédophile » à sa manière, qui est aussi un grand mélancolique, et qui est lui aussi, pour reprendre une expression qui vous appartient, un « cannibale mélancolique ». Le vrai cannibale mélancolique, ce serait plutôt l’autre personnage, le double maléfique de Humbert Humbert, celui incarné par Peter Sellers, qui a beaucoup moins d’état d’âme quand il s’ agit de violenter Lolita. Comment le féminin en l’homme pourrait-il s’exprimer sans qu’il soit tout de suite parasité par cette bestialité ? Pour le dire autrement, est-ce qu’il peut y avoir une relation maternelle entre un homme et une jeune fille ? Il y a quand même une injustice majeure dans l’affirmation qu’il n’y a pas de pédophilie naturelle homme-fille, c’est que, à l’origine, celle qui a une possibilité de relation érotique avec les deux autres membres du triangle œdipien, c’est la mère avec le père et la fille, et que le père lui ne peut pas avoir de relation érotique avec les deux, il ne peut pas avoir une relation corps à corps, chair à chair, qui ne soit pas tout de suite marquée par l’animal en lui – cet animal en lui que Nabokov récuse et que Freud pointe.
18Comment Humbert Humbert pourrait-il avoir une relation érotique féminine, maternelle avec Lolita, comment pourrait-il se débarrasser de la sexualité animale masculine ? Cette impasse aboutit au fait que dès que l’homme touche la nymphe, il la tue et elle disparaît ; dès qu’il essaie de fixer le papillon pour éviter qu’il ne meurt, il le plante. Il y a toujours cette dimension-là de mort qui apparaît, avec sûrement une jouissance, un érotique qui est lié à la mort, comme le soulignait Bataille. Cette mort, qui fait jouir, puis annule la jouissance immédiatement et le fait s’autoreprésenter monstrueux. Il n’y a pas de possibilité de caresses tendres avec une jeune fille pour un homme, tendres c’est-à-dire durables, sans que la mort ne surgisse comme pour vouloir l’arrêter dans ce que la tendresse a de confusionnant. On peut imaginer une mère avec sa fille dans un rapport charnel, corporel, tendre, qui dure, une caresse qui dure un certain temps ; la tendresse d’un homme vis-à-vis d’une jeune fille qui durerait trop longtemps serait tout de suite ambiguë. Est-ce qu’il y a une injustice fondamentale à ce qu’il ne puisse pas y avoir de pédophilie naturelle entre un homme et une fille, tandis qu’entre une femme et une fille, il y a une possibilité, une zone d’indécidabilité plus longue et moins trouble. Je ne sais pas si je suis clair ?
19Pierre Fédida – Vous êtes très clair mais vous soulevez là un lourd problème. Je voudrais essayer un instant de déployer ce qui se passe chez le narrateur Humbert Humbert, comparativement à ce qui peut apparaître par exemple chez des fétichistes. J’ai appelé cette représentation « fétichisme particulier ». Dans l’état amoureux, c’est-à-dire cette fameuse douleur qui est là, présente, constante, lancinante chez Humbert, il ne peut pas posséder Lolita, même s’il y a copulation, il ne peut pas la posséder. Ce qui peut fixer en quelque sorte la présence de Lolita, c’est la douleur qu’il éprouve dans ses nerfs – le corps de Lolita lui fait mal, c’est tout à fait remarquable dans toute la première partie, la vue du corps de Lolita, lorsqu’elle joue au tennis, lorsqu’elle fait différents mouvements. Alors on peut évoquer sa jalousie, quelqu’un d’autre penserait qu’il est très persécuté d’une certaine façon par les rencontres que peut faire Lolita, par les différentes pensées qu’elle pourrait avoir, par les mots qu’elle pourrait envoyer en cachette, mais ce n’est pas cela dont il s’agit, puisque ce dont il s’agit à vif, c’est que la vue du corps de cette nymphette lui fait mal comme si la douleur était la seule certitude de pouvoir se sentir vivant, et pouvoir se sentir vivant en gardant Lolita. Cela me fait penser à des configurations que j’ai pu rencontrer chez des analysés ou des gens en psychothérapie. Par exemple dans l’homosexualité, où le rapport au corps de l’autre est un rapport douloureux, d’autant que précisément il ne pourra jamais être possédé et qu’il va disparaître. C’est dans la douleur que le corps de l’autre serait là conservé. Alors précisément, ce que nous décrit Nabokov, c’est, comme le héros le dira souvent, une sexualité dont on se demande si elle existe, et répondant à l’avance à l’accusation de pédophilie, je crois que précisément il fait tenir à son héros le raisonnement qu’il n’y a au fond que les pédiatres qui sont pédophiles (et les pédopsychiatres !), puisque précisément ils s’intéresseraient au corps de l’enfant sans saisir ce qui serait, alors quoi, ce n’est pas l’enfant, c’est le passage, le passage d’avant la mue – c’est de cela qu’il s’agit, cela se passe entre onze et quatorze ans pour Lolita. Quand elle va commencer à avoir des seins, un début de seins, c’est déjà trop pour Humbert. C’est cela qui nous interpelle, c’est très proche après tout de la façon dont le Président Schreber, se regardant dans le miroir, disait : « Si quelqu’un entrait maintenant par derrière, il pourrait me prendre pour une femme. » Étonnant ! Donc c’est au niveau de ces phénomènes que cela se passe, ce n’est donc pas une histoire pédophilique.
20Quand vous évoquez le problème de l’échéance de la tendresse, vous posez là un problème qui est celui que Lou Andreas Salomé avait pressenti, si ce sont les fils qui tuent les pères, qu’est-ce que font les filles pendant ce temps-là ? Quelle est, chez Lou Andreas Salomé, précisément, la nature de l’acte incestueux qui est susceptible d’être pratiqué par le père sur la fille ? Il ne s’agit pas, je crois, de supposer tout simplement que ce soit le passage de la tendresse à l’acte sexuel – l’incestueux dans Lolita semble évident, et en même temps ce n’est pas incestueux du tout.
21Question – Je voudrais revenir sur le parallèle entre Lolita et L’Enchanteur. Personnellement j’ai lu Lolita bien avant L’Enchanteur, comme la plupart d’entre nous je suppose, et lorsque j’ai découvert L’Enchanteur, j’ai été réellement enchantée, – ce qui n’avait pas été tout à fait le cas avec Lolita (… à la première traduction ?), je l’ai trouvé pour ma part infiniment plus puissant comme récit. Ce dont je me souviens de cette lecture – ce sont mes souvenirs et je n’ai pas une très bonne mémoire – de L’Enchanteur, ce sont effectivement des descriptions très impressionnantes du corps de l’enfant. Les petites socquettes sur les chevilles et les genoux de l’enfant, dont on sait d’ailleurs – j’y ai repensé en vous écoutant – que le genou est une des parties du corps féminin qui vieillit le plus vite et le plus mal, ce n’est peut-être pas par hasard qu’il y a cette place réservée aux genoux dans le récit ; mais ce qui m’avait frappée dans ce récit, c’est le désir extrêmement puissant de l’homme pour s’accaparer le corps de l’enfant et en même temps une inhibition très forte à le faire, conflit qui se résout, dans mon souvenir, par le fait qu’il finit par aller recouvrir le corps dénudé de l’enfant qui dort. À ce moment-là l’enfant se réveille, elle voit l’homme penché au-dessus d’elle, elle hurle, elle crie ; ils sont dans un hôtel et on vient arrêter l’homme. Et je voyais dans ce récit où il n’y a pas d’acte sexuel, une transposition du désir œdipien du petit garçon pour sa mère et finalement dans cette scène, l’enfant n’était pas la petite fille endormie mais c’était l’homme, et la petite fille endormie était ce corps maternel inatteignable, cet objet à jamais perdu de la satisfaction primaire, totale, paradisiaque.
22Pierre Fédida – Merci Madame. Je ne peux que vous inciter tout de même à lire la nouvelle traduction qui vous donnera tout le plaisir de redécouvrir Lolita. Moi aussi L’Enchanteur m’a beaucoup intéressé, et aussi le texte Ada (Ada ou l’Ardeur), grand texte de Nabokov qui est absolument magnifique. Il y a aussi un autre texte qui s’appelle La transparence des choses, dans lequel Nabokov joue beaucoup sur ce que j’appelle, je ne peux pas l’appeler autrement, la substance des corps. De quoi les corps sont-ils faits ? Si on pose cette question, on est déjà dans un monde plus onirique si je puis dire, où on ne sait pas où commence l’acte sexuel, l’homme qui se penche sur la nymphette, l’enfant endormi dans L’Enchanteur, vous avez raison de dire, c’est lui l’enfant, bien-sûr. Il y a là un effet de miroir absolument époustouflant, que ce soit lui l’enfant et que ce soit précisément quand il se précipite sous le camion, que ce soit ce qui est cet acte sexuel qui ne s’est pas fait avec les organes sexuels, cet acte sexuel qui n’est pas, comme vous le rappelez, un acte sexuel matérialisé, que ce soit de cet acte sexuel que se trouve décidée l’impossibilité d’accaparer et que se trouve décidé quelque chose qui est perte, la perte de l’objet. Alors quand vous dites l’enfant c’est l’homme qui se penche sur l’enfant, je suis tout à fait convaincu, et on peut dire que chez Humbert Humbert dans Lolita – je ne pense pas que je fasse d’extrapolation sur Lolita – la monstruosité double constamment la perception de ses actes, je l’ai dit tout à l’heure, l’expression du désir sexuel de l’homme pour Lolita, l’expression bouillonnante, fervente, incandescente de ce désir sexuel lui révèle à lui-même sa propre monstruosité – c’est-à-dire qu’il ne peut pas être contemporain d’Annabelle, la fillette des amours d’enfance, et la perte de l’enfance est ici le grand cataclysme qui se produit chez Humbert Humbert. Lolita a ce rôle révélateur fantastique et d’une certaine façon de ce féminin. Pour aller dans le sens dont vous parlez, c’est ce féminin qui échappe à Lolita elle-même, elle n’est jamais provocante Lolita, ce féminin qui lui échappe est certainement ce qui, pour le garçon, serait le féminin de la mère, qui lui échappe aussi. Quand je dis cela, c’est au fond cette idée que l’homme, dans son développement affectif, psychosexuel, est dans cette particularité que, à la fois il est toujours relié à l’objet du premier amour, la mère, et qu’il ne parvient qu’avec tant de difficultés à prélever quelque chose de l’ordre d’un féminin, qui certainement se trouve ici incarné dans le personnage de Lolita – mais encore une fois c’est un féminin qui échappe à Lolita elle-même –, bien-sûr Lolita pourra lui dire « […] tu m’as violée trois fois […] ». Ce qui est intéressant ici dans le texte c’est la mémoire du sexuel. Une thèse a été faite sur la mémoire du sexuel chez les jeunes filles victimes d’inceste. Au policier, au gendarme qui pose des questions sur ce qui a vraiment eu lieu, la jeune fille, souvent de treize-quatorze ans, le dit, à savoir : « […] il m’a touchée, « […] l’a fait avec le doigt », « […] il l’a fait avec son sexe » et plus tard, alors qu’elle a su garder en mémoire cela, elle ne se souvient plus. On retrouve, dans Nobokov, cette étrange particularité qu’est la mémoire du sexuel, puisque elle, Lolita, en un certain sens, se souvient des actes de Humbert, mais d’une certaine façon ce n’est pas la même mémoire que lui, se souvenant de ce qu’il a fait de Lolita et hanté comme il est d’être poursuivi par la police, par la justice, etc. Je crois que là nous aurions à travailler sur l’imbrication des thèmes qui est absolument fantastique.
23Question – J’ai été très sensible à ce que vous avez dit sur l’enfance, vous avez commencé à parler d’Ada. Moi je continuerais avec Regarde, regarde les arlequins et Speak Memory, Autre Rivage, et on remonte dans la mémoire puisque Autre Rivage c’est son enfance, c’est le plus autobiographique… Nabokov commence par Lolita, 1955, puis Ada, 1975, Regarde, regarde les arlequins, 1978 et Autre Rivage, 1989, et cela remonte sur les mêmes thèmes : l’enfance, les amours enfantines, le paradis perdu. D’autre part ce que vous avez dit du temps et de l’espace, de l’errance à travers l’Amérique m’a amené une image, je la partage, c’est « Paris-Texas ». Tout d’un coup, ces motels, ces endroits miteux, ces distances, sans être la même chose, Paris-Texas m’est venu – je n’avais jamais pensé à Lolita et Paris-Texas ensemble mais il y a une espèce d’image qui est montée. Vous avez parlé de l’errance dans l’Amérique et je me suis dit l’errance c’est aussi Nabokov qui quitte la Russie, qui va en Angleterre, qui va vivre à Berlin, qui va quitter Berlin pour fuir le nazisme. Il va écrire en russe, il va écrire après en anglais, puis va se traduire du russe en anglais. Parce que vous parlez de la jubilation de la langue, moi j’ai passé mon temps à avoir des associations de tressages autour de cela, et la sexualité – j’ai l’impression que vraiment cela rejoint l’enfance, la voilette de la mère dont il parle, la joue de la mère voilée. Et puis, quand même, le fait que Nabokov est un grand entomologiste, un spécialiste des papillons ; comment fixe-t- on la poussière d’ailes des papillons ? Ils sont morts après, tout le thème de la mort, c’est-à-dire comment est-ce qu’on fait pour fixer cette poussière d’ailes de papillons, quand on la fixe il n’y a en a plus, elle disparaît, le nacré, l’irisé – et c’est vrai que tout au long de ses textes on retrouve les mêmes thèmes de la petite fille, de l’amour de la paysanne dans Autre Rivage, c’est une paysanne, elle est sage… (P. F : Ce n’est pas la petite fille, ce n’est pas vraiment la petite fille…) – la paysanne d’Autre Rivage, c’est la petite… je ne sais plus comment elle s’appelle, elle a douze ans, treize ans…
24Pierre Fédida – Ce n’est pas pour vous contredire, mais quand je dis ce n’est pas la petite fille, précisément c’est là que se jouent les ambiguïtés, la langue s’accroît à ce moment-là pour faire apparaître, développer ces ambiguïtés. Ce n’est pas pour chicaner sur le mot, c’est que si précisément le mot « nymphette » a presque la chance de désigner un état momentané de la fille, encore que la même fille du même âge ce n’est pas nécessairement une nymphette, ce n’est pas un état d’âge, toutes les filles ne sont pas des nymphettes. Cet état-là a pour particularité de ne plus correspondre à la petite fille…
25– Alors j’enlève « petite fille », c’est vraiment cette idée… il n’y a pas de mot qui puisse fixer, puisque c’est la fuite du jamais réalisé, puisqu’à partir du moment où on fixe le papillon, on réalise, on regarde, ça s’en va, ça fuit. J’ai été très sensible à ce que vous avez dit de cela dans cette dimension du temps et dans cette dimension de l’espace, de la fuite sans arrêt d’un espace à l’autre, dans toute l’Europe, dans toute l’Amérique, quelque chose qui ne doit jamais être fixé parce qu’au moment où il se fixe il meurt et c’est fini – et la douleur de cette déambulation dans les paysages d’enfance quand même, avec cette espèce de voile irisé onirique sur une enfance en Russie, située en Russie.
26Pierre Fédida – Je vous remercie des remarques que vous faites. Ce qui me permet simplement de parler, puisque vous avez fait allusion à ce texte quasi autobiographique de Nabokov, du fait de découvrir l’Amérique, parce qu’il s’agit de découvrir l’Amérique par ce voyage, je ne sais pas si vous êtes nombreux ici à avoir parcouru en voiture (moi je l’ai fait une fois) l’Amérique ou le Canada. C’est en effet fantastique, ces longueurs de kilomètres qu’on fait, en arrivant souvent dans ces motels miteux, aux enseignes, avec l’angoisse que représentent ces hôtels dont on ne sait pas très bien à quoi ils servent, ils servent aussi bien d’hôtels de passe qu’autre chose, d’hôtels de voyageurs. Tout est kitsch, car cet aspect kitsch est un des aspects du paysage américain aimé, on ne peut pas dire qu’il serait l’objet d’une dérision, il est aimé ce paysage avec cette voiture qui roule, qui roule, avec Lolita à côté. Ce temps-là est un temps qui est d’une violence mélancolique considérable mais qui en retour va avec cette ferveur. On est tenté de lier ici le thème de la mélancolie – vous avez eu la gentillesse de rappeler que c’est un thème qui m’importe beaucoup, je dirais un peu plus la mélancolie de l’homme que la mélancolie des femmes –, ce thème mélancolique, j’ai l’impression que c’est une des dimensions qui n’est pas assez bien perçue dans la littérature psychanalytique en relation avec la sexualité masculine (sauf peut-être par Karl Abraham), il revient aujourd’hui à Monique Schneider d’avoir pointé certaines choses qui pourtant vont dans ce sens-là. Cette dimension mélancolique, je la mets en liaison étroite avec ce qui apparaît là, ce que j’appelle le monstrueux autoreprésenté du désir de l’homme, puisque c’est Lolita qui joue le rôle de révélateur, qui joue le rôle pourrait-on dire d’épure de la sexualité infantile, faisant apparaître ce suicide mélancolique du personnage. Je voulais lier cela aussi à certains paysages américains tels qu’ils sont ici décrits, mais ils ne sont pas décrits de façon dénigrative, c’est une ferveur, et en fait Paris-Texas c’est assez juste. Alors vous avez raison de faire le rapport avec la Russie, sauf que la Russie, il y avait la vocalité, il y avait la voix, il y avait le chant. Il y a dans la langue russe ce chant, cette vocalité que Nabokov accorde à la langue américaine, c’est tout à fait étonnant – lisez-le en anglais, enfin si vous le pouvez, ou lisez-le avec la nouvelle traduction. Moi je ne suis pas très malin en anglais, mais enfin je le lis suffisamment pour pouvoir faire cet exercice de découvrir la langue de Nabokov en anglais avec cette vocalité – c’est une jubilation, une jubilation mélancolique.
27Maurice Corcos – Les relations que vous voulez voir et développer entre le mélancolique et le sexuel masculin, pour le dire avec Bataille, suggèrent l’idée que dans le sexuel masculin, l’érotique d’une certaine manière ne peut pas être délié de la mort, c’est-à-dire que la bestialité, l’animalité masculine, amène cette effraction qui ouvre la voie vers le morbide. Dans le féminin il y aurait, comme vous le dites ailleurs, une espèce d’informe qui ne prendrait jamais forme, tandis que la masculinité c’est toujours la brutalité, la forme. Si on le prend d’un autre point de vue, comme vous l’avez évoqué souvent, avec cette dimension onirique on a l’impression qu’il y a un devenir du désir masculin comme s’il était trop hormonal si je puis dire, trop endogène, c’est-à-dire trop gonflé lui-même, désir qui ne peut qu’aboutir à une satisfaction qui serait la mort, tandis que dans l’informe féminin il y a quelque chose qui pourrait continuer à être, comme s’il y avait un rêve dans le rêve… Alors à quoi cela serait-il lié… ?
28Pierre Fédida – Je ne sais pas, mais simplement je ne suis pas sûr que Bataille ait bien vu ici le rapport qui existerait entre mélancolie et sexualité masculine. Ce qui me fait dire cette chose-là, c’est à la fois l’expérience qui découle de l’écoute de patients hommes avec ce qui m’apparaît comme – c’est peut-être la lecture de Nabokov qui me l’éclaire comme cela – l’impossible salut fétichiste de l’homme. Un jour un de mes patients qui évoquait le fait que, donnant semble-t-il du plaisir à sa femme dans l’acte sexuel, était venu à sa séance le lendemain disant « Je suis très troublé par ce qui s’est passé hier […] » – c’est un homme pudique qui ne dit que juste ce qu’il faut, un monsieur réservé – il dit :« […] mais il y a un moment où elle semblait si heureuse dans l’acte sexuel que cela a été douloureux pour moi […] » et il continue la séance en disant « […] au fond ce que j’envisage c’est de me faire greffer une femme sur moi, comme cela je ne pourrais plus avoir d’expérience douloureuse si on me greffait une femme ».
29Maurice Corcos – Juste une association qui me vient, parce que quand même ce qu’il dit, c’est douloureux pour lui, on peut imaginer qu’il y a l’image de la mère qui flotte… Je me souviens d’un patient psychotique dont la femme venait d’avoir un enfant, il rentre chez lui, il entrebaille la porte, il voit sa femme allaiter son enfant, il a le désir de les tuer car la scène lui est insupportable, il avance vers eux, il les dépasse, il va à la fenêtre et il se jette par la fenêtre. C’est quelque chose d’absolument douloureux, qui a dû lui évoquer quelque chose qu’il a perdu, ou pire qu’il n’a jamais eu. Ce lien érotique, charnel, corps-à-corps mère-enfant, soit il a été perdu, soit il n’a jamais été possible de l’avoir, il y a quelque chose là d’une impossibilité pour l’homme à le recouvrir.
30Pierre Fédida – Oui, j’entends bien ce que vous dites, probablement un moment psychotique, mais ramené ici à Humbert, la décharge sexuelle de l’homme, son orgasme plutôt, serait en effet un acte, un moment mélancolique qui préfigure en quelque sorte le prototype justement de cet abandon, de cette perte, mais qui plus est de cette autoperception, une sorte d’échouage ou de déchéance du sexuel. Je vous renvoie au très beau livre de La généalogie du masculin de Monique Schneider, qui ne traite pas de cela, mais qui est une lecture très intéressante à mettre en vis-à-vis.
31Maurice Corcos – Il nous reste à remercier très chaleureusement Pierre Fédida.